Les Catacombes et
leurs manuscrits. — Les Cartouches royaux. — Les Bas-reliefs — Les
Hiéroglyphes des Obélisques et des autres monuments. — Conditions sans
lesquelles ces différents moyens de preuves n’auraient plus de valeur. — L’Histoire
de Sésostris en caractères démotiques.
— Les Pharaons Ethiopiens et les autres après Sésonchis, eurent aussi
leurs monuments qu’il faudra bien distinguer de ceux de la XVIIIe et de la
XIXe dynastie, pour ne pas confondre les faits ni les dates. — Diverses
observations qui démontrent la nécessité de rapprocher ces deux dynasties de
celles de Sésonchis.
Nous
prévoyons la réflexion que suggéreront ici les circonstances du moment, et
que l’on croira peut-être suffisante pour ébranler les principes que nous
venons d’établir, ou en ajourner les conséquences, au moins sur plusieurs
points. En effet, nos discussions ont été soumises à l’état des
connaissances, très bornées encore, que nous possédons relativement à
l’ancienne Égypte, et il ne pouvait en être autrement. On ne parlait alors
que d’une manière vague de recherches dont cette contrée et ses monuments seraient
susceptibles, et des nouvelles découvertes qui pourraient en résulter.
Maintenant les recherches sont en pleine activité ; et, mieux dirigées, ne
donnent-elles pas, dira-ton, de grandes et justes espérances ? Des manuscrits
conservés dans les catacombes, dans les cercueils des momies, et mis enfin au
jour ; des monuments qu’on n’a point encore étudiés, ou qui le seront avec
plus de soin et plus de moyens, ne peuvent-ils pas jeter des lumières
inattendues sur cette chronologie et cette histoire d’Égypte, que vous vous
pressez trop d’accuser ? Ne pourront-ils pas justifier ce qui vous paraît
aujourd’hui le plus évidemment faux, ou lever les doutes que vous croyez les,
mieux fondés ? La réponse est facile, et sera bien simple. Nous ne nous
refusons à aucune des espérances que les conjonctures actuelles peuvent faire
légitimement concevoir ; mais nous ne voulons pas les étendre plus loin que
ne le permettent la raison, l’expérience et l’état réel des choses. Parlons
d’abord des manuscrits. Les catacombes peuvent en receler, et ce n’est même
que là, comme on l’a observé, qu’on peut espérer d’en découvrir ; parce que
ce n’est que là et sous le climat de l’Égypte qu’ils auraient été à l’abri de
la main des hommes et des injures du temps. Mais se flatte-t-on sérieusement
qu’ils s’élèvent à cette haute antiquité qu’il importe surtout d’éclairer ?
Croit-on qu’à ces époques reculées les livres, et particulièrement les livres
d’histoire fussent assez communs pour être enterrés avec les morts qui en
avaient fait usage, au lieu d’être réservés à l'usage de leurs survivants ?
Les feuilles de papyrus trouvées dans quelques cercueils sur les corps
embaumés, ont-elles jamais offert des écrits de ce genre ? Vous
déterrerez une histoire écrite et bien lisible pour vous ; mais le manuscrit
sera-t-il du temps même auquel appartient l’histoire, ou d’un temps assez
proche, pour que le témoignage de l’auteur ou du scribe conserve quelque
poids ? Aurez-vous le bonheur d’en recueillir plusieurs exemplaires que vous
puissiez confronter les uns avec les autres, pour découvrir le vrai au milieu
de leurs contradictions, ou en trouver, dans leur concours, une garantie
suffisante ? Car, si vous n’avez pas d'ailleurs un point de comparaison, ce
témoignage, isolé et sans autre appui que lui-même, ne saurait être d’une
bien grande autorité. Mais ne
nous berçons point de chimériques espérances. Que nous apprennent les papyrus
Égyptiens d’époque plus récente, quand ils contiennent autre chose que des
formulés de prières ? on en a déjà en assez grand nombre : qu’y voit-on ? des
noms de personnages inconnus, et qu’on ne gagne rien à connaître ; des dates
sur quelques règnes, auxquels elles assurent bien une certaine durée, mais
dont elles nous laissent ignorer la durée totale : peu de chose, par
conséquent, pour la Chronologie, et rien pour l’Histoire. Des
monuments qui nous apporteraient les faits anciens écrits sur la pierre et
traversant avec eux les siècles sans éprouver d’altération, seraient un plus
sûr et plus puissant secours. Or voilà, nous dit-on, ce que promettent
aujourd’hui les monuments Hiéroglyphiques dont l’Égypte est couverte, et dont
l’écriture n’est plus un mystère ; et ce n’est pas seulement l’histoire de
l’Égypte dès les premiers temps de la civilisation, mais celle de tous les
peuples qui pouvaient alors lutter de puissance avec elle, ou lui inspirer
des craintes, et qui furent l’objet des principales expéditions de ses
Pharaons, que va nous faire connaître cette
immense galerie historique, et cette suite nombreuse de bas-reliefs entremêlés de longues
inscriptions explicatives[1]. Les
détails dans lesquels entre ici M. Champollion, et l’assurance avec laquelle
il s’exprime, ne semblent pas permettre de douter qu’il n'ait acquis déjà sur
ce sujet des notions étendues et précises, et que le succès de premières
tentatives sur les monuments ou copies de monuments, qu’il a pu étudier en
Europe, n’autorise celui qu’il se promet d’un travail semblable sur le vaste
ensemble des monuments que l’Égypte va livrer à ses investigations ; mais
dans cette supposition même, en admettant tout ce qu’il a réellement vu, et
sans toucher au fond du brillant tableau qu’il en tracé, nous y opposerons
quelques observations qui nous paraissent propres, soit à restreindre les
conséquences qu’il en tire soit à rectifier les applications qu’il en fait. Les
monuments peuvent être considérés sous différents rapports : ils offrent des
cartels royaux, des inscriptions dans les bas-reliefs, des caractères
Hiéroglyphiques semés sans ordre apparent sur tous les côtés des obélisques
dont ils couvrent les surfaces. Les
cartels ou cartouches royaux nous ont appris les noms de règne de plusieurs
Pharaons ; en découvrant d’autres cartouches, on connaitra d’autres noms :
mais les noms seuls, utiles pour la Chronologie, sont un faible secours pour
l’Histoire ; nous avions les noms Vulgaires de ces rois, nous aurons leurs
noms monumentaux. Tout cela ne va pas plus loin que la preuve de leur
existence, sur laquelle il n’y avait déjà aucune incertitude. Ne savions-nous
pas qu’avant l’arrivée des Hébreux, l’Égypte avait eu ses rois, depuis au
moins le temps d’Abraham, et qu’elle en eut après leur sortie jusqu’au règne
d’Apriès ? On a paru mettre un grand intérêt à la découverte de cinq à six
rois antérieurs à la XVIIIe dynastie, et dont la Table d'Abydos a fait
connaître les noms et les règnes. Mais si ces rois Thébains n’étaient que les
contemporains de ceux qui régnaient à Memphis pendant le séjour des Hébreux
en Égypte, que gagne-t-on à connaître leurs noms ? en ignorera-t-on moins
leur histoire ? Les
inscriptions dans les bas-reliefs expliqueront les tableaux qu’elles
accompagnent, et feront connaître distinctement les faits qu’on y a voulu
représenter. Nous souhaitons que ces inscriptions nous donnent réellement des
faits : quels qu’ils fussent, ils deviendraient d’importantes
acquisitions pour une histoire qui est à peu près tout entière à créer,
puisqu’elle ne nous apprend jusqu’ici de ses princes que les noms qu’ils ont
portés, et de leurs règnes que les constructions de palais et de temples qu’ils
firent élever. Mais à quoi se réduira ce que nous pourrons en apprendre de
plus ? Des bas-reliefs ne promettent guère que des indications vagues, ou des
traits isolés, sans développements, sans liaisons entre eux ; et par
conséquent, point de narration circonstanciée et suivie, point d’histoire
proprement dite. Nous supposons, au reste, d’après l’assurance qu’on nous en
donne, que les inscriptions dont il s’agit diffèrent absolument de celles
d’un obélisque de Rome, qu’avait interprétées le sophiste Hermapion, et qui
sont toutes purement religieuses[2]. Quant
aux Hiéroglyphes dont les obélisques ou d’autres monuments Égyptiens sont
couverts, il semble qu’on ne saurait encore en parler affirmativement.
Formaient-ils une écriture ? étaient-ils destinés à l’histoire ? peut-on
ou pourra-t-on les lire ? Ces questions ont été souvent agitées dans des
temps où l’on n’avait aucun moyen de les résoudre. Peut-être
deviendront-elles un jour, bientôt même, susceptibles de sérieuses et utiles
discussions ; mais jusqu’à présent, la dernière est la seule dont on puisse dire
qu’elle soit au moins entamée. Nous
rappellerons ici une observation que nous avons eu déjà l’occasion de faire,
mais qui est importante et d’une application générale. Pour
apprécier la valeur et régler l’emploi des monuments Égyptiens qu’on produit
en preuve, il importe surtout d’en connaître l’époque, et en même temps celle
des faits qu’ils relatent ou qu’ils indiquent ; et cela est vrai pour tous,
de quelque part qu’ils viennent, de quelque nature qu’ils soient : grands
obélisques ou petites stèles, figures colossales ou simples statuettes,
documents écrits sur papier ou gravés sur la pierre, ouvrages publics ou
privés. Si tous peuvent faire autorité pour leur temps, chacun selon son
genre et dans un degré respectif, on sent que nul ne peut avoir ce caractère,
quand il atteste des faits d’une époque trop éloignée, ou, ce qui revient au
même, quand on ignore l’époque à laquelle il appartient. Dans les deux cas,
il ne peut représenter que des bruits populaires, des traditions fabuleuses,
les idées de son temps, et lorsque, par hasard, il dirait le vrai, il ne
saurait en être pour nous un garant assuré. La Table même d’Abydos, si elle
remontait trop haut, finirait par devenir suspecte aux yeux de la critique.
On sait ce qu’il en fut des Marbres de Paros, qui avaient fait naître tant
d’espérances, et comment ils furent réduits à leur juste valeur, dès qu’on
eut réfléchi sur la date possible de leur formation. On comprit que les
époques fixées n’étaient pas plus certaines, pour être taillées dans le
marbre, que si elles étaient tracées sur des rouleaux du même temps ;
qu’elles pouvaient n’offrir qu’un des systèmes de chronologie Antique, sur
lesquels disputaient alors les savants, ou quelque nouveau système semblable,
et n’avaient ainsi, par elles-mêmes, aucun droit de plus à la confiance. On
n’avait pas fait ces réflexions, quand on s’est hâté d'annoncer la découverte
d’une Histoire de Sésostris et de ses conquêtes, trouvée dans le cercueil
d’une momie, et qu’on a crue authentique, sans doute parce qu’elle était
écrite en langue Égyptienne et en caractères démotiques. La simple
considération de la date que l’on pouvait donner au manuscrit, aurait arrêté
les transports de joie que sa vue fit éclater. La momie est du règne d’un des
premiers Ptolémées, et voilà la seule date sûre du manuscrit renfermé dans
son cercueil. Était-il donc si merveilleux de lire sur un papyrus de cette
époque, ce que, deux cents ans auparavant, Hérodote avait appris des prêtres
de Memphis, et fait connaître à toute la Grèce, en le publiant parmi ses
contes sur l’Égypte ? car il paraît que l’Histoire de Sésostris y dont on
nous parle est la même, du moins pour le fond, que celle de l'Historien Grec.
Le témoignage d'Hérodote prouve que de son temps la fable avait déjà cours en
Égypte ; celui du papyrus prouverait qu’elle n'avait encore rien perdu de son
crédit au temps des Ptolémée : c’est tout ce qu'on pouvait en conclure. Nous ne
croyons donc pas que M. Champollion ait été aussi frappé d’admiration qu’on
le dit, à la vue de la pièce et du nom de Sésostris. Nous croyons encore
moins, que lui-même y ait lu tout ce qu’on en rapporte : que la relation fut
écrite l’année précisément où le vainqueur rentra dans ses États, que cette
année était la neuvième de son règne, et par conséquent aussi la neuvième de
son expédition, suivant la remarque de Diodore de Sicile que l’on cite ;
qu’enfin c’est l’Auteur qui atteste ces particularités, propres assurément,
dans sa bouche, à inspirer de la confiance à ses lecteurs. Au reste, on
convient que M. Champollion n’a pu que jeter un coup d’œil rapide de quelques
instants sur la pièce qu’on déroulait devant lui ; il est prudent d’attendre
qu’il nous dise, après l’avoir examinée à loisir, ce qu’il y aura lu et ce
qu’il en pense. Venons
à des faits plus précis, qui montreront directement s’il est beaucoup à
craindre que de nouvelles découvertes, et les lumières qui en résulteront, ne
s’opposent invinciblement aux bornes étroites que nous avons cru devoir
donner à la chronologie et à l’histoire vraies de l’Égypte, et ne nous
forcent d’abandonner les preuves sur lesquelles nous nous sommes appuyés. Il
n’existe jusqu’à présent, et vraisemblablement on n’aura jamais de monuments
au-dessus d’un petit nombre de rois antérieurs à la XVIIIe dynastie, et ce
n’est que pour cette dynastie que les monuments deviennent nombreux et
importants. Ce serait beaucoup, sans doute, d’avoir enrichi de faits
remarquables, d’une histoire complète, si l’on veut, la liste nominale de ces
Pharaons et de leurs successeurs : ce ne sera rien pour nous, si on nous
laisse ignorer l’époque à laquelle ils ont régné. Pense-t-on que de nouveaux
monuments nous apprendront ce que les premiers ne nous ont pas fait connaître
? M. Champollion ne paraît pas s’en flatter ; et, dans son dernier ouvrage
comme dans les précédents, ne voyant que Manéthon et sa chronologie, et ne
raisonnant jamais que d’après l’idée qu’il s’est faite de l’irréfragable
autorité de l’un et de la parfaite exactitude de l’autre, il ne s’appuie
jamais que sur la chronologie de Manéthon. Nous avons besoin d’un témoignage
plus décisif ; et tant qu’il ne sera pas démontré, soit que les preuves se
tirent des monuments ou d’ailleurs, que la grande dynastie doit
nécessairement être placée avant la délivrance du Peuple Hébreu ; fondés sur
la chronologie des Livres saints, et sans égard pour celle de Manéthon, nous
croirons rester en droit de renvoyer après cette époque la dynastie tout
entière. Ajoutons que si elle y est nécessairement placée par la Chronologie,
elle s’y trouvera placée très convenablement pour l’Histoire. L’histoire de
l’Asie, et celle du Peuple Hébreu en particulier, ne permettent pas de penser
à de grandes entreprises des Pharaons sur cette partie du continent, depuis
le retour des Enfants d’Israël dans le pays de Chanaan jusqu'à la fin du
règne de Salomon : ce qui n’empêche pas que ces princes n'aient pu avoir de
fréquentes guerres à soutenir en Afrique, soit qu’ils ambitionnassent de
faire des conquêtes, soit qu’ils eussent à se défendre. Ainsi les Thoutmosis
soumirent les Nubiens, et peut-être d’autres peuples plus éloignés, compris
avec eux sous la dénomination d’Éthiopiens. Leurs successeurs étaient
probablement maîtres de la Libye avant l’expédition de Sésonchis ; et ils
auraient, au temps d’Osymandias, porté leurs armes jusque dans l’Arabie, si
l’on en jugeait par l’inscription dont parle un voyageur. L’apparition en
Judée d’un Éthiopien, roi d’Égypte, suppose une grande révolution dans
l’intérieur du pays. Quelle en fut la durée ? quels en furent les phases et
les évènements divers ? Le changement de dynastie, qui mit les Ramessès à la
place des Thoutmosis, ne s'effectua pas non plus sans lutte et sans combats. Les
occasions ne manquèrent donc pas aux Pharaons de ce temps pour élever des
monuments et célébrer des victoires, et cependant ils ne sortent point de
l’Égypte ; les tableaux mêmes, où l’on a cru voir clairement les expéditions
lointaines de Sésostris, n’indiquent, au vrai, que des peuples Africains
vaincus et soumis. Il n’y a rien par conséquent, dans ce que nous savons de
la XVIIIe dynastie, qui empêche de la mettre après la Sortie des Hébreux. Allons
plus loin, et cherchons à quoi tient principalement cette facilité de
transporter la XVIIIe dynastie à une époque si différente de celle que la
chronologie Égyptienne lui assigne. Elle tient à une circonstance
particulière, qu’exige impérieusement cette époque, et qu’offre heureusement
la dynastie : à un éloignement marqué de ses Pharaons pour les guerres
étrangères, qui les retient constamment sur le sol de l’Afrique, sans oser
dépasser la Mer Rouge, sans être tentés de porter leurs armes victorieuses
dans l’Asie, où s’offraient à leur ambition tant de gloire à acquérir et tant
de riches conquêtes à faire. Ce phénomène, car c’en est un dans l’histoire de
ces anciens empires, l’Écriture l’explique, mais pour l’époque dont il est
question seulement ; à toute autre, on ne saurait en rendre raison. Il se
pourrait donc que ce qui rend facile de placer la XVIIIe dynastie après la
catastrophe du Pharaon oppresseur des Hébreux, rendit impossible de la placer
ailleurs. En
effet, qu’on la mette au-dessus de cet événement, qu’on l’élève même à la
hauteur où Manéthon la porte, on demandera ce qui a pu contenir ces monarques
dans les bornes où ils se sont constamment renfermés, avec la puissance et
les dispositions qu’on leur reconnaît, et que leurs propres monuments
attestent ? N’auraient-ils pas eu des rivaux en Asie, qui eussent éveillé
leur orgueil jaloux ; des rois conquérants, comme ils l’étaient eux-mêmes en
Afrique, dont il importait de prévoir les desseins et de prévenir les
entreprises ; qu’il fallait les premiers attaquer pour arrêter leur
agrandissement, ou contre lesquels il eût bien enfin fallu se défendre ? Car
c’est une chimère, à laquelle on s’est trop légèrement livré, que d’imaginer
une nation parvenue à un tel degré de civilisation, de progrès dans les arts,
de prospérité et de force, lorsque le reste du monde était encore dans
l’enfance. On risquerait moins de s’éloigner de la vérité, si l’on supposait
de grands empires déjà formés sur les bords de l’Euphrate et du Gange, dans
les contrées berceau du genre humain, avant qu’il y en eût un semblable dans
la vallée du Nil. Tout
concourt donc à fixer la place de la XVIIIe et de la XIXe dynastie, et avec
elles celle des monuments de leurs Pharaons, après la délivrance du Peuple
Hébreu et sa sortie de l’Égypte. Mais tous les monuments, même ceux de
Thèbes, n’appartiennent pas à ces deux dynasties : il en est, dans l’une et
dans l’autre Égypte, que des Pharaons, venus longtemps après, peuvent
revendiquer, et qui pourront aussi fournir des renseignements à l’Histoire,
quand ils auront été examinés et décrits avec soin. Sésonchis
fut le premier des Pharaons qui osa franchir les limites dans lesquelles ses
prédécesseurs s’étaient jusque-là renfermés ; mais il n’alla pas plus loin
que Jérusalem, et se contenta de l’immense butin qu’il y fit. Zaré fut moins
heureux : il perdit une grande bataille et son armée d’un million d’hommes.
L’un et l’autre étaient étrangers aux anciennes races indigènes qui venaient
de s’éteindre. On ne sait si celui dont Salomon épousa la fille était
Éthiopien comme eux ; mais il n’entra avec une armée dans le pays des
Philistins que comme allié du roi de Juda, et pour combattre à son profit.
Déjà peut-être se formait au loin la puissance contre laquelle l’Égypte
devait lutter un jour. La
Mésopotamie, habitée dès l’origine par les Araméens, était devenue un royaume
considérable, avant même le retour des Israélites dans la Terre promise à
leurs pères : cent ans après leur sortie de l’Égypte, Chusan Rasathaïm, roi
d’Aram des deux fleuves, avait pu étendre sa domination jusqu’au pays de
Chanaan, et les asservir. C’est peut-être ce royaume, qui comprenait alors
les deux pays d’Aram, ou les deux Syries, et qui put se maintenir longtemps
dans cet état, que les Anciens ont appelé le premier empire d’Assyrie. Au
temps des rois de Juda et d’Israël, s’élevait dans les mêmes contrées un
nouvel et plus puissant empire, véritablement Assyrien, celui que les Livres
sacrés ne désignent jamais que par le nom d’Assur. Les rois de Ninive,
quittant les montagnes de l’Arménie et de la Médie, et s’avançant, plus ou
moins rapidement, dans les plaines de la Mésopotamie, l’occupèrent enfin tout
entière, des deux côtés du Tigre et de l’Euphrate, et jusqu’à leur embouchure
dans le Sein Persique. Ils durent alors tourner leurs armes vers les riches
contrées qui s’offraient à eux au Midi. Phul soumit au tribut le royaume de
Syrie, et sous Manahem, qui régna de 771 à 761 avant l’ère chrétienne, le
royaume d’Israël. Quarante ans environ après, le roi Osée, voyant les Assyriens
maîtres de Damas, et craignant pour lui-même, chercha un appui dans le roi
d’Égypte, et fit alliance avec Sua, le Sévéchus ou le Sabbacos des dynasties,
qui n’empêcha pas la prise de Samarie ni la ruine du royaume d’Israël. C’est
ici, vers l’année 725 avant notre ère et 766 après la sortie d’Égypte, qu’on
voit, pour la première fois, les Pharaons prendre une part active aux
affaires de l’Asie, et s’occuper sérieusement de mettre une barrière aux
envahissements des rois d’Assyrie. De ce moment, la guerre fut déclarée entre
les deux puissances rivales et ne devait plus finir que par la destruction de
l’une ou de l’autre. Aussi, lorsque Sennachérib, quinze ans après, vient
menacer Ézéchias sous les murs mêmes de Jérusalem, Tharaca se hâte d’accourir
à son secours ; et toutes les forces de l’Égypte et de l’Assyrie se seraient
trouvées en présence, si Dieu n’eût pas voulu opérer seul le salut de son
peuple. Battus d’abord par Asarhaddon, et après avoir vu leur royaume ravagé
et un nombre de leurs sujets emmenés captifs, les Pharaons se relèvent ;
Psammitichus rend à la monarchie son ancienne splendeur, et Néchao se trouve
assez fort pour porter la guerre au sein du royaume de Babylone, qui
s'élevait sur les débris de celui des Assyriens, gagner des batailles,
prendre des villes, déposer des rois, en créer d’autres, et leur donner de
nouveaux noms, comme étant devenu leur souverain ; envahir tout jusqu’à
l’Euphrate, et se maintenir longtemps dans la Mésopotamie. Il est battu
enfin, lui et son armée, dans la quatrième année de cette expédition, et se
renfermant dans son pays, dit l’Écriture, pour n’en plus sortir, il abandonne
au roi de Babylone toutes ses conquêtes, depuis l’Euphrate jusqu’au fleuve
d’Égypte[3]. Il y
eut donc en Égypte, après l’extinction des races Thébaines, et en commençant
au règne de Sésonchis, des Pharaons illustres et des événements mémorables,
des mouvements intérieurs, des expéditions au dehors et au loin, des
victoires et des défaites, des villes prises, des pays conquis, des rois, les
uns vaincus, les autres déposés ou établis à la volonté du vainqueur. Il y
eut donc aussi, la conséquence est nécessaire, comme sous les dynasties
précédentes, des monuments érigés pour rehausser la gloire et rendre plus
durable le souvenir de ces hauts faits. Serait-ce sur ces monuments de
récente date, que se trouveraient les tableaux sculptés qui offrent, nous
dit-on, l’histoire entière des plus célèbres Pharaons, qui font connaître
leurs principales expéditions contre les peuples qui jouaient un rôle
important en Afrique et dans l’Asie occidentale, contre les nations qui
pouvaient alors lutter de puissance avec l’Égypte, et lui disputer l’empire
de l’ancien monde ? Il paraît du moins que ces monuments, s’ils sont tels
qu’on les dépeint, conviennent très bien à l’histoire de l’Égypte sous les
derniers Pharaons, et n’ont, au contraire y presque aucun rapport avec les
faits que retracent ceux des rois Thébains. Il est
vrai, si notre observation est juste, qu’on ne pourrait plus dire que les
notions acquises par l’étude de ces monuments, nous reporteront aux premiers temps de la civilisation
humaine, à des époques sur lesquelles l’histoire
est encore muette, à un ancien monde que nous n’apercevons encore qu’à travers mille incertitudes. Mais
on en sera dédommagé par l’avantage de sortir de ces exagérations, qui
fascinent l’esprit et l’égarent dans ses recherches, comme elles l’ont égaré
dans ses espérances : on se trouvera moins éloigné déjà de la vérité, plus à
portée de l’atteindre, plus en état de la reconnaître quand elle se
présentera, et tout disposé à la saisir et à s’y attacher quand on l’aura
reconnue. Ajoutons
encore deux considérations, qui semblent surtout prouver, d’une manière
directe, que les dynasties Thébaines étaient effectivement beaucoup plus
rapprochées des dynasties Ethiopiennes que ne le suppose Manéthon, et
finissons par-là cet ARTICLE, qui ne s’est allongé qu’à raison de son importance. Les
inscriptions ont fait connaître que des Pharaons, au-dessous même de
Sésonchis, s’occupaient encore des temples et des autres édifices de la
grande dynastie ; qu’ils se faisaient un mérite d’en achever des parties qui
manquaient ou étaient restées imparfaites, d’y ajouter des décorations
nouvelles qui avaient dû entrer dans le plan originaire, ou dont ils
demeuraient au moins susceptibles. S’ils étaient aussi anciens qu’on le
croit, comment aurait-il encore manqué quelque chose à ces monuments élevés à
si grands frais, si respectés d’un peuple superstitieux à l’excès, si
intéressants pour la vanité des rois, et auxquels tant de Pharaons auraient
pu successivement travailler ? Comment n’auraient-ils pas reçu depuis
longtemps tous les embellissements qui pouvaient leur convenir ? L’état
d’imperfection où ont été laissées la plupart de ces grandes constructions,
les palais comme les temples, ne peut guère s’expliquer qu’en admettant le
fait, que les premiers auteurs n’ont pas eu le temps d’y mettre eux-mêmes la
dernière main. Pourquoi encore des princes, venus plusieurs siècles après, y
auraient-ils cherché, dans quelques coins obscurs, des places vides pour y
écrire leurs noms, qu’eussent mis plus au jour les plus simples monuments
érigés de leurs mains ? Quand on met les deux principales dynasties à la hauteur où Manéthon les place, et que de là on parcourt la suite des monuments Égyptiens, on voit après elles un long espace de temps, où l’art de bâtir semble mort, et le goût de la grande architecture éteint. Des siècles s’écoulent entre l’époque des Thutmosis et des Ramessès, si féconde en ce genre, et celle où l’Égypte, reprenant ses habitudes et ses travaux, reproduit ses anciennes merveilles. Cela est-il dans l’ordre naturel, et en assignera-t-on une cause plausible ? On la chercherait vainement ; mais tout s’expliquera, dès qu’on aura remis les dynasties Thébaines à leur véritable place. |