LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

SECONDE PARTIE. — LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

CONSIDÉRÉES SOUS LE RAPPORT DE LA CHRONOLOGIE ET DE L’HISTOIRE

 

ARTICLE XIII. — EXPULSION DES PASTEURS.

 

 

Suivant Manéthon, les Pasteurs, repoussés d’abord de la haute Égypte par le dernier roi de la XVIIe dynastie, sont enfin complètement expulsés par son fils premier roi de la XVIIe ; voilà donc, d’après les Égyptiens mêmes, l’époque où les Israélites rompirent leurs fers, et recouvrèrent leur liberté. — Le premier de ces rois s’appelait Amosis, le second Thoutmosis, et ce dernier nom fut successivement porté par leurs cinq ou six successeurs. — On y retrouve manifestement le nom de Moïse, pur dans Amosis, et joint dans les autres à celui de leur Thot ou Hermès. — Pourquoi le prirent-ils et le gardèrent-ils si longtemps avec une sorte d’affectation ? — Pourquoi les deux royaumes d’Égypte, jusque-là séparés, furent-ils alors réunis sous la puissance des rois Thébains ?

 

Si l’époque de l’expulsion des Pasteurs, dans la Chronologie Égyptienne, marque l’époque où Moïse et les Hébreux sortirent de l’Égypte, c’est dans les derniers temps de la XVIIe dynastie ou dans les commencements de la XVIIIe, qu’il faut placer cet événement. Les Anciens s’accordent assez généralement à mettre l’expulsion des Pasteurs sous le premier roi de celle-ci, qu’ils nomment, les uns Amosis, les autres Thoutmosis, et d’autres encore Aménophis. Quant à la sortie des Hébreux, les Auteurs Chrétiens, en fixant l’époque d’après leurs différents systèmes, durent nécessairement la rapporter à des rois différents, plus ou moins éloignés les uns des autres, quoique toujours comptés parmi les premiers de la XVIIIe dynastie. Eusèbe lui-même, qui croyait, ou du moins regardait comme très vraisemblable, que les Pasteurs étaient les Hébreux, renvoyait la sortie de ceux-ci au cinquième roi de cette dynastie qu’il appelle Misphragmuthosis, nom que d’autres, donnaient au dernier roi de la dynastie précédente, qui avait porté les premiers coups aux Pasteurs, et les avait forcés à se renfermer dans leur ville d’Abaris. N’est-ce pas perdre sa peine que de chercher à rapprocher des idées opposées ou divergentes, et toujours arbitraires ?

Manéthon paraît être la source où les Anciens ont puisé : arrêtons-nous à lui et voyons si l’on peut en tirer quelque chose de plus positif. C’était, selon Manéthon, le chef de la grande dynastie qui avait achevé de purger l’Égypte des Hyksos, et te roi était Thoutmosis ; mais le père de Thoutmosis les avait déjà chassés de la Haute et de la Basse Égypte, et partageait ainsi la gloire de leur expulsion. L’extrait que nous avons des dynasties ne nous donnant pas les noms des rois de la XVIIe, nous ne pouvons pas connaître par-là le nom du premier vainqueur des Hyksos : mais un passage du Syncelle, où il dit que le dernier roi de cette dynastie était Ahmosis, nous l’apprend : Ante Amosin dynastiœ décimœ septimœ regem quartum et ultimum. (p. 69.) Il le lisait sans doute dans Jules Africain ; et cet exemple prouve, ainsi que d'autres passages, qu’il se permettait de mutiler son auteur, et que la liste de Jules Africain était plus complète qu’il ne la donne. De là viennent ces extraits plus étendus des dynasties de Manéthon, que l’on retrouve dans Eusèbe, et que celui-ci avait, selon toutes les apparences, ainsi que nous l'avons déjà observé tirés de Jules Africain ; mais qui étaient déjà perdus au temps du Syncelle ou que cet Auteur aura lui-même supprimés.

Thoutmosis avait expulsé les premiers Pasteurs, les Hyksos ; mais Manéthon, comme on l’a vu, supposait une seconde invasion de Pasteurs Solymites, et ceux-ci avaient été battus et chassés par Aménophis. Ces deux invasions n’en faisant qu’une au fond, et celui qui termina la première étant réellement le même qui termine ici la seconde, il semblerait que, chez les Égyptiens, le chef de la XVIIIe dynastie portait également le nom d’Aménophis et celui de Thoutmosis. Ainsi la tradition primitive des Égyptiens sur les rois de l’époque célèbre dont nous parlons, se trouverait conforme à ce que les monuments viennent de constater. M. Champollion, qui avait déjà trouvé le vrai nom du premier roi de la XVIIIe dynastie, Amenoph ou Aménophis, nous apprend, dans un écrit récent[1], que le nom monumental du dernier roi de la XVIIIe était Aahmos, dont les Grecs ont fait Amosis. Le Thoutmosis qui vient après Amenof serait le second du nom.

Le nom de Thoutmosis diffère peu d’Amosis ; il le renferme, et en dérive évidemment. Or ce nom, depuis le premier Thoutmosis, semble affecté à sa race, et les quatre ou cinq rois qui lui succèdent le portent ; M. Champollion nous fait lui-même observer « la prédilection de cette famille de souverains pour le nom propre Thoutmosis, que Manéthon donne aussi à Amenof leur chef. » Cette circonstance est assurément très-remarquable, comme il le dit ; mais ce qui l’est encore plus, et qui est surtout plus important, c’est que ce nom favori des rois de cette époque soit précisément celui de Moïse, M. S. H., ou M. S. H., Moseb ou Mosheh. Ce rapport n’avait pas échappé à l’Historien des temps fabuleux, et il s’étonnait que de tant de Savants, anciens et modernes, qui avaient cherché à fixer l’époque de Moïse dans la chronologie Égyptienne, aucun n’en eût fait l’observation ; mais pour que l’idée en vînt à l’esprit, il fallait connaître ce qu’est l’histoire de l’ancienne Égypte, et comment elle s'est formée. Guérin du Rocher lui-même, qui en travaillant sur ce que nous ont transmis les Auteurs, ne prévoyait pas ce que les monuments nous apprendraient un jour, n’a pas saisi les justes conséquences de la vérité qui se présentait à lui : il n’a vu ici qu’un nom fictif, tel qu’il en a dévoilé ailleurs plusieurs autres, forgé par les conteurs Égyptiens des siècles suivants, sur le nom de Moïse, et appliqué à un prétendu roi ; au lieu d’y voir un roi véritable, qui s’approprie volontairement ce nom et en fait le sien.

On objectera que les noms Amosis et Thoutmosis sont tout Égyptiens et ont dans la langue leur signification. Nous ne contesterons pas le fait ; mais nous dirons qu’ils n’en sont pas moins le nom de Moïse, et que toutes les circonstances autorisent à penser, forcent de croire que ce nom a été pris et porté comme étant et parce qu’il était celui de Moïse.

Qu’y aurait-il donc d’incroyable en cela, de la part de princes qui avaient appris, et, pour ainsi dire, vu de leurs yeux, ce qui venait de se passer dans le royaume le plus voisin, et avec lequel ils avaient le plus de relations ? Tant et de si grands prodiges opérés par Moïse : cet empire absolu qu’il exerce, soit sur les hommes, qu’il frappe et guérit, selon qu’ils se montrent dociles ou rebelles ; soit sur les animaux, ceux même qui échapperaient à tout autre pouvoir, et qu’il multiplie, rassemble, ou disperse à son gré ; sur la nature entière, qui entend sa voix, et se montre toujours prête à en exécuter les ordres : faudrait-il s’étonner que les Égyptiens eussent vu dans l’auteur de ces merveilles un être d’un ordre supérieur, un dieu caché, un autre Hermès ; et que leurs rois se fussent honorés d’en prendre le nom, ou simplement et tel qu’il est, comme Amosis, ou en le joignant à celui du grand Thot, comme le Thoutmosis ? Les Livres de Moïse, c’est-à-dire les extraits qu’en tirèrent depuis les Égyptiens, ne furent-ils pas pour eux les Livres d’Hermès ?

La catastrophe inouïe du Pharaon de Memphis dut faire une vive impression sur les Pharaons de Thèbes ; et jusqu’où pouvaient conduire les sentiments profonds d’admiration et de crainte que nous avons droit de leur supposer ? Qu’on se représente l’esprit, non seulement religieux, mais superstitieux à l’excès, de la nation ; qu’on se rappelle l’usage particulier de ses princes, dans le choix et la formation des noms royaux qu’ils adoptaient ; et les noms d’Aah-Moïse, de Thot ou Thout-Moïse, n’auront plus rien que de très naturel. Serait-ce de là que venait la tradition Juive, rapportée par Josèphe des guerres de Moïse dans l’Éthiopie et de la conquête de Saba sa capitale ? Ce furent, à ce qu’il parait, les premiers Thoutmosis qui se rendirent maîtres de la Nubie, confondue souvent avec l’Éthiopie » et la joignirent à leurs États.

On conçoit le trouble et la confusion que produisit parmi les habitants de Memphis et du reste de la Basse-Égypte, cette longue succession de fléaux de toute espèce dont ils furent accablés ; la consternation que répandit dans toutes les familles la mort soudaine des premiers-nés ; enfin, le désordre général qui dut suivre la disparition du Pharaon et de son armée, qu’on ne revit plus en Égypte. Ne peut-on pas croire que ces circonstances malheureuses, qui laissaient le royaume sans gouvernement, sans force et sans défense, marquent l’époque où il perdît son indépendance, et devint la proie d’une puissance rivale, avec laquelle vraisemblablement il n’avait pas toujours été en paix ? Ce qu’on sait des rois de la XVIIIe dynastie, donne lieu de penser qu’ils étaient maîtres de l’Égypte entière, rien du moins ne prouve que de leur temps Memphis eût encore des rois. Ce ne serait donc qu’au commencement de cette dynastie, qu’on pourrait placer la réunion des deux royaumes ; et c’est en effet alors que celui de l’Égypte inférieure fut éteint comme le prouverait la découverte récente, mais encore trop peu circonstanciée, du tombeau d’un Pharaon, près de Memphis. Ce prince régnait sur la Basse-Égypte y puisqu’il y avait sa sépulture ; et si l’on a bien lu son nom, s’il portait, comme on l’assure, le nom de Thoutmosis, il ne serait pas douteux qu’il n’eût régné en même temps à Thèbes, et qu’il ne fût un des premiers rois de la XVIIIe dynastie, celui peut-être qui avait profité des désastres du pays pour s’emparer d’un trône vacant.

Ainsi tout concourt, et les données de l’Histoire Égyptienne et les faits de l’Histoire sacrée, à montrer que les Pasteurs chassés de l’Égypte sont les Hébreux mêmes délivrés par Moïse de leur captivité ; que la sortie de ceux-ci fut suivie de près, comme on pouvait le conjecturer, de l’extinction du royaume de Memphis, et de la réunion de toute l’Égypte sous l’empire des rois Thébains ; que de ces deux évènements, l’un eut lieu au temps du dernier roi de la XVIIIe dynastie, l’autre au temps de ce même prince, ou de l’un de ses premiers successeurs ; et, pour dernière et principale conclusion, qu'il faut mettre la durée entière de la XVIIIe dynastie, après la Sortie d’Égypte, sans être effrayé, si on pouvait l’être encore, ni du nombre des rois que compte Manéthon, ni du nombre des années qu’il assigne à chaque règne, dans cette dynastie et les suivantes jusqu’à Sésonchis.

 

 

 



[1] Deuxième Lettre, p. 46.