La cour d'Henri II. — Croquis des mœurs nouvelles. — Témoignages contemporains sur la jeunesse de Marie Stuart, son éducation, ses qualités, et ses charmes naissants. — Marie Stuart à quinze ans. — Promenades sur l'eau et cavalcades en forêt à Saint-Germain. — Retours de chasse et Décamérons de Fontainebleau et de Chambord. — Comment Marie Stuart est élevée. — Admiration universelle qu'elle inspire. — Extrait des Mémoires de Castelnau. — Dépêche de Jean Capello, ambassadeur vénitien. — Trois lettres du cardinal de Lorraine à la reine douairière et régente d'Écosse, mère de Marie Stuart, sur sa fille. — Marie Stuart gouverne le Roy et la Royne. — La petite reinette écossaise. — Portrait de Marie Stuart, par Brantôme. — Discours latin prononcé par Marie Stuart à treize ou quatorze ans, au Louvre, devant toute la Cour. — Éloges hyperboliques de Ronsard et de Du Bellay. — Portrait réel et authentique de Marie Stuart. — Ce qui manque à tous les portraits.Pendant que, profitant des prétextes et attendant l'occasion, l'opposition protestante et aristocratique ourdissait ses trames de trahison et de rébellion, négociait avec l'Angleterre et minait sourdement, de son feu couvant sous la cendre, le trône d'Écosse, Marie Stuart, par un mariage prématuré, allait réaliser l'union des deux pays et des deux couronnes en montant sur le trône de France. Nous ne la suivrons pas sur l'échafaudage, tendu de velours et d'or, où se célébraient théâtralement les noces des dauphins de France, sans avoir donné quelques détails caractéristiques sin, son séjour au milieu de cette cour, la plus polie et la plus galante de l'Europe, où François e et Henri II avaient fondé, par l'influence des femmes, jusque-là reléguées dans les châteaux, désormais appelées de l'empire domestique à l'empire public, une école de courtoisie, d'élégance, de bonnes façons et de belle conversation, dont le mauvais air des modes et des mœurs italiennes n'avait pas encore altéré le prestige, frivolisé le goût, compromis l'autorité. Marie Stuart, par sa beauté naissante, sa grâce exquise, sa subtilité d'esprit, sa précocité d'érudition, était prédestinée à devenir rapidement d'écolière maîtresse, et à donner, après les avoir reçus, ces leçons et ces exemples qu'on recevait à la cour de France, romanesque et chevaleresque encore, dans le sens le plus noble de ces deux mots, et où Catherine de Médicis, encore sans influence, ne préparait, qu'à force de modestie et de réserve, sa future et fatale domination. Nous ne nous étendrons pas sur l'influence de ce commerce habituel avec les capitaines aux héroïques souvenirs, les grands seigneurs proverbiaux en prudhommie, les grandes dames non moins célèbres par leur esprit que par leur beauté et par leur vertu que par leur esprit, les artistes enivrés de l'antique et les poêles épris de la forme qui composaient la cour de cet Henri II, bientôt victime, dans un tournoi, d'une de ces morts qui peignent si bien une vie. Nous ne pouvons recommencer ici l'étude de M. Rœderer sur les brillants débuts de la société polie en France et de la suprématie française en Europe. Nous nous bornerons à citer le croquis saisissant, dû à la plume de M. Mignet, de cette période de transformation et de transition, et de la cour aux originaux contrastes qui la résume si bien. Conservant encore certaines coutumes militaires du moyen âge, et se façonnant aux usages intellectuels du siècle de la Renaissance, cette cour était moitié chevaleresque et moitié lettrée, mêlait les tournois aux études, la chasse à l'érudition, les spectacles de l'esprit aux exercices du corps, les anciens et rudes jeux de l'adresse et de la force aux plaisirs nouveaux et délicats des arts[1]... Nous ne saurions entrer dans des détails que, d'ailleurs, nous aurions de la peine à glaner dans la stérilité des témoignages contemporains sur l'enfance de Marie Stuart et son éducation à la cour que nous venons de caractériser. Mais c'est un devoir et un plaisir pour nous de recueillir, sur les résultats de cette éducation et de ce séjour, et sur le double chef-d'œuvre de beauté naissante et d'instruction précoce qui en sortit, les traits épars dans les poètes et les historiens du temps. C'est un plaisir et un devoir d'en composer une physionomie authentique à la fois et idéale de Marie Stuart à quinze ans, telle que l'avaient faite, au physique, les promenades sur l'eau ou les cavalcades en forêt dans ce château favori de Saint-Germain, et ce paysage à l'écossaise où une prédilection héréditaire attirera le séjour des Stuarts réfugiés sous Louis XIV et leur cour d'exil, les Décamerons et les chasses de Fontainebleau et de Chambord, de Blois ou d'Amboise ; telle surtout que l'avait faite, au moral, l'éducation savante, subtile, raffinée, qu'elle avait reçue sous les yeux de Catherine de Médicis et de Marguerite de France, sa belle-sœur. Cette éducation, elle devait la partager avec trois princesses lettrées et spirituelles comme elle, Élisabeth, future reine d'Espagne, Marguerite, future reine de Navarre, Claude, future duchesse de Lorraine, au milieu des chefs-d'œuvre de l'art, réunis au Louvre, et de l'entretien de ces courtisans poètes qui s'appelaient Saint-Gelais, Du Bellay, Housard. C'est grâce à tous ces concours, à toutes ces émulations, à cette perpétuelle culture d'une intelligence exceptionnellement douée, que Marie Stuart conquit et justifia, dès son adolescence, l'admiration universelle, comme plus tard elle devait, par ses malheurs non moins précoces et inouïs que ses succès, mériter l'universelle pitié. C'est ainsi qu'elle se naturalisa si bien française, qu'on pouvoit dire qu'elle n'estoit pas seulement la plus belle, mais la plus polie de tout son sexe dans la langue et dans la belle galanterie[2]. L'ambassadeur vénitien, Jean Capello, sort, en parlant de la jeune reine d'Écosse, de ses dons, de ses charmes, de ses qualités, de son influence déjà profonde sur son royal fiancé, de son prestige universel, de la réserve habituelle à ces impassibles et perspicaces observateurs politiques, dont les confidences sont devenues une des sources principales de notre histoire, et il se laisse aller à une sorte d'enthousiasme : Elle est très-belle — bellissima, dit le diplomate, et si admirablement élevée, que chacun s'émerveille de ses qualités. Elle est adorée du dauphin, qui prend le plus grand plaisir à se trouver et à converser avec elle. Le cardinal de Lorraine, oncle de la jeune reine et le chef politique de cette grande famille des Guise, dont son frère, François, à la vie victorieuse et à la mort tragique, était le chef militaire, suivait, comme on pense, avec toute la sollicitude de l'ambition et de l'affection, les progrès et les succès de sa nièce. Il en rendait le compte le plus flatteur à sa sœur, la reine douairière d'Écosse, dans trois lettres, curieuses par leurs détails, qui nous ont été conservées. Voici quelques extraits de ces confidences épistolaires, dont la sincérité ne peut être suspectée, et qui établissent les espérances que donnait à tous les siens, dès l'âge de onze ans, cette reine enfant, mais douée de qualités précoces, et déjà capable d'éloquence et de secret, capable de parler à propos, et, ce qui est plus difficile, de se taire. Madame, suyvant ce que je vous ay dernièrement escript, le roy a faict ung voyage à Amboyse pour veoir monsieur le Daulphin, messieurs et mesdames ses aultres enfans et la royne d'Écosse vostre fille, et je luy ay faict compaignye. Et, après vous avoir asseuré de la bonne prospérité et santé de tous mes dits seigneurs, je vous desduiray les poincts qui plus vous importent, et dont vous recepvrez, ce me semble, plus d'aise et de contentement : c'est que la dite dame, vostre fille, est tellement crue et croist tous les jours en grandeur, bonté, beauté, saigesse et vertus, que c'est la plus parfaicte et accomplie en toutes choses honnestes et vertueuses qu'il est possible, et ne se voit aujourd'huy rien de tel en ce royaulme, soit en fille noble ou aultre, de quelque basse ou moyenne condition et qualité qu'elle puisse estre ; et suis contrainct vous dire, madame, que le roy y prend tel goust, qu'il passe bien son temps à deviser avec elle l'espace d'une heure, et elle le scet aussy bien entretenir de bons,et saiges propos comme feroit une femme de vingt-cinq ans[3]... Le cardinal, dans la même lettre, propose à la reine douairière d'Écosse un état des personnes et de la dépense nécessaires pour constituer à sa fille le train de maison conforme à la dignité de son rang, et auquel elle aspire passionnément. Estant ainsi le dict estat, il m'est advis qu'il n'y a rien de superflu ne mecaigne — ni mesquin — aussy, qui est la chose que plus elle hayt en ce monde ; et croyez ; madame, qu'elle a le couraige desjà si hault et noble qu'elle faict grande démonstration d'estre marrye, se voyant ainsy bassement traictée, et par ce moyen désirer de se veoir hors de ceste curatelle et vivre en auctorité. Cet état de maison concluait — nous citons le chiffre pour faire apprécier au lecteur la différence des temps et la révolution accomplie dans la valeur de l'argent — à un total de près de cinquante mille francs voir soixante mille qui voudroit bien faire. Dans les lettres des années suivantes, mêmes détails, faits pour enorgueillir la mère absente, sur cette fille si digne de son sang, sur son influence prématurée et les conquêtes de sa grâce et de son esprit, dont le cardinal dit déjà, en 1552-53 : Je vous supplie, madame, vous asseurer que vous avez une fille du plus grand contentement qui fut jamès et la myeulx nourrie, et soyiez seure que Dieu est bien servi et à la vieille façon. Dans une lettre de Paris, du 15 avril 1554, le cardinal rassurait sa sœur sur la santé de sa fille, excellente, sauf de rares défaillances de cœur, et promettant une longue vie, et sur sa sécurité. Garantie par une exacte et inflexible surveillance, elle ne fut plus menacée depuis le projet d'empoisonnement, prévenu par son arrestation, d'un mécontent écossais, du nom et de la famille de sa victime elle-même, Robert Stuart[4]. Dans sa lettre datée de Villers-Cotterêts, le 8 avril 1556, le cardinal de Lorraine montre sa royale nièce, tant sage et vertueuse qu'il n'est possible qu'elle se peust conduire plus sagement ne plus honnestement quant elle auroit une douzaine de gouvernantes. Après avoir parlé du projet du roi de marier la reine d'Écosse et le dauphin prochainement, et l'avoir invitée à un voyage en France, indispensable pour hâter la conclusion nuptiale de ces fiançailles, où la raison d'État se trouve si heureusement d'accord avec les inclinations et les vœux des deux adolescents époux, également épris l'un de l'autre, le cardinal de Lorraine termine par ces mots : Bien vous assurerè-ge, Madame, que n'est rien plus beau ne plus honneste que la royne vostre fille, et si est fort dévote. Elle gouverne le roy et la royne[5]... Ce témoignage de l'influence exercée par Marie Stuart sur son royal beau-père, prince chevaleresque et galant, qui, gagné par la fascination naïve de sa future bru, la voyait des mêmes yeux que son fils, est et demeure exact, conforme en tout au caractère d'Henri II et à sa rude franchise. Il n'en est pas de même en ce qui touche Catherine de Médicis, qui dissimulait sous les apparences d'une bienveillance maternelle des ambitions et des jalousies implacables, dont l'attitude, vis-à-vis de Marie Stuart, fut toujours équivoque, tant elle supportait impatiemment l'innocente rivalité de son ascendant, et qui disait avec plus d'ironie que de satisfaction : Nostre petite reinette écossoise n'a qu'à S'ourire pour tourner toutes les testes françoises. Plus tard, les préventions et les rancunes secrètes d'une princesse digne compatriote et élève de Machiavel, ne se trahirent que trop dans les menées hostiles d'une politique de méfiance et de calomnie, couronnée, au moment fatal, par le plus égoïste abandon. Mais nous n'en sommes encore qu'à ces riants débuts, sous les plus favorables auspices, auxquels il est si doux de s'arrêter. Et nous goûtons un plaisir mélancolique à multiplier, autour de la figure de Marie Stuart à quinze ans, comme autant d'allègres rayons, ces hommages émus et ces hyperboliques louanges de la muse contemporaine. C'est à Brantôme, à cet implacable et parfois cynique chroniqueur d'un siècle dont il peignit et partagea les vices, que nous voulons emprunter ce portrait, si contraire à sa manière habituelle, où son insouciance s'attendrit, et où sa verve, ordinairement si maligne, se purifie au contact d'un modèle qui ne permet que les chastes admirations. Voici, dans la saveur encore un peu crue de ce français archaïque, où la grâce et la clarté de notre langue s'épanouissent avec une originalité qui se délivre à peine des rigidités latines et des luxuriances italiennes et espagnoles, le thème que les Du Bellay et les Ronsard broderont à l'envi des variations hyperboliques de leurs dithyrambes mignards. Brantôme, dont les souvenirs, quand il écrivit son éloge de Marie Stuart, Jadis reyne de nostre France, se coloraient des couleurs du prisme de ses jeunes années, et dont la pitié pour un sort si différent des augures dont il avait été témoin se mêlait, pour la rendre plus éloquente, à l'admiration que lui inspirait la princesse dont il avait été, en France et en Écosse, le serviteur et le compagnon, Brantôme a tracé d'elle, au moment de sa radieuse jeunesse et de sa triomphante prospérité, cette image ressemblante et idéale à la fois, dont aucune traduction ne saurait rendre la sincérité, la chaleur et la vie ..... Ce nonobstant, la fallut mettre sur les vaisseaux, et l'exposer aux vagues, orages et aux vents de la mer, à la passer en France pour sa plus grande seureté : où certes ceste male fortune n'ayant pu passer la mer avecques elle, ou ne l'osant, pour ce coup, l'attaquer en France, la laissa si bien que la bonne la prit par la main. Et ainsi que son bel aage croissoit, ainsy vit-on en elle sa grande beauté, ses grandes vertus, croistre de telle sorte que, venant sur les quinze ans, sa beauté commença à faire paroistre sa belle lumière en beau plain midy, et eu effacer le soleil lorsqu'il luisoit le plus fort, tant la beauté de son corps estoit belle. Et pour celle de l'âme, elle estoit toute pareille[6]... Brantôme rappelle à ce propos cette solennelle gageure, ce triomphe public d'une princesse prodige, prononçant à treize ans, devant le roi, la reine et toute la cour, en la salle du Louvre, un discours latin, composé par elle-même, sur la nécessité et la convenance, pour les femmes, d'étudier et d'être savantes dans les lettres et les arts libéraux : thèse dont elle offrait elle-même à la fois le précepte et l'exemple. A ce moment, Marie savait déjà, non-seulement le latin, l'anglais et le français, mais elle commençait d'apprendre l'espagnol et l'italien, qu'elle possédait parfaitement à l'époque de sa mort[7]. ..... Elle s'estoit faicte fort sçavante en latin ; estant en l'aage de treize à quatorze, elle desclama devant le roy Henry, la reyne et toute la cour, publiquement en la salle du Louvre, une oraison en latin qu'elle avoit faicte, soubtenant et deffendant, contre l'opinion commune, qu'il estoit bienséant aux femmes de sçavoir les lettres et arts libéraux. Songez quelle rare chose c'estoit et admirable de voir ceste sçavante et belle reyne ainsy orer — haranguer — en latin, qu'elle entendoit et parloit fort bien ; car je l'ay veue là ;... et se fist plus éloquente en françois et mieux que si dans la France mesme eust pris sa naissance. Aussy la faisoit-il bon voir parler, fust aux plus grands, fust aux plus petits. Et tant qu'elle a esté en France, elle se réservoit tous jours deux heures du jour pour estudier et lire ; aussy il n'y avoit guières de sciences humaines qu'elle n'en discourust bien. Surtout elle aymoit la poésie et les poètes, mais surtout M. de Ronsard, M. Du Bellay et M. de Maison-Fleur, qui ont faict de belles poésies et élégies pour elle, et mesme sur son partement de la France, que j'ay veu souvent lire à elle-mesme en France et en Écosse, les larmes à l'œil et les souspirs au cœur... Marie Stuart ne se plaisait pas seulement dans le commerce des poètes de son temps, elle se piquait de les imiter, et parvint plus d'une fois, sinon à les surpasser, comme ils le prétendaient trop galamment, au moins à les égaler presque, comme nous le verrons. Elle se mesloit d'estre poète, et composoit des vers dont j'en ay veu aucuns de beaux et très bien faicts ;.... et promptement, comme je l'ay veue souvent qu'elle se retiroit en son cabinet et en sortoit aussy tost pour nous en monstrer à aucuns honnestes gens que nous estions là. De plus elle escrivoit fort bien en prose, surtout en lettres, que j'ay veues très-belles et très-éloquentes et hautes. Toutes fois, quand elle devisoit avecques aucuns, elle usoit de fort doux, mignard, et fort agréable parler et avecques une bonne majesté, meslée pourtant avecques une fort discrete et modeste privauté, et surtout avecques une fort belle grâce ; mesme que sa langue naturelle, qui de soi est fort rurale, barbare, mal sonnante et séante, elle la parloit de si bonne grâce, et la façonnoit de telle sorte qu'elle la faisoit trouver très-belle et très-agréable en elle, mais non en aultres... Une princesse douée de ce naturel et de cet art exquis, dont la grâce assouplissait et civilisait jusqu'à un idiome ingrat et sauvage, dont la conversation était un perpétuel enchantement, devait posséder le génie musical et le charme de la voix. La sienne en effet était une harmonie ; et, quand elle touchait du luth, c'était une double magie que de l'entendre et de la regarder ; car l'accord de son talent et de sa beauté, donnait deux plaisirs dans un seul. Elle avoit encore ceste perfection pour faire mieux embraser le monde, la voix très-douce et très bonne ; car elle chantoit très-bien, accordant sa voix avecque le luth qu'elle touchoit bien joliment de ceste belle main blanche, et de ces beaux doigts si bien façonnés qui ne debvoient rien à ceux de l'Aurore. Écoutons maintenant les poètes, et demandons à leurs harmonieuses exagérations, contrôlées par le témoignage d'authentiques documents pittoresques, les éléments d'un portrait dont l'effet et le charme ne coûteront rien à la vérité. Que nous chante Ronsard ? Au milieu du printems entre les liz naquit Son corps, qui de blancheur les liz mesure veinquit Et les roses, qui sont du sang d'Adonis teintes, Furent par sa couleur de leur vermeil dépeintes ; Amour de ses beaux traits lui composa les yeux, Et les Grâces, qui sont les trois filles des cieux De leurs dons les plus beaux celte princesse ornèrent Et pour mieux la servir les cieux abandonnèrent. Du Bellay n'est pas moins prodigue des couleurs de la palette antique : I Toi qui as veu l'excellence de celle Qui rend le ciel sur l'Escosse envieux Dy hardiment : Contentez-vous, mes yeux, Vous ne verrez jamais chose plus belle. II Celle qui est de cette isle princesse Qu'au temps passé l'on nommait Caledon, Si en sa main elle avait un brandon, On la prendrait pour Vénus la déesse. III Par une chaine à sa langue attachée Hercule à soy les peuples attiroit : Mais ceste-cy tire ceulx qu'elle voit Par une chaîne en ses beaux yeux cachée. Dans son impuissance à lutter contre l'original, le poète, désireux de donner au moins une formule à cet échec de l'art et d'en faire encore un hommage, affiche sa défaite dans ce chef-d'œuvre d'ingénuité raffinée et de naïve préciosité : En vostre esprit le ciel s'est surmonté Nature et l'art ont en vostre beauté Mis tout le beau dont la beauté s'assemble. Quelle était donc en réalité en l'avril de ses plus beaux ans cette princesse si accomplie qu'on ne la disait point seulement belle, mais l'image de la beauté même[8] ? Pour ceux qu'intéresse un signalement physique authentique et dépouillé des artifices de la poésie, Marie était grande, élancée, svelte de taille, d'une démarche majestueuse et légère à la fois. Elle avait le visage ovale, le teint pâle et mat, parfois coloré d'un tendre et fugitif incarnat, les cheveux d'un blond châtain ou blond cendré, épais et soyeux, bien plantés sur un front d'un contour grec, que découvrirent et développèrent plus tard les ardeurs des méditations viriles de la lutte et de l'adversité. La nuque et le col, d'un galbe exquis, se rattachaient harmonieusement à des épaules dignes de la statuaire. Ses yeux d'un bleu gris — pers — possédaient toutes les nuances de l'expression ; soit qu'ils promenassent sur la surface des choses un regard clair, doux et fin ; soit que la rêverie les noyât dans une humide langueur ; soit que des sentiments plus vifs en fissent jaillir, pour accompagner l'effet des paroles que dardait l'arc un peu relâché de ses lèvres moelleuses, de magnétiques étincelles. Mais une des perfections de Marie, sur laquelle les poètes ne tarissent pas, et qu'on peut juger incontestable à l'uniformité sur ce point de la majorité des cent portraits contradictoires qui nous restent d'elle, c'est l'incomparable beauté de ses mains. Ronsard les célèbre avec une sorte d'idolâtrie : Quand vostre longue et gresle et délicate main... Et ailleurs : Et vostre main des plus belles la belle. Nous avons achevé le portrait authentique, donné le signalement fidèle, reconstitué le masque typique de Marie Stuart. Mais quelle éloquence, quelle poésie pourraient suppléer à l'éloquence et à la poésie de la vie elle-même ? Qui pourrait rendre l'effet sur les contemporains du jeu de cette physionomie, glacée par la fixité des effigies pittoresques ? Qui pourrait exprimer dignement, à moins de l'avoir éprouvé, le charme de ce sourire dont la mort a, depuis 1589, éteint le rayon et fané la fleur, de cette voix dont le dernier écho ne nous arrive plus qu'à travers une distance de trois siècles ? Qui enfin pourrait rendre le miracle de ces irrésistibles larmes qui n'ont trouvé insensible qu'une Élisabeth, et qui, après avoir fait pleurer les juges et les bourreaux, font pleurer la postérité ? Le portrait de Marie Stuart nous amène tout naturellement à son premier et précoce mariage, car il justifie l'ambition et l'amour qui le hâtèrent, le bonheur trop court qui en fut l'unique fruit, et la sympathie d'une population qui, après avoir partagé l'admiration de l'époux, s'associa aux regrets de sa veuve. |
[1] Mignet, t. I, p. 37.
[2] Mémoires de Castelnau de Mauvissière, in-f°, Bruxelles, 1731, t. I, p. 528.
[3] Lettres, instructions et mémoires de Marie Stuart, etc., t. I, p. 9 et 40. Lettre écrite de Saint-Germain-en-Laye, le 25 février 1552-1553. Nous ne recourrons pas pour la première fois au pieux et consciencieux et décisif (pour la mémoire dont il s'est fait le champion) recueil du prince Labanoff, sans l'hommage de respect attendri et reconnaissant avec lequel on salue les monuments expiatoires.
[4] Voir sur cette mystérieuse affaire et cet attentat projeté et avoué par le coupable reine, avant toute tentative d'exécution, le rapport adressé au roi par M. de Chemault, le 14 mai 1551. (Relations politiques de la France et de l'Espagne avec l'Écosse au seizième siècle, excellent recueil de pièces publié par M. Teulet, 1862, t. I, p. 260.)
[5] Labanoff, t. I, p. 34-36.
[6] Brantôme, Œuvres, édit. du Panthéon littéraire (Buchon), t. II, p. 134.
[7] Mémoires historiques et anecdotes sur les reines et régentes de France, par Dreux du Radier ; édition de 1828, t. IV, p. 359.
[8] Voir sur cette question de la figure et des portraits de Marie Stuart une abondante, curieuse et piquante dissertation de M. Feuillet de Couches (Causeries d'un curieux, t. IV, p. 406-460).