LES COMMUNES FRANÇAISES À L'ÉPOQUE DES CAPÉTIENS DIRECTS

LIVRE PREMIER

 

LES ASSOCIATIONS URBAINES

 

 

Du rôle joué au moyen âge par le principe d'association. — L'association dans les villes. — Les associations urbaines antérieures au régime communal. — Les compagnies de marchands considérées clans leur influence sur la genèse de la commune. — Les corporations d'arts et métiers. — Les confréries religieuses. — Du régime de communauté qui a précédé dans certaines villes le régime communal. influence des invasions normandes. — La question des associations religieuses dites paix et trêves de Dieu. — Théorie de M. Sémichon. — Différences essentielles qui existent entre la commune et l'association de paix.

 

L'élément générateur de la commune, c'est l'association des habitants conclue sous la garantie du serment mutuel. Mais l'origine immédiate de cette association politique se trouve souvent dans les sociétés partielles qui, sous la forme commerciale, industrielle ou religieuse, ont été le germe et le prototype de la fédération générale.

Il y aurait à faire un beau livre sur le rôle joué au moyen âge par le principe d'association. Nous avons dit qu'il est oiseux, à notre avis, de rechercher l'origine de ce principe dans les habitudes gallo-romaines ou germaniques. L'essentiel est de montrer combien l'application en fut alors étendue et féconde ; quelle place il tenait dans ce monde féodal qu'on nous représente comme étant livré sans réserve à l'esprit de particularisme et d'anarchie. A vrai dire, dans la société féodale proprement dite, les rapports de vassalité et de hiérarchie ne constituèrent jamais qu'un lien des plus légers, facile à rompre, absolument insuffisant. Pour ces petites dynasties locales, qui avaient fractionné, émietté à leur profit le territoire public et les pouvoirs de l'État, l'isolement était la règle, et la guerre devint presque la condition normale de l'existence. L'idée d'une association régulière établie entre feudataires du même ordre pour se protéger contre un ennemi commun ne fut jamais mise en pratique qu'imparfaitement, inconsciemment, en quelque sorte par accident. La fédération entre possesseurs de fiefs prit toujours la forme d'une ligue éphémère, que les vassaux formaient entre eux à la hâte pour tenir tête au suzerain ou à l'étranger, mais qui ne survivait jamais à la circonstance qui l'avait fait naître. Qu'il y eût victoire ou défaite, le résultat était invariable ; l'entente créée entre les nobles confédérés cessait d'exister après l'action commune.

Il n'en était pas de même dans le monde ecclésiastique. L'association y fut pratiquée partout et sous toutes ses formes. On y voit l'association élémentaire et intérieure, en vertu de laquelle se formèrent les innombrables communautés monastiques et, à leur exemple, les communautés de chapitres séculiers et réguliers ; l'association par filiation qui réunissait sous le gouvernement d'une même maison-mère une foule d'abbayes et de prieurés souvent dispersés aux extrémités de la France et même à l'étranger ; l'association par confraternités, en vertu de laquelle les communautés monastiques et les chapitres s'agrégeaient, par un libre choix, d'autres communautés, pour entretenir avec elles des relations d'hospitalité, de secours et de prières mutuelles. La seule partie du monde ecclésiastique qui ne sût pas ou ne pût pas jouir des avantages de l'association, c'était précisément celle qui, engagée à moitié dans la société féodale, en avait contracté jusqu'à un certain point les habitudes et les mœurs, c'est-à-dire l'épiscopat. En dépit des liens que les institutions canoniques, notamment l'usage des conciles provinciaux, avaient essayé d'établir entre les diocèses, les évêques restèrent isolés. C'est ce qui permit à la royauté, dans le domaine temporel, à la papauté, dans le domaine spirituel, de diminuer le pouvoir épiscopal, et de le faire tomber dans cet état de complète subordination où nous le trouvons réduit, au déclin du moyen âge proprement dit. L'association paraissait si nécessaire aux membres des chapitres et des abbayes, que, non contents de se confédérer entre eux pour mieux se défendre, ils allèrent encore jusqu'à s'associer, par les pariages, des personnes de la classe féodale.

Si une puissance telle que l'Église jugeait indispensable de s'appliquer, à tous les degrés, le bénéfice de l'association, on conçoit que la classe populaire ne devait pas manquer de chercher à en recueillir les avantages. L'association était la seule ressource, le seul moyen de défense, que les serfs et les hommes libres, dans les campagnes comme dans les -villes, pussent opposer à la tyrannie seigneuriale.

A l'époque romaine et gallo-romaine, lorsqu'il existait, pour protéger les citoyens, un pouvoir public respecté, un Etat centralisé et fort, les habitants d'une même ville formaient des associations, licites ou même illicites, en vue d'une exploitation industrielle ou commerciale, pour développer une institution de piété, de charité ou de prévoyance. A plus forte raison devait-il en être de même au moyen âge, alors que toute puissance générale et protectrice avait disparu, alors que paysans et bourgeois ne pouvaient plus compter que sur leur propre énergie. Les associations ou les collèges si fréquemment mentionnés par les inscriptions latines de la région gauloise ont-ils complètement disparu dans le naufrage où sombrèrent les institutions municipales des cités gallo-romaines, à la suite de l'invasion barbare et de la domination franque ? La critique rigoureuse a le droit de le supposer. On peut croire, par exemple — nous n'avons aucun moyen de l'affirmer ou de le nier —, qu'il n'exista en réalité aucun lien de filiation ou de dérivation entre les nautæ parisiaci, ces mariniers parisiens que nous fait connaître une inscription des premiers temps de l'Empire romain, et ces mercatores aquæ, ces marchands de l'eau que nous signale à Paris, pour la première fois, un document du temps de Louis le Gros. Toujours est-il qu'au moment de l'établissement du régime féodal, et précisément en raison de l'état d'asservissement et de misère où les populations urbaines se trouvèrent plongées par suite de l'extension de ce régime, elles durent songer de bonne heure à demander à l'association ce que ne pouvaient obtenir les efforts isolés des individus : une sécurité plus réelle pour les biens et les personnes, un adoucissement apporté aux charges les plus pesantes et aux souffrances les moins tolérables.

La tradition, interrompue peut-être depuis plusieurs siècles, fut donc renouée, par la force des choses, sous le coup des mêmes nécessités ou plutôt de nécessités encore plus pressantes. D'ailleurs, il est possible que le souvenir des institutions de l'époque romaine ne se fût jamais absolument effacé. Les associations urbaines se reconstituèrent, mais dans des conditions différentes, puisque le régime social s'était radicalement transformé. Il ne s'agissait plus, comme autrefois, pour les citoyens des municipes, de se grouper librement dans certains collèges sous la protection officielle ou avec la tolérance de l'État. Il n'y avait plus dans les villes, au Xe et au XIe siècle, que des collections de commerçants et d'artisans, de condition plus ou moins servile, appartenant à un ou plusieurs seigneurs, et travaillant, en partie, au profit du maître, que ce maître fût un évêque, un chapitre, un abbé, un comte ou un simple châtelain[1]. Les associations formées à cette époque ne pouvaient avoir le caractère et la portée de celles que les villes possédaient pendant la période ancienne. Ou bien elles se constituèrent secrètement, indépendamment et à l'insu du seigneur ; ou bien elles se créèrent sous ses yeux, avec son assentiment, mais dans ce cas on comprend qu'elles fussent dépendantes et réglées de telle façon que leurs statuts et leur fonctionnement ne pussent entraver sérieusement l'exploitation seigneuriale. Néanmoins, ce groupement des habitants, si partiel qu'il apparaisse au début, quelque défavorable qu'aient été les conditions dans lesquelles il s'effectua, constituait un progrès réel. L'idée d'un but commun à atteindre ; le serment prêté par tous ; les réunions fixes où les membres de l'association prenaient l'habitude de se communiquer leurs pensées, leurs impressions, leurs espérances ; l'existence d'une caisse ou d'un trésor social, la nomination de représentants du groupe, chargés de parler et d'agir en son nom : toutes ces nouveautés, quels que fussent le but et le caractère de l'association, amenèrent d'abord une amélioration réelle dans le sort de ceux qui étaient affiliés et durent même, à la longue, exercer une salutaire influence sur la condition de ceux qui ne l'étaient pas.

Il va sans dire que les villes n'arrivèrent pas de prime abord et sans transition, dans cette voie, à l'association politique comprenant l'universalité ou la grande majorité des habitants. On ne débuta pas par la commune. Il se constitua auparavant, dans les centres urbains, des sociétés plus restreintes, sans caractère politique. Avant de se lier clans leur ensemble, pour se soustraire, pacifiquement ou violemment, à l'exploitation seigneuriale, les bourgeois appartenaient à certaines agrégations particulières ; ils avaient déjà fait l'épreuve des bienfaits de l'association. Ces sociétés, antérieures à la commune, furent le noyau solide autour duquel se forma plus ou moins vite, quand fut venu le moment favorable, la fédération politique étendue à la ville entière. La commune ne fut donc, sur beaucoup de points, que le résultat de l'extension d'une association partielle déjà constituée, organisée et vivante.

Ce fait, que la science contemporaine s'efforce avec raison de mettre en lumière, est des plus importants pour qui étudie, non pas les origines lointaines, mais, ce qui est plus pratique, la genèse immédiate de l'institution communale. Par là s'explique la rapidité avec laquelle les gouvernements municipaux se trouvèrent établis et fonctionnant, aussitôt que l'insurrection ou le consentement plus ou moins forcé du seigneur eut procuré aux villes la liberté politique. Elles avaient déjà des habitudes prises, un commencement d'organisation, une pratique plus ou moins avancée des réunions civiques et des affaires administratives. Ces associations urbaines, préexistantes au mouvement communal, ont été reconnues et étudiées clans certaines villes. Ailleurs, les investigations les plus consciencieuses n'ont pu aboutir à un résultat certain les textes anciens font malheureusement défaut. L'histoire des corporations et des confréries de toute nature ne commence pas, à vrai dire, avant le XIIe siècle. Ce n'est qu'au XIIIe et surtout au XIVe que leur organisation rions est révélée dans le détail. Encore les documents qui les concernent fournissent-ils bien rarement des renseignements positifs sur le rôle que ces associations ont pu jouer à l'origine, avant et pendant la période de propagation du mouvement communal. Cependant tout n'a pas été dit sur celte question ; une meilleure interprétation des textes connus et la découverte de documents nouveaux nous réservent peut-être à cet égard plus d'une surprise.

En somme, les associations urbaines que les textes laissent entrevoir connue antérieures aux communes ou contemporaines de leur fondation appartiennent à trois catégories : 1° les sociétés marchandes ; 2° les sociétés industrielles ou corporations d'arts et métiers ; 3° les sociétés religieuses ou d'origine ecclésiastique.

Les marchands — et il faut entendre par là non le petit commerce local, mais le haut commerce, celui qui faisait la vente en gros, qui voyageait, qui allait de foire en foire pour ses opérations de vente et d'achat, qui joignait même aux gains commerciaux les profits de la banque —, ces marchands portaient différentes dénominations, suivant les villes. On les appelait ici navigateurs ou marchands de l'eau, là drapiers, ailleurs changeurs. Ils constituaient l'aristocratie populaire. C'était chez eux que se trouvaient et se transmettaient les grandes fortunes. Les négociants de cette catégorie couraient de nombreux risques, clans la cité et encore plus au dehors. Ils ont dû, pour les diminuer, pratiquer de très bonne heure l'association. Elle leur était nécessaire, non seulement pour se défendre contre les violences et les pillages des barons, mais encore pour s'assurer contre l'incendie ou le naufrage, ou même pour se garantir le monopole du commerce dans une région déterminée. On vit donc se former entre marchands ces sociétés de secours mutuels, qui apparaissent dans les textes sous les noms les plus divers : gildes, conjurations, confréries, amitiés, fraternités, charités. On les appelait quelquefois aussi banquets (convivia), à cause du repas solennel où se réunissaient à époque fixe les membres de l'association.

Que ces sociétés commerciales aient existé au moins dès le XIe siècle ; qu'elles aient été, au XIIe, dans plusieurs villes, le ressort principal de la révolution communale ; qu'elles soient même devenues la commune elle-même par la simple extension du lien qui les constituait : c'est ce que prouvent avec évidence non seulement les travaux publiés à l'étranger sur les gildes allemandes, danoises, belges, anglaises ; mais aussi les études de nos propres historiens sur l'origine des républiques commerçantes de la Picardie, de la Flandre et de l'Artois. Le livre que M. Giry a consacré à l'histoire de la ville de Saint-Orner et de ses institutions jusqu'au XIVe siècle, est, à notre avis, le plus important de ces travaux français, le plus remarquable par l'exactitude et la profondeur de l'analyse. On y voit, très nettement démontrée, l'identité de la gilde marchande et de la commune. Le berceau de la commune, le lieu de réunion des bourgeois et des échevins, c'est la halle, appelée du nom caractéristique de gild-halla. L'acte qu'on peut considérer comme le pacte constitutif de la commune, au moins celui qui en reconnaît l'existence légale, la charte accordée en 1127 par le comte de Flandre, Guillaume Cliton, ne contient guère que des privilèges commerciaux. C'est une charte visiblement faite pour des marchands : il y est même dit en propres termes que les franchises concédées le sont exclusivement à ceux qui font partie de la gilde.

Si, pour Saint-Omer, la transformation directe de l'association marchande en association municipale ne fait pas doute, on peut, sans trop de témérité, supposer qu'il en fut de même pour d'autres villes de la même région. Bien que les chartes primitives de ces villes, celles du commencement du XIIe siècle, ne nous soient pas parvenues, il est légitime de conjecturer que la gilde de Cambrai, les charités d'Arras, de Douai, de Valenciennes, l'amitié de Lille, ont joué leur rôle clans la genèse des institutions communales. ll est possible aussi qu'à Rouen la communauté des marchands de l'eau, société mentionnée comme antérieure à l'association politique des habitants, ait exercé une influence décisive sur la formation du gouvernement municipal. Ce fait n'est d'ailleurs pas particulier à l'histoire des communes. Nos grandes villes simplement privilégiées, villes prévôtales ou bourgeoisies, ont dû souvent à la même cause l'extension de leurs franchises et la constitution de leur administration locale. Personne n'ignore que la municipalité parisienne est restée confondue pendant des siècles avec le corps des marchands de la Seine.

Deux faits confirment l'historien dans l'idée que les associations marchandes ont été plus d'une fois le point de départ de la fédération communale. Le premier, c'est qu'on voit, dès le début, l'aristocratie commerçante des villes, les familles de drapiers et de changeurs, diriger le régime communal à leur profit, et bénéficier exclusivement de ses avantages en accaparant les charges municipales. Ici pourrait s'appliquer l'adage : Is fecit cui prodest. Le second fait, c'est que les véritables communes de France se trouvent précisément sur le trajet du vaste courant commercial qui, dès la seconde moitié du XIe siècle, passait de l'Italie au Rhin, du Rhin A la Flandre ci à l'Angleterre. Sur les points où ce courant atteignit son maximum d'intensité, c'est-à-dire en Flandre, dans le Tournaisis, le Cambrésis et la Picardie, la révolution communale arriva également à son plus haut degré d'énergie et de persistance. Là surtout, les villes marchandes ayant conscience de leur puissance et de leur richesse trouvèrent le moyen d'acheter ou de conquérir par la force les libertés administratives et politiques sans lesquelles il leur eût été impossible de se développer.

Les associations industrielles ou corporations d'arts et métiers paraissent n'avoir joué qu'un rôle secondaire dans la formation des cités libres. Elles ne comprenaient guère en effet que la couche inférieure de la population urbaine, les artisans, le menu peuple. Or, dans la plupart des communes, il est certain que cette classe d'habitants fut privée pendant longtemps des honneurs et des profits de l'administration municipale. Les gens des métiers n'arrivèrent que tardivement à prendre leur part de la gestion des affaires communes. Ce n'est qu'à la fin du XIIIe siècle et surtout au XIVe, que la haute bourgeoisie se résigna à leur faire une place dans les conseils de la cité et à leur permettre de contrôler ses propres actes. Ce développement tardif de la démocratie communale, fait que nous étudierons avec toute l'attention qu'il mérite, induit à penser que la commune doit surtout son origine et son organisation primitive aux efforts de l'aristocratie marchande. Si les corporations d'artisans y avaient participé dans la même mesure, on ne les eût point, sans doute, reléguées dès le début et maintenues pendant près de deux siècles à l'arrière-plan.

Les confréries religieuses semblent avoir tenu, dans certaines villes, la place occupée ailleurs par les associations marchandes. Comme telles, elles ont exercé sur la genèse des institutions communales une incontestable influence. Il est évident, du reste, que la différence entre ces diverses espèces de sociétés n'est pas toujours facile à préciser. Une confrérie religieuse, dont les statuts ont trait uniquement à la célébration des offices el aux divers procédés par lesquels les membres se prêtaient mutuellement assistance, comprenait souvent toutes les personnes vouées à une même profession, à un même métier ; elle équivalait. par suite à la corporation. Au moyen tige il n'était guère d'institutions qui ne fussent placées sous le patronage de l'Église et ne revêtissent un caractère religieux. Les sociétés dont la fonction et le but étaient d'ordre purement économique et laïque n'en avaient pas moins pour patron un saint dont elles célébraient les fêtes : elles se trouvaient en relations directes et intimes avec le clergé. Marchands ou artisans associés constituaient généralement une confrérie, plus ou moins dépendante de l'abbaye ou de l'église locale.

A Mantes, la confrérie de l'Assomption de la Vierge, qui se réunissait dans l'église Notre-Dame, se confondait, avec le corps des marchands. La tradition recueillie par les anciens historiens mantois veut que la commune établie dans cette ville par Louis le Gros, en 1110, soit sortie précisément de celte confrérie, que le peuple appelait la confrérie aux marchands. Cette pieuse association, dont la fête solennelle se célébrait le jour de l'Assomption, remontait, dit-on, au commencement du XIe siècle. Bien avant l'érection de la commune, elle possédait une organisation régulière, était dirigée par un prévôt et des maîtres, qui s'occupaient non seulement de l'administration de l'église Notre-Daine, siège de la confrérie, niais encore des affaires intéressant tous les habitants. Quand Louis le Gros eut fondé la commune, la confrérie de l'Assomption subsista dans l'association générale : le maire et les pairs de la ville furent, choisis parmi les confrères. Tous les premiers mardis du mois, les magistrats municipaux assistaient, avec leurs officiers, au service religieux affecté à la confrérie. Les revenus de cette association étaient versés dans une caisse qu'on appelait la boite aux marchands et qui recevait en même, temps les amendes judiciaires provenant des contraventions commises par les habitants de la commune[2].

Il existait de même à Poitiers, ville organisée sur le modèle des communes normandes, une confrérie placée sous l’invocation de Saint-Hilaire. Elle comprenait, au temps de saint Louis, les cent pairs qui constituaient le corps de ville : elle avait donc un caractère municipal très marqué. Les statuts de cette association[3] ne contiennent, à vrai dire, aucun détail qui implique que la confrérie jouât ou eût joué un rôle politique. Les clauses sont exclusivement relatives aux obsèques des confrères, à la cotisation payée par les membres de cette société d'enterrement mutuel, aux appointements du sergent de la confrérie, à la fourniture des cierges nécessaires au service funèbre. Un article final, daté de la fin du XIIIe siècle, stipule la transformation de cette confrérie, désormais ouverte à tous les bourgeois et à toutes les bourgeoises de Poitiers. Mais à l'origine elle ne pouvait comprendre que le maire et le corps municipal de la cité. N'existait-elle pas antérieurement au XIIIe siècle et n'a-t-elle pas eu sa part d'influence dans les origines de la commune poitevine ?

On serait d'autant plus enclin à le supposer, malgré le silence des textes, qu'on voit clairement ailleurs comment la formation d'une confrérie religieuse a pu favoriser le mouvement communal. Le bourg de Châteauneuf, contigu à la cité archiépiscopale de Tours, et composé des sujets du chapitre de Saint-Martin, dont le chef officiel était le roi de France, avait essayé, à plusieurs reprises, dans le cours du XIIe et du XIIIe siècle, de se constituer en commune. Ces tentatives d'émancipation avaient constamment échoué. Les chanoines de Saint-Martin, toujours vigilants, réussirent à maintenir leurs bourgeois sous le joug. Au temps de Philippe le Bel, ceux-ci firent un dernier effort : ils fondèrent une société pieuse, la confrérie de Saint-Éloi : ce qui leur permit de se lier par serment, d'avoir des assemblées, de se donner des chefs, une administration, et même de s'armer pour défendre l'association contre les périls extérieurs. La société religieuse cachait un but politique : la confrérie conduisit directement à la commune[4]. Une insurrection ouverte éclata en 1305 et les conjurés proclamèrent une fois de plus le rétablissement de la liberté.

Ainsi la création d'une confrérie aboutissait encore à une manifestation communaliste, au commencement du XIVe siècle, c'est-à-dire à une époque où les institutions libres apparaissent presque partout ruinées et en défaveur. A plus forte raison est-il légitime de croire que, dans la période primitive, le même procédé a dû être souvent employé, et avec plus de succès, par des hommes aussi belliqueux et, aussi avides d'indépendance. Que les associations urbaines s'offrent à nous sous leur aspect économique ou par leur côté religieux, elles ont réussi alors certainement à fonder, sur bien des points, les libertés municipales dont la communauté entière était appelée à bénéficier.

Indépendamment des sociétés ou corporations particulières, il existait dans divers centres urbains un élément d'organisation générale sur la nature duquel il est nécessaire de s'expliquer. Il serait imprudent d'affirmer qu'avant l'institution communale les villes ne pouvaient pas former un tout, une collectivité jusqu'à un certain point agissante, une personne morale représentant des intérêts communs. Si mal connu que soit leur étai intérieur, dans la période du Xe et du XIe siècle, on entrevoit cependant que certaines villes, avant de devenir des communes, ont été, à n'en pas douter, des communautés. A différents égards, leurs habitants paraissent déjà réunis en corps. Il existe chez eux un groupement ; on y surprend une force populaire qui s'exerce collectivement. Cette communauté possède, des droits de propriété dans la banlieue et parfois même sur des territoires assez éloignés.

Les textes où l'on peut saisir les indices de ce groupement primitif des habitants des cités sont rares et en général peu significatifs. Il y a cependant des exceptions. A Noyon, en 932, l'historien Flodoard nous montre les citoyens prenant l'initiative d'une lutte à outrance contre le comte Alleaume, qui voulait leur imposer un évêque, et rentrant par la force en possession de leur ville[5]. En 1027, les mêmes citoyens s'unissent à leur évêque, pour chasser le châtelain royal qui les opprimait[6]. A Amiens, au milieu du Xe siècle, les habitants s'allient au comte de Flandre pour expulser un évêque intrus[7]. Au XIe siècle, fait encore plus notable, ils se confédèrent avec les habitants de Corbie[8].

A la même époque, dans la même ville, on trouve mentionnés, comme réclamant contre les vexations des officiers du comte d'Amiens ou comme validant par leur présence les donations et les contrats, des personnages appelés principaux de la ville (primores urbis), hommes d'autorité ayant parmi le peuple prépondérance de témoignage. Augustin Thierry a conclu de ce fait[9] que les Amiénois possédaient dès lors une sorte de conseil municipal. La conclusion parait exagérée. Une administration municipale suppose le lien politique institué entre les habitants. Or les textes ne révèlent rien de semblable. Ils impliquent seulement qu'il existait à Amiens des notables, des prud'hommes et que le témoignage de ces notables était recherché en justice.

De tous les renseignements, malheureusement insuffisants et isolés, qu'on peut recueillir sur la communauté primitive dans nos villes du nord, se dégage un fait général récemment mis en lumière par un érudit : c'est que le développement de cette communauté est dû en grande partie à l'invasion normande. Les ravages des Normands n'ont pas exercé seulement une influence capitale sur la constitution de la féodalité, en forçant les populations à se grouper autour des seigneurs ou propriétaires régionaux, et ceux-ci à construire partout des châteaux, centres de nouvelles circonscriptions politiques. Ils ont encore obligé les habitants des grandes villes à s'unir pour se défendre, à relever leurs murailles, à se protéger au moyen d'une enceinte continue.

Les villes, dit M. Lefranc[10], prirent une disposition plus régulière : il semble qu'à l'abri de ces nouvelles enceintes, leur individualité, jusque-là mal définie, se soit dégagée plus pleinement. Elles eurent, dès lors, une physionomie plus tranchée, plus nette. La nécessité où l'on se trouva de construire, en très peu de temps, de larges el solides murailles et de pourvoir à tous les besoins de la défense, donna aux habitants l'occasion de faire de prodigieux efforts, qui ne favorisèrent pas seulement le développement matériel de leur cité, mais contribuèrent aussi à relever leur énergie engourdie par une longue période d'inactivité. Il n'est rien de tel pour rapprocher les hommes que la communauté du danger. Nul doute que la résistance à laquelle tous avaient pris part ne leur ait communiqué cette force de cohésion qui leur manquait jusque-là. D'isolés qu'ils étaient, ils devinrent associés. L'union, en leur donnant conscience de leur force, put leur permettre d'oser certaines revendications qui leur étaient impossibles auparavant. Les seigneurs, comtes ou évêques, ont pu être amenés par là à leur concéder quelques droits ou tout au moins à tenir un compte plus sérieux de leurs doléances.

Veut-on préciser et savoir comment était organisée la communauté préexistante à la commune ? dans quelles relations elle se trouvait avec les corporations et confréries particulières ? par qui elle était représentée ? comment elle pouvait se concilier avec le servage des habitants ? à quelle époque remonte la constitution des biens possédés par l'ensemble des citoyens ? si c'étaient de véritables droits de propriété, ou seulement un droit collectif d'usage sur les bois et les pâturages' ? Ce sont là des problèmes ardus, dans l'examen desquels le caractère et le but de cet ouvrage nous interdisent de nous engager. Sur ce domaine, les suppositions les plus hardies sont permises, parce que tout est obscur, et d'une obscurité qui restera sans doute impénétrable. Il est possible que le régime de la communauté primitive n'ait point été sans influence sur l'organisation de la commune proprement dite : mais dire exactement sous quelle forme s'est exercée cette action el quelle part doit lui être attribuée dans la formation des institutions libres, voilà ce qu'il n'est pas permis d'essayer, au moins dans l'état actuel de la science.

Une question importante s'impose, dans le même ordre d'idées, à notre examen. Il faut savoir dans quelle mesure les associations de paix, sociétés d'origine exclusivement religieuse, ont influé sur l'établissement et la propagation du régime communal. Certains historiens ont commis, à cet égard, les erreurs les plus singulières, les confusions les plus étranges. D'autres, en critiquant les premiers, ne sont point restés dans la mesure et se sont refusés aux concessions les plus nécessaires. Il est indispensable de s'entendre sur ce point el de s'en tenir au juste milieu.

Le fait incontestable, que les recherches spéciales, de Kluckohn en Allemagne[11] et de Sémichon en France[12], sur les institutions appelées trêve de Dieu et paix de Dieu ont mis en pleine lumière, c'est qu'au XIe et au XIIe siècle, en l'absence d'un pouvoir laïque général, assez fort pour Entre respecté, comme le sera la monarchie, à dater de Philippe Auguste, l'Église s'est assigné la lourde tache do diminuer les maux résultant de l'anarchie féodale. Elle a voulu établir, au nom de tous, une police destinée à prévenir les violences des particuliers et une justice faite pour les punir. Tel a été le but des institutions de paix.

Dans les dernières années du Xe siècle, certains conciles font une première tentative pour imposer quelques jours de trêve à la brutalité des seigneurs. L'usage de cette trêve se propage dans beaucoup de diocèses au siècle suivant. A la fin de celte même période, l'institution se régularise et commence à prendre un caractère de permanence. Chaque diocèse devient le centre d'une vaste association de paix, qui englobe toutes les classes sociales, les nobles et les clercs, les habitants des villes et des campagnes. L'association est, placée sous la liante direction de l'évêque diocésain. Chacun des Membres de l'association se lie par un serment spécial ; il jure l'observation des conditions de paix réglées par les conciles et qui variaient parfois suivant les régions. Peu à peu s'introduit l'habitude de faire contracter ce serment aux enfants mêmes, dès l'âge de sept ans. Les membres de la paix sont appelés, dans certains textes, en raison du seraient prêté, les jurés de la paix, jurati pacis. L'association elle-même reçoit dans plusieurs diocèses — notamment dans le Berri, où cet usage durait encore au XIIIe siècle — le nom de communauté et même de commune, communitas pacis, commune pacis, le commun de la paix, et simplement aussi communitas, commune, communia. L'association de paix possède, dans chaque diocèse, sa force armée ; car tous les membres ont juré d'aider à poursuivre par les armes les violateurs de la paix. Ils sont donc enrégimentés, mais dans les cadres ecclésiastiques, puisqu'il s'agit ici essentiellement d'une institution d'Église. L'évêque conduit les bourgeois de sa cité, le curé est à la tète de la milice paroissiale. L'association possède aussi sa justice : auprès de l'évêque, et probablement sous sa présidence ou celle d'un archidiacre, est constitué un tribunal dont les membres sont appelés juges de paix, judices pacis.

Il s'en faut d'ailleurs que cette organisation nous soit connue dans le détail : les canons des conciles et quelques mots épars dans la correspondance des évêques et des papes nous permettent seulement de l'entrevoir. Mais il n'est pas douteux qu'elle existât dans beaucoup d'évêchés. Au commencement du XIIe siècle, les papes avaient même cherché à associer, pour ce même objet, un certain nombre de diocèses, de façon à étendre l'institution à tout le royaume capétien. L'Église a-t-elle atteint le but qu'elle s'était proposé ? Les associations diocésaines ont-elles régulièrement fonctionné ? Dans quelles limites ont-elles réussi à prévenir les guerres privées ? Autant de questions difficiles ou impossibles à résoudre. Ce qu'on peut affirmer, c'est qu'à certains moments de notre histoire elles ont joué un rôle politique.

Les milices de la paix ont été utilisées par la royauté, encore trop faible pour agir avec ses propres ressources, dans la lutte qu'elle entreprenait contre les grandes et les petites seigneuries. Orderic Vital montre, en 1094, Philippe Ier menant au siège de Bréval les paroissiens enrégimentés sous la bannière de leurs curés. A la mort de ce roi, en 1108, le même historien dit formellement : Une communauté populaire fut établie en France par les évêques, de telle sorte que les prêtres accompagnaient le roi aux combats et aux sièges avec les bannières el tous les paroissiens. On sait, du reste, par Suger, que les communes des paroisses du pays, communitates parrochictrum, prirent part à l’un des sièges du Puiset, et qu'un curé y entra le premier par la brèche. En 1119, après la défaite de Brémule, Louis VI convoque les évêques, et ceux-ci, ajoute Orderic Vital, menacèrent d'anathème les prêtres de leur diocèse, avec leurs paroissiens, s'ils ne se hâtaient de se réunir, vers le temps fixé, à l'ost du roi.

Les associations de paix instituées et réglées par l'Église étaient, destinées à disparaître du moment où le roi de France, développant à la fois son domaine et son autorité, pouvait substituer sa police et sa justice à celles que les évêques avaient créées dans leur diocèse. Mais les institutions survivent longtemps aux circonstances qui les ont fait naître et même à celles qui sembleraient devoir en amener promptement la suppression. D'une part, les associations de paix continuèrent à se former — au moins dans les pays sur lesquels ne pouvait s'étendre l'action de la justice royale —, même après l'avènement de Philippe Auguste. C'est ainsi que se constitua, en 1182, dans le Velai, la célèbre confrérie des Encapuchonnés, à laquelle s'affilièrent, dit le chroniqueur, beaucoup d'évêques et de grands, des nobles et des hommes de la classe inférieure. D'autre part, les ligues pour la paix subsistèrent dans certaines provinces de la France capétienne, jusqu'à la fin du mite siècle. Dans le Berri, le serment dit de la trêve et de la commune, treuga et communia, prêté par les nobles et même par le peuple de la province à l'archevêque de Bourges, continuait it être exigé sous le règne de saint Louis. En 1239, un haut seigneur, Archambaud de Bourbon, prêtait à l'archevêque Philippe Berruyer le serment suivant : Seigneur archevêque, vous demandez que je fasse serment à votre commune, et vous dites que vous avez des témoins qui étaient présents quand mon père l'a jurée : or je vous crois homme de bien, et je pense que vous dites la vérité, clone je vous jure votre commune, comme mon père vous l'a jurée[13].

Ce sont les détails de cette nature qui ont inspiré à certains érudits l'idée singulière d'identifier la commune avec l'association de paix. Pour M. Sémichon, qui s'est fait l'apôtre convaincu de cette doctrine dans un livre, d'ailleurs décousu, où les contresens et les erreurs ne manquent pas, la révolution communale n'est qu'une conséquence directe du mouvement beaucoup plus général qui a donné naissance aux institutions de paix. La commune municipale n'est qu'une réduction de la commune diocésaine : le serment qui constituait le lien communal n'est autre que k serment de la paix. Les jurés de la paix sont les jurés municipaux ; les milices de la paix, les milices communales. L'origine des communes n'est ni romaine ni germanique c'est une institution d'Église, au même titre que la trêve de Dieu.

L'erreur dans laquelle sont tombés les partisans de cette théorie repose sur le raisonnement faux qui consiste à inférer l'identité des institutions de l'identité des dénominations employées pour les désigner. Rien de plus dangereux qu'un pareil raisonnement s'il s'agit des institutions du moyen âge, car le vocabulaire employé par les chroniqueurs et les notaires est extrêmement limité, et le même mot latin correspond souvent à une foule d'acceptions différentes. Les expressions de jurés et de commune, dans les documents qui ont trait aux institutions de paix, n'ont rien à voir avec celles qui désignent l'association politique des bourgeois et le corps municipal dans les textes relatifs aux villes de la France du nord. Seize ans après la révolution sanglante qui accompagna en 1112 la chute de la première commune de Laon, quand les bourgeois se firent donner une seconde charte par le roi Louis le Gros, cette nouvelle constitution reçut le nom de paix, institutio pacis, et non pas le nom de commune, qui réveillait dans les esprits de trop lugubres souvenirs. Le mot paix devint, par là même, exactement synonyme de commune : et c'est dans ce sens qu'il fut appliqué ensuite à toutes les autres localités de la région laonnaise où s'établit l'organisation communale. Il est absolument étranger à l'idée de ces paix diocésaines que l'Église avait fait éclore partout au XIe siècle.

Non seulement il n'existe aucun texte d'où l'on puisse conclure positivement que l'association communale ait été le produit direct .de l'association de paix étendue à tout le diocèse : mais les différences entre les deux institutions sont telles, que l'impossibilité (le les confondre est évidente pour les esprits non prévenus. Ce qui caractérise surtout l'association de paix, c'est qu'elle n'est point une institution exclusivement populaire ; elle embrasse toutes les conditions sociales : la noblesse et le clergé y coudoient le peuple des villes et des campagnes. On peut même dire qu'elle est plutôt faite pour les nobles que pour les vilains. Quelle est, en effet, la catégorie de personnes que l'évêque est intéressé surtout à faire entrer dans cette ligue ? Précisément celles qui sont le plus souvent tentées, par situation, d'enfreindre la paix publique : les seigneurs. Le fait ressort avec évidence des documents relatifs au serment de trêve et commune prêté dans le diocèse de Bourges. Tous les efforts des archevêques tendent principalement à s'assurer le concours des nobles de la province : la classe populaire n'arrive que par surcroît dans l'association : elle n'en est pas l'élément essentiel.

D'autre part, l'association de paix ne procure aux bourgeois et aux paysans qui en font partie aucune amélioration dans leur condition, aucun allégement de charges, aucune franchise. Elle ne fait que les enrégimenter par paroisse et leur impose des obligations militaires qui ne sont pas toujours, semble-t-il, facilement acceptées. En elle-même elle est avantageuse au peuple, parce qu'elle oppose une barrière aux excès féodaux : mais le peuple n'est pas seul à en bénéficier : elle est tout aussi utile au clergé et surtout aux religieux des monastères, qu'elle garantit contre les persécutions et les violences des châtelains. La commune de l'évêque ne saurait donc être assimilée à la vraie commune, celle des bourgeois, issue souvent d'un mouvement révolutionnaire, et généralement établie aux dépens de l'autorité seigneuriale.

La théorie de M. Sémichon est-elle absolument inacceptable, et son livre tout à fait inutile ? L'auteur n'a pas atteint son but, qui était de démontrer l'identité de la commune et de l'association de paix : mais il a mis sous un meilleur jour la tentative intéressante faite par le clergé pour introduire dans la société féodale le principe d'ordre et de justice qui devait s'incarner plus tard en la personne du roi. Ce qui n'était pour lui qu'un moyen de démonstration et la partie secondaire de son œuvre est devenu, pour nous, l'essentiel.

Mais, d'ailleurs, il n'est pas de thèse tellement fausse qu'on ne puisse y découvrir une parcelle de vérité. Il existe, entre la commune et l'association de paix, ce trait d'union qu'elles ont été toutes deux instituées pour limiter les excès du pouvoir féodal. S'il est incontestable que l'association de paix n'a pas engendré la commune, elle a, du moins, donné naissance à des idées, à des habitudes, à des faits qui ont pu indirectement exercer leur influence sur la création des cités libres. Le serment solennel prêté par tous les paroissiens d'une même localité ; la constitution de milices paroissiales appelées à marcher contre les seigneurs récalcitrants ; l'existence d'une justice ecclésiastique spéciale, chargée de punir les méfaits des infracteurs de la paix, telles sont les institutions qui peuvent avoir inspiré aux habitants des centres urbains l'idée de conclure entre eux des associations analogues.

Seulement les vilains, en se confédérant, ont agi en leur propre nom et pour leur bénéfice particulier ; ils ont fait de celte association l'instrument de leur affranchissement et de leurs conquêtes politiques. De plus, la commune n'était pas simplement dirigée contre la féodalité laïque : nous montrerons qu'en fait elle menaçait particulièrement les seigneuries d'Église, le pouvoir des évêques, des chapitres et des abbés. C'est surtout avec le clergé que les communes ont engagé et soutenu une lutte meurtrière qui dura plusieurs siècles. L'Église, en instituant les associations de paix, a peut-être frayé la voie aux tentatives communalistes ; mais il faut convenir qu'elle l'a fait à son insu, malgré elle, et que, finalement, elle n'eut pas lieu de s'en féliciter.

 

 

 



[1] Voir les précieux détails que nous donne sur l'état de la ville de Centule (Saint-Riquier), au milieu du IXe siècle, la Chronique d'Hariulf. Cf. Aug. Thierry, Monuments inédits de l'histoire de tiers état, IV, 576.

[2] Durand et Grave, la Chronique de Mantes, 1883. Cf. Luchaire, Louis VI le Gros, p. 67.

[3] Giry, Établissements de Rouen, II, pièces justificatives, n° 38.

[4] Giry, Établissements de Rouen, I, 205.

[5] Lefranc, Histoire de la ville de Noyon jusqu'à la fin du XIIIe siècle (I883), p. 18.

[6] Lefranc, Histoire de la ville de Noyon jusqu'à la fin du XIIIe siècle, p. 22.

[7] Aug. Thierry, Mon. inédits du tiers état, I, 10.

[8] Aug. Thierry, Mon. inédits du tiers état, I, 12-13.

[9] Aug. Thierry, Mon. inédits du tiers état, I, 15.

[10] Lefranc, Histoire de la ville de Noyon jusqu'à la fin du XIIIe siècle, p. 12.

[11] Kluckohn, Gesthichte des Gottes-frieden, 1857.

[12] Sémichon, la Paix et la Trêve de Dieu, 2 vol. in-12, 1869. Voir, sur ce livre, Bibliothèque de l'École des Chartes, 1858, p. 296, Revue critique, 1870, n° du 30 avril ; Wauters, les Libertés communales, p. 21.

[13] Raynal, Histoire du Berry, IV, 319.