Elles forment
évidemment deux séries distinctes : l’une de rois Memphites, qui commence
avec la monarchie et renferme les dix premières Dynasties ; l’autre de rois
Thébains, qui renferme les quatre suivantes, et même, par des Dynasties
collatérales aux trois Dynasties des Pasteurs et indiquées par Manéthon,
s’étendrait jusqu’à la XVIIIe. — Est-ce Manéthon qui y en les mettant bout à
bout, a voulu allonger sa Chronologie ? — Est-ce en les faisant marcher
parallèlement, qu’on a cru pouvoir en concilier la durée avec la Chronologie
des Septante ? — Menés est Noé. — Son règne dans nos trois Auteurs. — D’où
sont sortis les 330 rois d’Hérodote, et les 52 de Diodore de Sicile,
descendants ou successeurs de Menés ? — Dans Manéthon, la Dynastie, composée
des fils de Noé ; la IIe où parait Abraham, et les suivantes qui sont du même
genre, jusqu’à la XIIe, dont Sésostris est le troisième roi. — Ce conquérant
suit immédiatement Mœris dans Hérodote, ne vient que sept générations après
Mœris dans Diodore, et forme entre les trois Historiens une espèce de
synchronisme, auquel commence ce que les Grecs nous ont donné pour une
Histoire d’Égypte. — Le corps de cette prétendue Histoire, formé d’un
travestissement continu de celle des Hébreux avant et pendant leur séjour en
Égypte, et particulièrement de traits de Jacob, de Joseph et de Moïse. — C’est
avec ces matériaux que les Égyptiens remplissent l’espace de temps entre la
Sortie d’Égypte et le règne de Salomon et au-delà, pendant lequel l’Écriture
ne leur offrait aucun événement qu’ils pussent s’approprier.
Passons
aux dynasties antérieures à la XVIIIe. Ces temps reculés étant moins connus
encore, et les souvenirs qui pouvaient en rester étant plus confus, les
chroniqueurs Égyptiens se sont trouvés parfaitement à l’aise, et leurs
prétentions à une haute antiquité n’ont plus eu de bornes : il n’en sera que
plus facile de la réduire. Jusqu’à
l’époque des Amosis et des Thoutmosis, deux royaumes avaient subsisté en
Égypte, chacun ayant son territoire et ses rois : qu’ont fait les
chroniqueurs qui en ont dressé les listes, ou qui, les ayant reçues toutes
faites, se sont chargés de les mettre en ordre ? On sent d’abord qu’il n’a
pas été difficile de les allonger si on l’a voulu. Mais ce n’était pas assez
; le moyen était limité, et il ne fallait pas en abuser. Ils en ont donc
employé un autre plus commode et plus efficace. Au lieu de développer les
deux listes de rois ou de dynasties sur deux lignes parallèles, qui se
seraient réunies à un point commun, ils les ont placées tout simplement à la
suite l’une de l’autre, et par-là ils ont doublé les temps pour cette portion
de leur chronologie. Ce
n’est pas une simple conjecture ; la distinction est bien marquée dans
l’ordre actuel de ces dynasties. Les sept premières, en remontant, sont
toutes Diospolitaines et se lient à la XVIIIe. Les trois, que l’on attribue
aux Pasteurs, ne changent rien à la durée des temps : elles répondent à une
série égale de rois Thébains que Manéthon lui-même indique, et qu’il faut
bien supposer, si le règne de ces Pasteurs n’est qu’une chimère. Les dix
autres dynasties, les premières de toutes, qui se présentent sous les noms de
Thinites, de Memphites, d’Héracléotes, une seule exceptée, dite
d’Éléphantins, et évidemment hors de place, appartiennent à l’Égypte
inférieure. Les dix
premières dynasties forment, suivant le résumé de Jules Africain, une suite
de cent quatre-vingt-six rois, qui règnent 2307 ans : en les terminant à la
XVIIIe, 1822 ans A.C. suivant Manéthon et MM. Champollion, ces dix dynasties
porteraient le commencement de la monarchie Égyptienne à 4129 ans A.C; et par
conséquent à 1780 au-dessus du déluge, fixé à 2349 A.C. par la chronologie du
Texte Hébreu. Les sept dynasties Diospolitaines, de la XIe à la XVIIe, en
prenant le calcul d’Eusèbe pour la XIVe, qui manque dans Jules Africain, ne
donnent que 1779 ans avant la XVIIIe et 3601 ans A. C., ce qui cependant
remonterait encore à 1252 ans au-dessus du déluge. Nous avons parlé ailleurs
de la chronologie des Septante. Elle allonge les temps après le déluge de 700
ans, et même de 830, si on lui laisse le Caïnan, fils d’Arphaxad. En lui
donnant sa plus grande latitude, elle ne porterait le déluge qu’à l’an 3356
avant notre ère, et par conséquent 773 ans encore au-dessus du premier roi
des dynasties Memphites, et 445 ans au-dessus du premier roi Thébain. Mais,
de plus, quelle que soit celle des deux supputations qu’on adopte, fera-t-on
partir le calcul des dynasties, de l’année même du déluge ? Ne faudra-t-il
pas toujours défalquer, des années qui le suivirent, non-seulement le temps
nécessaire à la multiplication et dissémination des races, mais tout le temps
où se maintint dans les générations successives, le caractère de longévité
qui appartient à ce premier âge du monde nouveau ? La circonstance est trop
expressément marquée dans l’Écriture, pour se croire dispensé de la prendre
en considération. Elle seule retarderait d’une manière notable l’époque à
donner aux anciennes monarchies dont les annales n’en font aucune mention,
n’en offrent même pas des vestiges dans ce qu’elles peuvent avoir
d’historique. Telles sont en particulier les annales des Égyptiens, qui n’ont
connu ni le déluge ni l’état du genre humain, soit avant, soit après la
catastrophe, et qui mettaient toute la durée des temps anciens qu’ils
imaginaient, et les dieux qui s’y étaient succédés, en dehors et au-dessus de
leurs premières dynasties, par lesquelles commençait pour eux le règne des
hommes. Ménas, placé à la tête de leurs rois, ne règne que 60 ans, Âthotis,
son fils, 27, et ainsi des autres. Ce ne sont là, ni Noé et ses fils, ni les
enfants de ses fils : les générations patriarcales s’étaient écoulées ; la
vie des hommes était dès lors réduite à ce qu’elle est aujourd’hui. Il est
donc certain que, dans la chronologie même des Septante, l’époque du déluge
serait de plusieurs siècles au-dessous, non-seulement de la première dynastie
Memphite, mais encore de la première des dynasties Thébaines. C’est
donc en vain qu’on aurait cru pouvoir, au moyen du dédoublement des seize
premières dynasties Memphites et Thébaines, concilier la chronologie de
Manéthon, (nous ne disons pas avec celle du Texte Hébreu, on n’a pas pu y
songer,) mais avec celle des Septante. Avait-on quelque autre plan en vue,
quand on se promettait de réduire à sa juste valeur l’effrayante étendue des
dynasties ? Les calculs précédents sont fondés sur la date que Manéthon donne
à la XVIIIe dynastie, parce cette date est aussi celle que lui donnent MM.
Champollion. Nous devons observer que les difficultés seraient moindres à la
vérité, mais ne seraient pas moins insurmontables, lors même qu’on ferait
descendre la XVIIIe dynastie à l’époque de la Sortie d’Égypte, 1491 A.C.,
comme nous croyons avoir assez bien prouvé que la combinaison des faits
l’indique et l’exige. En y rapportant les deux séries, celle des dynasties
Memphites s’élèverait encore au-dessus du déluge, de 442 ans dans la
chronologie des Septante, et celle des dynasties Thébaines ne ferait
au-dessous que de 86 ans. On voit que dans la chronologie de l’Hébreu, l’une
et l’autre excéderaient de beaucoup le terme qu’elles ne peuvent franchir,
qu’elles ne doivent même pas atteindre. Mais,
en abandonnant à elle-même cette première moitié de la chronologie
Égyptienne, nous devons donner à ses dynasties une attention particulière :
il importe de connaître ce qu’elles renferment d’historique, et de quels
éléments elles ont été formées. On a pu
remarquer, dans notre tableau général des dynasties, combien celles-ci,
quoique très nombreuses, sont vides de faits ; et de quelle nature encore
sont la plupart de ces faits, signalés de loin en loin dans une longue
nomenclature d’hommes qu’on suppose avoir régné. Manéthon prétend les avoir
tirés des archives des temples, des mémoires originaux de la nation. Nous
avons fait justice ailleurs de cette vaniteuse prétention, commune à tous les
prêtres Égyptiens, et que réfute surtout victorieusement le fait des plagiats
dont ils restent convaincus. Nous remarquerons seulement ici, qu’elle serait
moins soutenable que jamais pour les temps anciens dont il est question :
car, plus les temps sont reculés, plus s’accroît l’invraisemblance qu’on en
ait eu dès l’origine des histoires écrites, qui auraient échappé à toutes les
vicissitudes des âges. Mais
nous savons comment s’est formée, et d’où a pris naissance l’Histoire entière
de l’Égypte ; et nous savons par-là même où doit se trouver celle de ses
premiers siècles. Cherchez dans les Livres Hébreux, et d’abord dans les plus
anciens, ce qu’ils ont eu occasion de dire de l’Égypte ; cherchez ensuite ce
que les Égyptiens disent de leurs dynasties, en commençant de même par les
plus anciennes : comparez vos deux extraits dans l’ordre où les évènements se
présentent, et vous verrez quel en sera le résultat. Les Égyptiens ne sont
pas le seul peuple qui ait eu recours à ce moyen de se donner des annales,
quand on n’en a plus, et même quand on n’en eut jamais : mais ils en ont fait
un plus ample usage, parce qu’ils ont écrit plus tard, parce qu’ils ont trouvé
plus de matériaux dans les livres de leurs voisins, et qu’ils ont formé à la
fois, et pour ainsi dire, du même jet, la totalité de leur Histoire, et cette
longue suite de dynasties de leur invention, dans lesquelles il leur a plu de
la distribuer. Les
commencements de l’Histoire de l’Égypte sont présentés, dans Manéthon, d’une
toute autre manière que dans les Auteurs Grecs qui l’ont précédé ou suivi.
Mais tous s’accordent à faire de Menés ou Ménas le premier de ses rois :
celui que les Égyptiens trouvaient dans l’Écriture à la tête du genre humain,
devait être le père de leur nation, le fondateur de leur empire. En
effet, le roi Menés n’est rien moins que Noé lui-même ; son nom Noach, Noah,
Noeh, qui signifie repos, comme son dérivé Menoah, en est une première
preuve. Tous les traits qui le distinguent dans Manéthon, Hérodote et Diodore
de Sicile, s’expliquent par ceux de l’Écriture et en sont évidemment tirés.
Dans Hérodote, il est impossible de ne pas reconnaître son arche, (en Hébreu
Thébé,) et le déluge, à l'état de l’Égypte toute couverte d’eau au temps de
Menés, excepté le nome de Thèbes ; à ce vaisseau de trois cents coudées de
long, construit à Thèbes, et consacré dans le temple ; aux animaux qui, dans
l’origine, s’étaient formés naturellement de terre et de boue, et qu’on
voyait encore sortir de terre à Thèbes ; à la prétention des Thébains, qui se
donnaient pour les plus anciens de tous les hommes ; aux deux colombes qui
s’envolent de Thèbes, et vont établir des oracles en d’autres contrées. Dans
Diodore de Sicile, Ménas apprend aux hommes à honorer les dieux, et à leur
offrir des sacrifices : Noé, en effet, offrit à Dieu le premier sacrifice
après le déluge. Ménas introduit parmi les hommes, qui jusqu’alors n’avaient
vécu que d’herbes et de fruits, produits spontanés de la terre, et d’une
manière très simple, le luxe, les festins, la bonne chère : Noé reçut de Dieu
la permission de manger la chair des animaux ; il cultiva la terre, planta la
vigne, et connut le premier par son expérience les effets du vin. Comme ces
faits sont rapportés dans la Genèse après la sortie de l’Arche, (de la
Thébé,) les Thébains les prenaient pour eux, et s’attribuaient, ou au
fondateur de leur ville, le dieu ou roi Osiris, la culture de la vigne et
l’art de faire le vin. Manéthon
n’a saisi qu’une circonstance de la vie de Noé, mais qui était remarquable.
L’ivresse qui surprend le patriarche, et la conduite outrageuse de Cham, son
fils, sont indubitablement ce qu’il représente sous l’image d’un hippopotame,
emblème de l’impudence chez les Égyptiens, qui souille, tue ou dévore Menés. Manéthon
donne à Menés un fils qui lui succède, et forme, avec six rois ses
descendants, la première dynastie composée de huit rois seulement : les onze
dynasties suivantes conduisent jusqu’à Sésostris. Hérodote est bien loin de
se renfermer dans ces bornes déjà si étendues Il compte, après Menés, trois
cent trente rois jusqu’à Mœris, qui est le dernier, et précède Sésostris. Il
est vrai que ce prodigieux intervalle de 9900 ans, suivant l’évaluation
commune des générations, et plus même suivant Hérodote qui n’en met que trois
dans 100 ans, ne lui coûte pas beaucoup à remplir : tout ce qu’il sait de
tant de rois, c’est qu’aucun d’eux n’avait rien fait qui fût digne d’être
remarqué. Diodore
de Sicile prodigue moins les rois et les années : il ne compte que
cinquante-deux rois, qu’il ne nomme pas, de Menas à Busiris, dont il parle
fort au long. Ces rois sembleraient répondre aux inconnus d’Hérodote, s’il
n’en comptait, entre Busiris et Myris, seize autres dont deux sont au moins
connus par leurs noms : un second Busiris, huitième descendant du premier, et
Uchoréus, huitième descendant du second. Ce n’est pas qu’il fût difficile de
concilier les deux Historiens : car, (d’après l’usage attesté par Bochard,
des anciens Arabes, et sans doute aussi des Égyptiens du même temps, de
prendre alternativement l’une pour l’autre les lettres B et M,) Busiris
pouvait être changé en Musiris ou Mysiris, qui différerait peu de Myris ; et,
le Busiris de Diodore de Sicile pourrait être le Mœris d’Hérodote. Mais ce
n’est pas d’une contradiction de plus, entre des Auteurs qui ne sont presque
jamais d’accord, que nous devons nous occuper. La
longue suite de rois qu’Hérodote donne pour successeurs à Menés, est une
extravagance qui ne mérite pas d’être combattue ; et il double l’absurdité de
son récit, en y ajoutant une autre succession de pontifes, parallèle à celle
des rois, égale pour le nombre et la durée, et plus merveilleuse encore par
la circonstance, sur laquelle il insiste, que tous ces pontifes avaient
succédé régulièrement l’un à l’autre de père en fils. Cependant, tout n’est
pas de pure imagination, et les premiers conteurs ont bâti sur un fondement.
Nous en disons autant des cinquante-deux rois de Diodore : ce nombre rompu
n’est point arbitraire. On voit où il faut le chercher, ainsi que celui des
rois d’Hérodote ; et l’Historien des temps fabuleux a su les y trouver. Il est
clair d’abord que 330 n’est que le résultat d’une combinaison de 3,
successivement multiplié par 10. Ce dernier nombre se présentait de lui-même
pour une opération de cette espèce : il est donné en quelque sorte par la
nature, qui apprend à l’homme à se servir des dix doigts de sa main pour
compter ; et de toute antiquité, il a été parmi les peuples le régulateur le
plus général de la numération. Mais où nos Égyptiens ont-ils pris le nombre 3
? Dans le même endroit de la Genèse où ils avaient trouvé Menés. C’était le
nombre de ses fils, et ils ont voulu en faire celui de tous ses descendants.
En l’élevant progressivement par 10, ils ont eu 3 multiplié par 10, faisant
30 ; ces trois dizaines, multipliées encore par 10, faisant 330, et pour
somme totale 300. L’opération est évidente ici, et elle ne doit pas étonner ;
des exemples de semblables combinaisons arithmétiques se retrouvent dans les
mythologies, ou les fabuleuses chronologies d’autres peuples. Le
chiffre de Diodore n’est pas de même formation ; les premiers conteurs ont pu
le lire dans le Texte qu’ils traduisaient. Il résulte d’une inversion dans
l’ordre où sont placés les noms des trois fils de Noé, et peut-être encore de
la transposition d’un Iod ou i. Des Égyptiens devaient placer en
premier Cham, leur père ; ils lisaient donc Cᴴ. M. — U.I.Pᴴ.Tᴴ., Cham, Sem, et Japhet.
Réunissant ensuite les deux premiers noms en un seul mot, ils ont lu Cᴴ.M.Sᴴ.M. ou Cᴴ.M.Sᴴ.I.M.— U.Pᴴ.Tᴴ., Quinquaginta, et fragmentum, cinquante, et un fragment, une
fraction ; c’est-à-dire, un peu plus de cinquante ; ce qui était assurément
bien rendu par cinquante-deux. Nous pourrions ajouter que des adorateurs du
dieu Pᴴ. Tᴴ.A., dans l’histoire duquel le nombre 2 joue un rôle, n’auraient
pas su le rendre mieux ; mais une explication de cette fable de Phtha entraînerait
des longueurs, qui seraient déplacées ici. Reste
cette suite de pontifes qu’Hérodote introduit dans son histoire de Ménas.
D’où ses interprètes l’ont-ils prise ? du même endroit sans doute, où ils
trouvaient celle des rois ; et nous croyons y découvrir ce qui leur en a fait
naître l’idée. Ils voyaient un sacrifice offert aux dieux sous le règne de
Ménas : il y avait donc, dès ce temps-là, un Sacrificateur, un Grand-Prêtre.
Ce premier Grand-Prêtre dut avoir des successeurs qui remplirent, après lui
le même ministère, et subsistèrent nécessairement autant que la nation et son
culte. Que ceux-ci aient été ses propres descendants, qu’ils se soient
succédé de la même manière, en même nombre et aussi longtemps que les rois,
tout cela s’imaginait aisément quand on avait un exemple devant les yeux. Les
Égyptiens particulièrement, accoutumes à mettre leurs pontifes sur la même
ligne et au niveau de leurs princes, quelquefois au-dessus d’eux, durent
trouver cette égalité toute simple ; le merveilleux de la chose était une
raison de plus pour la supposer et la croire. Il est donc prouvé que le
premier des rois d’Égypte est le premier des patriarches après le déluge, et
que les fables dont se compose la vie de Menés, ne sont que d’informes
copies, prises sur le Texte même de la Genèse, des traits principaux de la
vie de Noé. Ce
point est capital dans la discussion présente : il nous place à l’origine des
traditions Égyptiennes ; et en montrant où ont d’abord puisé ceux qui les ont
recueillies, il annonce, ou plutôt il suffirait seul pour décider ce que sera
toute la suite de leur histoire. Confirmons
ce premier aperçu, en continuant l’examen succinct des plus anciennes
dynasties, dans lesquelles nous n’avons que Manéthon pour guide. La
première dynastie comprend avec Noé, sept de ses descendants. A l’exception
d’un seul, nous n’avons que leurs noms ; nous n’avons donc qu’à chercher d’où
ces noms sont tirés et nous les trouverons dans ceux, soit de personnages
réels, soit de choses personnifiées dont il est parlé dans le même endroit de
la Genèse où il s’agit de Noé et de ses trois fils. Ainsi Aoth, au pluriel
Aothoth, Athoth, le signe de l’alliance que Dieu fait avec Noé, est devenu
Athotis son premier successeur. Athotis fut anatomiste : c’était une
interprétation du mot alliance, en Hébreu, B.R.I.Tᴴ., qui vient y disent les
Hébraïsants, de B.R.A ou B.R.H., couper, parce qu’en faisant les alliances,
on immolait et coupait des victimes. L’expression a passé dans la Langue
Grecque et dans la Latine[1]. La ressemblance n’est pas
aussi frappante pour les noms des rois suivants. Néanmoins Chenchenès,
troisième roi, se reconnaît aisément dans Chanaan, ou Cham-Chanaan ; et
Semempsis, le septième, dans les trois noms Sem — Chem (ou Hem) — Jpht.,
réunis au verset 18 du Chapitre IXe de la Genèse. On sait que le Cheth Hébreu n’est souvent qu’un ê légèrement aspiré, et le Thau qu’un s ou z. Mais le nom du huitième et dernier roi donne la clef de tous
les autres, et les renferme pour ainsi dire tout. Bienachis serait, en Hébreu
et presque en toutes lettres, Beni-Noach, les fils de Noé ; cette appellation
générale se lit au même verset 18, avec les trois noms individuels qui ont
produit celui de Semempsis, dont Bienachis par conséquent ne devait pas être
séparé. Le chef
de la seconde dynastie est Boéthus, ou Béonothus. On peut trouver de la
difficulté à reconnaître ce nom dans celui de Mezraim ou Metzer, lors même
qu’on supposerait le changement de M.
en B., et qu’au lieu de Metzer les
Égyptiens auraient lu Betzer : cependant, il y en aurait moins, il n’y en
aurait même plus aucune, s’il est vrai, comme le P. Sicard d’après
l’inspection des lieux, et d’Anville d’après ses rapprochements
géographiques, l’ont pensé, que le lac Mœris des Grecs, le lac Metzer, soit
le même que les Égyptiens ont appelé et appellent encore aujourd’hui Bathen.
Au vrai, est-il croyable que Manéthon eût oublié dans sa Liste celui qui
avait laissé son nom à l’Égypte, surtout ayant ce nom sous les yeux au
Chapitre suivant ? Mais, quoi qu’il en soit de l’origine du nom, il est
certain que Boéthus occupe dans la chronologie de Manéthon, la place que
Mezraïm occupe dans le récit de la Genèse, parmi les enfants de Noé : cela
nous suffit, et nous n'avons plus qu’à vérifier si l'on peut rapporter à l’époque
de Mezraïm, les circonstances que les Égyptiens rapportaient au règne de
Boéthus. Il y
eut alors un prodige auprès de la ville de Bubaste, et il y périt beaucoup de
monde ; suivant une autre version, la terre s’ouvrit, il y eut une grande
ouverture de terre. Le prodige pourrait être également la confusion des
langues et la dispersion des peuples. Le terme Hébreu Pᴴ. U.Tˢ., qui signifie ici, disperser,
se confond aisément avec Pᴴ.Tˢ.H., qui signifie, ouvrir; de là, la seconde
version, et au lieu d’une dispersion des peuples sur la terre, on aurait vu
la terre s’entrouvrir et former un gouffre. L’Écriture parle en cet endroit
de la ville de Babel : on conçoit qu’elle soit devenue pour les Égyptiens
celle de Bubaste ; ils supposaient que les évènements avaient eu lieu en
Égypte, puisqu’ils les consignaient dans leur histoire. Bubaste est appelée
dans Ézéchiel, Phi-Beseth, qui signifierait littéralement, la bouche de
Beseth : cette dénomination était assez propre à confirmer ridée d'une
ouverture de la terre à Bubaste. Enfin y les hommes qui périrent en cette occasion,
ne rappellent-ils pas la fable des Anciens que rapportait Abydène, et la
multitude d’hommes qui furent écrasés par la chute de la tour de Babel ? Les
Égyptiens devaient en avoir appris, quelque chose. Le
successeur de Boéthus est appelé Cæachus, ou Choüs dans Eusèbe ; on y
reconnaît Chus, frère de Mezraïm, et nommé avec lui au verset 6 du Chapitre
Xe. Les Égyptiens durent remarquer ce nom du père des Éthiopiens, et comme à
l’époque où ils composèrent leur histoire, des rois d’Éthiopie avaient régné
en Égypte, ils ne trouvèrent aucune difficulté à le compter pour un de leurs
plus anciens rois. Le
premier âge après le déluge, les hommes qui remplirent alors la terre,
appartenaient de droit aux historiens de l’Égypte ; ils s’en sont emparés.
Après Noé et sa famille, un long intervalle de temps s’écoule sans que
l’Historien de la Genèse ait occasion de parler de l’Égypte, et par
conséquent, sans rien offrir aux Égyptiens qu’ils pussent prendre pour eux
jusqu’au temps d’Abraham. Aussi les voyons-nous, après Boéthus et Choüs,
passer immédiatement à Abraham, qui eut des rapports avec leur pays, et dont
ils ont fait le troisième roi de leur seconde dynastie. On ne peut s’y
méprendre : Binothris est, en Hébreu, Ben-thré, le fils de Tharé ; ils ne
l’auraient pas mieux désigné, en l’appelant de son nom propre. Ce
qu’ils rapportent de Binothris n’est pas moins décisif. Sous son règne,
disent-ils, il fut statué que les femmes régneraient. Cette loi était, à la
vérité, fort extraordinaire pour l’époque et le pays, et, par le fait, elle
ne fut jamais observée ; mais ils la trouvaient écrite en termes exprès dans
leurs mémoires. C’est l’ordre que Dieu donne à Abraham de ne plus appeler son
épouse du nom de Saraï, mais de l’appeler Sara. Sar ou Shar signifie prince,
seigneur, et Sara ou Shara, princesse ; l’un et l’autre se disent d’un roi et
d’une reine. On a donc compris que la femme de Binothris avait reçu le titre
de reine qu’elle était devenue reine ; et comme on voyait un ordre formel
donné à cet égard, on a dû comprendre qu’une loi générale avait établi que
désormais les femmes régneraient. Nous ne
pousserons pas l’énumération plus loin. Nous voulions montrer par des
exemples ce que sont ces anciennes dynasties, dont l’autorité ne nous est
garantie que par celle de Manéthon. Les deux premières suffisent, et nous
répondent de toutes les autres. Les plus proches ne sont encore formées que
de l’histoire d’Abraham et de sa famille, qui nous mènent jusqu’à la XIIe
dynastie et à Sésostris, l’ancien, le véritable Sésostris, dont nous avons
retrouvé le type dans le patriarche Jacob. Il y a
cependant une exception que nous devons remarquer. Manéthon place la reine
Nitocris dans la VIe dynastie, et ne parle que de sa couleur rouge ou tirant
sur le rouge. Les Grecs ont aussi une Nitocris, mais placée à une grande
distance : ils nous en donnent une assez longue histoire, dont les détails
offrent une allusion perpétuelle au Passage de la Mer Rouge. On voit par-là,
que la Nitocris des Grecs était la même que celle de Manéthon, et l’on
apprend d’où venait à celle-ci cette couleur particulière, qui n’empêchait
pas qu’elle ne fût la plus belle femme de son temps. Lors même que la
correspondance entre nos deux Histoires parallèles ne se soutient pas, c’est
toujours l’Histoire Sainte qui fournit les matériaux de l’Histoire
Égyptienne. La
dynastie suivante, la VIIe, aurait été de même mieux placée après Sésostris :
c’est celle qui compte soixante-dix rois en soixante-dix jours ; et où l’on
ne peut voir que les soixante-dix personnes qui composaient la famille de
Jacob après son entrée en Égypte, et quand il fut présenté au Pharaon. Il
fallait que les interprètes égyptiens l’eussent lu de leurs yeux, pour
l’insérer dans leurs extraits. L’Histoire
de l’Égypte, chez les Grecs, ce qu'on peut appeler proprement Histoire, commence
au règne de Sésostris. Hérodote ne met avant lui que le roi Mœris : les
siècles qui précèdent restent perdus dans la nuit des temps. Diodore de
Sicile compte sept rois, de Myris à Sésostris ; et sept autres encore, de
Busiris à Myris ; mais de ces quatorze rois, il ne nous donne que les noms de
trois, et des cinquante-deux qui les ont précédés il ne nous apprend pas même
les noms ; tout cela est encore perdu pour l’Histoire. Mœris seul dans
Hérodote, et le seul Myris dans Diodore, sont caractérisés par une
circonstance qui peut les faire reconnaître ; et comme cette circonstance est
commune aux deux rois, elle prouve d’abord, ce que la ressemblance des noms
indiquait assez, qu’ils forment un seul et même personnage, et que le Mœris
de l’un est le Myris de l’autre. Elle prouve de plus que Mœris ou Myris est
le Mezraïm de l’Histoire Sainte, le père en effet des Égyptiens. Le lac
prodigieux que ceux-ci attribuaient à Mœris et qui portait son nom, mais qui,
tel qu’ils le dépeignaient, n’a jamais existé, ou n’a jamais pu être un
ouvrage des hommes, doit son origine et son nom au nom de Mezraïm. Ce mot est
un pluriel Hébreu, comme le sont dans l’Écriture les noms des chefs de
peuples : en le décomposant, on en a fait Mezrim, ou Mestrim, qui
signifiaient les eaux, la mer, le lac de Mestr, et l’on y a trouvé à la fois
le nom de Mœris et le lac qu’il avait creusé. Mœris et le lac devaient
appartenir aux premiers temps connus de la monarchie, puisque les mémoires en
faisaient mention immédiatement après Noé et ses trois enfants, auxquels par
conséquent Mœris avait dû succéder. Il
résulte de là, pour le remarquer en passant, d’abord que le Mœris des Grecs
n’a rien de commun avec le Misaphis ou Miphris, sixième roi de la XVIIIe
dynastie, ou Misphragmuthosis, qui en est le septième, auxquels on veut le
rapporter aujourd’hui, moins sur une faible ressemblance de nom, que dans le
vain espoir d’établir une sorte de concordance entre la chronologie bien
suivie de Manéthon et les chronologies imparfaites des Grecs, trop souvent
coupées par des lacunes et toujours disparates : ensuite, que le Sésostris de
la XIIe dynastie, celui d’Hérodote, et le Sésoosis de Diodore, était, dans
l’origine, très différent du Séthosis ou Ramessès de la XIXe, auquel les
Thébains transportaient son nom et ses exploits, que nos Modernes, pour
l’intérêt de leur système, s’efforcent de lui assurer : enfin, et ce point
est plus important, que les trois Historiens de l’Égypte, quelque nombre
d’années et de rois qu’ils comptassent de Menés à Mœris, et de Mœris à
Sésostris, ou de Menés à Sésostris directement, se réunissaient quand ils
venaient au héros Égyptien, qui était le même pour tous. Son règne forme donc
un véritable synchronisme dans cette chronologie fantastique ; nous pouvons
abandonnera l’incertitude qu’ils y mettent eux-mêmes, les siècles antérieurs,
et partir de l’époque commune à tous, de l’époque de leur Sésostris, pour
nous occuper des siècles suivants, qui, dans le vrai, comprennent à peu près
tout ce que les Grecs nous ont conservé, tout ce qui nous reste des anciennes
annales de l’Égypte. Si les
campagnes de Sésostris ne sont, comme nous l’avons dit, que le voyage de
Jacob dans la Mésopotamie, l’histoire des Pharaons qui vinrent après lui doit
se trouver dans le reste de la vie du Patriarche, dans celle de ses fils et
spécialement de Joseph, dans l’histoire entière des Hébreux au temps de leur
servitude, du retour de Moïse parmi eux, des prodiges qu’il opéra pour leur
délivrance, jusqu’à leur passage d’Égypte en Arabie au travers de la Mer
Rouge. Tout s’exécute au sein même de l’Égypte, les Pharaons prennent part
aux événements se montrent et n’agissent en personne ; il était évident pour
les Égyptiens, qu’ils avaient en main la propre Histoire de leur pays.
D’ailleurs, le champ était vaste ; car, si l’espace est resserré pour le
temps, les faits sont nombreux et variés, et ils pouvaient y trouver de quoi
remplir bien des siècles. Il était donc naturel qu’ils s’emparassent de cette
partie de l’Histoire des Hébreux, comme d’un bien qui leur appartenait. Et,
en effet, ils l’ont saisie avec empressement, et en ont largement profité.
C’est de là que sont sortis tous les rois dont nous parlent Hérodote et
Diodore de Sicile, tous les faits qu’ils leur attribuent, et d’autres rois
encore, ou d’autres noms avec d’autres faits, épars dans les divers Auteurs,
depuis Rhampsinite, fils de Sésostris, jusqu'à l’éthiopien Sabacos et les
Pharaons qui lui succédèrent, pour lesquels ils ont trouvé des renseignements
dans la suite de l’Histoire sacrée. Il
serait hors de propos de vouloir donner ici, même une simple idée de cette
longue chaîne de travestissements qui forment la grande partie de l’Histoire
Égyptienne des Grecs. Il faut les voir avec leurs développements et leurs
preuves, les considérer dans leur ensemble, leur liaison entre eux et leur
rapport constant avec le Texte sacré, pour se convaincre qu’ils n’en sont
réellement que des copies, presque aussi fidèles pour le fond que défigurées
pour la forme. Mais nous devons remarquer l’exemple en grand qu’ils nous
offrent, de cette marche des plagiaires, qui les trahit si évidemment, et que
nous avons déjà signalée. Échappé de l’Égypte et établi dans sa nouvelle possession, le Peuple Hébreu n’eut plus de communication avec le pays où il avait été esclave ; et cet état dura autant que le gouvernement des Juges et au-delà ; environ 500 ans. Pendant tout ce temps, les Historiens sacrés n’eurent donc rien à dire de l’Égypte ; ce n’est que sous les règnes de David et de Salomon qu’ils recommencent à en faire mention. C’était un grand vide dans l’Histoire Égyptienne ; et il n’y avait d’autre moyen de le remplir, que d’en rapprocher les deux extrêmes, en étendant les faits antérieurs à la Sortie d’Égypte, ou à l’entrée des Hébreux dans la Terre de Chanaan (car les Égyptiens ont connu quelques circonstances de leur séjour dans le Désert), jusqu’aux faits qu’allait offrir le règne des rois d’Israël. De là, le Pharaon Bocchoris et son agneau parlant, transportés au temps de Sabacos par Diodore de Sicile, et à la XXIVe dynastie par Manéthon, longtemps après Sésonchis et Salomon ; et qui ne sont cependant que la mort des premiers nés en Égypte, et la première Pâque célébrée par les Hébreux la nuit de leur départ. |