De la scène mondaine aux jeux et plaisirs du théâtre. — Morny vaudevilliste. — L'estime particulière où cet homme d'État tenait les produits de sa veine dramatique. — Joies et déceptions d'auteur. — Quelqu'un troubla la fête. — Morny, Villemessant, Rochefort. — Un désir toujours manqué ; comment, gratifié, comblé de toutes les faveurs des dieux et des hommes, le duc de Morny put en être hanté, préoccupé jusqu'à ses derniers instants. — Des accommodements plus faciles ; Thiers et l'ancien ami du duc d'Orléans. — Des fusions politiques imprévues, à hauteur de cimaise. — La célèbre galerie-salon de Morny. — Son dilettantisme artistique en général et ses goûts de Mécène. — Les secrétaires de Morny : les deux Daudet, Ludovic Halévy et divers. — La part différentielle ; qui revenait à chacun d'eux dans son intimité ou dans l'action quotidienne de sa vie politiqué. Son Excellence le Président du Corps Législatif, avait d'autres passe-temps que les mondaines jouissances pour rafraîchir la sécheresse de ses travaux politiques. Particulièrement lui étaient chères les personnes et les choses du théâtre. A l'époque où la princesse de Metternich régissait avec sa turbulence aimable les plaisirs de Compiègne, la comédie mondaine faisait fureur. Tous en avaient le goût ou la manie. Chacun aurait voulu se découvrir des talents ignorés d'acteur ou d'auteur. Napoléon III se flattait d'avoir, une fois, collaboré, dramaturge novice, avec le spirituel Gondinet. L'ambassadeur-ministre Walewski, qui tenait par plus d'un lien au Théâtre-Français — disaient les journaux, faisant une allusion assez claire à sa liaison bien connue avec Rachel — avait fondé de grandes espérances sur la représentation de son École du Monde, chez Molière. Les choses avaient été préparées de loin pour le succès. Le directeur de la Comédie-Française, un publiciste gratifié d'estime, Edouard Thierry, y avait, un tant soit peu, travaillé ; on avait lu le chef-d'œuvre devant un aréopage de critiques en renom, puis donné une première audition en présence de Thiers, Rémusat, Mignet, d'Alton-Shée. Mlle Anaïs, chargée du rôle principal, promettait de le remplir avec autant de cœur que de talent... Ce fut, d'ailleurs, une chute complète et que ne changea pas en triomphe le billet de Victor Hugo à l'auteur désemparé : Courage ! Vous avez des ennemis, c'est encore un succès ! Quant à M. de Morny, il ne doutait aucunement de ses aptitudes pour le vaudeville. Le personnage d'État doublé d'un financier spéculateur, dont on savait les préoccupations multiples, n'aimait rien tant que passer pour l'un de ces agréables fantaisistes, dont l'art est de donner du prix aux moindres mots. Il avait, à double fin, des noms de rechange. Hors du Palais-Bourbon, il s'appelait M. de Saint-Rémy et signait de ce pseudonyme ses élucubrations théâtrales. Par instants, la passion des choses de la scène le tenait si fort qu'il confondait les rôles et les attributions sans s'en apercevoir. A son insu, le président s'effaçait devant l'auteur dramatique qu'il se piquait d'être. Plus d'une fois, tandis que, sur le point d'aller prendre sa place au fauteuil présidentiel, il se faisait passer le grand cordon de la Légion d'honneur et arborait ses plaques, il se surprenait fredonnant un air d'opérette, la veille entendu. A l'ouverture de telle session parlementaire dont la date exacte ne nous revient pas, on préjugeait une séance importante. Des questions d'ordre supérieur y devaient être débattues à fond. Or, il l'avait presque oubliée, ou la pensée lui en était devenue presque importune, parce que, tout à la minute, son dernier vaudeville, la Succession Bonnet, à moins que ce ne fussent les Finesses du mari, était en répétition dans ce même Palais-Bourbon. Il avait chargé Delaunay, l'incomparable diseur, d'en établir la mise en scène. On jouait encore sous ses yeux. Il ne pouvait s'arracher au délice d'écouter sa prose et de voir marcher ses personnages. Il en oubliait l'heure, le procès-verbal du jour et les débats. Des secrétaires accouraient à la file, le prévenant que chaque député était à sa place, qu'on attendait le Président pour ouvrir la séance. Il n'avait pu retenir un geste boudeur en leur répondant : C'est bien ! j'y vais ! Et, à la dernière réplique de Baptiste ou de Sophie répondaient le bref commandement de l'officier de garde et le roulement des tambours[1]. Dans la chambre fameuse, qui lui servait en même temps de cabinet de travail, il avait à recevoir, le matin, une foule de gens : des candidats à toute sorte de faveurs, des hommes de finances, des députés, des artistes ou simplement ses intimes. Encore avait-il en réserve de petites audiences pour les costumiers de l'Opéra et d''ailleurs, auxquels il se plaisait, à donner des conseils, où perçait son goût fin et sûr en matière de frivolités. Autant qu'il pouvait s'en donner permission il revenait à sa fantaisie. Il s'éprenait d'un sujet de théâtre, monté à son cerveau entre deux bâillements parlementaires, et qu'il entrevoyait déjà prenant vie sur les planches. C'était une velléité de comédie-proverbe, une façon de revue[2], un prétexte à saynète, à charade, qu'il destinerait à une société de choix très entendue à ces sortes de délicatesses. Il s'y mettait de bon cœur. On le disait, dans ces moments-là, fort occupé. Son Excellence se tenait enfermée, sans doute, pour l'examen approfondi d'une sérieuse affaire. En réalité, M. de Morny n'avait fait que repasser la plume à son double : M. de Saint-Rémy. Un excellent homme ce M. de Saint-Rémy, et que les comportements d'un bourgeois de sa connaissance, du nom de Choufleury[3], paraissaient intéresser beaucoup plus que les modifications à apporter à la Constitution de 1852. Si courtes que lui fussent les journées, il s'y ménageait des loisirs, soit pour assembler des notes musicales sur quelque motif tendre ou léger, soit pour composer des pièces, à défaut de chansons. Il en donnait lecture à des amis dont certains, comme Ludovic Halévy ou Hector Crémieux, étaient avertis déjà pour y avoir légèrement contribué. D'ordinaire, la première audition de ses essais vaudevillesques avait lieu, en toute intimité et portes closes, chez Mme Narischkine. D'entrefaite il appelait sur des bouts de dialogues ou des scènes détachées les avis de cette grande dame russe aux habitudes originales, toujours veillant et 'fumant, faisant du jour la nuit, lisant ou conversant, au gré d'un caractère enjoué, d'un esprit alerte et sémillant. Puis, on faisait passer l'objet à la censure sans rigueur des hommes du métier installés dans la place, qui l'avantageaient, de ci, de-là par des retouches complaisantes. Enfin, la représentation avait son tour, devant un public facile et chaleureux. Morny trahissait un faible prononcé pour les produits de sa veinule dramatique et ne détestait point qu'on lui en fît compliment sous le manteau. Il se jugeait autre et mieux qu'un amateur. De bonne foi croyait-il posséder la faculté souveraine : le don. Cette conviction s'était implantée en lui qu'il eût pu réussir en qualité de vaudevilliste, si le sort ne l'avait pas engagé dans la voie des honneurs. Son ambition secrète aurait été de mériter la croix par ses talents comme auteur de pièces, s'il n'eût été créé grand-croix pour sa collaboration serrée au drame du Deux-Décembre. Et c'est en quoi notre héros s'exagérait l'importance de ces innocentes distractions. Sans qu'il y prît garde, l'ambition littéraire était allée, chez lui, en s'aggravant. Les manuscrits sortaient de ses tiroirs mi-clos. Ils s'envolaient chez le libraire et tentaient osément les risques de la publicité. Si l'amour-propre de Morny amateur de lettres et de théâtre en savoura les joies, il eut aussi à en essuyer les revers. La Vie de Jules César par son illustre frère trouvait déjà bien des censeurs. Il devait s'attendre à ce que les boutades de M. de Saint-Rémy ne passeraient pas non plus sans rencontrer leurs critiques. Intentionnellement ou non, le secret du pseudonyme avait été mal gardé. Plus d'un quêteur de nouvelles avait pu se faire dire à l'oreille quel nom, quel personnage se cachait sous ce masque. D'applaudir et de louer, on ne s'en priva point dans le monde des courriéristes. Il y eut, comme on le pense, beaucoup de fleurs jetées dans les chroniques du jour. Un enguirlanda des louanges les plus délicates ou les plus brillantes le recueil nouveau-né et son mystérieux auteur. Mais une voix détonna dans le concert, une voix ironique et gouailleuse qui, sans le moindre respect, malmenait en diable le théâtre de M. de Saint-Rémy, les sujets, le dialogue et les personnages, enfin n'en laissait rien d'intact. Pourtant l'auteur du madrigal, peu de jours auparavant, avait été invité à la Présidence, où se trouvèrent convoqués tout l'entourage impérial et les princes de la critique dramatique. Ne jouait-on pas, chez M. de Morny, un fin proverbe, qu'on savait être de sa composition ? Celui-là n'y vint pas. Et comme les journaux se répandaient en des compliments outrés, dithyrambiques, Rochefort — car c'était lui — en avait eu la bile remuée. Jules Lecomte exultait d'enthousiasme. Albéric Second, feuilletoniste décoratif et plus décoré que convaincu, pour couronner son compte rendu, avait lancé ce dernier coup d'encensoir. Ah ! qu'il est heureux pour nous pauvres écrivains que l'auteur de ce délicieux petit acte ait la majeure partie de son temps absorbée par les préoccupations de la haute politique ! Que deviendrions-nous s'il avait assez de loisir pour se consacrer entièrement aux choses du théâtre ! C'était le jour de chronique d'Henri, comte de Rochefort[4]. Il se sentait mal disposé déjà ; échauffé par cette tirade d'Albéric, il y répondit du tac au tac : Ah ! qu'il est heureux pour l'auteur que, ayant participé à un fructueux coup d'État, il n'ait pas besoin de sa plume pour vivre ! Si l'un de nous osait porter à un directeur une ineptie de ce calibre, il le ferait immédiatement saisir et précipiter dans la fosse aux ouvreuses, avec ordre à celles-ci de l'exterminer à coups de petits bancs ! Le boulevard eut de quoi s'égayer, le matin, en s'éveillant, et le tout Paris frondeur, qui, ayant perdu, depuis plusieurs années, sa vieille indépendance, n'était pas fâché d'y revenir, à l'occasion. En ouvrant son Figaro, Morny avait eu le déplaisir de s'y voir ainsi traité. Malgré son flegmatisme habituel, il n'échappa point à une double impression de surprise et de mortification. D'où venait ? Par quelle étrange liberté, le Figaro et son rédacteur osèrent-ils ?... Immédiatement fut détaché au journal un garde de Paris très officiel, le casque en tête, un pli cacheté à la main. Le directeur était mandé, de suite, à la Présidence. Villemessant n'était point sans se douter du motif qui l'y faisait appeler, mais ne s'en inquiétait pas outre-mesure. Il se savait en cour auprès de son Excellence, qu'il amusait de ses racontars, de son exubérance primesautière. de tout le mouvement qu'il apportait de son journal[5], tempérés d'adroite courtisanerie, enfin des éclats de son gros rire immédiatement ramené au respect des Monsieur le Comte et plus tard des Monsieur le Duc inclinés jusqu'à terre. Aussi bien Villemessant, qui n'avait pas perdu la mémoire des attentions multipliées dont il fut l'objet de la part du Ministère de la Sûreté générale et du Parquet, sous forme d'avertissements, condamnations, contraventions et suspensions, quand il gouvernait contre vents et marées l'ancienne Chronique de Paris, était-il payé pour estimer à sa valeur, en ces temps difficiles, le prix d'une protection haut placée. Encore récemment le sourire de Morny avait servi de passeport à des frasques hasardées du Figaro. Aussitôt dans la place, c'est-à-dire dans le cabinet du Président, il essaya de détourner l'orage, en prenant le ton et l'air de plaisanterie, qui lui réussissait, d'ordinaire : Comment, monsieur le Président, feignit notre homme, ce n'est donc pas pour me décorer ? Mes rédacteurs, croyant à la bonne nouvelle, illuminaient déjà ! Mais la saillie n'eut pas l'effet attendu. On avait affaire à un auteur blessé. Morny ne se déridait point : Votre rédacteur, monsieur de Villemessant, a dépassé les bornes de la critique permise ; c'est de la malveillance évidente et raffinée. Qu'ai-je donc fait à ce monsieur de Rochefort et pourquoi m'en veut-il ?... Il m'eût été facile, pourtant, de tarir son encrier et de briser sa plume. Alors, Villemessant de se confondre en excuses et de prendre les mines les plus désolées : C'est effroyable. Avec moi un pareil article n'aurait jamais passé. Mais, précisément, ce jour-là par extraordinaire, je ne suis pas venu au journal. Les gredins en ont profité, je n'ai pas revu les épreuves. Morny ne se paya pas de ces raisons, tout en ayant l'air de s'en contenter. L'impression demeurait désagréable, au vif de son amour-propre ; il eût désiré qu'on amendât le mauvais effet produit en suscitant dans le même journal un nouvel article et qui fût comme la réparation du premier. Tel un jeune poète nourri d'illusions, il envoya son opuscule à Jouvin, Bénédict Jouvin, le gendre de Villemessant[6], un courriériste délicat apprécié pour la finesse de son goût et qui tenait en main la chronique théâtrale. Jouvin remercia, promit et ne tint pas sa promesse, dans le doute où l'enfermait un double risque : manquer aux lois de la courtoisie ou faire injure à la vérité. En attendant, le hardi feuilletoniste n'avait pas quitté la place. Ce premier éclat de Rochefort en donnait à craindre de nouveaux. Son esprit de persiflage et de moquerie universelle s'aiguisait pour d'autres escarmouches jusqu'au moment des vives campagnes. L'humeur railleuse du futur pamphlétaire inquiétait la clairvoyance de Morny au-delà de son offense personnelle. C'était un adversaire prochain[7] dont il sentait croître et la veine et l'audace. Jusqu'alors le séduisant fils de Flahaut n'avait pas eu à douter de son ascendant. Il avait enlacé dans ses liens plus d'un adversaire déclaré. Ne pourrait-il pas aussi bien par la vertu de son sourire et l'enveloppement de ses promesses attirer à lui cette verve indisciplinée et s'en servir, au besoin, en tournant contre les ennemis du régime les pointes de cette gaieté dénigrante ? Il en avait touché deux mots à Villemessant, son féal, qui ne jurait que par Morny, l'exaltait urbi et orbi comme la divinité protectrice du Figaro, et qui, cependant, ne parvenait pas à faire abaisser devant lui la plume d'un de ses rédacteurs[8]. Une occasion s'offrit, qu'on jugea excellente, d'opérer le rapprochement. Ce fut, à la première représentation d'une opérette célèbre. Ludovic Halévy en était l'auteur ; et Morny, qui l'aimait, le protégeait, n'aurait eu garde de manquer au spectacle. Rochefort y fut pareillement, et aux premières loges. Jamais salle de théâtre n'apparut plus brillante, plus animée. Toutes les personnalités du jour se croisaient dans les couloirs, pendant les entr'actes. Morny avait arrêté Villemessant pour lui glisser à l'oreille : Je vous tiens, vous allez me présenter Rochefort. — Mais certainement, monsieur le Duc, avec le plus grand plaisir. Nous causions, lui et moi, il y a deux minutes. Je cours le chercher et vous l'amène. Il s'était trop avancé. Tout ce qu'il Put faire valoir de bonnes raisons ne décida point, l'obstiné journaliste, Rochefort, qui, du reste, n'aimait pas beaucoup Villemessant et ses façons de planteur, se rencogna dans sa loge et n'en sortit plus de la soirée. C'était à recommencer. Ainsi qu'Alphonse Daudet en a fait le récit et comme Rochefort lui-même m'en précisait les détails, un soir qu'on en parlait, il y eut là une idée tenace, une véritable hantise chez Morny, se heurtant à une volonté non moins obstinée chez l'auteur des Français de la Décadence de se refuser à cette sorte d'affection bizarre mêlée d'attraction spirituelle, de crainte et de rancune. Quelques-uns auprès de Morny s'en apercevaient avec étonnement ; ils s'employaient à le débarrasser de l'étrange obsession, qui, chez cet homme adulé, gâtait le charme des plus douces flatteries. Tels s'ingéniaient à lui démontrer que le journaliste dont il se formait une image exagérée d'importance et de volume ne méritait pas tant d'honneur de sa part. A les entendre, ses opinions étaient factices, ses raisonnements étaient creux ; il ne possédait que les apparences de l'esprit et n'avait aucun style. Ils pouvaient parler longtemps, décrier l'homme et rabaisser le vaudevilliste : Morny avait l'oreille absente de leurs discours. Il songeait au moyen le plus sûr et le moins éloigné de se rencontrer avec l'absent, qui le gênait, l'irritait, placé sur son chemin comme une épine inarrachable, et de s'expliquer ensemble, une fois pour toutes. L'ancien ministre, l'homme tout-puissant, le vice-empereur, était disposé à faire les premiers pas, puisqu'il le fallait. Le potentat du Figaro, pour son propre compte, se sentait mal à l'aise entre la toquade de l'un et l'intransigeance de l'autre. Ne désespérant pas d'amener enfin à composition l'enfant terrible de son journal, il s'avisa d'un moyen, qui lui parut infaillible. Dès ce temps-là Rochefort avait la passion des tableaux. Pour la découverte d'une toile rare, il n'eût plaint ses pas ni ses démarches. Villemessant lui vanta les merveilles de la collection de Morny. Il les lui montrerait une à une, et tous ses sens en seraient ravis. Le rendez-vous fut pris pour le surlendemain. Naturellement, le maître de céans était du complot. Il fut exact à se promener dans sa galerie ; il fut patient à attendre une heure et davantage le monstre désiré, qui, ayant éventé le piège, était resté chez lui. Morny en eut longtemps l'âme ulcérée. Ce désir toujours manqué restera l'une de ses préoccupations constantes ; jusqu'à la fin de sa vie, jusque sur son lit de mort, il en aura l'esprit hanté. Longtemps après, un des familiers de l'ancien homme d'État, son banquier Delahante, se trouvant à Monte-Carlo en même temps que Rochefort, de qui nous l'avons entendu dire, lui adressera cette parole : Vous aurez été l'un des derniers regrets de Morny, l'image troublante de ses derniers jours. Le polémiste aux instincts de bataille avait été prudent. En se dérobant aux pièges d'une rencontre avec cet amateur de peinture le plus séduisant du monde et parmi cette réunion de chefs-d'œuvre, il avait préservé son indépendance[9]. Car, plus d'une fois, la galerie-salon de Morny fut une des attractions de sa politique et lui servit de terrain de rapprochement, d'où ses adversaires repartaient ses amis. Il était bien entendu qu'on venait là sans autre intention que d'admirer des joyaux d'art. On se réjouissait, à l'avance, de penser que les regards apercevraient, à l'entrée, superbe, un Rembrandt à grand feutre noir, à moustache et barbiches aux tons fauves ; que tout près on aurait la gourmande impression d'une certaine Escarpolette, bien savoureuse de Fragonard ; qu'on y verrait- encore la célèbre Fête de Watteau, avec ses délicats personnages blasés et mélancoliques ; l'Heureuse Famille de Boilly, aux carnations appétissantes ; la Dévideuse, de Greuze, si provocante en son ingénuité ; et des nids de chairs roses où folâtra, voluptueusement, le pinceau de Boucher. On s'y rendait, à seule fin d'y goûter ces jouissances de l'œil et de l'imagination. N'était-ce pas la zone idéale d'où sont bannis les passions turbulentes et les ressentiments de la politique ?.... Mais, avant d'en sortir, on s'était trouvé face à face avec l'heureux possesseur de ces œuvres exquises ; on en avait parlé ; et l'on s'en allait charmé, presque tout acquis et converti, si l'on avait encore besoin de l'être. Telle se passa l'entrevue de Thiers et de Morny, en 1863, dans la célèbre galerie de damas rouge. Jadis, l'un et l'autre avaient navigué de conserve dans le sillage orléaniste. Les événements de décembre avaient fort endommagé leur ancienne sympathie. Mais ces deux hommes étaient d'intelligence trop avisée pour qu'ils gardassent l'envie d'entretenir à perpétuité de stériles rancunes. Il fut secrètement arrangé qu'on se raccommoderait à demi sans en avoir l'air et sans en avoir rien dit à personne. Tout en n'étant plus en commerce de relations avec Auguste de Morny, Thiers connaissait assez l'homme et ses habitudes pour savoir qu'il réservait une heure de sa journée à ses tableaux. Et c'est à ce moment-là vers une heure et demie, que, le vendredi 6 novembre 1863, il avait porté sa promenade du côté de la galerie présidentielle, avant de gagner la salle des séances. Comme par hasard, Thiers était venu rendre une courte visite aux chefs-d'œuvre et fortuitement aussi Morny avait pris le même chemin, à cinq minutes d'intervalle, de sorte que ces deux illustres collectionneurs s'étaient presque heurtés devant la toile rembranesque. Comment, en pareille circonstance, ne pas échanger des appréciations picturales et ne pas rendre un mutuel tribut d'admiration au génie de ce merveilleux maître du clair-obscur ? Ainsi firent-ils. La conversation se prolongea ; elle s'étendit peut-être à d'autres sujets. Puis, on s'était quitté sur une cordiale poignée de main pour se retrouver, une demi-heure plus tard, dans la salle des séances, où Morny gagna solennellement son fauteuil présidentiel, pendant que Thiers allait se placer à gauche, dans les bancs supérieurs, au-dessus de Jules Simon, à côté de Lanjuinais. C'était jour d'ouverture de la session. Morny, clans son discours, mit une certaine coquetterie à tenir compte de cette réconciliation toute fraiche. Avec une bonne grâce infinie, il avait salué la rentrée dans l'enceinte parlementaire de grandes personnalités[10], écartées passagèrement de la politique, mais qu'il se réjouissait de revoir, maintenant, à leur place, confiant en la loyauté de leurs intentions. Le lendemain, il s'était rendu aux Tuileries, où Napoléon l'attendait pour le féliciter de son discours. Toutefois, le chef de l'État avait cru devoir tempérer son éloge de quelque réserve : Mon cher Président, votre
allocution a été des plus habilement appropriées aux circonstances.
Toutefois, il y a là une phrase que je trouve un peu vive sur l'élection de
M. Thiers. Vous avez dit : Pour ma part je me suis réjoui... C'est beaucoup, réjoui ; c'est beaucoup, quand il
parle d'un député de l'opposition. Il fut répondu qu'il s'agissait d'anciens collègues, qu'il leur était dû des égards, que de l'aménité dans les mots, de la condescendance dans les formes était sagesse en pareil cas... Allons, allons, répliqua l'empereur sur un ton de douce gaieté. Il faut que j'en prenne mon parti ; je suis entouré d'ennemis. Vous êtes orléaniste, décidément, vous êtes orléaniste[11]. ***Sous une forme ou sous une autre, pour ses contentements artistiques, politiques ou financiers, Morny s'entendait adroitement à pratiquer l'amour des tableaux. Au surplus en avait-il le sens -délicat et éclairé. Il tenait ce goût-là d'hérédité. On avait raffolé de tableaux dans la famille. Il y eut un moment où l'on fut enragé de peinture, chez Mille de Souza. Elle et son fils Charles, quotidiennement, parcouraient les quais et les magasins, à la recherche de trouvailles miraculeuses. Écoutons plutôt comme elle en parle dans ses conversations épistolaires avec la comtesse d'Albany : Je ne sais, lui écrivait-elle, le 15 avril 1811, ce que nous devenons avec notre passion de peinture. Nous achetons à qui mieux mieux, et si M. Fabre n'approuve pas, à son retour, la qualité, au moins la quantité lui fermera la bouche. Elle voulait bien confesser qu'ils y apportaient tous deux plus d'enthousiasme que de connaissance autorisée : Vous dites que Charles et moi nous n'entendons rien aux tableaux. Il se pourrait ; cependant, je sens que je m'y connais mieux. Du reste, les brocanteurs à six liards se sont tous faufilés avec moi. Vous en ririez[12]. Très fière de la quantité, comme nous venons de le voir, elle disait son ravissement d'avoir pu, elle et Charles, rassembler tant de belles choses en si peu de temps : Vous saurez, monsieur Fabre, que je possède à moi trente-huit tableaux et plus, de valeur considérable, que je brûle de vous montrer mes trésors, sans compter le plaisir que j'aurais à vous revoir. Mais le connaisseur Talleyrand est toujours enchanté de mes Carlo Dolci. Elle ne met pas en doute, un seul instant, la chance peu ordinaire, qui l'a mise sur les traces d'un Titien, d'un Ostade, de vingt tableaux de grands maîtres ni des succès qu'a obtenus dans le même genre d'acquisitions son fils Charles, devenu, depuis peu, par son nouveau titre un riche seigneur[13] : Déterrez-nous donc des Carlo
Dolci, redisait-elle, ces Carlo Dolci, que
vous dédaignez et qui conviennent à mes moyens comme à ma chambre. Laneuville
a mis Charles dans le train d'acheter des tableaux. Il manquait ce goût à son
penchant à la dépense. Ce qui m'amuse, c'est qu'il répète en se frottant les
mains : C'est ma mère qui m'a fait verser de ce côté. Il est vrai que
Charles ne penche pas, il verse. La mère comme le fils eurent souvent la vaste illusion d'accepter de magnifiques croûtes ainsi que des perles d'art. Leur goût très excité par l'imagination n'était ni très informé, ni très sûr. Morny, leur descendant, eut à la fois un discernement plus juste du beau et des ressources plus larges pour y satisfaire. Ses amis ne se lassaient point d'admirer ses Watteau, ses Rembrandt, ses Metzu, ses Terburg, ses Greuze et surtout de le lui dire, usant d'un moyen qu'ils savaient sûr de lui plaire. Une notable partie de ces chefs-d'œuvre avaient orné déjà son ancien petit hôtel des Champs-Élysées bien étroit, bien maigre d'apparences, quand on le considérait du dehors, mais que relevaient, à l'intérieur, d'une beauté sans mesure ses richesses artistiques. La collection s'était formée sans parti pris d'école, en n'y admettant que du rare et de l'indiscuté. Elle s'était augmentée à petites doses, avec choix et dilection, de ces productions hors pair dont la valeur ne cesse de croître, par la passion avec laquelle les grands amateurs s'acharnent à s'en déposséder, tour à tour. Il avait eu, plusieurs fois, la main heureuse et passé quelques marchés superbement avantageux. Car, en peinture aussi, il avait foi, cet homme habile, dans les dividendes de l'avenir. S'il recherchait les tableaux de valeur, il n'en poussait pas l'amour jusqu'au sacrifice. Il en était des peintures, qui provenaient de sa galerie comme de certains chevaux qui sortaient de ses écuries : ils gagnaient du prix par le fait d'y avoir passé. Maintes toiles enlevées à des palettes célèbres ne firent que traverser sa maison, juste assez pour en prendre l'air et la marque, y acquérir une notoriété marchande supérieure et se revendre à proportion[14]. ***Son dilettantisme s'étendait à toutes les formes d'expressions capables de charmer ou d'instruire. La musique lui fut une inclination filiale. L'amour des élégances de l'esprit, il le tenait de Mme de Souza. Son penchant pour les lettres se montrait aussi vif que celui qu'il manifestait pour les arts. Il se traduisait par maints témoignages de son action journalière : les essais de sa plume, graves[15] ou légers, les sympathies judicieuses dont il favorisait les écrivains, le caractère de ses amitiés choisies dans les cercles intellectuels, enfin le mécénat protecteur qu'il se plaisait à exercer autour de lui. C'est ainsi qu'il s'était attaché, en guise d'aides de camp administratifs de jeunes secrétaires mal pourvus d'aptitudes bureaucratiques, d'ailleurs fort intelligents, très friands de ces agréables sinécures, qui permettent aux académiciens en herbe de traverser sans douleur les épines du noviciat littéraire. Un certain Ludovic Halévy, un nommé Alphonse Daudet, furent de ceux qui paperassèrent à son service. Lorsqu'une bonne chance eut amené Alphonse Daudet dans l'atmosphère d'un salon parisien, où fréquentait Morny et que le puissant seigneur en lui offrant de l'attacher à son cabinet lui promettait en même temps de la sécurité et des loisirs, de l'ingénuité flottait dans ce cerveau romanesque. Par un scrupule aussi touchant que naïf il avait cru de son devoir d'objecter à Morny qu'il était légitimiste. L'impératrice l'est aussi, avait répondu le Président d'un air de belle indifférence, qui voulait dire : cela ne signifie rien ou pas grand'chose pour les services que j'attends de vous. A cette : heure initiale, l'expérience que pouvait avoir des hommes et des affaires le poète des Amoureuses était courte. Il avait vingt années et quelques mois en sus. Ses aptitudes administratives étaient vagues et sa ferveur très mince. Toujours le dernier venu au bureau et le premier parti, il y passait, mais n'y séjournait guère. Le sort qu'on lui faisait n'avait rien que d'enviable. Par un bon sentiment il songea qu'il y trouverait plus de douceur encore s'il pouvait en partager les agréments avec son frère aîné, qui besognait obscurément, à Provins. Il appela de ce côté les bonnes grâces de son Mécène. A ce moment-là justement un retour d'activité s'était ouvert pour les travaux des Chambres, qui venaient de recevoir enfin permission de parler, de discuter, c'est-à-dire d'exister. En conséquence on avait reconnu le besoin d'augmenter le personnel des secrétaires chargés de la rédaction des comptes-rendus des débats. Deux nominations restaient à fixer. L'une fut décidée en faveur de Ludovic Halévy ; pour l'autre Alphonse Daudet fit accepter son frère Ernest. Et celui-ci d'accourir. Avec une candeur toute provinciale — lui-même a confessé les détails de cette aventure ingénue —, le nouveau débarqué se faisait conduire en fiacre à la Présidence, dès sept heures du matin. Novice aux usages du monde officiel, et convaincu qu'on n'approchait ces grands personnages autrement qu'en habit de cérémonie, il avait revêtu le frac noir et la cravate blanche, comme pour une soirée ou pour un bal. On était au plein du mois de novembre ; c'était à peine si la clarté du jour s'était introduite en même temps que lui-même dans les vastes antichambres du palais. Les huissiers arrivaient, un à un, le pas lourd, ensommeillés. Ils le reçurent assez mal. D'où venait cet inconnu ? Etait-ce là une heure d'audience ? On allait lui signifier, et vite, qu'il se trompait de maison. Sur le vu de sa lettre de présentation, l'un de ces honorables fonctionnaires daigna, cependant, le conduire dans le salon chinois et l'y laissa. Un temps infini se passa, et la matinée entière et puis encore une heure après midi. Exténué d'attente et de faim, et ne sachant plus comment tuer les minutes, le visiteur s'avisa de remettre un peu d'ordre en ses vêtements fripés à force d'avoir été traînés de meuble en meuble. Il y procédait de son mieux, lorsque tout à coup s'ouvrit la porte : une vision féminine apparut et s'évanouit dans le froufrou d'une robe de soie et la fumée d'une cigarette. C'était Mme de Morny, qui, tout émue, alla prévenir son mari que le salon chinois était habité. Alors, le président du Corps Législatif d'entrer brusquement, en veston de velours bleu, une calotte noire sur la tête : Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? demande-t-il. On se nomme, on s'explique. Ah ! je vous avais totalement oublié. En trois minutes d'audience, pas une de plus, Morny lui apprit qu'il était nommé, qu'il aurait à voir le secrétaire général Valette, qu'on le présenterait à son chef de service Denis de Lagarde, qu'il y aurait, désormais, deux Daudet attachés au cabinet de la Présidence et qu'il pouvait se retirer sur cette bonne nouvelle. Morny avait-il discerné, dès les premiers jours, les dons de nature exceptionnels de son jeune secrétaire Alphonse Daudet ? Avec une sorte de condescendance familière il daignait parfois l'interroger sur les cigales, les Arlésiennes, ou lui parler de son moulin et du mistral. Mais qu'il eût pressenti tout le charme merveilleux de son intelligence, rien n'était moins sûr. Il ne l'associa jamais à l'intime de sa pensée. Il le protégeait d'un peu haut. Et puis, Alphonse Daudet, au regard de Morny, avait trop les apparences et la chevelure d'un poète. Le duc, qui avait le front tout à fait dénudé, n'observait pas sans un peu d'agacement les boucles sombres d'Alphonse Daudet ruisselant jusque sur ses épaules. A chaque rencontre, il lui rappelait l'adresse du coiffeur Lespès[16] : Coupez-moi donc ça ! ajoutait-il. Lui Daudet ne changeait rien à l'état de sa longue chevelure, mais gardait de la remarque une impression dépitée, mortifiée. Il avait la plume nerveuse, comme l'était son tempérament. Si mince que fût le grief, il put bien en résulter quelques égratignures légères, par humeur ou par caprice, à la mémoire du duc. L'auteur du Nabab avait, dès lors, le goût des annotations précises, destinées à devenir, sous sa plume, des épisodes, des portraits. Néanmoins, il n'était pas appelé à les recueillir en pleine lumière et d'une manière suivie dans la maison de Morny. Des aperceptions fugitives, des détails enlevés d'un crayon rapide, des impressions dispersées : à cela devait se borner son étude personnelle. Il n'avait pas la clef des confidences. Et ce serait l'explication d'un mot que nous disait, un matin, sans complaisance, le fils aîné du duc de Morny : Alphonse Daudet voyait les choses de l'antichambre. En réalité les points de contact étaient rares entre l'Excellence et son attaché. Daudet ne montait chez le duc que pour lui demander des congés. Il n'en était pas de même de Ludovic Halévy, qui, le voyait, tous les matins. Le futur auteur de la Belle Hélène était entré au ministère d'État, en juillet 185'1 L'espace de quelques journées à peine s'était écoulé entre sa sortie du collège et ses débuts administratifs. Le fin ironiste eut à considérer de bien près les petites misères du fonctionnarisme. Pour son propre compte, il perdit le goût de la cuisine politique en la regardant faire, mais non point l'intérêt de son temps dépensé, si l'on songe aux nombreux profits qu'en tira son esprit d'observation. Du reste, il appréciait à leur prix temporaire les avantages. d'une situation de tout repos sans charge ni peine, en attendant qu'il repassât la place à quelque autre et_ donnât sa démission le plus tôt possible. Non pas aussitôt, pourtant qu'il l'avait prémédité. Ludovic-Halévy ne devait rompre ses derniers liens avec l'administration que lorsque la mort du duc aurait. brisé les attaches personnelles, qui l'y retenaient. Quotidiennement, il lisait à Morny le compte-rendu. des séances du Corps Législatif, tel qu'il l'avait lui-même sténographié, tout à l'heure, à la petite table où il était installé, entre ses amis Maurel-Duperré et Anatole Claveau, au-dessous de la tribune. Par ces rapports. de tous les jours, il recevait le contre-coup direct des idées et des impressions, qui se succédaient dans l'esprit de l'homme public et auxquelles ce caractère froid et réservé n'avait pas l'habitude d'associer beaucoup de personnes. C'est qu'en effet, depuis peu, s'étaient produits des faits nouveaux et importants. Le décret impérial du 24 novembre 1860 avait rétabli la communication entre le Corps Législatif et le pays. On avait relevé la tribune parlementaire. De brillants paroliers, que la Constitution de 1852 rendit muets, venaient de retrouver la voix comme par enchantement. Il y avait, à nouveau, des discours et de la publicité autour des débats. Si l'éloquence officielle se flattait de posséder en Billault, par exemple, un virtuose consommé, fertile en ressources, ductile et puissant, la gauche libérale ne s'honorait pas moins de représenter dans cette enceinte, avec Jules Favre le raisonnement, avec Ernest Picard l'esprit, avec Émile Ollivier l'émotion. Et de son côté, le Président de la Chambre, investi d'un rôle moins illusoire que par le passé, avait sincèrement pris à tache de grandir dans l'opinion publique l'autorité morale de ses députés. Mais ces derniers points nous ramènent aux actes et à la personnalité politique de Morny, que nous avons trop longtemps délaissés. |
[1] Adolphe Brisson, Portraits intimes, Delaunay.
[2] Comme la Corde sensible, dont l'empereur avait donné l'idée, et que Morny improvisa, pendant une saison à Compiègne.
[3] Offenbach mit en musique une petite opérette dont Morny s'accusa l'auteur, et qui était intitulée : Monsieur Choufleury restera chez lui.
[4] Si républicain qu'il se soit dit, écrivait Villemessant, qui avait, à l'égard de son chroniqueur, une petite rancune à purger, Rochefort est très fier d'être comte et ses amis savent bien qu'il portait toujours sur lui deux espèces de cartes de visite, une sur laquelle on lisait Henri Rochefort et l'autre gravée d'une couronne de comte au-dessous de laquelle était écrit : le comte de Rochefort de Luçay. Cette dernière lui servait dans les grandes occasions. (Mémoires.)
[5] Mon Figaro était déjà le journal qui représentait le mieux l'esprit parisien. (Villemessant, Mémoires.)
[6] Et probablement aussi l'auteur de ses articles. On l'insinuait, du moins. On l'avait même affirmé sans détour aucun dans ce passage d'un rapport manuscrit de la Police générale sur les faits et gestes de M. de Villemessant :
Il a publié beaucoup de journaux de théâtre et critiques, qu'il a inspirés plutôt que rédigés ; car on assure que, malgré tout son esprit, il ne sait pas écrire. C'est un sieur Jouvin de Grenoble, qui est rédacteur des articles signés de Villemessant.
(Ministère de la Police générale, 2e division, pièce manuscrite, 7 juillet 1852.)
D'autre part Rochefort dit à peu près la même chose, dans les Aventures de sa vie avec plus de malice :
Villemessant, qui n'écrivait pas dans son journal pour ce motif péremptoire qu'il ne savait pas écrire, n'était point jaloux de ses rédacteurs.
[7] Rochefort sera écarté de la rédaction du Figaro, par ordre de l'Administration, quelques années après.
[8] Ce Villemessant régnait en maître au journal ; il y tranchait, despotisait en autocrate ; mais il ne gouvernait pas Rochefort : Voir les Trente Ans de Paris d'Alphonse Daudet.
[9] Morny en aurait-il eu raison par son charme ?... Rochefort, prétendait Villemessant, est un esprit singulièrement malléable sur lequel le dernier venu marque aisément son empreinte. Il est toujours sous l'influence de l'ami, qui vient de le quitter.
[10] Berryer, Thiers.
[11] Orléaniste, Morny l'était, comme l'impératrice était légitimiste, à condition que rien ne fût changé clans l'état de choses régnant et que le reste se perdit en paroles.
[12] 15 mai 1811.
[13] V. ses lettres des 5 et 22 décembre 1810, du 14 mai 1813.
[14] Il y avait un certain nombre d'années que s'était imposée, dans un monde de financiers principalement, la manie des galeries et qu'on y remuait, pour cela, des sommes énormes.
[15] Lorsque fut saisi, en 1860, le livre d'Edmond About sur la Question romaine, ce brillant écrivain aimait à raconter qu'il avait eu les gens du gouvernement pour collaborateurs, que l'Empereur avait revu les épreuves, que Fould y avait travaillé et que Morny avait fourni la fin, la Métropole à Paris, d'après une idée de Napoléon Ier.
[16] La boutique de ce barbier, qui fut un coin curieux de Paris, à cette date, occupait tout l'angle de la maison Frascati entre la rue Vivienne et le boulevard Montmartre.