LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

DEUXIÈME PARTIE

 

I. — LE DRAME DE LA GUYOMARAIS.

 

 

A mi-route entre Plancoët et Lamballe, à l'écart de tout chemin fréquenté, se trouve, proche de la profonde et sauvage forêt de la Hunaudaye, le château de la Guyomarais.

C'est une antique gentilhommière, composée d'une maison d'habitation élevée d'un étage, flanquée de deux ailes contenant les écuries et les dépendances, et d'un pittoresque donjon carré servant de colombier. On n'y accède que par des chemins ravinés et toujours boueux ; derrière la maison, se trouve, en esplanade, un assez vaste potager, entouré de douves bordées de vieux tilleuls et de chênes qui le séparent d'un petit bois appelé le Vieux-Semis.

Là habitait à l'époque de la révolution Messire Joseph-Gabriel-François de la Motte, seigneur de la Ville-es-Comtes, Créhenic, la Guyomarais[1]. Il approchait de la cinquantaine et avait épousé à Lamballe, trente ans auparavant[2], Marie-Jeanne Micault de Mainville[3], de six ans plus âgée que lui.

Mme de la Guyomarais était une femme remarquable par son esprit, son éducation, ses connaissances littéraires[4] ; bien qu'ayant eu neuf enfants, elle aimait le monde ; les la Guyomarais étaient riches, d'ailleurs, avaient équipage, meutes, nombreux serviteurs[5] ; ils habitaient ordinairement Lamballe pendant l'hiver et passaient la belle saison à leur château, où ils se plaisaient à recevoir leurs amis.

Contrairement à leur habitude, et, sans doute, en raison des événements qui se préparaient en Bretagne, ils n'avaient pas encore quitté la Guyomarais au mois de janvier 1793. Leur domestique, qu'ils renouvelaient souvent, se composait, à cette époque, — ce détail ne sera pas inutile, — de François Perrin, jardinier, à leur service depuis trois ans à raison de trente-cinq écus par année et sa moitié dans la vente des légumes[6], de Henri Robin et de Julien David, valets de chambre, de Michèle Tarlet, cuisinière, et de Françoise Gicquel, servante de basse-cour.

M. de la Guyomarais comptait parmi les plus chauds partisans du marquis de la Rouërie : il lui avait déjà, à plusieurs reprises, offert l'hospitalité[7] ; le proscrit avait séjourné pendant deux jours à la Guyomarais au commencement d'octobre ; il y était revenu le 9 novembre et en était parti le 11[8] ; sachant trouver là des amis dévoués et une retraite sûre, il y passa encore quelques heures le 15 décembre.

A cette époque, il parcourait le pays de Dinan, visitant les chefs de ses comités, changeant de refuge presque chaque nuit, se cachant pendant le jour, dormant parfois dans les bois, au pied des chênes, au fond des ravins[9]. L'incroyable activité de cet homme étrange, la tenace ardeur qu'il apportait à l'accomplissement de son œuvre, et plus encore, peut-être, l'habileté avec laquelle, en véritable Protée, il déjouait toutes les poursuites, ont laissé dans cette partie de la Bretagne des souvenirs que le temps n'a pas effacés. Les circonstances romanesques du drame qui termina sa destinée n'ont pas peu contribué à son renom légendaire.

 

Le 12 janvier 1793, vers une heure du matin, les chiens de la Guyomarais se mirent à aboyer furieusement. M. de la Guyomarais ouvrit la fenêtre de la grande chambre du premier étage qu'il occupait avec sa femme ; la nuit était sombre et pluvieuse[10] : il vit dans la cour du château, qu'aucune clôture ne fermait à cette époque[11], trois cavaliers tenant leurs chevaux par la bride

— C'est moi, Gasselin ! cria l'un d'eux.

M. de la Guyomarais reconnut la voix du marquis : il se hâta de se vêtir, tandis que les domestiques David et Robin qui couchaient dans la cuisine, réveillés par le bruit, ouvraient la porte sur l'ordre de leur maître et conduisaient les chevaux à l'écurie, après avoir détaché de la selle du marquis une petite valise de cuir noir et sorti des arçons deux pistolets à deux coups[12].

La Rouërie et ses compagnons, qui n'étaient autres que Fricandeau[13] et Saint-Pierre, entrèrent dans la maison. Le marquis était couvert d'un vieux chapeau, vêtu d'une veste ouverte sur un gilet à large ceinture et chaussé de bottes fines[14] ; sa barbe noire était longue ; il était trempé, couvert de boue et tout meurtri ; son front portait une large ecchymose.

Il serra les mains de M. de la Guyomarais, s'excusa de faire de nouveau appel à son dévouement ; lui dit que, se rendant à Quessoy près de Montcontour, il s'était vu refuser la porte d'une maison amie, où il avait espéré passer la nuit[15]. Comme il avait pris à travers la lande pour gagner la Hunaudaye où il comptait se reposer tels quelque hutte de bûcheron, son cheval s'était abattu et avait roulé avec lui dans un fossé boueux.

M. de la Guyomarais conduisit le marquis à une chambre du premier étage, voisine de celle qu'il occupait. Cette pièce, dont la porte ouvrait sur un corridor, donnait, par une seule fenêtre, sur le potager ; elle contenait deux lits : l'un, placé à gauche de l'entrée, l'autre dans une vaste alcôve dallée de briques. La Rouërie et Saint-Pierre s'établirent là : Loisel alla dormir dans une autre partie du château.

Le lendemain, Saint-Pierre ne put se lever : l'excès de fatigue, la pluie glacée avaient occasionné un refroidissement ; il s'évanouit plusieurs fois dans la journée et souffrait de violents maux de tête. Comme il lui était impossible, en cet état, de remonter à cheval, il fut décidé que le marquis attendrait au château le rétablissement de son domestique ; Loisel partit donc seul avec les chevaux et se chargea d'inviter, en passant à Plancoët, le chirurgien Morel[16] à venir à la Guyomarais. L'indisposition de Saint-Pierre ne dura, d'ailleurs, que peu de jours[17] ; le marquis le soigna avec sollicitude : il ne quittait guère la chambre du malade et ne descendait que pour prendre les repas en commun avec la famille de la Guyomarais[18]. Devant ses enfants et ses gens, le maître de la maison n'appelait jamais son hôte que du pseudonyme de Gasselin, sous lequel il s'était présenté chaque fois qu'il avait cherché refuge au château ; les domestiques devinaient, aux prévenances dont l'inconnu était l'objet, qu'il était un personnage d'importance, mais n'en savaient pas davantage.

Le 18 janvier, Saint-Pierre se leva guéri : le marquis différa néanmoins son départ, se sentant lui-même fatigué. Le lendemain, il s'alita : il était en proie à une fièvre ardente qui s'augmenta la nuit suivante : M. de la Guyomarais, fort inquiet, envoya chercher à Lamballe le Dr Taburet[19], qui, depuis vingt ans, était le médecin de la maison ; mais, pour ne pas éveiller les soupçons et justifier la visite de Taburet, il s'appliqua à répandre le bruit que sa fille Agathe souffrait d'un violent mal de gorge et d'une inflammation de poitrine[20].

Le docteur trouva très grave l'état du malade : il diagnostiqua une fièvre putride et bilieuse : sans ordonner un traitement, il laissa au chirurgien Morel, rappelé en consultation, une ordonnance assez vague[21] : celui-ci, après le départ de son confrère, posa au marquis des vésicatoires, dont l'efficacité amena une amélioration sensible : on était au 24 janvier.

Le soir de ce même jour, vers huit heures, M. de la Guyomarais, presque rassuré, se trouvait avec sa femme et Agathe dans le salon du rez-de-chaussée : cette pièce a deux fenêtres se faisant face, l'une sur la cour, l'autre sur le jardin potager. M. de la Guyomarais s'efforçait de faire partager aux siens l'espoir de la guérison prochaine de son hôte ; tous trois causaient presqu'à voix basse, lorsqu'un coup violent, frappé au volet fermé de la fenêtre du jardin les fit tressaillir en même temps qu'une voix qu'on ne reconnut pas cria du dehors :

— Si vous avez quelque chose à cacher, pressez-vous : une fouille sera faite cette nuit[22].

Presqu'au même instant Saint-Pierre se présenta à la porte du salon et pria M. de la Guyomarais de monter à la chambre du marquis : celui.., dont la fenêtre donnait, nous l'avons dit, sur le potager, avait entendu l'avertissement et s'en montra fort ému : il prit la main de la Guyomarais :

C'est mon arrêt de mort que cette voix vient de prononcer, dit-il[23], et peut-être celui de votre famille si l'on me trouve chez vous. Faites-moi transporter dans la forêt, à l'abri de quelque hutte abandonnée par les charbonniers...

Ce serait vous tuer.

Alors, reprit la Rouërie, quittez votre maison, afin que l'on n'y trouve que moi.

Pensez-vous que j'abandonnerais un ami malade ?

Qu'allez-vous faire ?

On va vous porter chez de braves fermiers que je connais ; vous y passerez la nuit. Après la fouille, au cas où elle soit faite, on vous ramènera ici : le trajet ne sera que de quelques minutes, et j'espère qu'il ne vous fatiguera pas trop.

Il n'y avait pas un instant à perdre : on enveloppa le malade dans ses couvertures, on le porta jusqu'au bas de l'escalier, et là, il fut hissé sur un cheval[24] ; à travers la nuit humide et noire, par les sentiers détrempés, on s'achemina lentement vers la ferme de la Gourhandais : M. de la Guyomarais et son fils Casimir dirigeaient la marche hésitante du cheval : Saint-Pierre soutenait le corps affaissé du marquis ; tous gardaient le silence : on eût dit un cortège funèbre.

Ils arrivèrent ainsi à la Gourhandais, ferme située à quelque cents mètres du château, à la lisière de la Hunaudaye, de l'autre côté du ruisseau des Petites Noës. Le fermier consentit à recueillir le proscrit : on le coucha dans un de ces lits bretons, en forme de buffet, carrés, touchant presqu'au plafond et n'ayant qu'une petite ouverture se fermant au moyen de volets mobiles. La fermière s'institua sa garde-malade.

De retour au château, M. de la Guyomarais se hâta de faire disparaître toute trace du séjour du marquis : il enfouit dans le double fond d'une armoire sa valise, ses effets, ses armes, et replia les couchages : il terminait à peine cette besogne qu'on entendit le bruit d'une troupe en armes, descendant l'avenue ; il était quatre heures du matin.

Les patriotes de Lamballe pénétrèrent dans la cour, s'emparèrent de toutes les issues, et leur chef entra dans la maison qu'il visita des caves au comble ; il poursuivit sa perquisition dans les écuries et les dépendances : n'ayant rien découvert, il rejoignit ses hommes, prit avec eux le chemin de Plancoët, où l'on savait que le marquis avait quelquefois trouvé un asile. Passant devant la Gourhandais, ils y entrèrent pour boire et se reposer. La fermière, voyant sa cour pleine de soldats, ne perdit pas la tête : prenant son chapelet, elle se met à genoux sur un banc très élevé devant le lit où la Rouerie était couché, s'y penche, obstruant l étroite ouverture, et prévient à voix basse le marquis de ne pas dire un mot ni faire un mouvement. La fatigue de la nuit, le manque d'air avaient augmenté la faiblesse et la pâleur du malade : les gardes nationaux demandèrent avec bruit du cidre et du feu pour allumer leurs pipes ; la femme ne quitta pas son poste.

— Allez dans la cuisine, dit-elle aux soldats, vous y trouverez ma fille ; je ne puis quitter mon pauvre frère Jacques, il est à mourir, il ne parle plus ; il est si pâle qu'on le croirait mort[25].

Les hommes quittèrent la chambre et, après une halte d'un quart d'heure, reprirent le chemin de Plancoët ; dès la nuit venue, on ramenait le marquis à la Guyomarais, où il reprenait, avec Saint-Pierre, la chambre qu'ils avaient précédemment occupée.

Déjà le Dr Taburet était venu deux fois visiter le malade ; à sa troisième visite il le trouva mieux, tout espoir de guérison n'était pas perd[26]. Il indiqua un traitement à son confrère, le chirurgien Morel, qui, résidant à Plancoët, pouvait fréquemment se rendre à la Guyomarais sans éveiller l'attention. Morel veillait auprès du lit jusqu'à une heure avancée de la nuit : il resta même toute une journée en observation[27]. En l'absence des médecins, Mme de la Guyomarais donnait des soins au marquis : celui-ci n'avait d'ailleurs rien perdu de son énergie ; il s'informait des nouvelles, se préoccupant du procès du roi, des tentatives projetées pour sa délivrance : il recevait le fidèle Loisel qui, caché dans les environs, venait souvent conférer avec son maître ; une seule fois, Loisel, qui ne se fixait jamais au château, prit part au repas des domestiques et n'ouvrit la bouche que pour manger, ce qui sembla mystérieux[28].

Le 16 janvier[29], vers le soir, arrivèrent Fontevieux et Chafner. Ce dernier revenait d'Angleterre, où la Rouërie l'avait envoyé vers la fin de décembre M. de la Guyomarais reçut les amis du marquis, les informa de l'état du malade et leur rendit compte des derniers incidents. Chafner, à son tour, ne cacha pas que le bruit courait, à Londres, parmi les royalistes, qu'il s'était glissé, au nombre des conjurés, un traître dont on ignorait le nom ; on y disait ouvertement que la Rouërie attendait le moment d'agir, réfugié dans un château qu'on ne désignait pas, mais qu'on savait voisin de Lamballe et de la Hunaudaye. Quant à Fontevieux, il apportait une terrible nouvelle : le roi avait été mis à mort, le 21 janvier : les journaux parvenus en Bretagne publiaient les détails de l'exécution.

Tous trois, d'un commun accord, convinrent qu'il fallait cacher au marquis ces désastreux événements : leur révélation, dans l'état de fièvre où il se trouvait, ne pouvait qu'aggraver son mal : il s'était bien souvent lamenté sur son inaction forcée, qui compromettait le succès de son œuvre : si la vérité lui était dite, aucune considération ne pourrait le retenir ; son tempérament impétueux, sa nature ardente et loyale le pousseraient à reprendre sa vie errante, à courir chez ses affiliés pour relever leur courage, à quitter surtout une retraite où sa présence mettait en danger ceux qui lui avaient donné asile. Chaque jour, il est vrai, la Rouërie se faisait lire le journal[30] par Saint-Pierre ; on ne pouvait, sans donner l'éveil à son esprit toujours inquiet, manquer à cette habitude ; mais on prévint le domestique et on lui indiqua le passage de la gazette qu'il devait passer sons silence.

Ce soir-là, le marquis reçut Fontevieux et Chafner, qui séjournèrent, après le souper, pendant quelques instants près de lui : il les interrogea avidement ; leurs réponses furent rassurantes : ils se retirèrent après ce court entretien, passèrent la soirée avec la famille dans le salon du rez-de-chaussée : on leur donna la grande chambre située au premier étage, à l'extrémité du corridor, au-dessus du salon[31].

Le marquis ne dormit pas de la nuit : avait-il saisi sur le visage de ses amis quelque trace de leurs angoisses ; s'étonnait-il de leur visite inattendue ; ou peut-être, dans le va-et-vient du château, avait-il perçu, à travers les cloisons, un mot de nature à éveiller son attention ? On l'ignore. Le lendemain pourtant son état ne paraissait pas avoir empiré : il causa tranquillement avec ses amis, attendit patiemment l'heure où ils devaient descendre à la salle à manger pour prendre leur repas : c'était habituellement à ce moment que son domestique lisait à haute voix le journal. A l'heure dite, la gazette fut apportée : Saint-Pierre commença sa lecture. Sans doute, à son attitude embarrassée, ou à l'hésitation du débit, le malade comprit qu'on lui cachait quelque chose. Il interrompit :

— J'ai soif, dit-il, va me chercher à boire ; tu reprendras tout à l'heure[32].

Saint-Pierre, troublé, obéit ; il sort, laissant le journal sur la cheminée, descend au vestibule, entre dans la salle à manger ; à peine en a-t-il ouvert la porte qu'un cri terrifiant retentit au premier étage : on entend le bruit d'une chute, des appels désespérés ; tous se lèvent de table, se jettent dans l'escalier, poussent la porte de la chambre du marquis, et le trouvent se débattant sur le plancher en proie à une exaltation effrayante, les yeux fous, le visage en sang, — il s'était, en tombant, fendu la lèvre inférieure[33], — réclamant, dans son délire, son cheval, ses vêtements, ses armes, hurlant le nom du roi, qu'il voit devant lui, qui l'appelle à son secours et répondant à cette vision sinistre par des cris de rage et de douleur.

Fontevieux, la Guyomarais, Loisel, Saint-Pierre se saisissent du malheureux, le soulèvent malgré sa résistance, le portent sur son lit, où ils le maintiennent de force, tandis que les femmes dépêchent les domestiques à Plancoët et à Lamballe, afin d'en ramener au plus vite Morel et Taburet. Loisel saute en selle, se lance sur le chemin de Landébia, se dirigeant vers Saint-Servan, où habite un médecin de grand renom dans la contrée, appelé Lemasson et qui compte parmi les amis de l'association[34]. En quatre ou cinq heures[35], Loisel parcourt les dix lieues séparant la Guyomarais de Saint-Servan, frappe à la porte du docteur qui monte aussitôt à cheval et, précédé de son guide, prend la route de Châteauneuf : tous deux passent la Rance à Jouvente, coupent la lande de Pleurtuit, traversent Ploubalay, se détournent pour éviter les maisons du bourg de Plancoët, où leur passage pourrait intriguer les patriotes, et arrivent à la Guyomarais avant le jour[36], Taburet et Morel étaient déjà là : le délire n'avait pas diminué, le marquis poussait des cris sans suite, se jetait hors du lit, luttait contre ses amis, dont les efforts parvenaient à peine à le contenir, puis retombait dans une prostration plus effrayante encore que sa fureur : une fièvre cérébrale s'était déclarée[37].

Cette pénible agonie se prolongea pendant deux jours pleins : Taburet et Morel, comprenant leurs soins inutiles, se retirèrent le 29 au matin : Lemasson, sur la prière de Mme de la Guyomarais, ne quitta pas le château et prit à peine quelques heures de repos.

Dans la nuit du 29 au 30, vers trois heures du matin, exténué de fatigue, il s'était jeté sur le lit de M. de la Guyomarais, priant qu'on lui servît une tasse de thé, quand, vers cinq heures, le domestique entra dans la chambre, portant la théière.

— Eh bien ? interrogea le docteur.

— Monsieur est mort[38], fit simplement le domestique.

Le marquis avait rendu le dernier soupir à quatre heures et demie[39], sans avoir repris connaissance.

 

Nul récit ne peut rendre la consternation des habitants de la Guyomarais pendant les heures qui suivirent : ce proscrit, qu'ils avaient aimé et recueilli, était plus compromettant mort que vivant. A quelle autorité déclarer le décès de cet homme que toutes les brigades de gendarmerie cherchaient depuis six mois ? Comment avouer qu'on recélait le corps du fameux rebelle dont la tête était mise à prix ? Et, si on s'abstenait de le faire, où enterrer le cadavre, par quel moyen le faire disparaître ?

Il y eut là, pour M. de la Guyomarais, qui non seulement risquait sa tête, mais aussi celle de tous les siens devenus ses complices, une journée de poignante angoisse. Il fallait cependant prendre rapidement un parti : la maison était évidemment suspecte et exposée, d'un moment à l'autre, à une nouvelle visite domiciliaire.

M. de la Guyomarais proposa d'abord d'attendre la nuit pour porter le corps du marquis dans l'enfeu de la famille au cimetière de Saint-Denoual, paroisse dont dépendait le château ; mais l'annonce qu'un peloton de gendarmes occupait le village fit abandonner le projet[40]. La Hunaudaye offrait ses taillis, presque impénétrables : on pouvait, sans passer à proximité d'aucune habitation, porter le cadavre dans la forêt et l'inhumer au fond de quelque ravin ignoré. Mais cette sorte de profanation répugnait à Mme de la Guyomarais : les loups étaient nombreux dans la Hunaudaye et pouvaient déterrer la dépouille du marquis qu'elle désirait, en des temps plus heureux, déposer en terre sainte.

On s'arrêta donc à un moyen terme : le corps serait enterré dans le petit bois du Vieux-Semis, distant de quelques pas du château et séparé du potager par une douve assez profonde et par la largeur d'une allée de hêtres.

Parmi le personnel du château, nous avons négligé de citer un jeune homme, Thébault de la Chauvinais[41], qui, se destinant d'abord à l'état ecclésiastique, avait été obligé, par suite des événements, de quitter le séminaire : il était entré, en 1791, chez M. de la Guyomarais, en qualité de précepteur des plus jeunes enfants : ce fut lui qui se chargea de creuser la tombe, travail auquel le jardinier Perrin coopéra également[42].

A dix heures du soir Franche[43], Loisel, Perrin et l'instituteur la Chauvinais, pénétrèrent dans la chambre mortuaire ; le Dr Lemasson, qui avait passé toute la nuit au château, aida à mettre nu le cadavre : ils l'enveloppèrent d'un drap de lit et, l'ayant placé sur une civière[44], descendirent l'escalier, portant le lugubre fardeau. Il semble que, pour n'être pas aperçus des domestiques logés dans l'aile gauche du château, ils sortirent le corps par la petite porte qui, sous l'escalier, communique du vestibule au potager : ils évitèrent ainsi de traverser la cour de la ferme. Tout, d'ailleurs, dans la maison, dormait ou paraissait dormir ; ni M. ni Mme de la Guyomarais, pas plus que Saint-Pierre ou Fontevieux, ne se montrèrent.

Les porteurs du corps gagnèrent le milieu du jardin, descendirent dans la douve à un endroit où l'éboulement des terres forme une pente assez douce, et s'engagèrent dans le taillis : il faisait clair de lune[45].

Au bord de la fosse, dans laquelle un lit de chaux avait été jeté, se passa une scène d'une singulière horreur : tandis que la Chauvinais faisait le guet, le Dr Lemasson, qui avait suivi le corps, le dépouilla du drap qui l'enveloppait et, prenant un scalpel, lui lit sur les bras, sur l'abdomen et sur les cuisses de larges incisions dans lesquelles il glissa de la chaux : il espérait ainsi activer la décomposition. On descendit aussitôt le cadavre nu dans la terre, on le recouvrit de la chaux que la Chauvinais avait pris la précaution d'apporter[46] : le sol fut ensuite égalisé et piétiné, et l'on planta sur la tombe, pour en mieux dissimulera la trace, un pied de houx[47]. A minuit, tout était terminé.

Le lendemain, dès l'aube, Mme de la Guyomarais fit appeler Perrin et lui recommanda sur tous ces faits le plus profond silence : les autres serviteurs de la maison ne paraissaient pas s'inquiéter beaucoup de ce qu'était devenu le Monsieur dont ils ignoraient le nom : il semble qu'ils ne conçurent aucun soupçon de sa disparition subite.

M. de la Guyomarais, de son côté, voulut qu'un acte fût dressé de la mort du marquis de la Rouërie : avant le départ de Fontevieux, de Chafner et de Lemasson, il rédigea le procès-verbal dont voici le texte :

Nous, soussignés, Joseph de la Motte de la Guyomarais, Georges de Fontevieux, Chafner, major américain, Masson médecin, certifions qu'Armand-Charles Tuffin, marquis de la Royrie (sic), est mort à la Guyomarais dans la nuit du 29 au 30 janvier 1793, à quatre heures du matin, âgé de quarante-deux ans.

Le 30, vers les dix à onze heures du soir, son corps a été déposé dans le petit bois Vieux Semis, en face le jardin de la Guyomarais.

Pour reconnaître l'endroit, il est placé au milieu de quatre chênes. En face du quatrième, sur la fosse, on a planté un houx, afin de pouvoir un jour transporter ses restes dans l'enfeu de la famille de la Guyomarais ou ailleurs.

La Guyomarais, le trente-et-un janvier 1793.

Joseph DE LA GUYOMARAIS,

Georges DE FONTEVIEUX,

CHAFNER, MASSON, médecin.

 

Ce document, roulé dans une bouteille qu'on cacheta, fut enfoui au pied d'un chêne sur la lisière de la Hunaudaye. Il fut trouvé là, par hasard, en 1835 : l'humidité avait quelque peu atteint le papier : cependant le texte restait lisible, et on put facilement en prendre copie[48].

Fontevieux, Chafner et Le Masson quittèrent la Guyomarais dans la journée du 31. Loisel-Fricandeau était parti dès la veille. Le Masson retournait à Saint-Servan. Fontevieux se chargeait d'annoncer aux Princes la mort du chef de la conjuration, Chafner se rendit à Fougères, afin d'en faire part à Thérèse de Moëlien[49].

Saint-Pierre, le fidèle domestique du marquis, resta donc seul au château : il aida M. de la Guyomarais à faire disparaître les traces du séjour du proscrit : tous deux ouvrirent la valise de cuir noir que la Rouërie ne quittait jamais : ils y trouvèrent la correspondance du comte d'Artois, les pouvoirs donnés au marquis, les commissions en blanc signées des frères du roi et divers reçus des sommes versées à la caisse commune par les affiliés.

Saint-Pierre ne demandait qu'à se dévouer pour expier son crime, disait-il, car, dans sa douleur d'avoir perdu son maître, il s'accusait d'être la cause involontaire de sa mort. Il accepta donc avec joie la périlleuse mission de porter à Desilles les papiers de la Rouërie et l'argent trouvé dans sa ceinture : il partit dans la nuit du 1er février, et les habitants de la Guyomarais reprirent, en apparence tout au moins, l'existence calme qui leur était habituelle.

***

Chévetel, dès son retour de Belgique, avait adressé deux rapports : l'un à la Rouërie[50] pour lui rendre compte de son voyage, l'autre au Ministre pour le mettre au courant de la situation et des projets de la conjuration. Ce rapport, daté du 24 janvier 1793, était à peine envoyé que Chévetel reçut une lettre de Thérèse de Moëlien, inquiète de l'état du marquis, dont elle avait appris la maladie, tout en ignorant encore l'endroit où il s'était réfugié : elle suppliait Chévetel de venir donner des soins à leur ami souffrant, se faisant fort de le faire parvenir jusqu'à lui.

Chévetel fut ravi de l'aubaine : il s'en prévalut auprès des autorités, et, le 1er février, le conseil exécutif provisoire rendait un arrêté enjoignant aux Ministres d'envoyer en Bretagne un corps de troupes qui devait se tenir aux ordres des personnes porteurs des pouvoirs pour arrêter les chefs des conjurés[51].

Ces personnes, on l'a deviné, n'étaient autres que Latouche-Chévetel et Lalligand-Morillon : la collaboration des deux personnages avait donné de trop brillants résultats pour qu'on songeât à leur retirer l'affaire. Ils étaient d'ailleurs indispensables l'un à l'autre, Lalligand ne pouvant agir que sur les indications de Chévetel, et celui-ci se refusant à mettre ostensiblement la main à la besogne.

Le Comité de Sûreté générale leur donna pleins pouvoirs : ils quittèrent Paris ayant en poche l'autorisation de requérir la force armée, de disposer des officiers de police et des magistrats, d'ordonner telles arrestations qu'il leur conviendrait, d'apposer les scellés et de traduire les suspects de leur choix à la barre du tribunal criminel[52]. Et, par une singulière aberration, le Comité livrait cette puissance illimitée, ce droit souverain de vie et de mort à deux hommes en qui il n'avait nulle confiance, puisque, le même jour, il expédiait secrètement à leur suite l'espion Sicard, muni de pouvoirs non moins étendus et chargé, au premier soupçon de trahison, de faire arrêter Chévetel et Lalligand et de se substituer à eux dans l'exécution de leur mission[53].

Si quelque chose prêtait au comique dans le drame que nous racontons, ce serait la méfiance réciproque de ces trois espions : à peine sont-ils arrivés sur leur terrain d'opération que Lalligand, la mort dans l'âme, dénonce au Comité son compère Chévetel ; Sicard soupçonne fortement Lalligand ; Chévetel a peur de tout le monde : il consent à livrer ses amis à l'échafaud, mais il tient à con- server leur estime, combinaison délicate, exigeant bien des ruses et des précautions. Ce brelan de mouchards, n'ayant à la bouche que les mots d'honneur et de conscience, brûlant de s'offrir en holocauste à la patrie, inspirerait plus de mépris que d'horreur sans le tragique dénouement qu'ils surent donner à leurs intrigues.

Le 13 février, Chévetel arrivait à Fougères : là une déception l'attendait : Thérèse de Moëlien, chez qui il se rendit aussitôt, était absente depuis trois jours[54] : il avait espéré apprendre d'elle, ainsi qu'elle le lui avait promis, la retraite de la Rouërie. Il fit part de ce contretemps à Lalligand, qui vint s'installer, en attendant les événements, à l'hôtel du Pélican, à Saint-Servan, où il retrouva son ami Burthe, tandis que Chévetel, un peu déconcerté, allait, le 16, demander asile à la famille Dubuat, dont le château de la Toutenais était tout voisin de celui de Desilles et qui comptait parmi les plus dévoués à la cause royaliste. Pendant ce temps, Sicard courait de Laval à Rennes, explorant le pays à la recherche des deux espions qui l'avaient dépisté au Mans[55].

Le lendemain, Burthe annonça à Lalligand que la municipalité de Saint-Malo venait d'être secrètement avertie de l'arrivée, chez Dubuat, d'un inconnu suspect qu'on soupçonnait être le marquis de la Rouërie. Le lieutenant Cadenne s'était porté sur la Toutenais avec un escadron de gendarmes. Dubuat et sa femme n'avaient pu dissimuler l'effroi que jusque-là, dans différentes perquisitions, ils n'avaient pas laissé entrevoir[56]. Cadenne, les sommant de représenter la Rouërie, ils affirmèrent ne l'avoir point vu, mais ne firent pas difficulté d'avouer que Thérèse de Moëlien venait de quitter la maison avec quelques particuliers indifférents à la chose.

Le 18, à sept heures du matin, Burthe se mit en campagne : il s'agissait de découvrir Chévetel pour lui faire part de l'incident : mais le docteur resta introuvable, et Lalligand commençait à s'inquiéter de sa disparition, quand, le même jour, on lui annonça, au Pélican, un visiteur mystérieux qui refusait de donner son nom : c'était Chévetel en personne, porteur d'intéressantes nouvelles : Depuis deux jours il vivait, cher Dubuat au milieu des conjurés ; l'inconnu, dont l'arrivée avait été signalée à la municipalité malouine, c'était lui-même ; Fontevieux, fixé à Paris, entretenait des relations avec le conventionnel Gamon, qui paraissait acquis au parti de la conjuration ; Loisel, muni d'importantes dépêches à l'adresse des Princes, devait s'embarquer, le soir même, au port du Lapin[57] : il fallait, à tout prix, empêcher son départ et s'emparer de ses papiers... Chévetel ajouta que quarante-huit heures ne se passeraient pas sans que Lalligand apprît de grandes choses ; il n'en voulut pas dire davantage et se retira.

Heureux de faire preuve de son zèle patriotique, Lalligand prévint le lieutenant Cadenne et le fidèle Burthe : avec un peloton de gendarmes ils allèrent s'embusquer au port du Lapin : la nuit était froide et noire, pas un bateau ne se montra, et Loisel ne parut point. Très vexé de l'insuccès de cette expédition périlleuse et parfaitement conduite, Lalligand se prit à réfléchir : les choses lui paraissaient troubles. Admettant à l'honneur de son conseil Cadenne et Burthe, il leur fit part des pénibles impressions que lui causait la conduite de Chévetel : Cadenne, avec la traditionnelle franchise du soldat, répondit qu'à son avis la duplicité du personnage n'était pas douteuse : Burthe opina dans le même sens : d'un commun accord tous trois décidèrent qu'il fallait s'assurer, tout d'abord, de la présence du docteur chez Dubuat : on envoya par là quelques espions ; leurs rapports furent unanimes : Chévetel n'y était pas ; on sut, par contre, qu'à la date du 18 il avait pris à Saint-Malo un passeport pour l'intérieur... Lalligand se sentait joué : les quarante-huit heures étaient écoulées et les grandes choses prophétisées ne s'accomplissaient pas ! La lettre où il confie au Ministre ses appréhensions est d'une naïveté épique : la trahison de Chévetel lui semble odieuse, maintenant que c'est lui, Lalligand, le trahi. Certaines gens jugent ainsi les faits crimes ou vertus, selon qu'ils leur sont nuisibles ou profitables, et notre homme excellait à cette gymnastique de conscience.

Voilà, écrit-il, en style de mélodrame, voilà deux fois vingt-quatre heures écoulées, point de nouvelles de Chévetel ; je vous assure que mes craintes redoublent... Le dépôt de confiance qui réside en moi me fait un devoir de prendre toutes les précautions, soit pour surveiller les intérêts de la République, qui peuvent se trouver compromis par la plus infâme trahison, soit pour mettre ma conduite à l'abri de tout soupçon ; enfin ma position est cruelle : je crains que, Chévetel ne soit pas de bonne foi. Que cette lettre reste entre vous et moi... Que faire de Dubuat ? Son château est publiquement le repaire de tous les coquins ; nous sommes bien tentés, si rien ne paraît d'ici vingt-quatre heures, de le faire arrêter, ainsi que Desilles, son voisin. Nous découvrirons ou la mort ou la trahison[58].

 

Au Ministère, du reste, on s'émouvait assez peu de ces lettres : tout ce qu'écrivait Lalligand, ainsi que la copie des réponses qu'on lui adressait, était expédié à Sicard[59] ; ainsi tenu au courant, celui-ci pouvait exercer sur les deux compères une surveillance efficace ; nous ignorons par qui Sicard, à son tour, était espionné.

Lalligand calomniait Chévetel : celui-ci trahissait ses amis en toute honnêteté ; il s'était fixé chez résilles, à la Fosse-Hingant : là encore il passait pour l'ami dévoué, sûr et de bon conseil. Dès son arrivée, Desilles lui apprit la mort du marquis : le docteur, jouant la comédie du désespoir, voulut interroger lui-même Saint-Pierre, qui, après avoir remis à Desilles les papiers et l'argent apportés de la Guyomarais, était resté à la Fosse-Hingant.

Il le questionne en grands détails sur l'agonie du marquis, sur ses derniers moments, sur l'inhumation[60], s'informant surtout du nom des personnes qui l'ont soigné. Saint-Pierre, en sanglant, raconte tout ce qu'il sait, tout ce qu'il a vu.

— Où donc a été déposé le corps ?

— Le précepteur la Chauvinais et le jardinier Perrin ont creusé une fosse à l'écart, et les restes de Monsieur le marquis y ont été enfouis.

— Dans quel endroit ?

— Je ne le sais pas et n'ai même pas voulu m'en informer, n'ayant pas eu le courage de prendre part à l'inhumation de mon maître.

— Alors nous pourrons être tranquilles, observa Chévetel, la Convention ne saura pas en quel endroit repose notre ami : la Chauvinais et Perrin sont des témoins qui ne nous trahiront pas.

— Hélas ! Monsieur, je suis sûr du précepteur ; mais, si on faisait boire Perrin, j'aurais peur qu'il ne dît tout ce qu'il sait[61].

Chévetel, imposant silence à sa douleur, fit comprendre à Desilles qu'il importait, avant toute chose, de soustraire les papiers du marquis de la Rouerie : on ne pouvait cependant songer à les détruire, car, pour avoir perdu son chef, l'association bretonne n'était pas dissoute ; pêle-mêle, lettres des Princes, reçus d'argent, commissions en blanc, instructions aux comités d'insurrection, furent mis dans un bocal qu'on boucha hermétiquement ; Chévetel aida Desilles à l'enfouir dans le jardin : ils creusèrent un trou profond dans le sixième carré du parterre et y déposèrent le bocal ; quand la terre fut ramenée, ils prirent la précaution de repiquer un rosier sur la place[62].

Cette besogne terminée, Chévetel, sous un prétexte, poussa jusqu'à Saint-Servan, afin de donner à Lalligand ses instructions détaillées[63] : cette fois il ne lui cacha rien, lui indiqua la marche à suivre : Aller à la Guyomarais, enivrer Perrin, le faire parler, exhumer le corps du marquis, emprisonner tout le monde ; puis revenir en hâte à la Fosse-Hingant, saisir le bocal, dont il indiqua minutieusement l'emplacement exact, mettre en état d'arrestation la famille Desilles et Chévetel lui-même, car le misérable tenait à son honneur ! Tel était le plan. Tout étant convenu, le traître regagna placidement la Fosse-Hingant, soupa avec ses amis, passa la soirée avec eux et s'endormit tranquillement sous leur toit. Il n'avait pas perdu sa journée : en quelques heures il venait de donner vingt têtes au bourreau.

***

Lalligand quitta Saint-Servan le lendemain, 24 février ; le soir même, il arrivait à Lamballe. Son inséparable Burthe l'accompagnait. Il se rendit à la municipalité, exhiba ses pouvoirs, requit l'assistance de la force armée, composa sa troupe de toute la brigade de gendarmerie et d'un détachement de la garde nationale[64], en prit le commandement, et, escorté d'un guide, se dirigea en pleine nuit vers le château de la Guyomarais. Il y arriva au petit jour[65].

La cour, la ferme, les avenues furent en un instant remplies de soldats. Lalligand, plein de son importance et parlant en maître, vint frapper à la porte du vestibule, sommant d'ouvrir au nom de la loi. Tous les habitants, réveillés en sursaut, couraient par la maison, s'appelant, effarés ; mais l'espion eut vite mis un terme à ce désordre : à chaque porte intérieure, devant chaque fenêtre de rez-de-chaussée, il posta un de ses hommes en sentinelle, fit occuper par un peloton le potager, en plaça un autre dans le petit bois et défendit qu'on laissât les habitants du château communiquer entre eux autrement qu'à vue[66].

La matinée se passa à reconnaître les gens et les lieux. L'espion cria bien haut qu'il lui fallait le citoyen la Rouërie, mort ou vif, demanda à chacun son nom, parcourut la maison, les écuries, la ferme et les alentours. Il ne tira, du reste, de cette rapide enquête, aucun renseignement : maîtres et serviteurs semblaient absolument de bonne foi et assuraient n'avoir jamais eu connaissance de l'existence du proscrit[67]. Lalligand ne se troubla point : il n'en était qu'au prélude de ses opérations ; dès la nuit il avait expédié sur les routes des estafettes chargées de lui amener le juge de paix du canton de Plédéliac, le médecin Taburet et le chirurgien Morel : il attendait ce renfort avant d'instrumenter.

A une heure de l'après-midi, arrivait le juge de paix accompagné de Taburet, que les gendarmes avaient enlevé de la chambre d'une malade à Saint-Denoual[68]. Ce juge s'appelait Petitbon ; il se piquait de littérature, citait volontiers des petits vers et était certainement d'un caractère jovial, car, bien que les circonstances y prêtassent peu, il trouva l'occasion déplacer quelques plaisanteries. Il se mit, pour Lalligand, en frais d'amabilité, lui trouva un air martial, une figure distinguée, une activité peu commune. Petitbon était en si heureuse disposition que même la nullité de Burthe le séduisit : L'adjoint, écrivait-il, parle peu, observe beaucoup et cache, je crois, de la finesse et de la profondeur sous un extérieur simple : son nom est anglais ; mais, quoique j'affectai exprès d'en prononcer quelques mots, je n'ai pu l'attirer à me répondre : je crois qu'il sait cacher son jeu[69].

Les présentations faites et les compliments échangés, Petitbon et Lalligand s'établirent dans le salon et les interrogatoires commencèrent.

Taburet parut le premier : il parla des soins donnés à Mlle Agathe de la Guyomarais et aussi à un autre malade qu'il ne connaissait point : jamais il n'avait entendu dire que ce malade fût le marquis de la Rouërie ; quant à son signalement, il ne peut l'indiquer que d'une façon très vague : il ignore d'ailleurs absolument quel a été le dénouement de la maladie.

Le jardinier Perrin, appelé ensuite, se montra moins réservé. L'avait-on fait boire ? Cela semble probable, car il parla beaucoup et longtemps, et, même à travers la froideur voulue des termes du procès-verbal, on retrouve dans ses réponses l'obstination et la méticulosité d'un homme ivre. Il commence par déclarer qu'il ne peut donner le signalement du quidam soupçonné d'être le marquis de la Rouërie, attendu que, le sachant malade, il a eu de la répugnance à l'examiner de près. Il l'a vu mort dans la chambre du premier étage, mais il n'a prêté aucune attention à sa figure.

Lalligand, qui soignait sa mise en scène, invita immédiatement Petitbon à quitter le salon et à le suivre à l'étage supérieur : il installa le juge dans la pièce où était mort le proscrit et, persuadé que ce décor influerait sur la suite des interrogatoires, il ordonna de poursuivre l'enquête.

Là, en effet, Perrin devint loquace : il indiqua le lit à rideaux où le marquis avait rendu le dernier soupir, l'autre lit où couchait Saint-Pierre ; expliqua que, s'il était entré dans la chambre, c'était sur l'ordre de M. de la Guyomarais et pour aider le domestique de l'inconnu à porter le corps hors du château ; il raconta ensuite l'inhumation, n'omettant aucune circonstance, ni le concours prêté par le précepteur, ni les recommandations qu'on lui adressa de garder sur ces faits le plus profond silence ; mais il se défendit de pouvoir reconnaître l'endroit où la tombe avait été creusée : il était près de neuf heures du soir quand il cessa de parler.

Interrompant alors la procédure, Lalligand, de crainte qu'à la faveur de la nuit on fît disparaître quelque pièce à conviction, ordonna d'apposer les scellés sur diverses armoires, entre autres sur les immenses placards qui garnissent le fond de la grande chambre où couchaient M. et Mme de la Guyomarais. Cette opération dura près d'une heure.

A dix heures, comparut le chirurgien Morel : Petitbon, durant trois longues heures, le tint sur la sellette, le pressant de questions, entrant dans d'infimes détails sur le traitement appliqué au malade, les soins dont il était l'objet, les personnes qui le servaient... Morel parvint à ne rien répondre de compromettant : Je crois... je ne sais pas... peut-être... voilà tout ce que le juge put tirer de lui.

Mais, au cours de cette interminable nuit, quelle dut être l'angoisse des la Guyomarais : gardés à vue par des soldats, ils se voyaient et ne pouvaient se parler ; on s'imagine, chaque fois que la voix d'un gendarme appelait, du haut de l'escalier, un nouveau témoin, l'émotion qui devait étreindre ce père, cette femme, ces jeunes filles, dont la vie se jouait ; on se représente les regards de l'un à l'autre, les confidences silencieuses, les signes échangés, les encouragements muets adressés à ceux qui montaient vers le juge, les interrogations anxieuses à ceux qui revenaient, et aussi le désordre de cette maison transformée en bivouac, les grandes salles qu'éclairent mal des bougies placées çà et là, les tables encombrées de brocs de cidre, de pain, de pommes, de bouteilles de vin, car il fallut bien nourrir la garnison ; et, vers l'aube, les gendarmes assoupis sur les fauteuils du salon, aux marches de l'escalier, sur les vieux bancs de l'âtre dans la cuisine, et, continuellement, dans les coups de silence qui pèsent sur la maison, le bruit assourdi des interrogatoires et les éclats de voix de Lalligand qui jure, tempête, menace... Il s'est promis de ne pas quitter la place avant d'avoir tout appris, et, sans souci de l'heure, il continue toute la nuit son enquête.

C'est maintenant la Chauvinais qu'on interroge : il ne veut rien dire, prétend ne rien savoir, n'avoir rien vu : il ne s'est même pas aperçu de la visite des médecins ; il ignore si quelqu'un a été malade : au bout d'une heure on le renvoie, et le valet de chambre Henry Robin lui succède : celui-ci dépose avoir servi à la table des maîtres un inconnu qui y mangea quelquefois ; il lui a porté aussi, à deux reprises, des bouillons lorsqu'il était au lit ; il ne sait ce que cet homme est devenu.

Puis vient le tour des autres domestiques, Julien David, Michèle Tarlet, Françoise Gicquel : tous gardent souvenir du séjour de l'étranger, mais ils n'ont aucune connaissance de son nom, ni de l'endroit où il s'est retiré.

On appelle Amaury de la Guyomarais, puis son frère Casimir : le premier sait qu'un étranger, étant probablement des relations de son père, a passé quelques jours au château et qu'il y a été malade ; mais, s'il ne s'y trouve plus aujourd'hui, c'est assurément qu'il est parti. Il certifie, non sans une certaine malice hautaine, que cet étranger n'a manqué d'aucun soin. Casimir se content de répondre non à toutes les questions.

Mais voilà qu'un tumulte se produit dans le corridor : les gendarmes retiennent Perrin, qui a passé la nuit à boire ; il est ivre, il veut parler au citoyen juge ; il demande à compléter sa précédente déclaration : on l'introduit et le malheureux, d'une voix pâteuse, affirme que le prétendu serviteur du marquis de la Rouerie, Fricandeau, est un nommé Loisel, contrôleur des actes à Plancoët, et que le marquis avait avec lui un autre domestique, nommé Saint-Pierre... Il n'en dit pas plus long pour le moment et redescend à la cuisine.

La procédure se poursuit : Agathe de la Guyomarais se refuse à répondre ; malade elle-même et forcée de garder la chambre, elle n'est au courant de rien. Sa sœur Hyacinthe n'est pas interrogée ; une de leurs amies, Mlle de Villepaye, en visite à la Guyomarais depuis une quinzaine de jours, ne fait que passer devant le juge : elle ignore toutes les circonstances du drame et n'a même jamais entendu prononcer le nom de la Rouërie.

Le jour était venu : depuis dix-huit heures Lalligand exaspéré et Petitbon toujours souriant s'efforçaient d'arracher aux prévenus un aveu ou de surprendre dans leurs réponses une contradiction : seul, Perrin avait parlé ; et, maintenant, qu'on interrogeait Mme de la Guyomarais et son mari, Burthe s'occupait à entretenir l'ivresse du jardinier : il s'était attablé près de lui dans la cuisine, lui versait de l'eau-de-vie[70], tout en comptant négligemment des pièces d'or. Perrin, à tout instant, demandait à parler au citoyen juge[71] ; enfin, le voyant à point, Burthe lui offrit cent louis s'il voulait le conduire à la tombe du marquis. Le jardinier le regarda, hébété, comme sous l'impression d'une suprême lutte de sa conscience, mais l'ivresse et la cupidité l'emportèrent :

— Venez, dit-il.

Burthe et Lalligand sortirent avec lui du château : une trentaine d'hommes, gendarmes ou gardes nationaux, les escortèrent, le reste de la troupe conservant ses postes et surveillant les prévenus groupés dans le salon du rez-de-chaussée Perrin traversa la cour de la ferme, et, poussant une barrière, entra dans le bois : Lalligand, Burthe et Petitbon suivaient ; des paysans, attirés par le bruit des événements qui se passaient à la Guyomarais, étaient venus, à l'aube, des fermes voisines, du Bas-Beulay, des Feux-Morins, de Landébia, et regardaient curieusement. Arrivé aux chênes, le jardinier désigna d'un geste le houx qu'il avait lui-même planté sur la tombe.

Il y eut quelques minutes d'hésitation : qui allait ouvrir la fosse ? Lalligand s'adressa à deux paysans[72] qui s'étaient rapprochés : ils consentirent. Pendant qu'ils cherchaient des outils, quatre cavaliers, crottés jusqu'aux yeux, pénétrèrent dans le bois, descendirent de leurs montures, et, fendant le cercle des curieux, marchèrent vers Lalligand qui les regardait, assez surpris : il se remit vite, ayant reconnu deux d'entre eux pour être les citoyens Marjot, administrateur, et Grolleon, procureur-syndic du district de Lamballe, avec qui, l'avant-veille, il avait concerté son expédition : ceux-ci lui présentèrent les autres : d'abord le citoyen Olivier Ruperon, administrateur du directoire du département des Côtes-du-Nord, accouru de Saint-Brieuc, où il avait appris que deux commissaires de la Convention opéraient à la Guyomarais une perquisition ; le quatrième était un étudiant en médecine, le citoyen Carillet, fils d'un chirurgien de Plancoët : la rumeur publique l'avait averti de l'exhumation projetée, et il venait se mettre à la disposition des commissaires. Échange de saluts, poignées de mains, compliments ; Lalligand se déclare heureux du concours qui lui est offert et invite les nouveaux venus à assister à l'exhumation. En ce moment les ouvriers donnaient les premiers coups de pioche ; les préliminaires avaient pris du temps ; il était quatre heures de l'après-midi.

Il serait répugnant d'insister sur certains détails : le procès-verbal d'exhumation est, par lui-même, d'un réalisme si précis que nous devons nous borner à le citer textuellement.

Après quelques coups de pioche, le lit de chaux apparut, et l'on découvrit le cadavre que les hommes sortirent de la fosse et déposèrent sur le sol ; le citoyen Carillet s'approcha.

Le corps, d'après ses observations, avait une taille d'environ cinq pieds et deux pouces et demi, front haut, peu de cheveux de couleur châtain, une barbe brune et fort longue, mais qui se séparait d'avec l'épiderme, de même que les cheveux de la tête ; une bouche enfoncée, menton long, le nez aquilin, sur le sourcil droit une tumeur connue sous le nom de loupe et d'une grosseur d'une noix, une cicatrice à la lèvre inférieure du côté droit, lesdites loupe et cicatrice ayant presque entièrement disparues par la putréfaction. Ledit cadavre, d'une couleur brune et violette ayant une odeur fort fétide et à chaque bras une incision ou taillade longitudinale, des incisions semblables en diverses parties du cadavre ; un bandage en basine sur la jambe annonçait qu'on avait appliqué un vésicatoire : ledit Carillet nous a également fait observer que l'état de décomposition où se trouvait ce cadavre, qui, depuis à peu près vingt jours, était inhumé et recouvert de chaux, n'a pas permis de faire une description exacte et méthodique des viscères, ceux contenus dans le ventre étaient dans l'état du dernier degré de putréfaction. D'après toutes ces observations que nous a faites Carillet, nous susdits commissaire et juge de paix, attendu les inconvénients majeurs qui auraient résulté du transport dudit cadavre étant en putréfaction complète, nous l'avons fait rejeter dans le trou à la profondeur de quatre pieds et recouvrir de terre après en avoir fait séparer la tête à la réquisition du citoyen Lalligand-Morillon, commissaire[73].

 

Lalligand avait son idée.

Depuis plus de trois heures, les membres de la famille de la Guyomarais, gardés à vue par les soldats dans le salon du château, attendaient anxieusement le résultat des perquisitions. A quelques mots échangés entre les gendarmes, ils avaient saisi que Lalligand visitait les alentours de la maison et du jardin ; mais, persuadés qu'aucun d'eux ni de leurs serviteurs n'avait parlé, ils espéraient encore que la tombe du marquis, et, par suite, toute preuve de son séjour à la Guyomarais, échapperaient aux recherches des commissaires : leur confiance s'affermissait en raison de la durée des perquisitions.

Un peu avant cinq heures, ils entendirent le tumulte de la troupe qui se rapprochait : par la fenêtre basse, donnant sur la cour, ils virent Lalligand tourner l'angle du donjon et se diriger vers le château ; les commissaires du département, le juge, le médecin l'accompagnaient ; derrière eux marchaient en désordre les soldats et les gendarmes qui, sur un signe de Burthe, firent halte et se turent.

La porte du salon s'ouvrit ; Lalligand entra et derrière lui les commissaires et quelques curieux ; d'autres s'étaient massés en dehors de la fenêtre que quelqu'un avait poussée et qui se trouva ouverte. Il y eut une sorte de silence, et Lalligand s'avançant vers Mme de la Guyomarais :

— Citoyenne, fit-il, notre mission est terminée : tu persistes à nier que le ci-devant marquis de la Rouërie n'a pas trouvé asile dans ta maison ?

Mme de la Guyomarais, surprise de cette intrusion, hésitait à répondre, cherchant à pénétrer la pensée de l'espion, quand, tout à coup, le groupe massé devant la fenêtre s'écarta et une main jeta dans la chambre un objet boueux, sanguinolent, velu, horrible, qui vint heurter la jupe de Mme de la Guyomarais et roula sur le plancher. La malheureuse poussa un cri de terreur : elle avait reconnu la tête du marquis de la Rouërie ; M. de la Guyomarais, indigné, repoussant les gendarmes qui le gardaient, s'élança pour soutenir sa femme : d'un geste, imposant silence aux ricanements des patriotes :

— Soit, il n'y a plus à nier, dit-il, voilà bien la noble tête de l'homme, qui si longtemps vous a fait trembler.

Et, se tournant vers Lalligand, tout glorieux de son coup de théâtre, il ajouta :

— Vous, Monsieur, vous êtes un lâche et votre action est monstrueuse[74].

Il fut interrompu par les huées des soldats, les sanglots des jeunes filles se pressant autour de leur mère et par le tumulte qui suivit cette horrible scène... La tête du marquis, jetée dans le jardin, y fut ramassée par les gardes nationaux : un d'eux la planta au bout de sa baïonnette et, avec des rires et des chants, la troupe joyeuse suivit l'épouvantable trophée promené dans les avenues et les cours du château[75], tandis que Lalligand faisait subir à M. et à Mme de la Guyomarais un dernier interrogatoire[76] : le père de famille consentit à répondre, espérant assumer sur lui la responsabilité tout entière ; mais l'espion n'était pas homme à lâcher sa proie ; le lendemain, 27 février, le château fut mis au pillage sous prétexte de perquisition ; dans le double fond d'une armoire, on découvrit les effets et la valise vide du marquis de la Rouërie, trois fusils armés et amorcés, prêts à faire feu, des cartouches, des balles, des munitions de toutes sortes, et, ce qui plaisait plus encore à Lalligand, de l'argenterie et des assignats dont il s'empara, les croyant faux, pour les faire vérifier, disait-il. Le linge, les hardes, certains meubles même, furent chargés sur un chariot, et, le 28, vers six heures du soir, toute la troupe reprit le chemin de Lamballe, emmenant ses prisonniers. Mme de la Guyomarais avait obtenu la faveur d'aller en charrette ; son mari, ses fils, Thébault de la Chauvinais, le valet de chambre David et Perrin le dénonciateur suivaient à pied, enchaînés l'un à l'autre[77] Lalligand, Burthe et les commissaires les accompagnaient triomphalement dans les voitures qu'ils avaient tirées des remises. On arriva dans la nuit à Lamballe, et tous les prévenus furent écroués à la Grandmaison.

Agathe et Hyacinthe de la Guyomarais, terrifiées et folles de douleur, restaient seules dans le château vide.

 

Il est demeuré debout, ce pittoresque manoir, intact derrière sa ceinture de douves profondes et de robustes tilleuls, et comme tout effrayé encore, après plus de cent ans, des scènes qu'ont vues ses vieilles pierres.

Au bout de l'avenue s'ouvre la cour, large et légèrement déclive : à droite, le donjon surmontant l'écurie aux râteliers rongés par le temps et polis par le frottement des longes ; en face, l'aile basse où, dans des lits bretons, élevés et clos comme des armoires, couchaient Casimir et Amaury de la Guyomarais ; au fond, la façade du château avec ses hautes mansardes, son toit d'ardoise. Voilà les dalles du vestibule que heurtèrent les crosses des soldats ; à gauche, le salon où roula, sur ce parquet, la tête du marquis de la Rouërie ; à droite, la salle à manger et, plus loin, avec ses lits, ses tables, ses bancs énormes de chêne massif, vieux de deux siècles, l'immense cuisine où Burthe fit boire le jardinier et lui arracha son secret.

Du vestibule part le large escalier à lourde charpente de bois ; c'est par là qu'on descendit, dans cette terrible nuit de janvier, le corps du proscrit ; le drap qui l'enveloppait a frôlé ces murs ; le pas alourdi des porteurs a résonné sur ces marches de chêne ; ils ont posé leur main sur cette rampe... Comme les choses parlent à ceux qui les interrogent ! Comme elles racontent, mieux que le plus éloquent des livres, les drames où elles ont joué un rôle !

Dans le demi-jour tombant des vitres à petits châssis, le couloir du premier étage est sinistre : là s'ouvre la chambre où mourut le marquis, rien n'y a été changé : sur ces poutres du plafond se sont arrêtés ses derniers regards ; à cette place, devant la cheminée, Lalligand posa sa table ; toutes ses victimes, appelées à comparaître, ont franchi, la gorge serrée, le cœur battant, cette porte basse. Au fond de la grande chambre de M. de la Guyomarais est restée l'armoire au double fond qui recélait les armes.

Dans le bois voisin du château, un tertre de pierres qu'un lierre enguirlande recouvre la tombe du marquis que domine une croix de fer, dont les bras portent les hermines de Bretagne et les lis de France. On y a gravé cette inscription :

MARQUIS DE LA ROUËRIE

30 janvier 1793

Le mal qui l'emporta fut sa fidélité !

 

Et, me guidant dans ce tragique décor, va, vient appuyée sur sa canne, alerte encore, la vénérable fille de Casimir de la Guyomarais, presqu'un témoin oculaire, jeune pourtant par la netteté de son admirable mémoire et par l'ardeur de son ressentiment contre l'homme qui s'est institué le bourreau de tous les siens. Depuis près de quatre-vingts ans, elle vit dans cette solitude, se remémorant sans cesse la douloureuse histoire. Assise près de la cheminée de son salon, dans une large bergère, sous le portrait du marquis, — jamais elle ne dit autrement, — avec sa douillette de soie noire, sa petite pèlerine, ses manches étroites et son bonnet de dentelles orné de nœuds tremblants, elle semble un portrait d'aïeule, s'animant pour revivre la lamentable épopée que lui a si souvent contée son père : du bout de sa canne elle indique : — Grand'mère était là ; ma tante Agathe pleurait dans ce coin ; l'homme entra par cette porte... Et, de temps en temps, elle lève vers le portrait du marquis un regard respectueux et presque tendre : celui-là est resté le héros, le chef, l'hôte, celui pour lequel on donnait sa vie. Et la noble dame n'a, pour sa mémoire, qu'indulgence et admiration, étant bien de la race glorieusement obstinée de ces gentilshommes qui restèrent fidèles à la foi jurée jusqu'au sacrifice et jusqu'à la mort.

 

 

 



[1] Il était fils de Joseph-Amaury de la Motte et de dame Françoise le Fruglay.

[2] Le 11 janvier 1763.

[3] Elle était fille de François Micault de Mainville et de dame Guyonne-Jeanne Bathas du Chêne.

[4] Souvenirs et Campagnes du général de la Motte-Rouge.

[5] Souvenirs et Campagnes du général de la Motte-Rouge.

[6] Archives nationales, W, 274.

[7] Le 27 juin 1791, une visite domiciliaire avait eu lieu à la Guyomarais. René-François le Restif et Pierre-Mathurin-Loncle, commissaires du district et de la municipalité de Lamballe, étaient arrivés au château à trois heures et demie du matin, accompagnés d'un détachement de garde nationale et du 36e régiment, commandé par M. de Sainte-Suzanne. On fit une visite très exacte et on découvrit 36 balles, 5 bidons, 1 sac de gros plomb, 1 sac de chevrotine, 2 sacs de plomb royal, 24 pierres à fusil, 1 vieux mousqueton, 3 médiocres fusils de chasse, 1 vieille paire de pistolets, 1 sabre, 1 petit baril et 1 poire à poudre. — Archives nationales, W, 274.

[8] Le marquis n'y passait jamais plus de deux jours de suite. — Souvenirs de 1793 ou la Vérité opposée à des Mensonges (par Casimir de la Guyomarais), Saint-Brieuc, 1888, in-8°.

[9] Recueil de Pièces intéressantes pour l'Histoire de la Révolution. — On montre près de Dinard une grotte, aujourd'hui enclavée dans une propriété particulière, et qui servit, dit-on, de refuge à la Rouërie.

[10] Souvenirs de 1793, par Casimir de la Guyomarais.

[11] La grille qui existe aujourd'hui est de construction récente.

[12] Enquête de René Petitbon, juge de paix du canton de Plédéliac, 25 février 1T93. — Archives nationales, W, 274.

[13] Nous avons indiqué déjà que ce sobriquet désignait Loisel, secrétaire du marquis.

[14] Enquête de René Petitbon.

[15] Le marquis venait, sans doute, de la Fosse-Hingant, car on sut qu'il avait passé les deux nuits précédentes à la Baronnais, près de Dinard, et à la Pichardais, aux environs de Trégon.

[16] Jean-Baptiste Morel, maître en chirurgie à Plancoët, diplômé à Rennes le 4 décembre 1782.

Dans son interrogatoire, le 25 février 1793, Morel confond à dessein les deux malades qu'il a soignés ; mais il est bien certain qu'il fut appelé au chevet de Saint-Pierre, puisqu'il donne. du premier malade qu'il a visité, un signalement qui ne se rapporte pas au marquis : visage rond, peu de barbe, cheveux châtain clair et qu'il ajoute : Je l'ai cru un domestique, parce que je l'ai vu servir une fois à la table du sieur la Guyomarais. — Archives nationales, W, 274.

[17] Interrogatoire de Mm. de la Guyomarais. — Archives nationales, W, 274.

[18] Interrogatoires de H. Robin, de J. David, de Mme de la Guyomarais. — Archives nationales, W, 274.

[19] Charles-Alexis Taburet, médecin à Lamballe, diplômé le 20 mars 1773 à Angers. Liste des Médecins, Chirurgiens et Officiers de santé, dressée en vertu de la loi du 19 ventôse an XI. — Archives nationales.

[20] La maladie de Mlle de la Guyomarais était un prétexte pour faire venir les médecins et ne pas éveiller la curiosité publique. Lettre de Petitbon, juge de paix de Plédéliac. — Archives nationales, W, 275.

[21] Interrogatoire de Morel. — Archives nationales, W, 274.

[22] La famille de la Guyomarais ignora toujours à qui elle était redevable de cet avis elle supposa qu'un vieux gendarme, habitant Saint-Denoual, reconnaissant d'un service que M. de la Guyomarais lui avait rendu, voulut, de cette façon, lui témoigner sa gratitude. — Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[23] Nous empruntons ce dialogue aux souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[24] Portraits de Famille, par le comte de Sainte-Aulaire.

[25] Le marquis lui-même raconta ce fait à M. de la Guyomarais :

J'ai admiré, disait-il, le sang-froid de cette femme qui m'a sauvé de la guillotine ; mais je me sentais mourir faute de pouvoir respirer dans ce lit ; je n'ai jamais autant souffert. — Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

Il y a quelque quinze ans, le même fait a été raconté à Mlle Mathilde de la Guyomarais par la petite-fille de la fermière, qui s'appelait Mme Lemasson.

[26] Interrogatoire de Taburel. — Archives nationales, W, 274. Il est assez difficile de reconnaître, d'après les déclarations des médecins, quelle était la maladie du marquis : une fièvre bilieuse et putride, — une fièvre catarrhale bilieuse, disent-ils tout d'abord : ils diagnostiquent plus tard une fluxion de poitrine.

[27] Interrogatoire de Morel. — Archives nationales, W, 274.

[28] Interrogatoire de Henry Robin. — Archives nationales, W, 274.

[29] C'est la date indiquée par Casimir de la Guyomarais : à en croire le médecin Lemasson, l'arrivée de Fontevieux et de Chafner devrait être portée au 24. — Archives nationales, W, 274.

Il nous faut dire aussi que, d'après Robidou (ouvrage cité), Chafner se trouvait encore à Londres le 25 janvier. Cet auteur donne, en effet, une lettre datée de ce jour, que nous allons reproduire, mais que nous croyons apocryphe, ou qui porte, tout au moins, une erreur de date. On a la certitude, en effet, que Chafner se trouvait à la Guyomarais au moment de la mort du marquis, puisqu'il signa son acte de décès. Or il nous paraît difficile qu'il ait eu le temps de venir de Londres aux environs de Lamballe, du 26 au 29 janvier. Nous préférons donc suivre, de tous pointa, le récit de Casimir de la Guyomarais, témoin oculaire, qui concorde, d'ailleurs, avec des documents dont l'authenticité ne peut être mise en doute. Voici la lettre de Chafner citée par Robidou :

Londres, 25 janvier 1793.

Il y a très peu de jours, mon cher Monsieur, que je suis arrivé à Londres, et dans l'ignorance momentanée où je me trouve de retraite de notre ami commun, je vous écris à l'adresse convenue pour que, sans retard, vous l'arrachiez au plus grand de tous les dangers. J'apprends de la source la plus certaine que le pauvre la Rouërie est vendu ; qu'il va être livré ; et à l'heure où je vous écris, peut-être la Convention a-t-elle mis la main sur notre chef. Le Club de la Constitution de Londres, incessamment en correspondance avec les meneurs révolutionnaires de Paris est parvenu à découvrir l'endroit où se cache Armand. On m'assure que c'est par le gouvernement anglais, qui a tant de voies détournées à sa disposition. Il n'y a pas un moment à perdre. Je sors de voir lord Mara. Je lui ai appris toutes ces turpitudes. Il a gardé le silence, auquel sa position officielle l'obligeait ; mais ce silence lui-même est une preuve. Sauvez la Rouërie ; veillez sur Thérèse et sur nos amis, et puissions-nous tous bientôt venger, les armes à la main, la mort du plus vertueux des rois. J'ai mis mon épée et ma vie de citoyen des Etats-Unis au service de la monarchie française : l'une et l'autre ne lui failliront jamais. Adieu.

CHAFNER.

[30] M. de la Guyomarais était abonné au Mercure et au Patriote Français. — Procès fameux, Désessarts.

[31] Les jeunes filles couchaient à l'étage mansardé ; les fils dans l'aile gauche du château, vis-à-vis le donjon. Je dois ces renseignements à la bienveillance de Mlle Mathilde de la Guyomarais.

[32] Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[33] Interrogatoire de Lemasson. — Archives nationales, W, 274.

[34] Lemasson Joseph, soixante-trois ans, officier de santé, demeurant à Saint-Servan, chemin Laurent. Il était lié avec Dubuat et Vincent. — Archives nationales, W, 274.

[35] Le délire prit le marquis dans l'après-midi, suivant Casimir de la Guyomarais : vers le soir, d'après les interrogatoires de Lemasson, Loisel arrivait chez le médecin.

[36] Interrogatoire de Lemasson. — Archives nationales, W, 274.

[37] Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[38] Interrogatoire de Lemasson. — Archives nationales, W, 274.

[39] Interrogatoire de Lemasson. — Archives nationales, W, 274.

[40] Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[41] Élie-Victor-Alexandre Thébault de la Chauvinais, né à Saint-Igneul, le 1er janvier 1771, fils de noble maître Thébault, sieur de la Chauvinais, avocat au Parlement, et Dlle Marie Lernée.

[42] Interrogatoire de Perrin. — Archives nationales, W, 274. Déposition de la Chauvinais, document communiqué par Mlle du la Guyomarais.

[43] Ce Franche, qui surgit tout à coup dans les dépositions des domestiques, n'est évidemment autre que Chafner, qui aura pris, sans nul doute, pour pseudonyme, pendant son séjour à la Guyomarais, l'anagramme de son nom. Il passait pour être le domestique de Loisel dit Fricandeau.

[44] Interrogatoire de Perrin. — Archives nationales, W, 274. Imposition de la Chauvinais, document communiqué par Mlle de la Guyomarais.

[45] Interrogatoire de Perrin au Tribunal révolutionnaire. — Procès fameux, par Désessarts.

[46] Voici, sur cette inhumation, la curieuse déposition de la Chauvinais, que Mlle de la Guyomarais a bien voulu nous communiquer :

Après la mort de Gasselin, Mme de la Guyomarais me demanda si je ne connaissais pas un endroit où on pût enterrer le cadavre de manière à en dérober la connaissance. Je lui répondis que non : au surplus, on prit le parti de l'enterrer le soir du même jour, dans un petit bois, où je portai la chaux destinée à le consumer, examinant si quelqu'un pouvait nous apercevoir et nous surprendre ; rassuré, je me rendis à la fosse que j'avais commencé à creuser et que le jardinier achevait. Je trouvai là un chirurgien de Saint-Servan, nommé Lemasson, qui fit des incisions aux diverses parties du cadavre, dans lesquelles on versa de la chaux. Ensuite le jardinier Perrin, Loisel, son domestique Franche et moi le descendîmes dans la fosse, le couvrîmes de chaux, ensuite de terre, et plantâmes du houx sur la tombe.

[47] Et non des choux, ainsi que le dit le Bulletin du Tribunal Révolutionnaire.

[48] Renseignement fourni par Mlle Mathilde de la Guyomarais, à qui nous devons la communication de ce précieux document.

[49] Mlle de la Guyomarais assure, pour l'avoir entendu bien souvent affirmer par son père, que Thérèse ne parut à la Guyomarais ni pendant la maladie, ni à la mort de son cousin. Elle n'y est même jamais venue.

[50] Dans son récit, Chévetel fait une allusion discrète à sa correspondance avec le Marquis, correspondance qui, dit-il, n'a pas été inventoriée. Il est singulier, en effet, qu'on n'ait jamais trouvé, dans les papiers des conjurés, une seule des lettres écrites par Chévetel ; mais nous avons déjà insisté sur la crainte qu'il avait de se compromettre et ses mesures de prudence étaient bien prises.

[51] Extrait des registres des délibérations du Conseil exécutif provisoire, du 1er février 1793 :

Sur la communication donnée au Conseil par le Ministre des Affaires étrangères de renseignements qui lui sont parvenus par les agents qu'il a envoyés dans la ci-devant Bretagne, il résulte qu'il existe une conspiration dont les chefs sont connus et ont à leur disposition un certain nombre d'hommes armés prêts à se réunir...

Le Conseil exécutif, considérant qu'il importe de s'assurer de la personne de ces chefs, arrête que le Ministre des Affaires étrangères se concertera avec le Ministre de la Guerre, afin que des troupes marchent vers les lieux où il sera jugé nécessaire, et qu'elles soient à la réquisition des personnes qui seront porteurs des pouvoirs et des ordres pour arrêter les chefs des conjurés

Pour ampliation conforme aux registres :

GROUVILLE.

Archives nationales, W, 274.

[52] Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.

7 février 1793.

Le Comité de Sûreté général et de Surveillance de la Convention nationale, conformément aux pouvoirs à lui donnés par la Convention, donne pouvoir et autorise les citoyens Latouche-Chef tel et Lalligand-Morillon de se transporter dans les divers départements composant la ci-devant province de Bretagne et de s'assurer des personnes et papiers des complices des nommés la Rouerie, Botterel et Fontevieux, aide de camp de Brunswick ; de requérir en conséquence la force publique, pour parvenir à mettre le présent mandat à exécution ; les autorise à se faire assister des juges de paix, des officiers de police et de sûreté pour apposer les scellés sur les papiers de ceux qui seront arrêtés ; de faire procéder en leur présence à l'inventaire des pièces suspectes, en dresser procès-verbal et faire traduire, sous sûre escorte, au Comité de Sûreté générale soit les personnes, soit les pièces des prévenus.

Mêmes pouvoirs donnés par le susdit Comité aux mêmes citoyens, à l'effet de faire mettre en état d'arrestation Armand de la Rouërie, natif de la ville de Rennes, Botterel, procureur général syndic du département d'Ille-et-Vilaine, et Fontevieux, aide de camp de Brunswick, et de se saisir de leurs papiers.

Le tout fait au Comité de Sûreté générale et de Surveillance de la Convention nationale, le 7 février, l'an II de la République française.

Signé : C. BASIRE, François CHABOT, J.-S. ROVÈRE, secrétaire,

INGRAND, RUAMPS, LEGENDRE, P.-J. DUHEM, L. MARIBON-MONTAUT.

Et scellé en marge du cachet dudit Comité.

Pour copie conforme aux originaux étant en nos mains

LALLIGAND-MORILLON.

Pour copie conforme aux originaux étant en nos mains :

LATOUCHE-CHÉVETEL.

[53] Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.

7 février 1793.

Le Comité de Sûreté générale et de Surveillance à la Convention nationale autorise le citoyen Sicard de se transporter dans les départements de la ci-devant province de Bretagne pour surveiller la commission donnée par le comité aux citoyens Latouche-Cheftel et Lalligand-Morillion, le charge d'instruire le Comité des détails journaliers de ce qui se passera pendant cette opération, lui donne le pouvoir de faire mettre en état d'arrestation lesdits Latouche-Cheftel et Lalligand-Morillion dans le cas seulement de trahison ou de prévarication dans la commission dont le comité les a chargés, subrogeant alors le citoyen Sicard à leur lieu et place et l'autorisant à faire toute réquisition à la force armée qu'il jugera nécessaire.

[54] Lettre de Lalligand-Morillon au citoyen Isabeau. — Archives du Département des Affaires étrangères, 1409. D'après le récit de la famille Desilles, Chévetel aurait trouvé à Fougères Thérèse de Moëlien, qui lui aurait appris la mort du marquis. Nous préférons adopter la version de Lalligand, qui est d'accord sur ce point avec les souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[55] Lettre de Sicard au Ministre (3 mars 1793). — Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.

[56] Lettre de Lalligand Morillon au Ministre. — Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.

[57] Le port du Lapin, ou Lupin.

[58] Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.

[59] Lettre d'Isabeau, premier commis des Affaires étrangères, au citoyen Sicard, à Laval, poste restante. Voici, mon cher ami, deux lettres qui doivent te donner non de l'inquiétude, mais de la surveillance. Je joins aux lettres des agents la réponse que je fais à l'un d'eux, de cette manière tu te trouveras absolument au courant. — Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.

[60] Journal de Rennes, 1847.

[61] Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[62] Note écrite en 1812 par un membre de la famille Desilles.

[63] Lettre de Lalligand à Isabeau. Saint-Servan, 23 février 1793. — Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.

[64] Procès-verbal de René Petitbon, juge de paix du canton de Plédéliac. — Archives nationales, W, 274.

[65] Souvenir de Casimir de la Guyomarais.

[66] Lettre de Petitbon, 18 mars 1793. — Archives nationales, W, 275. — J'ignore à qui le juge de paix adressait cette lettre écrite trois semaines environ après, les événements : c'est un récit intime et familier des trois journées passées à la Guyomarais, et Petitbon y a donné bien des détails pittoresques qui n'avaient pu prendre place dans ses procès-verbaux.

[67] Lettre de Petitbon, juge de paix du canton de Plédéliac. — Archives nationales, W, 275.

[68] Lettre de Petitbon, juge de paix du canton de Plédéliac. — Archives nationales, W, 275. Sachant que le Dr Taburet était dans une maison voisine, donnant des soins à la dame Françoise de Font-Lebon, un gendarme se détacha, le captura, l'emmena chez moi. Le temps pressait, nous mangeâmes tous quatre debout, comme les Israélites au temps de Pâques, montâmes à cheval et nous rendîmes à la Guyomarais.

[69] Lettres de Petitbon. — Archives nationales, W, 275.

[70] Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.

[71] Le procès-verbal de Petitbon note qu'à plusieurs reprises Perrin se présenta spontanément pour compléter ses déclarations. — Archives nationales, W, 274.

[72] Deux journaliers habitant la Guyomarais, dit le procès-verbal. C'était, sans doute, des ouvriers de la ferme.

[73] Document communiqué par Mlle M. de la Guyomarais.

[74] Nous avons, pour le récit de ces scènes, résumé les interrogatoires transcrits dans le procès-verbal de Petitbon (Archives nationales, W, 274), en les rapprochant des Souvenirs de Casimir de la Guyomarais et des renseignements que nous a directement communiqués Mlle Mathilde de la Guyomarais.

[75] Quelques personnes ont cherché à connaître le sort de cette tête du marquis de la Rouërie, et leurs investigations sont restées sans résultat, les versions qui circulèrent à ce sujet étant aussi nombreuses que variées. On a prétendu que la tête de la Rouërie fut promenée dans les rues de Lamballe et portée en triomphe à Saint-Brieuc. D'autres ont assuré, et de ce nombre est J.-M. Peigné, l'auteur d'une brochure, Antrain et ses Environs (1861), que nous avons déjà citée, que Chévetel assista en personne à l'exhumation du corps du marquis, et ceci paraît très vraisemblable, quoique gon nom ne soit prononcé dans aucun procès-verbal. Le passeport de Chévetel porte qu'il s'absenta de Saint-Malo pendant deux jours, à la date du 26 et du 27 février, et il pourrait se faire qu'il fût allé, en simple curieux, à la Guyomarais pour jouir de son triomphe.

J.-M. Peigné ajoute ce détail, qui inspire plus de défiance : Chévetel détache la tête du cadavre et la porte à Paris. Nous croyons pouvoir affirmer ce fait, que nous tenons de bonne source. En revenant de la Guyomarais, Chévetel passa par Saint-Malo et coucha dans une maison particulière des environs de la ville ; c'est là que, pendant la nuit, l'indiscrétion d'une servante fit découvrir, dans une valise, la tête du malheureux marquis de la Rouërie.

De la part de Chévetel le fait n'aurait rien de surprenant. La tête du marquis était, assure-t-on, mise à prix, et, en sa qualité de médecin, Chévetel pouvait faire subir à cette pièce une préparation qui la mît en état d'être présentée à qui de droit.

Cependant nous n'acceptons pas cette version, quelque pittoresque qu'elle soit. Casimir de la Guyomarais a laissé sur ce point un témoignage extrêmement précis. Les patriotes de Lamballe, dit-il, jetèrent la tête du marquis de la Rouërie dans un carré de jardin. Mlles de la Guyomarais, n'ayant pas été emmenées avec leurs parents à Paris, une nuit, aidées d'un domestique, soulevèrent une dalle sous l'autel de la chapelle de la Guyomarais : la tête du marquis fut mise dessous. A leur retour la Guyomarais, depuis des années la chapelle était en ruines ; elles firent des recherches sous les décombres et ne retrouvèrent plus la tête du marquis.

Mlle Mathilde de la Guyomarais, en faisant niveler, en 1877, l'endroit où avait été cette chapelle, retrouva la tête du marquis, entière et paraissant bien conservée ; elle tomba en cendres quand on la toucha ; il n'en resta qu'un fragment de l'os frontal, que Mlle de la Guyomarais fit parvenir au comte de la Belinaye, parent du marquis.

[76] Dans le procès-verbal de Petitbon, ces interrogatoires suivent immédiatement ceux des autres habitants du château que nous avons résumés ci-dessus ; seulement ils ne portent plus, comme les précédents, l'indication du jour ou de l'heure. Or ils ont eu lieu le 26 au soir, tandis que les autres étaient de la journée du 25. Entre ces deux séries d'interrogatoires, il y avait eu — les rapports officiels d'Olivier Ruperon et de Lalligand-Morillon en font foi, — un intermède : l'exhumation du corps de la Rouërie. Petitbon ne souffle mot de cette exhumation : Lalligand ne voulait pas que l'on connût à Paris l'odieux moyen dont il s'était servi pour vaincre l'obstiné silence des prévenus. Cette lacune dans une pièce officielle est une nouvelle preuve de la véracité des souvenirs de Casimir de la Guyomarais : si l'exhumation, en effet, avait été faite avec la décence convenable, on n'aurait pas eu besoin d'en taire les détails dans le procès-verbal envoyé à Paris.

[77] Souvenirs de Casimir de la Guyomarais.