La Sortie d’Égypte et
le Passage de la Mer Rouge par les Hébreux, sont antérieurs à la XVIIIe
dynastie. — État de l’Égypte, et sa division en deux royaumes, au temps de
Joseph et jusqu’au temps de Moïse.
L’époque
de la Fondation du Temple étant, fixée à la 480e année après la Sortie
d’Égypte, il ne faut qu’y joindre les 36 dernières années de Salomon, et les
4 premières de Roboam, pour descendre jusqu’à Sesonchis. Il est donc constaté
qu’en prenant l’Histoire Sainte pour guide, on ne peut compter de l’époque de
Sesonchis à celle où les Israélites furent délivrés de l’esclavage par Moïse,
que 520 ans. Cherchons maintenant sous quelle dynastie, et sous quel roi de
cette dynastie, tomberait la Sortie de l’Égypte dans la Chronologie de
Manéthon. Depuis
la XXIIe dynastie, dont Sesonchis fut le premier roi, nous avons 130 ans de
la XXIe, 135 de la XXe, et 209 de la XIXe, ce qui ne fait encore que 474 ans.
Il faudrait donc entre dans la XVIIIe dynastie, et y prendre les 46 ans qui
nous manquent : on sent déjà combien la position devient difficile. Les
Auteurs varient sur la durée de cette dynastie : selon le Syncelle, Jules
Africain ne lui donnait que 263 ans sous seize rois ; le calcul des années,
tel que le présente le texte du Syncelle, donnerait 284 ans ; enfin
l’Historien Josèphe, qui avait, comme Jules Africain ; l’ouvrage de Manéthon
sous les yeux, nomme 17 rois ou reines, qui règnent 340 ans et sept mois ;
car c’est lui qui nous a conservé cet exemple de la scrupuleuse exactitude de
Manéthon. MM. Champollion ne doute pas que nous n’ayons dans Josèphe le
véritable texte original ; nous le supposerons aussi, non pour accroître le
nombre des années, mais parce que la XVIIIe dynastie paraît être celle à
l’égard de laquelle nos anciens Chronologistes ont pris le plus de liberté,
cherchant à y arranger, chacun suivant son système, les mêmes évènements qui
nous y amènent, l’Histoire de Joseph et la Sortie de Moïse. Les
deux derniers rois de cette dynastie, selon Josèphe, sont Aménophis, qui
règne 17 ans, et avant lui Ramessès Meïamoun qui en règne 66. Ce serait donc
au milieu du règne de Meïamoun qu’il faudrait placer la Sortie d’Égypte ;
cela n’est pas possible. Il y a plus : en examinant cette longue suite de
rois Thébains, plus puissants les uns que les autres, qui se succèdent sans
interruption depuis Thutmosis, chef de la dynastie, jusqu’à Séthos, chef de
la suivante, dont on fait le grand Sésostris, et plusieurs autres de ses
glorieux successeurs, on ne voit réellement aucun vide où l’on puisse placer
la terrible catastrophe de la Mer Rouge. Il faut cependant l’introduire
quelque part, de gré ou de force, dans toute chronologie ou histoire d’Égypte
qu’on prétendra donner pour son Histoire authentique et sa Chronologie
véritable ; et toute époque de l’une et de l’autre, où ce mémorable événement
ne pourrait trouver place, serait par-là même convaincu d’appartenir à
d’autres temps. Il semble qu’on aurait dû s’assurer de cette concordance
nécessaire avant d’adopter définitivement la chronologie de Manéthon, et d’en
faire la base de l’histoire qu’on espère tirer des monuments Égyptiens. Mais
il nous faut quelque chose de plus positif. Quand
on lit l’Histoire de Moïse, quelle idée se forme-t-on de l’état où était
alors l’Égypte ? Y voit-on ces rois puissants qui en avaient réuni toutes les
parties, avaient étendu leur domination dans la Nubie et l’Éthiopie, et
faisaient de Thèbes, devenue le centre de leur empire et embellie par eux des
plus somptueux édifices, le lieu de leur résidence ? Le Pharaon, persécuteur
des Hébreux, n’était évidemment que le roi de Memphis, maître peut-être alors
de toute la Basse-Égypte, et sans doute de la partie de l’Égypte moyenne la
plus voisine de cette ville, capitale de son royaume. C’est là que Moïse lui
porte chaque jour les ordres du Seigneur dont il est chargé, et de là qu’il
revient au camp des Israélites rapporter ceux du Pharaon. Toute la relation
du départ, de la marche et de l’arrivée du Peuple Hébreu au bord de la Mer
Rouge, où l’armée Égyptienne les atteint le troisième jour, ne laisse aucun
doute à cet égard. Cet
état de l’Égypte, au moment de la Sortie des Hébreux, répond parfaitement à
celui où ils l’avaient trouvée en y entrant. Le Pharaon qui avait remis le
soin de son Royaume entre les mains de Joseph, et qui reçut ensuite avec tant
de bienveillance son père, ses frères et toutes leurs familles, avait une
cour, de grands officiers, des généraux et une armée ; c’était un véritable
roi. Mais s’il paraît, par plusieurs traits d’administration de Joseph, que
son royaume embrassait dès lors toute l’Égypte inférieure, il ne paraît pas
qu’il s’étendit beaucoup au-dessus du Delta ; que ce prince habitât Memphis
ou Tanis, ou toute autre des villes que l’on décore peut-être trop
libéralement du titre de capitales, il n’y aurait rien à changer aux limites
de son royaume. On peut même croire, comme d’autres l’ont observé, que ces
limites furent fixées ainsi dès l’origine de cette monarchie. La nature du
pays semble peu compatible avec cette multiplicité de petits états qu’on
suppose. Dépendantes les unes des autres, et obligées de se concerter pour
les opérations nécessaires à leur prospérité, ces différentes portions de la
contrée qu’embrassent les branches du Nil durent se former d’elles-mêmes en
un seul corps d’état, ou y être bientôt amenées par la force des choses.
Voilà ce qu’était l’Égypte, cette Égypte dont parle l’Écriture, au temps de
Moïse et de Jacob. Elle fut certainement la première habitée, quoi qu’on en
ait dit et qu’on en dise encore, et par conséquent la première qui fut
civilisée, c’est-à-dire, qui eut un peuple et un gouvernement. L’Égypte
supérieure ne tarda pas sans doute à en recevoir des habitants, qui,
dispersés peut-être d’abord sur un terrain vaste et libre, et n’ayant pas les
mêmes raisons de se réunir à mesure qu’ils s’y établissaient, finirent
cependant, plus tôt ou plus tard, par se former aussi en corps de nation. Il
y eut alors un nouveau royaume d’Égypte, dont Thèbes fut la capitale, comme
Memphis l’était du premier. Tel fut, dès la plus haute antiquité, l’état de l’Égypte,
partagée en deux monarchies qui purent fleurir également chacune de son côté,
mais qui restèrent constamment séparées, et l’étaient encore lorsque les
Hébreux vinrent s’établir dans l’Égypte inférieure, et lorsqu’ils en
sortirent plus de deux siècles après. On chercherait en vain dans Manéthon ou
dans Hérodote des notions précises sur ces temps anciens. Il ne restait d’idée,
parmi les Égyptiens, que des derniers rois dont les monuments leur
rappelaient les noms, et des derniers temps de la monarchie dont le souvenir
était encore récent, et se perpétuait d’ailleurs par la vue de ce qu’était
l’Égypte sous la domination de ses conquérants. Ils se la représentaient
comme ayant toujours formé un royaume unique sous des rois puissants qui la
possédaient tout entière, et dont la succession directe remontait aux
premiers hommes, qui l’avaient habitée. De là ces nombreuses dynasties
rangées bout à bout dans Manéthon, et ces interminables générations
d’Hérodote. Dans la privation absolue d’annales vraies et suivies, réduits à
chercher leur Histoire dans quelques fragments d’une Histoire étrangère, où
de loin en loin l’Égypte est nommée ; et qu’ils s’appropriaient sur cette
seule raison, en la défigurant, comme il fallait s’y attendre, leur était-il
facile de concevoir autrement ce qu’avait été la monarchie Égyptienne depuis
sa fondation et pendant le cours de sa longue durée ? Nous
avons maintenant des bases plus sûres pour établir, à l’égard des temps où
nous sommes parvenus, quelques points chronologiques, rares, il est vrai, et
bien éloignés les uns des autres, mais certains au moins, et qui serviront à
mesurer les distances et à les remplir. Il
résulte des données que nous fournissent les Livres sacrés, qu’il y a eu
longtemps, et dans la plus haute antiquité, deux royaumes en Égypte ; que ces
Royaumes restèrent séparés jusqu’à l’an 1491 A.C., qu’ils étaient réunis en
l’année 971, et qu’ainsi la réunion s’était opérée dans l’intervalle entre
ces deux époques, qui sont celles de la délivrance des Hébreux par Moïse, et
de l’irruption de Sesac, Sesonk ou Sésonchis, en Judée. Il résulte encore des
observations précédentes, et l’on doit poser en principe, que tous les rois
antérieurs à la Sortie d’Égypte, n’ont régné que sur l’un des deux royaumes
primitifs ; et que tous ceux qui ont régné sur la totalité de l’Égypte, sont
nécessairement postérieurs à cette époque. Dès
lors la question est décidée, et irrévocablement décidée ; car ce sont les
monuments mêmes de l’Égypte qui prononcent. Ces monuments, à l’aide desquels
on croyait démontrer la grande ancienneté du royaume Thébain, c’est par eux que
nous apprenons à la renfermer dans sa véritable étendue ; à lui donner des
bornes plus justes à la fois et plus certaines, qui la mettront enfin
d’accord avec l’Histoire générale des peuples et les témoignages de
l’Écriture sur l’origine du monde et des nations. En combinant le peu de
notions positives que les monuments Égyptiens ont procurées jusqu’à présent
sur les rois de la XVIIIe dynastie, il est évident que ces princes régnèrent
sur l’Égypte entière, et qu’il n’y avait plus de leur temps ni de royaume
dans la Basse-Égypte, ni de Pharaons à Memphis, mais un seul et unique
royaume, qui comprenait toute la vallée du Nil, et un seul Pharaon qui
siégeait à Thèbes. La conséquence est facile à tirer, et elle est inévitable
: ces rois n’ont régné qu’après l’époque où les Israélites sortirent de
l’Égypte, et se sont eux, avec les rois des dynasties suivantes, qui
remplirent l’intervalle entre Moïse, et Sesonchis. On se récriera contre le terme trop court que nous accordons à tant de princes illustres, à tant de règnes brillants de tous les genres de gloire ; car on s’épuise en admiration et en éloges, la plupart bien gratuits, sur ces grands bâtisseurs de temples et de palais. On dira que nos 500 ans atteignent à peine les derniers rois de la XVIIIe dynastie ; qu’il faudrait par conséquent en retrancher près de trois siècles, c’est-à-dire la supprimer entièrement, ou répartir la diminution sur les 800 ans et plus que Manéthon donne aux quatre dynasties, depuis Thutmosis jusqu’à Sesonchis, et que l’une et l’autre manière d’opérer cette réduction est également hors de toute mesure et de toute possibilité. Nous devons nous y attendre ; mais nous observerons que les dynasties dont il s’agit n’ont, pour leurs dates et leur chronologie, que l’autorité qu’on leur prête ; que nous avons expliqué à quoi les dynasties plus récentes ont dû d’être moins éloignées des temps vrais, et que les circonstances n’étant plus les mêmes, il n’est pas permis de faire une règle générale pour toutes de ce qui ne convient qu’à quelques-unes ; que lorsque la Chronologie Égyptienne se trouve en contradiction avec la Chronologie sacrée, on ne saurait, même en bonne critique, hésiter sur le choix ; qu’il faut au moins alors examiner préalablement les dynasties qu’on oppose, et s’assurer de leur valeur sous le double point de vue des faits et de la chronologie, si l’on veut juger sainement du poids qu’elles peuvent mettre dans la balance. C’est de cet examen que nous allons nous occuper. |