LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

SECONDE PARTIE. — LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

CONSIDÉRÉES SOUS LE RAPPORT DE LA CHRONOLOGIE ET DE L’HISTOIRE

 

ARTICLE XIV. — NOUVELLES RECHERCHES EN ÉGYPTE.

 

 

Les Catacombes et leurs manuscrits. — Les Cartouches royaux. — Les Bas-reliefs — Les Hiéroglyphes des Obélisques et des autres monuments. — Conditions sans lesquelles ces différents moyens de preuves n’auraient plus de valeur. — L’Histoire de Sésostris en caractères démotiques.  — Les Pharaons Ethiopiens et les autres après Sésonchis, eurent aussi leurs monuments qu’il faudra bien distinguer de ceux de la XVIIIe et de la XIXe dynastie, pour ne pas confondre les faits ni les dates. — Diverses observations qui démontrent la nécessité de rapprocher ces deux dynasties de celles de Sésonchis.

 

Nous prévoyons la réflexion que suggéreront ici les circonstances du moment, et que l’on croira peut-être suffisante pour ébranler les principes que nous venons d’établir, ou en ajourner les conséquences, au moins sur plusieurs points. En effet, nos discussions ont été soumises à l’état des connaissances, très bornées encore, que nous possédons relativement à l’ancienne Égypte, et il ne pouvait en être autrement. On ne parlait alors que d’une manière vague de recherches dont cette contrée et ses monuments seraient susceptibles, et des nouvelles découvertes qui pourraient en résulter. Maintenant les recherches sont en pleine activité ; et, mieux dirigées, ne donnent-elles pas, dira-ton, de grandes et justes espérances ? Des manuscrits conservés dans les catacombes, dans les cercueils des momies, et mis enfin au jour ; des monuments qu’on n’a point encore étudiés, ou qui le seront avec plus de soin et plus de moyens, ne peuvent-ils pas jeter des lumières inattendues sur cette chronologie et cette histoire d’Égypte, que vous vous pressez trop d’accuser ? Ne pourront-ils pas justifier ce qui vous paraît aujourd’hui le plus évidemment faux, ou lever les doutes que vous croyez les, mieux fondés ? La réponse est facile, et sera bien simple. Nous ne nous refusons à aucune des espérances que les conjonctures actuelles peuvent faire légitimement concevoir ; mais nous ne voulons pas les étendre plus loin que ne le permettent la raison, l’expérience et l’état réel des choses.

Parlons d’abord des manuscrits. Les catacombes peuvent en receler, et ce n’est même que là, comme on l’a observé, qu’on peut espérer d’en découvrir ; parce que ce n’est que là et sous le climat de l’Égypte qu’ils auraient été à l’abri de la main des hommes et des injures du temps. Mais se flatte-t-on sérieusement qu’ils s’élèvent à cette haute antiquité qu’il importe surtout d’éclairer ? Croit-on qu’à ces époques reculées les livres, et particulièrement les livres d’histoire fussent assez communs pour être enterrés avec les morts qui en avaient fait usage, au lieu d’être réservés à l'usage de leurs survivants ? Les feuilles de papyrus trouvées dans quelques cercueils sur les corps embaumés, ont-elles jamais offert des écrits de ce genre ?

Vous déterrerez une histoire écrite et bien lisible pour vous ; mais le manuscrit sera-t-il du temps même auquel appartient l’histoire, ou d’un temps assez proche, pour que le témoignage de l’auteur ou du scribe conserve quelque poids ? Aurez-vous le bonheur d’en recueillir plusieurs exemplaires que vous puissiez confronter les uns avec les autres, pour découvrir le vrai au milieu de leurs contradictions, ou en trouver, dans leur concours, une garantie suffisante ? Car, si vous n’avez pas d'ailleurs un point de comparaison, ce témoignage, isolé et sans autre appui que lui-même, ne saurait être d’une bien grande autorité.

Mais ne nous berçons point de chimériques espérances. Que nous apprennent les papyrus Égyptiens d’époque plus récente, quand ils contiennent autre chose que des formulés de prières ? on en a déjà en assez grand nombre : qu’y voit-on ? des noms de personnages inconnus, et qu’on ne gagne rien à connaître ; des dates sur quelques règnes, auxquels elles assurent bien une certaine durée, mais dont elles nous laissent ignorer la durée totale : peu de chose, par conséquent, pour la Chronologie, et rien pour l’Histoire.

Des monuments qui nous apporteraient les faits anciens écrits sur la pierre et traversant avec eux les siècles sans éprouver d’altération, seraient un plus sûr et plus puissant secours. Or voilà, nous dit-on, ce que promettent aujourd’hui les monuments Hiéroglyphiques dont l’Égypte est couverte, et dont l’écriture n’est plus un mystère ; et ce n’est pas seulement l’histoire de l’Égypte dès les premiers temps de la civilisation, mais celle de tous les peuples qui pouvaient alors lutter de puissance avec elle, ou lui inspirer des craintes, et qui furent l’objet des principales expéditions de ses Pharaons, que va nous faire connaître cette immense galerie historique, et cette suite nombreuse de bas-reliefs entremêlés de longues inscriptions explicatives[1].

Les détails dans lesquels entre ici M. Champollion, et l’assurance avec laquelle il s’exprime, ne semblent pas permettre de douter qu’il n'ait acquis déjà sur ce sujet des notions étendues et précises, et que le succès de premières tentatives sur les monuments ou copies de monuments, qu’il a pu étudier en Europe, n’autorise celui qu’il se promet d’un travail semblable sur le vaste ensemble des monuments que l’Égypte va livrer à ses investigations ; mais dans cette supposition même, en admettant tout ce qu’il a réellement vu, et sans toucher au fond du brillant tableau qu’il en tracé, nous y opposerons quelques observations qui nous paraissent propres, soit à restreindre les conséquences qu’il en tire soit à rectifier les applications qu’il en fait.

Les monuments peuvent être considérés sous différents rapports : ils offrent des cartels royaux, des inscriptions dans les bas-reliefs, des caractères Hiéroglyphiques semés sans ordre apparent sur tous les côtés des obélisques dont ils couvrent les surfaces.

Les cartels ou cartouches royaux nous ont appris les noms de règne de plusieurs Pharaons ; en découvrant d’autres cartouches, on connaitra d’autres noms : mais les noms seuls, utiles pour la Chronologie, sont un faible secours pour l’Histoire ; nous avions les noms Vulgaires de ces rois, nous aurons leurs noms monumentaux. Tout cela ne va pas plus loin que la preuve de leur existence, sur laquelle il n’y avait déjà aucune incertitude. Ne savions-nous pas qu’avant l’arrivée des Hébreux, l’Égypte avait eu ses rois, depuis au moins le temps d’Abraham, et qu’elle en eut après leur sortie jusqu’au règne d’Apriès ? On a paru mettre un grand intérêt à la découverte de cinq à six rois antérieurs à la XVIIIe dynastie, et dont la Table d'Abydos a fait connaître les noms et les règnes. Mais si ces rois Thébains n’étaient que les contemporains de ceux qui régnaient à Memphis pendant le séjour des Hébreux en Égypte, que gagne-t-on à connaître leurs noms ? en ignorera-t-on moins leur histoire ?

Les inscriptions dans les bas-reliefs expliqueront les tableaux qu’elles accompagnent, et feront connaître distinctement les faits qu’on y a voulu représenter. Nous souhaitons que ces inscriptions nous donnent réellement des faits : quels qu’ils fussent, ils deviendraient d’importantes acquisitions pour une histoire qui est à peu près tout entière à créer, puisqu’elle ne nous apprend jusqu’ici de ses princes que les noms qu’ils ont portés, et de leurs règnes que les constructions de palais et de temples qu’ils firent élever. Mais à quoi se réduira ce que nous pourrons en apprendre de plus ? Des bas-reliefs ne promettent guère que des indications vagues, ou des traits isolés, sans développements, sans liaisons entre eux ; et par conséquent, point de narration circonstanciée et suivie, point d’histoire proprement dite. Nous supposons, au reste, d’après l’assurance qu’on nous en donne, que les inscriptions dont il s’agit diffèrent absolument de celles d’un obélisque de Rome, qu’avait interprétées le sophiste Hermapion, et qui sont toutes purement religieuses[2].

Quant aux Hiéroglyphes dont les obélisques ou d’autres monuments Égyptiens sont couverts, il semble qu’on ne saurait encore en parler affirmativement. Formaient-ils une écriture ? étaient-ils destinés à l’histoire ? peut-on ou pourra-t-on les lire ? Ces questions ont été souvent agitées dans des temps où l’on n’avait aucun moyen de les résoudre. Peut-être deviendront-elles un jour, bientôt même, susceptibles de sérieuses et utiles discussions ; mais jusqu’à présent, la dernière est la seule dont on puisse dire qu’elle soit au moins entamée.

Nous rappellerons ici une observation que nous avons eu déjà l’occasion de faire, mais qui est importante et d’une application générale.

Pour apprécier la valeur et régler l’emploi des monuments Égyptiens qu’on produit en preuve, il importe surtout d’en connaître l’époque, et en même temps celle des faits qu’ils relatent ou qu’ils indiquent ; et cela est vrai pour tous, de quelque part qu’ils viennent, de quelque nature qu’ils soient : grands obélisques ou petites stèles, figures colossales ou simples statuettes, documents écrits sur papier ou gravés sur la pierre, ouvrages publics ou privés. Si tous peuvent faire autorité pour leur temps, chacun selon son genre et dans un degré respectif, on sent que nul ne peut avoir ce caractère, quand il atteste des faits d’une époque trop éloignée, ou, ce qui revient au même, quand on ignore l’époque à laquelle il appartient. Dans les deux cas, il ne peut représenter que des bruits populaires, des traditions fabuleuses, les idées de son temps, et lorsque, par hasard, il dirait le vrai, il ne saurait en être pour nous un garant assuré. La Table même d’Abydos, si elle remontait trop haut, finirait par devenir suspecte aux yeux de la critique. On sait ce qu’il en fut des Marbres de Paros, qui avaient fait naître tant d’espérances, et comment ils furent réduits à leur juste valeur, dès qu’on eut réfléchi sur la date possible de leur formation. On comprit que les époques fixées n’étaient pas plus certaines, pour être taillées dans le marbre, que si elles étaient tracées sur des rouleaux du même temps ; qu’elles pouvaient n’offrir qu’un des systèmes de chronologie Antique, sur lesquels disputaient alors les savants, ou quelque nouveau système semblable, et n’avaient ainsi, par elles-mêmes, aucun droit de plus à la confiance.

On n’avait pas fait ces réflexions, quand on s’est hâté d'annoncer la découverte d’une Histoire de Sésostris et de ses conquêtes, trouvée dans le cercueil d’une momie, et qu’on a crue authentique, sans doute parce qu’elle était écrite en langue Égyptienne et en caractères démotiques. La simple considération de la date que l’on pouvait donner au manuscrit, aurait arrêté les transports de joie que sa vue fit éclater. La momie est du règne d’un des premiers Ptolémées, et voilà la seule date sûre du manuscrit renfermé dans son cercueil. Était-il donc si merveilleux de lire sur un papyrus de cette époque, ce que, deux cents ans auparavant, Hérodote avait appris des prêtres de Memphis, et fait connaître à toute la Grèce, en le publiant parmi ses contes sur l’Égypte ? car il paraît que l’Histoire de Sésostris y dont on nous parle est la même, du moins pour le fond, que celle de l'Historien Grec. Le témoignage d'Hérodote prouve que de son temps la fable avait déjà cours en Égypte ; celui du papyrus prouverait qu’elle n'avait encore rien perdu de son crédit au temps des Ptolémée : c’est tout ce qu'on pouvait en conclure.

Nous ne croyons donc pas que M. Champollion ait été aussi frappé d’admiration qu’on le dit, à la vue de la pièce et du nom de Sésostris. Nous croyons encore moins, que lui-même y ait lu tout ce qu’on en rapporte : que la relation fut écrite l’année précisément où le vainqueur rentra dans ses États, que cette année était la neuvième de son règne, et par conséquent aussi la neuvième de son expédition, suivant la remarque de Diodore de Sicile que l’on cite ; qu’enfin c’est l’Auteur qui atteste ces particularités, propres assurément, dans sa bouche, à inspirer de la confiance à ses lecteurs. Au reste, on convient que M. Champollion n’a pu que jeter un coup d’œil rapide de quelques instants sur la pièce qu’on déroulait devant lui ; il est prudent d’attendre qu’il nous dise, après l’avoir examinée à loisir, ce qu’il y aura lu et ce qu’il en pense.

Venons à des faits plus précis, qui montreront directement s’il est beaucoup à craindre que de nouvelles découvertes, et les lumières qui en résulteront, ne s’opposent invinciblement aux bornes étroites que nous avons cru devoir donner à la chronologie et à l’histoire vraies de l’Égypte, et ne nous forcent d’abandonner les preuves sur lesquelles nous nous sommes appuyés.

Il n’existe jusqu’à présent, et vraisemblablement on n’aura jamais de monuments au-dessus d’un petit nombre de rois antérieurs à la XVIIIe dynastie, et ce n’est que pour cette dynastie que les monuments deviennent nombreux et importants. Ce serait beaucoup, sans doute, d’avoir enrichi de faits remarquables, d’une histoire complète, si l’on veut, la liste nominale de ces Pharaons et de leurs successeurs : ce ne sera rien pour nous, si on nous laisse ignorer l’époque à laquelle ils ont régné. Pense-t-on que de nouveaux monuments nous apprendront ce que les premiers ne nous ont pas fait connaître ? M. Champollion ne paraît pas s’en flatter ; et, dans son dernier ouvrage comme dans les précédents, ne voyant que Manéthon et sa chronologie, et ne raisonnant jamais que d’après l’idée qu’il s’est faite de l’irréfragable autorité de l’un et de la parfaite exactitude de l’autre, il ne s’appuie jamais que sur la chronologie de Manéthon. Nous avons besoin d’un témoignage plus décisif ; et tant qu’il ne sera pas démontré, soit que les preuves se tirent des monuments ou d’ailleurs, que la grande dynastie doit nécessairement être placée avant la délivrance du Peuple Hébreu ; fondés sur la chronologie des Livres saints, et sans égard pour celle de Manéthon, nous croirons rester en droit de renvoyer après cette époque la dynastie tout entière. Ajoutons que si elle y est nécessairement placée par la Chronologie, elle s’y trouvera placée très convenablement pour l’Histoire. L’histoire de l’Asie, et celle du Peuple Hébreu en particulier, ne permettent pas de penser à de grandes entreprises des Pharaons sur cette partie du continent, depuis le retour des Enfants d’Israël dans le pays de Chanaan jusqu'à la fin du règne de Salomon : ce qui n’empêche pas que ces princes n'aient pu avoir de fréquentes guerres à soutenir en Afrique, soit qu’ils ambitionnassent de faire des conquêtes, soit qu’ils eussent à se défendre. Ainsi les Thoutmosis soumirent les Nubiens, et peut-être d’autres peuples plus éloignés, compris avec eux sous la dénomination d’Éthiopiens. Leurs successeurs étaient probablement maîtres de la Libye avant l’expédition de Sésonchis ; et ils auraient, au temps d’Osymandias, porté leurs armes jusque dans l’Arabie, si l’on en jugeait par l’inscription dont parle un voyageur. L’apparition en Judée d’un Éthiopien, roi d’Égypte, suppose une grande révolution dans l’intérieur du pays. Quelle en fut la durée ? quels en furent les phases et les évènements divers ? Le changement de dynastie, qui mit les Ramessès à la place des Thoutmosis, ne s'effectua pas non plus sans lutte et sans combats.

Les occasions ne manquèrent donc pas aux Pharaons de ce temps pour élever des monuments et célébrer des victoires, et cependant ils ne sortent point de l’Égypte ; les tableaux mêmes, où l’on a cru voir clairement les expéditions lointaines de Sésostris, n’indiquent, au vrai, que des peuples Africains vaincus et soumis. Il n’y a rien par conséquent, dans ce que nous savons de la XVIIIe dynastie, qui empêche de la mettre après la Sortie des Hébreux.

Allons plus loin, et cherchons à quoi tient principalement cette facilité de transporter la XVIIIe dynastie à une époque si différente de celle que la chronologie Égyptienne lui assigne. Elle tient à une circonstance particulière, qu’exige impérieusement cette époque, et qu’offre heureusement la dynastie : à un éloignement marqué de ses Pharaons pour les guerres étrangères, qui les retient constamment sur le sol de l’Afrique, sans oser dépasser la Mer Rouge, sans être tentés de porter leurs armes victorieuses dans l’Asie, où s’offraient à leur ambition tant de gloire à acquérir et tant de riches conquêtes à faire. Ce phénomène, car c’en est un dans l’histoire de ces anciens empires, l’Écriture l’explique, mais pour l’époque dont il est question seulement ; à toute autre, on ne saurait en rendre raison. Il se pourrait donc que ce qui rend facile de placer la XVIIIe dynastie après la catastrophe du Pharaon oppresseur des Hébreux, rendit impossible de la placer ailleurs.

En effet, qu’on la mette au-dessus de cet événement, qu’on l’élève même à la hauteur où Manéthon la porte, on demandera ce qui a pu contenir ces monarques dans les bornes où ils se sont constamment renfermés, avec la puissance et les dispositions qu’on leur reconnaît, et que leurs propres monuments attestent ? N’auraient-ils pas eu des rivaux en Asie, qui eussent éveillé leur orgueil jaloux ; des rois conquérants, comme ils l’étaient eux-mêmes en Afrique, dont il importait de prévoir les desseins et de prévenir les entreprises ; qu’il fallait les premiers attaquer pour arrêter leur agrandissement, ou contre lesquels il eût bien enfin fallu se défendre ? Car c’est une chimère, à laquelle on s’est trop légèrement livré, que d’imaginer une nation parvenue à un tel degré de civilisation, de progrès dans les arts, de prospérité et de force, lorsque le reste du monde était encore dans l’enfance. On risquerait moins de s’éloigner de la vérité, si l’on supposait de grands empires déjà formés sur les bords de l’Euphrate et du Gange, dans les contrées berceau du genre humain, avant qu’il y en eût un semblable dans la vallée du Nil.

Tout concourt donc à fixer la place de la XVIIIe et de la XIXe dynastie, et avec elles celle des monuments de leurs Pharaons, après la délivrance du Peuple Hébreu et sa sortie de l’Égypte. Mais tous les monuments, même ceux de Thèbes, n’appartiennent pas à ces deux dynasties : il en est, dans l’une et dans l’autre Égypte, que des Pharaons, venus longtemps après, peuvent revendiquer, et qui pourront aussi fournir des renseignements à l’Histoire, quand ils auront été examinés et décrits avec soin.

Sésonchis fut le premier des Pharaons qui osa franchir les limites dans lesquelles ses prédécesseurs s’étaient jusque-là renfermés ; mais il n’alla pas plus loin que Jérusalem, et se contenta de l’immense butin qu’il y fit. Zaré fut moins heureux : il perdit une grande bataille et son armée d’un million d’hommes. L’un et l’autre étaient étrangers aux anciennes races indigènes qui venaient de s’éteindre. On ne sait si celui dont Salomon épousa la fille était Éthiopien comme eux ; mais il n’entra avec une armée dans le pays des Philistins que comme allié du roi de Juda, et pour combattre à son profit. Déjà peut-être se formait au loin la puissance contre laquelle l’Égypte devait lutter un jour.

La Mésopotamie, habitée dès l’origine par les Araméens, était devenue un royaume considérable, avant même le retour des Israélites dans la Terre promise à leurs pères : cent ans après leur sortie de l’Égypte, Chusan Rasathaïm, roi d’Aram des deux fleuves, avait pu étendre sa domination jusqu’au pays de Chanaan, et les asservir. C’est peut-être ce royaume, qui comprenait alors les deux pays d’Aram, ou les deux Syries, et qui put se maintenir longtemps dans cet état, que les Anciens ont appelé le premier empire d’Assyrie. Au temps des rois de Juda et d’Israël, s’élevait dans les mêmes contrées un nouvel et plus puissant empire, véritablement Assyrien, celui que les Livres sacrés ne désignent jamais que par le nom d’Assur. Les rois de Ninive, quittant les montagnes de l’Arménie et de la Médie, et s’avançant, plus ou moins rapidement, dans les plaines de la Mésopotamie, l’occupèrent enfin tout entière, des deux côtés du Tigre et de l’Euphrate, et jusqu’à leur embouchure dans le Sein Persique. Ils durent alors tourner leurs armes vers les riches contrées qui s’offraient à eux au Midi. Phul soumit au tribut le royaume de Syrie, et sous Manahem, qui régna de 771 à 761 avant l’ère chrétienne, le royaume d’Israël. Quarante ans environ après, le roi Osée, voyant les Assyriens maîtres de Damas, et craignant pour lui-même, chercha un appui dans le roi d’Égypte, et fit alliance avec Sua, le Sévéchus ou le Sabbacos des dynasties, qui n’empêcha pas la prise de Samarie ni la ruine du royaume d’Israël.

C’est ici, vers l’année 725 avant notre ère et 766 après la sortie d’Égypte, qu’on voit, pour la première fois, les Pharaons prendre une part active aux affaires de l’Asie, et s’occuper sérieusement de mettre une barrière aux envahissements des rois d’Assyrie. De ce moment, la guerre fut déclarée entre les deux puissances rivales et ne devait plus finir que par la destruction de l’une ou de l’autre. Aussi, lorsque Sennachérib, quinze ans après, vient menacer Ézéchias sous les murs mêmes de Jérusalem, Tharaca se hâte d’accourir à son secours ; et toutes les forces de l’Égypte et de l’Assyrie se seraient trouvées en présence, si Dieu n’eût pas voulu opérer seul le salut de son peuple. Battus d’abord par Asarhaddon, et après avoir vu leur royaume ravagé et un nombre de leurs sujets emmenés captifs, les Pharaons se relèvent ; Psammitichus rend à la monarchie son ancienne splendeur, et Néchao se trouve assez fort pour porter la guerre au sein du royaume de Babylone, qui s'élevait sur les débris de celui des Assyriens, gagner des batailles, prendre des villes, déposer des rois, en créer d’autres, et leur donner de nouveaux noms, comme étant devenu leur souverain ; envahir tout jusqu’à l’Euphrate, et se maintenir longtemps dans la Mésopotamie. Il est battu enfin, lui et son armée, dans la quatrième année de cette expédition, et se renfermant dans son pays, dit l’Écriture, pour n’en plus sortir, il abandonne au roi de Babylone toutes ses conquêtes, depuis l’Euphrate jusqu’au fleuve d’Égypte[3].

Il y eut donc en Égypte, après l’extinction des races Thébaines, et en commençant au règne de Sésonchis, des Pharaons illustres et des événements mémorables, des mouvements intérieurs, des expéditions au dehors et au loin, des victoires et des défaites, des villes prises, des pays conquis, des rois, les uns vaincus, les autres déposés ou établis à la volonté du vainqueur. Il y eut donc aussi, la conséquence est nécessaire, comme sous les dynasties précédentes, des monuments érigés pour rehausser la gloire et rendre plus durable le souvenir de ces hauts faits. Serait-ce sur ces monuments de récente date, que se trouveraient les tableaux sculptés qui offrent, nous dit-on, l’histoire entière des plus célèbres Pharaons, qui font connaître leurs principales expéditions contre les peuples qui jouaient un rôle important en Afrique et dans l’Asie occidentale, contre les nations qui pouvaient alors lutter de puissance avec l’Égypte, et lui disputer l’empire de l’ancien monde ? Il paraît du moins que ces monuments, s’ils sont tels qu’on les dépeint, conviennent très bien à l’histoire de l’Égypte sous les derniers Pharaons, et n’ont, au contraire y presque aucun rapport avec les faits que retracent ceux des rois Thébains.

Il est vrai, si notre observation est juste, qu’on ne pourrait plus dire que les notions acquises par l’étude de ces monuments, nous reporteront aux premiers temps de la civilisation humaine, à des époques sur lesquelles l’histoire est encore muette, à un ancien monde que nous n’apercevons encore qu’à travers mille incertitudes. Mais on en sera dédommagé par l’avantage de sortir de ces exagérations, qui fascinent l’esprit et l’égarent dans ses recherches, comme elles l’ont égaré dans ses espérances : on se trouvera moins éloigné déjà de la vérité, plus à portée de l’atteindre, plus en état de la reconnaître quand elle se présentera, et tout disposé à la saisir et à s’y attacher quand on l’aura reconnue.

Ajoutons encore deux considérations, qui semblent surtout prouver, d’une manière directe, que les dynasties Thébaines étaient effectivement beaucoup plus rapprochées des dynasties Ethiopiennes que ne le suppose Manéthon, et finissons par-là cet ARTICLE, qui ne s’est allongé qu’à raison de son importance.

Les inscriptions ont fait connaître que des Pharaons, au-dessous même de Sésonchis, s’occupaient encore des temples et des autres édifices de la grande dynastie ; qu’ils se faisaient un mérite d’en achever des parties qui manquaient ou étaient restées imparfaites, d’y ajouter des décorations nouvelles qui avaient dû entrer dans le plan originaire, ou dont ils demeuraient au moins susceptibles. S’ils étaient aussi anciens qu’on le croit, comment aurait-il encore manqué quelque chose à ces monuments élevés à si grands frais, si respectés d’un peuple superstitieux à l’excès, si intéressants pour la vanité des rois, et auxquels tant de Pharaons auraient pu successivement travailler ? Comment n’auraient-ils pas reçu depuis longtemps tous les embellissements qui pouvaient leur convenir ? L’état d’imperfection où ont été laissées la plupart de ces grandes constructions, les palais comme les temples, ne peut guère s’expliquer qu’en admettant le fait, que les premiers auteurs n’ont pas eu le temps d’y mettre eux-mêmes la dernière main. Pourquoi encore des princes, venus plusieurs siècles après, y auraient-ils cherché, dans quelques coins obscurs, des places vides pour y écrire leurs noms, qu’eussent mis plus au jour les plus simples monuments érigés de leurs mains ?

Quand on met les deux principales dynasties à la hauteur où Manéthon les place, et que de là on parcourt la suite des monuments Égyptiens, on voit après elles un long espace de temps, où l’art de bâtir semble mort, et le goût de la grande architecture éteint. Des siècles s’écoulent entre l’époque des Thutmosis et des Ramessès, si féconde en ce genre, et celle où l’Égypte, reprenant ses habitudes et ses travaux, reproduit ses anciennes merveilles. Cela est-il dans l’ordre naturel, et en assignera-t-on une cause plausible ? On la chercherait vainement ; mais tout s’expliquera, dès qu’on aura remis les dynasties Thébaines à leur véritable place.

 

 

 



[1] Aperçu des résultats historiques, p. 18 et suiv.

[2] Ammien Marcellin, Lib. XVII. 14.

[3] 4. Reg. XXIV. 7.