Entre survivants de l'ancienne Cour. — Portrait d'une femme du monde, par occasion aussi femme de lettres. — La place qui lui revient dans notre récit. — Histoire et roman. — Autour d'un berceau. — Des origines singulièrement mêlées : Louis XV et Adèle Filleul ; Talleyrand et Mme de Flahaut-Souza ; le général Charles de Flahaut et la reine Hortense ; et pour aboutissement : Morny. — Comment s'étaient nouées ces aventures. Vers le temps où s'éclaire la genèse de cette histoire, aux alentours de 1813, les jeux de la causerie animaient le salon d'une tranquille demeure parisienne, dont les fenêtres donnaient sur la rue Verte[1]. Presque une rue de province par l'absence de foule et de bruit, discrète, retirée et digne réellement de porter le gracieux nom qu'elle ne conserva pas ; car, des jardins y verdoyaient et, dans ces jardins, des fleurs en touffes, des lilas et des roses épandaient leurs parfums. Il y avait là groupés autour de la dame du logis — l'une des héroïnes de Mme de Staël[2] —, quelques personnes ayant, pour la plupart, cessé d'être jeunes, et dont les façons avaient tout l'air d'appartenir à la société de la veille. On les eût désignées presque à des particularités de leur ton, de leur bien-dire, avant d'avoir appris comme elles s'appelaient. Ce n'étaient pas, à la vérité, les illustres seigneurs, les gens de haute naissance, qui résumaient, sous la même présidence aimable, aux derniers jours de la royauté, la Cour et l'Académie. Le cardinal de Rohan, le prince et la princesse de Beauvau, les comtes de Luxembourg et de Narbonne, le duc de Lauzun, le marquis Aimé-Pierre de Montesquiou-Fezensac, Louis-Philippe de Ségur et le marquis de Chastellux passèrent et ne revinrent pas. Les noms, les titres sont, à présent, plus modestes... Le Roy, Gallois, Dominique Bertrand : voilà d'abord, entre les habitués d'un certain jour de la semaine[3], le trio des indispensables. On se souvient de les avoir rencontrés, ces beaux esprits épicuriens, avant la Révolution, chez la célèbre comtesse d'Albany, ou chez Suard l'académicien, de temps à autre aussi chez Talleyrand, évêque d'Autun. Ils sont ici de fondation, ayant beaucoup à s'entre-conter, beaucoup à regretter également des impressions ensemble ressenties et vécues. Cercle aimable, intelligent, fidèle[4], que devrait rehausser la présence d'un visiteur d'antan, célèbre, fastueux, puissant, considérable plutôt que considéré, très riche des biens de l'esprit, trop démuni du côté de l'âme et qui aurait, en effet, de fortes raisons d'être là à sa place d'habitude, si, pour ce personnage, la mémoire du cœur n'eût été la plus vaine des chimères. Mais il y a beau temps que Talleyrand a désappris les chemins d'une affection, qui lui fut chère, jadis, et qui a eu le tort de prendre de l'âge. Encore se plairait-on à revoir en pareille compagnie un étranger d'intéressante figure, qu'on y connaissait bien, un citoyen de la libre Amérique en déplacement européen, Gouverneur Morris, qui, pendant la tourmente révolutionnaire, s'était rendu le témoin attentif des événements inouïs dont la France fut alors le théâtre, — témoin aigu, mordant et précis, dont les observations nettes, les souvenirs gravés sur le vif de l'émotion reçue, les jugements parfois prophétiques[5], prendront avec le temps une singulière valeur. Fâcheusement, il a quitté, depuis plusieurs années déjà ses amis de France, pour se réinstaller à Morrisania, sa maison natale. Lui aussi s'était flatté d'avoir été des mieux en cour auprès de la maîtresse de céans[6], aux jours envolés de la radieuse saison, lorsque, avant d'abriter le déclin de sa fortune et de ses charmes en ces lieux paisibles, elle jetait feu et flammes à travers le voluptueux grand monde et dans son appartement du vieux Louvre. Mais nous sommes, à présent, rue Verte. Assise sur une causeuse, souriante, attentive à ne laisser perdre rien des anecdotes piquantes ou des mots heureux qu'on se renvoie autour d'elle, une femme aux cheveux blanchis, ayant gardé dans la vivacité de son regard, dans l'expression enjouée de sa physionomie, au coin de sa bouche malicieuse, je ne sais quoi de tendre et de mutin, où, par instants, semblent s'éveiller de douces ressouvenantes, inspire et conduit la conversation. Lui plaît-il de conter à son tour, on a le sentiment que par l'accent mondain du langage elle se rattache au plus fin du XVIIIe siècle — le pur XVIIIe siècle si élégamment impur ! — ; et, quand on a su, pour l'avoir entendu dire et pour l'avoir goûté aussi, qu'elle écrit avec un charme extrême, quand on a fait avec ce talent délicat plus étroite connaissance, on comprend assez qu'elle en ait aimé toutes choses : le ton, l'usage, l'éducation. Ceux qu'elle a lus, ceux qu'elle a tenus sous le charme de son imagination, pensent revoir en l'aisance de ses propos, la forme riante de ses récits à la fois capricieux et naturels. La nommer, c'est vous dire qu'elle s'appelle Mme de Souza, qu'elle fut, en premières noces, la séduisante comtesse Adélaïde de Flahaut, et que les voies mystérieuses de sa destinée se sont entrecroisées d'une manière si étrange et si mêlée qu'elles ont fait d'elle, fille supposée de Louis XV, l'une des belles amies de M. de Talleyrand et par un effet de cette amitié, qui fut de l'amour, la mère du général de Flahaut, puis la grand-mère — ceci on ne le sut que beaucoup plus tard — du héros de ce livre, héros d'histoire et d'aventure : Auguste de Morny. Comment advinrent ces choses peu communes ? La suite en est assez instructive pour que nous ne résistions pas au désir d'en tisser le canevas aussi fidèlement que possible. ***Issue d'une famille sans blason et sans gloire — des
petites gens de Normandie —, fille d'Adèle Filleul, demoiselle de Longpré,
qui sut attirer l'attention passagère du roi, lorsque, venue des environs de
Falaise à Paris, elle faisait, coquette, adroite, les beaux jours de
l'aristocratie financière de la rue du Mail ; née peut-être de ce caprice
errant du Louis XV polygame[7] ; apparentée aux
Marigny[8], du fait que le
frère de Jeanne Poisson, marquise de Pompadour, son frérot,
ou, comme le désignait encore la favorite, le cher bonhomme,
créé sieur de Vandières, puis marquis de Marigny et de Ménars,
directeur-ordonnateur-général des bâtiments de sa Majesté, avait contracté
mariage avec Julie Filleul, la cousine et l'amie de la comtesse de Séran, la
belle, la séduisante Julie[9] : tous ces liens
directs ou indirects la rattachaient à l'ancienne Cour, avant qu'elle fût
admise à en devenir l'un des ornements. Elle s'y rattachait de haut, en
effet, s'il était fondé que le sultan de Versailles eut vraiment des droits
d'auteur sur sa naissance. Son éducation se façonna au couvent, mais dans un de ces couvents sans froideur ni rigueur, comme il s'en voyait alors et où pouvaient s'échanger entre compagnes du même âge, à l'abri dès surveillances moroses, tous les babils d'une volage innocence. Pareille à l'une de ses héroïnes, la tendre Mme de Nançay, on l'avait mariée par pures convenances, au sortir de la pieuse maison. On lui avait signifié qu'elle aurait pour époux et pour légitime maître de ses attraits en fleur le comte de Flahaut, âgé de cinquante-sept ans déjà Les belles manières, la noblesse de caractère, l'irréprochable distinction de M. Flahaut de la Billarderie, mestre-de-camp dans les armées du roi avant de devenir l'intendant de ses jardins[10], rendaient un tel seigneur bien méritant à ses yeux d'épouse, mais ne lui restituaient pas, quant au reste, les agréments de la jeunesse enfuie. Élevée dans l'indulgente doctrine d'un siècle aux mœurs faciles, pour lequel l'amour était l'occupation par excellence des belles désœuvrées et la loi même de l'existence, elle n'avait pu se défendre de soupirer un peu vite après les compensations désirables. A l'époque où elle eut à démêler sa jeunesse du tumulte des passions, la comtesse de Flahaut était de figure bien engageante. Sans être grande elle possédait une jolie taille. Sans prétendre à la beauté parfaite, son visage avait le charme qui touche et qui retient. Des yeux très spirituels, beaucoup d'amabilité, une conversation délicieuse concouraient à lui rendre aisé le goût de plaire. Son envie de connaître jusqu'aux moindres tressaillements du cœur humain l'aimantait vers la tentation. Elle n'en borna pas à une seule épreuve la périlleuse étude. La comtesse de Flahaut, tout en butinant des fleurs sur sa route, avait fait bonne provision d'indulgence pour soi-même et pour autrui. Une extrême décence apparaîtra dans tout l'extérieur de son être, et, pour le dire d'un mot de Saint-Simon, jusque dans les choses intérieures qui en comportent le moins. Sa morale écrite aura la pureté d'une source d'oasis. Elle saura, de sa main fine et légère, couvrir d'un voile d'idéalité virginale les enfièvrements de l'âme et des sens. Toutes ces jolies choses n'empêchèrent point qu'au temps dont nous parlons, étant pressée d'adorateurs, elle laissa couler de sa prunelle vive, quelques regards encourageants[11]. L'un de ces regards s'était arrêté avec une particulière complaisance sur la personne d'un abbé de cour, aimable à considérer, dangereux à écouter, prompt à la réplique des yeux, comme à la riposte des mots, audacieux et réservé, secret et entreprenant, ambitieux de plaisirs, d'honneurs et de réputation, léger de scrupules comme de parti pris, sceptique en morale comme en religion, et très décidé à pousser loin, en toutes choses, les avantages acquis, d'abord auprès des femmes, ensuite auprès des hommes ; et c'était l'abbé Maurice de Périgord, tout à l'heure évêque d'Autun, prochain transfuge des pompes ecclésiastiques, voué d'avance aux excommunications du pape et devant s'en' consoler, haut la main, en devenant ministre, grand fonctionnaire, ambassadeur et prince, en un mot Talleyrand. Avant de mener l'Europe, avant de tromper en maitre les rois et les gouvernements, il nouait et dénouait en artiste les fils de la diplomatie amoureuse. Ce Talleyrand, qui n'avait de sacerdotal que le titre — et le goût des bénéfices découlant en pente douce des sommets de l'Église —, avait commencé sa carrière par des succès où la religion et Dieu lui-même perdaient d'avance tous leurs droits. N'étant que simple abbé, venant à peine d'atteindre sa vingtième année, il l'avait confessé sans fard, un soir qu'on devisait en liberté chez la comtesse Du Barry. En cette maison peu sévère, de jeunes seigneurs faisaient tapage de leurs mérites, de leurs victoires. A les entendre, ils étaient les plus heureux fripons du monde. Ils cueillirent cette fleur d'innocence, emportèrent ce beau courage, mirent en déroute cette résistance : ils volaient de cœur en cœur. M. de Périgord ne prenait nulle part à ces propos folâtres ; il en était comme absent, silencieux, la tète penchée. Pourquoi, lui demanda la Du Barry, restez-vous ainsi triste et muet ? — Hélas ! madame la comtesse, répondit-il, je faisais une réflexion bien mélancolique ; c'est que, à Paris, il est bien plus facile d'avoir des femmes que des abbayes. Il eut ce qu'il voulut, le jeune lévite, et, mieux que l'abbaye : la prélature. Son zèle, pour cela, ne changea pas d'objet ; il n'en vaqua pas avec moins de chaleur au service des œuvres profanes. En un temps où la vertu des femmes était aussi dépréciée que la valeur des assignats, il usait de la permission autant qu'il le pouvait. Le plus libertin des abbés, le plus incroyant des évêques[12] et n'attendant que le moment de déchirer le contrat qui le liait à l'Église, au surplus grand seigneur et talon-rouge, il donnait patience à ses ambitions en allongeant la liste de ses galants exploits. Oui, tout boiteux qu'il fût, il courait le monde gaillardement. Avec sa tête élégante et fine, son sourire mi-dédaigneux et mi-langoureux, le sourire que devait avoir le cardinal de Retz parlant aux belles affiliées de la Fronde[13], et toute sa perfidie savante, il y réussissait à miracle. On n'était pas sans savoir qu'il avait, comme Achille, fils de Thétis, son point vulnérable, et que la nature, par caprice, l'avait affligé d'un pied-bot malencontreux. Mais, outre qu'il connaissait des artifices pour en dissimuler l'inconvénient[14], comment n'auraient-elles pas oublié ce détail terre à terre, les femmes qu'il tenait sous le pouvoir de son œil bleu si pénétrant, si caressant et si trompeur ! Il ne visait pas alors à la profondeur des mots. On ne se l'imaginait point, du fond de sa vaste pensée, gouvernant les chancelleries, Quoiqu'il mêlât en ses libres propos, déjà la politique et les amours et qu'il eût entrevu dans l'un de ses tête-à-tête avec Mme de Flahaut le jour où à eux deux ils remanieraient les assises gouvernementales de la France, il attendait sans impatience que lui vînt du dehors l'occasion de révéler qu'il serait le Metternich français. Il se contentait pour l'heure de vaguer à la recherche des plaisirs, de se procurer des recettes de jouissances et de s'attirer, chemin faisant, des relations capables de le servir plus tard, sans distinction de partis. Ayant tout à gagner dans le monde et par le monde, il se montrait aimable, sémillant, et pressé ; il dépensait son esprit sans compter, en attendant le jour où lui en serait rendue la monnaie, sous d'autres formes. Ce fut vers 1780 qu'il rencontra la comtesse de Flahaut, parmi la société aristocratique, où tous deux fréquentaient. Séduit au premier engagement, il exprima le désordre de son cœur en ces termes vifs dont il possédait l'art et l'habitude. On l'admit à faire la preuve de ses chaleureux sentiments en se rendant aussi assidu que possible aux réunions que donnait Mme de Flahaut, dans son appartement du Louvre. Il redoubla ses empressements au point que, sans prendre l'avis de M. de Flahaut, il finit par s'inviter à dîner tous les soirs, dans cette hospitalière maison. Il y eût transporté son alcôve, si le bon vouloir du mari et l'indulgence du monde l'eussent permis. De même que Talleyrand était de tous les dîners priés ou non priés de Mme de Flahaut, de même la comtesse de Flahaut était de toutes les réceptions ordinaires ou extraordinaires de M. de Talleyrand. Il donnait, en son hôtel de la rue Saint-Florentin, des Pètes très recherchées. C'est ainsi qu'un 23 vendémiaire il avait convié la société parisienne à un gala magnifique, dont il fut beaucoup parlé d'avance. Si l'on devait en croire des racontars du moment, les plus belles auraient tenté le possible et l'impossible pour s'y voir admises, et l'on citait une charmante bourgeoise qui, trop curieuse de pénétrer dans une compagnie aristocratique dont elle était éloignée par sa naissance, avait accordé à un jeune secrétaire de Talleyrand, en échange d'une invitation de bal, ce qu'elle aurait dis priser bien davantage. En de tels soirs, Mme de Flahaut brillait, rayonnait. Et, le lendemain, Talleyrand, — qui parlait mieux qu'il n'écrivait — accourait, les lèvres fleuries de compliments, pour la féliciter en tête-à-tête de son succès de la veille. De telles amitiés ne passent pas inaperçues dans le monde. Il fut porté sur celle-ci, comme c'est assez l'habitude en pareille matière, plus de réflexions malignes que d'avis complaisants. Les uns s'en amusèrent aux dépens de la dame et de son ecclésiastique claudicant. D'autres, comme le comte d'Angiviller, surintendant des bâtiments du roi et beau-frère de Mme de Flahaut, s'en montrèrent choqués jusqu'à l'irritation. Ce rude censeur n'avait pas de sorties assez amères contre l'épouse infidèle et son monstre mitré[15]. Exacts ou perfides, les commentaires eurent du champ pour courir. Lorsque naquit, à Paris, le 21 avril 1785, Auguste-Charles-Joseph de Flahaut de la Billarderie, on commença par faire observer d'abord que ce premier-né venait un peu tard ; ensuite on remarqua que, pendant plusieurs années de rapports sans fièvre entre des époux dont l'âge était fort inégal, le mari étant sexagénaire et la femme dans le plein épanouissement de ses charmes, aucun fruit, jusque-là n'avait béni leurs feux aussi modérés que légitimes. Qu'ils eussent de la sympathie l'un pour l'autre ; qu'ils se formassent, aux heures du repos et de la causerie, au coin du feu, une société agréable, nul ne le mettait en doute ; mais qu'il pût y avoir là davantage, du plus intime et du plus vif, voilà ce que personne ne se décidait à croire. Des concordances de dates furent établies entre l'affaiblissement visible de la santé du comte et le redoublement des assiduités de M. de Périgord, tant et si bien que Talleyrand fut rendu personnellement responsable de cette naissance, dont les suites, au reste, ne devaient entraîner aucune conséquence fâcheuse ni regrettable. Bien au contraire ; car une influence pleine de promesses fortunées rayonnera autour du berceau de l'enfant pour s'étendre à sa vie entière[16]. Toujours était-il que l'entrée dans la vie de Charles de Flahaut avait été fort remarquée. Uri spectateur quotidien de ces intrigues de monde et de galanterie, un confident de Mme de Flahaut, très au regret de n'avoir pas eu à jouer de rôle plus actif en l'occurrence, un rival plutôt qu'un ami de Talleyrand, Gouverneur Morris avait eu la curiosité de tirer les choses au clair ; il posa des affirmations si absolues et par les apparences si justifiées qu'elles emportent presque la conviction historique. Nous ne citerons qu'une de ces remarques ; elle parlera pour toutes les autres, la forme n'en laissant rien à désirer sous le rapport de la précision : Je vais au Louvre[17], notait-il un
soir sur son mémorial. L'évêque est chez Mme de
Flahaut. Il a demandé à dîner avec son fils arrivé d'aujourd'hui. C'est bien
un dîner de famille. Il s'en va, et je dis à Mme de Flahaut mon regret
d'avoir interrompu une belle scène. Elle parle beaucoup de son enfant et
pleure abondamment. On menait, de temps en temps, le jeune Charles de Flahaut chez Talleyrand, comme on y mènera plus tard le jeune Auguste de Morny. Mais le sentiment paternel, s'il exista jamais chez le vieil homme d'Etat, devait aller en diminuant et s'affaiblissant avec les années jusqu'à ce qu'il tournât, de sa part, en des dispositions d'âme et d'esprit presque hostiles. Les aigres remarques, les pointes malicieuses ou les épigrammes directes, que nous pourrions ressaisir dans le journal en partie inédit de la duchesse de Dino, à l'égard de Flahaut parvenu à l'âge d'homme et de lady Keith, sa femme, nous en seront un sûr garant. Car la spirituelle nièce du grand homme écrivait sous les yeux de Talleyrand et à portée de son cœur. Mais avait-il un cœur ? Nous avons surpris, tout à l'heure, Mme de Flahaut versant des larmes. Elle pleurait, en effet, pour des dérangements survenus dans son état de fortune, pour des tourments d'âme que lui causait la nature inconstante de Talleyrand et pour d'autres raisons affectant cette âme sensible. Sa tendre imagination s'était abusée à faire fond sur la reconnaissance d'un homme qui ne savait ni aimer ni haïr et n'avait pour principe qu'un scrupule ou qu'une peur : la crainte des inconvenances. Par bonheur, des compensations lui vinrent, des diversions assez agréables et variées pour la consoler de cette disgrâce, qui la toucha, mais ne l'accabla point[18]. Très grande dame par la distinction de l'esprit, Mme de Flahaut ne s'embarrassait point, au fil de la vie, de principes trop compliqués. Pourvu qu'auprès d'elle les apparences demeurassent sauves et qu'on gardât, dans les mots, ces convenances polies qu'une femme toujours respecte, il ne fallait pas lui demander plus qu'il n'était raisonnable, étant donné les pentes de la faiblesse humaine. Cependant, les jours ne se succédaient pas uniquement voués à la douceur de vivre sans mélange de tristesse. ou d'inquiétude. Le temps, à l'horizon, se brouillait. On sentait remuer les passions, qui allaient précipiter la France dans l'abîme révolutionnaire. La volupté elle-même se soulevait sur son lit de roses, observant avec anxiété l'approche de l'orage. Il éclata, jetant une étrange perturbation dans cette société légère, frivole et charmante[19]. Et ce furent, à la suite de la tempête, pour la comtesse de Flahaut en particulier, des soucis graves de personnes et de fortune : la mort sanglante de son mari, sous le couteau de la Terreur ; l'émigration et ses angoisses, les heures difficiles traînées sur la terre étrangère ; les travaux courageusement entrepris pour en sortir avec honneur ; les compensations obtenues dans les joies agrandies de la réputation littéraire ; puis, les recommencements de la vie parisienne élégante et fêtée, dès le jour où elle y reprit pied pour la première fois — c'était dans les salons sans austérité de Mme Tallien — ; la célébration des secondes noces, qui l'unirent, en 1802, à l'ancien ambassadeur de Portugal, José-Maria de Souza-Botelho[20] ; enfin les derniers frémissements de son cœur, avant de se résigner à la retraite définitive dans la paix des souvenirs. Maintenant que se sont évanouies les fièvres d'antan et, avec elles, l'ardeur des dissipations de jeunesse, elle revit en sa riante imagination les joies passées, ou partage sa sollicitude entre les soins que réclame l'éducation d'un petit enfant — dont nous allons avoir à parler — et les échanges pleins de douceur des amitiés anciennes. Sa santé très variable, son humeur du moment, les convenances de son âge ne lui permettent plus que de rares échappées au dehors ; mais elle a su se composer, en son chez soi, une sorte de refuge élégant au delà duquel ne vise pas à s'étendre le cercle de ses désirs. N'a-t-elle pas mis là son cachet, son empreinte ? Ne s'y retrouve-t-elle pas elle-même, à toute place, en chaque détail ? Pour en avoir l'impression comme elle, on n'aurait qu'à considérer l'arrangement de sa chambre, de ses meubles préférés. La pièce essentielle où s'écoule la majeure partie de ses journées, lui semblait, hier, comme étrangère ; trop spacieuse la voyaient ses yeux et par cela trop dispersée, trop impersonnelle. Elle n'y respirait pas assez l'atmosphère morale dont son âme ou son intelligence avaient besoin. Alors elle avait voulu s'y ménager le coin bien intime où se cherchent et se fondent les harmonies de la vie intérieure ; et elle avait assemblé, resserré dans cet abri les objets vraiment siens — de ceux-là qu'on aime d'une tendresse infinie non pour leur valeur propre, mais parce qu'ils font partie de notre existence de tous les moments[21], — son piano, sa harpe, ses livres chéris, le secrétaire où dorment des lettres dont la chaleur amortie palpite encore en sa mémoire, la table où sont épars les feuillets noircis, une écritoire, des dessins. Asile discret, asile fermé jalousement, lorsqu'il lui semble doux et bon de s'y réfugier en soi, quitte à reparaître bientôt hors de ses étroites limites, quand se sont annoncées des visites coutumières et attendues. Au-dessus de sa tête, à l'étage supérieur, elle entend aller et venir quelqu'un de très cher, à qui elle a cédé de grand cœur cet appartement du premier pour y loger sa personne, ses tableaux, ses collections. Ce quelqu'un n'est autre que le fils unique de Mme de Souza, le comte Charles de Flahaut, un personnage considérable : le général Néné. Car il a pu monter en grade, devenir un des héros de la grande armée, avancer d'un pas rapide sur le chemin des honneurs, il est toujours Néné pour elle et, comme nous venons de le dire, le général Néné. A de certaines heures de l'après-midi, son habitude est de descendre chez sa mère, dans la chambre où l'on cause. Et c'est là que se joue aimablement, sous les yeux de Mme de Souza, un enfant de trois ou quatre ans, aux cheveux bouclés, auquel l'on entend donner le nom d'Auguste et qu'elle appelle, aux minutes caressantes, mon Auguste. On connaît mal, dans l'entourage de Mme de Souza, les origines de cet enfant et les causes profondes de son adoption. Quel est-il ? De quel sang ? A quel titre obtient-il, en cette demeure, entre la mère et le fils, tous les soins et toutes les marques d'une affection si attentive ? Les habitués de la casa se gardent de poser des questions trop pressantes, de crainte qu'on ne les trouve gênantes ou déplacées. Mme de Souza, sur tant de sujets si parlante et si écrivante, ne s'est jamais montrée, sur celui-ci, en veine d'expansion. Et l'on suppose qu'elle a des raisons particulières en la cause, dont on n'a pas à lui demander compte. A la comtesse d'Albany, à la très chère absente, qu'elle comble de ses effusions épistolaires, elle parlera de mille choses légères ou sérieuses, de ses petites ou grandes impressions, de ses craintes maternelles, de ses romans, de ses tableaux, de ses amis, de son fils Néné, de ses malaises, de ses découragements nerveux, de ses lassitudes après l'achèvement d'un nouveau livre[22] ; elle n'oubliera pas de témoigner beaucoup d'intérêt envers l'excellent M. Fabre, le peintre montpelliérain, qui a recueilli dans le cœur de la comtesse florentine la succession du fier poète Alfieri, ni de l'entretenir, en toute circonstance plausible, des illustres et, cependant, mystérieuses personnes, qu'elle lui dit être son penchant, sa passion[23] ; enfin de tous et de toutes, mais d'Auguste, du problème de famille insondé, pas un mot. Certes, on n'était pas sans s'apercevoir dans la maison qu'elle avait pour le petit inconnu des tendresses d'aïeule. Tels de ses constants amis, comme Le Roi, plus âgé qu'elle de vingt-deux ans, et qu'elle appelait le Petit père éternel, en raison de sa jeunesse bientôt centenaire[24], en savaient un peu davantage, surtout ce dernier à qui allait, au jour le jour, toutes les confidences de la fervente épistolaire. Mais nous devons croire qu'ils avaient formé la conjuration du silence et s'étaient juré de n'en souffler mot à personne ; car, ils ne sortiront point, leur vie durant, d'une discrétion impénétrable[25] ; et il faudra longtemps attendre, très longtemps, pour être informé d'une manière sûre que l'enfant aux cheveux bouclés, aux yeux bleus, à la mine espiègle, qui jouait, comme nous l'avons montré tout à l'heure, dans cette chambre si bien ordonnée, sous le regard complaisant de Mme de Souza, était le fils inavoué de la reine Hortense et du général Charles de Flahaut, en d'autres termes le frère utérin de Napoléon III. Le nom d'Auguste Demorny, qui lui avait été donné par une fiction légale, n'en disait rien. ***Charles de Flahaut ! Fut-il mortel plus choyé du sort et des femmes ? Les succès vinrent à sa jeunesse avec une précocité merveilleuse. Soldat à quinze ans, aide-de-camp de Murat à dix-sept, général de brigade à vingt-trois, ce fut affaire à lui, vraiment, de brusquer la fortune. Aux heures de trêve pacifique, sa brillantise et sa chance l'avaient suivi sur un terrain de conquête infiniment plus agréable à parcourir. Autant qu'il en avait l'occasion, entre deux courses glorieuses à travers les champs de bataille de l'Europe, il étonnait les cœurs des belles esseulées de l'Empire. Par l'élégance de ses manières, la beauté de ses traits, la grâce naturelle dont s'accompagnaient ses paroles, il inspira des sentiments, dont les Mémoires du temps ont, conservé les traces. On ne pouvait l'entendre sans désirer le connaître, ni le voir sans désirer le revoir. N'eût-ce été que le son de sa voix, cela seul l'eût distingué de tout autre, au milieu d'une société nombreuse ; aucune femme, eût-elle les yeux baissés par contenance ou le regard occupé ailleurs, ne résistait à tourner la tête de son côté pour savoir à qui appartenait ce timbre doux et pénétrant. Le charme particulier qu'il exerçait, nulle ne l'exprima mieux que la comtesse Potoçka-Wonsowicz, pour l'avoir ressenti. La première fois qu'elle eut à s'en rendre compte, à son corps défendant, ce fut en l'été de 1806, quand apparurent, sur les derrières de l'armée prussienne, les régiments français dans Varsovie. Chez le beau-père de cette grande dame polonaise, la petite-nièce du dernier roi Stanislas, s'étaient installés, à grand fracas de sabres et d'éperons, de panaches, d'uniformes galonnés et brodés, le prince Murat et ses aides-de-camp. L'un de ceux-ci s'était fait annoncer, le soir, au souper de famille — un officier de hussards que le comte Maurice Potocki avait reconnu de suite en l'embrassant. Ils s'étaient vus et fréquentés, naguère, à Paris : Ah ! c'est Charles ! s'écria-t-il. — Monsieur Charles de Flahaut, avait-il ajouté en le présentant autour de soi. La comtesse avait entendu parler de lui, et d'une manière intéressante, pour la passion vive dont il avait été l'objet de la part d'une de ses compatriotes. Par une idée de femme, où entraient du caprice, de la crainte pressentie et aussi du dépit d'avoir été prise à l'improviste, avant qu'on eût eu le temps de soigner sa toilette, elle était restée silencieuse, la tête baissée et bien décidée à n'être point vue pour n'être pas regardée. Mais le son d'une voix, comme elle n'en avait jamais entendu, vint la tirer de cette fière détermination ; elle releva la tête, curieuse de considérer le visage et l'expression de physionomie, que pouvait avoir un homme, qui parlait si harmonieusement[26]. Elle avait bien en face d'elle l'irrésistible Flahaut ; son impression fut qu'elle-même aurait à lui résister. Il n'avait que vingt et un ans ; et son regard voilé de mélancolie eût donné à croire déjà qu'il avait pénétré le vide des passions les plus orageuses. Aussi bien avait-il tout ce qu'il fallait, en pareille aventure. Svelte ainsi que devait l'être un homme sensible[27], n'ayant rien de compassé dans ses mouvements, mais dénotant, avec un sourire fin et une grâce sans fadeur, des façons irréprochablement distinguées, c'était bien le héros de roman dont les âmes rêveuses trouvent si rarement autour d'elles la personnification réalisée. Cependant, en la maison amie où Flahaut venait d'apparaître, on l'interrogeait sur sa vie de campagne et sur lui-même. Il répondait à ces questions avec mesure, en des termes dont la justesse et la simplicité ne faisaient que redoubler l'intérêt attaché à sa personne. Surtout, il marquait un plaisir très apparent à écouter la comtesse Potoçka, autant qu'à fixer ses doutes sur ce qu'elle désirait savoir. Elle ne dissimulait pas non plus qu'elle en éprouvait une intime satisfaction. Un lien s'était formé entre ces deux âmes. Enthousiaste, chevaleresque, éprise des grands sentiments et des grandes idées sans qu'elle se perdît dans les rêves chimériques ; heureuse d'être ce qu'elle était et d'avoir à jouer dans le monde un rôle que rendaient enviable sa fortune, son état de famille, ses relations ; enjouée de nature et légèrement insouciante de caractère ; se sentant, en quelque manière, incomprise dans le mariage, mais ne jugeant point qu'elle eût à s'en lamenter comme d'une immolation ; satisfaite en soi, en ses enfants, en son entourage ; aimant la parure, les hommages, les attentions, Anna Tyskiewicz, comtesse Potoçka avait de quoi plaire et savait plaire. Charles de Flahaut s'était empressé à lui en prodiguer l'assurance avec des délicatesses d'amitié, qui eussent voulu s'appeler des complaisances d'amour. Lors commencèrent des relations de tendre cordialité, nuancées par des intervalles d'émotion, de tentation presque, d'appels retenus, de désirs refoulés, qui en avivaient d'une pointe un peu plus aiguë les sensations calmes. L'absence n'affaiblissait point de si beaux sentiments. D'une main chaude encore de la poudre des combats, il lui écrivait les lettres les plus touchantes. Ainsi filait-il le parfait amour, de près ou à distance, en l'honneur d'une grande dame étrangère. Il s'y employait avec d'autant plus de patience, avec d'autant plus de discrétion apaisée, qu'on lui ménageait, en d'autres lieux, des contentements moins illusoires. L'amie n'était point l'unique aimée. Tout idylliques que parussent en la forme ses tendres déclarations, le jeune officier dont l'image avait inspiré à la main maternelle, heureuse de l'embellir et de l'idéaliser, le portrait en lignes pures d'un Eugène de Rothelin, ne s'en tenait pas sur le terrain de la réalité, aux seuls termes du roman. Les jouissances de la pure essence ne remplissaient point toutes ses aspirations. La retenue qu'il avait pu garder auprès de la comtesse Potoçka et dont il faillit bien sortir à l'égard de la belle Eléonore de La Valette, eût été moins exemplaire, s'il n'avait eu l'âme et les sens occupés en la compagnie de la reine Hortense. De ce côté il ne retournait pas que de platonisme et de ménage d'esprits, — à telle enseigne qu'il en résulta des suites irrécusables et palpables. Or, nous voici justement arrivé au point délicat, que nous ne saurions passer sous silence, parce qu'il a la valeur consacrée d'un fait historique : la liaison établie, aux environs de 1810, entre Hortense de Beauharnais, reine de Hollande, et Charles de Flahaut, aide-de-camp de Sa Majesté napoléonienne. ***Il est à peine besoin de rappeler quelle désunion de sentiments profonde, incessante, troubla, jusqu'à la rupture complète, l'existence intime de Louis-Bonaparte et d'Hortense. Cette mutuelle désaffection s'était dénoncée dès avant les lueurs fugaces et pâles de leur lune de miel. C'est qu'en effet Hortense avait été mariée par raison d'État, alors que son cœur déjà pris ne lui appartenait plus. Elle l'avait donné au brillant officier qu'était Duroc, l'ami le plus cher du Premier Consul. Ils s'étaient juré d'être l'un à l'autre ; la politique, les visées confondues de Napoléon et de Joséphine les avaient séparés[28]. Un matin, elle était passée, les yeux noyés de mélancolie sous les regards de celui qu'elle aimait ; dans l'église emplie de parfum et de musique, se déployait le faste d'une cérémonie royale : on la joignait à l'époux qu'elle n'avait pas choisi. Ces noces, où l'on avait tout réglé, tout prévu, sauf le désaccord qui pourrait résulter de l'union de deux caractères absolument opposés, ces noces, qui s'étaient faites contre le gré d'Hortense, Louis-Bonaparte lui-même ne les avaient pas désirées. Jamais, confesse-t-il en ses Mémoires, cérémonie ne fut si triste ; jamais deux époux ne ressentirent plus vivement le pressentiment d'un mariage forcé et mal assorti. Dès les accordailles, des bruits outrageants avaient été mis en circulation, visant les motifs secrets qui auraient poussé personnellement le Premier Consul 'à hâter la conclusion d'une telle alliance[29]. Complaisamment la princesse Murat, une ennemie des Beauharnais comme tous les Bonaparte, la perfide Caroline en avait rapporté les échos à Louis, dont l'amour-propre ombrageux, la susceptibilité toujours en quête et en alarme, et la bizarrerie de nature, qui lui faisait un besoin de se tourmenter, de se rendre malheureux à propos de tout, se trouvèrent fort mal qu'on l'eût choisi lui en qualité de successeur. Ce fut le premier prétexte dont il s'arma afin de justifier des surveillances jalouses et des éclats d'humeur, qui ne firent qu'empirer avec le temps. Objet d'un espionnage domestique de tous les moments, la reine Hortense voyait soupçonner chacune de ses lettres, chacune de ses liaisons, et jusque son amour fraternel pour Eugène de Beauharnais. Les scènes violentes se renouvelaient sans cesse. Se quittait-on à la suite d'une brouille : les correspondances échangées se remplissaient de reproches et de récriminations. Séparés l'un de l'autre par des intervalles de temps prolongés, ils ne se rejoignaient que pour voir renaître bientôt dans le tête-à-tête leurs habituels dissentiments[30]. Tous les torts n'étaient pas d'un seul côté. Si fantasque et tracassier qu'il pût être, Louis avait marqué de bonnes intentions ; il eût été capable d'une vraie tendresse à l'égard de cette compagne imposée, s'il l'eût vue moins étourdie, moins accessible aux adulations des hommes en général et des hommes d'épée en particulier[31], moins égoïste aussi et plus confiante ; enfin si elle eût montré plus de retenue dans ses relations de Cour et d'intimité. Trop de nouvelles lui étaient revenues aux oreilles sur ce chapitre désobligeant. Sans qu'il dût paraître excessif, il eut lieu de se plaindre de ce luxe d'héritiers, surtout, dont elle le gratifiait des deux mains, de la gauche comme de la droite[32]. Mais, la fille de Joséphine, qui se donnait volontiers pour une femme à principes, qui était arrivée à faire dire à son glorieux beau-père, cependant peu crédule[33] : Hortense me force à croire en la vertu ; et qui, d'ailleurs, mettait un air de coquetterie à se parer d'une auréole de victime, comme si elle eût été la créature la plus malheureuse de son temps et la moins digne de l'être : Hortense de Beauharnais acceptait mal qu'on la jugeât, en quoi que ce fût, reprochable. Elle seule était la sacrifiée. A toute occasion se répandaient ses plaintes et sa douleur. Parmi tant d'officiers de haute mine qu'elle accueillait dans ses salons avec une préférence marquée, les uns appartenant à l'état-major du prince de Neuchâtel, d'autres n'ayant pas encore dépassé les premiers échelons de la hiérarchie militaire, comme le jeune et charmant lieutenant de Brach, que ses frères d'armes surnommaient pour la blancheur de son teint, pour la délicatesse de sa physionomie blonde : Mademoiselle de Brach, sans qu'il se sentit, en l'espèce, moins de nerf et moins de feu ; parmi ceux-là quoi de surprenant s'il en était plus d'un aspirant à étancher les pleurs dont s'humectaient les prunelles languissantes de Madame Louis et à la consoler des injustices de son sort de femme[34] ? En une telle disposition d'âme et de sens, elle laissait errer ses sympathies, indolente et capricieuse. Le plus vif et le plus durable de ses sentiments eut pour objet Charles de Flahaut. Avec ses jolis yeux bleus et son sourire avenant, celui-ci traversait d'un pied léger le monde et les boudoirs. Relativement pauvre, il possédait les plus beaux équipages de l'armée et trouvait cela très simple[35]. On enviait ses succès. Ses intimes mérites étaient de bruit public. Ne disait-on pas qu'on se les disputait dans les alcôves impériales ? Napoléon s'était fâché, plusieurs fois, de cet excès d'intérêt ; mais en vain avait-il critiqué cet engouement de toutes en faveur d'un homme auquel il ne voyait rien, en somme, de si extraordinaire[36], avec sa taille de fuseau et ses jambes interminables, les grandes dames dont il était la coqueluche, ne se rangeaient pas à l'avis du maître et continuaient à lui trouver, Hortense toute la première, fort bonne tournure. Pour couper court, il envoyait, de temps en temps, le héros prendre l'air des camps, gagner de la gloire et des rhumatismes. A l'examiner en détail, Flahaut avait bien ses petites imperfections. Déjà s'apercevait-on, par exemple, que sa chevelure finement bouclée, ne lui tiendrait pas aux tempes longue et fidèle compagnie[37]. En effet, Charles de Flahaut — Morny, son fils, lui ressembla sur ce point comme sur maints autres — eut de bonne heure le front dépouillé de toute parure capillaire. Mais qu'importait cette légère défection ? N'avait-il -pas assez d'avantages en lui capables d'attirer, de charmer ! Il était brave à la guerre jusqu'à la témérité ; pratiquait comme un diplomate la politique de cour, avait l'usage exquis du monde. Son air de dignité, agréablement atténué d'une sorte de mollesse ou d'insouciance naturelle et par cette sorte d'étourderie, qui sied à la jeunesse lorsqu'elle ne dégénère ni en fatuité ni en licence, achevait de lui gagner les cœurs. Hortense y fut entièrement conquise. Elle l'avait distingué, choisi, avant qu'il soupçonnât la tendre estime dont il était l'élu. Tout en s'efforçant à tenir enfermé dans son sein le faible qu'il lui avait inspiré, elle en trahissait les signes, elle en avouait l'impression troublante à la personne du monde la mieux en état de s'y intéresser, en dehors de Flahaut même, à Mme de Souza. Après Varsovie, il était resté comme oublié dans une triste garnison d'Allemagne. Combien de temps l'y laisserait-on languir ? Pour lui donner patience, sa mère lui répétait, à chaque lettre nouvelle, qu'une personne dont le crédit était bien établi et qui l'aimait, sans qu'il s'en doutât, n'épargnait point les démarches pour le faire revenir. Et, en effet, il avait reçu, signée de la main de l'Empereur, l'autorisation de rentrer à Paris et à la Cour. Le temps d'y respirer un peu, avant de remonter en selle pour de nouveaux et plus funestes combats. Il revint donc et put approcher, considérer de très près sa mystérieuse protectrice. Elle n'était point aussi séduisante et belle que son imagination l'eût souhaitée. Malgré les flatteries dont on l'assiégeait, Hortense, avec sa figure longue et son sourire de résignée, ne s'exagérait pas la puissance de ses charmes. Selon les propres termes d'une lettre de Flahaut à la comtesse Potoçka, n'étant point jolie elle se croyait condamnée à ne jamais être aimée et n'osait même pas chercher à plaire. Son constant et généreux attachement se dérobait à tous les regards sous le couvert d'une affection quasi-fraternelle. Mes rapports avec son frère, déclare-t-il sans la nommer, ces rapports me donnent l'occasion de la voir sans cesse. Je l'observai longtemps avant de la payer de retour. Elle ne m'inspirait ni l'attrait que d'autres m'avaient fait connaître, à mon entrée dans le monde, ni l'amour exalté que vous avez fait naître dans mon âme. Je finis par l'aimer, car j'eus mille preuves de son dévouement. Plus je l'appréciai, plus il me sembla indigne de tromper son attente. Oui, me disait-elle de sa douce voix, si vous pouviez aimer une autre femme comme vous avez aimé en Pologne[38], je sens que j'en mourrais. Ces mots firent que je lui sacrifiai ma liberté... Depuis deux ans, je me suis dévoué à son bonheur et je me suis cru moi-même heureux en voyant avec quelle reconnaissance elle acceptait ma sincère affection. On le voit à ce ton de condescendance presque apitoyée : il n'avait pas eu besoin, pour couronner sa conquête, de faire appel aux grands moyens de séduction qu'aurait pu lui enseigner Talleyrand, son pseudo-père, s'il ne les eût tirés de sa propre expérience. Il n'avait eu qu'à se laisser conduire mollement à la victoire. L'habitude resserra cette intimité. Flahaut ne manquait pas un des bals donnés par la reine Hortense, ni de ceux où elle aimait à se rendre. C'est ainsi que, vers la fin de l'hiver 1810-1811, il avait conduit avec elle, haut la main, un quadrille très admiré et qui représentait les Péruviens se rendant au temple du Soleil. On parla beaucoup des diamants d'Hortense, de la grâce de ses vêtements vaporeux, et du goût sans reproche, de la taille souple et élancée de Flahaut. Elle chérissait la musique et composait des romances. Il chantait remarquablement et sa complaisance ajoutait à son talent. Elle se mettait au piano. Il modulait des chants d'amour et d'héroïsme. Elle était l'inspiratrice de ses pensées. Il était le chevalier parfait, le jeune et beau Dunois, prêt à partir pour une campagne lointaine afin de mériter son cœur. C'était un accord touchant, une harmonie complète de leurs sentiments, de leurs goûts, de leurs mutuels désirs. Un accident troubla la fête, ce genre d'accident trop naturel que les précieuses du XVIIe siècle qualifiaient, en pareil cas, le contre-temps de l'amour. Malgré tout le mystère dont on essaya d'en voiler les circonstances, les historiens s'en saisiront, un jour, pour l'appeler : là naissance du duc de Morny. L'événement, ses antécédents et ses suites s'étaient passés à peu près comme nous l'allons dire. |
[1] La grande rue Verte, sise à la hauteur du n° 6 de la rue Saint-Honoré.
[2] Sous le nom de Mme d'Arbignes, dans son roman de Corinne. Nous la ferons mieux connaître tout à l'heure.
[3] Le jeudi, M de Rémusat, M. et Mme de Rumfort, La Bédoyère, et un nouvel arrivant, Charles de Sismondi, étaient de ces figures familières.
[4] L'un d'eux, pourtant, s'en détacha, après la seconde Restauration, et pour de bas calculs d'intérêt politique. Celui-là, — un Bertrand (frère de Bertrand de Molleville, ministre de Louis XVIII) —, avait respiré, chez Talleyrand-Périgord, l'égoïsme, l'oubli des autres, qui était comme l'atmosphère de la maison. Sa défection fut amèrement ressentie. J'ai éprouvé, écrivait l'amie des anciens jours, un abandon, une ingratitude, qui me perce jusqu'au fond de l'âme : c'est Bertrand, notre Bertrand ; dès que les Russes ont été aux portes de Paris, il a cessé de mettre les pieds chez moi, et vous savez, cependant, s'il n'avait pas toujours eu son libre-arbitre, son franc-parler... Les nobles caractères, les fiers courages dont je suis entourée ne pardonneraient pas à ma faiblesse, s'ils le retrouvaient à sa place accoutumée, dans ma chambre. Entre nous soit dit, je l'y reverrais avec plaisir. L'amitié se compose d'indulgence ; je sais que le moment qu'il a choisi pour m'abandonner laisse peu d'excuses ; mais cette habitude de vingt-huit ans a laissé de grandes racines dans mon cœur. (Fin 1814 ; fragm. de lettres adressées à la comtesse d'Albany.)
[5] Toutefois, la vérité nous oblige à faire cette réserve que plus d'une fois, sa perspicacité fut en défaut sur des lendemains politiques, qu'il s'avisait de prédire et de préjuger.
[6] Ce Gouverneur Morris avait le visage remarquablement beau, comme il avait l'esprit fort agréable. Toutefois une certaine fatuité naturelle, raffinée par l'éducation, le portait à s'exagérer son ascendant auprès des jeunes et des belles, malgré qu'une imperfection sensible dans son cas (il avait été amputé d'une jambe, à la suite d'un accident, à Philadelphie) diminuât bien ses chances de séducteur.
[7] A moins que ce ne fût sa sœur Julie, qui prétendait à cette illustre naissance et s'en glorifiait. (Cf. CHAVERNY, Mémoires, t. I).
[8] Ce n'était pas, au reste, le point le plus relevé de ces ascendances confuses. On ne l'ignore pas, les Poisson sortaient d'une bourgeoisie suspecte et véreuse. Le père de la belle amie du roi, ancien commis des Péris, compromis en de louches affaires de subsistances, avait frisé la corde. Sa mère était galante jusqu'au scandale. Mais la Pompadour avait passé sur tout cela la décharge de son caprice tout-puissant.
[9] Marmontel écrivait de Julie Filleul qu'elle était par son esprit, son charme, sa beauté, son aimable raison, l'idolâtrie de tous. Cependant, Mme de Pompadour avait vu cette union de fort mauvaise grâce, ayant rêvé pour son frère une illustre alliance, dont le brillant eût rejailli sur elle. Elle lui avait offert une fille du maréchal de Lowendal, qu'il avait laissée pour quelqu'un d'autre, puis une fille du duc de La Vallière, pour laquelle il s'était senti plus d'éloignement que d'inclination, la disant mal élevée et trouvant le père et la mère d'une hauteur insupportable et encore une fille de la princesse de Chimay, dont il n'axait pas voulu entendre parler davantage. En vain s'était-elle engagée, s'il répondait à ses vues, à le faire nommer par le roi duc à brevet, et, qui plus était, duc héréditaire. Chaque fois, il avait répondu qu'il tenait davantage à son indépendance, et que, s'il consentait à la sacrifier, ce ne serait jamais que pour une femme qu'il aimerait réellement. Et, après avoir tant hésité à franchir le cap du mariage, il avait fallu que ce célibataire endurci allât échouer dans une petite maison bourgeoise ! L'orgueilleuse d'Etioles en avait été très mortifiée.
[10] Après la mort de Buffon et jusqu'en 192.
[11] Un aimable poète à l'imagination brillante et rêveuse, qui la connut un peu sur le tard de sa beauté, Chênedollé disait d'elle : Mme de Souza fait, quand elle veut, ses yeux de velours. Elle fait patte de velours avec ses yeux.
[12] Étant évêque d'Autun et s'apprêtant à officier au Champ de Mars religieusement, devant une foule immense et recueillie, il disait à l'oreille du général de La Fayette : Ne me fais pas rire !
[13] Mary Summer.
[14] C'était au moyen d'un certain soulier à boucles de diamants, à haut talon, artistement rembourré.
[15] Dans ses lettres la comtesse de Neuilly, le farouche d'Angiviller revient souvent sur l'impudeur de M. d'Autun, la légèreté de Mme de Flahaut et le malheur qu'a leur enfant de leur appartenir.
[16] On ne renie point dans la famille des Morny cette descendance en ligne brisée. Comme je demandai, un matin, à l'un des fils du duc de Morny ce qu'il pensait d'une telle allégation, si elle ne présentait pas, suivant lui, un caractère mensonger, il voulut bien me répondre que, à tout prendre, à tout considérer, de certains traits de ressemblance physique entre le prince de Bénévent et le frère de Napoléon III, — sans parler des similitudes intellectuelles et morales —, serviraient plutôt à la fortifier.
[17] C'est au Louvre que le Gouverneur Morris avait rencontré, pour la première fois, l'abbé de Talleyrand transformé en évêque d'Autun ; et c'est là chez les Flahaut qu'il eut occasion, fréquemment, de le revoir dinant, causant, galantisant.
[18] Le temps des larmes et des regrets était loin, lorsqu'elle écrivait à la comtesse d'Albany sans prononcer le nom de l'absent, qui n'était plus pour elle que l'ancien, une figure lointaine, oubliée, perdue : Quant à l'Ancien, je n'en ai pas entendu parler ; mais cette plaie est guérie depuis si longtemps que cela ne m'a étonnée ni fâchée. Il reviendra ou continuera à m'oublier sans me faire ni plaisir ni peine... (Sept. 1814.)
[19] Gouverneur Morris.
[20] A propos de ce mariage, on rencontre dans les Mémoires de Talleyrand, t. I, ces allusions, d'un caractère plutôt ironique à des choses d'autrefois dont il se sentait, pour le moment, bien dégagé :
Je voulais, avant de rentrer en France, savoir ce qui s'y passait. Mme de Flahaut, qui était à Hambourg, me parut peu disposée à me l'apprendre ; car elle m'envoya, lorsque j'étais sur l'Elbe, un message dont M. de Ricé eut la simplicité de se charger, pour m'engager à ne pas descendre à terre et à retourner en Amérique. Son motif, disait-elle, était qu'elle passait pour m'avoir été fort attachée et elle craignait que, par cette raison, je ne fusse un obstacle à son mariage avec M. de Souza, ministre de Portugal. Je crus pouvoir, sans indélicatesse, résister aux singulières raisons que me faisait valoir M. de Ricé, et je restai un mois à Hambourg, entouré de personnes qui ne nuisirent pas plus que moi au mariage qu'elle contracta, depuis, avec le bon M. de Souza.
[21] Cf. Frédéric Loliée, La vie d'une impératrice, p. 333.
[22] Je dis comme les femmes en travail : Je ne ferai plus d'enfants. (16 février 1811, Lettre à Mme d'Albany.)
[23] Votre passion et votre penchant, dans les lettres de Mme de Souza, désignent l'impératrice Joséphine et la reine Hortense.
[24] Le privilège de cette verdeur et de cette alertise soutenues jusqu'aux limites extrêmes de la vie humaine lui était acquis merveilleusement. M. de Fontenelle lui-même en eût été jaloux. Mme de Souza l'en complimentait en ces termes charmants : Chaque année vous en perdez deux au lieu d'en gagner une. Votre esprit est aussi vif, aussi jeune que dans le temps où je revenais de ma croisade [l'émigration]. (Lettre du 2 août 1823.) Il ne se décidera qu'à cent huit ans sonnés à quitter ses chers livres, sa famille, ses amis.
[25] Dans l'entourage de Mme de Souza, une grande réserve était observée pour tout ce qui concernait Auguste de Morny. Assurément, M. Le Roi, son meilleur ami, devait connaître ses origines, mais il les tenait si secrètes que la tradition se répandit plus tard, dans la postérité de Mme Le Roi de Camilly, que le duc de Morny était, malgré la disproportion des âges, un fils naturel de Mme de Souza. De la reine Hortense il n'était pas question. (Maricourt, Mme de Souza, p. 334.)
[26] C'est, je crois, la seule personne, a-t-elle noté dans ses Souvenirs, qu'il me soit arrivé d'écouter avant de la regarder.
[27] Rivarol eût bien empêché de lui servir l'épithète qu'il détachait à Lally-Tollendal, lorsqu'il qualifiait ce bon jeune homme, un très bon jeune homme (ajoutait Talleyrand) : le plus gros des hommes sensibles.
[28] Cette séparation n'empêcha point la reine Hortense de conserver à la famille de Duroc (créé duc de Frioul) des sympathies fidèles. Elle désira servir de marraine à la petite-fille du duc et de la duchesse de Frioul et la tint sur les fonts baptismaux en même temps que la fille du duc de Bassano. Les deux enfants portèrent son nom. A cette occasion, Mme Duroc reçu de sa main, en souvenir, un bracelet enrichi de diamants avec son portrait.
[29] Napoléon s'en défendit toujours et s'élevait encore, à Sainte-Hélène, contre cette allégation.
[30] C'était un trait de famille : Joséphine de Beauharnais, sa mère, n'avait pas fait meilleur ménage avec M. de Beauharnais, son père.
[31] De tous les hommages qu'une femme peut recevoir, écrivait cette reine assez bourgeoisement, ceux que rendent les militaires ont toujours quelque chose de chevaleresque dont il est difficile de ne pas être flattée. (Hortense, Fragments de Mémoires inédits.)
[32] Le cardinal Fesch le remarquait d'une façon assez plaisante : Quand il s'agit des pères de ses enfants, disait-il, Hortense s'embrouille toujours dans ses calculs.
[33] L'empereur était plein d'indulgence, et son affection était profonde à l'égard d'Hortense ; il dut, néanmoins, revenir de cette bonne opinion ; plusieurs fois il se vit obligé de lui faire des remontrances sur la légèreté qu'elle affectait avec ses aides-de-camp.
[34] Hortense et le lieutenant de Brach. (Voir le livre du général de Ricard : Autour des Bonaparte, p. 215.)
[35] Fragments de souvenirs inédits, destinés à paraitre en 1910.
[36] Un jour que Joséphine vantait devant lui les grâces et l'esprit de M. de Flahaut. De l'esprit ? reprit Napoléon, brtt ! qui n'en a pas comme cela ? Il chante bien ? belle qualité pour un soldat, qui, par état, est presque toujours enroué. Ah ! il est joli garçon, voilà ce qui vous touche, vous autres femmes... Eh bien ! je ne lui trouve rien du tout d'extraordinaire. Il ressemble à un faucheux avec ses éternelles jambes. Ce n'est pas de la tournure naturelle. Il faut avoir de la tournure. Et, regardant avec complaisance ses petites jambes grasses renfermées dans des bas de soie, il semblait dire : Pour avoir de la tournure, voilà comment il faut être. (Duchesse d'Abrantès, Mémoires, t. IV, p. 306).
[37] Une autre anecdote. En 1823, Charles de Flahaut, qui n'avait pour sa mère que des demi secrets, lui confiait qu'il avait conçu un vif sentiment pour une femme des plus séduisantes et qu'il désirait lui offrir un présent vraiment rare, unique peut-être comme sa personne. Sur le choix de ce présent il s'en remettait au goût maternel.
Si je vous entends bien, mon fils, répondit Mme de Souza, vous êtes à la recherche de quelque chose de très rare.
— Oui, ma mère, de très rare.
Là dessus, elle parut chercher, réfléchir.
Je crois avoir troué, dit-elle enfin, donnez-lui un de vos cheveux.
C'était en 1823. Déjà en 1811, dans une lettre à la comtesse d'Albany, Mme de Souza, avec un peu de malice, notait cette constatation :
Néné se remplume, mais il a moins de cheveux que jamais.
[38] La tournure est adroite, le compliment à double fin.