RÊVE D'EMPEREUR

LE DESTIN ET L'ÂME DE NAPOLÉON III

 

CHAPITRE PREMIER. — DES TUILERIES À LA PETITE MAISON D'ARENENBERG.

 

 

Dès la première lueur de la vie de Napoléon III, la pensée est arrêtée par un doute. Ce doute hanta bien souvent l'âme et le cœur de celui qui était le plus intéressé à l'éclaircir : Louis Bonaparte, son père devant l'Histoire, et le mari, non par amour, mais par obligation politique, d'Hortense de Beauharnais, sa mère.

Tout en rapprochant les dates et des conjectures plausibles, presque certaines : leur raccommodement passager, à Cauterets, et la naissance du troisième prince de sa Maison, des indices lui remontaient à la mémoire d'un sentiment de la reine étranger à leur union.

Tantôt, son amour paternel ne supportait point d'incertitudes capables d'en amoindrir l'objet[1] : tantôt, malade et sans bonheur, tourmenté d'infirmités cruelles et retombant aux humeurs sombres, dont ses trac as domestiques n'étaient, pas la moindre cause, ce roi malgré lui, cet époux contraint, auquel Napoléon avait jeté de force une couronne sur le front et une femme dans les bras, sans qu'il eût désiré ni l'une ni l'autre, retournait à ses méfiances jalouses : Non, celui-là n'était pas le sien, pas une goutte du sang des Bonaparte ne coulait dans ses veines[2].

Il en avait traduit le soupçon avec ménagement à son frère et suzerain. Il s'était vu forcé, lui écrivait-t-il, de changer les fonctions d'un personnage de son gouvernement, un homme d'honneur, bon militaire, mais nullement administrateur, très dérangé dans ses dépenses, et que, surtout, il ne pouvait plus conserver dans un voisinage si proche de sa cour et de son ménage royal, pour une raison de conduite domestique. Le maréchal Ver Huell était son ministre de la marine. Il préférait qu'il fût, maintenant, un fonctionnaire éloigné, son ambassadeur à Paris on à Saint-Pétersbourg[3]. La mutuelle désaffection de monsieur et de madame Louis était un fait de notoriété publique. Ils s'étaient épousés, à contre-gré, avec tristesse et par force. Tous les torts n'étaient pas d'un seul côté, quoique Hortense se plaignit d'être l'unique sacrifiée.

La fille de Joséphine tenait de la nature et de sa mère une sorte de nonchalance passionnée, qu'elle portait bien près du cœur ; d'une manière aussi naturelle, elle n'avait pu se défendre d'en accorder des marques à ceux qui l'aimèrent et qu'elle aima.

Sous le ciel nébuleux des Pays-Bas elle confia sa peine au vice-amiral Ver Huell, qui, peut-être, sans qu'on puisse le certifier d'une façon positive, abusa de la confidence[4]. D'où, par supposition, le fils de la Reine, comme l'appelait, en ses mauvaises heures, le roi de Hollande lui-même, parlant de Charles-Louis-Napoléon. Pourtant, au lendemain du jour d'accouchement, pendant que Louis Bonaparte promenait sa malheureuse névropathie de ville d'eaux en ville d'eaux, elle avait dit, avec un accent de sincérité parfaite : Si Louis était là, cet enfant nous réconcilierait.

A Paris et à Aix, elle demanda à Flahaut, l'irrésistible Flahaut, les consolations nécessaires à son cœur endolori. D'où l'arrivée dans le monde, le 23 octobre 1811, en son hôtel parisien de la rue Cerutti, de Charles-Auguste, futur duc de Morny[5].

Mais, comment se fixer une conviction sur l'authenticité des naissances historiques ? Quand on considère le pêle-mêle des amendements et corrections ajoutés en marge par les chroniques secrètes, comment se faire une opinion certaine ?

Il faudrait seulement relire, à titre d'exemple, certaine page fameuse de Saint-Simon, où le noble écrivain a étendu la bande de bâtardise sur une foule de blasons suspects. Pour achever de s'édifier sur un tel sujet, il ne serait pas indifférent non plus de se rappeler un mot audacieux et plein de sens de la princesse de Conti, née d'Orléans. Entre elle et son époux s'était élevée une discussion véhémente. Dans le fort de sa colère, elle lui jeta cet argument à la tête : Enfin, monsieur, il en sera ce que vous voudrez, mais toujours est-il que je puis faire des princes sans vous et que vous ne pouvez faire que des bâtards sans moi ! Sans remonter si haut ni s'égarer si loin dans les parages de l'ancienne aristocratie, sans aller au delà des ascendances et descendances des seuls Bonaparte, je vois de tous côtés surgir des rectifications prétendues véridiques aux actes officiels et légaux.

Napoléon Ier ne passa-t-il point pour être né de M. de Marbeuf ; son fils — bien à tort, car il lui ressemblait, à ne pas s'y tromper — pour être celui de Duroc, et son neveu, Napoléon III pour n'être nullement le fruit des justes noces du roi Louis et de Hortense de Beauharnais ?

Et si l'on en vient, après cela, aux déviations de tant d'alliances de la main gauche, avec Walewski, le fils du grand homme par droit naturel, au même titre que le comte Léon ; avec Morny, frère inavoué du restaurateur de l'empire, d'ailleurs le mieux doué des deux enfants d'Hortense et le sentant bien, lui qui croyait pouvoir dire du nouveau César, au plein de sa domination : Il n'est pas fort ; avec Jérôme David, à qui revenait si légitimement la protection déclarée de l'ex-roi de Westphalie ; avec Devienne et beaucoup d'autres, dont on voulut, à tort ou à raison, grossir une liste déjà bien chargée : quel imbroglio dans les rencontres de la famille impériale !

Le seul Jérôme nous tiendrait une heure occupé sur le chapitre de ses distractions paternelles, depuis les premières en date des unions libres, qu'il annexa, tout le long de sa vie, à ses trois mariages, jusqu'aux derniers exploits d'une vieillesse restée trop longtemps jeune[6].

Un fait établi, incontesté, c'est que Louis-Charles-Napoléon n'avait aucune similarité dans les traits avec le chef de la dynastie. Son frère Napoléon, qui mourut à Pesaro en 1831, portait sur sa physionomie l'expression caractéristique des Bonaparte. Lui, non, quelle qu'en fût la cause, fortuite ou autre.

Mais, il saura d'une telle manière suppléer à des ressemblances physiques manquantes par les habitudes acquises de l'éducation, par l'étude incessante de la tradition et du geste, par la persuasion où il s'enfermera d'être vraiment le personnage, qu'il voudra représenter avec tous les attributs inhérents à son rôle ; il eu aura la vision si claire et la pensée si convaincue qu'il sera, de toute la famille, le moins hésitant à proclamer ses droits et le plus ardent à les faire valoir.

***

Charles-Louis Napoléon naquit, le 20 avril 1808.

C'était un mercredi, à une heure du matin. Les Constitutions du 28 floréal an XII, exigeaient que le principal personnage de l'État assistât à la délivrance. Cambacérès, archichancelier de l'Empire, eut cet honneur. Le cardinal Fesch, averti par un des chambellans de la reine, s'était rendu sans attendre au palais de celle-ci, où, assisté du vicaire général de la grande aumônerie et du maitre des cérémonies de la chapelle impériale, Son Éminence ondoya le prince nouveau-né, en présence des différentes Altesses Sérénissimes.

A cinq heures, l'acte de naissance, où l'on avait laissé en blanc les prénoms exclusivement réservés au choix de l'empereur, fut reçu par Cambacérès et le secrétaire d'état Régnault de Saint-Jean-d'Angély. Les membres de la famille et l'amiral Ver-Huell, ambassadeur du roi de Hollande, étaient présents à l'acte, avec les témoins désignés en forme par le prince archichancelier et le prince vice-grand-électeur.

Tous ces noms et tous ces titres sonnaient pompeusement. La fortune du vainqueur d'Austerlitz avait atteint le point extrême de son ascension prodigieuse. Tout ce qui émanait de lui et de sa famille revêtait, devant l'opinion, une importance considérable. Napoléon n'avait pas encore d'héritier direct : il ne lui avait pas encore été donné d'incarner les espérances magnifiques, dont il ceindra, comme d'une auréole illusoire, le front du roi de Rome. Joseph n'avait point de fils. Une lignée exclusivement féminine représentait seule la continuité de sa race. Les promesses d'une succession incomparable semblaient revenir à la descendance de Louis Bonaparte.

Un registre de famille pour les naissances des enfants de la maison impériale avait été déposé an Sénat, comme le grand-livre de la dynastie napoléonienne. Par un hasard qui frappe l'imagination, Louis y fut inscrit, le premier.

Des fêtes solennelles furent données en l'honneur de l'Altesse vagissante. Pour saluer son entrée dans le monde, le canon retentit de la mer Baltique à la Méditerranée, de l'Adriatique à l'Océan. Les honneurs militaires avaient été rendus, à grand éclat. Avec l'art que possèdent les gens de cour d'expliquer le sens des événements, selon la tournure de leur réalisation, des flatteurs lui en rappelleront le souvenir, un jour, comme d'un pronostic de son étonnante fortune. Des présages, on en découvrira d'autres, par la suite, sans oublier la somnambule prophétesse, qu'on voit placer à l'origine de tons les avènements extraordinaires.

L'empereur était absent des Tuileries. A peine revenu de Venise, où tous les princes de l'Italie avaient apporté, comme autant de vassaux soumis à sa prépotence, leurs hommages et leurs félicitations, il s'était rendu à Bayonne. Dans cette ville-citadelle des Pyrénées, il attendait que Charles IV remit docilement entre ses mains la couronne d'Espagne. Enfin, il était sur le point de partir pour l'entrevue mémorable d'Erfurt. Les pensées les plus hautes et aussi les plus périlleuses, en leurs suites conjecturables, remplissaient son cerveau. Cependant., lorsque lui parvint la nouvelle, au château de Marsac, son attention s'y était arrêtée avec un intérêt très-vif. Aussitôt, il voulut en écrire à Joséphine[7]. Elle devait se rendre, sans retard, auprès de sa fille, avant de prendre ses dispositions pour le rejoindre un ces lieux. Puis, il avait donné des instructions spéciales. Son désir était que chacun, dans tout l'Empire, prit sa part du bonheur de sa bien-aimée fille et reine et en manifestât la joie.

L'élu providentiel, accueilli avec tant de faste, à son premier signe de vie, s'était annoncé dans l'existence sous des apparences bien frêles. Issu d'une double influence maladive, ainsi qu'il était vraisemblable, Charles-Louis Napoléon vint à la lumière du jour si délicat qu'on pensa le perdre en naissant ; il fallut le baigner dans du vin, l'envelopper dans du coton et veiller sur sa fragilité avec une infinie sollicitude. Les destins le préservèrent. Une nourrice intelligente et saine[8] avait reçu entre ses bras cette créature chétive et précieuse. Elle put la raviver aux sources d'un lait généreux. A aimée d'une affection vraiment tendre, elle se dévoua au bien de l'enfant avec tant de zèle que la reine devait, la retenir dans la maison, après qu'elle eut cessé son office nourricier. On ne la laissera pas quitter Arenenberg : attachée, comme elle le fut, au prince et à sa mère, on la reverra auprès de lui, jusqu'au delà de 1830, veillant à des détails de son bien-être, lui prodiguant des attentions touchantes.

Les craintes initiales avaient disparu. L'enfant devenait une espérance de pleine vie. Deux années s'écoulèrent entre la naissance et le baptême, qui fut célébré très brillamment dans la chapelle du palais de Fontainebleau. L'empereur rut son parrain et l'impératrice Marie-Louise fuit sa marraine. Napoléon avait à recevoir les serments de trois évêques nouvellement ordonnés : il voulut que la même solennité religieuse fût employée à cette double fin ecclésiastique et princière, ce qui en avait encore augmenté le lustre. On rappellera, plus tard, au prince Louis, que la cérémonie avait été fort belle : que la messe en musique était de la composition de Lesueur ; que l'empereur l'avait pris dans ses bras en disant à sa belle-fille : Madame, donnez-moi mon fils ; que, lui, n'avait pas apprécié tant d'honneur, mais s'était mis à crier comme le plus simple bambinetto du monde : que son oncle, là-dessus, lui avait l'ait la leçon, en ces termes : Ah ! ça, monsieur, voulez-vous venir avec moi ! et qu'il s'étai t tenu sagement, après avoir reçu les signes d'orvet ion et le sel.

C'est en sortant de la chapelle, ce jour-là, que Napoléon avait annoncé à l'un de ses grands dignitaire, qu'il y aurait bientôt un autre enfant à baptiser : le roi de Rome était en espérance.

Les premiers regards de Louis errèrent sur les êtres et les objets du palais royal de son père, à La have. ou de Saint-Leu et de la Malmaison. Ses plus lointaines souvenances se reportèrent, surtout, à la chère demeure des environs de Rueil, au beau parc, aux vigiles et aux champs qui permettaient à la dame du château de jouer à la fermière. Longtemps après, il reverra, à travers les ans écoulés, en son cœur rajeuni, l'impératrice Joséphine, telle qu'il l'avait connue, dans son salon, au rez-de-chaussée de la maison, l'entourant de ses caresses et s'étonnant avec amour de ses mots ingénus.

Il grandissait entre elle et sa mère, qui s'occupait avec une diligence déjà très attentive à réprimer des défauts commençant à poindre, ou à développer ses facultés naissantes.

On l'aimait comme un enfant doux et bon, tranquille et sage.

On n'avait point à supporter, de sa part, le babil intarissable, si fréquent chez les êtres puérils ; au contraire, il parlait peu et c'était, presque chaque fois, pour exprimer une idée interrogeante, qui demandait à être fixée. Joséphine lui vouait une prédilection passionnée. L'empereur lui marquait une tendre affection et n'aimait aucun enfant, après le sien, autant que celui-là.

Enfin, on le gâtait à l'extrême.

Tous les désirs de Louis, en ce premier âge, étaient comblés, sauf un, peut-être. Il lui arrivait, souvent, de traverser la ville en voiture à quatre ou à six chevaux. Cet apparat glaçait sa naturelle espièglerie. Plus d'une fois, en chemin, il s'était dit qu'il aurait bien voulu descendre du somptueux équipage, et, librement, sans gouvernante, sans domestique attaché à ses pas, sauter, tapager avec les enfants du peuple, le long du ruisseau. Il l'avait nettement fait entendre, n'ayant que six ans, un jour que la douce impératrice lui demandait ce qu'elle pourrait Lien lui accorder, mais vraiment une chose importante, du rare et du précieux, à son goût, en un mot ce qui lui procurerait le plus grand plaisir. Alors, il avait répondu que son bonheur serait complet, si elle lui permettait d'aller marcher dans la crotte, avec les petits polissons du voisinage.

A la Malmaison, du moins, ce n'était point l'espace qui lui manquait pour jouer avec le vent, s'enivrer de soleil et de verdure, bondir, courir et voir courir aussi sa mère, parmi les jeunes femmes en robes blanches, dans les parties organisées.

A Saint-Leu, pendant la journée, c'étaient des leçons sans rigueur, atténuées de récréations fréquentes. Après le dîner du soir, on rappelait Louis et Napoléon son frère au salon. Tous deux faisaient partie essentielle de la société, qui s'y trouvait intimement réunie. Mlle Cochelet, avec une tendresse ingénieuse s'employait à les distraire, leur faisait une courte lecture, leur contait des bribes d'histoire, enfin les amusait. Cette lectrice de la reine, dont une plume anonyme composa ou retoucha les mémoires, tenait une assez grande place dans la maison ; et elle mériterait bien, jusqu'à ce que nous la retrouvions, à Arenenberg, d'avoir ici son bout de portrait. Elle avait de l'intelligence, une plume facile, un heureux caractère, de l'enjouement : et, quand on disait d'elle qu'elle était une aimable rieuse, elle n'en était point fâchée : car, elle visait à en donner l'impression. Des gens arrivaient, chez la reine, avec un visage allongé, on ne savait pour quelle raison. Elle les accueillait par un éclat de rire. Dans les circonstances graves, où de plus pessimistes gémissaient d'inquiétude, elle jetait sa plaisanterie à la traverse de leurs lamentations. Cette excellente Mlle Cochelet montrait ses dents à tout propos. Sans mettre de la vanité, elle s'estimait très réjouissante et ne se privait point de l'insinuer, en brouillonnant des pages, qui ont un réel intérêt dans les détails, mais qu'on s'efforcerait vainement à trouver spirituelles. Le vrai, c'est qu'elle était contente de sa joie et la communiquait autour d'elle, particulièrement au prince Louis, qu'elle aimait beaucoup.

A 9 heures, les enfants se retiraient ponctuellement avec leur précepteur.

Parfois, quand sa santé le lui permettait, Hortense montait à cheval, avec son fils aîné, ou bien ordonnait des promenades en voiture, aux environs, arec l'un ou avec l'autre, et les instruisait en chemin du caractère des paysages ou des impressions d'autrefois, que ces lieux étaient capables d'évoquer.

Dans les circonstances où elle se voyait obligée de se séparer, momentanément de ses fils, elle les laissait aux soins de Mme de Boubers et sous la garde d'un homme de confiance nommé Deveau, qui avait recommandation expresse de ne pas les quitter, un seul instant, lorsque ne reposait pas sur eux la débonnaire surveillance de leur premier précepteur, l'abbé Bertrand. Celui-ci enseignait le latin à l'aîné, en attendant qu'on le confiât au savant Hase, et montrait à lire au plus jeune.

Assez souvent, l'empereur demandait qu'Hortense lui amenât ses neveux. Il prenait de l'intérêt à susciter les réflexions du premier, qui avait une avance de quatre ans sur le second ; et, quoique celui-ci n'eût point l'âge de comprendre, c'était un plaisir de considérer l'étonnement, qui se peignait dans les yeux et sur le visage de l'enfant, aux moments où le grand homme lui tenait des propos graves. Pendant quelques minutes, il se délassait à leurs enfantillages, puis retournait à ses plans de guerre.

Chaque fois que Louis se voyait en présence de cet oncle si redouté et, pour lui, si paternel, il en était tout remué d'affection et de crainte.

Il n'avait pas plus de cinq ans, le jour où il fut témoin de l'acte d'autorité sans réplique, par lequel Napoléon Ier obligea la fille de Joséphine, l'épouse répudiée, à se tenir auprès de Marie-Louise, la remplaçante, pendant que, sous les voûtes de Notre-Dame, retentissait le Te Deum des victoires de Dresde et de Bautzen. — De plus, c'était l'anniversaire du roi de fouie, dont la naissance avait détrôné les espoirs portés sur la tête des fils d'Hortense. — Parvenu à l'fige d'homme, il se rappellera encore l'émotion dont avait frémi, celle fois-là, son âme enfantine.

L'incident s'était passé en 1813, dans l'année fatidique où se forma le nom du drame, qui renversa les prospérités de l'empire.

§

1814 et l'invasion approchent. Les frontières sont débordées. Les événements douloureux se précipitent. Paris va tomber aux mains des troupes étrangères. L'ancien roi de Hollande est accouru, afin d'arracher ses enfants aux périls, que redoute beaucoup moins Hortense, pour eux et pour elle. Les lettres impératives et les instances, les rappels écrits et les envois de messagers, que lui expédie, à tout instant du jour et de la nuit, son mari enfiévré d'alarmes, ne la décident pas à fuir. De Glatigny où elle s'est retirée, d'abord, avec ses enfants, heureux, ceux-ci, de changer de place et de jouer à se cacher, elle est revenue à Trianon, puis, à la Malmaison, sous les auspices protecteurs du tzar Alexandre.

Mais, quels cris nouveaux frappent ses oreilles ? Où vont, à présent, les acclamations du peuple ?

L'universelle crainte est dissipée. L'aigle aux serres puissantes ne porte plus que des foudres éteintes. En tous lieux où s'assemble la foule, sous les voûtes de l'Opéra, dans les salles de spectacle, où les allusions du jour sont soulignées par les applaudissements publics, partout retentissent les cris mille fois répétés : Vive Alexandre ! Vive Louis XVIII ! Vivent les Bourbons ! C'est un délire de joie dans les populations enfin rendues aux douceurs fécondes de la paix, si longtemps et si vainement invoquées.

L'empereur de Russie et son fidèle Achate, nous voulons dire le roi de Prusse, se sont arrêtés à la Malmaison. Tout petit enfant, Louis aura vu passer dans les appartements des Tuileries, des personnages qu'on lui disait être des rois, ses parents. Il a demandé si ceux-là n'étaient pas aussi des oncles. On a dû lui expliquer que les monarques survenus, depuis quelques semaines. non seulement n'appartenaient point à sa famille, mais qu'ils étaient les ennemis de Napoléon, qu'ils arrivèrent, en France, à la tête de leurs troupes, afin de le renverser, et qu'il ne lui convenait pas de les appeler : mon oncle, mais avec respect et sans amour : Sire.

Une exception avait été faite, cependant, et c'était en faveur de celui qu'on avait surnommé, dans les correspondances intimes du château de la Malmaison, le bon chevalier et le bon ange. Un ange, le subtil et trompeur Byzantin ! Mais n'était-il pas, alors, le sauveur universel, l'incomparable, l'irrésistible Alexandre, dont les femmes avaient toutes l'imagination éblouie ?

On vantait à Louis, en des termes qu'il pût comprendre, la noblesse d'âme et la délicate bonté de l'impérial visiteur. Alors, demandait-il, il faut que nous l'aimions, celui-là ? Alexandre avait répandu beaucoup de promesses, en ces lieux, comme il en eut, partout, l'usage abondant et facile.

Oui, certainement, répondait-on au jeune questionneur ; car, vous lui devez beaucoup de reconnaissance.

Ces derniers mots étaient restés fixés dans l'esprit de l'enfant. Lorsque revint le tzar, ne trouvant pas de meilleure façon pour lui témoigner cette reconnaissance que de lui offrir un présent, il se rapprocha de lui très doucement, lui glissa dans la main une bague, qu'il avait reçue en cadeau de son oncle Eugène de Beauharnais et se retira bien vite. Touché de ce geste candide, Alexandre voulut qu'on le rappelât ; et, l'ayant embrassé, il attacha devant lui la petite bague à sa montre, en protestant de l'y garder toujours.

Hortense-Eugénie Bonaparte avait obtenu l'autorisation de rester à Paris, sous la condition de s'y tenir calme et prudente. Louis XVIII la laissait en repos, quoique les amis de Blacas en fussent très mortifiés. D'autre part, Alexandre avait pensé à lui ménager des Liens phis substantiels que l'air du temps. Il voulut qu'on arrachât à la signature royale le brevet de duchesse de Saint-Leu, pour lui en assurer l'apanage. L'une de ses dernières paroles, en quittant Paris, lui servit à dire qu'il n'avait jamais vu de femme plus intéressante qu'elle et que le plus jeune des petits princes, ses enfants, lui avait gagné le cœur par sa tenue circonspecte et ses manières engageantes. Une telle louange ! Les six ans du prince Louis purent se réjouir.

Depuis l'embarquement pour l'ile d'Elbe du grand donateur Napoléon, les plaisirs avaient perdu de leur vivacité, tant à Paris qu'à Saint-Leu.

Quelques visiteurs se groupaient autour de la dame du château. On causait métaphysique par grande précaution, afin d'esquiver du plus loin possible des terrains de conversation trop actuels et d'autant périlleux. Telles autres fois, les oreilles tâchaient d'écouter sans dissipation d'esprit le colonel Labédoyère lisant avec art Racine et Shakespeare. Ou bien les honneurs de la soirée étaient pour le pinceau de Garnerey, quand on ne les décernait point aux romances arrangées[9] de la sentimentale Hortense.

A l'écart, Louis s'émerveillait, s'il ne s'endormait pas, aux belles leçons historiques qu'était chargée de lui faire entendre, ainsi qu'à son frère, l'infatigable Mlle Cochelet.

Le train ordinaire et extraordinaire de la reine s'était singulièrement réduit. Elle, qui ne pouvait risquer un pas au dehors sans être accompagnée d'un nombreux personnel, n'avait plus, pour composer sa suite en voyage, que deux ou trois femmes de chambre, deux domestiques, un courrier, et devait se satisfaire avec si peu. Une berline, — outre la calèche où se casaient les servantes — avait remplacé l'équipage fastueux de l'Empire, avec les cavaliers en riches uniformes, qui lui faisaient escorte.

De même qu'ils commençaient à prendre conscience des divisions de leur père et de leur mère, les tenait continuellement éloignés l'un de l'autre, de même les deux petits Napoléon se rendaient vaguement compte des côtés amoindris de leur condition.

De jour en jour, diminuait sous leurs yeux le nombre des gens attachés au service de leur mère. L'aîné en faisait, tout à coup, la remarque à la lectrice très ingénument. Il le voyait bien : la fortune avait quitté leur maison. Son tout jeune frère et lui pensaient aux moyens de gagner promptement leur vie. Lui, Napoléon avait déjà son idée : puisqu'il était trop jeune pour être soldat, il pourrait donner des leçons de latin dans les villages. Quant à Louis, il tenait à vendre des bouquets de violettes. Qui se refuserait à lui en acheter ? Personne, assurément. Il en deviendrait presque riche. Un s'attendrissait, dans le groupe intime, du bon vouloir de ces chers enfants. Et la reine en tirait l'occasion de placer une réflexion morale, car, elle avait toujours la tête pleine de maximes :

Les peuples, disait-elle, seraient mieux compris, mieux gouvernés, si tous les princes avaient été, dans leur jeunesse, élevés à l'école de l'infortune.

Aussi bien savait-elle que leur sort n'était pas si pitoyable, que le tzar y avait pourvu, pendant son passage à la Malmaison, et que, grâce à l'intervention directe de l'empereur de Russie, les Bourbons n'avaient pas effacé du grand-livre le beau chiffre de rentes inscrit par Napoléon fer au nom de sa belle-fille et belle-sœur Hortense de Beauharnais. Ce n'était plus le luxe royal des jours de pompe : c'était encore une belle indépendance de princes.

Rien n'en eût été dérangé, peut-être, sans l'imprévu d'un événement inouï. La grande et tragique nouvelle éclata, comme un coup de tempête, sous les cieux apaisés : le prisonnier de l'Europe avait brisé sa chaîne ; et, débarqué de l'île d'Elbe, il arrivait sur Paris, à pas accélérés. Toujours l'un des premiers à prendre la poste, le comte d'Artois se préparait à partir dans la nuit ; de même, le duc d'Orléans songeait à se mettre en route, impatient de le dépasser.

Hortense entendait croître la rumeur, avec un redoublement d'alarmes. Elle eût préféré mille fois, à ce qu'elle déclarait, que cette fantaisie grandiose et néfaste ne se fût pas réalisée : car, elle n'en augurait que des malheurs, pour lui, d'abord, pour les siens, ensuite, et pour le reste des hommes. Avec un rare esprit de clairvoyance, loin de désirer le retour de l'île d'Elbe, elle en avait prévu, avant qu'il se produisit, les inévitables fins. Le sort l'a trahi, disait-elle à ceux qui pensaient raviver ses espérances en lui promettant un miracle, mais le repos lui est aussi nécessaire qu'à tout le monde. Les sentiments ont changé, ce serait encore la guerre et peut-être la guerre civile ; nul être raisonnable ne saurait souhaiter un tel fléau. La mystique Mme de Krüdner ne lui avait-elle pas prophétisé qu'il y aurait de terribles lendemains à des succès éphémères ? L'empereur Napoléon sortira de son ile. Il sera plus grand que jamais : mais ceux qui prendront son parti seront traqués, persécutés, punis. Ils ne sauront où reposer leur tête.

Qu'en va-t-il résulter de pire, d'irréparable ? Ce fut la première question que dut se poser la duchesse de Saint-Leu, quand elle eut connaissance du fait accompli. Il était trop évident, pour elle comme pour tout le monde, que l'événement du 20 mars n'amènerait avec soi qu'une nouvelle crise et de plus grandes catastrophes.

Le beau-père d'Hortense était rentré, suivi de son flot d'hommes de guerre, dans les Tuileries désertes. La statue de l'empereur dominait, derechef, la colonne triomphale. Les courtisans étaient à leurs places, les généraux à la tête de leurs troupes : et, pour trois mois et dix jours, la France avait retrouvé son maitre.

Il y eut, le surlendemain, dans l'après-midi, une grande parade militaire. Les enfants y furent conduits. Ils battaient des mains à la beauté du spectacle, prélude sans tristesse des actes meurtriers du lendemain.

Hortense avait repris, contre son gré, les honneurs et les charges de sa situation influente auprès de l'empereur. Quoi qu'elle fit pour échapper aux obsessions du dehors, pour en défendre, au moins, les premières heures du jour, solliciteurs et solliciteuses assiégeaient sa porte et parvenaient à la franchir. A sept heures du soir, elle retournait aux Tuileries, partageait le dîner de Napoléon et saisissait des minutes libres, permettant de lui transmettre les demandes les plus clignes de lui être recommandées.

Hélas ! le temps mesuré au nouveau règne ne permettait pas de languir, à l'intérieur du palais.

Le diplomate-roi Talleyrand n'avait pas traîné pour écrire de Vienne que le Congrès, loin de reconnaître l'empereur, l'avait mis au ban de l'Europe ; que les puissances rompaient avec lui toute négociation diplomatique et que la guerre d'invasion allait recommencer.

Il suffira de quelques semaines.

L'affluence énorme, qui remplissait les salons de la reine, aura fortement diminué. L'excès des compliments, qui lui rappelaient un langage de cour, trop souvent entendu, se sera de beaucoup amorti. Et, nombre de personnages, qui l'avaient assaillie du retour de leurs sollicitations pour avoir des places, réintégrer des fonctions, récupérer des titres ou des subsides, ralentiront, bien vite, la chaleur de leurs démarches, jusqu'au moment de les suspendre tout à fait.

Avant de monter à cheval pour la suprême et funeste campagne, dont le dénouement sera Waterloo, l'empereur voulut embrasser les enfants d'Hortense ; il prodigua des caresses encore plus tendres que d'habitude au petit Louis, en pensant à son fils, le roi de Rome, prisonnier de l'Autriche.

On a souvent retracé le tableau de l'étrange scène, où le jeune prince fut amené à voir, pour la dernière fois, celui dont il devait être, à travers l'impossible, le successeur désigné par le Destin. Quelles particularités, en effet, et combien saisissantes, si l'imagination des hommes n'y ajouta rien, par la suite !

Charles-Louis Napoléon n'avait que sept ans. Il était déjà d'une nature très excitable et sensible aux émotions nerveuses. Imprudemment sa gouvernante avait laissé tomber près de son oreille des paroles inquiètes, disant que l'empereur allait s'exposer, de nouveau, aux alternatives cruelles des batailles et que de terribles dangers menaçaient sa tête précieuse. Le reverrait-on, seulement ?

L'enfant, tout en larmes, s'était glissé dans l'appartement de son oncle aimé et redouté ; s'agenouillant devant lui, comme pressé d'une peur instinctive, il l'avait supplié de ne pas partir, parce que les méchants alliés voudraient le tuer, ou bien de le prendre avec lui, à la guerre. Des sanglots entrecoupaient l'effusion de sa prière naïve. L'empereur, un peu fâché de s'être laissé attendrir à ces propos puérils, se ressaisit, et, d'une voix ferme appelant Hortense, lui ordonna d'emmener son fils ; elle devrait réprimander sévèrement la gouvernante dont les discours inconsidérés avaient exalté la sensibilité de cet enfant. Cependant, avant, de le rendre à sa mère, il s'était tourné vers le maréchal Soult, qui se trouvait dans son cabinet et qu'avait gagné l'émotion : Tenez, lui avait-il dit vivement, embrassez-le : il sera un bon cœur et une belle âme. C'est peut-être l'espoir de ma race.

N'y eut-il rien de modifié au contexte de cette phrase significative ? Hortense la répéta-t-elle exactement, ainsi qu'elle l'avait entendue ? Toujours est-il qu'elle demeura gravée dans son âme et plus tard dans celle de son fils, comme une sentence de prophétie.

***

L'empereur est. en exil. Le Légitime est rentré dans la pleine jouissance de son vieux droit divin. Joséphine est morte. Hortense a perdu, irrémédiablement, le rang qui lui restait, à la Cour, de son ancien état de reine.

Après des désastres inouïs, elle n'a pas abdiqué le sentiment de ce qu'elle fut par ses alliances et de ce qu'elle est encore par des titres glorieux, dont elle repassera l'amour et l'ambition à ses enfants. En attendant, il a fallu partir, donner l'adieu aux bois et jardins de la Malmaison, et s'en aller, à l'aventure.

Louis, tout jeune qu'il fût, allait éprouver de grosses surprises.

Durant les sept premières années, qui furent l'aurore toute radieuse d'une existence pleine de tumulte, il s'était vu entouré des splendeurs d'une cour sans pareille. Désormais, et pour longtemps, il devra vivre hors de France, en Suisse, en Italie, en Allemagne, presque jamais avec des Français.

Les Tuileries, Saint-Cloud, la Malmaison, Saint-Leu furent les lieux enchanteurs ouverts à ses jeunes ans. D'où venait qu'on ne l'y conduisait plus ? On était, cependant, très bien dans ces palais, dans ces jardins ; il était bon de se promener en cérémonie et meilleur encore de jouer, de courir, par ces larges avenues bordées d'arbres magnifiques, sur ces larges pelouses si propices aux ébats des princes enfants.

Quels événements incompris de sa jeune raison les obligeaient donc, son frère et lui, à s'en aller, accompagnés de si peu de monde, par des chemins inconnus. sans savoir où, et comme si l'on avait hâte de se cacher, de fuir ? Son oncle, l'empereur, n'était-il plus le maitre, celui que personne ne pouvait approcher sans crainte et sans émoi ?

Il ne reverrait plus sa mère, dans les vastes salons des Tuileries, resplendissante, comme le soir où, de tous leurs yeux, son frère et lui l'avaient, avant son départ pour le bal, tant admirée. L'empereur donnait une grande soirée dansante. Hortense s'était parée d'une toilette gracieuse et magnifique. Les enfants ne la quittaient pas du regard ; ils se tenaient fascinés, en sa présence, comme devant l'apparition d'une princesse de féerie. N'en avait-elle pas les miraculeux attraits ? Ne l'avaient-ils pas entendu dire, souvent, à des bouches flatteuses ?

Les lèvres des hommes, en effet, sont complaisantes à décerner aux femmes le souverain éloge de la beauté. Une telle louange comportait des restrictions, à l'égard de la duchesse de Saint-Leu ; elle possédait une grâce attirante, dans la tournure et les manières ; elle n'était pas jolie ; sa bouche était fort laide. Mais Napoléon-Louis et Louis-Napoléon étaient ses fils ; ils l'admiraient de tout l'élan de leur cœur, et ils ne pouvaient imaginer qu'il pût exister une autre créature humaine, sous le ciel, plus digne de cette admiration que leur mère.

Elle s'était aperçue de leur ravissement candide. Alors, avec la disposition sentimentale, où elle inclinait, d'envisager, en même temps que les joies humaines, les tristesses, qui en sont l'habituelle rançon, elle leur avait dit :

Vous me trouez belle, ce soir, mes enfants, vous admirez mes bijoux et, dans mes cheveux, des pierres qui brillent. Eh bien ! pour moi, ce bouquet de violettes, que vous voyez à ma ceinture, nie semble plus précieux que toutes mes perles et tous mes brillants.

Elle avait détaché le simple bouquet, afin qu'ils pussent mieux le considérer. S'adressant au plus petit, qui avançait la main pour le recevoir :

Tu le veux, Louis ? Est-ce que tu ne préférerais pas une de ces pierres de prix ?

Non, je préférerais les violettes.

Eh bien, tu as raison : les diamants n'ont pas de parfum et ne réjouissent pas le cœur. Avec les violettes, qui refleurissent, tous les printemps, on peut être heureuse sans les diamants.

Mais, maman, reprit l'aîné, dont les onze ans ne raisonnaient pas si mal, tu en auras toujours toi, des diamants, et avec les diamants on peut se procurer des violettes[10], tant qu'on veut.

Tu pourrais bien te tromper, en pensant que j'aurai toujours des perles, des brillants, de la fortune. Personne, au monde, ne peut être assuré du lendemain !

Louis et Napoléon oublièrent la leçon de philosophie, mais non pas le charme et la magnificence dont leur mère s'était embellie, pour ajouter en sa personne à l'éclat d'un spectacle, qui ne se renouvellerait point sous leurs yeux.

***

Déjà, pendant la première Restauration, le train de vie calme et presque uniforme, que menait Hortense, à Saint-Leu ou à la Malmaison, avait été représenté sous les couleurs les moins innocentes. Selon des rapports policiers, qui n'avaient rien d'invraisemblable, son salon était exclusivement composé d'éléments bonapartistes. Pas un acte et pas une intention du gouvernement royal n'échappaient aux traits d'une critique de parti pris, dans ce milieu hostile, dans ce foyer pernicieux, où fermentait l'intrigue. Elle-même, cette Corinne de boudoir au maintien languissant, on la dépeignait comme une ambitieuse aux desseins hardis, quoique prudemment recouverts.

Lors de la seconde rentrée en France de Louis le Dix-huitième, une supposition s'était accréditée dans l'entourage bourbonien, tendant à établir que les secrètes excitations d'Hortense avaient hâté, sinon provoqué le retour du Corse audacieux. Ce grief seul aurait paru suffisant pour justifier les mesures les plus sévères. Le roi avait été mille fois trop bon, insinuaient ses conseillers, de permettre à la duchesse de Saint-Leu de se tenir, à quelques kilomètres de Paris, et d'habiter dans Paris même. En outre, laisser grandir, auprès de soi, les deux jeunes Napoléon, n'était-ce pas élever en France des loups pour en être égorgé, plus tard ?

Appréhensions grossies à l'excès, que les habitués de la rue Cerutti jugeaient misérables et risibles ! Vexations et persécutions répétées donnant une piètre opinion de ceux qui les exerçaient ! Mais étaient-elles, à ce point, chimériques et mal fondées ? Les événements ultérieurs prouveront justement le contraire. Ceux qu'on appelait, entre empereurs et rois, les individus de la famille Bonaparte, ne menaient plus qu'un faible bruit dans le monde. Cependant, on verra, dans un quart de siècle, quels pourront être la force et l'ascendant de leur nom seul, au service du plus entreprenant d'entre eux.

Momentanément la volonté des vainqueurs les a disséminés, un peu partout. Madame Mère continue d'habiter Home. Jérôme et Catherine ont été relégués à Trieste. Joseph a dû se réfugier aux États-Unis, par conséquent fort loin de sa femme et de ses filles en résidence à Bruxelles. Lucien ne sait où traîner sa ressemblance trop frappante avec l'usurpateur exécré de l'Europe entière. Caroline et Élise souhaiteraient de se rendre aux Pays-Bas ou dans la Suisse hospitalière, mais, il leur a été interdit de dépasser les alentours de Trieste. Enfin Hortense sera longtemps en route, avant de connaître le point fixe, où il lui sera permis d'arrêter sa course errante. Le monde, soupirait-elle, était bien méchant à son égard. Elle n'aurait jamais supposé que le vrai fût d'un si rude enseignement dans la vie. Avec un peu plus de courage, elle aurait voulu se cloîtrer dans une solitude complète.

Les attaques dont elle fut l'objet, avant la fatale expérience des Cent Jours, avaient redoublé de violence. Des plumes ennemies s'étaient emparé des circonstances défavorables où la plaçait le procès porté contre elle par Louis Bonaparte, réclamant devant les tribunaux qu'elle lui rendît l'aîné des enfants ; elles ajoutaient le sujet de ces querelles intimes à leurs polémiques sans miséricorde et faisaient à la reine une situation intenable, en France. Hortense le sentait et le disait avec amertume : elle ne pourrait plus y rester. Elle se déciderait au plus cruel des sacrifices ; elle s'en irait loger en sa petite propriété de Pregny, aux environs de Genève, et peut-être qu'alors elle jouirait du bénéfice de l'oubli ; on la laisserait en repos, au moins.

Comme elle hésitait encore sur la date où elle réaliserait ce désir attristé, le 19 juillet 1815 au matin, elle reçut l'ordre de quitter Paris dans les deux heures, ou dans le délai maximum de la journée. Celte injonction émanait du baron de Muffling, commandant de Paris, pour les alliés. On la soupçonnait d'être l'instigatrice d'un complot bonapartiste réel ou supposé. Le soir même, elle dut partir, accompagnée par un officier autrichien le comte de Voyna, que Charles de Constant appelle, dans sa correspondance, un jeune gardien aimable et folâtre — il n'avait que dix-neuf ans —, mais dont la conduite pleine d'égards et de tact devait s'attester irréprochable.

La reine était arrivée à Genève. Avec ses passeports en règle et dûment revêtus de la griffe des cinq puissances, elle se crut, là, bien abritée. Ses chevaux avaient déjà pris le chemin de Pregny. La villa, où elle avait passé de si douces heures avec sa mère était aménagée pour la recevoir ; il n'y fallait plus que l'arrangement final. Elle commençait à respirer, lorsque lui fut transmis un arrêt du gouvernement genevois, lui intimant l'ordre de se retirer autre part et au plus tôt. Son impression de sécurité avait été courte. La pauvre reine Hortense, écrivait, alors, la châtelaine de Coppet, me fait pitié. Je ne sais que conseiller à son beau chevalier. Il me semble que c'est à Milan qu'elle devrait aller. Metternich prétendait, lui, qu'elle serait beaucoup mieux, à Bregentz, en Autriche. Et d'autres lui donnaient à entendre qu'elle trouverait à se caser, certainement, en Prusse ou en Russie[11]. Chassée de toutes parts, elle avait eu l'idée de vendre ses diamants et d'aller vivre, à la Martinique, dans une habitation ayant appartenu à sa mère. Il lui parut trop pénible de quitter le continent, malgré qu'elle n'espérât plus trouver de refuge définitif, aux portes de la France.

Les agents des Bourbons poursuivaient sa trace avec autant d'opiniâtre rudesse que Napoléon avait mis d'animosité persécutrice à traquer, de ville en ville, en Suisse, à Venise, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Stockholm, la glorieuse M de Staël. Instruite par l'expérience et considérant qu'il serait aussi déraisonnable qu'imprudent, de sa part, de fournir des moyens d'intrigue à ceux que l'on croyait susceptibles d'en rechercher dans les pays trop voisins des frontières : Italie, Suisse et provinces rhénanes, l'autorité royale avait exigé l'application de ces mesures préventives à l'infortunée reine Hortense, qui, de tous lieux repoussée, ne sachant plus où dormir, plusieurs nuits de suite, renvoyée de Genève comme elle le sera de plusieurs autres cantons helvétiques et du grand-duché de Bade, s'écriera, de désespoir : Puisqu'on ne veut de moi, nulle part, jetez-moi dans le lac !

Elle partit pour Aix, avec l'espoir que cet ordre d'expulsion ne serait pas maintenu, mais qu'elle pourrait, bientôt, revenir en sa retraite de Pregny. Elle y comptait si fermement que, ne voulant pas emmener avec elle une suite trop coûteuse, elle y avait envoyé d'avance son écuyer M. de Marmold, son aumônier l'abbé Bertrand et quelques domestiques. Hélas ! on ne leur laissera pas le loisir de s'y installer : ceux-là furent poussés également hors du canton.

Hortense, en s'établissant à Aix jusqu'à ce qu'elle pût obtenir de nouveaux passeports, avait dû louer, sur place, le premier habitacle vacant, c'est-à-dire une maison mal située, haute et laide, et n'ayant pas d'autre intérêt que de posséder une cour assez large, où les enfants pourraient s'ébattre, tout à leur aise. Ils ne s'en privèrent point, du reste. Tandis que leur mère anxieuse comptait les jours, qui la séparaient d'une solution acceptable, Napoléon et Louis, insouciants comme on l'est à leur âge, menaient grand bruit et grande fige avec des garçons d'alentour. Pendant qua la reine Hortense entretenait des négociations longues et difficiles, afin qu'on lui reconnût le droit seulement de choisir une demeure, tous ces jeunes compagnons, ensemble, pleins d'élan et de joie, simulaient à grands cris des exercices militaires el des batailles. Napoléon, le chef désigné, conduisait la manœuvre et Louis, apportant son tambour, frappait sur la peau d'âne avec un entrain redoublé. D'autres fois, celui-ci s'armait d'un bâton, comme les autres, en guise de mousquet ; et, très fier de cet honneur, marchait avec le reste de la troupe, en serre-file, les yeux fixés sur son frère aîné, qu'il respectait infiniment et qui, le sabre de fer-blanc bien en main, lançait des : En avant ! de toute la force de sa voix grêle. Hortense se consolait, en les voyant si gais et si roses, des entraves sans nombre dont on embarrassait sa route. Enfin, la Diète s'était prononcée. L'ex-reine de Hollande aurait licence de traverser la Suisse pour se rendre dans le duché de Bade. Mais, que de tribulations encore en perspective ! Elle n'était pas au bout de, son chemin de croix.

Les conseils ou directoires, les autorités civiles ou militaires des États confédérés, semblèrent un moment, bien acharnés à la poursuite d'une, fraction de cette famille d'aventuriers — comme on appelait les Bonaparte, — traînant son personnel et ses bagages en cinq voitures[12]. En réalité, on ne les avait pas laissés libres de s'en dispenser ; ils se conformaient à des prescriptions formelles des hautes puissances, leur enjoignant de ne souffrir, sur le territoire suisse, aucune des personnes ayant conspiré contre S. M. Louis XVIII[13].

Après tant d'accidents de route, que nous renonçons à les redire, la caravane put s'engager dans les rues de la vieille ville de Constance où, demi-morte de fatigue et de froid, Hortense dut agréer pour gîte les chambres les moins démeublées d'une misérable hôtellerie.

Lasse de subir l'hospitalité tracassière et avide des tenanciers d'auberges, elle loua, au commencement de janvier, hors des murs de Constance, une maison placée sur la langue de terre, où le lac va se rétrécissant. L'habitation était fort modeste, composée d'un petit nombre de pièces mal closes et dégarnies. On ne l'eût pas choisie, certes, si elle n'avait pas été la seule à prendre. Il fallut se contenter en arrivant d'une chambre unique, pour le salon et la salle à manger. On fit venir de Paris le nécessaire et l'accessoire ; puis, l'on s'y installa, tant bien que mal.

Les journées se faisaient longues, par des temps de brunie et de pluie. Pour en distraire le décours monotone apparaissaient bien vides les rayons de la bibliothèque. Quelqu'un de la suite, le doux abbé Bertrand eut à se mettre en peine incroyablement pour se procurer un volume de hasard, une malheureuse compilation historique, qu'on éleva au rang de livre de chevet, faute d'avoir eu la main plus heureuse. Pendant plusieurs journées toutes les têtes s'étaient penchées sur les Anecdotes de la Cour de Philippe-Auguste, avec une bonne volonté touchante.

C'est là que se tenaient enfermés la reine de Hollande, sa lectrice, son enfant, l'écuyer et le précepteur. Quelques déplacements, d'heureuses visites reçues, comme celle de son bien-aimé frère Eugène de Beauharnais, un séjour de régime, au printemps, dans les montagnes du canton d'Appenzell, furent les seules distractions de son séjour, à Constance, entre 1816 et 1817.

Elle s'y accoutumait, néanmoins, elle y établissait des plans de résidence estivale entrecoupés, pendant l'hiver, de voyages en Bavière et en Italie, où la suivraient son fils, Mlle Cochelet et l'abbé, lorsqu'on l'avisa d'avoir à se retirer en arrière, aussi promptement que possible. Ses entrevues trop fréquentes avec la grande-duchesse Stéphanie, sa parente, avaient incommodé une autorité jalouse ; elles inspiraient des craintes et des soupçons. Malgré le regret qu'il en eut, le grand-duc avait dû lui signifier que la volonté des hautes puissances l'obligeait à la faire sortir de ses Etats. Elle n'alla pas loin, s'établit à deux lieues de Constance, dans le canton hospitalier de Thurgovie et se rendit maîtresse, au prix de quarante-quatre mille francs, d'une propriété appartenant, depuis un siècle, à la même famille. L'achat d'Arenenberg dûment confirmé, elle en prit, possession, dans le courant de l'été, et s'occupa d'embellir le plus agréablement qu'elle put le faire les abords de cette demeure bâtie sur le versant d'une colline.

Qu'on en considérât l'architecture extérieure ou qu'on voulût en juger d'après la distribution des appartements, l'habitation d'Arenenberg n'avait d'un château que la qualité des personnes vivant entre ses murs. L'entrée ne frappait point les yeux d'un ravissement admiratif, n'ayant rien que de simple, au premier aspect ; le pare entourant la maison ne donnait pas l'idée du prolongement d'un vaste domaine ; mais, si les apparences de la villa ne rappelaient que par contraste les grandeurs d'un palais, l'impression en était vivement relevée de pittoresque ; la beauté du site faisait songer ; on sentait qu'une imagination poétique l'avait élu, pour ses magnifiques perspectives sur le lac de Constance, sur les riants hameaux de la vallée et jusque sur une partie de la forêt Noire. Dans les jardins, tels que les a dépeints un panégyriste[14] de la reine, l'attention était attirée par la variété des plantes exotiques les plus rares et, dans les salons moins spacieux qu'on les eût souhaités, la diversité des objets d'art attestait le goût de celle qui les avait choisis ou gracieusement mis en valeur.

Hortense, son fils et les gens de sa maison ont, enfin, arrêté leur odyssée malheureuse. La vie douce, méditative, au sein de laquelle a paru s'absorber, désormais, la châtelaine d'Arenenberg, n'empêchera point la police française de lui rappeler qu'on ne l'a point perdue de vue, malgré qu'elle se fût bien passée des marques de son intérêt. Cette surveillance se prolongera, pendant une suite d'années. Elle restera toujours suspecte d'entretenir des visées différentes de celles du commun de l'humanité. Des agents venus de loin rôderont en ces alentours champêtres, s'enquérant de l'emploi de sou temps avec une sollicitude excessive. A leurs interrogations détournées, les gens du voisinage répondront, d'un parfait accord, qu'en effet de nombreuses visites se portent vers elle, qu'elle y complaît ses goûts persistants du monde et de la causerie, qu'ils ne savent rien davantage, sinon qu'elle, répand beaucoup de bienfaits dans le pays et qu'elle y est fort aimée.

On oubliera seulement d'ajouter, n'en étant pas instruit, qu'elle nourrit en son cime de plus hautes aspirations, qu'elle est restée l'incarnation d'un bonapartisme moins assombri par les regrets du passé qu'éclairé d'une idéale confiance dans les surprises de l'avenir, et qu'elle se prépare, pour le temps où son fils Louis aura l'âge de la comprendre, à lui tenir une forte école des principes et des devoirs d'un impérialisme militant.

Or, tout le caractère d'Hortense, tout l'essentiel de son rôle d'éducatrice, durant les longues années d'exil, est dans ce dernier trait qu'elle s'attachait à voiler d'ombre. En nous arrêtant à l'éclairer très particulièrement, nous y découvrirons la genèse véritable des idées entreprenantes du futur Napoléon III.

 

 

 



[1] Dans la correspondance, qu'il échangera avec l'écolier d'Arenenberg et l'étudiant d'Augsbourg, Louis Bonaparte aura presque toujours le ton grondeur et fâcheux ; cependant, par moments, il trouvera pour lui les accents d'une vraie tendresse paternelle. Ainsi, le 9 avril 1821, au moment de sa première communion, il lui écrira :

J'ai reçu ta lettre du 13 mars, mon cher enfant. Je remercie maman ton gouverneur et l'abbé de t'avoir préparé, au premier devoir solennel que te présente la religion. Je te donne ma bénédiction de tout mon cœur. Je prie Dieu qu'il te forme un cœur pur et reconnaissant envers lui, lui est l'auteur de tout bien, qu'il te donne les lumières nécessaires pour remplir tous les devoirs que peuvent t'inspirer ton pays et tes parents, et pour pouvoir toujours discerner le bien d'avec le mal... Adieu, cher petit, et je te renouvelle, dans cette occasion solennelle, la bénédiction paternelle que je le donne, par la pensée, chaque matin, chaque soir, et toutes les fois que mon imagination se porte sers toi.

Ton affectionné père.

LOUIS.

[2] Voir dans notre volume, les Femmes du Second Empire, le témoignage si positif du duc de Plaisance, p. 172.

[3] Je pense qu'il n'est pas convenable d'envoyer le maréchal Ver Huell à Saint-Pétersbourg. Je n'entre pas dans les raisons, qui vous portent à vous défaire de votre... ministre de la marine. Mais si vous tenez à éloigner Ver Huell, je préfère que vous l'envoyiez comme ambassadeur à Paris. Napoléon Ier au roi Louis, 16 décembre 1807, éd. Rocquain, 1875.

Aussitôt la réception de la lettre de Votre Majesté, j'ai nommé le maréchal Ver Huell auprès de Votre Majesté. Il est vrai, sire, que j'ai eu des raisons particulières de changer les fonctions de M. Ver Huell... Il y a même une question de conduite domestique, qui m'y a obligé. (Lettre du roi Louis à l'empereur Napoléon, 26 décembre 1807.)

Voir, par opposition, une correspondance publiée par le comte de Castellane (entre le roi Louis et un ami, préfet des Basses-Pyrénées), établissant la situation peu privilégiée du personnage à la Cour de Hollande, pendant l'année qui précéda la naissante de Charles-Louis-Napoléon.

[4] Sur les rapports fréquemment allégués de la reine Hortense avec le vice-amiral Ver Huell, ministre de la marine, et dont le vrai nous échappe voir un court extrait des Mémoires de Drouet, cité par Arthur Pougin dans sa Chronique musicale, IV, 199.

[5] Morny n'en faisait point mystère, depuis qu'il avait changé l'orthographe de son nom, puis abandonné celui de Flahaut sous lequel il fut connu, pendant sa garnison, à Moulins, en septembre 1834 (L. J. Alary, Moulins d'il y a cinquante ans, 1886, p. 32.) À partir du moment oui Louis Napoléon fut élevé à la première magistrature de l'État, on l'entendit se prévaloir de sa parenté secrète avec le chef du gouvernement, jusqu'à l'incommoder. Président ou empereur, Napoléon supportait mal la contradiction ou la familiarité. Il y eut des contestations vives entre eux, sur ce point délicat. Or, quand Morny était le plus irrité de la discrétion imposée, qui le tenait à distance, il menaçait de réclamer publiquement sa place dans la famille impériale. Je n'ai pas, il est vrai, disait-il, cette possession d'état qui m'assurerait la qualité d'enfant légitime, mais, en France, la recherche de la maternité est permise ; si je parviens à démontrer, ce qui me sera facile, que j'ai pour mère la reine Hortense, unie en légitime mariage avec le roi Louis, comme on ne peut m'opposer aucun acte de désaveu, il ne suffira, pour reprendre mon droit, d'une simple rectification faite en marge de mon acte de naissance. Et Napoléon III entrait en composition, par respect pour sa mère d'abord, puis afin de détourner les éclats de ce frère clandestin.

Une autre remarque en passant. On donnait à Charles-Louis-Napoléon un antre frère, celui-ci né d'une affection libre du roi de Hollande, et qu'il devait, après son avènement au trône impérial, généreusement protéger. Le jeune frère de Napoléon III — le comte Louis de Castelvecchio, né à Rome en avril 1826, mort à Rennes le 29 mai 1829 — venant de Florence serait appelé par l'empereur lui-même, qui voudrait le faire participer aux faveurs du pouvoir et le doter avec cette munificence, dont les anciens souverains de France savaient user en pareil cas. (Pièce tirée des archives de la préfecture de police, 6 mars 1853, ap. Nauroy.)

[6] Un détail, entre cent, de cette riche matière. Selon l'autorité plus ou moins douteuse de Viel-Castel, le comte d'Orsay, intervenant dans la confusion, était arrivé à persuader au roi Jérôme qu'il était un de ses fils.

Sur la lignée jérômiste, voir, en toutes réserves et précautions : La Cour de Westphalie de 1807 à 1813, éd. 1888 ; Viel-Castel, Mémoires, et Ch. Nanroy, Les Secrets des Bonaparte.

[7] Bayonne, 23 avril 1808.

Mon amie, Hortense est accouchée d'un fils, j'en ai éprouvé une vive joie. Je ne suis pas surpris que tu n'en dises rien, puisque ta lettre est arrivée du 21 et qu'elle est accouchée d'un fils dans la nuit.

Tu peux partir le 26, aller coucher à Mont-de-Marsan et arriver, ici, le 27. Fais partir ton premier service, le 25 au soir. Je te fais arranger ici une petite campagne. à côté de celle que j'occupe. 31a santé est bonne. J'attends le roi Charles IV et sa femme.

Adieu, mon amie.

NAPOLÉON.

[8] Mme Bure.

[9] On l'aida beaucoup dans ses compositions musicales. Par exemple, on ne sait pas assez, pour l'amour strict du vrai, que sa romance la plus connue : Partant pour la Syrie, était d'un très jeune musicien du nom de Drouet. Elle s'était accoutumée à croire sien cet air fameux, dont elle eut peut-être, l'inspiration, mais ne composa point la mélodie.

[10] Cette fleur, surtout la violette de Parme, alors peu connue, était une passion de la reine. Pour elle et l'impératrice Joséphine, on la cultivait avec abondance, à Saint-Cloud, à la Malmaison et à Saint-Leu. Son goût était si connu, a rapporté Mlle Cochelet, qu'on la reconnaissait, quand elle entrait dans un salon, au parfum doux de ses violettes se répandant autour d'elle.

[11] Les hautes puissances avaient édicté que les membres de la famille Bonaparte ne pourrait habiter que la Prusse, l'Autriche ou la Russie.

[12] La duchesse de Saint-Leu voyage dans une berline à chevaux, une dormeuse à quatre chevaux, un coupé à trois chevaux, un char de côté neuf à un cheval et une carriole à quatre robes et à un cheval.

Deux heures après sou départ de Genève, sont partis cinq chevaux de main, une calèche bleue à deux chevaux, un boghei à un cheval.

(Archives de Fribourg, ap. Eugène de Budé, les Bonaparte en Suisse.)

[13] D'après les interrogatoires récemment publiés du maréchal Ney et les bruits qui circulent, depuis la mort de Murat, il est hors de doute que tous les membres de cette famille d'aventuriers (Joseph, Lucien, Hortense), se liguent en quelque sorte pour nouer d'autres intrigues. Il est dong nécessaire d'exercer une surveillance étroite, partout où ils peuvent s'installer. (Actes du Conseil exécutif, Archives de Berne, vol. XIX, n° 28.)

[14] Fourmestraux.