FRÈRE D'EMPEREUR : LE DUC DE MORNY

ET LA SOCIÉTÉ DU SECOND EMPIRE

 

CHAPITRE DEUXIÈME. — LA JEUNESSE ET L'ÉDUCATION.

 

 

Les raisons du voyage à Paris, au mois d'octobre 1811, de la duchesse de Saint-Leu. — Une déclaration intéressante, à la mairie du IIe arrondissement. — Le père nominal d'Auguste de Morny et son père effectif. — Éducation de l'enfant, chez Mme de Souza. — Les faits et gestes de Monsieur Auguste, sous la plume de sa grand-mère. — Ses premières dispositions d'esprit, ses ébauches poétiques ; les pronostics divers fondés sur son avenir. — Une excursion en Allemagne ; rencontre impressionnante de Flahaut, de la reine Hortense et de leur fils, Auguste de Morny. — Changements apportés par la révolution de 1830 ; la haute faveur du général de Flahaut, à la cour de Louis-Philippe. — Morny entre à l'école d'État-Major, en qualité de sous-lieutenant. — Son portrait, à cette époque, ses premiers succès auprès des femmes. — Départ pour l'Algérie. — Morny, pendant la campagne de Constantine ; tableaux de guerre. — Sa démission d'officier et son retour en France.

 

Tandis que Flahaut ondoyait ses rhumatismes à Bourbonne[1], la reine honoraire de Hollande, son amie, suivait une pareille cure, à Aix-les-Bains. Quoique à distance l'un de l'autre, une commune attente emplissait leur âme d'un même souci et commandait en même temps leurs pensées.

Le 31 août, à 9 heures du matin, Hortense quittait l'antique cité savoisienne, à destination de la Suisse. Elle se rendait à Genève, munie de passeports que le préfet du nouveau département français du Mont-Blanc avait fait libeller pour elle, sous un nom d'emprunt. Le temps de goûter quelque repos à Genève, de séjourner deux semaines environ à Prégny, où Joséphine avait acheté, récemment, une propriété toute meublée, comme en prévision d'un hôte ou d'un évènement d'importance ; puis, elle avait changé de direction. Le 14 septembre, elle écrivait à Mme de Boucheporn, la gouvernante de ses enfants, qu'elle aurait à accomplir un court voyage, pour différentes raisons dont l'une était de visiter son frère ; qu'elle serait à Paris, du au 15 octobre, mais qu'on n'aurait pas à lui envoyer de lettres, à partir du 20 de ce mois, parce qu'elle serait toujours en course. En réalité, elle n'avait pas tant de chemin à faire ; car, d'avance, elle savait en quelle rue de Paris et à quelle maison particulière de cette rue se limiteraient vraiment... ses courses.

En cours de route, par des symptômes qui ne trompent point, la nature l'avait avertie qu'elle aurait à se hâter pour atteindre un asile discret. Ce ne fut pas en son hôtel, au n° 8 de la rue Cerutti[2], qu'il lui convient de l'aller chercher, mais dans une maison de plus modeste apparence, au 137 de la rue Montmartre où l'incognito lui serait moins difficile à garder. Une femme de confiance était auprès d'elle, sans autre suite.

La voyageuse en touchant au but se sentit incommodée et dut gagner le lit, pour n'en sortir pas de plusieurs jours. Les détails de cette maladie passagère ne furent pas ébruités. Uniquement on laissa dire que la duchesse de Saint-Leu souffrait d'un lumbago et que la douleur lui faisait jeter les hauts cris[3].

Le vrai de l'histoire, c'est que, le 22 octobre 1811, l'officier de l'état-civil du deuxième arrondissement enregistrait en bonne et due forme, en présence de deux témoins d'humble condition, deux artisans — l'un cordonnier et l'autre tailleur d'habits —, la naissance de Charles - Auguste-Louis - Joseph Demorny. Selon les déclarations inscrites, il était issu de Louise-Émilie-Coralie Fleury, épouse du sieur Auguste-Jean-Hyacinthe Demorny, propriétaire à Saint-Domingue[4].

Quelques-uns des nombreux chercheurs qui tenteront, après bien des années révolues, d'éclaircir cette énigme — maintenant dégagée de ses voiles —, prétendront que le personnage ayant servi de père nominal au futur duc tirait ses origines de la Martinique, qu'il était chevalier de Saint-Louis, qu'il avait des obligations envers l'impératrice Joséphine. De fait, il n'y eut point de chevalier de Saint-Louis s'étant appelé Demorny ou de Morny. Mais il exista un Auguste-Jean-Hyacinthe Demorny, officier au service du roi de Prusse, né à Saint-Domingue, qui donna ce nom[5] bénévolement au fils d'une reine détrônée et d'un général du Premier Empire ; qui n'en eut pas, d'ailleurs, l'existence beaucoup plus large et qui, trois ans étant passés depuis cela, se laissa mourir d'une façon bien discrète, le 5 avril 1814, à l'hospice de Versailles. Ni tout l'honneur qu'on supposa lui faire, ni les propriétés dont il cultivait l'hypothèse dans file des noirs ne l'avaient mis à l'abri d'une telle et si pauvre fin.

Charles de Flahaut avait gardé un silence complet sur ces événements, qu'il était censé ne pas connaître, silence commandé par le respect chi à la femme, à l'ancienne souveraine, et aussi par le souci de sa considération personnelle, de sa propre tranquillité. Loin de se prévaloir d'une si rare fortune, il écartait soigneusement des conversations, qui s'échangeaient autour de lui, tout propos capable de rappeler les marques de son intimité avec la fille de l'impératrice Joséphine.

Après la chute de l'Empire et le rétablissement de la monarchie bourbonienne, il fut encore moins désireux de sortir de son prudent mutisme. A présent qu'il avait plié sa tente, renoncé à la vie tapageuse des camps, pour mûrir d'autres desseins dans le calme d'une existence sans combat, sans heurt ni fièvre, il ne se sentait aucunement disposé à donner le vol à des indiscrétions, qui auraient eu le double tort d'être inopportunes et gênantes.

Quant à Mme de Souza, sa mère, elle dit été la dernière à trahir ce que sa religion particulière — la religion du sentiment — lui prescrivait de tenir enfermé dans son cœur sous triple serrure. Par esprit de sexe, par des raisons tirées de sa personnelle expérience (quand Talleyrand fut jeune), elle avait des opinions très arrêtées sur le droit de la femme au mystère. Elle s'en expliquait franchement, ouvertement, un matin qu'elle tenait la plume et s'entretenait avec l'un de ses correspondants habituels. C'était en 1833, à propos de l'incarcération de la duchesse de Berry dans la forteresse de Blaye et de la déclaration consentie par cette princesse royale, lorsqu'il fut devenu impossible de cacher les suites de son mariage secret en Italie.

Comment la duchesse de Berry put-elle se fier à un renégat ?... Ce qui est sûr, c'est que je n'aurais pas fait comme la dame. Du moins, je l'espère ; mais, certes, je ne l'aurais pas déclaré. Lorsque Struensee avoua au tribunal qu'il avait été l'amant de la reine Mathilde, M. de Chauvelin, qui était alors ambassadeur de France à Copenhague, se redressa fièrement en s'écriant : Un Français l'aurait peut-être dit à tout le monde, mais ne l'aurait avoué à personne. Je crois qu'une Française aurait toujours nié, et l'enfant dans son lit aurait soutenu que c'était le monstre de général, qui l'y avait apporté.

Dans ce beau plaidoyer en l'honneur de la discrétion chevaleresque, Mme de Souza parlait d'or. Seulement elle omettait un autre point, ayant aussi son importance : le droit de l'enfant à connaître, tôt ou tard, les auteurs de ses jours. Ainsi Morny, qui, sa vie entière, supporta mal la contrainte où on prétendit l'enfermer, d'abord d'ignorer ses origines, puis, les ayant apprises, de n'en dire mot à personne, quand il eût voulu les crier à tout le monde, tempérait-il d'un certain grief son amour pour celle qui, tout en s'appliquant à former son âme et sa raison, s'était abstenue de, lui divulguer les sources de sa vie. Il en faisait aussi le demi-reproche au général de Flahaut ; il lui en voulait un peu de ne lui avoir découvert les fibres de son cœur paternel que lorsque preuve eut été faite de l'honneur[6] qui en rejaillirait sur lui-même, à se déclarer, entre amis, le père d'un tel fils... Au surplus, pour en revenir au cas de la duchesse de Berry, puisqu'il en fut question tout-à-l'heure, il ne sera pas inutile de remarquer qu'elle ne pouvait :différemment se résoudre ; que les effets de sa regrettable liaison avec le comte de Lucchesi-Palli n'avaient plus à se dissimuler ; qu'elle était enfermée prisonnière, observée ; que les médecins étaient là ; que l'enfant vint au monde ; et que son premier mari étant mort depuis douze ans, il fallait bien qu'elle nommât quelqu'un d'autre[7].

***

Aussitôt qu'Auguste Demorny eut ouvert les yeux à la lumière du jour, une rente viagère lui avait été assurée sur la fortune de l'ex-reine, sa mère — une rente non très élevée, Hortense de Beauharnais n'ayant jamais passé pour avoir la main très libérale[8]. Cette mère invisible ne resta pas indifférente. Elle avait chargé le banquier Gabriel Delessert[9], un ami dévoué, le tuteur de l'enfant, de la tenir au courant des progrès d'une vie naissante, dont il ne lui était pas donné de connaître les sourires, en son berceau. Elle en recevait des nouvelles par une autre source et sans doute plus directe. Lorsqu'il sera parvenu à l'âge d'homme, elle en demandera encore, d'une façon détournée, à une grande dame de la Cour de Louis-Philippe, qu'elle aimera d'aimer son fils[10].

Auguste n'était resté que fort peu de temps aux mains des intermédiaires subalternes, qui avaient eu leur rôle à jouer clans cet imbroglio. Recueilli chez Mme de Souza comme un enfant du dehors auquel on aurait eu des raisons particulières de s'intéresser, il y balbutia ses premiers mots, il y hasarda ses premiers pas trébuchants sous une surveillance tutélaire ; rien ne lui manquait dans cette maison, hormis L'expansion des sentiments déclarés et complets. Ce qu'il fit jusqu'à cinq ou six ans, comment il apprit à lire, quels purent être alors les linéaments de sa pensée et le vague de ses sensations, le détail en serait oiseux, au cas où ses papiers auraient à nous révéler quelque chose sur ces commencements, d'existence, communs à la plupart des créatures puériles.

A mesure qu'il se dégageait des langes infantiles, l'affection dont l'entourait Mme de Souza se rendait bienveillante, douce, éclairée, gracieuse même. On l'élevait avec une molle indulgence, d'où n'était pas absente la vraie tendresse. Lorsqu'un des portraitistes du futur homme d'État — mais non de ses meilleurs amis, je veux parler du comte de Maupas — avancera qu'il n'eut point dans son enfance ces leçons du premier âge, qui suivent l'homme et le soutiennent dans le cours entier de l'existence, il commettra une erreur involontaire peut-être, mais positive. L'âme d'Auguste Demorny s'était éveillée en la tiédeur d'un nid quasi-maternel, sous la Charmante influence de Mme de Souza ; elle s'y développait naturelle, spontanée, sensible et ne donnant guère l'idée du caractère de resserrement, que lui imprimeront, avec le temps, les influences desséchantes de l'ambition et des affaires.

A vrai dire, la maison n'était pas très gaie, malgré les fugues de bonne humeur qu'y faisait passer, par instants, Charles de Flahaut. Des deuils la visitaient fréquemment. Et, comme on savait les Flahaut fort mal en cour auprès du nouveau régime, les amitiés extérieures s'y espaçaient. En outre, l'état de langueur et de dépérissement rapide de M. de Souza, sa continuelle et profonde mélancolie y entretenaient une inquiétude permanente. La figure naturellement enjouée de la maitresse du logis ne riait plus guère[11].

Je n'ai de consolation et de distraction que par le petit Auguste, qui vient très bien, écrivait-elle. Il n'était qu'un enfant et faisait naître de lui une attente singulière. Que ce fût par une juste prévision de l'avenir ou que se mêlât à cette appréciation un grain d'amour-propre sur les mérites inhérents à sa descendance — réelle ou supposée —, Talleyrand, chez lequel Flahaut le conduisait, de temps en temps, avait pressenti qu'il y aurait, pour celui-là une grande destinée.

Peu à peu cette éducation devient à Mme de Souza le principal intérêt de ses jours finissants. Elle y trouve un charme dont elle souffrirait trop, désormais, d'être sevrée. Le nom de ce petit qu'elle s'accoutume à aimer comme le fils de son fils, ou plutôt comme son propre enfant, sans oser lui en décerner le titre, revient à chaque instant, dans le commerce de lettres, qu'elle entretient avec des amis chers et éprouvés. Elle répète ses mots, elle dit ses jeux, ses menues occupations d'écolier. Éprouve-t-il quelque malaise ? Elle en a l'âme tout affectée et, quoique pour son compte de si chétive résistance, elle se sentirait prête aux plus grandes vaillances afin de l'en délivrer. En sa neuvième année Monsieur Auguste, comme elle aimait à l'appeler, inspirait des soucis par un peu de langueur dans sa croissance ; elle s'était armée aussitôt d'une décision hardie :

Monsieur Auguste est triste. Il maigrit. On dit que les bains de mer lui feront du bien et, comme je le sais très nageur et fort aventureux, je mourrais d'inquiétude si je le savais, sans moi, s'exposant à ce perfide élément. Une vague m'emporterait peut-être cette légère personne, au lieu que, moi là je suis bien sûre qu'il ne mettra pas les pieds dans l'eau sans avoir avec lui quelque vieux matelot pour l'attraper par une patte, s'il voulait aller trop loin.

On l'a placé dans la pension Muron, d'où il suit les cours du collège Bourbon. Les commencements ont leurs épines. Sa première et spirituelle institutrice, qu'il embrasse avec tant d'amour et qu'il appelle en lui parlant : Bonne mère, sans avoir le soupçon qu'il est si près de la vérité, Mme de Souza appréhende déjà qu'on n'en exige trop de sa nature vive, où l'envie de-rire et de jouer ne se plie point sans peine aux austérités du grec et du latin. Étendant plus loin ses réflexions et songeant que le froid de la vie se fera sentir bien assez tôt pour lui, oui, plus tôt qu'il ne s'en doute, elle s'en attriste presque :

Pauvre enfant ! Que ne m'est-il permis de laisser évaporer son enfance, cette folie de jeunesse, qui passe si vite et pour ne plus revenir ! Mais il faut bien le laisser pâlir et piocher sur les dictionnaires. J'en demanderais, volontiers, pardon à Dieu ![12]

Néanmoins, elle est tout heureuse, autant que s'en offre l'occasion, de consigner les marques de son avancement dans les sciences, voire même dans cette métrique latine qu'elle abhorre[13], et d'en instruire les échos d'alentour. Non point que les succès eussent été immédiats et triomphants. En telle et telle année de moissons maigres, il n'avait emporté le moindre prix ni le moindre accessit ; on se souvenait d'une fois malheureuse où, pour tout gain, au concours, il avait reçu un grand mal de tète à compter les victoires de ses condisciples. Mais, en progressant sur la route écolière, il s'était piqué d'honneur. Les distinctions étaient venues. On l'avait vu, par deux fois, s'inscrire au premier rang dans les compositions de sa classe. Il avait pris place entre les plus fiers convives rassemblés au banquet de la Saint-Charlemagne. Et l'on s'en était réjoui, à la maison, ingénument.

Au jour de- sortie hebdomadaire, on s'ingéniait à le garder le plus possible à la maison, dût-il, par aventure, manquer une classe ou deux, comme nous en trouvons l'aveu dans ce fin billet au directeur de l'école :

Mon bon monsieur Muron,

Auguste et moi nous sommes priés à dîner, dimanche, chez la duchesse de Bedford ; or, comme Franklin prétendait que Dieu nous avait donné deux yeux dont l'un voyait le bien et l'autre le mal, je vous supplie de fermer ce dernier et de me donner Auguste à coucher, dimanche : car on dîne fort tard en Angleterre.

Mille bonjours ; vous étiez, hier, comme je voudrais toujours vous voir[14].

A. DE S...

Quant s'ouvrait la période des vacances, on s'ingéniait à les lui rendre si attrayantes et si pleines qu'il n'avait qu'un seul regret ensuite, celui de les voir finir trop tôt[15]. Mme de Souza ne s'épargnait en rien sur ce qui pouvait lui être agréable ou utile. De son côté, Flahaut, qu'il fût présent ou absent, attachait de l'intérêt à suivre l'éveil de son intelligence. Auguste Demorny grandissait et s'ouvrait à la vie sous la protection de cet homme encore jeune, qui le traitait comme son fils et qu'il n'appelait, cependant, pas son père. Mais celui-ci, depuis peu de temps, s'était créé un autre ordre d'existence, une nouvelle famille.

***

Pendant que Mme de Souza continuait à s'entretenir, la plume en main, des faits et gestes de Monsieur Auguste, le général de Flahaut, retiré en Écosse, avait eu le loisir de mener à ses fins une grande résolution, qui transforma du tout au tout sa vie privée.

A plusieurs fois, Mme de Souza avait songé à marier son fils ; elle hésitait où porter ses vues, elle cherchait des yeux dans la société parisienne la perle rare, n'ayant encore d'idée précise ni d'espérance fondée. Las d'en attendre les effets, il prévint ses bonnes intentions en les réalisant par ses propres moyens ; et ce fut au prix d'une véritable conquête, hors de France, sur le terrain de l'aristocratie britannique, où s'étaient ramifiées ses relations. Des oppositions de famille tenaces voulurent lui barrer la route. Il s'en était rendu maître, ayant eu pour son allié le meilleur et le plus sûr la force du sentiment qu'il avait inspiré.

Après de longues résistances paternelles, se fondant sur l'inégalité des conditions de fortune, sur l'état de disgrâce politique où végétait l'ancien aide-de-camp de Napoléon, et sur d'autres raisons, que renforçaient des antipathies de nationalités, il était parvenu à épouser, parce qu'elle ne voulait avoir d'autre mari que cet officier français, miss Mary Elphinstone, fille unique de l'amiral lord Keith de Banheat. Quoiqu'elle eût pu prétendre par le rang et l'illustration attachés au nom de son père, par sa naissance et par ses richesses, aux premiers partis de l'Angleterre, elle leur avait préféré, comme il le disait, un étranger malheureux — pas si malheureux, pourtant, puisqu'il était général de division, comte de l'Empire, pair de France, couvert de titres et jeune —, et elle avait ajouté cette preuve à tant d'autres dont l'histoire des humains ruisselle sur la puissance irrésistible de l'amour.

Mari méthodique et de passion modérée[16], mais exact à ses devoirs, Flahaut avait lieu de se déclarer satisfait, sauf sur un point particulier. Il désirait un fils, un vrai fils qu'il pût avouer hautement. Or, les berceaux se succédaient, d'année en année, se préparant, chaque fois, mais en vain, à recevoir l'héritier d'un beau nom français et d'une pairie anglaise. A la troisième de ses filles il donnera le nom d'Hortense par le ressouvenir d'un attachement lointain et durable, en son cœur, puis continuera d'attendre en silence celui qui ne vint jamais[17].

Cette union l'avait presque fixé au pays d'outre-Manche. Il pouvait, en ses nouveaux domaines, exercer, autant qu'il en avait l'occasion, les usages de l'hospitalité écossaise ; on ne l'entrevoyait que par de courtes apparitions sous le ciel parisien, chez sa mère. Aussi bien n'étaient-ce plus alors les cris de joie de Mme de Souza retrouvant son Eugène de Rothelin[18], son Charles, dit Néné. Elle ne suivait plus chacun de ses pas avec cet intérêt de surveillance qui ne lui laissait, auparavant, pas un moment de calme. Depuis qu'il était au port, abrité dans l'anse paisible du mariage, elle se faisait à ses absences. Eloignée d'un fils qu'elle avait réclamé de toutes les forces de son âme lorsque les périls de la guerre le tenaient incessamment sur les bords de l'abîme, mais qu'elle attend sans fièvre aujourd'hui qu'elle le sait endormi dans les douceurs d'une existence quiète et sûre ; veuve une seconde fois ; délaissée de quelques-uns, les amis des temps meilleurs, elle avait reporté sur Auguste ses besoins de tendresse inoccupée.

Il n'a pas encore franchi la mince lisière, qui sépare l'enfance rieuse de l'adolescence déjà prête à l'action, qu'elle s'est mis martel en tête sur ce qu'il pourra bien être et devenir, à travers tant de difficultés se dressant un peu partout. Faire son chemin sur la terre et vivre dans le ciel, se vouer au sacerdoce ou s'enrôler dans la Compagnie de Jésus : elle ne lui voit à ces saintes carrières de dispositions aucunes. Dans le métier des armes, sans ressort en temps de paix, l'avancement s'accompagne d'une extrême lenteur, à présent qu'est close la période des grandes guerres. L'avocasserie se montre terriblement encombrée. Et puis, ne faudrait-il pas un nom plus brillant que le sien, à qui voudrait aller loin et haut ? Demorny... elle ne s'imagine pas qu'on puisse brûler beaucoup de chemin avec cela pour toute suite et tout support. En désespoir de cause elle  s'est demandé si le plus sage encore ne serait pas qu'on le livrât à un cours d'économie rurale. En y songeant bien elle est arrivée à croire que ce serait encore le meilleur de son affaire. Sur ce thème elle bâtissait des projets. Elle aurait transformé sa petite rente en une bonne petite ferme ; et, cela fait, elle le voyait épousant quelque dindonnière convenablement munie d'espèces, se créant un sort tranquille, vivant ses pauvres jours sans les compter, du moins sans avoir à en rendre compte à personne[19].

Par bonheur Mme de Souza avait des idées de rechange, autant qu'il était de jours dans la semaine. A d'autres moments se relevaient ses ambitions pour ce petit-fils auquel le nom de son père eût frayé des destins moins modestes, si on l'eût autorisé à le porter. Elle fondait alors des espérances étendues sur l'essor de ses facultés intellectuelles. Auguste avait l'esprit prompt et divers, aimant à 'voltiger plutôt qu'à se fixer, un esprit curieux d'effleurer toutes choses : la littérature, les arts, les éléments des sciences, pour en saisir et garder une teinte générale à peu près suffisante. En femme de lettres par état et de sentiment par nature, Mme de Souza l'encourageait de préférence à cultiver les fleurs de la poésie. Il se formait sous sa gracieuse discipline, prodiguait les gages de sa verve naissante et faisait luire des promesses d'imagination. Là-dessus on était déjà prêt, autour de lui, à concevoir des présomptions exagérées de ses talents. Mme de Souza avait cru s'apercevoir qu'il était né poète, qu'il avait en soi le feu sacré et qu'il n'aurait qu'à le vouloir, réellement, pour en dégager cette flamme qui fait briller un nom.

Entre temps elle lui glissait aux doigts sa propre plume et se reposait sur lui du soin de remplir tel ou tel vide de sa correspondance familière. Il s'inspirait de la manière de sentir et de dire de Mme de Souza pour écrire des lettres d'enfant, qu'on trouvait charmantes et dont certaines phrases semblaient avoir été dictées par elle-même. Parfois, il madrigalisait ou s'essayait à manier la pointe de l'épigramme.

Pour servir de thème à ses ébauches littéraires, volontiers, glanait-il des impressions directes dans son entourage, soumettant les gens et les choses de la maison aux traits de son humeur déjà frondeuse et n'en exceptant pas M. de Flahaut lui-même, lorsqu'il lui prenait envie de tancer un peu, mais tout bas, celui qui le gourmandait, tout le jour, à haute voix[20]. Ignorant les racines profondes qui le liaient aux membres de cette famille, au sein de laquelle le sort l'avait jeté ; affranchi par là de cette réserve mêlée de crainte et de respectueuse considération qu'impose le sentiment filial ; disposé à voir en Charles de Flahaut un censeur maussade plutôt que l'arbitre naturel de ses pensées et de sa raison, il s'était plu à le portraiturer en vers avec une sorte de liberté mutine, dont s'amusait en secret Mme de Souza[21]... La jeunesse est à la fois enthousiaste et moqueuse. Par une plaisante rencontre, Auguste tenait de son père les dispositions railleuses, qu'il mettait en jeu contre lui, mentor de sa jeunesse. Mme de Souza nous l'assure : Charles de Flahaut riait de tout. Que dis-je ! Seul il était parvenu à faire rire son beau-père, le triste M. de Souza qui ne s'égayait de rien.

Tout cela était bel et bon, mais la fin n'en retournait que de passe-temps et d'amusettes. Bien qu'il eût, au printemps de sa vie, modulé à sa manière la romance sentimentale, le général de Flahaut, le vaillant tireur d'épée dont la carrière s'était développée si rapide et si brillante, entrevoyait, pour le descendant clandestin des Beauharnais, une destinée moins précaire que celle réservée communément aux fils d'Apollon. Il décida qu'on le porterait à des occupations plus positives et qu'il serait mathématicien. Sur le moment, en furent très dérangées les conceptions idéalistes de Mme de Souza. Elle se plaignit de cette résolution un peu soudaine, pour l'accomplissement de laquelle on allait lui enlever son jeune disciple beaucoup plus tôt qu'elle ne s'y serait attendue. Déjà se trouvait-elle mal disposée d'humeur, à cause d'une récente impression fâcheuse. il lui avait fallu se résigner à quitter, pleine de regret, son hôtel de la rue de la Ville-l'Evêque[22], pour des raisons de famille et d'argent arrêtées avec son beau-fils, le comte portugais de Villa-Réal. On lui avait enlevé son cher jardin ; elle n'aurait plus de roses à cueillir, en la saison des fleurs. Sans Auguste, s'était-elle écriée, je me retirerais à la campagne ! Pour lui et, sans cloute aussi pour ménager des habitudes citadines, qu'on ne brise pas impunément après un demi-siècle de pratique, elle s'était transplantée au n° 7 de la rue Saint-Florentin, dans un hôtel construit par l'architecte Gabriel et que venait malheureusement de visiter la mort en prenant son ancienne amie Mme Devaine[23]. Et maintenant on l'y laissait seule ou presque, parce que l'exigeait ainsi la force majeure des mathématiques spéciales ! Auguste était loin déjà

On a mis toutes choses à l'envers pour ce pauvre enfant, soupirait-elle. Ce n'a pas été de ma faute. J'en souffre d'avance pour lui. D'Alembert disait : Qu'on me donne un bœuf et j'en ferai un mathématicien ; mais encore faut-il être un animal ruminant, et pauvre Auguste n'est rien moins que cela.

Comme allait expirer le mois de juin 1829 et qu'on approchait des vacances, Charles de Flahaut jugea bon de l'emmener avec lui à Aix-la-Chapelle pour une course instructive, au pays allemand. Hortense y voyageait d'aventure. Depuis qu'elle avait dû détacher de sa tête le bandeau royal et n'être plus que la duchesse de Saint-Leu, Hortense partageait le temps entre sa résidence d'Arenenberg, sise au sommet d'un haut plateau de la Thurgovie ; Augsbourg, la ville allemande où s'était retiré son frère Eugène de Beauharnais, déchu de la vice-royauté d'Italie ; et Rome, la ville 'éternelle, dont les murs furent témoins de tant d'élévations soudaines et de chutes profondes ; Rome, où survivait à la ruine des siens Laëtitia, la génitrice des aigles, la mère de tous les Bonaparte. Ses déplacements étaient connus. En hiver, par exemple, lorsque le froid trop rigoureux du nord de la Suisse ne permettait pas à sa santé délicate de passer la rigoureuse saison au bord du lac de Constance, on savait qu'elle avait pris l'habitude de se réfugier à Livourne, à Rome, à Florence, à Pise, à Ancône on savait aussi qu'aux approches du printemps, elle allait à Manheim sur le Rhin ou. à Augsbourg.

Cette fois, et pendant l'été, elle avait fixé ses pas, pour quelques semaines, en la vieille cité carolingienne. Flahaut s'y était rendu, de son côté, intentionnellement, ayant auprès de lui Auguste, alors dans sa dix-septième année. Elle avait eu l'occasion de le revoir en secret, et leur fils en même temps, sans que celui-ci soupçonnât l'intérêt poignant d'une telle rencontre. Vision fugitive, d'ailleurs, car, le 20 juillet, on repartait pour l'Écosse. Ce fut un beau voyage, rempli d'impressions fortes et salubres, avant le retour à Paris et l'enfermement d'Auguste chez le professeur Guérard, qu'on avait chargé de l'initier aux austères leçons des sciences exactes.

Le changement survenu dans ses habitudes d'éducation était pour le surprendre. On y avait procédé de façon soudaine et radicale. Ce n'était plus la suite agréable des plaisirs du monde, dont il avait eu l'avant-goût, mais la stricte observance d'une vie studieuse et retirée. Il y plia peu à peu les formes de son esprit. Il se jeta tète baissée dans ces questions ardues qui ne devaient l'intéresser que peu de temps ; mais, on l'a dit avant nous, c'est le propre de l'amateur de faire tout avec passion, même ce qu'il ne fait qu'un moment.

***

Cependant, les événements politiques travaillaient en faveur des Flahaut. Louis-Philippe de Bourbon, duc d'Orléans, en relevant pour s'y asseoir le trône renversé de Charles X, s'était souvenu qu'aux heures sombres de l'émigration il avait partagé le pain de l'exil avec Mme de Souza et souffert aux mêmes lieux qu'elle les épreuves d'une vie errante, à travers la Suisse et l'Allemagne, et il en avait reporté les sympathies, trente-cinq années plus tard, sur son fils. Tout en parcourant ses terres d'Écosse, l'ancien aide de camp de Napoléon Ier apprit qu'il était rappelé définitivement en France et qu'à Paris l'attendait, avec un siège à la Chambre des Pairs, la dignité de lieutenant général des armées du roi. Flahaut n'avait pas traîné le temps à s'y rendre, lui, sa femme et ses cinq filles. Sa réinstallation parisienne fut aussitôt suivie de visites à la Cour, où il fit montre de paraître assidûment, tandis que sa mère, moins éprise d'opinions que de sentiments, affectait de n'y pas mettre les pieds, comme par un noble détachement des grandeurs.

Les vertus, les hautes vertus de Néné, ainsi que les proclamaient celle-ci, la fidélité de Flahaut, comme en a prononcé, de notre temps, un historien idolâtre de Napoléon, n'empêchaient point qu'il acceptât d'un cœur léger les changements de maîtres dont le vieux palais des rois était le théâtre, et qu'il y accommodât sans résistance ni peine ses convictions du jour. Lieutenant général, pair de France et l'un des commensaux de Louis-Philippe, Flahaut ne prévoyait pas encore qu'après avoir évolué de l'ancien régime à la première dictature napoléonienne, puis de l'Empire à la Monarchie constitutionnelle, il aurait à refaire agréablement le chemin de la Royauté à l'Empire.

Pendant que s'affirmaient par des marques si hautes les retours d'une faveur inespérée, Morny croissait en belles manières et en beau langage. Ses premiers ans s'étaient formés dans une atmosphère encore tout imprégnée des parfums du XVIIIe siècle. Il n'avait eu sous les yeux que des exemples d'élégance, de finesse spirituelle, de .douce urbanité. Des traces heureuses lui en étaient restées, reconnaissables aux dehors de son aimable jeunesse. Déjà savait-il en tirer avantage, sans perdre de vue la nécessité pour lui de devenir l'homme de son temps, c'est-à-dire du siècle où il aspirait à s'élever, à posséder, agir et jouir.

D'autre part, les attaches indirectes que lui avaient créées le mariage de son père du côté de l'aristocratie anglaise n'avaient pas été sans contribuer utilement à son éducation mondaine, — une éducation qui ne se fait pas à l'école, mais dans le monde, en effet, qu'on fréquente et par les personnages de choix qu'on y rencontre. Des traits de son caractère, de ses habitudes, en furent impressionnés d'une manière sensible, expliquant ces contrastes de roideur britannique et de politesse française, de calcul et d'insouciance, de goûts sérieux et d'inclinations légères dont il ne se départira plus de toute sa vie.

On l'appelait, dès lors, Auguste de Morny. On avait pris l'habitude de séparer en deux parties le nom qu'il tenait d'une signature de complaisance : Demorny, d'en rendre distincte la première syllabe et de donner à l'ensemble cet air de noblesse originelle, que le préjugé social accorde à la structure d'un mot. C'était un premier point de gagné dans l'arrangement nobiliaire de ses papiers de famille ou soi-disant tels. Il ne restait plus qu'à le rehausser d'un titre héraldique facile à trouver dans la circulation. On n'en fut pas en peine. Il se réveilla comte de Morny, sans coup férir, et n'en fut pas autrement surpris. Des demi-révélations glissées à son oreille l'avaient instruit de ce qu'il était en mesure d'espérer et des voies ambitieuses où sa naissance l'inciterait à se pousser.

On lui tendit l'échelle de très bonne heure. Agé de moins de vingt ans quand éclata la Révolution de 1830, il avait eu la faveur d'entrer d'emblée dans les cadres de l'armée avec lu grade de sous-lieutenant. Sans qu'il se souvint d'avoir fait le coup de feu pour le Roi des Barricades[24], ni d'avoir accompli, avant l'âge, aucune-action d'éclat, héros de Juillet sans le savoir, il s'était entendu conférer ce grade à titre de récompense nationale[25]. L'année suivante, alors que le général de Flahaut était envoyé à Berlin en qualité d'ambassadeur, il entrait à l'école d'État-Major ; peu de temps après, il se voyait lieutenant de lanciers, le corps à la mode de cette époque-là.

Tandis que son frère inconnu Louis-Napoléon poursuivait, à travers les nuages dont le ciel politique était obscurci, la marche de l'étoile impériale et, rêveur sur les bords-du lac de Constance, amalgamait en un même songe des desseins chimériques et des réalisations grandioses, Auguste de Morny s'apprêtait à recommencer, en partie, le curriculum vite de son père. Pendant sa courte présence sous les armes, l'occasion lui sera rendue belle d'attester, à son tour, les qualités de vaillance et d'énergie que les bulletins de la Grande-Armée signalèrent chez un Flahaut. Dans les salons, par l'autorité séduisante de son être physique, par la finesse de sa nature, par l'élégance choisie de ses relations, il ravivera les succès du charmeur hors ligne, qui avait su maintenir, au milieu d'une société violemment transformée, le modèle du bel air et rester l'homme du monde accompli d'autrefois.

***

Dès l'adolescence, il avait accusé les signes d'une nature impressionnable et passionnée. A l'âge des désirs naissants, lorsque l'imagination commence à prendre des ailes sous la chaude influence d'Éros, il avait révélé, comme d'instinct, le goût de la galanterie et des femmes — un goût qui lui resta[26]. S'il devait, par nécessité d'étude, feuilleter des livres d'histoire ou de sciences appliquées, combien trouvait-il plus intéressant d'aller chercher des leçons de la vie chez les vivants ! Pareil à ceux de son âge, il interrogeait de prédilection les âmes féminines, si complaisantes à livrer leurs secrets, lorsque la voix qui les en prie est jeune, chaude et pressante !

Il était blond, assez grand, de tournure avantageuse. Dans son regard et sur son visage expressif se lisaient, en même temps que l'annonce d'une perspicacité au-dessus de son âge, tous les signes d'une vive intelligence. Les agréments déjà sensibles de son esprit, la distinction innée qu'il gardait sauve jusque dans les égarements du plaisir ; puis, les chances de l'occasion l'avaient mis bientôt en évidence parmi la jeunesse dorée. Cette distinction, il la tenait d'hérédité. Il en redevait une bonne part aux leçons de son aimable aïeule. On disait de Mme de Souza qu'on ne pouvait rien lui refuser de ce qu'elle demandait et qu'elle montrait à le désirer tant de charme qu'en le lui accordant on se croyait encore redevable envers elle. Il fallait que Morny apportât aussi une rare bonne grâce dans l'expression de ses désirs, car on s'empressait fort à lui en donner contentement. Les conditions étant celles-là faciles et promptes, devait-on s'étonner qu'il penchât vers la dissipation ? On l'en blâmait avec douceur et mollesse.

Aussi bien ses devoirs militaires ne l'astreignent que modérément. Il en est à l'apprentissage de son grade, dont il a l'honneur plus que la charge. Ses loisirs, les commodités de déplacement dont on le favorise, lui procurent des distractions aussi variées qu'agréables, soit qu'il les cueille sur place, soit qu'il s'en aille les goûter à Paris. On en a des nouvelles, au 50de la rue Saint-Honoré, où loge, à présent, dans un espace réduit et avec un train domestique bien allégé, Mme de Souza. Elle s'y intéresse en femme du XVIIIe siècle ; clémente aux autres, comme elle aurait voulu qu'on le fût à son égard, sur le chapitre des faiblesses humaines, elle en atténue les écarts du sourire de l'indulgence.

Auguste, annonce-t-elle à son ami Le Roi, me paraît fort occupé des femmes. Cela sied mieux à son âge que la politique, mais les mathématiques s'en ressentent un peu.

Il s'y reprenait, toutefois, par des élans méritoires ; et, pour dire la vérité entière, il ne limitait pas aux sciences exactes ses velléités studieuses. Il traversa une période ardente et laborieuse, mais de faible durée, pendant laquelle il se pressa d'amasser, sous les apparences d'un élégant dandysme, un certain fonds de connaissances solides.

La vie de garnison, comme elle se passait à Fontainebleau, était coulante ; elle lui laissait du temps à double fin, pour s'instruire ou pour se divertir. Enflammé d'un zèle tout nouveau, il venait de solliciter du ministre de la Guerre l'autorisation de prolonger librement ses séances d'études, à la bibliothèque des officiers[27]. Sa curiosité du moment était d'explorer d'une course rapide le domaine si vaste des problèmes sociaux et religieux. Courageusement il se lança dans la mer des livres, livres graves, livres sévères, pleins jusqu'aux bords de considérations abstruses ; il compulsa les recueils de la théologie et se flatta de couler à fond, en quelques mois, ces questions insondables où tant de philosophes épuisèrent les réflexions de toute leur vie. Une lumière naturelle éclairait en lui le nébuleux et le confus qu'il y rencontrait. Il en sortit, le cerveau libre, dégagé complètement du désir de s'y replonger jamais et n'étant point, en somme, plus avancé qu'auparavant, puisqu'il n'y avait gagné qu'un surcroît d'indifférence et de scepticisme. En réalité, la métaphysique n'était pas son affaire ou, du moins, ne pouvait-elle l'arrêter longuement. D'une nature rien moins que spéculative, Morny n'était pas homme à s'enliser dans la poussière d'une bibliothèque, fût-ce la bibliothèque militaire de Fontainebleau ; il se sentit impatient de connaître aussi la poudre des champs de bataille.

La vie bien remplie d'un homme a ses périodes nettement tranchées. A l'éducation familiale, aux études suivies, se vouent les espoirs de l'adolescence ; au service des armes reviennent les années de jeunesse où devra se tremper l'énergie du caractère pour l'effort à soutenir, plus tard, des luttes sociales ; à l'ambition en marche, aux affaires, la phase décisive où se fixe une destinée ; et le reste de l'existence est à la moisson copieuse ou maigre des labeurs accomplis. Morny était à l'âge de confiance et d'audace, où l'on fait campagne alertement. De plus, il avait compris qu'il lui serait profitable de passer par cette école et qu'un brevet de courage, hardiment enlevé, siérait d'une belle et utile manière, un jour ou l'autre, à ses diverses aspirations. En 1831, il obtint d'être envoyé en Algérie, comme aide de camp du général Trézel. Des larmes coulèrent, à son départ. C'est alors que le duc d'Orléans écrivait au duc de Nemours, son frère : A propos de femmes éplorées, Morny part pour l'Afrique.

***

Cette guerre d'Afrique exerçait alors sur l'esprit de. la jeunesse française une séduction puissante par ce qu'elle avait de hardi, d'aventureux, d'entraînant, presque de poétique. Aux images qui se levaient dans les cerveaux des belles courses intrépides à travers les montagnes et les ravins, des charges impétueuses dans la plaine, des surprises d'embuscades, des assauts, des razzias, les ambitions se coloraient d'enthousiasme. Des officiers, à leurs débuts, confiants en leur étoile et pleins d'avenir, brûlaient de faire leurs preuves en ces combats de jour et de nuit contre les fils du désert, clans ces expéditions sans cesse renaissantes, qui n'avaient rien de la marche régulière d'une campagne sur le Rhin ou sur le Danube, mais dont chaque pas en avant était une occasion de gloire, une espérance de mise à l'ordre du jour brillante, non seulement pour 'une troupe, un régiment, une compagnie, mais pour le plus jeune dis sous-lieutenants ou pour le dernier des soldats ![28]

Moins désireux de s'élever que de se distinguer dans les armes, il allait à cette guerre de partisans, d'une volonté froide et raisonnée, parce qu'il y voyait de l'honneur à conquérir, des périls à surmonter utilement, et parce qu'il pressentait qu'il lui en serait tenu compte, à l'heure venue des desseins larges et pratiques. Désigné pour prendre part à l'expédition de Mascara, il s'était acquis, de primesaut, l'estime et les éloges du lieutenant général duc de Mortemart.

On l'avait vu, dans les plus vives escarmouches, s'exposer avec autant de hardiesse que de bonheur. Le climat lui fut moins clément. Sa santé eut beaucoup à souffrir des ardeurs du soleil africain. Une ancienne gastrite, dont il avait subi les épreintes, pendant ses années de collège, s'était réveillée et aggravée. On avait dù recourir à de fortes saignées pour le sauver de la fluxion de poitrine. Ceux qui songeaient à lui, ceux et celles qui l'aimaient en France, et par-dessus tous et toutes Mme de Souza, vivaient clans une alarme constante à son sujet. Elle-même n'avait guère à se louer de son propre état ; elle était restée abattue, languissante, au sortir d'une crise douloureuse, et, bien que convalescente, les forces lui manquaient toujours ; mais elle s'oubliait pour ne penser qu'à Auguste.

Je consens à tout, écrivait-elle, pourvu qu'Auguste me revienne. Voilà tout ce que je demande à Dieu et à la médecine.

Elle en exprimait la plainte inquiète, à tout moment, dans ses lettres :

J'aime cet enfant comme le dernier bien que j'aie pu faire, comme la dernière feuille sur laquelle j'appuyai mes frêles espérances. Mais, à mon tige, l'espérance n'est jamais sans crainte[29].

Devant la gravité de son état, Morny dut solliciter son rapatriement temporaire ; et la nouvelle de son retour avait arraché des cris de joie à celle qui l'avait tant désiré. Rendu à la santé, peu de temps après qu'il eut touché la terre maternelle, on l'envoya tenir garnison à Nevers. En ces lieux aimables, parmi les officiers et les dames de la ville, régnait un agréable train de vie. Morny n'avait plus souvenance de sa gastrite passée. Les flammes de la jeunesse s'étaient rallumées en son être aussi vives que jamais, et de fièvre il ne connaissait plus que celle des plaisirs. La saison qu'il y passa fut courte et bonne. On ne le laissa point s'oublier dans les délices de... Nevers. En 1835, il reprenait le chemin de l'Algérie, prêt à se relancer au plus chaud des combats.

Les occasions ne lui manquèrent point d'y éprouver son courage et sa chance. Dans une seule rencontre, il reçut quatre balles qui, par un bonheur miraculeux, ne firent qu'endommager son képi, sa tunique et ses bottes[30] ! La même année, il était porté à l'ordre du jour pour avoir sauvé la vie au général Trézel, sous les murs de Constantine.

On le sait, les deux expéditions de Constantine, dont la seconde avait été entreprise pour venger l'insuccès de la première, ne furent pas jeux d'enfants. Rudes étaient les marches, par ce massif montueux où le rôle de la cavalerie était forcément limité. Le col qu'il fallut passer avant d'atteindre au but de l'attaque ne présentait que boue et rochers ardus[31]. La résistance frénétique des Arabes, les intempéries d'une saison affreuse, les fièvres, l'épidémie cholérique, le feu des ennemis décimaient la colonne. Au crépitement de la fusillade, au bruit des canons se mêlait la voix de la tempête et des éléments déchaînés. Durant des jours sans fin, la pluie tomba violente, continue, glacée. Les rafales s'abattaient par torrents. Le nombre des malades et des blessés attristait les regards. Les chevaux mouraient par centaines. La diminution rapide des munitions et des vivres inspirait les plus vives inquiétudes. Enfin, une fatigue inexprimable accablait les hommes sans défense contre le froid et le vent, blottis les uns contre les autres, transis, grelottants, frappés d'une stupeur morne, que parvenait seul à galvaniser l'appel au combat. Et c'est, pourtant, dans ces terribles conditions, que se multiplièrent les actes d'héroïsme dont le couronnement fut la prise de Constantine.

Morny paya de sa personne, pendant la dure campagne de Kabylie. Mais la faiblesse de son organisme supportait mal de camper, jour et nuit, dans la boue. Il avait été repris d'une dysenterie, qui l'épuisait. Coucher sur la terre nue et à la belle étoile, bivouaquer parmi les flaques d'eau, manger, comme le soldat, le biscuit qu'il faut rompre avec le marteau, grelotter sous le manteau, des frissons de la fièvre : ses forces et sa bonne volonté n'y devaient pas résister longtemps. Un congé de convalescence lui sembla, cette fois, d'une absolue nécessité. Il le demanda donc et, comme on tardait à lui accorder, il donna sa démission. Et cela sans beaucoup de regret, sachant bien qu'à moins de circonstances extraordinaires il aurait dû se résigner à une stagnation longue avant de parvenir aux grades supérieurs. Or, il ne se sentait pas la patience de gravir, échelon par échelon, les degrés de la hiérarchie militaire. Il avait soif d'une notoriété rapide, quels que fussent les moyens pour l'obtenir. Intensément bouillonnait en lui le désir de briller et d'arriver à tout prix. Son stage militaire était clos. Il avait vu le feu de très près et sans baisser les yeux, donné des preuves suffisamment de sang-froid, de décision ferme, de belle témérité. Il rendit l'épée et l'épaulette, Our se pousser à travers d'autres champs d'aventure.

 

 

 



[1] En cette saison de 1811, se voyait également, à Bourbonne, l'amie du général Berthier, la belle madame Visconti, dont le baron Gérard a laissé un portrait célèbre.

[2] Aujourd'hui, rue Laffitte.

[3] Ingénieuse à tourner les choses dans le sens où il lui plaisait de lui présenter, Mme de Souza prenait sur soi de les raconter ainsi, dans une lettre à la comtesse d'Albany :

Votre penchant vient d'être bien malade, mais j'espère que ce sera un mal pour un bien, et il parait que l'humeur s'est déplacée de la poitrine pour se jeter dans un lumbago, qui lui a fait jeter les hauts cris ; mais on ne meurt pas d'un lumbago, et depuis qu'il la tient, elle ne tousse plus. Cependant, elle est toujours d'une maigreur affreuse. Dieu veuille la conserver, car c'est un ange !

[4] Voici, relevé avec la plus scrupuleuse exactitude sur l'original (Registres de l'état civil de Paris, 11e arrondissement), l'extrait de naissance du futur grand personnage d'État, duc de Morny.

L'an mil huit cent onze, le vingt-deux octobre, à midi sonné, par-devant nous maire du IIIe arrondissement de Paris, soussigné, faisant fonction d'officier de l'état civil :

Est comparu le sieur Claude-Martin Gardien, docteur en médecine et accoucheur, demeurant à Paris, rue Montmartre, n° 137, division du Mail, lequel nous a déclaré que le jour d'hier, à deux heures du matin, il est né, chez lui, un enfant du sexe masculin, qu'il nous présente et auquel il donne les prénoms Charles-Auguste-Louis-Joseph, lequel enfant est né de Louise-Émilie-Coralie Fleury, épouse du sieur Auguste-Jean-Hyacinthe Demorny, propriétaire à Saint-Domingue, demeurant à Villetaneuse, département de la Seine. Les dites présentations et déclarations faites en présence des sieurs Alexis-Charlemagne Lamy, cordonnier, âgé de 42 ans, demeurant à Paris, rue Buffaut, n° 25, ami, et de Joseph Manch, tailleur d'habits, âgé de 45 ans, demeurant à Paris, rue des Deux-Écus, n° 3, ami.

Lequel déclarant, et les témoins ont signé avec nous, après lecture faite.

(Signé) : GARDIEN, LAMY, MANCH.

CRETTÉ, adjoint.

[5] Le même nom, les esprits curieux le trouveraient dans un roman intitulé Les Revenants véritables ou les Aventures du chevalier de Morny, par le marquis de l'AUBÉPINE, Paris, BARBU, an XIV, 1806, 2 vol. in-12.

[6] De l'honneur et du profit. Partisan du coup d'État en 1851, Flahaut sera nommé, en 1853, sénateur de l'Empire et, en 1864, grand-chancelier de la Légion d'honneur.

[7] Charles-Ferdinand, duc de Berry, fils de Charles X, neveu de. Louis XVIII et père du comte de Chambord, périt, en 1820, sous le couteau de Louvel.

[8] Elle prélevait les dépenses avec mesure sur les deux millions de rente qu'elle tenait de l'empereur. Quoique Mme Cochelet, sa lectrice, ait beaucoup vanté son désintéressement, ses correspondances font foi qu'elle fut toujours très occupée des questions d'argent.

[9] Plus tard préfet de police.

[10] V. Frédéric LOLIÉE, Les Femmes du Second Empire, pp. 160-168.

[11] Ma figure ne rit plus comme vous disiez. (Lettre de Mme de Souza à la comtesse d'Albany, 10 juillet 1812.)

[12] Lettre à M. Le Roi, 13 octobre 1825.

[13] Auguste en est à la troisième leçon de vers latins. Je vous les envoie. Il les a faits devant moi sans dictionnaire ; car, vous savez que pendant les vacances, il reste chez moi, mais il va. tous les jours, chercher des devoirs à la pension et il revient ensuite travailler sur ma table ronde. Je vois avec plaisir qu'il se donne de la peine et, lorsqu'il a réussi, il a une joie, une effervescence, qui sont de bon augure pour ses succès à venir. (Lettre à M. Le Roi, 20 août 1824).

[14] Collection d'autographes de M. Eugène Marbeau.

[15] Il trouve le carnaval trop court. Je lui fais entendre, comme je le puis, que les bons jours sont peu nombreux en cette vie. Il trouve cela contre nature. (De la même au même.)

[16] D'un ton calme, le pouls tranquille et sans fièvre au cerveau, il écrivait à sa mère : J'ai dans ma femme une bien aimable et bien excellente amie. Et Mme de Souza, aussitôt, de le redire à la comtesse d'Albany. (Lettre du 6 août 1817.)

[17] Sa fille Emilie épousera le quatrième marquis de Lansdowne et sera la mère de l'éminent ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni. Cet Henri de Lansdowne (1780-1863), l'un des membres du cabinet réformiste de lord Grey (1830) saura s'acquérir par la droiture et la modération de son caractère des sympathies marquées dans le parti whig. Il aura aussi ses censeurs, particulièrement lord Brougham, le chancelier, qui répondait, un jour, à lady Holland, trop animée à vanter les mérites du marquis : Oui, oui, je sais parfaitement qu'il représente toutes les vieilles femmes de l'Angleterre.

[18] Le héros tout paré de qualités d'un roman de Mme de Souza.

Cher Petit Père, j'ai reçu ce matin l'agréable nouvelle que Mme de Flahaut est accouchée, d'une cinquième fille. Il n'y aurait eu de mieux que d'avoir eu deux ou trois jumelles. Ce sera peut-être pour l'an prochain, que nous ne nommerons point l'an de grâce. (Mme de Souza, Lettre à M. Le Roi, 29 août 1825.)

[19] Lettre à M. Le Roi, 16 avril 1824. Une autre fois, elle écrira au même, avec une sorte de détachement philosophique aussi bien à son propre sujet qu'à l'intention d'Auguste :

J'ai été assez heureuse pour avoir su bien jeune qu'il fallait se renfermer en soi-même et laisser les autres dire, penser tout ce qu'ils voulaient, n'ambitionner aucune grandeur, vivre pour un petit nombre d'amis et aussi un peu pour soi ; enfin bien savoir qu'on a toujours la première place au coin de son feu. Il est, cependant, bien rare qu'on ait le bon sens d'y rester. Mais voilà ce que je tâcherai d'inculquer à M. Auguste, puisqu'il aura assez d'esprit pour aimer la lecture ; je lui apprendrai aussi à faire des patiences, car ma philosophie pratique sait que le temps qu'on passe sans s'en apercevoir est le plus doucement passé.

[20] Voici l'un de ses billets, tel que nous l'a transmis le baron de Mari-court, et qu'Auguste de Morny, alors dans sa quatorzième année, adressait au plus ancien et plus fidèle ami de la casa :

Nous venons d'être bien inquiets, mon bon M. Le Roi, notre ami. Bonne mère a eu la rougeole. Actuellement cette maladie est finie, mais elle a été prise, cette nuit, de ses grandes douleurs de foie. Cependant, elle est mieux, ce matin, mais elle dit que si vous ne venez pas la voir, elle ne se rétablira point, qu'elle est une pauvre patraque, qu'enfin elle est fort triste et que quoiqu'elle ait eu une maladie de jeune personne, elle a toutes les infirmités et les morosités de la vieillesse. Pour vous, vous ne connaîtrez ces malheurs que dans cent ans ; car, vous n'êtes pas encore majeur et vous êtes même plus jeune que moi, ce qui nous fait à tous bien plaisir. Plus de vers, plus de rires, plus de chansons, et le 14 de mai se passera bien tristement si vous ne venez pas raviver un peu notre maisonnette. Je suis pour toujours votre ami.

[21] D'après ce qu'en disait Mme de Souza à son vieil ami Auguste Le Roi (13 décembre 1829) en lui envoyant ces vers de Monsieur Auguste, le général le grondait, du matin au soir, tantôt sur une chose, tantôt sur une autre, l'appelant sans cesse flâneur, lambin, etc.

Le plaisir de gronder ! Ah ! l'armorce est trop forte !

De grâce, avouez-le, je suis bien malheureux,

Mais vous qui contrôlez mes actions sans cesse,

Dites-moi dans votre jeunesse,

Fûtes-vous toujours un Caton ?

L'écho dit : Non.

Mme de Souza avait recommandé à Le Roi de brûler ce factum enfantin ainsi que la lettre. On conserva l'un et l'autre dans la famille, pour le bonheur du baron de Maricourt, qui les y a retrouvés et les imprima vifs.

[22] En 1824, sur le désir de son mari, elle avait dit adieu à la rue Veule pour s'installer au n° 22 de la rue de la Ville-l'Evêque, où M. de Souza possédait un immeuble spacieux entre cour et jardin.

[23] Le 26 mai 1826.

[24] Les légitimistes avaient ainsi surnommé Louis-Philippe.

[25] On avait associé à la même faveur les jeunes Desvaux. Henri Feray et Edgard Ney, destinés tous trois à devenir généraux de division.

[26] Certain soir, Thiers dînait chez une femme d'esprit très ambitieuse de politique, d'action, d'influence. On parlait de Gambetta, le grand entraîneur des masses, le futur leader d'une majorité libérale et pacifique ; il interrogeait cette amie, qui le connaissait bien, sur son esprit, sa culture. Sait-il écrire et parler aux femmes ? En France, tout est là. Morny, comme Flahaut son père, comme Talleyrand son aïeul, avait commencé par se faire une expérience heureuse de ce premier talent.

[27] Au cours de 1833.

[28] A. de la Guéronnière.

[29] Lettre à M. Le Roi, 3 septembre 1834.

[30] Tel, pendant la campagne de Russie, au combat d'Ostrowno, son père avait été préservé merveilleusement. Nous en lisons le détail dans cette lettre échappée du portefeuille de la comtesse d'Albany et qu'elle avait reçue, le 27 août 1812, de Mme de Souza :

Imaginez-vous, ma très chère, que dans l'affaire du 25, une balle est venue de biais et, tirée à dix pas de lui, a coupé son aiguillette en quatre morceaux, sur le sein droit, déchiré son habit sans que sa chemise fût effleurée, puis s'en est allée, Dieu sait où. Il est inconcevable qu'il n'ait pas eu le bras cassé ou la poitrine percée. Ma très chère, c'est moi qui ai senti ce froid de la mort, et je ne puis m'en remettre.

[31] Les troupes françaises n'avaient pas encore ouvert la route de Djidjelli à Constantine par Milah.