Au temps de Roboam, fils de Salomon. - Zara lui succède sous le nom d’Osoroth, suivant Manéthon, ou plutôt d’Osorchon, suivant les monuments ; son armée détruite en la 15e année du règne d’Asa, fils de Roboam.En remontant toujours, mais à une grande distance de Sua et de Tharaca, nous trouvons un Sésac, roi d’Égypte, qui, sous le règne de Roboam, fils de Salomon, entre dans la Judée, se présente devant Jérusalem, et se retire, emportant tous les trésors du Temple et du palais du roi ; et trente ans après, un Zara, roi d’Éthiopie, faisant une nouvelle irruption sur les terres de Juda, mais défait en bataille rangée par le pieux roi Asa, et obligé de fuir. Il est visible d’abord que nous avons ici deux souverains du même état ou des mêmes peuples, et que l’Égyptien régnait sur l’Éthiopie comme l’Ethiopien sur l’Égypte. L’Écriture ne laisse aucun doute à cet égard : on y voit que le roi d’Égypte avait des Ethiopiens dans son armée, et le roi d’Éthiopie des Égyptiens dans la sienne. Celui-ci n’avait pu venir dans la Judée qu’en traversant l’Égypte ; poursuivi jusqu’à Gérare, qui était sur la route, il cherchait évidemment à y rentrer, et s’y réfugiait comme dans ses propres états. Nous remarquerons à ce sujet combien s’égarent les Interprètes qui placent des Ethiopiens ou Cushites, dans le désert de l’Isthme, dans la basse Égypte, sur les bords de la Mer Rouge, en Arabie, partout où ils croient en avoir besoin pour leurs explications du Texte sacré. Ussérius met les Cushites de Zara dans l’Arabie Pétrée, et c’est de là qu’il fait sortir une armée d’un million d’hommes. Calmet a senti la difficulté, et croit la lever en observant que le roi des Cushites avait les Libyens pour auxiliaires ; il rappelle au surplus, « ce qu’il a déjà remarqué plusieurs fois, que rien n’est plus équivoque dans l’Écriture que le nom d’Éthiopie. » Quelle incertitude on jette par-là dans les récits des Historiens sacrés et sur le sens des Prophéties ? D’autres Interprètes l’ont reconnu : ils ont pensé, avec raison, que le pays de Cush était dans l’Écriture un lieu déterminé, et que désignant dans les endroits les plus marquants l’Éthiopie proprement dite, les Cushites n’étaient jamais que les Ethiopiens. Sésac, roi d’Égypte, est le Sésonchis de la XXIIe dynastie. M. Champollion nous en a fait connaître le nom Égyptien, le même exactement que le nom Hébreu, avec une seule lettre de plus dans la terminaison, et écrits l’un et l’autre sans voyelles : Sᴴ.Sᴴ.Q., Sésac ; Sᴴ.Sᴴ.N.K. Sesonk ou Sesonck. Zara, ou Zaré comme l’écrivent les Septante, est moins reconnaissable dans l’Osoroth de Manéthon, le seul prince cependant de cette dynastie qui puisse le représenter ; les trois suivants n’étant pas nommés, et les autres portant des noms tout différents. Mais des inscriptions du palais de Carnac, interprétées par M. Champollion, corrigent Manéthon ou son texte. Elles nous donnent le véritable nom Égyptien du successeur de Sesonchis, Osorchon[1], qui répond parfaitement à l’Hébreu Z. R. Cᴴ., prononcé Zarach ou Zoroch, suivant les voyelles qu’on y joignait. La lecture de ce nom est confirmée par un écrit funéraire, sur lequel nous nous arrêterons un moment, parce qu’il donnera lieu à quelques observations qui ne sont pas à négliger. Dans ce papyrus, le défunt est un Osorchon, prêtre d’Ammon, fils d’un Sesonch, qui en est le Grand-prêtre, et qui lui-même est fils d’un roi Osorchon. « Il s’agit évidemment ici, dit M. Champollion, d’un arrière-petit-fils du Pharaon Sheshonk, chef de la XXIIe dynastie[2]. » S’il n’y avait dans les dynasties d’autre roi du nom d’Osorchon, ce serait de lui indubitablement qu’il s’agirait dans le papyrus ; mais Manéthon en compte deux autres : l’un dans la dynastie précédente, dont il est le cinquième roi ; l’autre dans la dynastie suivante, dont il est le deuxième. Il y a donc à choisir entre ces trois Osorchon ; et peut-être celui auquel seul on s’attache, est-il le dernier auquel on doive penser. Ceux qui, pour honorer la mémoire du défunt, remontaient au roi son aïeul, auraient-ils oublié son illustre bisaïeul ? N’était-il pas plus glorieux de descendre du Pharaon qui rentra triomphant dans ses états, chargé des dépouilles de l’ennemi, que de celui qui, après une honteuse défaite, n’y ramena que les débris d’une immense armée presque entièrement détruite ? On peut donc croire que, si le roi Sesonchis n’est pas rappelé dans le papyrus, c’est que le roi Osorchon, auquel la généalogie s’arrête, n’était pas son fils. Quoi qu’il en soit, nous avons ici, rois ou prêtres, deux Sesonchis et quatre Osorchon qui se suivent, et présentent manifestement une même famille, dans laquelle se perpétuent les mêmes noms. Or, de là naissent deux questions : Pourquoi une même race royale se trouve-t-elle partagée en trois dynasties ? Comment arrive-t-il que de ces dynasties formées de la même famille, deux appartiennent à Tanis, tandis que la troisième, placée entre elles, appartient à Bubaste ? On se presse trop quelquefois d’établir des règles générales sur des observations particulières : on ne voit pas même que la manière dont Manéthon dispose les trois dynasties, puisse entrer dans aucun des plans réguliers qu’on lui attribue communément. L’irruption de Sésac en Judée eut lieu la cinquième année du règne de Roboam, fils de Salomon, la 971e avant l’ère chrétienne : celle de Zara est de la quinzième année du règne d’Asa, fils de Roboam, la 941e. Ce n’est que trente ans d’intervalle entre les deux époques ; et la durée des deux règnes, suivant Manéthon, (vingt-un ans pour celui de Sesonchis, quinze pour celui d’Osorchon, trente-six ans en tout,) suffirait aux deux expéditions. Une autre circonstance, mentionnée dans l’Histoire Sainte, demanderait peut-être quelques années de plus. En reculant même l’expédition de Zarah à la deuxième année de son règne, celui de Sésac n’aurait commencé qu’en 977, deux ans avant la mort de Salomon Jéroboam, se réfugiant en Égypte pour éviter la colère de ce prince, n’aurait donc pu y trouver Sésac sur le trône, qu’en supposant qu’il eût quitté la Judée dans la dernière ou l’avant-dernière année de Salomon. Or divers incidents du récit de l’Historien sacré prouveraient que sa fuite dut avoir lieu plus tôt. Ussérius fait régner Sésac dès l’an 978[3] : ce ne serait qu’un an de plus, et dans l’hypothèse dont nous parlons ce ne serait pas encore assez ; mais, quelques années de plus ou de moins d’un règne ne sont rien au milieu de l’incertitude générale de la durée des règnes dans les dynasties de Manéthon. M. Champollion fait ici quelques réflexions sur le partage du royaume des Hébreux, qui eut lieu à l’époque de l’invasion de Sésac, et sur la part que put avoir le roi d’Égypte à cet événement. Quoique ce soit là une excursion dans le domaine de l’Histoire, nous croyons pouvoir abandonner un moment la Chronologie, pour y suivre l’Auteur. Sesonchis lui paraît avoir influé puissamment sur les destinées politiques de la Judée : Jéroboam trouva auprès de ce prince non-seulement asile, mais faveur et protection ; il lui avait donné sa fille en mariage ; et par la terreur de ses armes, il décida le démembrement des états de David, et la création du royaume d’Israël, dont Jéroboam resta possesseur. Consultons l’Histoire sacrée. Sésac entre dans la Judée à la tête d’une armée formidable, s’empare des villes qu’il trouve sur son passage, arrive devant Jérusalem, y entre ou n’y entre pas, car le Texte n’est pas explicite sur ce point ; mais obtient de Roboam effrayé, que tous les trésors du Temple et du palais du roi lui soient livrés, et quand il les a dans les mains, il se retire, et retourne dans son pays sans rien garder de ses conquêtes. Que voit-on là ? Le dessein de piller un Temple dont on connaissait les richesses, un palais où l’on savait qu’étaient accumulés tous les objets du luxe le plus recherché : une simple incursion, à laquelle on ne doit pas supposer d’autres vues, puisqu’elle n’eut pas d’autre effet. On ne sait où M. Champollion a pris que Jéroboam, encore simple particulier, fugitif de sa patrie, sans moyens apparents d’y rentrer et de s’y soutenir, obtint en mariage la fille du Pharaon. L’Écriture n’en dit certainement rien ; l’Historien Josèphe, ni aucun autre que nous sachions, n’en parlent. Aurait-il confondu le serviteur de Salomon, avec Adad, prince Iduméen, dont il est question dans le même Chapitre[4], transporté encore enfant en Égypte, au temps de la dévastation de Idumée par l’armée de David, recueilli par le Pharaon régnant, élevé à sa cour, et épousant ensuite, non sa fille, mais la sœur de sa femme ? La scission des dix tribus fut consommée dès la première année de Roboam, lorsqu’au milieu de la nation assemblée à Sichem, les Enfants d’Israël lui déclarèrent qu’ils ne voulaient plus être l’héritage du fils d’Isaïe, et qu’ils le laissaient prendre soin désormais de la Maison de David : « Et ce fut ainsi, ajoute » l’Historien sacré, qu’Israël se sépara de David, » comme il en est séparé aujourd’hui[5]. » Roboam, il est vrai, voulut d’abord combattre les tribus révoltées et leva une armée nombreuse. Mais le Seigneur lui ayant signifié par le Prophète Séméias, de ne point marcher contre Israël, et que tout était arrivé par son ordre, le prince obéit, les projets de guerre furent abandonnés, et les deux parties se maintinrent dans leurs positions respectives, ennemis sans doute et s’observant mutuellement, mais sans rupture ouverte pendant tout le règne de Roboam. Que firent donc dans cette révolution, et en quoi purent y contribuer, les armes de Sésac, qui ne survint que lorsqu’elle était consommée, et déjà depuis plusieurs années ? Ce n’est pas que le démembrement du royaume de Juda ne fût propre à l’encourager dans son entreprise ; mais il n’accourut pas pour l’opérer ou le favoriser : il en profita seulement, et le motif qui l’amenait en devient plus sensible. Ce grand événement dans l’Histoire du Peuple de Dieu eut des causes, et fut produit par des moyens, d’un autre ordre que ceux qui enfantent les évènements de ce genre dont est remplie l’Histoire des nations. C’est dans le Livres saints, et dans les vues de la Providence qu’ils nous découvrent, que l’on en doit chercher le principe secret, en étudier la marche et les longs résultats. Sésac eut une mission spéciale, étrangère à la séparation des dix tribus que Dieu donnait à des princes d’une autre race, en réservant la tribu de Juda à la race de David. Il fut envoyé pour punir l’abandon de la loi dont Roboam et son peuple s’étaient rendus coupables, et dans lequel ils persévéraient après même le coup qui les avait frappés. Le roi et les princes de Juda s’humilièrent devant le Seigneur, et leur châtiment fut borné à la honte d’un asservissement passager, et à la perte des richesses dont ils abusaient. Tout cela, pour l’observer en passant, contrarie un peu les efforts que l’on fait pour rehausser la gloire du vainqueur de la Judée. Revenons au Sesonchis des dynasties. A quelque année de son règne que l’on rapporte son irruption sur les terres de Juda, l’époque de cette guerre demeure invariablement fixée par la cinquième année de Roboam, qui est la 971e avant l’ère chrétienne, 446 ans avant Cambyse, et 258 avant Tharaca. Mais les dynasties ne comptent, de Sesonchis à Tharaca, que 237 ans, vingt et un ans de moins : c’est donc vingt et un ans qu’il faut ajouter au calcul Égyptien pour cet intervalle de temps. Comme la marche de nos discussions chronologiques ne sera plus désormais la même, parce qu’elles ne seront plus fondées sur des synchronismes aussi précis, nous réunirons ici, dans un seul tableau, les résultats partiels de celles qui nous ont occupé jusqu’à présent, afin d’en former un résultat général, qui nous donne la différence totale entre la Chronologie des Livres saints, et la Chronologie des dynasties depuis Cambyse jusqu’à Sesonchis. On sera peut-être surpris de trouver les dynasties aussi rapprochées de l’Histoire Sainte, pour l’ordre et pour les époques des faits correspondants : mais il ne sera pas difficile d’en découvrir la cause, si l’on veut remonter à la source où les Égyptiens ont puisé leur chronologie et leur histoire des temps dont il s’agit. Les Livres des Hébreux étaient bien connus en Égypte à cette époque : on en a la preuve dans le grand nombre de faits qu’ils en ont tirés pour se former des annales, et que l’on reconnaît visiblement encore, au milieu des transformations qu’ils leur ont fait subir. Avec les faits qu’ils ont pu s’approprier, et qui réellement leur appartenaient, ils trouvaient des noms, dont ils avaient par-là même droit de s’emparer, ou qu’ils pouvaient reconnaître comme étant en effet ceux de quelques-uns de leurs anciens rois. Enfin, l’ordre dans lequel se présentaient ces faits et ces noms, et les intervalles de temps qui les séparaient, ne leur avaient point échapper : et voilà les bases de leur chronologie, comme de leur histoire, pour les quatre à cinq siècles que nous venons de parcourir ; les limites de cet espace de temps étaient déterminées, et quelques points fixes en partageaient la durée. Il ne s’agissait donc plus que de remplir, dans leur chronologie, les vides qu’y laissaient les synchronismes de l’Histoire Sainte ; et pour cela ils ont pu employer les matériaux qu’ils trouvaient chez eux et qu’ils avaient sous la main. Il restait sans doute alors beaucoup de monuments épars et de toute espèce, publics et privés, qui rappelaient au moins quelques rois de ces époques, puisqu’il en reste tant encore aujourd’hui : et c’est ainsi qu’a pu être remplie la liste des dynasties, depuis Sesonchis jusqu’au dernier des Pharaons. De là, l’exactitude pour la mesure des temps, dans cette portion de chronologie Égyptienne ; mais de là aussi les embarras que l’on trouve dans les détails de cette chronologie, quand il s’agit de les mettre d’accord entre eux et avec les points fixes de celle des Hébreux. |