TALLEYRAND ET LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

Tome premier : Depuis la fin du règne de Louis XV jusqu'aux approches du Second Empire

 

CHAPITRE PREMIER. — ENFANCE ET JEUNESSE.

 

 

Un préambule nécessaire. — Les Talleyrand-Périgord et leurs fiertés généalogiques. — Deux traits. — La première enfance de Charles-Maurice. — Mélange singulier, dans cette éducation, d'insouciance et d'ambition de famille. — Par quelles circonstances il fut poussé, malgré lui, dans les voies de l'Église. — Au collège d'Harcourt. — Pour le préparer à l'amour des grandeurs de l'Église : une année de résidence à l'archevêché de Reims, chez le cardinal-duc. — Entrée au séminaire de Saint-Sulpice. — Période de contrainte mélancolique ; analyse de cet état d'âme. — Une heureuse diversion de jeunesse ; premier roman d'amour. — Le séminariste et la comédienne. — Luzy. — En quelles dispositions d'âme et d'esprit Talleyrand est entré dans les ordres. — Abbé de cour : ses débuts mondains, à Versailles et à Paris. Tableau de la société à l'extrême limite du règne de Louis XV. — Chez Mme Du Barry. — A Reims : les splendeurs de la cérémonie du sacre. Période d'études en Sorbonne. — La journée d'un sorboniste à la fin du XVIIIe siècle. — Retour aux distractions du monde.

 

Il y eut un homme qui, pendant trois quarts de siècle, avait rempli les conseils de l'Europe de son activité tranquille et souple : homme de cour et d'Église, de gouvernement et de chancellerie ; grand seigneur en tout temps et, en tous lieux ; maitre accompli dans l'art de plaire et de séduire, dont le sort s'arrangea si bien qu'il fut triplement heureux en amour, au jeu, et dans la politique ; plein de calme en ses passions, et qui le plus posément du monde mena deux révolutions, enveloppa dans ses réseaux les rois et les empereurs, éleva et renversa, tour à tour, plusieurs édifices monarchiques ; prononça et désavoua bien des serments, fit accueil à vingt partis sans rester fidèle à aucun, parce que céder aux circonstances c'était, suivant lui, céder à la raison : d'ailleurs, flexible et divers en son esprit comme pas un diplomate. réunissant en lui du Mazarin, du Retz et du Voltaire : capable de se prêter avec une grâce inimitable aux badinages les plus frivoles et de passer, sans effort apparent, aux considérations les plus hautes et les plus lumineuses ; ayant eu des défauts d'âme autant que de qualités d'intelligence ; versatile et vénal, sans illusion de principes, hormis l'inclination personnelle et l'intérêt ; ayant trouvé des arguments pour légitimer toutes les causes, pour justifier toutes les façons d'agir : mais, logique et constant en ses desseins, et qui put s'attacher au service des ambitions les plus ardentes et se laisser emporter avec elle par la force des événements, sans jamais abandonner son programme de politique extérieure, fait d'équilibre, de modération et d'humanité ; ministre, dignitaire, ambassadeur de plusieurs régimes, qui se vit accusé de mille trahisons et de mille perfidies ; mais qui, par une autorité unique émanant de sa personne ou par le besoin qu'on avait de ses talents, sut retrouver, à point nommé malgré des défaillances indéniables, la confiance des uns ou des autres ; qui fut suspect à ses amis .comme à ses ennemis, vilipendé par une foule de plumes, couvert de reproches et d'injures ; et qui, cependant, après tant d'opinions contraires, tant de jugements incertains oui foncièrement hostiles, réalisa ce miracle de terminer sa vie pleine de jours au milieu des témoignages les plus notoires d'illustration, d'honneur et de respect.

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C'est l'histoire de ce personnage considérable et diversement considéré, que nous allons prendre à ses débuts et suivre sans interruption, à travers la société changeante, parmi les événements extraordinaires auxquels il fut mêlé.

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Charles-Maurice de Périgord s'annonça dans l'humaine existence, un soir d'hiver de l'an 1754[1]. Il était de grande race, et le surnom de Talleyrand, qu'il devait rendre si fameux, avait été porté, dès le commencement du XIIe siècle. Issu des comtes de Grignols, princes de Chalais, qui se disaient une branche cadette des comtes souverains du Périgord et revendiquaient, en conséquence, leur cri d'armes orgueilleux : Rè que Diou[2], la tige de sa famille anticipait historiquement sur la dynastie des Capétiens.

Le futur homme d'État en gardera la fierté jusqu'à son lit de mort, jusqu'à cette heure des adieux suprêmes où, voyant s'approcher de son chevet le roi Louis-Philippe et ressaisissant ses esprits, il lui dira : Sire, c'est un grand honneur pour notre maison, ce qui signifiait en propres termes que les anciens comtes de Périgord avant d'être absorbés dans le domaine de la couronne avaient régné en souverains, tout comme les Bourbons.

Très à propos .sen était souvenu Louis XVIII, en 1814, lorsqu'il reçut, pour la première fois, Talleyrand en son cabinet de Compiègne et qu'il lui tint ce petit discours :

Nos maisons datent de la même époque. Mes ancêtres ont été les plus habiles. Si les vôtres l'avaient été plus que les miens, vous me diriez maintenant : prenez une chaise, approchez-vous de moi, parlons de nos affaires ; aujourd'hui c'est moi qui vous dis : asseyez-vous et causons...

Paroles aussi flatteuses que délicatement tournées. Elles auraient eu plus de prix encore, si l'inconstant Louis XVIII leur avait gardé toujours la même valeur. Dans une occasion différente, mettant en doute une telle et si belle généalogie, il coulera ces mots à l'oreille du voisin : Talleyrand n'est pas de Périgord, mais du Périgord. C'est qu'en effet des déchiffreurs de parchemins s'étaient trouvés pour établir que les Chalais n'avaient rien de commun avec les comtes de l'ère carolingienne et qu'ils n'étaient point admis à fonder leur noblesse en deçà de 1461.

Quoi qu'il en fût de ce litige héraldique, les Talleyrand avaient certainement plis de lignage que d'apanages. A défaut d'un abondant patrimoine, on y jouissait d'une position de cour tranquillisante pour soi et fort commode pour l'établissement des enfants.

La cour était le grenier et la mère nourrice de la noblesse pauvre. Lorsque s'y présentèrent les Talleyrand, en 1742, leur train était des plus modestes. Ils s'approchèrent autant qu'ils le purent de la source des faveurs. Si bien firent-ils qu'elle se déversa sur eux en émoluments d'emplois, bénéfices épiscopaux, abbayes en commande, produits de charge, assignations sur le domaine, tout ce qui en découlait enfin.

La bisaïeule de Charles-Maurice, Mme de Chalais tenait aux Mortemart dont elle avait reçu en héritage, l'esprit, c'est-à-dire cette fine politesse, cette justesse dans le singulier des mots et cette particularité d'expressions vives qui fut, pendant longtemps, comme le langage naturel de la famille.

Sa grand'mère paternelle était dame du palais de la reine ; elle demeurait fixement à Versailles, sans attache de résidence parisienne ; elle y remplissait ses fonctions dans le calme, considérée du roi, estimée comme il convenait des gens de bien pour la réserve noble — un peu chargée de dévotion — de ses manières ; d'ailleurs ne plaignant point ses démarches pour ses enfants, qui étaient au nombre de cinq, et donnant à cette recherche de leur avenir plus de soin qu'aux détails de leur éducation.

Son père, Charles-Daniel de Talleyrand-Périgord, né de Daniel-Marie de Talleyrand, comte de Grignols, brigadier des armées du roi eut, pour sa part, clans la distribution des offices ou des grades, d'être menin du Dauphin et lieutenant général : il s'en tenait content et faisait peu parler de lui.

Sa mère, Alexandrine de Damas, fille de Joseph de Damas, marquis d'Antigny, attirait davantage l'attention, sans qu'il en ressortit de signes très éclatants. On la savait assidue à la cour dont elle avait l'instinct d'habileté, empressée auprès des gens en place et leste à monter, autant qu'il lui paraissait bon d'en prendre la peine, sous les combles du palais de Versailles. Il fut noté que, durant la courte apothéose de la comtesse de Mailly, elle s'était employée avec une obligeance parfaite, à tenir la partie de piquet de Mlle Jacob, la première femme de chambre de cette maîtresse de Louis XV. Le goût lui en était passé, aussitôt que, se furent déclarés la conversion et le départ de Mme de Mailly, c'est-à-dire sa disgrâce.

La société habituelle de ses enfants n'était pas indispensable à son cœur ; mais par sentiment de famille, par instinct de race, elle ne ménageait aucun effort afin de préparer avec suite et persévérance la carrière de ses fils, pendant leur minorité, — tout en ne s'oubliant pas elle-même clans ce déploiement de sollicitude. Car nous avons à le dire, Mme de Talleyrand n'aspirait point aux vertus désintéressées comme au bon renom quelles comportent pour ceux qui les pratiquent. Elle avait soif d'acquérir ou d'augmenter ce qu'elle avait acquis. Elle poussait l'amour de l'ordre, en son bien domestique jusqu'à la cupidité, disait-on.

La naissance de Charles-Maurice n'avait pas été très désirée ou, du moins, il en tut tout comme, à la manière dont on l'accueillit, obscurément et sans joie.

Étrange différence des idées et des coutumes, selon les temps !

Dans la société qui est la nôtre, très sensible à la vie de famille, l'enfant commande et règne. Il est l'objet d'attentions, de complaisances sans fin. A toute heure du jour, on est à ses côtés, se mêlant à ses jeux, s'associant à chacune des petites convulsions mentales, qui paraissent être des joies, des gestes heureux ou des cris impatients. Dans les classes privilégiées des XVIIe et XVIIIe siècle, on cultivait beaucoup moins ces douceurs du foyer. Les enfants des grands ne voyaient leurs parents qu'en cérémonie, et les sentaient loin d'eux. Si clans les familles de labeur ou de bourgeoisie, les mères qui n'avaient pas à retrancher de leurs plaisirs pour vaquer à leurs devoirs, voulaient aimer leurs enfants de très près, en des sphères plus hautes et plus agitées, on ne croyait aucunement manquer aux obligations de la nature parce qu'on ne les remplissait que d'une façon intermittente et distraite. L'éducation des fils de la noblesse, héritiers du nom et des armes, pour lesquels les âpres sentiers de la vie s'ouvraient comme des avenues larges et faciles, sans qu'ils dussent se donner beaucoup de peine ensuite afin de s'y pousser, supportait cette insouciance.

On en étendit la commodité aussi loin qu'il était possible, à l'égard du jeune Talleyrand. La tendresse paternelle fut avare de caresses à ses premières années, qu'il passa toutes hors de la maison. Comme sa mère, comme la plupart des gens de leur monde, son père avait adopté en manière de système éducatif que le devoir des parents était de conserver, vis-à-vis de l'enfant, la dignité d'une sorte d'indifférence extérieure qui n'empêchait pas, au reste, l'heure venue, de songer aux intérêts de son rang, de sa fortune. Il fut élevé selon ce principe. A quatre ans,. il était encore en pension dans un faubourg de Paris, chez la femme à laquelle on l'avait confié : et plusieurs années s'y ajouteront avant que le regard du chef de la famille consente à s'arrêter sur lui.

Au matériel, des négligences furent commises. Il n'avait pas quitté le berceau lorsque lui advint par la faute d'une servante — un accident, qui le rendit légèrement boiteux. Mine de Talleyrand en fut touchée, mais pas au point de vouloir rapprocher l'enfant d'elle, de ses soins attentifs, de sa sollicitude. Talleyrand vieilli pourra consigner, aux premières pages de ses mémoires, qu'il n'avait jamais couché sous le toit de ses père et mère.

Il était donc boiteux, comme le furent le duc du Maine et lord Byron, et, tels ce prince et ce poète, se consolera-t-il malaisément d'une disgrâce physique incommode, quoique peu prononcée chez lui, pour le rôle à jouer dans la société des femmes. Et que de jeux de mots plus ou moins heureux, que d'allusions, que d'insolences, à l'occasion, lui vaudra, plus tard, ce pied équivoque, cette vague boiterie dont on comparera l'allure indécise à celle de ses sentiments et de ses actes !

La cause en avait été, disions-nous, une maladresse domestique. Du moins, l'explication donnée fut celle-là, malgré qu'il y ait eu des versions établissant qu'elle provenait, en réalité, d'un vice congénital. S'il fallait en croire les confidences d'un cousin de Maurice de Périgord, un abbé-comte aussi, et qui l'avait côtoyé longuement au séminaire de Saint-Sulpice, à Reims, ailleurs, il aurait été naturellement pied-bot ; et, circonstance non moins singulière que Metteuse, il y aurait eu toujours un pied-bot dans la famille des Talleyrand !

Accident ou cas d'infirmité native, les conséquences en furent majeures sur la direction de sa destinée. Jugé impropre à la vie active, c'est-à-dire au service des armes, on le destitua de son droit de primogéniture, qui était de porter l'épée. La famille décida qu'il serait voué à l'état ecclésiastique. Il serait abbé, en dépit qu'il en eût.

Cependant, on l'oubliait un peu, dans son faubourg. Lorsqu'on vint l'y prendre pour l'envoyer en Périgord, au château de famille, chez Mme de Chalais sa bisaïeule — il l'appelait sa grand'mère —, qui désirait l'avoir auprès d'elle, il allait avoir cinq ans. Sous la garde d'une femme simple au grand nom : Mile Charlemagne, il fut mis dans le coche de Bordeaux, qui employa dix-sept jours à le transporter jusqu'à Chalais.

L'enfant plut à l'aïeule ; tendrement elle désira l'attacher à elle par des liens de caresses auxquelles on ne l'avait pas accoutumé. Elle lui témoignait cette affection attentive et prévoyante, dont les marques lui étaient si nouvelles ; elle parlait à son âme, à son esprit naissant et l'instruisait par des exemples aimables. La considération mêlée de gratitude, dont il voyait environnée cette grande dame, sa parente, autour de laquelle se ralliaient toutes les idées de puissance et de protection, accroissait son respect et son amour. Il se sentait naïvement heureux de s'entendre dire par celui-ci ou celui-là, chez les gens d'alentour, que son nom avait toujours été en vénération clans le pays ; qu'on avait eu de la générosité des siens cette église, cette maison, ce champ, et que, de génération en génération, avait fructifié l'héritage des bons sentiments envers eux. Dans le même temps il s'imprégnait d'habitudes, qui devinrent celles de toute sa vie, nous voulons parler des formes d'une politesse digne et sans morgue, dont il avait eu le modèle sous les yeux.

Ce fut l'instant de ses années enfantines le plus cher à son cœur. Il ne s'en souviendra jamais sans attendrissement, lorsque, parvenu au fort de la vie, des retours de sa pensée le ramèneront à ces candeurs lointaines.

Hélas ! il lui fallut quitter trop tût des lieux si agréables. On devait le rendre à Paris et le conduire au collège d'Harcourt. Il avait appris à Chalais ce qu'on savait dans le pays, quand on était bien élevé, c'est-à-dire assez pour le bonheur et guère pour la science : lire, écrire et parler un peu le périgourdin. Ces notions rudimentaires suffisaient à son âge. Il n'avait pas plus de huit ans. Mais l'heure était arrivée d'en apprendre davantage. Le jour du départ tira bien des larmes de ses yeux. Déjà les grelots de la voiture tintaient à la porte du château. Il s'arracha en pleurant aux bras de Mme de Chalais. Sans doute, quelque circonstance impérieuse avait dicté l'arrangement brusque, qui l'enlevait à ce tiède abri. Il lui fallut quitter la vieille maison seigneuriale, les coins familiers à ses jeux, l'air pur et la riante campagne, quitter tout cela pour la sévérité d'un mur de collège ! Le signal était donné. Le lourd équipage se mit eu route. Les claquements de fouet du postillon, les changements de chevaux, aux relais, la succession des auberges et les incidents de la route, le distrayèrent de son chagrin. Le dix-septième jour marqua le terme du voyage. On arrêta, rue d'Enfer, an bureau des coches. Il descendit, impatient de toucher terre et cherchant des yeux son père, sa mère. Mais ils n'étaient pas venus, ayant jugé plus raisonnable de s'épargner des effusions inutiles. Un domestique d'âge, seul, était là, qui l'attendait et avait ordre de le mener tout droit, sans biaiser en route, au vieil établissement scolaire.

Charles-Maurice était arrivé à Paris sur le coup de la onzième heure du matin. À. midi, il se trouvait installé à une table de réfectoire, avant à côté de lui un doux écolier de ligure avenante, aux yeux clairs, à la parole vive, qui fut son camarade, aussitôt, et resta son ami, toute la vie : il se nommait Choiseul, plus tard le comte de Choiseul-Gouffier. On le conduisit ensuite clans l'appartement de son cousin de La Suze, en le confiant au même précepteur, un abbé Hardy, qui n'avait d'entreprenant que le nom et s'occupait de ses devoirs avec bénignité. Régulièrement, une fois par semaine, ce précepteur ecclésiastique le menait chez ses parents, pour s'asseoir à leur table, à l'heure du dîner. On ne s'y dépensait pas beaucoup en paroles ; et, le repas terminé, c'étaient toujours les mêmes mots prononcés sur le même ton qu'on adressait à l'enfant, prêt à regagner son collège : Soyez sage, mon fils, et contentez monsieur l'abbé.

En vérité, M. l'abbé Hardy, avec son nonchaloir habituel comme, après lui, M. le précepteur Langlais dont la science n'excédait pas de beaucoup une connaissance passable de son histoire de France étaient des gens faciles à contenter. Aussi, les progrès de l'écolier, qu'ils avaient à stimuler doucement, n'avançaient-ils qu'à pas contenus. On ne l'encourageait guère à en presser l'allure. La famille ne tenait pas à ce que Charles-Maurice révélât trop tôt des dispositions exceptionnelles, qui l'auraient rendu moins maniable ou qui eussent jeté sur sa jeunesse un éclat trop séduisant. Et puis il était tombé malade, au cours de sa douzième année, dangereusement. Une interruption forcée s'ensuivit. Atteint d'une affection contagieuse, la variole, il avait dû quitter le collège. Ses parents envoyèrent audit lieu une chaise à porteurs, pour le transporter non pas dans la maison familiale, mais chez une garde-malade, rue Saint-Jacques. Il eut la double consolation, en son malheur et malgré l'étrangeté des prescriptions hygiéniques usitées alors en pareil cas, d'échapper à la maladie, sans en garder de marques, et au médecin. Sa convalescence fut assez rapide. Sa rentrée au d'Harcourt suivit de près la guérison.

Quand il eut terminé ce premier stage d'études, on lui fit savoir qu'un autre et particulier programme l'attendait an séminaire Saint-Sulpice, la pépinière soigneusement abritée où se formaient les jeunes clercs.

Auparavant, pour lui donner une idée avantageuse et même tentante de l'état auquel on le destinait on jugea qu'il ne serait pas mauvais de le tenir, un certain nombre de mois, auprès de son oncle paternel Alexandre de Talleyrand, grand personnage ecclésiastique, coadjuteur de l'archevêque-duc de Reims, et futur cardinal. On en prit les mesures avec plus d'éclat qu'au temps de son premier voyage ; une chaise de poste vint le prendre au collège d'Harcourt et le mener, en deux jours, dans la noble ville de Reims.

Il portait déjà la soutane, quoiqu'il n'eût que douze à treize ans ; et Mme de Genlis, qui le vit à Sillery, où l'avait amené M. de La Roche-Aymon, avait été très frappée de sa physionomie : il était pale et silencieux, avec un visage agréable et l'air observateur.

On déployait à l'archevêché beaucoup de luxe et de solennité. Tous les signes d'une considération pleine de faste[3] se manifestaient à l'égard de l'illustre prélat, comte de La Roche-Aymon, et de son coadjuteur. L'imagination de Charles-Maurice en fut frappée sans en être éblouie. Il avait la probité de la jeunesse, cette honnêteté naturelle des sentiments, dont son entourage, précepteurs et professeurs, lui firent un premier devoir de se débarrasser. Des instructions avaient été données de Paris, à Reims, bien précises. Rien ne devait être négligé afin de lui inculquer profondément en l'esprit qu'un homme de son nom ne pouvait avoir d'autre carrière que l'ecclésiastique, s'il n'avait pas à porter l'épée. L'emploi de son temps et jusqu'au choix de ses lectures y fut soigneusement approprié. Sous ses yeux on faisait passer les mémoires du turbulent cardinal de Retz, ou le récit tracé par Fléchier des grandes actions de cardinal Ximénès, ou la vie de l'archevêque Hincmar, ce prêtre du moyen âge au caractère impérieux, au génie souple et remuant, d'autres belles pages encore capables d'éveiller ses ambitions, en les retenant au sein de l'Église. On lui donnait en exemple encore la grande destinée de l'un des leurs, au XIVe siècle, le cardinal Hélie de Talleyrand-Périgord, que célébra Pétrarque, et auquel son influence impérieuse dans les conclaves avait valu le surnom de Faiseur de papes. Un prêtre ténu en religion, sans doute, mais ayant de si haut agi, dominé, dans l'ordre des choses terrestres comme diplomate, conseiller des princes et protecteur des arts !

Une année de cette préparation parut suffire. La résistance vague, qu'il essayait d'opposer aux desseins dont il était l'objet, se lassa. Il prit le chemin du séminaire, mais à contre-cœur. En franchir le seuil c'était engager l'avenir, c'était passer le vestibule de la carrière sacerdotale. Sa conscience juvénile, qui n'avait pas eu les occasions d'acquérir cette élasticité, dont elle aura les ressources, eu l'âge d'expérience humaine, se sentait mal à l'aise dans une voie qu'elle n'avait pas librement choisie. Malgré les nobles exemples dont on l'entretenait sans cesse, sa conviction n'était pas faite qu'il dût entrer dans une carrière avec l'intention d'en suivre une autre et passer par le séminaire et la prêtrise pour être plus sûrement, un jour, diplomate, chargé d'affaires, ministre.

Dans la pratique des choses, ce pis-aller comportait, certes, d'éminents avantages sur lesquels on n'avait pas manqué d'insister en les lui représentant comme autant d'accès faciles vers la fortune, vers les honneurs. Le regrettable, en sa situation d'aine, fut que les siens, enfoncés clans leur égoïsme nobiliaire ou trop occupés de leur personnelle satisfaction, continuaient à le laisser, à Saint-Sulpice aussi bien qu'auparavant au collège d'Harcourt, dans une sorte d'abandon moral. Lorsque de nombreuses années auront suivi ces circonstances, Talleyrand croira comprendre, en y ramenant ses réflexions, que la vraie cause de l'éloignement de ses parents provenait de leur affection secrète et que s'étant, déterminés, selon ce qu'ils regardaient comme un intérêt de famille, à contraindre les goûts de leur fils aîné, ils s'étaient déliés de leur courage à provoquer ses confidences et ses plaintes. Us avaient préféré le voir le moins possible pour ne s'exposer point à défaillir dans l'exécution de leur projet. Par une illusion toute filiale, il tendra presque à leur en savoir gré. De même, longtemps, très longtemps après, en vertu de celte disposition d'esprit, à laquelle on incline volontiers, de rattacher les résultats obtenus, au bout de la carrière, à des causes fortuites et qu'on découvre plus lard, d'éducation première, d'entourage, il dira tout le bien imaginable des études théologiques, où l'avaient engagé des raisons parfaitement indépendantes de ses goûts. Il lui siéra de leur attribuer une part essentielle de cette sagacité, de cette mesure de pensée et d'expression, qui lui furent des qualités excellentes dans le monde des grandes affaires[4]. Des considérations tardives lui feront considérer comme des exercices tout à fait précieux cet apprentissage scolastique (surtout en Sorbonne), ces batailles d'idées où le raisonnement acquiert de la force, de la souplesse, de la ductilité. Avec leurs feintes et leurs déductions captieuses, les arguties des controverses sont-elles si éloignées des détours, des feintes savantes par où se dérobe le oui et le non diplomatique ?... Les points de vue changent avec les dates de la vie. Mais alors, mais en sa période attristée de séminaire, Talleyrand n'en jugeait pas d'une manière si complaisante et subissait en frémissant le passe-droit dont l'injustice des siens le forçait à subir l'affront, lui l'aîné de la famille.

Sans en dire mot à personne, il en restait intérieurement courroucé : l'étude seule pouvait en dissiper l'impression. A cette école forcée s'aiguisait la finesse naturelle de son esprit. En revanche, de quelle dose de scepticisme allait-il y faire provision à l'égard de tout et de tous : religion, famille, société ! Il avait cessé d'être sincère, presque à son entrée dans le cercle de l'action humaine, par l'obligation qui lui fut imposée d'y jouer la comédie de ses sentiments ; car, on l'obligeait à jouer un rôle, à exercer un ministère auquel ne le prédisposait aucune croyance.

Une tristesse concentrée, rebelle à se laisser interroger comme à se laisser distraire, glaça l'éveil de ses seize ans. Les raisons cachées en échappaient au discernement de ses maîtres, dont l'esprit était plutôt large et bon, aussi bien qu'à l'imagination curieuse de ses condisciples. Plus réfléchi qu'on ne l'est ordinairement à cet âge, il s'enfonçait dans ses pensées, ses regrets, ses désirs insatisfaits, sans leur permettre aucune ouverture sur le dehors qui pût les soulager. C'était un état d'isolement intérieur et de mélancolie, dont il ne parvenait pas à s'affranchir. Il demeura des semaines, des mois sans parler, — ce qui le faisait paraître orgueilleux, hautain, dissimulé même. On le lui reprochait souvent : il n'était que profondément morose. Il se voyait, au monde, sans guide et sans lumière, sans foyer qui lui donnât, le matin, la perception des joies du soir.

Cependant la jeunesse en revient inévitablement à réclamer ses droits au plaisir de vivre. Le besoin d'une affectivité nerveuse tourmenta son cœur et son cerveau, avant que le désir agité de la passion eut troublé le sommeil de ses sens. Tout à l'improviste, un rayon d'amour perça, éclairant, réchauffant ce printemps assombri. Le trait de lumière avait, par hasard, traversé les vitraux d'une chapelle pour s'arrêter sur son cœur. En cette chapelle de l'église Saint-Sulpice où se sanctifiaient les élus du Seigneur, son regard, à plusieurs fois, s'était tourné vers une image gracieuse et vivante, qui n'était pas dans son livre d'heures. C'était une jeune personne priant là, d'habitude, et dont l'air simple, la contenance modeste, l'avaient touché singulièrement. Depuis qu'elle se montrait si exacte aux grands offices et qu'il s'en était aperçu, il n'en manquait pas un, jusqu'à ce qu'enfin le désir le poignit de connaître le son de sa voix. Enhardi, certain jour, il était sorti de la maison de Dieu, en même temps qu'elle, la suivant de près. Comme elle mettait le pied hors du saint édifice, elle parut inquiète et n'osant avancer davantage. C'est que, pendant vêpres, le temps s'était gîté. La pluie tombait à grosses gouttes. Pouvait-il souhaiter une occasion meilleure de se rendre aimable, empressé ? Il le fut. S'étant rapproché d'elle vivement, il tendit au-dessus de sa tête un abri protecteur, en l'invitant à l'accepter. Elle ne s'y refusa pas. On marcha de compagnie. Après les hésitations des premiers compliments, on eut bientôt lié connaissance. Il était un jeune homme malheureux. Elle était une infortunée jeune fille. Les parents le forçaient à embrasser la prêtrise. La famille la contraignait à se vouer au démon du théâtre. N'était-ce pas une double iniquité du sort ? Cette conformité dans leur situation resserra le lien de leur sympathie naissante. Tout en échangeant leurs chagrins, leurs embarras, ils étaient arrivés à la maison de la rue Férou, où logeait l'intéressante personne. Elle lui permit de monter chez elle, pour ne pas arrêter court une conversation si bien commencée et si pure ! Avec une égale candeur, elle lui proposa, quand il partit, de revenir. Il se rendit à l'invitation, diligent, heureux, d'abord tous les trois ou quatre jours, puis à peu près quotidiennement. Ils mêlaient leurs peines secrètes avec délices. Quel abus pouvait être plus cruel que de maintenir, malgré lui, au séminaire. un jeune homme si peu fait pour y être emprisonné ? Quelle injustice imaginer plus noire que d'obliger à jouer la comédie une âme de vingt années[5] toute sincère et limpide ?... Elle ne se plaindra pas toujours de la dure nécessité où on la mit d'entrer au théâtre, Mlle Dorinville dite Mlle Luzy[6] — Talleyrand ne l'a pas nommée, mais elle s'appelait ainsi —. Avec le temps elle prendra cœur au métier pour ce qu'il rapporte aux jolies femmes de satisfactions à la scène, de succès particuliers dans les coulisses et d'agréments de toutes sortes semés par les détours du chemin. Un jour assez prochain on la verra très comédienne, très fière d'en arborer la. cocarde, parlant du haut de la voix et n'en faisant pas à deux fois pour s'annoncer et s'exprimer. N'est-ce pas elle qu'on entendra s'écrier en plein foyer, quelque soir : Eh quoi ! n'y aurait-il pas moyen de se passer de ces coquins d'auteurs ?... Ces bélitres d'auteurs, en effet, qui osaient porter leurs prétentions en ligne de compte sur la feuille d'émargement de la Comédie française ! Mais elle n'en est pas encore là. Pour le quart d'heure, elle se dit sacrifiée : elle a besoin des consolations de l'abbé de Périgord, qui sollicite les siennes, et leurs communs soucis se fondent en des heures douces :

Ce fut pour leur douleur un merveilleux dictame.

lie l'esprit, elle n'en avait qu'à la petite mesure. Il lui en découvrit beaucoup, sous les voiles de la beauté. Volontiers restera-t-il sur cette conviction qu'elle en dépensa indéfiniment dans leurs longs entretiens d'alors. Je ne me suis jamais aperçu qu'elle manquât d'esprit. confessera-t-il avec un air de candeur, amusant à noter chez un Talleyrand.

Ravivé dans tout son être par une aventure, qui n'était peut-être pas la première en date de sa jeune expérience[7], il affronta plus allègrement les débats d'école. Ses supérieurs le félicitaient d'un changement dont ils s'abstenaient de scruter les causes, parce qu'ils possédaient aussi bien l'art de se taire ou de parler, de sermonner avec sévérité ou de fermer les yeux avec complaisance, selon les cas. Ses études de théologie s'achevèrent brillamment à Saint-Sulpice.

Il avait quitté le séminaire. Quatre ou cinq années auparavant, était sorti de la même école l'abbé Sieyès, qui n'avait pas non plus l'âme très ecclésiastique ; et, comme Talleyrand, il avait traversé cette sorte de mélancolie dont nous tracions l'image tout à l'heure, contractée dans une situation trop contraire à ses goûts naturels. Mais la date approchait où Charles-Maurice aurait à se prononcer définitivement. Avant de s'y résoudre, avant de se soumettre à l'irrévocable du sacrement de l'ordre, il traversa une crise pénible, suprême révolte de sa conscience asservie. — la conscience de Talleyrand, qui s'assouplira de manière à ne s'émouvoir plus de rien ni sur rien ! La veille de la cérémonie, son fidèle Choiseul-Gouffier, étant allé lui rendre une amicale visite dans la soirée, l'avait surpris livré à un état violent de combat intérieur, de larmes et de désespoir. Puisque le sacrifice de son indépendance morale lui était si lourd à consommer, pourquoi, lui demanda Choiseul, n'éloignait-il pas le calice de ses lèvres, quand il en était encore temps ? Pourquoi ne se dégageait-il pas d'une chaîne, qui n'était pas encore soudée ? La réponse fut qu'il était las de lutter contre ses propres défaillances, contre les redoublements de l'exigence maternelle, contre la pression de son entourage, contre les insistances de tout le monde. Un éclat tardif dépasserait son courage. Il n'avait plus qu'à se résigner. Une dernière fois, il soupira, se plaignit. Enfin, il accepta son sort[8].

Le lendemain, lorsque eurent été prononcées les paroles sacramentelles, il s'étonna du calme parfait qui, maintenant, emplissait son esprit et son cœur. Il avait pris possession d'un état d'existence ayant, en somme, ses compensations, ses avantages. Les années dures du scolasticat étaient mortes. Il était hors des lisières. Son parti fut arpète de fondre aussi commodément qu'il lui serait possible, dans la vie : les nécessités extérieures de sa condition, les agréments du monde et la poursuite des larges desseins.

Peu de temps auparavant, il avait été présenté à Voltaire ; il le vit, par deux fois, et conserva de ces entrevues un souvenir ineffaçable. Mais quel supplément de préparation à la vie ecclésiastique !

Eu ce siècle rongé de scepticisme, les scrupules des âmes dévorées du divin amour n'étaient plus que des réminiscences légendaires. L'angoisse s'emparant de ces aines ardemment-religieuses, sur le point d'aborder ce qu'il y a de mystérieux et de redoutable dans la destinée du prêtre, ne troublait guère les veilles des fils de noblesse, qui avaient adopté le ministère ecclésiastique comme une carrière aisée, fructueuse, riche de promesses, et pour laquelle, d'avance, ils s'étaient vus désignés par privilège. Tout au contraire, il semblait de bon ton d'en méconnaître les obligations pieuses et de revêtir à la place les grâces pimpantes des abbés de cour, en attendant de se hausser, par des chemins de velours aux éminences de la prélature, toute parfumée de mondanité.

***

Charles-Maurice de Périgord unissait à une éducation sérieuse des tendances et des inclinations de mœurs, qui ne demandaient qu'à se montrer faciles. Il ne doutait point, au surplus, qu'avec les talents dont il serait appelé à se munir, avec ses qualités personnelles associées aux complaisances de l'intrigue, et son nom, ses alliances, ses relations, il n'atteignit promptement aux dignités.

Abbé de cour : ce titre suffisait alors pour donner un rang. Que les temps étaient commodes ! que les voies étaient aisées ! Et comme on avait chance, sans autres bagages que la jeunesse, une figure avenante, de la race, des influences de famille, de s'y pousser à bon compte ! Il allait s'y employer adroitement, sans faire abnégation du reste : le piquant et l'agréable.

Vingt ans était son âge. Il venait à l'existence de cour et de monde avec une immense intelligence, des sens avides et délicats. La société choisie, où l'introduisait de plain-pied sa naissance, s'ouvrit à lui très engageante. Dès qu'il y desserra les lèvres, on fut prêt à déclarer qu'il avait du goût naturel et de la sagacité. Une exclamation heureuse, un oh ! oh ! bien placé, au lieu d'un ah ! ah ! qui aurait été banal en l'occasion, l'avait mis en faveur sur-le-champ, auprès des maisons les mieux fréquentées. Il appuya de quelques bons mots cette première impression heureuse. Alors on l'invita partout. Une élégance très aperçue sous le petit collet, une physionomie comme il ne s'en voyait pas, à la fois douce, impudente et spirituelle, des regards insinuants et discrets en même temps, qui disaient tout sans nécessité de paroles, et des façons de parler, qui ne laissaient plus rien à dire à ces regards : n'était-ce pas assez pour qu'on se disputât le jeune abbé de Périgord, — préludant de loin aux succès de sa descendance indirecte : les Flahaut et les Morny ? Il n'en était qu'à ses débuts, et l'amour-galanterie avait pour lui des grâces préférées. Lui-marie n'allait pas s'en vanter aux échos du voisinage, mais il faut croire qu'on en était averti par ailleurs. Le maréchal chic de Richelieu, qui détaillait, au lever du maitre, la chronique vécue de la cour et de la. ville, le disait, un matin, à Louis XV en termes clairs : Ce petit abbé ira loin, il me dépassera.

Les Périgord avaient l'instinct galant... Son père, le chevalier de Talleyrand, sans avoir fait bruit d'aventures, eût été trop fâché qu'on lui décernât la couronne de fidélité conjugale. Son frère cadet, Joseph Archambaud, connaissait le prix du renouvellement clans le plaisir. Ardent à l'entreprise, plein d'adresse et d'audace en la poursuite de ses amoureux desseins, courageux, loyal, discret jusqu'à l'abnégation héroïque, cet Archambaud occupa fort l'attention des lemmes. Une escalade nocturne du balcon de la belle duchesse de Guiche. l'accident qui la révéla, mais seulement à la descente[9], le duel qui en fut la suite ; puis, les fins tragiques d'une surprise de mari dans l'appartement d'une femme dont l'amant, c'est-à-dire lui-mai me, tenait, par-dessus tout, à sauver l'honneur ; sa fuite hésitante au milieu d'une obscurité complète, le fatal accident qui voulut que sa main gauche fut prise et broyée dans le battant d'une porte lourdement refermée, le stoïcisme avec lequel il préféra trancher de son épée les deux doigts de cette main, plutôt que de pousser un cri et compromettre celle qu'il venait de quitter ; et d'autres histoires moins fâcheuses, comme sa liaison manifeste avec la favorite du comte de Provence[10], le futur Louis XVIII, ces exploits, ces actions rares, ces bonnes fortunes signalées devaient lui acquérir, dans le monde, le renom d'un homme à femmes peu ordinaire. Charles-Maurice de Périgord, sans s'exposer autant, n'en avançait pas moins ses affaires en belle et douce compagnie.

Entre temps, il apprenait à juger des aines et des caractères, en se glissant parmi ces privilégiés de la naissance, que la faveur ou des talents acquis avaient portés aux premières places. Destiné à voir se succéder sous ses yeux, d'un bout à l'autre d'une carrière inouïe, tant de régimes différents : royauté absolue, république aux mille têtes, démagogique dictature, empire césarien, monarchie constitutionnelle, il avait commencé cette longue expérience par la vision rapide du règne de Louis XV à son extrême déclin.

Il ne faisait que d'arriver, et ce pays du déguisement qu'on appelait la Cour de Versailles s'ouvrait à ses curiosités. Du regard il y pouvait suivre, d'heure en heure, les luttes d'intrigues et les rivalités de personnes, qui en étaient l'intérêt principal, alors que le scandale prolongé des liaisons du roi, les graves revers de la politique extérieure et tant de misère en France servaient de véhicule aux approches de la Révolution. Les cabales secrètes des petits appartements. ; les manœuvres contraires des deux factions en présence : les barriens et les dissidents ; l'animosité boudeuse, intransigeante, déjà batailleuse de la petite Dauphine contre l'ascendant étalé de la favorite ; les rancunes aigries des filles du roi, dénuées de grâce, sans beauté, sans amants ni époux, inoccupées et conséquemment médisantes ; l'opposition sourde, insaisissable de cette famille royale, que n'atteignaient pas les lettres de cachet, qu'on n'envoyait pas à la Bastille[11] ; les échos parvenus en sourdine des irritations de Chanteloup[12] : quel milieu, quels personnages, quels éléments d'observation !

Tantôt, il y avait grand appartement clans la galerie du château : c'était pour un nouvel arrivant, comme Charles-Maurice de Talleyrand, avoir devant soi le spectacle au complet, en cette sorte de réception ouverte à toutes personnes présentées, et où Sa Majesté tenait le jeu. Tantôt, on tenait cercle chez l'héritière en titre et en fonctions de la marquise de Pompadour ; et c'était la petite pièce après la grande, non moins que l'autre instructive. On lui avait ménagé l'accès de ce petit logis doré à neuf, pimpant et frais, sis au-dessus de l'appartement de Louis et dont on disait qu'il était, plus que le cabinet du roi, le siège du gouvernement, à Versailles.

A l'heure tardive où lui apparut la sultane, sous le somptueux habit et la coiffure étincelante, elle avait eu le temps d'affiner son esprit et ses manières. L'aurait-on reconnue à la grâce du sourire et des révérences la créature, la fille de rien, comme l'appelaient les duchesses nées, qui jalousaient sa place ? Plus souveraine que n'avait été sa devancière et même le cardinal Fleury, elle se tenait là, portant haut sa tête fine et empanachée, devisant de mille bagatelles ou passant les cartes à ses inséparables la maréchale de Mirepoix et la duchesse de Valentinois. Elle avait pris l'habitude des airs d'importance et parlait en vraie Pompadour du gouvernement, des ministres et, qui plus était, des services, des éminents services qu'était susceptible de rendre à l'État une favorite comme elle, si complaisante à l'avancement de ses amis. Tout récemment n'eut-elle pas de l'influence assez pour amener le renversement d'un ministère, assurer, après six mois d'hésitations, de tergiversations, d'espérances fondées et trompées, le triomphe du duc d'Aiguillon, disloquer cette immense et puissante société des Choiseul dont le prince de Talleyrand se plaira, en ses mémoires, à dénombrer les forces, et, dernier détail, faire expédier à la duchesse de Gramont l'une de ces petites lettres de cachet, dont La Vrillière avait l'envoi si familier, et qui l'excluait, elle, l'énergique et fière Égérie de l'ancien premier ministre, son frère, à quinze lieues de la cour !

Le jeune Talleyrand était en belle situation pour s'instruire de la morale du jour. Quel aimable spectacle ! La rage était au cœur des femmes titrées et les signes s'en trahissaient visiblement. Elles boudaient, intriguaient, complotaient ; elles gardaient, sans oser l'exprimer, une amère rancune au roi de ce qu'il avait répété l'exemple — en pire — de la Pompadour et qu'au lieu de s'abaisser à choisir, parmi des bourgeoises, sa favorite nouvelle, il ne s'était pas adressé à quelqu'une de leur caste pour l'installer en si belle place. Car n'était-ce pas aussi une charge ch cour exigeant. naissance et illustration ?

Depuis qu'elle était déclarée, depuis qu'on la voyait partout, an premier rang, aux soupers de Choisy, parmi les plus grandes daines de France, aux spectacles, en sa loge réservée à côté de la grande loge royale, c'était, en l'appartement de la comtesse Du Barry, un mouvement de visiteurs empressés, que la réserve maussade de certaines n'empêchait point d'être fort animé.

L'abbé de Périgord était de ces visiteurs. Il n'en rougissait aucunement. Quand on avait vu des personnages tels que M. de Mercy, ambassadeur de l'impératrice Marie-Thérèse et confident de ses intentions, quêter des audiences privées au logis de la maîtresse royale, ou comme le prince héritier de Suède, le futur Guillaume III, après avoir dansé chez la Dauphine, accourir porteur d'hommages chez celle-là, et laisser au petit chien de la belle un collier de diamants, pour rappeler le souvenir de vagues entretiens politiques ; quand on voyait les plus grands seigneurs se fondre en révérences et baisemain, un abbé de cour, tel que lui, se ait jugé bien simple à jouer du scrupuleux ! Que dis-je ! Il s'y plaisait, e y revenait volontiers. La profane Du Barry fut la première puissance que courtisa Talleyrand, et dont il eut espoir de récompense. Un soir, elle avait reçu tout un essaim de jeunes gentilshommes. Talleyrand était du nombre. Elle n'avait pas, en l'occurrence, cet air de vierge, que parvenait à lui donner Drouais, son peintre ordinaire. Une gaieté hardie flambait dans ses yeux bleus grands ouverts ; et le rire malicieux entr'ouvrait à chaque instant sa bouche mutine. La conversation courait, alerte et dégantée, sur un sujet scabreux : le peu de résistance qu'opposaient les femmes d'alors aux entreprises d'amour. L'abbé de Périgord semblait absent de ces propos. Était-ce vertu, discrétion, pudeur effarouchée ? Non certes. A quoi songeait-il donc ? La comtesse Du Barry le voulut savoir incontinent. La réponse fut que, dans la même minute, une réflexion bien mélancolique s'était emparée de son esprit : cette réflexion que, dans Paris, il était beaucoup plus facile d'avoir des femmes que d'obtenir une abbaye[13]. C'est qu'en réalité, malgré la tiédeur de son zèle ecclésiastique, un bénéfice commode et convenable s'était précisé à ses vues, comme le premier et nécessaire objet de ses vœux temporels, et, qu'il trouvait longue déjà une attente, qui ne faisait que commencer. On le comprit à demi-mot. Le lendemain, à l'heure de la toilette, comme elle jetait des bouts de phrases par-dessus son épaule blanche et ronde, au roi qui l'écoutait en la regardant, elle vint à rappeler la piquante réflexion. Louis XV s'en amusa et n'en aurait pas perdu le souvenir, sans la maladie mortelle qui le frappa, la même année. M. l'abbé de Périgord eut la prébende désirée, peu de temps après la mort du roi, une certaine abbaye de Saint-Denis de Reims abondamment rentée.

Ce fut le premier mets de sa haute fortune, comme j'en trouve le mot chez un vieil auteur. Mais, depuis un laps de temps, il n'y avait plus de roi Louis XV ni de favorite. Le sacre de son successeur, bien jeune et trop faible pour recueillir un héritage aussi lourd, était proche. Charles-Maurice de Périgord fut envoyé à Reims, afin d'assister, sous les auspices de son oncle le coadjuteur, à cette démonstration grandiose[14] des puissances réunies du ciel et de la terre.

§

La belle journée que celle du sacre ! répétait souvent Marie-Antoinette, je ne l'oublierai de ma vie. Alors, elle était heureuse et le roi populaire. La noblesse se fiait en la pérennité de ses privilèges ; les hauts serviteurs du Christ trônaient dans leur fastueuse humilité. Malgré l'inquiétude des esprits, l'amour était clans les cœurs ; des espérances radieuses saluaient l'inauguration d'un règne destiné à finir si mal.

Mais, nous sommes actuellement à Reims, en compagnie de l'abbé de Périgord et témoins, avec lui, d'un spectacle de triomphe réglé dans tous ses détails par le double rituel ecclésiastique et monarchique.

On a choisi le dimanche, fête de la sainte Trinité, comme pour adjoindre aux grandeurs du couronnement l'idée d'une mystérieuse et divine consécration.

Les prières ont commencé, dès 6 heures du matin, dans l'antique cathédrale, où se dressent tribunes et gradins en amphithéâtre. Les piliers disparaissent sous les plis épais des tapisseries. A l'entrée du chœur, dont la surface est entourée d'une haute boiserie continue d'ordre corinthien, avec des ornements d'or, apparaît un jubé à jour : là s'élève le trône royal recouvert d'un dais à coupole et que drape majestueusement l'étoffe de velours violet fleurdelisé.

Déjà la cour a pris place dans les tribunes. La jeune reine et les princesses se sont assises en face des ambassadeurs. Les chanoines au grand complet, et en chape, attendent dans les stalles. A la suite du chapitre sont venues différentes compagnies. On entend sonner la septième heure du jour et, clans le même instant, éclate, au dehors, une sonnerie de trompettes alternées de tambours et de hautbois. C'est le cortège royal arrivant de l'archevêché, musique en tête. Louis le Seizième est en vue, l'air bon et heureux en sa robe d'étoffe d'argent, qui recouvre une longue camisole cramoisie galonnée d'or. Il marche entre les deux évêques de Laon et de Beauvais, ceux-ci portant des reliquaires suspendus à leur cou. En avant est le connétable de France qui tient, pointe en l'air, l'épée royale et, à la suite, chacun de ceux, qui ont un rôle à figurer, a revêtu le costume spécial destiné pour la circonstance. Ah ! les beaux habillements, les belles étoffes d'or et d'argent, les pourpoints de velours blanc, les écharpes, les toques à plumes, de forme ancienne ! Les pairs ecclésiastiques portent leur habituel vêtement pontifical, mais les six pairs laïques — six princes du sang[15] — en ont un merveilleux : veste d'étoffe d'or et manteau ducal de drap violet, bordé et doublé d'hermine, sur la tête la couronne d'or. Car, ils sont, pour aujourd'hui, les compagnons du roi, ils représentent, auprès de lui, héritier lointain de Charlemagne, les douze pairs de l'ancienne France. L'assistance est plongée dans ut, silence grave, attentif : d'une minute à l'autre doit arriver, de Saint-Remy, la Sainte-Ampoule, qui sert à l'onction des rois. Le peuple massé sur la place a été le premier à la voir passer, entre les mains du grand prieur, en chape dorée, et qui monte une haquenée blanche, au pas tranquille, tourte harnachée de moire d'argent. L'archevêque s'est avancé pour recevoir l'huile sainte, enfermée dans un reliquaire d'or enrichi de pierres précieuses ; pieusement il la déposera sur l'autel. Alors, l'évêque dur de Beauvais et l'évêque duc de Laval élèvent de leurs mains consacrées le fauteuil où Louis XVI est assis, en demandant à l'assemblée par la formule d'usage si elle l'accepte comme chef et comme roi. Les éminences et prélats officiants sont tout à leur rôle de représentation allégorique et religieuse. Après avoir prononcé les serments en langue latine, le roi s'est remis entre les mains de ceux qui ont à le conduire à l'autel et le dévêtent de sa robe d'argent. L'archevêque lui-même devra lui mettre les éperons et lui ceindre l'épée. Ces choses faites, tous deux, le monarque et le prêtre, se sont prosternés côte à côte sur un coussin violet semé de Beurs de lys. Quatre évêques et le chœur ont entonné les litanies. Le cardinal se relève, d'abord, et, faisant face au prince toujours à genoux, procède aux onctions avec le baume enfermé dans le calice de Saint-Rémy et le saint-chrême. Les prélats l'assistent. Le roi s'étant levé, on l'a revêtu de la tunique, de la dalmatique et du manteau. Le célébrant lui passe les gants, puis l'anneau, symbole de l'union intime devant régner, désormais, entre le souverain et son peuple.

Après le sacre, le couronnement. Les douze pairs se sont rangés autour de leur prince, soutenant au-dessus de sa tête la couronne de Charlemagne, que va déposer sur son front le grand-aumônier de France. C'est enfin l'intronisation, l'exaltation du monarque. Les fanfares sonnent joyeusement, les portes s'ouvrent au large, la population arrive à flots et se presse dans le saint édifice, qu'elle ébranle du bruit de ses acclamations. Et l'archevêque, à l'autel, célèbre le sacrifice de la messe, pendant que les hérauts d'armes distribuent les médailles du sacre[16]. Des oiseaux auxquels on a donné la volée s'échappent en tous les sens, sous les voûtes de la cathédrale, symbolisant par les ébattements de leur liberté, l'effusion des grâces que le monarque allait répandre sur son peuple. Les cloches sont mises en branle ; les canons tonnent ; des feux de mousqueterie crépitent ; le fête est maintenant dans la ville, qu'emplit une clameur immense. Le roi et sa suite sont rentrés à l'archevêché, par un passage couvert établi entre le palais et la basilique. Ce soir, il y aura festin dans la grande salle ; et l'abbé de Périgord sera des convives de ce repas historique donné par l'archevêque de Reims au chef de la maison de Bourbon.

***

Talleyrand avait pu contempler, tout à l'heure — et dans quelle atmosphère de respect et de solennité ! — le déploiement des grandeurs sacerdotales. Ces magnificences extérieures, cette apothéose des symboles liturgiques où palpitaient d'une si faible lueur les clartés simples de la foi, avaient frappé ses yeux sans toucher son âme.

A sa sortie de l'incomparable nef gothique, illuminée, drapée comme une salle d'opéra, il ne s'était pas senti plus convaincu qu'à l'entrée des services qu'il rendrait à la religion, à la société, aux intérêts de sa gloire, en exerçant le ministère ecclésiastique distraitement et par obligation.

Il revint à Paris, comme il en était parti, sceptique sans le montrer ni le dire, versé dans la doctrine autant qu'il le fallait, coulant sur les principes et de nulle régularité dans les applications.

Les auteurs de ses jours ne l'accablaient. pas de leurs attentions, de leurs prévenances. Plutôt négligeaient-ils ses menus avantages, ses intimes douceurs. Ils omettaient même de payer des termes de son ancienne pension scolaire, restés en souffrance, depuis qu'il avait quitté le collège d'Harcourt[17]. Les Talleyrand n'étaient jamais pressés de mettre en ordre les comptes de la famille, quand il y allait du leur. Mais ce qu'ils n'oubliaient point, c'était de travailler pour l'honneur du nom, à l'avancement de leur fils, déjà pourvu d'une

grasse abbaye. Surtout ils veillaient à ne point laisser languir les sympathies protectrices du cardinal de La

Roche-Aymon. Déjà la province de Reims avait désigné

l'abbé de Périgord pour le représenter, à l'assemblée du clergé. L'archevêque-duc, en le nommant, en 1775, l'année du sacre, promoteur de cette assemblée lui ouvrit les avenues d'un poste très en évidence et qui lui serait en quelque sorte gardé : celui d'agent général du clergé.

Auparavant il eut à remplir la période d'études obligatoires, en Sorbonne.

Jusqu'à quel point se conforma-t-il au principe sorbonique : vicere socialiter et collegialiter et moraliter et scholasciter[18], cette règle aussi ancienne que les murs de la vieille maison ? Nous ne croyons pas nous avancer trop en assurant qu'il s'y astreignit sans éclat de zèle. Il se savait, ainsi que tous les abbés de condition, destiné aux bénéfices. Il se tenait pour certain de conclure, un jour ou l'autre, quelque bon mariage avec une église bien dotée. S'il rendait ses devoirs à l'essentiel du règlement[19], il en prenait à son aise sur tout ce qui n'était point de nécessité. Si parfois, le soir, il se glissait dans la chapelle vide et sombre, ce n'était pas avec l'intention 1 le prier seul, au pied de l'autel, mais bien pour rêver de l'avenir, devant, le mausolée de marbre du cardinal de Richelieu, et se fortifier en l'espérance que diplomate, ministre peut-être, il renouvellerait les grands exemples de l'évêque de Luçon.

La bibliothèque était riche, les moyens de travail abondants. Malgré que l'esprit du siècle eût opéré là des ravages, le monde entier venait encore chercher à la Sorbonne des lumières sur les plus délicates questions de science ou de croyance. Il s'en fallait, pourtant, que les exercices de théologie, les discussions ardentes de doctrines dans les chambrées, les soutenances de thèses, occupassent exclusivement la journée d'un sorboniste, à la fin du XVIIIe siècle. De la place restait en marge pour les plaisirs du dehors. L'abbé de Périgord savait mieux que personne l'utiliser et, au besoin, en élargir la mesure. Vraisemblablement fut-il de ceux pour lesquels on avait du récemment instituer l'usage des jetons de présence, afin d'obtenir l'assistance régulière aux Robertines. Nous le voyons niai parmi ces jeunes ecclésiastiques à l'âme ingénue, dont le meilleur contentement, après avoir pali sur les textes saints, était de jouer leur partie de balle, derrière l'église. Il se connaissait, ailleurs, des distractions moins écolières.

Sa licence de Sorbonne expirée, il prit logement à Bellechasse, dans une maison petite, commode, bien approvisionnée de livres, où il se sentait heureux de penser, de vivre, sous sa propre, libre et unique direction.

De temps en temps il faisait apparition dans sa famille. Des visites, non des séjours. La maison de ses parents avait un mouvement réglé. Il n'entrait point dans leurs habitudes journalières de recevoir beaucoup de personnes, et en particulier de cette espèce brillante, qui paradait sur le grand filaire. Pour aller chez sa mère, dent il vanta les agréments de société, il choisissait l'heure où il s'attendait à la trouver seule afin de se pénétrer mieux du charme de sa conversation. Elle n'y mettait, à ce qu'il en a dit, aucune prétention, mais livrait ses paroles avec une sorte d'abondance délicatement nuancée où les mots donnaient à entendre plus qu'ils n'exprimaient. Quand il en avait gouté le lilial plaisir, il reprenait ses courses à travers le monde. Nul n'était mieux accueilli dans la société d'une duchesse de Luynes ou d'une vicomtesse de Laval-Montmorency.

La grince naturelle avec laquelle il se prêtait aux frivoles badinages ne laissait pas encore prévoir la force de cette raison toujours droite et lumineuse, qui lui permettra, lorsque seront venues les heures historiques de s'élever avec une aisance aussi parfaite aux plus sérieuses considérations de la politique d'État. Pour le moment il n'était que jeune, léger d'esprit et discrètement ambitieux.

 

 

 



[1] Le 2 février.

[2] Rien que Dieu au-dessus de nous.

[3] Trop fastueuse, trop prodigue même était cette existence de prélat grand seigneur. Lorsque le cardinal de La Roche-Aymon, deux années plus tard, succombera aux suites d'un accès de goutte, ce financier de l'Église, qui jouissait d'un revenu de six cent mille livres, laissera des dettes si considérables que la totalité de ses biens ne suffira pas à les payer.

[4] Tel, le plus indéterminé des hommes dans les principes d'une philosophie sans logique, d'une morale sans règle, d'une religion sans dogmes ni symboles, Ernest Renan dira, se souvenant d'être passe par là, lui aussi : Je dois la clarté de mon esprit, en particulier une certaine habileté dans l'art de diviser (art capital, une des conditions de l'art d'écrire) aux exercices de la scolastique. (Souvenirs de jeunesse.)

[5] Elle en avait un peu davantage, étant née en 1747.

[6] Dorothée Dorinville, au théâtre appelée Mlle Luzy, sociétaire de la Comédie française, femme de P.-F. Guillon, avocat, puis de J.-G. Maris, avoué, 1717-1830. (V. Frédéric LOLIÉE, la Comédie française, p. 154.)

[7] Nous laisserons de côté, si l'on veut bien, une certaine anecdote d'une certaine fille de rôtisseur et du trop jeune abbé de Périgord.

[8] Talleyrand fut ordonné prêtre, le 18 décembre, dans la chapelle de l'archevêché de Reims. (Archives départementales de la Marne, G, 240, f° 131. Lettres de prêtrise de Charles-Maurice de Talleyrand, ibid., G. 248, f° 238.)

[9] On l'avait arrêté, puis reconnu et mis en liberté. Cette histoire avait fait grand bruit. Au cercle de Mme de La Vallière, un monde énorme s'était rassemblé, pour en entendre des détails tout nouveaux. Le roi en avait été informé, et, avec l'indignation de sa jeune vertu, s'en était exprimé sévèrement en disant à la jolie duchesse : Madame, vous serez donc comme madame votre mère ! D'en rougir un peu fut toute l'émotion qu'elle en garda ; et, lorsque son mari, le dernier instruit de ce qui s'était passé, voulut lui en adresser des réprimandes, il n'en avait obtenu, pour marque de repentir, que cette réponse : Eh monsieur, vous faites bien du tapage pour peu de chose ; votre père était de bien meilleure compagnie !

[10] La comtesse de Balbi.

[11] Pierre DE NOLHAC, Marie-Antoinette dauphine.

[12] Propriété du ministre disgracié Choiseul, où se réunissaient, é grand bruit, les mécontents de la famille, les partisans qu'il avait entraînés dans sa chute, et les adversaires déclarés du duc d'Aiguillon, son successeur. Sur tous ces faits et incidents de cour lire les excellents travaux de M. Maugras : Duc et duchesse de Choiseul ; Disgrâce du duc et de la duchesse de Choiseul.

[13] On avait déjà sollicité pour lui, en ce sens. Cf. notre livre sur le Duc de Morny, p. 9.

[14] Le plus grand de tous les événements pour un peuple, c'est sans doute l'inauguration de son roi. C'est alors que le ciel consacre nos monarques et resserre, en quelque sorte, des liens qui nous unissent à eux. (MIRABEAU, brochure sur le Sacre, écrite pendant sa détention au fort de Joux, 1775.)

[15] Monsieur (le comte de Provence), le comte d'Artois, le duc d'Orléans, le duc de Chartres, le prince de Condé, le prince de Bourbon. (Voyez Comte DE FALLOUX : Louis XVI ; Pierre DE NOLHAC : Marie-Antoinette, etc.).

[16] Sur la légende des médailles frappées à l'occasion de cet événement, on lisait : Deo consecratori ; et sous l'exergue : Reims, 11 juin 1775.

[17] Talleyrand employa les premiers revenus de son abbaye à liquider cette dette d'école et à s'acquitter, envers son précepteur Langlais, des soins qu'il avait eus de lui.

[18] Liber prior Sorbonœ, avril 1459, f° 84.

[19] L'antique règlement institué par le fondateur Robert de Sorbon ne s'était pas modifié et subsista jusqu'à la fermeture de la Sorbonne pendant la Révolution. V. GRÉARD : Nos Adieux à la vieille Sorbonne.