LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

SECONDE PARTIE. — LES DYNASTIES ÉGYPTIENNES

CONSIDÉRÉES SOUS LE RAPPORT DE LA CHRONOLOGIE ET DE L’HISTOIRE

 

ARTICLE IX. — LA XIXE, LA XXE ET LA XXIE DYNASTIE.

 

 

Elles n’ont pas été successives, mais collatérales. — Il y eut alors deux suites de Pharaons, régnant les uns à Thèbes et les autres à Memphis.

 

On est averti par ce qui précède, que les trois dynasties, placées entre la XVIIIe et celle de Sésac, demanderont une attention particulière, car c’est là que commence l’opposition entre la Chronologie Égyptienne et la Chronologie Sacrée ; et c’est là par conséquent qu’il faut chercher le point où elles se séparent, découvrir la première cause de cette divergence, et en suivre les progrès jusqu’au point où elles se réuniront.

On a trouvé quelques noms de rois appartenant à la XXIe dynastie. On aura de la peine à en trouver pour la XXe, composée de douze rois dont aucun n’est nommé, et l’on n’a pu encore former à son égard que des conjectures trop faibles. Quant à la XIXe, les monuments de Thèbes ont fourni une demi-douzaine de nouveaux Ramessès, qui la complètent et même l’augmentent. Nous n’avons point à discuter le mérite de ces découvertes et l’application qu’on en fait. Nous admettrons les trois dynasties, telles que Manéthon les présente ; et ne les considérant que sous le point de vue chronologique, nous chercherons seulement dans quel ordre elles doivent être placées, et si elles ont été nécessairement successives. En effet, l’état des choses est changé sous la XXIe dynastie ; ce ne sont plus ces rois Thébains de la XVIIe et de la XIXe, que l’on reconnaissait à leurs noms seuls, transmis de l’un à l’autre, et annonçant par leur retour fréquent la continuité des races qui les avaient adoptés. De nouvelles familles occupaient le trône ; et qu’elles fussent originaires de la Haute ou de la Basse-Égypte, elles n’appartenaient plus aux anciennes familles des Thoutmosis, des Aménophis, des Ramessès, éteintes ou déchues. On peut en dire autant de la XXe dynastie, sans être arrêté par la dénomination de Diospolitaine que Manéthon lui applique.

Mais n’y eut-il à cette époque qu’un changement de races régnantes ? L’empire Égyptien se maintint-il dans toute sa force et toute son étendue, depuis le premier roi de la XVIIIe dynastie jusqu’au dernier de la XXIe ? Nous le trouvons immédiatement après entre les mains d’un Ethiopien : que s’était-il passé dans l’intérieur du pays depuis que les Barbares de l’Éthiopie et de Nubie, soumis d’abord aux Pharaons de la XVIIIe dynastie, après avoir secoué le joug, avaient osé attaquer leurs anciens maîtres, et fait un premier pas dans le royaume d’Égypte, jusqu’au moment où ils en achevèrent la conquête ? Nous ne connaissons pas, et nous chercherions en vain à découvrir, la suite des événements qui amenèrent ce grand résultat ; cependant, au milieu de la confusion des récits des Égyptiens, qu’ont recueillis, et sans doute embrouillés encore, les Historiens Grecs, peut-être trouverons-nous quelques données générales, susceptibles d’être rapprochées, et propres à répandre une sorte de lumière sur cette époque obscure.

Parmi le grand nombre de Ramessès que l’on fait régner après Séthosis, et qui remplissent la XIXe dynastie presque entière, il en est un dont le règne offre des particularités remarquables. On vante ses richesses, son amour pour les arts, sa piété envers les dieux ; mais on lui reproche « de n’avoir pas hérité du courage et de la science politique de ses ancêtres ; puisque, d’après l’histoire, ajoute-t-on, ce Pharaon laissa décliner, pendant un long règne, l’influence que l’Égypte exerçait sur les contrées voisines[1] ». L’idée que l’on nous donne ici des temps qui suivirent le règne de Sethosis est incomplète, ou n’est que partielle. Elle peut convenir aux successeurs de son nom, que l’on croit retrouver dans les monuments : mais l’Histoire nous en montre d’autres qui régnaient également en Égypte, qu’on ne saurait confondre avec eux, et sur lesquels il faudrait dire qu’ils avaient perdu leur pouvoir, comme ils avaient perdu leur influence sur les contrées voisines.

Suivant Hérodote, le troisième successeur du Sethos ou Sethosis de Manéthon, est ce Rhampsinite, fameux par les immenses richesses qu’il amassa, et que n’égalèrent jamais, dit l’Historien, celles des rois les plus opulents qui vinrent après lui ; plus fameux encore par le conte de l’Architecte, constructeur de l’édifice où il croyait avoir mis son trésor en toute sûreté. C’est le Ramessès ou Ramsès, compté d’abord pour le quatrième du nom, et placé immédiatement après Sethosis ou Ramessès III ; Mais reculé ensuite à mesure qu’on a découvert d’autres princes du même nom, et qui n’est plus actuellement que Ramessès V ou VI. Nous ne voyons point de raison pour lui ôter la place que lui assigne Hérodote, et rien n’empêche de la lui conserver dans la nouvelle série des rois de la XIXe dynastie ; l’ordre qu’on établit entre eux étant tout-à-fait arbitraire, puisqu’il n’est plus réglé par la Table d’Abydos qui finit à Sethosis. Au reste, les deux prédécesseurs de Rhampsinite n’étaient guère plus propres que lui à soutenir l’éclat du règne de Sésostris. Phéron, son fils, n’est connu que par l’attentat sacrilège qu’il se permit contre le Nil, les dix ans de cécité qui en furent la punition, le remède plus que singulier qui lui rendit la vue, et deux obélisques érigés à Héliopolis, devant le temple du Soleil. Protée qui lui succède, qu’il soit ou ne soit pas le Protée de la Fable, n’était originairement qu’un citoyen de Memphis, et régnait à Memphis. Ajoutons que les premiers successeurs de Rhampsinite furent les tyrans Chéops et Chéphrên. Ceux-ci sont remplacés par trois rois plus humains, après lesquels paraît Sabacos roi des Ethiopiens[2].

Suivant Diodore de Sicile, le fils de Sésoosis prit le nom de son père : du reste, ce Sésoosis ou Sésostris II, est le Phéron d’Hérodote et toute son histoire. Après lui un grand nombre de rois se succèdent, sans avoir rien fait digne de mémoire, et plusieurs siècles s’écoulent ainsi jusqu’au roi Amasis, dont les violences et les exactions aliènent les peuples et facilitent l’invasion de l’Ethiopien Actisanès. Celui-ci n’est pas Sabacos, et semblerait tenir la place de Sesonchis. Sabacos ne paraît dans Diodore que beaucoup plus tard, après onze générations simplement indiquées, et neuf ou dix rois nommés par intervalle. Au nombre de ces rois se trouvent Protée, le devin et magicien des Grecs, et Remphis, son fils, dont l’avarice et les trésors entassés font reconnaître le Rhampsinite d’Hérodote, successeur aussi d’un Protée, qu’avaient précédé Phéron et Sésostris.

Il serait difficile sans doute de tirer quelque chose de suivi et de satisfaisant, d’une semblable confusion de noms, de faits et d’époques ; et les essais de ce genre, qui exercent aujourd’hui la sagacité des critiques, en fourniront indubitablement la plus convaincante preuve. Cependant les récits des deux Historiens s’accordent sur un point capital, duquel il semble qu’on peut partir : la faiblesse des successeurs de Sethosis, leur négligence ou leur impéritie, leurs vices propres, ou ceux de leur gouvernement. Que dût-il naturellement en résulter ? le mécontentement et le mépris des peuples, les révoltes qui en sont la suite ordinaire, et le déchirement de l’État qu’opèrent bientôt des chefs puissants ou ambitieux, qui cherchent à profiter des circonstances pour s’élever. Sur quelle portion de l’empire ces funestes effets durent-ils se faire sentir plus promptement et plus fortement ? Les Pharaons de la XIXe dynastie résidaient à Thèbes, comme ceux de la dynastie précédente : serait-il étonnant que, sous ces princes lâches et oppresseurs, les habitants de la Basse-Égypte se fussent ressouvenus qu’ils avaient formé autrefois un royaume indépendant, et eussent saisi l’occasion de se rétablir dans leur premier état ? Or, c’est là précisément ce qu’indiquent les faits que l’on peut recueillir sur ces temps, perdus encore pour l’Histoire, quoiqu’on en dise, et restés pour la Chronologie sous un voile qui n’est qu’en partie soulevé.

Nous voyons, dès le commencement de la XIXe dynastie, des rois sortis de Memphis, ou qui règnent à Memphis ; d’autres, après ceux- là, qui décorent des temples, élèvent des obélisques et des pyramides, toujours et uniquement dans diverses parties de la Basse-Égypte : ces princes n’étaient plus des Thébains, et ne régnaient plus à Thèbes.

Les douze rois de la XXe dynastie ne produisent tous ensemble que 135 ans selon Jules Africain, plus sûr à cet égard qu’Eusèbe, qui cependant ne leur en donne que 178, ou 172 selon la Version Arménienne. M. Champollion observe avec raison, que « les années assignées à ces douze princes ne sont point en concordance avec la durée moyenne des règnes en Égypte, si l’on prend pour fondement de calcul les dynasties précédentes : » et il en conclut « qu’on doit présumer que l’état politique de ce pays fut, à cette époque, dans une certaine agitation, puisqu’on vit passer sur le trône un si grand nombre de princes dans un aussi court espace de temps[3]. » L’agitation est plus que présumable, quand on en reconnaît la cause, et qu’on en fixe le lieu ; elle fut la suite naturelle de la position où se trouvait alors l’Égypte inférieure, détachée de la Métropole, n’ayant pu se donner d’abord une assiette solide, inquiétée d’ailleurs, comme on peut le croire, par les Pharaons qui se maintenaient à Thèbes, et surtout s’ils n’avaient pas encore à lutter contre les Ethiopiens. Dans cet état de choses, on comprend que plusieurs chefs ambitieux se soient disputé à la fois, ou arraché successivement, le pouvoir ; et qu’ils aient ainsi formé un grand nombre de règnes dans un court espace de temps.

Un certain ordre s’établit apparemment sur la fin de la XXe dynastie, dont le dernier roi occupe le trône pendant 26 ans ; et il parait s’être assez bien soutenu dans le cours de la XXIe, qui dure 130 ans, et ne compte que sept rois. Un trait de l’Histoire Sainte prouve que ces derniers ne régnaient que sur la Basse-Égypte. Le Pharaon dont Salomon rechercha l’alliance aurait-il quitté Thèbes pour ne venir en personne faire la guerre à un petit peuple de la Palestine, s’emparer de la ville qu’habitait ce reste des Cananéens, et la donner en dot à sa fille ? il résidait vraisemblablement à Memphis, et dut être un des derniers rois de la dynastie.

Les monuments sembleraient venir à l’appui de l’Histoire, et la preuve serait décisive, si elle était complète. On ne connaît pas encore de monuments des rois de la XXe dynastie, et l’on en connaît peu des rois de la XXIe. Quant à la première, l’absence de monuments s’expliquerait par les troubles civils qui l’agitèrent, et la courte durée de gouvernements mal affermis ; quant à la seconde, ceux qu’on a découverts sont dans la Basse-Égypte. C’est tout le contraire pour la XIXe dynastie : les Ramessès ont couvert la Haute-Égypte de leurs monuments ; Sethosis, leur chef, en aurait seul élevé aussi dans l’Égypte inférieure, encore s’exprime-t-on là-dessus d’une manière bien vague[4]. La conséquence serait claire et sûre : les Pharaons qui n’eurent de monuments que dans l’Égypte supérieure, ne régnèrent point à Memphis ; ceux qui n’en eurent que dans la Basse-Égypte, ne régnèrent point à Thèbes.

L’Égypte formait donc alors deux royaumes distincts ; et il est permis, d’après les récits des Auteurs, que confirment toutes les circonstances connues, de faire remonter le partage jusqu’aux premiers temps de la XIXe dynastie. Celle-ci, depuis ou peu après Séthosis, n’aurait donc été que collatérale des deux dynasties qui la suivent dans Manéthon ; et sa durée presque entière, ou l’entière durée des deux autres, serait à retrancher de la Chronologie Égyptienne.

 

 

 



[1] Précis, p. 232.

[2] Hérodote, liv, II, c. 120 et suiv.

[3] Deuxième lettre, p. 97.

[4] Aperçu des résultats, p. 14 et 15.