LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

SECONDE PARTIE. — LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

CONSIDÉRÉES SOUS LE RAPPORT DE LA CHRONOLOGIE ET DE L’HISTOIRE

 

ARTICLE XVI. — DU LIVRE DE L’HISTOIRE VÉRITABLE DES TEMPS FABULEUX.

 

 

Marche que suit l’Auteur dans le développement des plagiats, et ce qui fait la force de ses preuves. - Par qui et comment ce Livre fut attaqué. - Vains efforts des Philosophistes du temps pour l’étouffer à sa naissance.

 

Nous avons souvent cité, dans le cours de nos discussions, l’Histoire véritable des temps fabuleux, et le plus souvent, nous ne la citons que pour y renvoyer le lecteur. Les personnes qui pensent que l’Ouvrage a été aussi victorieusement que vivement combattu, dès l’instant de son apparition, et qu’il est depuis longtemps et définitivement jugé, seront sans doute surprises, peut-être scandalisées, de tant de confiance. Nous croyons donc leur devoir, avant de finir, quelques mots d’explication.

Les critiques, nous entendons ceux qui traitèrent la matière sérieusement, et qui étaient en état d’en parler, les critiques alors se réécrirent beaucoup contre ces interprétations de mots qui avaient un sens dans la phrase, et dont on faisait des noms de choses ou de personnes ; contre les sens détournés que l’on donnait aux expressions du Texte, ou les altérations qu’on leur faisait subir, pour tirer d’un récit vrai et simple, un récit tout différent et quelquefois absurde.

On n’a voulu voir en cela qu’un système à la manière des étymologistes, que de pures et vaines étymologies, décriées d’avance par l’abus que quelques Savants avaient fait de ce genre de preuves dans le cours de leurs recherches conjecturales, et l’on crut que l’immense travail de l’Auteur tombait en ruines, que ses plus frappants résultats, ne jetant que de fausses lueurs, s’en allaient en fumée, par la seule application d’une dénomination vague qui ne leur convenait point, et que démentait leur véritable caractère. Attaqué de toutes parts et de toutes les manières, Guérin du Rocher ne répondit à aucun de ses censeurs, et la raison qu’il en donnait prouve que son silence ne tenait pas uniquement à la modestie et à l’amour de la paix qui étaient dans son cœur, et ne tenait nullement à l’embarras de répondre : il voyait qu’on ne l’avait pas compris, que les difficultés qu’on élevait ne touchaient point à la question qu’on avait à débattre, et il en concluait que son Livre n’étant pas réellement attaqué, n’avait pas besoin d’être défendu. On doit regretter que Guérin du Rocher n’ait pas donné lui-même les explications qui auraient éclairé la Critique, et dissipé dès le premier moment les nuages qu’elle faisait naître, en la ramenant à l’objet qu’elle perdait de vue ; mais ses plaintes étaient fondées. Quand on n’avait su voir, ou qu’on affectait de n’avoir vu, dans le dévoilement des fables Égyptiennes, que des mots arbitrairement interprétés, et des rapports entre les choses, que l’imagination créait ; il était évident qu’on ne connaissait pas l’ouvrage ; qu’on n’avait, ni saisi l’esprit, ni suivi le fil de ses preuves. On ne considérait pas que l’Auteur n’avait pas eu le choix des textes qu’il entreprenait d’expliquer, et encore moins le choix des explications dont il montrait qu’ils étaient susceptibles ; que le Texte original qu’il supposait avoir fourni le travestissement, ainsi que le texte travesti lui-même, étaient l’un et l’autre également et rigoureusement donnés ; que dès lors, le rapport qui se trouvait entre eux ne pouvait plus être une rencontre de hasard, et n’existait que parce qu’il avait été volontairement établi ; que ce rapport entre le Texte original et le texte travesti, ne portait point uniquement sur des mots, mais portait essentiellement sur des traits marquants, sur des faits positifs, qui ne pouvaient naturellement se reproduire dans les deux Textes, que parce qu’ils avaient passé de l’un à l’autre ; que ces traits caractéristiques autorisaient à rechercher, si dans le reste du récit, dans la phrase qui le développait, ils n’offriraient pas aussi quelques rapports dans les expressions, dans la marche, les formes, les incidents quelconques du discours, qui confirmeraient le rapport fondamental, en établissant une correspondance plus suivie entre les deux Textes ; enfin, que ces rapports secondaires, qui, par eux-mêmes et multipliés, auraient une force propre, appuyés sur la base solide qu’on leur avait d’abord donnée, formaient avec elle un ensemble inébranlable.

Dans l’application de ces considérations générales, il ne fallait pas oublier que les rapports secondaires dont nous venons de parler, n’étaient présentés dans l’Ouvrage que comme des moyens accessoires, plus forts ou plus faibles, sortant plus immédiatement du Texte ou tirés de plus loin ; et qu’ainsi on ne les aurait pas tous détruits, parce qu’on en aurait trouvé quelques-uns moins évidents et moins à l’abri des difficultés : que les preuves essentielles du travestissement étaient dans les faits réels et positifs, dont la ressemblance constatait l’identité ; et qu’ainsi on aurait écarté tous ces accessoires ; que le travestissement n’en resterait pas moins démontré : que les faits eux-mêmes portaient la démonstration plus ou moins haut, suivant qu’ils étaient plus importants ou réunis en plus grand nombre. Un seul fait bien établi suffisait à la preuve ; une suite de faits clairement vérifiés, comme ils le sont dans le dévoilement de Sésostris, par exemple, dans ceux du conte de l’architecte de Rhampsinite, ou de l’histoire d’Amasis, met le travestissement dans un degré d’évidence qui ne permet pas même d’hésiter :

Combien donc ne devait-on pas être frappé de cette suite de travestissements, développés dans toute leur étendue, et discutés dans tous leurs détails avec le plus grand soin ? tous tirés des passages de l’Écriture où il est fait mention de l’Égypte, et que les Égyptiens en avaient dû extraire par cette raison ; tous se succédant dans le même ordre où ces passages s’étaient offerts à eux dans l’Écriture, et avaient dû par conséquent être recueillis par eux. De sorte que l’histoire Égyptienne les renferme tous et n’en renferme pas d’autres, et que n’ayant rien à dire d’elle-même dans les intervalles où l’Écriture ne lui fournissait rien, elle remplit, comme on l’a vu, ces lacunes, quelquefois très longues, par le simple rapprochement des faits qu’ils avaient trouvés d’abord et de ceux qu’ils retrouvaient ensuite. Voilà ce qu’il fallait voir et combattre, si l’on voulait réfuter, et non pas seulement attaquer, l’Histoire véritable des temps fabuleux on semble n’avoir rien vu, et certainement on n’a rien combattu, rien discuté de tout cela. Au défaut de l’Auteur, qui gardait le silence, un de ses amis se chargea de le prouver ; et il le fit habilement et avec vigueur. On lui reprocha de l’emportement et des personnalités ; bientôt les plaintes s’élevèrent, et, quoiqu’on les grossît à dessein, toutes n’étaient pas dénuées de fondement. Il semble avoir craint lui-même de s’y laisser entraîner :

Il promettait dans son Avertissement, et sans doute il s’était promis, de ne pas sortir des bornes de la modération ; il prévient qu’on pourra s’apercevoir, en plusieurs endroits, de la violence qu’il s’est faite ; et en effet, les traits qui peuvent offrir le caractère de personnalités sont rares dans son écrit. Quant à la véhémence du style, à la dureté des expressions, ne pouvait-on pas accorder quelque chose à la chaleur de la défense, au sentiment de la conviction, à l’impatience de voir toujours des jugements sévères et tranchants, prononcés sans qu’on eût jamais abordé les véritables questions ? Mais ce ne fut pas là ce qui attira l’orage : les torts réels qu’on exagérait, les simples torts de caractère dont on faisait des crimes ne furent qu’un prétexte et couvraient des motifs qu’on n’osait pas avouer.

L’Histoire véritable des temps fabuleux parut au moment où les prétendus Philosophes attaquaient avec le plus de fureur, et sur tous les points, nos Livres sacrés et ceux de Moïse particulièrement : un pareil ouvrage dut leur déplaire, et l’effet qu’il produisit à son apparition pouvait déconcerter leurs projets. Il avait alarmé des Savants, admirateurs trop exclusifs d’Hérodote, et trop intéressés au maintien de sa réputation, qu’ils voyaient fortement compromise : qu’allaient devenir tant de travaux et de veilles, consacrés à éclaircir à rajuster, à concilier avec les autres Auteurs, ceux de ses neuf Livres précisément qu’on venait renverser de fond en comble ? On n’ignore pas aujourd’hui qu’il se forma, vers ce temps-là, une association secrète d’hommes de lettres des deux partis, qui se proposaient de soutenir de tous leurs moyens, d’augmenter même, autant qu’il leur serait possible, l’autorité de l’Historien et de son Histoire, dans le but de l’opposer avec plus de succès au témoignage de l’Écriture, quand on aurait celle-ci à combattre : fallait-il abandonner cette louable et glorieuse entreprise, et renoncer à l’espoir de la voir un jour heureusement accomplie ?

En prenant la défense de Guérin du Rocher, l’abbé Chapelle s’était donc fait de nombreux et redoutables ennemis ; plus sa réponse était victorieuse, plus elle dut les irriter. La position cependant était embarrassante. D’un côté, garder le silence eût été avouer la défaite ; de l’autre, comment répliquer, si l’on ne pouvait se flatter de faire mieux que ces premiers agresseurs, sur lesquels on avait compté, et qui venaient d’être repoussés avec tant d’avantage ? Il y avait d’ailleurs du danger à laisser s’établir une controverse, qui, en se prolongeant y aurait attiré de plus en plus l’attention publique, qu’il importait au contraire de détourner. Ils le sentirent, et l’on sait à quels moyens ils eurent recours pour mettre fin à la dispute, et être en même temps déchargés du poids d’une réplique.

Le Livre de l’abbé Chapelle fut supprimé ; mais l’Histoire véritable, qu’il avait voulu venger subsistait, et n’en fut que plus recherchée et plus répandue. Ce grand ouvrage se suffisait à lui- même ; il répondait d’avance à toutes les objections qu’on pourrait élever ; son défenseur n’avait presque eu besoin que d’y ramener ses divers adversaires, pour écarter l’une après l’autre toutes leurs objections. On le comprit peut-être ; du moins est-il vrai que personne depuis n’entra dans la lice, et ne voulut risquer une nouvelle attaque.