Bonaparte reçoit la confirmation à l'École militaire de Paris. — Il défend son patron. — Le premier siège de Napoléon. — Mort de Charles de Buonaparte. — Agonie prophétique. — Lettre de Napoléon à sa mère. — Jacob et Ésaü. — Notes des professeurs de Bonaparte à l'École militaire sur le compte de leur élève. — Rapport sur sa promotion de sortie. — Ses lectures. — Jean-Jacques Rousseau. — Bonaparte lieutenant d'artillerie. — Napoléon part pour Valence. — Détails sur son installation chez madame Bou. — Premiers camarades de garnison. — La société de Valence. — Madame du Colombier. — Les trois Grâces de Valence. — Napoléon triste jusqu'à la pensée du suicide. — Papiers de jeunesse de Napoléon. — Analyse de ces Juvenilia. — La nostalgie de l'action. — Véritable valeur morale de ces confessions. — Napoléon à Lyon. — A Douai. — Premier séjour de congé en Corse. — Influences de ce séjour, de 1787 à 1790. — Bonaparte lieutenant en premier. — Passage à Paris. — Bonaparte à Auxonne. — Détails sur ses études. — Excursions diverses. — Analyse des travaux manuscrits et inédits de Napoléon, de 1786 à 1791. — Plans de réformes pédagogiques. — Nouvelles. — Contes. — Le Régiment de la Calotte. — Triple travail historique sur la Corse. — Opinion de Mirabeau et de l'abbé Raynal. — Pourquoi Napoléon n'a point achevé ni publié son ouvrage. — L'action succède à la spéculation. — Retour de Paoli en Corse. — Période militante et évolutions caractéristiques de la pensée et de l'ambition de Napoléon. — Lettre à Matteo Buttafuoco. — Second séjour de Napoléon à Valence. — Retour passager à la spéculation. — Discours présenté au concours de l'Académie de Lyon.À peine arrivé à l'école militaire de Paris, le jeune apprenti officier dut compléter son initiation sacramentelle, plier une seconde fois le genou devant l'autel et offrir au symbolique soufflet de la confirmation son imberbe fierté, Il se souvenait fort bien, à ce propos, de la surprise de l'archevêque officiant à ce nom de Napoléon, qu'il entendait pour la première fois et auquel il ne trouvait point de répondant dans la liturgie hagiographique. A l'objection qu'un tel saint n'était point dans le calendrier, le jeune homme, blessé de l'affront fait à son patron, répondit avec vivacité que ce ne saurait être une raison, puisqu'il y avait une foule de saints dans le ciel et seulement trois cent soixante-cinq jours dans l'année. Mgr Le Clerc de Juigné sourit de la répartie et passa outre au sacrement. Un autre souvenir authentique, défiguré légèrement par la tradition devenue légende, et attribué le plus souvent à tort à son séjour à Brienne, c'est celui de l'hiver de 1784, où l'abondance inusitée de la neige priva les élèves de leur récréation ordinaire. Pour y suppléer et faire servir un délassement nouveau à la satisfaction des goûts stratégiques qui le tourmentaient alors, Napoléon suggéra l'expédient d'une petite guerre et d'un siège avec les ressources et les munitions que la saison semblait mettre à la portée des combattants. La motion fut adoptée avec enthousiasme et mise à exécution avec un joyeux et martial empressement. On éleva des forts, on creusa des tranchées, on simula des bastions et des contreforts de glace et l'on se bombarda à coups de boules de neige. Ces évolutions durèrent quinze jours, autant que la gelée. Le soleil y mit un terme forcé et fondit la première conquête de Bonaparte, qui avait emporté, après toutes les vicissitudes d'un investissement en règle, conduit par lui avec un sang-froid et une instantanéité de combinaisons qui électrisèrent ses camarades et étonnèrent ses maîtres, la place improvisée, disputée énergiquement — jusqu'à mêler des pierres aux boules de neige — à ses efforts par le parti adverse. En février 1785, Napoléon eut le malheur, qu'il ressentit profondément, de perdre prématurément son père, mort à Montpellier d'un squirre à l'estomac, à l'âge de trente-huit ans. Le légitime chagrin de cette perte irréparable s'aggrava et s'envenima d'autres regrets pour la famille, et surtout pour celui de tous ses membres dont le cœur sentait le plus profondément 'l'affection et dont l'esprit mesurait le mieux les conséquences d'une telle perte. La décadence complète de la maison eut suivi la chute de son chef, sans la libéralité, l'habileté et le succès avec lesquels l'archidiacre Lucien, devenu l'administrateur de cette fortune compromise par les spéculations de Charles Bonaparte, la perte de son procès contre les jésuites à propos de cette pépinière qui joue un si grand rôle dans l'histoire domestique de ses dernières années, en répara successivement toutes les brèches. Mais avant d'être rassuré sur le salut des biens qui formaient son patrimoine et les ressources de la famille, Napoléon dut passer par toutes les vicissitudes, compliquées par l'absence et la distance, de la crainte d'une pauvreté qui l'eût arrêté dans sa carrière et eût condamné aux humiliations de la protection celui qui se considéra de bonne heure comme le soutien de sa mère et de ses frères, et qui joua, en effet, précocement le rôle que semblait lui avoir destiné la dernière volonté de son père mourant. Dans le délire de l'agonie, qui a parfois de si étranges et de si prophétiques lucidités, Charles Bonaparte, combattant contre des ennemis imaginaires, appelait à son secours le second de ses fils : Mon fils !... Napoléon !... la grande épée !... Telles furent les dernières paroles mêlées à ses derniers soupirs. Napoléon, à qui elles durent être rapportées, semble les avoir comprises dans ce qu'elles avaient d'obscur et de mystérieux pour les autres, Joseph notamment, qui était présent. Il y vit un appel, un vœu, un ordre, la règle de sa conduite, le mandat d'une délégation suprême au fils absent choisi par le père pour le suppléer et le remplacer. Le 28 mars 1785, la blessure de son cœur à peine cicatrisée, Napoléon écrivait à sa mère une courte, mais noble lettre, qui semble l'acceptation du legs paternel et la notification de ses intentions réparatrices et tutélaires. MA CHÈRE MÈRE, c'est aujourd'hui, que le temps a un peu calmé les premiers transports de ma douleur, que je m'empresse de vous témoigner la reconnaissance que m'inspirent les bontés que vous avez eues pour nous. Consolez-vous, ma chère mère, les circonstances l'exigent. Nous redoublerons de soins et de reconnaissance, et heureux si nous pouvons, par notre obéissance, vous dédommager un peu de l'inestimable perte de cet époux chéri. Je termine, ma chère mère, ma douleur me l'ordonne, en vous priant de calmer la vôtre. Ma sauté est parfaite, et je prie tous les jours que le ciel vous gratifie d'une semblable. Présentez mes respects à Zia Geltrude, Minana Saveria, Minana Fesch, etc. Votre très-affectionné fils, NAPOLEONE DI BUONAPARTE. — P. S. — La reine de France est accouchée d'un prince, nommé le duc de Normandie, à sept heures du soir. Plus tard, cette mission de protection et de dévouement, reçue de son père mourant, fut confirmée par l'abdication solennelle et touchante entre ses mains du véritable successeur du chef de la famille, l'archidiacre Lucien. Entouré de tous ses petits neveux réunis au chevet de son lit, le vieillard moribond dit à Joseph, désignant Napoléon de son doigt tremblant : Tu es l'aîné de la famille, mais en voilà le chef, ne l'oublie jamais (1791). C'était, disait gaiement l'empereur à Sainte-Hélène, un vrai déshéritage, la scène de Jacob et d'Ésaü. Joseph s'inclina sans murmurer devant un choix approuvé de la mère ci ratifié par le cœur de tous ses frères, dont Napoléon, alors, depuis trois ans déjà (1788), avait pris avec lui le plus jeune, Louis, devenu, à Auxonne, le pupille et l'élève du lieutenant d'artillerie, qui partageait avec lui sa chambre et sa pension, dirigeait ses travaux sévères, surveillait ses innocents plaisirs, et lui faisait faire au régiment sa première communion. A l'école militaire de Paris, plus encore qu'à celle de Brienne, le jeune Bonaparte étonna ses camarades et surtout ses maîtres par la puissance déconcentration de son esprit, ses aptitudes universelles, sa curiosité encyclopédique, son énergie de volonté, son indépendance de caractère, la hardiesse critique de ses idées. Avant de les appliquer au gouvernement du monde il les appliquait à l'administration de l'école elle-même, son petit monde à lui, à ses vices, à ses lacunes, aux inconvénients de l'éducation, sur certains points, selon lui, frivole et superficielle, qu'on y donnait aux jeunes gens destinés à la plus sévère des professions, faite de devoirs et de sacrifices. Sa fierté et sa pauvreté y furent offusquées d'un luxe inutile, et ses susceptibilités presque républicaines de l'inégalité des conditions et de l'influence du nom et de la fortune. Il y rêvait déjà cette fraternelle égalité et cette dignité dans l'obéissance qui n'admettent d'autre supériorité que celle du mérite et d'autre prestige que celui du talent. Ces idées se retrouvent dans un mémoire où il ne craignit point d'aborder un sujet si délicat, et où l'on voit, en dépit de quelques utopies de circonstance et de jeunesse, combien son génie, sur ce point comme sur tant d'autres, devait se présenter armé de réflexion et d'expérience à l'épreuve de l'action et de la pratique. Tous ces symptômes faisaient dire à M. de l'Équille de son élève : Corse de nation et de caractère, il ira loin, si les circonstances le favorisent. Le professeur put assister à la réalisation de ses pronostics et jouir de la renommée qu'il avait prédite. M. de Las Cases, qui avait précédé d'un an à l'École militaire de Paris celui dont il devait être un jour l'immortel compagnon d'adversité, dit à ce propos, dans le Mémorial : M. de l'Équille, notre maître d'histoire, se vantait que, si l'on voulait aller rechercher dans les archives de l'Ecole militaire, on y trouverait qu'il avait prédit une grande carrière à son élève, en exaltant dans ses notes la profondeur de ses réflexions et la sagacité de son jugement. Il me disait que le Premier consul le faisait venir souvent à déjeuner à la Malmaison, et lui parlait toujours de ses anciennes leçons : Celle qui m'a fait le plus d'impression, lui disait-il une fois, était la révolte du connétable de Bourbon, bien que vous ne nous la présentassiez pas avec toute la justesse possible ; à vous entendre, son grand crime était d'avoir combattu son roi ; ce qui en était assurément un bien léger dans ces temps de seigneuries et de souverainetés partagées, vu surtout la scandaleuse injustice dont il avait été victime. Son unique, son grand, son véritable crime, sur lequel vous n'insistiez pas assez, c'était d'être venu avec les étrangers attaquer son sol natal. M. Domairon, notre professeur de belles-lettres, me disait qu'il avait toujours été frappé de la bizarrerie des amplifications de Napoléon ; il les avait appelées dès lors : du granit chauffé au volcan. Un seul s'y trompa, ce fut le gros et lourd maître d'allemand. Le jeune Napoléon ne faisait rien dans cette langue, ce qui avait inspiré au professeur, qui ne voyait rien au-dessus, le plus profond mépris. Un jour, que l'écolier ne se trouva point à sa place, il s'informa où il pouvait être ; on répondit qu'il subissait en ce moment son examen pour l'artillerie. Mais est-ce qu'il sait quelque chose ? disait-il ironiquement. — Comment, monsieur, mais c'est le plus fort mathématicien de l'école, lui répondit-on. — Eh bien ! je l'ai toujours entendu dire, et je l'avais toujours pensé, que les mathématiques n'allaient qu'aux bêtes. — Il serait curieux, disait l'empereur, de savoir si le professeur a vécu assez longtemps pour jouir de son discernement[1]. Le 1er septembre 1785, après un examen décisif, auquel présidait l'illustre Laplace, Napoléon Bonaparte reçut le brevet de lieutenant en second dans la compagnie des bombardiers d'Autun du régiment de la Fère, et l'ordre de se rendre à son corps, qui tenait garnison à Valence. Son signalement moral demeurait consigné aux registres de l'école dans cette appréciation vraiment caractéristique : Réservé et laborieux, il préfère l'étude à toute espèce d'amusement, se plaît à la lecture des bons auteurs ; très-appliqué aux sciences abstraites, peu curieux des autres, connaissant à fond les mathématiques et la géographie ; silencieux, aimant la solitude ; capricieux, hautain, extrêmement porté à l'égoïsme ; parlant peu, énergique dans ses réponses, prompt et sévère dans ses réparties ; ayant beaucoup d'amour-propre ; ambitieux et aspirant à tout ; ce jeune homme est digne qu'on le protège. Un premier gage de cette protection ainsi invoquée ne se fil pas attendre, et le jeune Bonaparte entra dans l'armée titulaire d'une pension de deux cents livres, en qualité d'ancien cadet de l'école de Paris. Pendant son séjour à Paris, Bonaparte, recueilli dans ses études et ses pressentiments, effarouché du luxe et de la légèreté d'une société en décadence qui s'en allait en riant à la révolution et semblait avoir pris pour devise de ses dernières insouciances le mol attribué à Louis XV : Après moi le déluge ! n'avait fait qu'entrevoir le monde brillant des salons. Difficile à aborder, n'aimant pas le frivole honneur des présentations banales, fronçant le sourcil aux obligations d'étiquette, le jeune, sérieux et bilieux officier n'avait guère de relations qu'avec quelques familles amies de la sienne, les Pernon, les Marbeuf, les Comnène, chez lesquels il se montrait quelquefois avec sa gravité pensive, sa gaieté mélancolique, sa politesse froide, sa distinction roide, sans mélange de galanterie ni de plaisanterie. Le plus souvent, tandis que ses camarades, ivres de jeunesse, avides de plaisirs, in l'a Lues de faciles succès, couraient les réunions, les représentations, les promenades à la mode, lui consacrait à l'étude indépendante et solitaire ses heures de récréation ou de liberté. Il élargissait le cadre de ses lectures, multipliait les horizons de son esprit. Il songeait à la Corse, rêvait d'une destinée à la Paoli, et de patriotiques triomphes, émules des siens ; il extrayait et annotait César, Salluste, Suétone, Polybe, et des sommets lointains de l'antiquité redescendant aux enseignements de l'histoire moderne, il parcourait les annales de l'Allemagne, de l'Italie et de la France. Parfois aussi, cédant à l'empire de cet attrait que les déclamations de Jean-Jacques ont toujours exercé sur la jeunesse, il lisait ces livres ardents de Rousseau, pleins de feux et de larmes, et il s'enivrait à cette coupe enchantée d'éloquence, de passion, d'enthousiasme eL de subtilité, où les générations qui précédèrent la Révolution ont bu la fièvre généreuse qui les dévora. Napoléon partit en octobre 1785 pour sa destination. Il devait occuper deux ans le modeste logement qu'il loua à Valence, chez M. Bou, dont la fille, mademoiselle Claudine, tenait des appartements garnis, à l'usage à peu près exclusif des officiers de la garnison. Moyennant un prix en rapport avec une bourse de lieutenant, cette demoiselle céda à M. de Bonaparte une chambre assez élégante et commode, avec un mobilier suffisant, en bois de rose, auquel son locataire ajouta une étagère en bois noir chargée de quelques livres nécessaires ou favoris, et la cassette où il serrait ses finances. Si modestes quelles fussent, elles lui permettaient de tenir son rang, non peut-être aussi brillamment que l'eût désiré son orgueil, mais de façon du moins à ne souffrir d'aucune infériorité, grâce au supplément de douze cents livres que la sollicitude de la famille fournissait à son représentant. S'il n'eut pas toujours le superflu, le jeune officier, qui n'avait point d'ailleurs de besoins frivoles, ne manqua jamais du nécessaire. Aucune amertume ne se mêle donc à la douceur de ces souvenirs de jeunesse, si fréquemment évoqués par lui au temps de sa disgrâce et de sa déchéance. Il y avait, dans le corps, des officiers plus ou moins aisés ; Napoléon était au nombre des premiers ; il recevait douze cents francs de sa famille ; c'était alors la grosse pension des officiers. Deux seulement dans le régiment avaient cabriolet ou voiture, et c'étaient de grands seigneurs. Sorbier était l'un de ces deux ; il était fils d'un médecin de Moulins[2]. Ce nom de Sorbier nous fournit l'occasion et le devoir de faire la liste des camarades les plus intimes, de manœuvre, de table et de promenade, destinés, la plupart, à être, plus tard, ses fonctionnaires et ses serviteurs préférés, que Napoléon trouva à Valence. C'étaient Montalivet, Collin de Sussy, qui devaient être un jour ses ministres ; La Riboisière, qu'il créa inspecteur général de l'artillerie ; Sorbier lui-même, qui lui succéda dans ce poste ; de Hédouville cadet, ministre plénipotentiaire à Francfort ; Mallet, le frère du héros et de la victime de l'échauffourée de 1812 ; Mabille, qu'au retour de son émigration l'Empereur plaça dans l'administration des postes ; Rolland de Villarceaux, futur préfet de Nîmes ; Desmazis cadet, auquel son compagnon d'école militaire confia plus tard la direction du garde-meuble de la couronne impériale. Valence n'était point sans ressources de distraction et de société, et le jeune Bonaparte en profita, quoique avec discrétion. L'effervescence de sa jeunesse ne s'était point encore concentrée inflexiblement à l'intérieur, et il n'avait pas encore revêtu son masque précoce d'impassibilité. Parmi les salons qu'il fréquentait d'abord avec un certain abandon, bientôt réprimé, il faut citer celui de madame du Colombier, femme aimable et distinguée, dont le juvénile officier ne vit pas impunément la charmante fille, vers laquelle l'attira une sympathie partagée : sentiment que les circonstances empêchèrent de mûrir en passion destinée au légitime dénouement du mariage, mais dont la courte et pure fleur, pareille à celle de ces renoncules qu'ils se plaisaient à cultiver ensemble, embauma à jamais, pour tous deux, la mémoire de Leur commun séjour à Valence. Plus tard, déjà empereur et roi d'Italie, Napoléon devait rencontrer à Lyon, non sans une mutuelle émotion, celle avec qui il avait mangé, quinze ans auparavant, les cerises de Rousseau, et madame de Bressieux ne fit pas un vain appel à la protection de celui dont jadis elle avait elle-même défendu, contre des railleries superficielles et quelque peu jalouses, les boutades éloquentes, la gravité précoce et la stoïque maigreur. Le Mémorial donne encore, sur les relations sociales de Bonaparte à Valence, des détails qu'il ne nous appartient pas de négliger, suivant notre méthode de toujours préférer le témoignage autobiographique ou les renseignements de première source à nos propres inspirations. A Valence, Napoléon fut admis de bonne heure chez madame du Colombier : c'était une femme de cinquante ans, du plus rare mérite ; elle gouvernait la ville, et s'engoua fort, dès l'instant, du jeune officier d'artillerie. Elle le faisait inviter à toutes les parties de la ville et de la campagne ; elle l'introduisit dans l'intimité d'un abbé de Saint-Ruf, riche, et d'un certain âge, qui réunissait souvent ce qu'il y avait de plus distingué, dans le pays. Napoléon devait sa faveur et la prédilection de madame du Colombier à son extrême instruction, à la facilité, à la force, à la clarté avec laquelle il en faisait usage ; cette dame lui prédisait un grand avenir. A sa mort, la Révolution était commencée ; elle y avait pris beaucoup d'intérêt, et dans un de ses derniers moments, on lui a entendu dire que, s'il n'arrivait pas malheur au jeune Napoléon, il y jouerait infailliblement un grand rôle. L'Empereur n'en parle qu'avec une tendre reconnaissance, n'hésitant pas à a croire que les relations distinguées, la situation supérieure dans laquelle cette dame le plaça si jeune dans la société, peuvent avoir grandement influé sur les destinées de sa vie[3]. Outre l'image de mademoiselle du Colombier, les souvenirs intimes de Napoléon, quand il se reportait vers cette époque d'initiation mondaine, évoquaient encore celle de mesdemoiselles de Laurencin et de Saint-Germain, qui formaient le trio des trois Grâces régnantes à Valence. M. de Montalivet devait épouser la dernière, avant de devenir le ministre de l'intérieur de son ancien camarade. A peine initié aux devoirs du service et aux plaisirs du monde, Napoléon, sous l'impression d'un chagrin ou d'une déception dont il est difficile de préciser la cause, demeurée mystérieuse — peut-être n'était-ce là que les douleurs imaginaires et les chimériques malheurs de son âge —, se retire brusquement de cette société où il commençait à plaire et à se plaire, et s'enfonce dans une retraite volontaire et farouche, en proie à tous les fantômes du travail et de la solitude. Cette première fièvre, causée par la fermentation des forces, impatientes d'un objet, d'une ardente et ambitieuse jeunesse, prit Napoléon au printemps de l'année 1786, et c'est dans le mois des premières fleurs et des parfums nouveaux qu'il s'enfonça dans l'enfer des exaltations égoïstes et des utopiques desseins, descendant de cercle en cercle, avec l'implacable logique de son esprit, jusqu'à celle sombre impasse du suicide. Nous avons, de la main de Napoléon lui-même, l'analyse et la confession psychologique, pour ainsi dire, d'un malade assez intrépide et assez lucide au milieu même de ses désespoirs, plus spéculatifs que réels, pour observer et noter le délire de ses pensées. C'est M. Libri qui, le premier, a révélé, en 1842, l'existence de ce trésor manuscrit où, depuis le 26 avril 1786 jusqu'à la fin de 1792, Bonaparte a jeté, au sortir même de la fournaise, ses idées toutes brûlantes. La part faite à l'utopie et aux passagères erreurs d'un esprit encore indompté qui poussait parfois jusqu'à l'absurde les rigueurs de la logique, il demeure dans ces premiers jets de son génie, mêlés de scories, de purs diamants d'intuition, d'invention, d'imagination, de sentiment. C'est comme qui dirait la première épreuve encore souillée, mais déjà frémissante de vie et éblouissante d'étincelles de la personnalité d'écrivain, de général et de législateur qui, en 1805, façonnée par l'expérience, éprouvée par l'action, retouchée par le bonheur et par la gloire, deviendra la plus belle expression et le chef-d'œuvre unique des merveilles du don et des prodiges de l'éducation, des faveurs de la fortune et des puissances de l'esprit humain. Nous ne résisterons pas au désir ni au devoir d'analyser à notre tour discrètement ces analyses intimes de Bonaparte à dix-sept ans, repliant sur sa propre observation les forces et les finesses oisives de sa précoce virilité, et mêlant, pour l'enseignement de la postérité, les aveux de son orgueil et de son ambition aux éléments de ses études, aux résultats de ses recherches, aux extraits de ses lectures, aux essais et aux ébauches d'une imagination créatrice, malade des exubérances de la fécondité. L'unique remède à cette maladie de la sève aigrie par son abondance et sa force même, et à ces douloureuses pléthores d'un esprit et d'un cœur gonflés de vie inutile, c'est la floraison et la fructification. Aussitôt que Bonaparte rencontrera l'épreuve de l'action après laquelle il soupire, tous ces torrents déchaînés rentreront dans leur lit, toutes ces impatientes verdeurs perdront leur amertume empoisonnée, l'équilibre se fera dans ces forces intellectuelles, longtemps orageuses et désordonnées, et l'esprit de paix et de lumière planera de nouveau sur ces tempêtes intérieures, définitivement apaisées. Il n'y a donc à apporter, à ces confidences de Bonaparte malade d'esprit, que l'attention que mérite un symptôme, et à leur fixer dans son histoire morale que la place d'une crise passagère. Il y a des degrés dans toute initiation, et toute effervescence a ses périodes. Nous ne saurions négliger, dans l'étude de la formation du caractère et de l'esprit de Napoléon, ces tendances et ces premiers plis du moule incandescent que modifieront si profondément, avant d'arriver à l'image définitive, les refroidissements du temps et les empreintes des événements. Mais nous n'imiterons pas les critiques moroses qui ont conclu de ces premières et vagues formes intellectuelles et morales, mobiles comme les flots sous le vent, à un état d'âme définitif, et qui ont jugé l'Empereur en prenant pour criterium accusateur les engouements momentanés et les hardiesses parfois téméraires d'idées du lieutenant Bonaparte, enfermé dans sa chambre à Valence et y songeant à Paoli. Certes, ces ægri somnia, révélés et analysés pour la première fois par le possesseur même de ce carton précieux, de ce chosier de la jeunesse de Napoléon, si intéressant pour l'histoire des années les plus obscures de sa vie, fournissent amplement matière aux réflexions du moraliste, mais ils ne peuvent donner lieu qu'à des observations et non à des reproches. Et se fonder, pour apprécier ou plutôt pour déprécier Napoléon, sur ces confidences du lieutenant Bonaparte, en lui faisant grief, soit d'avoir eu de tels sentiments, soit de ne pas les avoir conservés, c'est méconnaître à la fois le respect mêlé d'indulgence dû à ces premiers élans, qui presque toujours dépassent le but, d'une âme généreuse livrée à elle-même ; c'est offenser leur pudeur, c'est violer le caractère sacré de ces innocentes et inoffensives folies d'un esprit qui s'égare en cherchant sa voie ; c'est abuser de la confiance de son abandon et de la nudité de son ivresse ; c'est méconnaître la série de gradations, de progressions qui modifient l'intelligence et la volonté humaine, depuis les premières incertitudes et les premiers efforts jusqu'à l'heure définitive de la maturité, de la liberté, de la responsabilité. Ce n'est pas nous qui chercherons à troubler ces premiers flots de passions et d'idées, coulant, dans les notes de Napoléon., avec la fraîcheur et l'éclat de la source à sa naissance ; ce n'est pas nous qui profanerons l'original parfum de ces éloquences primesautières, de ces sincérités sauvages, pareilles aux âpres et douces fleurs des monts. Ce n'est pas nous, enfin, qui détournerons de son sens vrai et priverons de son charme cet éloquent exemple de Napoléon lui-même, subissant toutes les phases, toutes les vicissitudes de l'initiation, n'arrivant du premier coup ni à la science, ni à la gloire, passant par toutes les épreuves du travail et de la méditation, et honorant de son expérience toutes les erreurs et toutes les douleurs de l'infirmité humaine. Heureusement pour le jeune Bonaparte, il ne demeura pas tout entier livré en proie à la dévorante ardeur de ses ambitions et de ses curiosités, et le flambeau de son intelligence, qui se fût consumé ou éteint dans ces profondeurs où il se plaisait à descendre, de l'analyse solitaire, n'y demeura pas toujours plongé. Il y eut des éclairs de joie, dans ces orageuses ténèbres d'un misanthropisme factice. Il y eut des élans d'espérance au milieu de ces découragements sans motifs. Cette virilité précoce et inquiète enfin ne fut pas sans fleurs souriantes au milieu de ses fruits amers. D'ailleurs les nécessités du service, les diversions d'une vie un peu nomade, créèrent des intermèdes forcés de loisir et de repos à ces excès de travail, et des occasions d'expansion et de distraction à ce trop-plein d'ennui. Durant les deux premières années de son noviciat militaire, nous voyons le régiment envoyer à Lyon, pour la répression de l'émeute dite des Deux-Sous, un détachement de ce deuxième bataillon dont faisait partie la compagnie du jeune lieutenant, arraché ainsi à ses débauches métaphysiques et à ses douleurs imaginaires par l'accomplissement du plus sévère des devoirs de son état (août 1786). En octobre 1787, Bonaparte suit à Douai le régiment de la Fère, qui va y tenir garnison. Mais il ne fait que passer dans cette résidence, si toutefois il est vrai qu'il l'ait lui-même effleurée, et profite d'un congé de semestre pour aller passer l'hiver en Corse, où l'appellent tant d'intérêts, où l'attirent tant de charmes, où le retiennent tour à tour les défaillances de sa santé et les pressentiments inquiets de cette ambition encore sans but qui s'arme en attendant l'occasion, partagée tour à tour entre les inspirations du patriotisme et les tentations de l'orgueil, et oscille entre l'idéal d'un rôle héroïque et désintéressé à la Paoli et la réalité plus vulgaire, mais toujours honorable, d'une prépondérance acquise au moyen et au profit de l'influence française. De 1787 à 1790 nous verrons ces tendances contradictoires se partager l'âme inquiète de ce jeune officier aux aspirations utopiques contenues par le plus inflexible bon sens, aux affectations républicaines de son âge et de son temps, mêlées de tous les instincts de la domination et du commandement, émule et défenseur de Paoli en son absence et son adversaire, mais non son ennemi, après son retour. Nous assisterons à ce drame intérieur du sacrifice de ses dernières illusions d'indépendance, des déceptions de son admiration pour Paoli, devenu l'instrument des compétitions anglaises ; enfin nous le suivrons dans ces évolutions loyales et suprêmes qui affermirent, son esprit en déchirant son cœur et le tournèrent définitivement du côté du devoir à la fois et du succès, du côté de la révolution qui réalisait ses rêves de philosophe et du côté de la France qui ne lui prenait son pays que pour en agrandir la patrie. Tous ces énergiques ferments couveront successivement dans Famé de Bonaparte de 1786 à J791, et trouveront dans ses lectures, dans ses relations, dans ses voyages, dont nous allons conlinuer à esquisser l'itinéraire, surtout dans ses séjours de congé en Corse et le contre-coup des impressions domestiques et locales, l'élément nécessaire à leur entretien et à leur explosion. Le 2 avril 1787, le lieutenant en second Bonaparte était encore en Corse, y sollicitant du ministre de la guerre, le maréchal de Ségur, une prolongation de congé de cinq mois et demi, fondée sur l'état de sa santé physique, mais qui eût été plus justifiée par l'état de sa santé morale, éprouvée à ce moment par les dévorantes émotions de l'ambition, de l'inquiétude et de l'attente : période de déchirement et d'enfantement, de renonciation progressive au passé et de progressive adhésion à l'avenir dont nous avons essayé d'entr ouvrir les mystères. Nous reproduisons la lettre de Napoléon, adressée, sous le couvert de son colonel, M. de Lance, au maréchal de Ségur, les moindres témoignages de cette époque ayant l'importance d'un indice et d'un vestige. Le sieur Napoléon de Buonaparte, lieutenant en second, supplie monseigneur le maréchal de Ségur de vouloir bien lui accorder un congé de cinq mois et demi, à partir du 16 mai prochain, dont il a besoin pour le rétablissement de sa santé, suivant le certificat des médecin et chirurgien suivants. Vu mon peu de fortune et une cure coûteuse, je demande la grâce que le congé me soit accordé avec appointement. BONAPARTE. Au mois d'octobre 1787 expira le nouveau délai de six mois de repos qui lui avait été accordé, et qui portait à une durée de près d'un an ce séjour, capital dans la genèse du génie et de la destinée de Bonaparte, au milieu des influences domestiques et locales qui marquent les années 1786-1787. A cette époque, le lieutenant en second, promu, semble-t-il, en septembre, à la première classe de son grade dans le régiment de Grenoble, quittait la Corse, et se rendait, accompagné de son frère Louis, devenu son pupille et son élève, à Auxonne. Ce ne fut pas sans traverser Paris, où nous trouvons, à la date du 22 novembre, les traces de son séjour à l'hôtel de Cherbourg, rue du Four-Saint-Honoré. Bonaparte retrouva à son nouveau corps ses camarades la Riboisière, Marescot, Laurent — ou Rolland — de Villarceaux et Desmazy. L'école d'artillerie, qui avait son siège dans cette ville, y entretenait un certain mouvement de relations sociales et de plaisirs mondains. Là, encore une fois, Bonaparte paraît avoir cédé un moment au courant, et avoir eu comme un passage, renouveau de gaieté et de jeunesse, bientôt assombri par les études historiques, économiques et théologiques où s'égarait, en se retrempant, sa furieuse activité d'esprit, et par les devoirs de cette sorte de paternité exercée sur son jeune frère Louis, dont il maintenait le rôle avec une dignité admirable et une sollicitude touchante. Désireux de faire son chemin et ambitieux partout du premier rang, il poursuivait d'ailleurs sans relâche des études approfondies de mathématiques spéciales sous la direction du célèbre professeur Lombard. Il fut bien vite distingué par ce goût de la solitude ou de la promenade, cette ardeur au travail, cette gravité et cette noblesse de sa vie, et il reçut toutes les avances mondaines que comportait l'originalité de son allure et de sa physionomie, et que justifiaient ses qualités et ses mérites. Les deux chefs de l'école d'Auxonne, le lieutenant général comte de Rostaing[4] et le général baron Dutheil, se montrèrent pleins de bienveillance pour le jeune officier, secondèrent son désir de vivre à part avec son jeune frère, et lui ouvrirent leurs salons, où on l'entrevit quelquefois, ainsi que chez madame Pillon d'Arquebouville, femme du brigadier, directeur d'artillerie, et dans la famille du marquis d'Authune ; mais ce ne furent là que des apparitions, rares et intermittentes concessions faites aux devoirs de la reconnaissance ou à des nécessités de situation qui, à Auxonne pas plus qu'à Valence, n'efféminent point cette personnalité fière et discrète et n'émoussent point la rudesse de son originalité. Rien de banal dans cette figure marquée de la passion du grand et en pâlissant dans la solitude. Quelques excursions et missions en détachement à Besançon, à Seurre, à Dôle, à Gray, pour y réprimer ces troubles sans cesse renaissants, éclairs avant-coureurs de la révolution, deux séjours de congé en Corse (de janvier à mai 1788 et de septembre 1789 à novembre 1790), dont le second semble avoir dépassé une année, tels sont les épisodes extérieurs d'une existence tout intellectuelle, toute morale, tout intérieure, dont l'intensité dévorante et féconde ne s'apaise que devant les occasions de cette période militante de la révolution, où l'étude est un combat et où les paroles doivent être des actions. Il nous demeure, avant de suivre à Valence, sa première et sa dernière garnison, le lieutenant Bonaparte, toujours lieutenant en avril 1791, à pénétrer dans les arcanes de ce travail intérieur de sept années, à les parcourir rapidement, et à recueillir les données si intéressantes sur le caractère, l'esprit et l'avenir de Bonaparte qui s'échappent de la révélation de ses recherches, de ses goûts, de ses études en tout sens, dont l'ardeur n'est point stérile et qui s'attestent par des ouvrages qui sont les essais de son génie. Nous ne saurions songer a donner une analyse détaillée, rédigée avec la méthode et la sécheresse bibliographiques, de ces papiers si précieusement conservés, par suite de ce respect pour les reliques de sa jeunesse obscure, d'un homme auquel rien de l'humanité ne fut étranger, et qui, par une modestie pleine d'un juste orgueil, ne voulut jamais même, parvenu au faîte de la puissance et de la gloire effacer les vestiges de ses premiers pas dans la pensée et dans la vie. Nous ne saurions songer qu'à parcourir rapidement, de sommet en sommet, ces témoignages incomplets, mais sincères, de la phase de vie intérieure et spéculative qui précède, dans toutes les grandes natures, comme la pâle et charmante aurore d'un jour radieux, le triomphant éclat de la volonté et la victoire du succès. Le même sentiment de logique inflexible, le même attrait de sincérité et de souvenir qui fit épargner par Napoléon ces traces de ses commencements, ces premiers essors de sa pensée exerçant ses ailes, ces balbutiements de son génie naissant, d'une si mâle juvénilité et d'une si héroïque inexpérience, nous rendent précieux ces rudiments et ces embryons de la future supériorité. Nous y retrouvons, avec une émotion pieuse, les Memorando de ses cours, notes primesautières où la divination de son esprit palpite et se débat sous les lentes disciplines de l'enseignement, et où, ajoutant du fond de sa propre pensée à l'insuffisance de la tradition, il se montre original jusque dans l'appris et discute en maître ses devoirs d'élève. Le musée de Sainsbury, à Londres, possède un Mémorandum, de son cours de minéralogie, où éclate déjà, dans les lignes étroites d'un résumé de ses leçons, l'impatience de cette débordante initiative. Le Mémoire sur l'éducation des jeunes Maniotes, 1785, projet d'une pédagogie hardie, destiné au ministre de la guerre et inspiré par les lacunes de réduction militaire qu'il recevait alors, est plein de cette influence de Rousseau, de ces aspirations stoïques, de ces illusions républicaines, de ce respect de la pauvreté, de ce culte du travail, de cette religion du commandement, qui trouveront dans le Projet de réforme des écoles militaires un épanchement nouveau, où le plan de réforme, plus mûrement étudié, se dégage parfois, avec une singulière énergie de perfection pratique, des nuages de l'utopie. Le marquis de Timburne-Valence, directeur de l'école militaire des cadets, dut bondir d'étonnement à la lecture de cette protestation d'un réformateur de seize ans, contre les préjugés frivoles et les abus parfois scandaleux de l'inégalité des conditions au sein des écoles d'officiers, et le relâchement des mœurs militaires, qui devaient être, selon lui, fondées sur la dignité dans l'obéissance, la fraternité dans le devoir et l'habitude du sacrifice. Blâmant les tables trop bien servies, les sorties trop libres et trop fréquentes, le mélange adultère des plaisirs du monde et des devoirs du camp, il s'écriait : Ne vaudrait-il pas mieux astreindre les élèves à se servir eux-mêmes, c'est-à-dire moins leur petite cuisine qu'ils ne feraient pas, leur faire manger du pain de munition ou d'un autre qui en approcherait, les habituer à battre, brosser leurs habits, nettoyer leurs souliers et leurs bottes ? Assujettis à une vie sobre, ils en deviendraient plus robustes, sauraient braver les intempéries des saisons, supporter avec courage les fatigues de la guerre, et inspirer un respect et un dévouement aveugles aux soldats qui seraient sous leurs ordres. Rien ne devait être perdu plus tard de ces réflexions d'une précoce expérience, auxquelles le marquis de Timburne-Valence, flairant dans cette révolte toute une révolution, ne pouvait s'empêcher d'accorder une sorte d'approbation effrayée. Les lycées, les prytanées, l'organisation des écoles de Saint-Germain, de Fontainebleau et de Saint-Cyr, l'institution des pupilles de la garde, devaient sortir de cet œuf couvé par une pensée de seize ans. Le Roman corse (1786-1787), le Comte d'Essex (1786-1787), nouvelle empruntée à la tragédie historique anglaise, le Masque prophète, petit conte oriental (1786-1787), témoignent de l'ardeur créatrice d'une imagination robuste et souple, tour à tour attirée par le merveilleux légendaire ou le dramatique traditionnel, portant dans ces sujets de convention je ne sais quelle verve axiomatique et quelle grave fantaisie, rajeunissant enfin ces cadres surannés par la liberté philosophique et la poétique originalité de cette inspiration des temps nouveaux, qui allait mêler les sentiments et les faits, les principes et les couleurs. A peine descendu de ces sommets de l'idéal, où il se dédommageait par les consolations de la fiction des déceptions de la réalité, le jeune écrivain, avec cette souplesse de moyens et cette variété de buts qui sont la marque de la force et donnent à l'esprit l'illusion de l'action, se retrempait dans ces recherches scientifiques et ces méditations morales qui ne lui étaient pas moins familières, et il y passait des jeux de la pensée à ses plus sévères travaux. Il employait ses laborieux loisirs d'Auxonne à la composition d'un Mémoire sur la manière de disposer les pièces de canon pour le jet des bombes, destiné et peut-être envoyé au ministre de la guerre (Auxonne 1788), et à des Recherches sur la cycloïde (Auxonne 1788), qui firent dire au professeur Lombard que cet artilleur-là irait aussi juste et aussi loin que ses boulets. Enfin il esquissait de la même main et du même coup d'œil hardi et pénétrant, dont il venait de mesurer la portée des foudres de la guerre, une Dissertation sur l'autorité royale (Auxonne, 25 octobre 1788), dont il ne reste que le plan et le canevas subitement interrompu. L'uniformité de l'origine militaire du pouvoir souverain, singulièrement précisée et saluée, et l'ébauche des devoirs et des droits du gouvernement, pleine du dédain du passé, du mépris du présent et de la prescience de l'avenir, y attestent, chez le jeune officier destiné à tenir un jour le sceptre d'un consentement national fait du besoin de l'ordre et de l'enthousiasme de la gloire, l'énergie de ces premiers instincts de liberté et d'autorité, principes rivaux, pour la première fois par lui associés et solidarisés, dont la conciliation formera la base de l'Empire, fondé sur un original et puissant éclectisme de démocratie, d'aristocratie et d'autocratie. Pouvoir inviolable à la fois et responsable au sommet, appuyé sur le développement de la nation et y retrempant sans cesse son initiative : tel est déjà l'idéal de ce républicain de la monarchie, de ce révolutionnaire de l'autorité, créateur d'un régime de force modérée et de liberté progressive, le seul compatible avec la solidité inébranlable des institutions et le mouvement des activités sociales, et qui deux fois a donné la gloire et le repos à la France. Bonaparte n'était pas absorbé par ces problèmes, pourtant si variés, de la spéculation politique ou morale ; il trouvait encore du temps pour les sollicitudes de l'économiste. Ici une inspiration particulière, celle de ce patriotisme local dont il avait encore toutes les exaltations et toutes les partialités, dominait ses efforts. Il pensait à la Corse, à ce pays dont, à ce moment encore, il eût été volontiers le second Paoli, employant, pour défendre et réhabiliter la terre maternelle déchue, les ressources qu'il tenait de la confiance de la France, considérée par lui comme une marâtre. Il voulait aiguillonner et enrichir cette fière et oisive pauvreté de ses compatriotes, traditionnellement esclaves, par le besoin, de maîtres qui ne les valaient pas, et tyrannisés par des marchands. Il voulait introduire dans les populations le goût et la salutaire émulation des travaux agricoles, aguerrir au maniement de la charrue ces chasseurs si habiles au maniement du fusil, et changer en laboureurs les pâtres vagabonds. Il voyait, avec raison, la première des indépendances dans cette rédemption de la misère, la pire des servitudes. Voilà pourquoi, n'osant pas encore prêcher la pénible exploitation des mines et des forêts à ce peuple de pêcheurs, de chasseurs et de soldats, par qui le travail était regardé comme une humiliation, le salaire comme une déchéance, l'industrie comme une profanation de ces richesses vierges qu'il admirait sans s'en servir, Bonaparte songeait à créer et à encourager dans son pays la culture du mûrier, cet arbre nourricier du luxe,-cet arbre initiateur du progrès, cet arbre signal de la civilisation, et à donner au châtaignier et à l'olivier un rival préféré. S'occuper du présent et surtout de l'avenir de la Corse, de son progrès matériel et social, de son bien-être, de sa défense, ne suffisait pas à cette sollicitude encyclopédique et à cette ambition universelle, et le jeune officier recherchait avidement dans l'histoire les traits véritables de cette figure héroïque de son pays, altérés par le mélange des races, la promiscuité des mœurs, le commerce des intérêts, et il consacrait de longues veilles à ressusciter ce passé glorieux, à évoquer ses sublimes et tragiques fantômes, à exalter ses exemples. Là, comme ailleurs, mais là surtout, il accumulait, pour lui servir plus tard, avec l'inépuisable fécondité, qui est le trait saillant de son génie, les notions, les vues, les ressources, les moyens, jalons de sa route future, maquettes de toutes ses créations, points d'appui où pourra un jour au besoin s'appuyer le levier avec lequel il soulèvera le monde. Napoléon ne néglige rien de ce qui peut être utile, et son génie d'organisation ne croit pas déroger en descendant jusqu'à tracer le règlement ou plutôt la constitution de l'association fraternelle et mutuelle entre officiers au-dessous du grade de capitaine, connue dans l'armée, sous le nom de Calotte. Cette plaisanterie, devenue une institution, et qui a traversé tout le dix-huitième siècle, de Louis XIV à Napoléon, mériterait une histoire, et nous espérons la lui consacrer un jour. Il nous suffira de dire en ce moment qu'une réunion de gais railleurs et de francs buveurs s'affublant, comme uniforme, de l'enseigne du ridicule, pour avoir le droit de se moquer impunément de tout le monde et de toutes choses, s'étant formée dans les propres antichambres de Louis XIV, en 1714, entre officiers subalternes de la maison, présidés par Aymon, portemanteau du roi, se donna pour mission de recruter parmi les fous du jour le régiment dit de la Calotte, et d'envoyer une calotte de plomb à tout homme, sans distinction de rang, qui paraîtrait la mériter. On devine tout le parti que la gaieté et bientôt la malignité française purent tirer de ce privilège couvert de l'inviolabilité de la folie, arraché à un sourire de tolérance de l'autorité royale rassurée sur elle-même, et qui ne pouvait voir une usurpation ni un danger dans cette police officieuse du ridicule, et cette petite guerre de l'épigramme, payant de sa menue monnaie au bruit de grelots les menus plaisirs de l'opinion, et escortant le triomphe des travers ou des scandales du jour de l'inoffensive vengeance de ses sifflets. C'était mettre en pratique la maxime philosophique de Mazarin. Ils chantent, ils payeront. C'était permettre à la vérité, déguisée en folie, la liberté du rire. C'était lui étendre, comme régulatrice des mœurs, les immunités de la comédie. Enfin, et c'est là le côté politique de cette prévoyante tolérance, c'était ouvrir aux impatiences et aux colères, successivement exaltées par les désastres de la fin du grand règne, les nouveautés et les infamies de la régence, les déceptions de la décadence que personnifie Louis XV, la soupape de sûreté par où l'indignation s'échappe en épigrammes. C'est grâce à cette indifférence royale, à cette impunité qui ne fut pas d'ailleurs sans vicissitudes, que Aymon 1er et ses successeurs purent publier, de 1714 à 1760, une série de petits pamphlets rimes, sous forme de brevets, et auxquels la collaboration des Rousseau, des Voltaire, des Roy, des Piron, a assuré une valeur littéraire et une historique durée. Sur la fin du dix-huitième siècle, la Calotte se transforma en une sorte de franc-maçonnerie militaire, plus obscure, plus secrète, plus dangereuse, où couvèrent sourdement, sous le voile de la fraternité des armes, des ferments d'indépendance et d'indiscipline qui firent leur explosion en 89, et doivent trouver leur place parmi les petites causes de la Révolution. Chaque régiment eut sa calotte, formée de l'association des officiers inférieurs, ligués contre le despotisme des grades supérieurs, les abus du népotisme et enfin les abus du pouvoir lui-même. Mirabeau, en lutte contre l'autorité paternelle et bientôt contre l'autorité royale, a dû faire partie, dans son orageuse jeunesse, de ces associations dont, dès 1788, Napoléon essayait de se servir comme véhicule des instincts démocratiques qui s'agitaient en lui, et dont il devinait, bien avant l'heure, la puissance et le triomphe. Sa réglementation parut à ses camarades du régiment de la Fère eux-mêmes, à la fois trop sévère et trop hardie ; leurs railleries décidèrent l'officier législateur à jeter au feu un projet qui devançait trop l'avenir, et nous n'avons plus que le brouillon de l'œuvre gaiement condamnée au feu. Bonaparte, déçu dans ce premier effort pratique, se rejeta dans les régions de l'histoire, où il pouvait grouper à son gré les faits, plus dociles que les hommes, et trouver un aliment à cette passion militante qui frémissait en lui. C'est ce sentiment de fierté, de dévouement, de prévoyance, dont nous avons analysé les premières expressions écrites, qui a dicté le triple travail historique consacré à la Corse, demeuré, dans ses papiers de jeunesse, comme un triple ex voto de ses admirations filiales et de ses patriotiques espérances. Dans l'Histoire de la Corse, œuvre de ses loisirs d'Auxonne, Bonaparte s'était proposé pour but de faire mieux connaître le passé de son pays, travesti par la haine et méprisé par l'ignorance. Le manuscrit, soigneusement recopié et corrigé de sa main, semble avoir été préparé par lui pour l'impression dont, par un suprême sacrifice qu'il ne put peut-être accomplir, il comptait faire les frais. Quelques auteurs pensent même que l'ouvrage sortit des presses de J.-X. Joly, imprimeur-libraire à Dôle, sous la forme de deux petits volumes in-12, que plus tard Napoléon, condamnant avec raison une œuvre trop empreinte des franchises et des illusions de la jeunesse, fit rechercher soigneusement et disparaître de la circulation. Quoi qu'il en soit, il est difficile, en l'absence de tout témoignage authentique et positif, de certifier soit la date, soit même la réalité de l'impression de ce premier ouvrage, soit surtout l'authenticité des deux petits volumes supprimés sous l'Empire, et il ne demeure qu'une trace à demi effacée de ce premier pas de Napoléon dans l'histoire de son pays. Peut-être ce premier jet de sa verve, excitée par la lecture de ces chroniques nationales dont son imagination s'enivrait alors au point que l'archidiacre Lucien jugea prudent de ne répondre que par le silence aux nombreuses demandes d'envoi de documents qu'il recevait de son neveu ; peut-être ce premier canevas a-t-il seulement servi de thème historique au travail à la fois politique, statistique et économique rédigé par Napoléon sous le titre de Mémoire sur la Corse, C'est cette seconde épreuve de ses études historiques, sortie, sous une forme plus pratique et plus conforme à son but, du moule brisé de la première, dont le P. Dupuy, retiré à Laon, retouchait les imperfections et adoucissait les rudes hardiesses. Ce Mémoire anonyme, que Bonaparte se proposait d'envoyer à Necker, dont la rentrée triomphante au ministère avait tourné vers lui les yeux de tous les rêveurs et de tous les réformateurs, ne fut pas envoyé à sa destination par suite de l'écroulement rapide de sa popularité et du dégonflement subit de ce génie usurpé avortant, dès les premiers essors, dans l'odieux et le ridicule à une époque où la réalité devenait déjà brutalement maîtresse des idées, et où les événements allaient plus vite que la plume d'un penseur solitaire plaçant dans la bouche d'un patriarche corse le récit véhément des malheurs de son île. Cette déception ne fit point lâcher prise au tenace jeune homme ; s'opiniâtrant dans cette fière propagande d'admiration et de pitié pour son pays dont le devoir le tourmentait comme un besoin, il remplaçait par un nouveau brûlot l'esquif littéraire aussitôt submergé que lancé, et il parvenait enfin à attirer sur son pavillon corse, si hardiment arboré, l'attention des premiers pilotes de l'opinion, des maîtres passagers de cette mer de pensées et d'idées, dont les tempêtes n'allaient plus bientôt souffrir de frein. Bonaparte commença sans doute d'écrire à Auxonne, sous la forme familière et populaire des Lettres, alors fort à la mode, ces trois épîtres historiques sur la Corse, adressées à l'abbé Raynal, dont il avait fait la connaissance durant un de ses passages à Marseille, et que le philanthropisme déclamateur de son Histoire philosophique des deux Indes avait désigné au choix de la dédicace, comme devant être le plus favorable à la protestation du fils d'un pays déchu, conquis et en apparence opprimé, sollicitant justice au nom de la rédemption universelle. Nous le trouvons, dans cette période fiévreuse d'incubation, consumé de tous les feux de la pensée, dans la solitude ardente de sa petite chambre de la rue de Vauban, d'où il ne sort guère que tous les huit jours, frappant tous les regards par la pâleur de cire d'un teint jauni par la bile, par la flamme profonde de ses yeux et son ascétique maigreur. Je n'ai d'autres ressources ici que de travailler, écrit-il en juillet 1789 ; je ne m'habille que tous les huit jours ; je ne dors que très-peu depuis ma maladie ; cela est incroyable ; je me couche à dix heures et je me lève à quatre heures du matin ; je ne fais qu'un repas par jour, à trois heures ; cela me fait très-bien à ma santé. Peu de temps après cette confidence caractéristique, soit que la puissance de travail dont se glorifiait Bonaparte ait été émoussée par l'abus même qu'il en faisait, soit que le poids de la réclusion volontaire ait fini par sembler trop lourd à cette organisation surexcitée, soit plutôt qu'au moment de la rentrée triomphale de Paoli dans sa patrie, il n'ait pu résister au désir d'en faire les honneurs au chef illustre dont son père avait été le compagnon et dont il était encore l'admirateur, Bonaparte ne tarda pas à secouer son cilice et à partir pour la Corse, où il pressent que la vue de l'ancien libérateur peut soulever quelqu'une de ces grandes manifestations nationales où il importait à un tel homme d'être témoin et acteur. Les Lettres sur la Corse forment trois cahiers distincts qui portent le récit jusqu'au pacte de Corse, conclu entre les Corses et les Génois. On peut y admirer, dans des phrases déjà coulées dans le bronze napoléonien, les progrès étonnants qu'a faits l'écrivain dans la science de notre style, sinon dans celle de notre orthographe dont l'habitude d'un idiome étranger et l'inflexible logique d'un esprit mathématique ne permettent pas à Napoléon de comprendre ni toujours d'observer les lois. Mais qu'importent ces légères incorrections, qui ne frappent que les yeux vulgaires, devant des phrases comme celle-ci : Les triumvirs offraient au monde le hideux spectacle du crime heureux, ou cette autre : La mort n'est qu'un des états de l'âme, mais l'esclavage en est l'avilissement ? L'épisode de Vannina, l'article des Giovanelli, l'entrevue de Fieschi et de Rinuccio sont des morceaux traités dans ce style volcanique où la phrase courte, saccadée, rigide, brillante et chaude, ressemble à une coulée de lave. La Corse sentait la peste lui dévorer les chairs, la faim lui ronger les entrailles, et l'esclavage navrait son cœur, effrayait son imagination, anéantissait les ressorts de son âme. Voilà comment écrivait Bonaparte, échappant aux effervescences d'Ajaccio pour se retirer à l'ombre des oliviers de la campagne patrimoniale des Milelli ou dans la fraîcheur de ses grottes inspiratrices. C'est là qu'il écrivit ces trois premières lettres sur la Corse, dont une copie, de la main de son frère Lucien, fut apportée par lui à Paris à l'abbé Raynal, avec la lettre suivante : Ajaccio, le 24 juin, l'an Ier de la Liberté. Monsieur, il vous sera difficile de vous ressouvenir, parmi s le grand nombre d'étrangers qui vous importunent de leur admiration, d'une personne à laquelle vous avez bien voulu faire des honnêtetés l'année dernière : vous vous entreteniez avec plaisir de la Corse, daignez donc jeter un coup d'œil sur cette esquise de son histoire. Je vous présente ici les deux premières lettres. Si vous les agréez, je vous en enverois la fin. Mon frère, à qui j'ai recommandé de ne pas oublier dans sa commission de députés pour reconduire Paoli dans la patrie, de venir recevoir une leçon de vertu et d'humanité, vous les remetteras. Je suis avec respect, votre très-humble et obéissant serviteur. BUONAPARTE, officier d'artillerie[5]. Lucien remplit fidèlement sa mission, dont il rend compte en ces termes dans ses Mémoires[6]. Napoléon, dans un de ses congés qu'il venait passer à Ajaccio — c'était, je crois, en 1790 — avait composé une Histoire de Corse dont j'écrivis deux copies et dont je regrette bien la perte. Un de ces deux manuscrits fut adressé ci à l'abbé Raynal, que mon frère avait connu à son passage à Marseille. Raynal a trouva cet ouvrage tellement remarquable, qu'il voulut le communiquer à Mirabeau. Celui-ci, renvoyant le manuscrit, écrivit à Raynal que cette petite histoire lui semblait annoncer un génie de premier ordre. La réponse de Raynal s'accordait avec l'opinion du grand orateur et Napoléon en fut ravi. J'ai fait beaucoup de recherches, vaines pour retrouver ces pièces, qui furent détruites probablement dans l'incendie de notre maison par les troupes de Paoli. Lucien se trompait, et la découverte par M. Libri des papiers de jeunesse confiés par Napoléon au cardinal Fesch, a fait sortir d'une mystérieuse poussière une copie intacte des trois lettres à l'abbé Raynal. Napoléon ne devait point achever son ouvrage pour plusieurs causes, et il ne crut pas même devoir s'excuser de cette renonciation vis-à-vis de l'abbé Raynal, qui l'avait si flatteusement encouragé à poursuivre. Il n'eût pu que dissimuler, sous l'apparence d'un découragement de modestie, une résolution qui cache au contraire le sentiment qu'il avait de sa force. En effet, il n'était plus temps de songer à écrire l'histoire du passé. Le moment allait venir de faire celle de l'avenir. L'action emportait tout déjà dans son tourbillon, et la parole allait être aux événements. Nous entrons dans la seconde phase de la préparation de Bonaparte à sa mission, la phase militante après la période spéculative. Déjà chaque décret de l'Assemblée nationale constituante a son contre-coup dans sa pensée attentive, et il répond, par une Lettre sur le serment constitutionnel des prêtres, aux discussions sur cette question qui passionnait Paris. On l'y sent maître de la matière, avec laquelle l'avaient familiarisé des études théologiques poursuivies avec l'acharnement d'une curiosité particulière, fort naturelle chez le futur auteur du Concordat[7]. Je passais mes nuits — a dit Napoléon, en songeant à ces veilles d'un jeune officier d'artillerie si singulièrement occupées à débrouiller l'écheveau des querelles soulevées par la bulle Unigenitus — je passais mes nuits à méditer, à lire a l'histoire de la Sorbonne, et tout ce qui a été écrit sur les querelles de l'Eglise gallicane et de Rome. J'aurais pu me faire recevoir docteur en théologie ; les questions religieuses ont toujours eu beaucoup d'attrait pour moi ; elles sympathisent avec mon âme comme avec ma pensée. Bonaparte, grâce à une prolongation de congé que nous le voyons solliciter, par une lettre datée d'Ajaccio, 16 avril 1790, sous le prétexte de prendre les eaux d'Orezza, put être témoin du retour triomphal de Paoli dans sa patrie et jouer un rôle actif et bientôt prépondérant dans les mouvements passionnés de patriotisme et de libéralisme, dont l'unanimité fraternelle ne tarda pas à se scinder sous l'empire des rivalités traditionnelles et locales qui partagèrent en partis hostiles et en camps ennemis les principales familles de l'île — les familles caporales — et leurs adhérents. Bonaparte, chargé par la municipalité d'Ajaccio de la rédaction de son Adresse à Paoli, fut aussi l'auteur d'un Manifeste du même corps municipal, publié en italien — sur la traduction du comte Ferri-Pisani — et en français, qui respire l'exaltation démocratique du temps et du moment. Nous arrivons à la première œuvre durable de Napoléon, à celle qu'il a remplie de toutes les ardeurs, de toutes les colères, de toutes les espérances de cette mâle et pure jeunesse vouée au travail, à l'amour de la patrie et de la liberté. Elle est inspirée par l'indignation et le mépris que souleva en Corse l'attitude de ce Matteo Buttafuoco, célèbre dans les fastes des troubles civils de son pays. Après avoir sollicité de Jean-Jacques Rousseau une constitution pour la Corse, il avait accepté et favorisé le joug, qui fut l'ironique réponse de M. de Choiseul à cette demande, et venait, dans le titre de général et le mandat de député, de recevoir la double récompense de ses services. Bonaparte prit contre un tel homme, dont le nom de mauvais augure fut le premier brandon des discordes de l'île pendant la révolution, la défense de Paoli qui, depuis, mais alors il était toujours, aux yeux de Napoléon, le héros et le législateur de son pays et l'exemple de tout Corse digne de ce nom. Même lorsque les illusions les plus chères disparurent devant la connivence de Paoli avec l'Angleterre, dernière et triste faute du désespoir de sa vieillesse proscrite, et qu'il dut combattre celui qu'il avait tant prôné, Bonaparte n'abjura point l'antique admiration et il essaya de protéger cet illustre accusé contre la jalouse vengeance de la Convention, de l'éloquence d'un courageux plaidoyer adressé à la farouche assemblée et qui, par un miracle, ne perdit point son auteur. Les partisans de Paoli devaient être moins fidèles au culte du souvenir et moins généreux dans leurs représailles, qui faillirent coûter à la famille Bonaparte, non-seulement sa fortune, mais sa vie. Les relations de Bonaparte et de Paoli, leur intimité et l'estime mutuelle, mêlée de réciproques méfiances, de ces deux hommes à la Plutarque, c'est-à-dire émules de vertu et rivaux de pouvoir, peuvent se mesurer et s'apprécier par le pamphlet brûlant qui sortit de l'enthousiasme des premières illusions patriotiques de l'auteur de la lettre à Matteo Buttafuoco mis, surtout comme adversaire de Paoli, au ban de l'opinion et solennellement et implacablement immolé par lui comme la victime expiatoire de cette fête du retour. Bonaparte écrivit ce factum, s'il faut en croire sa date du 23 janvier 1790, dans la grotte de Melleli près d'Ajaccio, asile de ses méditations farouches, qu'il appelle ironiquement son cabinet. Il est plein du souffle rude et de l'âpre harmonie des bises marines, dont la plainte menaçante semble avoir donné la note à ce chef d'œuvre incorrect de colère, de mépris et de douleur, dont la lecture partielle, faite au club d'Ajaccio, par M. Masseria son président, y provoqua des tonnerres d'applaudissements, juste hommage aux beautés réelles du morceau, que ne déparaient point, aux yeux de ses auditeurs, les exagérations déclamatoires et les écarts de mauvais goût, tribut payé aux faiblesses contemporaines. On décida, séance tenante et par acclamation, que Buttafuoco serait, à la mode antique, noté d'infamie, et que celui qui l'avait si énergiquement flétri recevrait les remercîments de l'assemblée et l'invitation de livrer à l'impression un écrit utile au bien public. Bonaparte jugea prudent d'attendre, pour obéir à cette flatteuse injonction, l'expiration de son congé, et c'est de Dôle qu'il lança publiquement, contre le bouc émissaire des rancunes et des regrets de la Corse et de sa famille en particulier, cette flèche du Parthe, dont la publicité allait multiplier et renouveler sans cesse la vengeresse blessure. La Lettre à Buttafuoco fut imprimée en juin 1790, à Dôle, chez M. F. X. Joly, imprimeur-libraire, à cent exemplaires seulement. Bonaparte, le plus souvent accompagné de son frère Louis, partait d'Auxonne dès quatre heures du matin, à pied ; il acceptait chez M. Joly une frugale hospitalité, et repartait, après avoir corrigé ses épreuves et visité un moment son ancien aumônier, le P. Charles, retiré à Dôle, faisant ainsi huit lieues de poste dans sa journée. Les exemplaires de sa brochure furent envoyés par lui au président du club d'Ajaccio, sauf quelques exemplaires de don qu'il se réserva, et eurent en Corse, où ils excitaient si énergiquement la fibre nationale, un retentissement populaire répercuté d'édition en édition, comme d'écho en écho. Le nom du jeune officier, si éloquent interprète des souvenirs, des regrets et des vengeances patriotiques, devint un signal de ralliement et attira les regards de tous ceux qui cherchaient un successeur ou plutôt un rival à opposer à Paoli, vieillissant, dépassé, démodé, que son long exil en Angleterre et ces malheurs qui sont un crime, aux heures où domine le fait et où le succès est nécessaire même à la vertu, rendaient doublement suspect. Par une subite volteface qui est trop dans les habitudes de cet esprit primesautier, avide de nouveauté et poursuivant à travers tous les sujets les aventures de l'idée, pour que nous ayons besoin de lui chercher d'autres causes, c'est le lendemain de ce triomphe de la veine militante et pratique que Bonaparte l'abandonne brusquement pour se replonger dans les considérations d'une thèse philosophique abstraite, quoique la recherche du bonheur, de ses causes, de son but, de ses moyens, soit un sujet toujours de circonstance. On s'étonnerait, si on ne faisait la part du goût de Napoléon pour les spéculations philosophiques et de la réaction naturelle qui le jetait déjà, après les victoires parfois brutales du fait, dans les bras de l'idée pure, on s'étonnerait du choix de cette thèse. Il ne fut pas complètement spontané d'ailleurs, mais inspiré par la mode du moment, très-portée aux divagations bucoliques, morales et sentimentales, au culte de la nature et à l'amour des hommes, et favorisé par la perspective d'une couronne académique solennellement posée sur un front impatient du laurier. Bonaparte ne résista jamais à ce double aiguillon de l'émulation et de la curiosité. Mécontent de la lenteur de son avancement, fatigué de l'obscurité française d'un nom qui ne s'éclairait que du côté de la Corse et n'avait que pour ses compatriotes des lueurs d'astre naissant, le jeune officier trompait à Valence l'ennui de son attente en briguant toutes les distinctions, en effleurant toutes les supériorités, en arrêtant toutes les occasions au passage, en frappant à toutes les portes. Comme tous les ambitieux de génie, Napoléon n'avait pas qu'une seule ambition, il les avait toutes, ou plutôt son unique ambition, celle d'être grand, était faite de toutes les autres. De là cette tentative académique, qui d'ailleurs fut infructueuse et n'aboutit qu'à un échec. L'Académie de Lyon avait mis au concours, le 15 décembre 1789, pour l'année 1791, un discours sur cette question, plus grosse qu'elle : Déterminer les vérités et les sentiments qu'il importe le plus d'inculquer aux hommes pour leur bonheur. Il y eut quinze mémoires envoyés à temps et un seizième qui arriva en retard. Le mémoire de Napoléon portait le n° 15. La commission d'examen se composait de MM. Campigneules, Jacquet, Matton de la Cour, Savy et Vasselier, célébrités et autorités locales, dont la gloire passagère échappe à l'oubli par le ridicule, et que le hasard d'une piquante bévue associe à l'immortalité du héros, dont ils méconnurent le génie étincelant sous les gaucheries de la forme et les inexpériences de la pensée. Ce que nous leur reprochons n'est pas de n'avoir pas couronné le discours de l'officier de Valence, c'est de s'être trompés lourdement, sans restriction ni réserve, de n'avoir pas deviné l'avenir dans le présent, et senti, sous la démarche incertaine de l'humble concurrent sollicitant leur hospitalité, l'allure du héros naissant et le furtif rayon du dieu déguisé. Loin delà, avec une implacable suffisance faite pour décourager tout autre qu'un Bonaparte, le premier rapporteur, M. Campigneules, disait sentencieusement : Le dernier de ces mémoires n'arrêtera pas longtemps les regards des commissaires ; c'est peut-être l'ouvrage d'un homme sensible, mais il est trop mal ordonné, trop disparate, trop décousu et trop mal écrit pour fixer l'attention. — C'est un songe très-prolongé, ajoutait épigrammatiquement son confrère, M. Vasselier. La vérité est que Napoléon, emprisonné et embarrassé dans les liens étroits de la formule académique, au lieu de ces libres horizons et de ces larges cieux où aimait à se jouer sa pensée, ne semble pas avoir joui, dans ce discours, de la plénitude de ses moyens. L'initiative seule est créatrice et rien ne sort de grand d'une inspiration servile. Napoléon ne fut pas inférieur au concours, il fut inférieur à lui-même, dans une circonstance où il avait à lutter, non-seulement contre la contrainte d'un sujet imposé, mais encore et surtout contre l'inexpérience de la vie. Bonaparte, en effet, qui avait beaucoup vécu par l'esprit et dont la précoce virilité intellectuelle avait tout sondé des problèmes et des mystères de la pensée, était demeuré pur, gardé par le travail au milieu de la corruption universelle, et chaste par fierté, doué enfin, de toutes les naïvetés d'un cœur vierge que n'a point défloré un platonique amour. Ses papiers les plus secrets l'attestent, et les pamphlétaires acharnés à souiller les pures intimités de sa vie de jeunesse, ont été obligés de le reconnaître : toutes les lièvres qui dévorèrent, de 1786 à 1792, la solitude laborieuse d'Auxonne et de Valence, furent de nobles fièvres, et le feu de l'ambition, du patriotisme et du travail qui brûla dans le cœur de Napoléon, durant ces six années si fécondes pour l'avenir, le préserva ou le purifia de tout autre. Voilà peut-être pourquoi Napoléon échoua au concours de Lyon. Pour parler dignement du bonheur au gré des hommes, il faut l'avoir beaucoup cherché, et pour dire où on peut essayer de le trouver, il faut revenir d'où l'on ne le trouve pas. Pour en revenir à l'histoire de ce concours, qui fournit en vain à l'Académie de Lyon une occasion de faire parler d'elle encore plus que l'Académie de Dijon, il n'avorta pas seulement pour Bonaparte, il fut un échec pour tout le monde. Le prix ne fut pas décerné. La question, remise au concours en 1795, avec un programme modifié, fut traitée par Daunou, qui emporta la récompense promise. Bonaparte ne la lui disputa point et l'obtint encore moins, contrairement à l'assertion de plusieurs ouvrages abusés sur ce point[8]. Il avait alors autre chose à faire, étant au point critique et décisif de sa carrière militaire, aux prises avec les premières faveurs et les premiers caprices de la fortune, et n'écrivant plus qu'avec l'épée. Il nous reste à reprendre le récit, non plus de la vie spéculative et solitaire, mais de la vie active et publique de Napoléon, depuis son retour de la Corse, en novembre 1790, jusqu'à la nomination, tant attendue, tant différée, tant disputée, à ce grade de capitaine qui clôt sa première jeunesse et forme le premier degré lumineux de cette échelle, aux pieds plongés dans l'ombre, que Napoléon franchira désormais si vite, prenant comme d'assaut la gloire et le pouvoir. Le brevet de ce grade de capitaine, selon M. Libri, est signé de Louis XVI, à la date du 30 août 1792, pour prendre son effet, par bénéfice rétroactif, à partir du 6 février. Le roi, dit M. Libri, avant de tomber, semble avoir voulu nommer son successeur. Evidemment, il y a dans cette assertion ou une erreur typographique ou une méprise. Depuis le 10 août, Louis XVI n'avait plus le pouvoir ni même la liberté, déchu à la fois de l'un et de l'autre. Un brevet, daté du 30 août, ne saurait donc être qu'un brevet en blanc où la signature royale aurait ainsi survécu à la déchéance royale, par une de ces tolérances ou de ces inadvertances qui abondent aux époques révolutionnaires, trop occupées du fond des choses pour faire attention à ces bagatelles. Il faut tenir compte aussi de la force de l'habitude, de la vitesse acquise, en quelque sorte, par la machine qu'on n'avait pu enrayer d'un coup, même par une révolution qui ne laissait plus rien debout de l'ancien système ; enfin de la multiplicité des grades donnés et des brevets jetés à cette époque en proie aux ambitions et aux services du patriotisme. Quoi qu'il en soit, c'est en avril 1791 que Bonaparte, nommé, le 1er avril, lieutenant en premier au régiment d'artillerie de Grenoble — le 4me —, en garnison à Valence, revit les lieux témoins de son noviciat militaire, et reprit, chez madame Bou, sa chambre meublée en bois de rose, et chez le libraire Marc Aurel ses livres préférés ; mais ce qu'il ne retrouva pas dans la société élégante qu'il y avait fréquentée en 1786, dans le salon de l'abbé de Saint-Ruff, de MM. de Laurencin et de Saint-Germain, chez l'excellente madame du Colombier et dans la famille Montalivet ; ce qu'il ne retrouva pas, c'est l'hospitalité souriante et la joyeuse sécurité du premier séjour. Partout la révolution semait ses craintes et ses discordes, dépouillait avant de tuer et divisait pour mieux régner. La paix avait disparu des esprits, des cœurs, des consciences. Mieux valaient la franche liberté et la hardiesse publique du club que ces chuchotements ironiques de gens intéressés à nier le soleil levant, ou ces aigres discours des douairières et des prélats dépossédés, qui contiennent un reproche indirect pour tous ceux qui les écoutent. Bona parte semble donc être allé, dans cette période très-active de sa vie, beaucoup plus au club que dans les salons. Il prend une part remarquée aux conciliabules et aux fêtes patriotiques, rédige des adresses de circonstances, honore dans une cérémonie funèbre la mémoire de Mirabeau, entre en correspondance avec Monnier, Volney, Salicetti, s'occupe de son avancement, surveille d'un œil attentif le bouillonnement du cratère corse, et se dessine énergiquement dans la ville par son civisme, dans le régiment par son opposition à toute insinuation de révolte ou d'émigration, parmi les partisans des idées et des faits nouveaux. Les passages suivants de deux lettres de cette époque, adressées à son ami Naudin, commissaire des guerres à Auxonne, peuvent donner une idée de cette effervescence d'idées, de cette intensité de vie, de cette ambition enthousiaste. Nous ne sommes plus au temps où le jeune rêveur, solitaire et découragé, se laissait aller à la vivacité de sa mélancolie, et, avec une amère volupté, tournait ses pensées du côté de la mort. Nous ne sommes plus au temps où il lisait six fois Werther, et s'enivrait à longs traits de l'éloquence de Rousseau. Le pouvoir de ces philtres est aujourd'hui émoussé, et Napoléon rit aujourd'hui de ce dont il pleurait alors. Le poison de Rousseau, pris à longues et progressives doses, loin de corrompre sa pensée, a exercé sur elle l'effet salutaire du poison de Mithridate. Rien désormais ne pourra déranger l'équilibre de cette raison fortifiée par l'erreur elle-même, et rien ne pourra plus troubler la précision infaillible de ce regard un moment aveuglé. Il en est ainsi de tous ces livres trop fameux. Werther donne le goût de la vie à ceux auxquels il n'inspire point celui de la mort, et les intelligences qui ont traversé les républiques utopiques et les familles suivant la nature de Rousseau, quand elles ont résisté aux amorces de cet idéal décevant, apportent à la défense de l'autorité et de la civilisation la lucidité, désormais invulnérable à l'erreur, des voyageurs trop hardis, que les dégoûts et la leçon d'un premier naufrage attachent à jamais à la terre. Écoutez, pour distinguer les deux hommes de 1786 et de 1791, si différents et pourtant si ressemblants — la variété des actes n'enlève rien à l'unité fondamentale du caractère —, ces fragments épistolaires et ces phrases saccadées comme les cris d'un homme qui précipite sa course : Ce pays-ci (Valence) est plein de zèle et de feu... J'ai porté un toast aux patriotes d'Auxonne... Ce régiment-ci est très-sûr en soldats, sergents et la moitié des officiers... Il y a deux places vacantes de capitaine... Le sang méridional coule dans mes veines avec la rapidité du Rhône[9]. Dès le mois de février 1791, bien avant cette lettre pleine des ferveurs de juillet, il écrivait à Lucien ou à Fesch : J'ai vu à Valence un peuple résolu, des soldats patriotes et des officiers aristocrates ; cependant le président du club est un capitaine... Le club est ici composé de deux cents personnes. La société patriotique de Valence a envoyé une députation pour tâcher de concilier Avignon avec Carpentras. Cette députation se joindra aux députations des sociétés de L'Escot, de Rouge, de Montélimar, etc. Une observation caractéristique de cette jeunesse à la romaine, uniquement préoccupée de gloire, d'ambition, de patrie et de liberté, et n'ayant que de mâles amours, c'est celle-ci, empreinte d'un dédain des plus philosophiques pour la frivolité incurable du sexe. Les femmes sont partout royalistes, ce n'est pas étonnant ; la liberté est une femme plus jolie qu'elle, qui les éclipse. En août 1791, tels étaient les sentiments et les idées de Bonaparte non transformé, mais développé, — et ayant à jamais soulevé sa tête pâle, aux yeux ardents, du sein des ténèbres de la vie solitaire, pour s'épanouir au grand jour de la place publique et du camp — quand la nouvelle d'une maladie mortelle de l'archidiacre Lucien, son grand-oncle, son tuteur, l'appui et le conseil de la famille, lui fournit un douloureux motif pour retourner en Corse, où néanmoins le souci de la chose publique l'appelait plus encore que le soin de ses intérêts particuliers. C'est au commencement d'août 1791 que Napoléon, préoccupé des nouvelles domestiques, rebuté par les lenteurs de son avancement en France, tourna les yeux vers la Corse, qui l'attirait à la fois par le charme de la patrie et le pressentiment de l'occasion. Il sollicita vainement un congé, que les préventions inquiètes et jalouses de la plupart de ses chefs et de la plupart de ses camarades, froissés par l'indépendance de son caractère, la hardiesse de ses idées, la supériorité de son esprit et sa popularité locale, lui firent refuser sous le commode prétexte de l'incertitude des événements. On ne put du moins étendre cette résistance malveillante vis-à-vis d'un officier dont le plus grand crime était d'être hostile à l'émigration, qui minait déjà de sa sourde propagande la plupart des corps militaires, à la demande d'une simple permission. Napoléon en profita pour se rendre, par Moras et Beaurepaire, à Pommiers (Isère), résidence du baron Du Teil, maréchal de camp, son protecteur à Auxonne, à qui sa qualité d'inspecteur général de l'artillerie du sixième arrondissement donnait l'influence dont il avait besoin pour éluder la mauvaise volonté de ses chefs. C'est par ce bienveillant et utile intermédiaire que Napoléon devait obtenir du ministre de la guerre un congé limité au 1er janvier 1792, et dont il profita avec d'autant plus de plaisir que cette faveur ressemblait à une victoire. En attendant l'effet de la demande transmise par le général Du Teil, avec lequel il passa quelques jours à Pommiers, au sein d'une hospitalité dont la présence des deux fils du maître de la maison, ses anciens camarades d'Auxonne, augmentait encore l'attrait, Napoléon alla visiter à Grenoble les officiers des deux compagnies de son régiment qui y étaient détachées. Bien loin d'employer son temps à des divertissements frivoles, il suivait avec eux, d'un œil attentif, les diverses manifestations de l'esprit public, prenait langue dans les clubs des Amis de la constitution, fréquentait les chefs du parti avancé, et, attiré par les bruits de la capitale et les frémissements populaires, avant-coureurs d'événements prochains, il aspirait avec impatience au voyage de Paris, patrie de son intelligence et de son ambition, où il se sentait appelle par le pressentiment de sa destinée, de préférence à l'autre. Là, en effet, il pouvait être servi par son obscurité même, plus sûrement qu'à Ajaccio, où les préjugés locaux et les rivalités de famille, contrariaient son influence naissante. Ne pouvant faire ce voyage tant désiré, faute de temps et peut-être d'argent, il le réalisait du moins par la pensée, en trompant, par l'envoi au ministre de la guerre d'un mémoire sur l'organisation et l'armement des milices corses, l'ennui d'un ajournement forcé, et en donnant à son ambition, jusque-là inassouvie, d'être utile et d'être distingué, le dédommagement de l'espérance, à défaut de la réalité. C'est à ce moment que, faisant aux sentiments de sollicitude et de fierté de sa famille un suprême appel, et cherchant à réunir, pour former le viatique désiré, toutes les ressources dont il pouvait disposer, il écrivait à son grand-oncle, l'archidiacre : J'attends avec impatience les six écus que me doit maman, j'en ai le plus grand besoin. Envoyez-moi trois cents francs ; cette somme me suffira pour aller à Paris ; là du moins on peut se produire, surmonter les obstacles ; tout me dit que j'y réussirai. Voulez-vous m'en empêcher, faute de cent écus ? Bonaparte ne put réaliser cet ardent désir à ce moment, qu'il considérait comme si opportun et si décisif pour ses ambitions, et il dut, refoulant cet élan divinateur qui l'entraînait vers la ville des occasions, modérer ses ambitions, ajourner ses desseins, attendre du temps ce qu'il espérait du moment, et se réduire aux prétentions modestes et aux brigues secondaires que lui offrait à Ajaccio le théâtre étroit des compétitions municipales ou des rivalités civiques. Dans les premiers jours d'octobre 1791, Napoléon, muni de ce congé ministériel qu'il avait emporté à la barbe de ses supérieurs mécontents, dit adieu à son logement de la Grande-Rue, au café Bou, au cabinet de lecture de M. Aurel, à ses compagnons de promenade et de discussion de la place des Clercs, à ses amis de Valence et du voisinage, et il partit pour la Corse avec son frère Louis. Il y arriva à temps pour assister à l'agonie et recevoir le dernier soupir de son grand-oncle, l'archidiacre Lucien, qui, saisi au lit de mort delà même inspiration que Charles Bonaparte, ne parla que de Napoléon ou qu'à lui, salua prophétiquement, dans la personne du jeune officier, l'appui des siens et l'orgueil de la maison, et le désigna solennellement comme le chef de la famille à ses frères réunis autour de son chevet. Pour le suppléer dans les soins de cette tutelle, surtout intellectuelle et morale, et dont l'autorité s'appliquait surtout à l'avenir, Napoléon avait heureusement sa mère qui prit en main, avec sa résolution et sa sagacité habituelles, les rênes de l'administration domestique, abandonnées par celui qui avait su, en quinze ans de prudence et d'économie, rétablir à son point cette fortune surmenée par les entreprises et les prodigalités paternelles. Une des premières visites de Bonaparte fut naturellement pour Paoli. Il s'empressa d'aller saluer à Rostino celui qui était encore son grand homme de prédilection, dont l'absence et le malheur avaient purifié et ennobli la gloire, et qui venait de trouver dans les manifestations d'un retour triomphal la revanche d'une longue adversité. Paoli reçut, avec des égards particuliers, le fils d'un de ses meilleurs compagnons, et il n'eut pas besoin de voir et d'écouter longtemps le jeune officier, qui, l'un des premiers, lui avait souhaité par lettres une enthousiaste bienvenue, pour deviner la valeur et peut-être le danger d'un disciple qui sentait déjà le maître. L'illustre président de l'assemblée électorale d'Orezza, devenu bientôt, par l'acclamation de son pays, ratifiée par l'assentiment du gouvernement central, le président de l'administration départementale et le commandant général des gardes nationales de l'île, se plut, dès les premiers temps de son arrivée, à revoir les lieux témoins de ses glorieux succès et de ses revers plus glorieux encore, et à refaire, accompagné d'un cortège de plus de cinq cents cavaliers, en tête desquels était Bonaparte, le pèlerinage du champ de bataille de Ponte Nuovo. C'est là que Paoli put pénétrer dans l'intimité de son aide de camp volontaire, et il ne cacha point autour de lui l'impression d'étonnement, d'admiration et de crainte que lui inspirait un si précoce et déjà un si ambitieux génie, voilé en général de modestie et de taciturnité, mais qui trahissait parfois dans la conversation, par des paroles semblables à des étincelles, son brûlant foyer. Et celui dont la gloire avait fait dire à Rousseau que la Corse étonnerait l'Europe, pronostiqua à son tour que ce jeune homme à la Plutarque, si on lui en donnait le temps, ferait parler le monde de lui. Le 1er novembre 1791, les desseins de Bonaparte éclatent par une double démarche. La première, qu'il a inspirée, est une lettre du général Rossi, commandant militaire de l'île, au ministre de la guerre, suggérant instamment le choix de son parent pour les fonctions d'adjudant-major d'un des quatre bataillons de volontaires nationaux corses en cours d'organisation dans l'île. La seconde, c'est un discours prononcé par Bonaparte, le 2 décembre 1791, au club de Calvi, et rempli des sentiments et des opinions qui donnaient alors la popularité, que Bonaparte ne dédaignait que chez ceux qui ne la méritaient pas. Malgré, ou plutôt à cause de cette énergique et sincère démonstration de son attachement de plus en plus marqué à ces idées nouvelles, qui le réconciliaient avec la France, et payant de la liberté l'indépendance corse, le ministre autorisa, le 14 janvier 1792, à nommer, à la place d'adjudant-major du 2e bataillon de volontaires corses, l'éloquent lieutenant, dont Paoli surveillait déjà l'attitude d'un regard ombrageux. Il résulte d'une lettre de Bonaparte à M. de Sucy, commissaire des guerres à Valence, en date du 17 février 1792, qu'à cette époque il s'occupait, en attendant des nouvelles de la revue du 1er janvier, où son absence pouvait lui être préjudiciable, et le résultat de sa candidature aux fonctions d'adjudant-major des volontaires, cause ou prétexte de cette absence irrégulière, il s'occupait de faire les honneurs de la Corse à un visiteur célèbre, dont les ouvrages et la conversation eurent sur la direction des idées de son hôte une influence incontestable. C'était Volney qui, d'un rôle secondaire dans la république des lettres, venait d'être appelé, par son mandat de député à l'Assemblée constituante, à en jouer un dans la chute de la monarchie. On comprend les liens rapides qui durent s'établir entre un homme qui connaissait la Corse, où il avait résidé jusqu'en 1790 comme directeur de l'agriculture et du commerce, qui l'aimait, qui ne tarda pas à respecter dans Napoléon je ne sais quoi de supérieur et d'inconnu, et qui enfin trouvait en lui un auditeur si avidement, attentif à ses récits, échos vivants et frémissants encore des événements et des hommes, variés de souvenirs non moins intéressants de son voyage en Egypte, et son interlocuteur. Bonaparte se nourrissait de ces anecdotes animées, de ces jugements familiers, de ces révélations piquantes sur le monde des sphinx et des hiéroglyphes, idéal favori de son imagination. Du 17 au 27 février 1792, Bonaparte fut nommé adjudant-major du 2e bataillon des volontaires nationaux corses d'Ajaccio, et il écrivait de nouveau à cette époque à M. de Sucy, pour lui faire part du changement de ses dispositions, d'abord tournées vers un prochain départ, aujourd'hui arrêtées par ce qu'il considérait comme un patriotique devoir. Dans ces circonstances difficiles, le poste d'honneur d'un bon Corse est de se trouver dans son pays ; c'est dans cette idée que les miens ont exigé que je demeure parmi eux ; cependant, comme je ne sais pas transiger avec mon devoir, je me proposais de donner ma démission. Depuis, l'officier général du département m'a offert un mezzo termine qui a tout concilié, il m'a offert une place d'adjudant-major dans les bataillons volontaires ; cette commission retardera le plaisir de renouveler votre connaissance ; mais j'espère pour peu de temps, si les affaires vont bien. ..... Les affaires ici vont bien, et j'espère qu'à l'heure que vous lirez cette lettre les incertitudes politiques auront cessé, au moins pour cette campagne ; nos ennemis seraient bien dupes de hâter le moment des hostilités, ils savent bien que l'état de défensive nous ruine autant qu'une guerre. Dans ce moment-ci, si votre nation perd courage, elle a vécu pour toujours. La lettre se termine par la martiale et significative commission de l'achat d'une paire de pistolets à Saint-Étienne, dont Bonaparte détermine la longueur et le calibre, et auxquels il consacre tout son superflu, sept à huit louis en assignats de cinq livres. Les circonstances qui justifiaient la sévère prévoyance de cette acquisition était en effet moins rassurantes que n'affectait de les trouver Bonaparte et à l'horizon troublé de ces luttes municipales et civiques qui se préparaient en Corse et y agitaient partout les brandons de la rivalité, s'amassait un point noir destiné à dégénérer en tempête. Dans ce premier orage des passions locales, la fortune naissante de Bonaparte faillit être foudroyée à jamais, et pour triompher de la coalition de tous les éléments jaloux, ennemis de sa destinée, il ne lui fallut pas moins de courage que d'habileté, et de bonheur que de courage. Nous voudrions pouvoir raconter en détail, avec l'énergie de touche et l'éclat de couleur locale qu'il comporte, ce dramatique épisode corse de la vie du héros de la France, première scène de ce prologue étrange et plein des libertés shakespeariennes, qui trouvera en Égypte son dernier tableau. Nous voudrions pouvoir mettre sous les yeux du lecteur, comme nous la voyons et la sentons, et consacrer par le style d'un Saint-Réal et d'un Vertot, nécessaire à la peinture de ces conciliabules, de ces harangues, de ces rencontres de place publique, de ces mêlées, de ces conspirations, de ces proscriptions, l'histoire de l'avènement de Bonaparte au grade de lieutenant-colonel en second du bataillon des volontaires d'Ajaccio, de l'émeute de huit jours qui en fut la suite, de sa lutte contre Paoli, et de cette disgrâce de l'exil, plus heureuse que la victoire, qui jeta à jamais Bonaparte dans les bras de la France, et le remit, par la leçon du malheur, dans la véritable voie, un moment déviée, de son génie et de sa destinée. Dans ces divers incidents, frémit et palpite, avec l'intensité de vie de l'époque et du pays, une sorte d'émulation de sentiments à la romaine, d'assaut de vices et de vertus antiques, qui contraste singulièrement avec les idées et le costume, et donne l'étrange et saisissante illusion d'un drame moderne joué par des acteurs des temps héroïques, réveillés pour un instant du sommeil de vingt siècles. Malheureusement, le cadre étroit, déjà débordé par l'abondance des choses, de ces annales familières, ne nous permet que d'esquisser à grands traits, avec la concision Spartiate, ces incidents dignes d'Athènes et de Rome. Renvoyant les lecteurs avides de détails pittoresques et de couleurs locales à un ouvrage puisé aux sources mêmes de la tradition contemporaine, et qui en a reproduit parfois, avec bonheur, les énergies[10], nous nous bornerons aux faits. Nous montrerons, par exemple, sans initier le lecteur aux curieux secrets de la coulisse, Bonaparte sur le théâtre de son triomphe populaire, conquérant, malgré sa pauvreté relative et de puissantes rivalités, le titre qu'il ambitionnait par ce mélange de souplesse et d'orgueil, de ruse et de force d'un jeune César. Ce succès, où trouve cette ardeur implacable vers le but, et ce peu de scrupule des moyens qui caractérise les luttes antiques, et que détermine, par exemple, en grande partie, l'enlèvement original et hardi, par les partisans de Bonaparte, du commissaire du département, arraché de force à l'hospitalité rivale, faillit coûter cher à celui qui l'avait obtenu sans rien perdre de sa dignité et de sa prudence, dominant la lutte, mais ne s'y mêlant pas, et acceptant la responsabilité mais non la témérité des actes. Les levains de jalousie, de rancune et de vengeance, aigris encore par la déception de ses concurrents, trouvèrent, dans l'émeute de huit jours qui ensanglanta Ajaccio, une explosion dangereuse pour le jeune lieutenant-colonel en second, dont elle mit en lumière le sang-froid inspiré et l'énergie pleine de modération, redoublant ainsi, bien loin de la désarmer, la haine de ses ennemis réduits aux moyens déloyaux, pour triompher d'un homme contre lequel les autres étaient impuissants. C'est le 7 ou 9 avril 1792, le samedi ou le lundi de Pâques, qu'éclata cette sédition, dite guerra di Pasqua (guerre de Pâques), qui mit aux prises le bataillon des volontaires corses et une partie de la population d'Ajaccio, entre lesquels s'interposait en vain une municipalité partiale, divisée elle-même par les passions des deux partis. Si on examine cette affaire, malheureusement ensanglantée par de mutuelles représailles, vengeance du meurtre de l'officier des volontaires qui paya de sa vie le premier choc, avec une impartialité alors bien difficile, on y retrouve sans peine la revanche des concurrents évincés des élections militaires qui venaient d'avoir lieu, et unis dans ce but aux chefs du parti réactionnaire, dont la haine ne recula point devant un criminel appel aux armes jetés à des paysans à demi barbares, prêts à tous les excès, qui se ruèrent sur la ville. L'irruption dans Ajaccio, de ce torrent d'agrestes bravi qui faillirent en faire leur proie, suffirait pour décharger Bonaparte des rares excès de répression qu'il ne put empêcher, et pour flétrir ses ennemis qui, furieux de le voir sortir heureusement de cette terrible épreuve des luttes civiles, où il est si difficile de faire son devoir et même de le connaître, et ne pouvant incriminer ses actes, calomnièrent jusqu'à ses intentions. La difficulté d'entrevoir la vérité à travers ces allégations contraires, la nécessité de conjurer de nouveaux conflits et de donner à l'effervescence populaire incessamment excitée l'apparente satisfaction de l'éloignement des volontaires corses, firent, malgré les protestations de leurs chefs, prendre, au directoire du département, présidé par Paoli, le parti de les envoyer à Corte, où Bonaparte ne les suivit pas. Dès le mois de mai 1792, il fut obligé de partir pour Paris, où l'acharnement de ses adversaires transportait la lutte, espérant le terrasser plus facilement, loin de ce sol natal qu'il lui suffisait de toucher du pied pour être invincible, au milieu de la popularité de son nom et du prestige de son caractère. Le parti adverse, représenté à Paris par Marius Peraldi, député à la Législative, avait trouvé en lui un intermédiaire influent et complaisant pour ses dénonciations contre le jeune lieutenant-colonel de volontaires, que ses succès de club et de comices rendaient importun à tous, suspect à Paoli, et contre lequel on exploitait, jusqu'à en faire un crime, le malheur, qu'il avait su garder irréprochable, de l'émeute d'Ajaccio. Ces menées semblent avoir trouvé un concours implicite dans les rapports des chefs du 4e régiment, peu indulgents pour un officier qui ne partageait pas leurs principes et se moquait des ironiques envois de quenouille qui précipitaient l'émigration de trop galants états-majors. Ils signalèrent la prolongation irrégulière d'un congé obtenu sans leur consentement, comme un scandale exigeant, en ces temps de dissolution et de désorganisation, une exemplaire répression. Le résultat de ces efforts communs, peut-être concertés, fut l'obligation impérieuse pour Bonaparte d'aller défendre à Paris son honneur accusé et sa position menacée, peut-être même déjà atteinte par la révocation. Napoléon passa à Valence où il ne s'arrêta qu'une heure, et dans les premiers jours de juin nous le trouvons installé rue du Mail, près de la place des Victoires, allant voir, avec son ami Bourrienne, sa sœur Marie-Anne (Élisa), à Saint-Cyr, et dînant avec eux à Trianon. Bonaparte ne consacrait à ces devoirs et à ces plaisirs intimes que le superflu d'un temps dévoré par la rédaction de mémoires au ministre prévenu contre lui, et à l'Assemblée législative elle-même, par des démarches et des visites stratégiquement combinées pour obtenir à la fois sa réhabilitation et son avancement, enfin et surtout par de longues et solitaires promenades d'observation au milieu des fièvres de l'opinion et de cette atmosphère, chargée de menaces, des faubourgs. Déjà, chaque soir, du club des Jacobins partaient des signaux anticipés ; et l'orage révolutionnaire qui se préparait, se trahissait par toutes sortes d'éclairs, avant-coureurs de la foudre du 10 août. Bonaparte assista à tous ces mouvements populaires, et il puisa, dans ce spectacle humiliant des faiblesses de la royauté aux prises avec ces insolences de l'insurrection, une expérience faite de mépris, dont le héros de vendémiaire et de brumaire devait utiliser les leçons. Le Mémorial de Sainte-Hélène atteste que Napoléon avait gardé une ineffaçable impression de ces scènes sanguinaires où il avait vu l' exemple de toutes les brutalités de la force et de toutes les lâchetés du droit ; et dès ce jour-là, sans doute, il fit, dans son cœur indigné, le serment de ne jamais céder à ce hideux pouvoir de l'anarchie, dont le courage est fait de la pusillanimité de la défense, qui n'avance que lorsqu'on recule, et ne triomphe que des princes déjà vaincus par le remords ou par la peur. Ce n'est pas que Bonaparte, pas plus alors que plus tard, ne vît dans Louis XVI qu'un prince malheureux ; il ne pouvait se dissimuler les fautes résultant des contradictions d'un caractère faible et d'une situation équivoque ; et irréprochable et inviolable comme homme, il lui paraissait, comme roi, avoir provoqué sinon mérité son sort. Mais la violence des moyens et l'excès des représailles eussent justifié, à ses yeux, dans sa résistance, un prince bien plus répréhensible, assiégé, jusque dans son palais, par cette populace sacrilège, qui, depuis octobre, avait souillé une à une les dernières majestés de la monarchie et les premières grandeurs de la liberté. L'instinct puissant d'ordre et d'autorité, qui était en Bonaparte, frémissait et se révoltait à l'idée de cette tyrannie de la multitude, mille fois pire que le despotisme d'un seul. Le 20 juin sonna. Bonaparte, sortant avec Bourrienne de chez un restaurateur, rue Saint-Honoré, près le Palais-Royal, vit venir cinq ou six mille déguenillés qui poussaient des hurlements et marchaient contre les Tuileries ; il dit à Bourrienne : Suivons ces gueux-là, et il alla s'établir sur la terrasse du bord de l'eau. Lorsque le roi, dont la demeure était envahie, parut à l'une des fenêtres, coiffé du bonnet rouge, Bonaparte s'écria, avec indignation : Ché c... ! comment a-t-on laisser entrer cette canaille ? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec du canon, et le reste courrait encore[11]. Bonaparte assista, de chez Fauvelet, frère de Bourrienne, qui tenait un magasin de meubles au Carrousel, à l'insurrection du 10 août, avec des impressions encore plus énergiques d'indignation contre une telle attaque, de mépris pour une si imprévoyante et si pusillanime défense, qu'elle donnerait presque raison à ceux qui pensent que les rois comme les peuples n'ont que le sort qu'ils méritent. Cependant le pressentiment d'un mystérieux mais prochain avenir tressaillait en lui et mêlait, à ses colères et à ses dégoûts, la consolation d'une irrésistible espérance, et tout en déplorant la chute de l'ancienne monarchie et de l'ancienne société française, consommée au 10 août, Napoléon ne laissait pas que d'applaudir intérieurement au dessein providentiel dont il se sentait vaguement l'exécuteur futur, et qui ne pouvait placer le monde nouveau, dont il devinait le plan, que sur les ruines de l'ancien. Plus que jamais le jeune officier, réduit alors à une pauvreté qui toucha à la misère, obligé d'engager sa montre et de laisser en souffrance les plus modestes obligations, avait besoin de ces encouragements de la fortune, dont beaucoup à sa place eussent désespéré. Lui, au contraire, déjà éclairé par cette vue supérieure des hommes et des choses, qui donna parfois plus tard à certaines divinations de son génie les apparences d'une espèce de sortilège, il pesait méthodiquement et prophétiquement la durée d'un régime qui devait périr par les excès nécessaires à sa marche, quand bien même il n'eût pas été condamné par le vice de son origine. Ce régime, il fallait le traverser, en servant non le gouvernement mais la patrie, et en se préservant des dangers réservés à la vertu et au talent, jusqu'au jour où le désespoir d'une nation décimée et déshonorée aurait besoin d'un sauveur et d'un vengeur. En attendant, il fallait profiter des circonstances, et c'est ce que Bonaparte fît. On avait besoin d'hommes énergiques, de citoyens populaires dans leur pays, que la guerre déclarée rendait en quelque sorte sacrés. Les services d'un bon officier d'artillerie. Bonaparte, grâce à quelques puissantes recommandations, parties de ce groupe de la Gironde qui venait de triompher au 10 août, et avec lequel il lui fut facile d'avoir des accointances, grâce surtout à la persévérance de ses démarches, à la dignité de son attitude, à ce charme mâle et doux de sa physionomie pensive, gagna enfin doublement sa cause. Dans les premiers jours de septembre 1792, Napoléon Bonaparte, accompagné de sa sœur Élisa, chassée de Saint-Cyr par le décret de suppression du 15 août 1792, quittait Paris ensanglanté par les premières férocités de la Terreur, et revenait en Corse, acquitté des accusations calomnieuses qui avaient pesé à la fois sur l'officier illégalement absent et le commandant de volontaires prétendus séditieux, et solennellement réhabilité par ce retour au milieu de ses concitoyens. De plus, confirmé d'ailleurs dans son grade civique, il emportait, en attendant une destination prochaine, le brevet de capitaine[12], qu'il avait attendu pendant sept années, attendu jusqu'au découragement. Ce premier degré de l'échelle une fois franchi, il se sentait, en présence de circonstances si favorables aux : hommes de sa trempe, débarrassé de la sorte de fatalité qui avait pesé sur son obscure et militante jeunesse ; il se sentait maître de l'avenir, et il écrivait à son oncle Paravicini, le 11 août, cette phrase pleine des joies de la délivrance : Ne soyez pas inquiet de vos neveux, ils sauront se faire place. Avant de suivre, dans l'élan déjà acquis de sa destinée, le capitaine qui deviendra si vite le général Bonaparte, nous aimons, comme il l'aimait lui-même, à jeter un dernier regard en arrière sur cette route de débuts obscurs, de commencements entravés, si péniblement et si courageusement parcourue, et dont les obstacles doivent servir à jamais de leçon et d'exemple aux impatiences de l'ambition et aux défaillances de la vertu. Cette moralité de nos recherches minutieuses sur les années obscures de la jeunesse de Bonaparte, d'autres l'ont sentie et justifiée avant nous, et nous nous plaisons à nous placer sous l'autorité de l'écrivain révélateur qui a si bien expliqué, en dehors de leur charme profond, l'utilité de ces études sur les premiers travaux et les premiers efforts de Napoléon, sans lesquelles on ne pénétrera jamais dans l'intimité de ce génie qui se déroule progressivement et qu'il faut prendre à ses origines, pour le comprendre à son milieu et à sa fin. Nous avons suivi feuille à feuille, après lui, dans ses révélations, le précieux carton Fesch, parce que, comme lui, nous pensons que le grand problème est là. Excepté quelques anecdotes de collège et quelques assertions vagues, nous avons été jusqu'ici dans une complète ignorance à l'égard de ce qui précéda son élévation, et de ce qui peut l'expliquer. Et cependant le grand problème est là : Comment Napoléon s'est-il formé ? Comment a-t-il employé les années où il est resté lieutenant d'artillerie ? Quels sont les travaux par lesquels il se prépara à ses brillantes destinées ? Par quels moyens, en un mot, se sont développés ce caractère si extraordinaire, a cette intelligence si prodigieuse ? Est-ce le hasard seul qui s'est plu à l'élever si haut ? Son génie s'est-il formé sans aucun secours, ou bien ce talent a-t-il été dirigé chez lui par une volonté de fer, et, suivant la condition ordinaire de l'humanité, a-t-il été fortifié par un travail opiniâtre ? C'est là ce qu'il nous importe surtout de connaitre dans le jeune officier, dans le futur empereur, c'est de là surtout que doivent surgir de grands et utiles enseignements. Nous ne pouvons que nous associer à la conclusion du même écrivain qui, grâce à l'entière connaissance qu'il a pu prendre, dans la primeur de leur saveur et de leur parfum, de ces précieux papiers de jeunesse de Napoléon, entrevus et à peine effleurés après lui, est le plus compétent pour en porter un jugement définitif. On voit d'abord que Napoléon, comme Michel-Ange, comme Newton, comme tous les plus sublimes génies, a dû obéir à cette loi de l'humanité, qui veut qu'on ne puisse rien faire de grand sans de grands efforts. Malgré sa supériorité, il a dû longuement étudier les matières dans lesquelles il se montra maître plus tard. Personne n'a plus travaillé que lui, et, pendant plusieurs années, il n'a cessé de lire et de méditer les ouvrages les plus profonds. S'il a eu des idées si nettes sur la législation, sur les finances, sur l'organisation de la société, ces idées ne sont pas sorties spontanément de son cerveau. Il a recueilli sur le trône les fruits des longs travaux du pauvre lieutenant d'artillerie. Il s'est formé par les moyens les plus propres au développement des hommes supérieurs, par le travail, par la solitude, par la méditation et par le malheur ; nourriture des âmes fortes et des grands esprits. L'exemple de Paoli a jeté dans son cœur le germe d'une noble émulation ; plus tard, la révolution lui a offert un champ vaste et brillant ; mais sans cette révolution Napoléon se serait toujours distingué, car les caractères comme le sien saisissent la fortune, et n'en sont pas les esclaves. Son esprit peu cultivé et le manque d'éducation auraient pu l'arrêter si le caractère, qui supplée à tout, ne l'avait soutenu. On ne pourra plus dire que c'est le hasard qui l'a élevé. Lorsque, après sept ans de retraite, Napoléon parut pour la première fois sur la scène du monde, il renfermait déjà tous les germes de sa future grandeur. Rien n'a été fortuit chez lui ; il a dû toujours lutter, et le succès n'a pas toujours couronné ses efforts. Ce n'est pas le hasard qui l'a porté à Toulon, car Napoléon ne laissait échapper aucune occasion de se faire connaître. Un ministre célèbre était-il rappelé au pouvoir, le jeune officier lui adressait un mémoire sur les affaires de son île. Le gouvernement voulait-il changer l'organisation militaire de la Corse, Napoléon accourait, au risque de perdre sa place. Partout il donnait une haute idée de son caractère ; et lorsque ses tentatives demeuraient inutiles, il retournait, à Seurre ou à Valence, méditer dans la retraite. Désormais, on ne pourra plus, comme on l'a fait jusqu'ici, retrancher ces sept années de la vie de Napoléon. Elles devront compter, au contraire, parmi les plus belles et les plus fortes de cette vie de prodiges. Il ne sera plus permis d'attribuer à la fatalité son élévation[13]. Napoléon lui-même confirme, de sa souveraine autorité, cette moralité de l'histoire de sa jeunesse. Il aimait à se rappeler ces jours de labeur et d'attente où il avait pénétré jusqu'au fond des angoisses de la pauvreté fière et des mystères du travail fécond. Il y voyait avec raison un enseignement pour tous les incompris et pour tous les ambitieux ; car qui fut plus digne que lui d'être apprécié, et quelle ambition fut plus légitime que la sienne ? Cependant, il passa sept années, quoique des favorisés par le talent et la naissance sinon par la fortune, à franchir cet âpre défilé de son premier avancement. Il est vrai qu'il fut dédommagé par la perspective qui se déroula, au sortir de cette gorge étroite, devant ses yeux rafraîchis. Cependant, avant de parvenir à la conquête de sa glorieuse destinée, il eut encore plus d'un obstacle à franchir, et plus d'une fois il dut défendre son honneur et sa vie menacés. Quel exemple mémorable, quelle leçon éloquente de patience, de résignation et d'espérance ! Que fût-il advenu si, croyant n'étouffer qu'une vie inutile, il avait, cédant aux découragements dont il puisait le fonds dans ses chagrins réels et la forme dans les malheurs imaginaires de Werther, il eût, un soir de travail aigri ou de méditation désespérée, appuyé sur sa tempe le pistolet prétendu libérateur ? Quelle magnifique destinée jetée dans le néant ! Quel chef-d'œuvre de génie, de gloire et de malheur manquant à l'histoire des grandeurs de la France et des grandeurs de l'humanité ! Mais non, Napoléon n'était point de ceux qui meurent ainsi, et il ne céda pas longtemps aux transports d'une fièvre passagère. Il ne semble l'avoir éprouvée que pour mieux montrer comment on en guérit. Le remède au mal, il l'a dit et il l'a prouvé, il est dans la ténacité héroïque, dans la sublime confiance que tôt ou tard récompensent les joies du succès, mais auxquelles — n'y en eût-il point d'autres — doivent suffire les félicitations de la conscience et le mâle bonheur du devoir accompli. Ceux-là seuls qui, même encouragés, ne fussent point parvenus au but, se tuent de désespoir de n'y point arriver. Le suicide est une marque d'impuissance, un aveu d'indignité, et la médiocrité se rend justice par cet appel aveugle au néant. C'était là l'opinion de Napoléon, et on conviendra qu'il avait le droit de l'appuyer de sa propre expérience et de son propre exemple. Il n'en manquait jamais l'occasion, et c'était le flatter, de façon à lui plaire, que de la faire naître. Une partie de sa popularité tient peut-être à cela, à son habitude de traiter en camarades les soldats dont le métier n'avait point de si humbles misères qu'il n'eût connues et qu'il n'eût ennoblies à jamais en les partageant. Pour la première fois, la France militaire saluait dans Bonaparte un général nourri et vêtu comme le soldat, mangeant de son pain, et couché à ses bivouacs. Et c'est par un hommage délicat et rude à la fois, commémoratif des difficultés de ses débuts, et peut-être légèrement satirique des rapidités vertigineuses de ces sauts inouïs de capitaine à général et de général à empereur, que les soldats de Napoléon, malins comme ceux de César, lui décernèrent successivement, le soir de ses plus grandes victoires, les insignes de caporal et de sergent. Napoléon, qui comprenait à demi*mot, riposte en plaçant la Légion d'honneur sur la poitrine des généraux et des simples grenadiers, et en favorisant partout autour de lui la jeunesse intelligente, le travail obscur et le mérite méconnu, et en se vengeant, par les récompenses les plus précoces, et les avancements les plus rapides, des lenteurs de ses débuts ; enfin, en glorifiant, par des formules frappées à ce coin proverbial qui les rend à jamais populaires, le respect de la vie, le mépris de la mort, la religion du travail, le culte de l'espérance. C'est lui qui a mis en circulation ces belles et justes images qui comparent la vie au drapeau et font du suicide une désertion. C'est lui qui a appris et prouvé que le découragement est une folie, et qu'il n'est pas de simple soldat qui n'ait le bâton de maréchal dans sa giberne. C'est lui enfin qui se plaisait parfois, dans ses revues solennelles, à provoquer, en permettant aux mécontents de sortir des rangs, et en ne s'offensant pas de la franchise de leurs plaintes et même de l'amertume de leurs reproches ces scènes familières, dont l'effet moral était immense. Plus d'une fois, il arriva qu'un soldat ou un officier froissés, prétendaient-ils dans leurs droits, se portèrent en avant, et, invités à parler, exposèrent les griefs dont ils croyaient devoir faire appel au jugement suprême de l'Empereur. Jamais il n'en rentra dans les rangs un seul qui ne fût consolé, même n'ayant rien obtenu, et plus fier que du succès d'une de ces réprimandes goguenardes et bienveillantes, dont la sévérité même promettait justice, et transformait à jamais le mécontent en enthousiaste. Un jour, à une revue, un jeune sous-lieutenant sort des rangs et vient se placer devant l'empereur Napoléon, qui lui dit : Que voulez-vous ? — Sire, il y a quatre ans que je suis sous-lieutenant, et depuis lors, je n'ai pas eu d'avancement. — Après un moment de silence Napoléon, lui répondit : Moi, monsieur, je l'ai été pendant sept ans, et vous voyez que cela ne m'a pas empêché de faire mon chemin. L'officier, qui ne s'attendait pas à cette réponse, se tira néanmoins d'affaire en homme d'esprit. — Sire, répondit-il, cela est vrai, mais Votre Majesté a bien su rattraper le temps perdu ; j'attendrai. Napoléon sourit et poussa son cheval en avant, non sans prendre note, dans son infaillible mémoire, de la figure et du nom du jeune mécontent, dans la personne duquel il venait de donner, à toutes les impatiences et à tous les découragements, une leçon vivante[14]. C'est cette leçon que nous avons cru de notre devoir de rappeler à nos jeunes lecteurs. Sans doute, nous répondra peut-être l'un d'eux, mais l'exemple que vous avez choisi, pour nous préserver à jamais du découragement, n'est-il pas de nature à décourager ? — Pourquoi donc ? — Napoléon est demeuré sans doute sept ans lieutenant, mais il n'en a mis que quatorze à devenir empereur. A cela, nous répondons : Tout le monde ne peut pas faire le chemin d'un Napoléon ; mais tout le monde peut faire le chemin d'un honnête homme. |
[1] Mémorial, t. I, p. 66.
[2] Mémorial.
[3] Mémorial.
[4] Aïeul de madame de Montholon, femme de celui qui devait être un des immortels compagnons de Sainte-Hélène.
[5] Autographes du fonds Egerton.
[6] Mémoires, etc. Paris, 1836, in-8°, p. 92.
[7] Rapport de M. Blanqui sur la Corse, lu à l'Académie des sciences morales et politiques, en octobre 1838, réimprimé à part avec additions. Paris, Coquebert, 1840.
[8] Mémorial de Sainte-Hélène. — Œuvres complètes du comte Rœderer, publiées par son fils, t. III, p. 335. L'histoire détaillée du concours, suivie du discours de Napoléon, se trouve au t. II, p. 144-171 de la Biographie des premières années de Napoléon, etc., par le baron de Coston, 1840 (Valence et Paris).
[9] Coston, t. I, p. 175, et t. II, p. 143. — Nasica, Mémoires sur l'enfance et la jeunesse de Napoléon, 2e édit., Dupont, p. 128.
[10] Nasica, Mémoires sur l'enfance et la jeunesse de Napoléon, Dupont, 1865.
[11] Mémoires d'outre-tombe.
[12] Ce brevet de capitaine en second, au 4me régiment d'artillerie selon les uns, selon d'autres (Nasica, p. 209) à l'armée de la Moselle, commandée par Dumouriez, est signé de Louis XVI, comme nous l'ayons dit ; mais la date du 30 août n'est pas celle de la signature, mais du contreseing de Servan, ministre de la guerre, du 10 août au 5 octobre. Napoléon semble, dès juillet, avoir été reconnu capitaine. Ce titre résulte d'une lettre du 12 juillet, à lui adressée par Lajard, ministre du 18 juillet au 25 juillet. La décision pouvait être prise déjà sans que le brevet fût expédié. La lenteur de cette formalité ne s'explique que trop par une époque qui dévorait si rapidement les hommes, que six ministres se succèdent en six mois au poste de la guerre. Le brevet porte qu'il produira son effet à partir du 16 février précédent.
[13] Souvenirs de la jeunesse de Napoléon, article de M. Guillaume Libri. Revue des Deux Mondes, du 1er mars 1842 (p. 784 à 809).
[14] Mémorial de Sainte-Hélène.