Suivant Manéthon, les
Pasteurs, repoussés d’abord de la haute Égypte par le dernier roi de la XVIIe
dynastie, sont enfin complètement expulsés par son fils premier roi de la
XVIIe ; voilà donc, d’après les Égyptiens mêmes, l’époque où les Israélites
rompirent leurs fers, et recouvrèrent leur liberté. — Le premier de ces rois
s’appelait Amosis, le second Thoutmosis, et ce dernier nom fut successivement
porté par leurs cinq ou six successeurs. — On y retrouve manifestement le nom
de Moïse, pur dans Amosis, et joint dans les autres à celui de leur Thot ou
Hermès. — Pourquoi le prirent-ils et le gardèrent-ils si longtemps avec une
sorte d’affectation ? — Pourquoi les deux royaumes d’Égypte, jusque-là
séparés, furent-ils alors réunis sous la puissance des rois Thébains ?
Si
l’époque de l’expulsion des Pasteurs, dans la Chronologie Égyptienne, marque
l’époque où Moïse et les Hébreux sortirent de l’Égypte, c’est dans les
derniers temps de la XVIIe dynastie ou dans les commencements de la XVIIIe,
qu’il faut placer cet événement. Les Anciens s’accordent assez généralement à
mettre l’expulsion des Pasteurs sous le premier roi de celle-ci, qu’ils
nomment, les uns Amosis, les autres Thoutmosis, et d’autres encore Aménophis.
Quant à la sortie des Hébreux, les Auteurs Chrétiens, en fixant l’époque
d’après leurs différents systèmes, durent nécessairement la rapporter à des
rois différents, plus ou moins éloignés les uns des autres, quoique toujours
comptés parmi les premiers de la XVIIIe dynastie. Eusèbe lui-même, qui
croyait, ou du moins regardait comme très vraisemblable, que les Pasteurs
étaient les Hébreux, renvoyait la sortie de ceux-ci au cinquième roi de cette
dynastie qu’il appelle Misphragmuthosis, nom que d’autres, donnaient au
dernier roi de la dynastie précédente, qui avait porté les premiers coups aux
Pasteurs, et les avait forcés à se renfermer dans leur ville d’Abaris.
N’est-ce pas perdre sa peine que de chercher à rapprocher des idées opposées
ou divergentes, et toujours arbitraires ? Manéthon
paraît être la source où les Anciens ont puisé : arrêtons-nous à lui et
voyons si l’on peut en tirer quelque chose de plus positif. C’était, selon
Manéthon, le chef de la grande dynastie qui avait achevé de purger l’Égypte
des Hyksos, et te roi était Thoutmosis ; mais le père de Thoutmosis les avait
déjà chassés de la Haute et de la Basse Égypte, et partageait ainsi la gloire
de leur expulsion. L’extrait que nous avons des dynasties ne nous donnant pas
les noms des rois de la XVIIe, nous ne pouvons pas connaître par-là le nom du
premier vainqueur des Hyksos : mais un passage du Syncelle, où il dit que le
dernier roi de cette dynastie était Ahmosis, nous l’apprend : Ante Amosin dynastiœ décimœ septimœ regem
quartum et ultimum. (p. 69.) Il le lisait sans doute dans
Jules Africain ; et cet exemple prouve, ainsi que d'autres passages, qu’il se
permettait de mutiler son auteur, et que la liste de Jules Africain était
plus complète qu’il ne la donne. De là viennent ces extraits plus étendus des
dynasties de Manéthon, que l’on retrouve dans Eusèbe, et que celui-ci avait,
selon toutes les apparences, ainsi que nous l'avons déjà observé tirés de
Jules Africain ; mais qui étaient déjà perdus au temps du Syncelle ou que cet
Auteur aura lui-même supprimés. Thoutmosis
avait expulsé les premiers Pasteurs, les Hyksos ; mais Manéthon, comme on l’a
vu, supposait une seconde invasion de Pasteurs Solymites, et ceux-ci avaient
été battus et chassés par Aménophis. Ces deux invasions n’en faisant qu’une
au fond, et celui qui termina la première étant réellement le même qui
termine ici la seconde, il semblerait que, chez les Égyptiens, le chef de la
XVIIIe dynastie portait également le nom d’Aménophis et celui de Thoutmosis.
Ainsi la tradition primitive des Égyptiens sur les rois de l’époque célèbre
dont nous parlons, se trouverait conforme à ce que les monuments viennent de
constater. M. Champollion, qui avait déjà trouvé le vrai nom du premier roi
de la XVIIIe dynastie, Amenoph ou Aménophis, nous apprend, dans un écrit
récent[1], que le nom monumental du
dernier roi de la XVIIIe était Aahmos, dont les Grecs ont fait Amosis. Le
Thoutmosis qui vient après Amenof serait le second du nom. Le nom
de Thoutmosis diffère peu d’Amosis ; il le renferme, et en dérive évidemment.
Or ce nom, depuis le premier Thoutmosis, semble affecté à sa race, et les
quatre ou cinq rois qui lui succèdent le portent ; M. Champollion nous fait
lui-même observer « la prédilection de cette famille de souverains pour le
nom propre Thoutmosis, que Manéthon donne aussi à Amenof leur chef. » Cette
circonstance est assurément très-remarquable, comme il le dit ; mais ce qui
l’est encore plus, et qui est surtout plus important, c’est que ce nom favori
des rois de cette époque soit précisément celui de Moïse, M. S. H., ou M. Sᴴ. H., Moseb ou Mosheh. Ce
rapport n’avait pas échappé à l’Historien
des temps fabuleux, et il s’étonnait que de tant de Savants, anciens et
modernes, qui avaient cherché à fixer l’époque de Moïse dans la chronologie
Égyptienne, aucun n’en eût fait l’observation ; mais pour que l’idée en vînt
à l’esprit, il fallait connaître ce qu’est l’histoire de l’ancienne Égypte,
et comment elle s'est formée. Guérin du Rocher lui-même, qui en travaillant
sur ce que nous ont transmis les Auteurs, ne prévoyait pas ce que les
monuments nous apprendraient un jour, n’a pas saisi les justes conséquences
de la vérité qui se présentait à lui : il n’a vu ici qu’un nom fictif, tel
qu’il en a dévoilé ailleurs plusieurs autres, forgé par les conteurs
Égyptiens des siècles suivants, sur le nom de Moïse, et appliqué à un
prétendu roi ; au lieu d’y voir un roi véritable, qui s’approprie
volontairement ce nom et en fait le sien. On
objectera que les noms Amosis et Thoutmosis sont tout Égyptiens et ont dans
la langue leur signification. Nous ne contesterons pas le fait ; mais nous
dirons qu’ils n’en sont pas moins le nom de Moïse, et que toutes les
circonstances autorisent à penser, forcent de croire que ce nom a été pris et
porté comme étant et parce qu’il était celui de Moïse. Qu’y
aurait-il donc d’incroyable en cela, de la part de princes qui avaient
appris, et, pour ainsi dire, vu de leurs yeux, ce qui venait de se passer
dans le royaume le plus voisin, et avec lequel ils avaient le plus de
relations ? Tant et de si grands prodiges opérés par Moïse : cet empire
absolu qu’il exerce, soit sur les hommes, qu’il frappe et guérit, selon
qu’ils se montrent dociles ou rebelles ; soit sur les animaux, ceux même qui
échapperaient à tout autre pouvoir, et qu’il multiplie, rassemble, ou disperse
à son gré ; sur la nature entière, qui entend sa voix, et se montre toujours
prête à en exécuter les ordres : faudrait-il s’étonner que les Égyptiens
eussent vu dans l’auteur de ces merveilles un être d’un ordre supérieur, un
dieu caché, un autre Hermès ; et que leurs rois se fussent honorés d’en
prendre le nom, ou simplement et tel qu’il est, comme Amosis, ou en le
joignant à celui du grand Thot, comme le Thoutmosis ? Les Livres de Moïse,
c’est-à-dire les extraits qu’en tirèrent depuis les Égyptiens, ne furent-ils
pas pour eux les Livres d’Hermès ? La
catastrophe inouïe du Pharaon de Memphis dut faire une vive impression sur
les Pharaons de Thèbes ; et jusqu’où pouvaient conduire les sentiments
profonds d’admiration et de crainte que nous avons droit de leur supposer ?
Qu’on se représente l’esprit, non seulement religieux, mais superstitieux à
l’excès, de la nation ; qu’on se rappelle l’usage particulier de ses princes,
dans le choix et la formation des noms royaux qu’ils adoptaient ; et les noms
d’Aah-Moïse, de Thot ou Thout-Moïse, n’auront plus rien que de très naturel.
Serait-ce de là que venait la tradition Juive, rapportée par Josèphe des
guerres de Moïse dans l’Éthiopie et de la conquête de Saba sa capitale ? Ce
furent, à ce qu’il parait, les premiers Thoutmosis qui se rendirent maîtres
de la Nubie, confondue souvent avec l’Éthiopie » et la joignirent à leurs
États. On
conçoit le trouble et la confusion que produisit parmi les habitants de
Memphis et du reste de la Basse-Égypte, cette longue succession de fléaux de
toute espèce dont ils furent accablés ; la consternation que répandit dans
toutes les familles la mort soudaine des premiers-nés ; enfin, le désordre
général qui dut suivre la disparition du Pharaon et de son armée, qu’on ne
revit plus en Égypte. Ne peut-on pas croire que ces circonstances
malheureuses, qui laissaient le royaume sans gouvernement, sans force et sans
défense, marquent l’époque où il perdît son indépendance, et devint la proie
d’une puissance rivale, avec laquelle vraisemblablement il n’avait pas
toujours été en paix ? Ce qu’on sait des rois de la XVIIIe dynastie, donne
lieu de penser qu’ils étaient maîtres de l’Égypte entière, rien du moins ne
prouve que de leur temps Memphis eût encore des rois. Ce ne serait donc qu’au
commencement de cette dynastie, qu’on pourrait placer la réunion des deux
royaumes ; et c’est en effet alors que celui de l’Égypte inférieure fut
éteint comme le prouverait la découverte récente, mais encore trop peu
circonstanciée, du tombeau d’un Pharaon, près de Memphis. Ce prince régnait
sur la Basse-Égypte y puisqu’il y avait sa sépulture ; et si l’on a bien lu
son nom, s’il portait, comme on l’assure, le nom de Thoutmosis, il ne serait
pas douteux qu’il n’eût régné en même temps à Thèbes, et qu’il ne fût un des
premiers rois de la XVIIIe dynastie, celui peut-être qui avait profité des
désastres du pays pour s’emparer d’un trône vacant. Ainsi tout concourt, et les données de l’Histoire Égyptienne et les faits de l’Histoire sacrée, à montrer que les Pasteurs chassés de l’Égypte sont les Hébreux mêmes délivrés par Moïse de leur captivité ; que la sortie de ceux-ci fut suivie de près, comme on pouvait le conjecturer, de l’extinction du royaume de Memphis, et de la réunion de toute l’Égypte sous l’empire des rois Thébains ; que de ces deux évènements, l’un eut lieu au temps du dernier roi de la XVIIIe dynastie, l’autre au temps de ce même prince, ou de l’un de ses premiers successeurs ; et, pour dernière et principale conclusion, qu'il faut mettre la durée entière de la XVIIIe dynastie, après la Sortie d’Égypte, sans être effrayé, si on pouvait l’être encore, ni du nombre des rois que compte Manéthon, ni du nombre des années qu’il assigne à chaque règne, dans cette dynastie et les suivantes jusqu’à Sésonchis. |