Manéthon marque soigneusement la durée de chaque
règne, et l’on admire une si scrupuleuse et si rare attention : il était donc
parfaitement instruit de l’histoire de son pays, et les mémoires qui lui
fournissaient de semblables détails, ne portaient-ils pas avec eux la preuve
de leur authenticité ? Nous sommes loin de partager cette manière de voir.
Nous pensons au contraire que cette admirable exactitude n’est propre qu’à
rendre plus suspecte la véracité de l’Auteur. Qui peut en effet se persuader,
quelque prévention qu’il y apporte, qu’on eût en Égypte des registres
d’histoire d’une aussi haute antiquité, tenus toujours avec ce soin minutieux
? Quel autre parmi les plus anciens historiens osa jamais
faire honneur d’un pareil avantage aux annales de sa nation, alors même qu’il
n’épargnait ni audace, ni mensonges, pour les accréditer ? Car c’est à plus de 5000 ans que Manéthon fait
remonter celles d’Égypte ; et c’est au moins au déluge qu’elles
remonteraient, quelque réduction que l’on fit subir à ses dynasties ; puisque
Menès en serait toujours le premier roi, et que son Menès n’est autre que Noé
lui-même, comme le démontrent et son nom et le rapprochement des faits[1]. Il y a plus. Jules Africain et Eusèbe, dans leurs
extraits de Manéthon, ne marquent la durée des règnes que par le nombre des
années : le prêtre de Sebennytus y avait mis bien plus de précision ; il ajoutait
sur chaque règne le nombre des mois excédants. On le voit par les deux
dynasties copiées textuellement dans Josèphe, la XVe, celle des rois
Pasteurs, et la XVIIIe. Celle-ci a été pour M. Champollion-Figeac l’objet de
recherches particulières, destinées à en déterminer historiquement l’époque.
Il la présente telle que Josèphe la donne, et n’oublie point l’annotation des
mois, dont il nous fait remarquer toute l’importance : « L’exactitude de
Manéthon, dans ce fragment, dit-il, est démontrée par les détails mêmes qu’il
contient et sur la filiation des rois entre eux, et sur la durée de leurs
règnes respectifs, indiquée en années et en mois[2]. » Nous ne savons si le lecteur trouvera que
l’addition du calcul des mois donne ici plus de force à la preuve tirée du
calcul des années ; quant à nous, nous croirions bien plutôt qu’elle
l’affaiblirait ; mais ce serait dire trop peu. Nous pensons que cette
fastueuse chronologie, qui en impose, est jugée par le fait seul dont il
s’agit ici, et que l’on semble produire avec plus de confiance en sa faveur ;
ce soin affecté de compter non-seulement les années, mais les mois, est pour
nous ce qui trahit le plus évidemment le faussaire. M. Champollion-Figeac ajoute : « qu’on a bien rarement d’aussi positifs renseignements sur des faits d’une pareille antiquité. » Il aurait pu prononcer positivement que l’on n’en trouve nulle part de semblables, et que Manéthon seul en fournit un exemple. Mais nous aurions quelque chose de plus extraordinaire, s’il était vrai que le Chronologue Égyptien eût tenu compte des jours mêmes qui excédaient les mois ou les années. C’est cependant ce qui résulte de la somme totale des temps parcourus dans son premier tome ; et cette précision, par conséquent, aurait eu lieu pour les plus anciennes dynasties. La somme était de 2350 ans et 70 jours selon Jules Africain, de 2300 ans et 79 jours selon Eusèbe. Toute remarque serait ici superflue. |