LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

SECONDE PARTIE. — LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

CONSIDÉRÉES SOUS LE RAPPORT DE LA CHRONOLOGIE ET DE L’HISTOIRE

 

ARTICLE X. — SÉSOSTRIS.

 

 

Les Égyptiens n’en ont connu qu’un dont ils ont transporté successivement le nom et les exploits à des époques différentes et très éloignées l’une de l’autre. — L’opinion qui le place dans les temps plus anciens, a dû être la plus ancienne. — Il n’est pas la Ramessès, chef de la XIXe Dynastie. — D’où a été tirée sa fabuleuse histoire.

 

Le nom et les exploits de Sésostris furent célèbres dans l’antiquité, au moins depuis Hérodote ; et ce héros, un peu décrédité, semble reprendre toute sa réputation et briller même d’un nouvel éclat, depuis les découvertes faites sur l’ancienne Égypte. Les monuments, dit-on, s’unissent à l’histoire pour constater irrévocablement, d’une part, son existence et ses conquêtes, de l’autre, l’époque où il a vécu ; il est, sans aucun doute, le Sétois ou Ramessès, chef de la XIXe dynastie : et celui-ci en effet ne paraît plus dans les écrits du jour que sous la dénomination du grand Sésostris, ou, quand on lui conserve son nom monumental, de Ramessès Legrand. M. Champollion est aussi prononcé et aussi ferme sur tous ses points, dans la nouvelle édition de son Précis qui m’arrive à l’instant, qu’il l’était dès la première.

Le règne de Sésostris a toujours embarrassé les critiques, qui ont voulu le faire entrer dans les temps vrais de l’Histoire ; quoiqu’ils eussent alors une assez grande liberté d’en avancer ou d’en reculer l’époque. Il deviendrait plus embarrassant maintenant qu’on lui assigne une place fixe dans une chronologie, regardée comme à peu près certaine et désormais immuable : pour lever les difficultés qui se présenteraient, on se croirait en droit de ramener à ce point déterminé de l’histoire et de la chronologie Égyptienne, la chronologie générale des anciens peuples, et l’histoire la mieux connue de chacun d’eux en particulier. Quelques réflexions sur le Sésostris-Ramessès ne paraîtront donc pas déplacées.

Nous avons fait remarquer qu’en combinant la Chronologie sainte pour l’intervalle des temps entre Sésac et la Sortie d’Égypte, avec la chronologie des dynasties, ce dernier événement aurait eu lieu 46 ans avant le Séthosis de Manéthon, le Ramessès-Sésostris dont nous parlons. Ce serait donc 46 à 50 ans après la Sortie d’Égypte, qu’il faudrait placer l’expédition de Sésostris ; car les Anciens la mettent dans les premières années de son règne. Elle tomberait ainsi nécessairement au temps où les Israélites étaient déjà entrés dans la Terre-Promise, où même ils en achevaient la conquête, et commençaient à jouir des années de repos qui remplirent le reste du gouvernement de Josué, et se prolongèrent longtemps encore après, jusqu’à l’invasion du roi de la Mésopotamie. Trouverait-on le moment opportun pour une invasion de six ou sept cent mille Égyptiens, le ravage et l’assujettissement du pays, et l’érection dans la Syrie même de ces colonnes infamantes, qui devaient en être un témoignage éternel, au rapport d’Hérodote ? car on n’oublie pas cette circonstance.

La difficulté deviendrait bien plus grande, s’il fallait, comme nous l’avons prouvé, enlever à la Chronologie, une grande partie des rois de la XIXe dynastie ou les deux suivantes : en général, elle sera d’autant plus insoluble, que le règne de Séthosis ou Ramessès-Sésostris sera plus retardé. D’Origny la sentait peut-être et cherchait à l’éviter, quand, par la combinaison de ses dynasties collatérales, il faisait tomber le Passage de la Mer Rouge à la dernière année d’Aménophis, le père de Séthosis, suivant Manéthon ; ce qui plaçait en effet l’expédition au temps où les Israélites erraient dans le Désert, et plusieurs années avant leur entrée dans la Terre de Chanaan. Il restait à expliquer comment le nouveau roi d’Égypte, presque immédiatement après le désastre de son prédécesseur et les coups redoublés qui avaient frappé sa nation, aurait eu les moyens, ou même la pensée, de former une pareille entreprise : comment son armée aurait passé si près du camp mobile des Hébreux, non seulement sans le rencontrer, mais sans que ni l’un ni l’autre de ces immenses corps de troupes eût eu connaissance, ou se fût aucunement inquiété, de l’approche ou du voisinage, de la marche au moins de l’ennemi ; et cela par deux fois, puisque Sésostris rentra dans ses états au bout de neuf ans, et dut y revenir par le même chemin. C’est donner beaucoup aux hasards de la guerre. On peut voir dans l’Auteur, de quelle manière il se tire de ces deux objections, les seules qu’il se soit faites[1]. Les Savants qui, en étudiant l’Antiquité, n’ont cherché et n’ont voulu admettre que le vrai, se sont donc assez généralement accordés sur ce point, que les conquêtes de Sésostris ne pouvaient trouver place dans l’Histoire profane à aucune époque des siècles connus, ni dans l’Histoire du Peuple Hébreu à aucune époque postérieure à sa Sortie d’Égypte. Ils en concluaient qu’il fallait, ou les ranger parmi les fables dont se sont bercées à l’envi les nations, ou les renvoyer à cette nuit des temps, qui peut tout admettre par la même raison qu’elle ne peut rien garantir. Sur quoi donc se fonde aujourd’hui l’assurance avec laquelle on rappelle les exploits de Sésostris, en les attribuant à Séthosis-Ramessès ? Ces deux noms ne sauraient aller ensemble, et quelque époque qu’on assigne au premier, elle ne peut pas être celle que Manéthon donne au second : c’est ce qui résulte évidemment des observations précédentes. Mais supposons la possibilité du fait, quelles preuves donne-t-on de sa réalité ?

On invoque d’abord le témoignage des monuments mêmes de ce Ramessès, qui portent son image, et montrent « qu’il fut un souverain guerrier, puisque leurs sculptures représentent des sièges, des combats, des marches militaires, des passages de fleuves, des peuples vaincus ou captifs[2]. » Fort bien pour Ramessès-le-Grand ; mais, sans alléguer des exemples de ce que peuvent en ce genre la vanité du prince ou l’adulation des sujets, nous demanderons si ces tableaux offrent quelques indices propres à Sésostris, et qui en caractérisent les conquêtes ; car c’est là pour nous la question.

On y voit des sièges, c’est-à-dire, des palissades en bois brut, élevées sur des rocs et que des soldats escaladent ; représentations insignifiantes et peut-être de fantaisie, qui ont fait penser à un savant, recueillant des notions sur les guerres anciennes, que le sculpteur avait voulu figurer celles de Sésostris dans les montagnes du Caucase, et la nature des défenses dont les sauvages qui les habitent entourent leurs demeures escarpées. Comme si le conquérant de l’Asie n’avait rencontré sur la route ni grandes villes, ni fortes places, qu’il lui fût plus glorieux d’emporter d’assaut ; ou que Ramessès n’eût pu, sans s’éloigner de l’Égypte, trouver des huttes de Libyens à renverser, et des fugitifs à poursuivre dans les rochers, où ils auraient cherché un refuge. On y voit des batailles, dans lesquelles le héros parait monté sur son char et presque nu, décochant des flèches sur les malheureux sans vêtement et sans armes, qu’il a choisi pour victimes et qui mordent la poussière à ses pieds. On y voit des vaincus, des captifs, dont tout ce qu’on peut dire est que leur couleur et leur costume n’ont rien de commun avec les Égyptiens : lorsqu’il faudrait leur trouver au moins quelque chose de commun avec les peuples Asiatiques. Un voyageur, qui a dessiné les objets sur les lieux a cru reconnaître des Indiens : ce serait un trait nouveau, et aussi remarquable par-là que par lui-même, dans l’histoire de Sésostris.

Des fleuves à traverser, des troupes en marche peuvent avoir place dans tous les tableaux de ce genre et n’indiquent rien de particulier : rien donc jusque-là qui soit propre à Sésostris. Mais une dernière circonstance prouve directement qu’il ne s’agit ici ni de lui ni de ses conquêtes.

Le roi guerrier, qui a érigé les monuments, n’a pris soin sans doute de joindre à la représentation de ses combats, celle de diverses espèces d’animaux qui lui sont offerts en hommage ou comme tribut, que pour désigner les pays divers qu’il avait soumis, et montrer jusqu’où il avait porté ses armes : or, le pays natal de toutes ces espèces est connu, et toutes appartiennent à l’Afrique. On en fait l’énumération : des girafes, des autruches, des singes, des gazelles ; et l’on en conclut « qu’il pénétra surtout en vainqueur, dans l’intérieur de l’Afrique. » C’est déjà quelque chose que de borner le témoignage de ses propres monuments à faire de l’Afrique le principal théâtre de ses exploits, en nous laissant absolument sans preuve qu’il ait jamais pénétrée dans l’intérieur de l’Asie. Nous pousserons plus loin les conséquences à tirer de ce fait : nous dirons que si le vainqueur eût triomphé de l’Asie comme de l’Afrique, il n’eût pas été moins jaloux de transmettre à la postérité le souvenir de ses brillants faits d’armes dans l’une, que celui de ses petites guerres dans l’autre de ces deux parties du monde; que la conquête de l’Asie était bien plus glorieuse pour un roi d’Égypte, plus extraordinaire, et plus propre à flatter son orgueil, que toutes celles qu’il pouvait s’attribuer sur ses faibles voisins, à quelque point qu’il les eût portées ; qu’enfin, s’il eût voulu choisir, ce serait certainement les animaux et les productions de l’Asie, qui figureraient seuls sur les tableaux de ses victoires, et nous en indiqueraient aujourd’hui l’objet.

N’est-il pas singulier d’ailleurs de voir, d’un côté, les historiens de Sésostris presque uniquement occupés de ses exploits dans l’Asie, et de l’autre, ses monuments exclusivement consacrés à ses exploits dans l’Afrique ? Comme s’il n’avait lui-même attaché de prix qu’à ceux-ci, et qu’il eût dédaigné ou voulu faire oublier ceux-là. En faut-il davantage pour démontrer que le Sésostris de l’Histoire n’est pas celui des monuments, et que le Pharaon Ramessès est un tout autre personnage que le Pharaon Sésostris ?

On fait valoir la réponse des prêtres de Thèbes à Germanicus, qui demandait l’interprétation de caractères Hiéroglyphiques tracés sur des ruines : « Un roi d’Égypte nommé Ramsès, lui dit gravement le plus âgé d’entre eux, avait une armée de sept cent mille hommes, avec laquelle il soumit la Libye, l’Éthiopie, les Mèdes et les Perses ; » et le reste des détails du texte de Tacite. Mais que fait ici le vieux prêtre ? lisait-il sur les monuments mêmes qu’il avait sous les yeux, et dont on suppose qu’il déchiffrait couramment l’écriture, tout ce qu’il débitait au prince romain ? Non certes, puisqu’il parlait de lieux et de peuples auxquels les monuments n’ont aucun rapport, et ne font en aucune manière allusion. Quel était donc son rôle ? Il racontait simplement ce qu’il avait appris de ses devanciers, ce que lui et les siens répétaient à tous les voyageurs, ce qui se disait dans toute l’Égypte. Ne l’avaient-ils pas déjà dit à Diodore de Sicile ? et Hérodote ne l’avait-il pas appris des prêtres de Memphis avant Diodore ? Ce n’était donc là qu’une tradition plus ou moins ancienne, que ces prêtres rendaient comme ils l’avaient reçue, et à laquelle leur témoignage ne donnait pas plus de poids. Il ne faut pas que les noms imposent : leur récit des guerres de Ramsès devenait-il plus authentique, parce qu’il était fait devant Germanicus, et qu’il a été recueilli par Tacite ?

Au surplus, il y a beaucoup à rabattre de la haute idée qu’on se forme de Ramessès, et qui le fait paraître digne de soutenir le nom de Sésostris. Des tableaux de guerres et de combats, fussent-ils mieux caractérisés, n’ayant pas l’Histoire pour interprète, ne sauraient être considérés comme des témoignages positifs et irrécusables de son courage et de ses exploits ; nous en avons déjà fait la remarque. Eh ! que seraient, après tout, des victoires remportées sur quelques peuples de la Libye, des conquêtes plus ou moins étendues dans l’intérieur de ces pays barbares ou déserts ? Car ces monuments seuls n’apprendront jamais rien de plus. Ces nombreuses inscriptions, dont il aimait à charger toutes les parties des palais et des temples auxquels il mettait la main, annonceraient plutôt la juste crainte que sa mémoire ne pérît trop vite. Elles lui ont valu, de la part de son panégyriste, le sobriquet qu’appliquèrent en pareille occasion les plaisants de Rome à un illustre empereur : cette manie d’écrire son nom sur toutes les murailles est pour l’ordinaire bien loin du sentiment de la véritable gloire ; Ramessès put mériter le surnom de Pariétaire, et n’avoir que cela de commun avec Trajan. Il se pourrait donc que le chef de la XIXe dynastie n’eût été qu’un personnage vaniteux et médiocre, ce prince même, dont parlent les Historiens, qui, au milieu de son faste et de ses richesses, laissa décliner l’empire des Thébains, en prépara la ruine par sa faiblesse et sa négligence, et en vit peut-être le démembrement déjà commencé sous son règne.

Le prêtre d’Héliopolis, ou, comme on l’appelle, le prêtre de Sébennytus, Manéthon enfin, n’a pas plus d’autorité et n’en savait pas plus sur ce point que ses confrères de Thèbes : mais il fait connaître, par ce qu’il en dit, ce qu’était au fond la tradition Égyptienne.

Manéthon, il est vrai, attribuait à Séthosis, son premier roi de la XIXe dynastie, ce que les prêtres de Thèbes attribuaient à Ramsès : on le voit dans l’extrait de ses dynasties par Jules Africain, et mieux encore dans son propre Texte, rapporté par Josèphe. Il est vrai encore que Manéthon, soit dans ce même texte, soit dans un autre que M. Champollion a produit, remarque expressément que Séthosis ou Séthos portait aussi le nom Ramessès[3], d’où l’on est fondé à conclure que le Séthos des dynasties est ce Ramsès des Thébains.

Mais l’Auteur, dans une dynastie beaucoup plus ancienne, parle d’un autre conquérant qu’il nomme par son véritable nom, Sésostris ; le nom du moins qui a été plus généralement connu des Grecs et peut-être des Égyptiens, assez approchant d’ailleurs de Séthos, Séthosis, Sésoosis, pour n’en former qu’un seul avec ceux-ci : du reste le caractère, la renommée, les faits et gestes, sont les mêmes des deux côtés. Admettra-t-on dans l’histoire d’Égypte, comme le font quelques-uns, deux rois et deux règnes si remarquables, si parfaitement ressemblants, et néanmoins réellement distincts ? On ne saurait voir ici que la même histoire appliquée à deux rois différents, ou le même héros transporté d’une dynastie à une autre. Il n’y eut originairement, dans les annales Égyptiennes, qu’un seul Pharaon vainqueur de tous les peuples de l’Asie, qu’un seul Sésostris à qui on en attribuait la conquête.

Maintenant quel est ce Sésostris, puisque nous en trouvons deux avec les mêmes titres ? Il est évident que le véritable est celui dont l’époque remonte le plus haut. Si on l’avait placé d’abord dans la XIXe dynastie, il n’y aurait eu aucun motif de le reculer ensuite jusqu’à la XIe ; on n’y aurait jamais pensé. Supposez au contraire qu’au temps où l’existence d’un roi guerrier, tel qu’on se représentait Sésostris, fut reconnue, on l’eût renvoyé à quelqu’un de ces siècles obscurs, qui convenaient si bien aux merveilles de son règne, vous concevrez aisément comment et par quelle raison on l’aura plus tard fait descendre à un siècle mieux connu. Le prince dont les monuments de Thèbes attestaient les exploits, pouvait-il être un autre que cet illustre guerrier, le vainqueur de la terre, l’honneur de l’Égypte, le plus grand de ses Pharaons ? Ce seraient donc les prêtres de Thèbes, qui auraient imaginé de transférer à leur Ramessès les hauts faits et peut-être aussi le nom de l’ancien Sésostris. Les prêtres de Memphis, qui n’en avaient pas comme eux les preuves sous les yeux, ont pu tenir plus longtemps à la tradition primitive : de là, le double emploi de Manéthon, et les deux Sésostris, qu’il met à deux dynasties différentes, et à une grande distance l’un de l’autre.

Il résulte de cette discussion, que l’âge vrai du conquérant de l’Asie n’était pas bien connu ni bien déterminé parmi les Égyptiens ; et comme la plus ancienne des deux époques qu’on lui assignait a dû être la première fixée, et qu’elle est par conséquent la plus authentique, tandis que la plus récente reste convaincue de n’être qu’une méprise, fruit de l’ignorance et de la vanité de ceux qui l’ont imaginée, ne peut-on pas s’en tenir uniquement au Sésostris de la Xe dynastie ? et, dans cette supposition, y aurait- il de l’injustice à le compter au nombre de ces héros des temps fabuleux, dont l’existence et les exploits sont aussi incertains que l’âge où ils ont vécu ? On sera donc moins surpris maintenant, quand nous dirons que toute l’histoire du grand Sésostris n’est en effet qu’une fable ; et l’on sera plus disposé à recevoir la preuve positive du fait, après en avoir reconnu la possibilité et même la vraisemblance.

L’expédition guerrière, si brillante et tant vantée, du plus célèbre des rois d’Égypte, n’est au fond que le modeste voyage de Jacob, partant des environs de Sichem, dans le pays de Chanaan, pour aller dans la Mésopotamie chercher l’épouse que le Seigneur lui destinait ; revenant, après quatorze ans de séjour, avec ses femmes et sa nombreuse famille; voyant avec effroi son frère Ésaü qui vient à sa rencontre à la tête d’un corps d’armée, formant ses dispositions de défense en partageant sa troupe en trois bandes, avec l’espoir, si l’une périt, de sauver les deux autres ; invoquant le Seigneur dans le péril qui le menace, et, sous sa protection, rejoignant enfin l’humble toit de l’habitation paternelle. Nous n’avons point à développer ici ce travestissement singulier et très étendu. Les récits détaillés et souvent divergents d’Hérodote et de Diodore de Sicile, en multipliant les circonstances, donnaient plus de rapprochements à faire, plus de points de comparaison à établir, et par-là plus de plagiats à vérifier. Le lecteur sait où il en trouvera l’indication et les preuves ; et, quelque prévention qu’il y apportât, il concevrait bientôt, malgré la disparate des faits, qu’aux yeux des interprètes Égyptiens, qui cherchaient l’histoire de leur pays dans celle des Hébreux, la marche de Jacob vers la Mésopotamie et les fils de l’Orient, a pu être le type de celle de Sésostris, qui envahit l’Asie en commençant par sa partie orientale, trouve, lorsqu’il veut rentrer en Égypte, un ennemi dans son propre frère Armais, n’échappe aux pièges qu’il lui tend, que par le secours des dieux, vers lesquels il lève les mains, et en sacrifiant deux de ses six enfants pour sauver les deux autres tiers et lui-même. Ajoutons que l’histoire est tellement absurde, que jamais les Égyptiens ne l’auraient eux-mêmes imaginée, et qu’on est obligé de croire qu’ils l’ont trouvée toute faite.

Mais les travestissements relatifs à Sésostris ne se bornent pas aux circonstances du voyage de Jacob : ils embrassent la vie entière du Pharaon, dont tous les traits répondent à quelques traits de la vie du Patriarche. L’Auteur les a rassemblés avec soin, et traite de chacun dans un article à part et avec une égale sagacité : l’ensemble de ces rapports, si nombreux, si étranges et toujours si justes, ne laisse aucun doute sur l’identité des deux personnages.

Nous finirons par une remarque, qui importe à la Chronologie. L’origine, désormais démontrée, de l’histoire de Sésostris, fixe irrévocablement la place de ce conquérant dans l’ordre des dynasties. Il appartient aux plus anciennes : car c’est là qu’il se trouve au milieu des noms et des faits, empruntés aux ancêtres ou à la postérité de Jacob ; c’est là qu’ont dû le mettre les premiers rédacteurs de l’histoire et de la chronologie de l’Égypte.

 

 

 



[1] Chronologie Égyptienne, tome Ier, p. 90 et 302. L’auteur d’une lettre écrite d’Amsterdam, et récemment publiée retarde un peu la marche de Sésostris, afin de la lier plus exactement avec le système de Manéthon et de M. Champollion. Il suppose que Sésostris cherchait à éviter les Hébreux, ce qui ne prouve pas qu’il dût, ni même qu’il pût les éviter ; il le fait aller constamment sur les bords de la mer, et oublie les monuments qu’il fit ériger au sein du pays de Chanaan. Nous ne le suivrons point dans l’examen de divers textes des Historiens sacrés, où il croit trouver des indices de la route que suivit l’armée Égyptienne ; mais nous louerons le respect qu’il professe pour l’autorité de l’Écriture, et le zèle qui l’anime pour sa défense, quoiqu’elle n’eût pas ici besoin d’être défendue.

[2] Précis, p. 221.

[3] Séthosis, qui est Ramessès. Jos. contra Ap. lib. II, cap, 15 et 26.