LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

PREMIÈRE PARTIE

 

V. — CHÉVETEL.

 

 

Trois jours après la réunion de la Fosse-Hingant, nous retrouvons Chévetel à Paris.

Il était en mesure de rendre à Danton, ainsi qu'il le dit lui-même, un compte détaillé ; mais, toujours prudent, s'il voulait bien parler, il se refusait à écrire sa délation[1] et s'obstina à ne point paraître devant le Comité de Sûreté générale. Comme son concours était indispensable et que lui seul, connaissant individuellement les conjurés, pouvait découvrir leur retraite et assurer leur châtiment, on subit ses conditions.

Danton se chargea d'instruire le Comité qui, le 5 octobre, rédigea lui-même la déclaration de Chévetel et l'adressa à Roland, ministre de l'Intérieur, en l'engageant à ordonner très incessamment tous les ordres et tous les pouvoirs pour déconcerter le complot.

Ici encore, Chévetel souleva une difficulté : c'était de Danton seul qu'il consentait à tenir sa mission ; il ne voulait pas que sa trahison fût ébruitée, et, prétendant se compromettre le moins possible auprès des Bretons, il offrait de jouer, — sous un faux nom, celui de Latouche[2], — le rôle d'indicateur, exigeant la coopération d'un agent d'exécution chargé d'arrêter les victimes qu'il lui désignerait[3]. On passa par où il voulut, et, sur la recommandation de Fabre d'Églantine[4], on lui adjoignit Lalligand dit Morillon[5], qui déjà avait rendu, en Provence, d'importants services du même genre : son principal titre de gloire était d'avoir livré Monnier de la Carré et ses nombreux complices[6].

Jamais l'imagination d'un romancier n'est parvenue à créer figures aussi répugnantes et aussi tranchées que celle des deux personnages qui vont, désormais, occuper la première place dans notre récit. Chévetel et Lalligand, égaux dans l'abjection, avaient de la trahison une conception toute différente : le premier mettant un masque et des gants pour se vautrer dans la boue, travaillant sous un nom supposé, sournois, mielleux, poltron, n'ayant que le courage du baiser de Judas, cachant, même à ceux qui le paient, ses moyens d'action et son but ; le second cynique et vantard, fier de son rôle, exaltant les services qu'il rend, recevant l'argent de toutes les mains, vendant aux gens leur propre tête, jouant au diplomate, au général, au philanthrope avec une verve déconcertante, traitant les ministres de mon cher ami et ne voyant dans l'aventure qu'un commerce lucratif, qu'il gère, d'ailleurs, avec une habileté consommée. Entre ces deux hommes il n'y a qu'un point commun, c'est le mépris que, dès la première heure, ils éprouvent l'un pour l'autre[7].

Lalligand est le type achevé de ces personnages louches pour qui la Révolution fut une carrière : chassé de la gendarmerie après un an de service pour avoir mis en circulation de fausses lettres de change, il fit peu à peu tous les métiers, s'établit marchand de bois, joua du violon dans un théâtre, — c'est là sans doute qu'il se lia avec Fabre, — fut condamné à quinze ans de fer comme faux monnayeur, — nous aurons à revenir sur ce péché de jeunesse, — s'évada de la prison d'Autun, passa en Savoie, d'où il fut expulsé pour crime de rapt, rentra en France dès le début de la Révolution, et, pensant faire oublier son passé, se prononça hautement pour la Cour ; se donna le luxe d'émigrer, reparut à Paris pour offrir au Comité de Défense générale d'enlever les deux fils du comte d'Artois, fut agréé dès le 10 août, servit d'espion à tout le monde[8], et se trouva juste à point pour profiter de l'aubaine que lui valaient l'amitié et l'estime de Fabre d'Églantine. Il accepta avec reconnaissance, jugeant qu'il y aurait en Bretagne de l'argent à gagner. D'ailleurs il était bien vu du nouveau régime, étant le cousin du conventionnel Bazire, parenté dont il se montrait fier[9].

Chévetel et Lalligand quittèrent Paris le 7 octobre[10], voyageant isolément : ce dernier faisait route avec un camarade, nommé Burthe[11], homme à tout faire, qu'il emmenait comme officieux. Il n'y avait pas une heure à perdre, car, bien que la date du 10, proposée par la Rouërie pour un soulèvement général, eût été repoussée par les commissaires de l'association, il était à craindre que le marquis, se passant du consentement de ses amis, ne donnât le signal de l'insurrection et ne prît seul le commandement de ses légions.

Le 9, Chévetel arrivait à Saint-Malo et se faisait immédiatement conduire chez ses amis Desilles à la Fosse-Hingant. Le même jour, Lalligand dont la voiture suivait de près celle de son compère, descendait à Saint-Servan, à l'hôtel du Pélican[12], où, avec Burthe, il s'installa confortablement, chose si rare en ce temps de misère que, dès le premier soir, l'hôtelier Henry conçut des soupçons : des voyageurs faisant tant d'embarras et se donnant de si grands airs ne pouvaient être que des ci-devant : le brave homme prévint la municipalité.

 

La gendarmerie de Saint-Servan était alors commandée par ce lieutenant Cadenne, que nous avons vu déjà accompagnant Hévin et Varin, lors des perquisitions opérées au château de la Rouërie. C'était un officier honnête, esclave de la discipline : il se présenta au Pélican, requit la présentation des passeports, et Lalligand, après les lui avoir montrés, ne put se tenir de lui apprendre, sous le sceau du secret, qu'il était commissaire extraordinaire de la Convention nationale et qu'ils auraient à travailler ensemble. Cadenne alla porter la nouvelle aux municipaux, qui promirent d'être discrets et qui tinrent parole pendant quelques heures[13].

Cependant, Chévetel, confiné à la Fosse-Hingant, ne donnait pas signe de vie, et Lalligand perdait patience. Pour s'entretenir la main, il imagina d'approfondir un peu le patriotisme de son hôte : il manda Henry à sa chambre, et, d'un air de grand mystère, lui confia qu'il était lui, Lalligand, compromis dans diverses intrigues contre-révolutionnaires et qu'il avait grande hâte de passer à l'étranger. Le pauvre aubergiste, sans méfiance, ne fit aucune difficulté d'avouer qu'il s'était déjà employé à faciliter l'émigration de bien des ci-devant dans l'embarras, qu'il s'engageait à lui procurer le passage pour l'île de Jersey, avec laquelle il était en relations constantes, se chargeant des commissions des réfugiés, de l'expédition de leur correspondance et de leurs envois d'argent. L'espion feignit d'accepter l'offre, fit signer à Henry la promesse de la réaliser[14], et envoya l'écrit au Comité de Sûreté générale, en se vantant d'avoir, dès son début, découvert un des principaux agents des rebelles. L'aubergiste fut arrêté et expédié, sous bonne garde, à Paris[15]. Lalligand ne cachait pas, du reste, que, dans cette affaire il avait couru plusieurs dangers.

Il parvint enfin à joindre Chévetel : celui-ci avait passé quatre jours entiers à la Fosse-Hingant, au milieu des chefs de la conjuration : il avait assisté à leurs entretiens ; lui présent, un envoyé de la municipalité de Saint-Servan s'était présenté chez Desilles, annonçant que deux commissaires du pouvoir exécutif étaient arrivés de Paris. Cette nouvelle avait été reçue froidement : tout projet d'insurrection étant définitivement renvoyé au mois de mars prochain, rien, jusqu'à cette époque, ne pouvait prêter au soupçon dans la conduite des conjurés. Il y avait eu, il est vrai, quelques mouvements locaux : certains villages de la lisière du Maine avaient pris les armes ; mais la garde nationale de Laval s'était employée avec zèle à repousser les paysans et avait fait un nombre considérable de prisonniers. L'ordre du marquis était donc d'attendre une occasion plus favorable, et il avait décidé d'envoyer aux Princes deux dé ses amis les plus sûrs pour réclamer de nouveaux subsides. Fontevieux et Chévetel étaient désignés pour cette mission de confiance[16].

Tel fut le récit de Chévetel. Lalligand était d'avis de frapper un grand coup et d'arrêter sur-le-champ les principaux conjurés ; mais l'autre lui représenta qu'un tel esclandre le découvrirait et aurait tout au moins pour résultat de rompre ses relations avec les agents de la Rouerie ; qu'il était préférable de temporiser, la mission qu'il allait remplir auprès des Princes lui donnant plus sûrement l'occasion de servir la République ; qu'au surplus il se faisait fort de décider le comte d'Artois et Calonne à débarquer en Bretagne[17] et qu'une fois ceux-ci tombés dans le piège il serait facile de s'emparer d'eux.

Lalligand, quoique à regret, se rendit à ces bonnes raisons ; il fit ses adieux à Chévetel, qui, le 13 octobre[18], s'embarqua pour l'Angleterre sans difficultés, tous les pécheurs de la côte s'offrant à passer à Jersey ceux qui voulaient émigrer[19].

Lalligand n'avait plus qu'à rentrer à Paris ; mais son retour eût ressemblé à un échec, et il tenait à se rendre important. Que faire cependant à Saint-Servan ? Chévetel lui avait bien recommandé de se tenir coi, dans la crainte de le compromettre, et l'ancien faux-monnayeur se désolait de ne pouvoir mettre à profit les confidences de son associé : celle qui l'avait plus particulièrement alléché concernait une fille du pays, agent zélée de la Rouerie[20], chez qui était déposée une forte somme en faux assignats. Lalligand désirait vivement s'assurer par lui-même de la valeur de ces papiers ; il fit même une tentative dans ce sens, mais il lui fallut agir avec trop de ménagements, et l'entreprise échoua[21].

Il reprit donc à petites journées, et accompagné de Burthe, le chemin de Paris[22], cherchant quelque bon coup à faire en route. Tous deux, arrivés à Laval, furent arrêtés par la garde et conduits à la municipalité. L'espion, obligé de se faire connaître, se confia à un excellent patriote, G... S..., qui lui témoigna une crainte extrême des aristocrates, dont les bandes parcouraient le pays, et se lamenta de n'avoir aucun officier de mérite à mettre à la tête des soldats patriotes. Lalligand, flairant une affaire, lui offrit immédiatement son compagnon Burthe, dont il vanta les talents militaires connus et éprouvés, et celui-ci se voyait déjà commandant en chef l'armée républicaine ; mais l'excellent patriote G... S... éprouva peut-être quelque doute touchant le savoir stratégique du personnage et détourna adroitement la conversation.

Lalligand ne se décourageait pas pour si peu : il trouva instantanément un autre moyen d'exercer les facultés de son officieux : il le fit mettre en prison en lui recommandant de se faire passer aux yeux des détenus dont regorgeaient les cachots de Laval, pour un des brigands pris les armes à la main et d'écouter les confidences de ses compagnons de captivité. Burthe se prêta de bonne grâce à ce nouveau rôle, et Lalligand-Morillon, persuadé qu'il devrait à ce stratagème la révélation d'importants secrets, se dirigea vers Rennes, cherchant aventure[23].

Nous ne le suivrons pas dans toutes ses intrigues ; les comptes rendus qu'il adressait à Lebrun, ministre des Affaires étrangères, à qui était échue, après la démission de Danton, la conduite des événements de Bretagne, ne sont que mensonges, hâbleries, fausses nouvelles : il suffit de noter ses déplacements et de résumer les rapports prolixes qu'il envoyait à Paris dans le seul but de se faire valoir.

Il n'y réussissait pas complètement, à en juger par une note conservée aux Archives des Affaires étrangères et qui est ainsi conçue :

31 octobre 1792.

AFFAIRES DE BRETAGNE. — PIÈCES SECRÈTES

Laisser aller Burthe à Jersey, puisque son voyage a un but utile.

Amuser Morillon.

Et envoyer Sicard avec des instructions sur Saint-Malo et Laval.

Seul moyen de s'assurer de la confiance qu'on doit à Morillon,

Car,

Ou l'affaire existe : il lui faut de grands moyens et une grande confiance,

Ou elle n'existe pas, et alors[24]...

 

Ce qui signifie, si nous comprenons bien ces trop succinctes recommandations, qu'il faut amuser Lalligand-Morillon jusqu'au retour de Chévetel : ils inspirent l'un et l'autre si peu de confiance à ceux qui les emploient qu'on en arrive à se demander si l'affaire de Bretagne existe autrement que dans l'imagination des deux compères ; en attendant qu'on soit fixé sur ce point délicat, on expédiera en Bretagne Sicard, espion de profession pour surveiller Lalligand, espion amateur.

Sicard n'était pas le premier venu : originaire de Toulouse, soldat pendant cinq ans au régiment de Royal-Dragon, puis employé au Comité d'aliénation de l'Assemblée nationale, il fut attaché au Ministère des Affaires étrangères en mars 1792. D'abord secrétaire de la légation de Mayence, il venait d'être chargé d'une mission secrète à Genève, lorsqu'on le proposa pour surveiller les menées louches de Lalligand-Morillon. Il ne nous semble pas qu'il accepta ces fonctions, car les dossiers ne contiennent aucune lettre de lui datée de cette époque[25] et, dès novembre, on le voit en Pologne et en Bohême, espionnant la marche de l'armée russe : arrêté à Prague, il fut emprisonné au Spizberg et reconduit à la frontière[26] : nous retrouverons Sicard dans d'autres circonstances.

Lalligand-Morillon, persuadé qu'il passait pour indispensable, courait de Rennes à Laval, de Laval à Saint-Malo. Il vient un jour sonner à la porte du château de la Fosse-Hingant et se présente à Desilles, dans l'espoir de surprendre quelque secret : il se fait passer pour un ancien officier royaliste blessé en défendant les Tuileries au 10 août[27]. Desilles resta froid et ne se livra point ; mais il indiqua au faux proscrit un moyen sûr de gagner les îles anglaises, facilité dont l'espion profita, non point pour lui-même, mais pour Burthe, qu'il retira des prisons de Laval et qu'il envoya à Jersey. L'expédition ne donna d'ailleurs aucun résultat : Burthe, dont la nullité était parfaite, ne rapporta de Saint-Hélier qu'un renseignement : il y avait appris que les royalistes de Paris achetaient chaque jour 100 livres de pain pour les jeter dans les latrines et, de cette façon, faire naître la famine[28] !

De Rennes, Lalligand se faisait fort de conduire toute l'affaire ; mais il demandait des subsides au Ministre :

Les 6.000 livres que j'ai reçues sont en partie absorbées ; d'ailleurs ce n'est pas dans cette circonstance où il faut ménager l'argent ; il nous sera rendu avec usure dans tous les cas. Je vous supplie, Monsieur, de ne faire appeler au conseil que vous tiendrez sur cette affaire que les personnes qui en ont déjà connaissance, tels que MM. Hérault de Séchelles, Merlin, Zangiacomi, qui a déjà reçu des notes de moi à ce sujet. La moindre indiscrétion me coûterait infailliblement la rie. Ce serait peu de chose, si, en la perdant, j'entraînais avec moi dans la tombe les scélérats qui infectent (sic) ce malheureux pays. Veuillez adresser la réponse que vous voudrez bien me faire à M. Lemoyne, accusateur public, à Rennes[29].

 

Comme il ne reçoit pas d'argent, il revient à la charge quelques jours plus tard :

J'attends depuis le 4 novembre la réponse que vous m'avez fait espérer par le retour du courrier que je vous ai envoyé à cette époque. Il m'est impossible, manquant de fonds, de me soutenir plus longtemps dans ce pays. Tout paraît tranquille et attend le courant d'avril prochain pour se déterminer[30].

Et le Ministre répondait par le retour du courrier :

Je ne vois pas, d'après ce que vous me marquez, d'inconvénients à votre retour à Paris, où il sera plus facile de concerter les moyens de prévoir et de déjouer les complots. Quant à l'homme que vous avez sur les lieux[31], il peut rester jusqu'à ce que je vous ai vu[32].

 

Ainsi prit fin la première mission de Lalligand-Morillon. Il était à Paris le 22 décembre et adressait, à cette date, au ministre Lebrun, un rapport insignifiant sur l'esprit contre-révolutionnaire de la Bretagne[33]. La poursuite des chefs de la conjuration semblait alors une affaire enterrée : le marquis de la Rouërie n'avait pas reparu : beaucoup croyaient qu'il était émigré, ou qu'il avait, tout au moins, renoncé à ses projets.

***

Tandis que son confrère jouait en Bretagne le rôle de la mouche du coche, Chévetel ne perdait pas son temps : en compagnie de Fontevieux, il s'embarqua pour Jersey, où il s'aboucha avec Botherel, et de là gagna Douvres. Cette petite ville était encombrée d'émigrés bretons qui, après la désastreuse retraite de l'armée des Princes en Champagne, avaient pris la mer, espérant aborder en Bretagne et s'engager dans les troupes de la Rouerie, mais que le manque d'argent, la misère, les maladies retenaient en Angleterre[34].

La mission qu'entreprenait Chévetel exigeait une force de caractère peu commune : pendant près de trois mois, il vécut côte à côte avec l'un des plus intimes amis de celui qu'il trahissait ; il ne fréquenta, à Jersey, à Douvres, à Londres, à Liège, que chez des royalistes fanatiques ; il se ménagea plusieurs entrevues avec Calonne ; il fut, à deux reprises, admis en présence du comte d'Artois... et jamais il n'éveilla l'ombre d'un soupçon. Si l'on réfléchit combien il fut astreint, dans les circonstances douloureuses où se trouvaient les émigrés, à des lamentations feintes, à des protestations hypocrites, à des imprécations contre le parti qu'il servait ; si l'on songe que, pendant ces trois mois, il ne put être lui un seul instant ; qu'il dut surveiller ses paroles, sa démarche, l'expression de son visage ; qu'il lui fallut mentir sans trêve, jouer sans faiblir un moment la plus odieuse comédie, on en arrive à penser que cet homme incarnait vraiment le génie de la trahison, car on ne voit guère d'autre exemple d'un rôle aussi répugnant soutenu avec autant de persévérance et d'habileté. Et que n'apprendrions-nous pas si ses dupes avaient parlé ? Nous n'avons, pour le juger, que son propre témoignage : même vu à travers les euphémismes dont il enveloppe sa narration, Chévetel fait horreur.

C'est donc son récit, qu'à défaut d'autre, nous devrons suivre en le contrôlant à l'aide du rapport que, dès son retour, il adressa au ministre Garat. Si ce rapprochement ne nous apprend pas toute la vérité, du moins nous en saurons assez pour juger l'homme en toute conscience, puisque c'est lui-même qui s'accuse et se cloue au pilori[35].

A Douvres, les émigrés bretons firent fête à Chévetel et à Fontevieux : la popularité du marquis de la Rouërie était grande ; on connaissait ses projets, on les approuvait, et ses amis bénéficièrent de l'estime que son ardeur royaliste inspirait à tous : Chévetel apprit là que Galonné avait quitté, à Verdun même, le comte d'Artois et qu'il se trouvait à Londres, fort occupé à faire patienter ses créanciers dont l'âpreté lui causait de grands embarras.

Parvenu à Londres, Chévetel se logea à l'Ours-Blanc et informa aussitôt de son arrivée le secrétaire de Galonné : les lettres de créance dont l'avait muni le marquis de la Rouërie lui ouvrirent toutes les portes. Galonné s'empressa de le recevoir. Le Ministre l'accueillit aimablement ; Chévetel, après les compliments d'usage lui remémora qu'il avait déjà eu l'avantage de se trouver plusieurs fois avec lui chez Mme C..., et Calonne parut, ou du ricins fit semblant de paraître, se rappeler les traits de son interlocuteur. Il lui posa plusieurs questions avec beaucoup d'adresse, lui demanda ce qu'il faisait avant la Révolution, et, quand Chévetel eut répondu qu'il appartenait à Monsieur, il crut remarquer sur la figure de Calonne une impression fâcheuse qui se dissipa promptement[36].

S'il faut en croire Chévetel, l'ancien ministre Louis XVI s'occupait à Londres de la fabrication des faux assignats : il avait déjà fait passer au comte d'Artois une somme de 3 millions en billets de 100 sols, parfaitement imités, et cette ressource avait permis aux débris de l'armée royale de subsister pendant quinze jours. Il faisait imprimer, en outre, des bons de 200 livres qu'aussitôt le tirage terminé on devait expédier au marquis de la Rouërie : en somme, Calonne espérait se trouver bientôt possesseur d'un milliard et demi en papier-monnaie falsifié : il en inonderait la France, dans le double but de solder ainsi ses agents de l'intérieur, — il ne dissimulait pas qu'il en avait soudoyé dans tout le royaume, — et, en second lieu, d'amener, par la propagation de cette masse d'assignats sans valeur, le discrédit sur ceux régulièrement émis par la République.

Il traita Chévetel en ami et ne lui cacha rien de ses espérances.

— Restez à Londres, lui dit-il, venez quelquefois me voir et, quand il en sera temps, je vous ferai passer en Bretagne[37].

Mais il se ravisa et, comme il ne pouvait quitter Londres où ses créanciers l'avaient mis en surveillance, il dépêcha Chévetel vers le comte d'Artois, le chargeant de conseiller aux frères de Louis XVI de tourner désormais toutes leurs vues du côté de la Bretagne et de la Normandie : une Compagnie de navigation hollandaise s'était engagée à transporter les restes de l'armée royale d'Ostende à Saint-Malo ; on était sûr que cette ville se rendrait aux Princes à la première sommation, et l'on serait également maître de la baie de Cancale, du fort de Châteauneuf, et, par suite, du Clos-Poulet[38], qui devait servir de camp retranché aux troupes de la Rouërie, dans le cas, fort improbable, d'un échec.

Chévetel partit pour Liège, où le comte d'Artois l'accueillit dès son arrivée : admis, sur le pied de l'intimité, à la cour aussi précaire que turbulente dont s'entourait le Prince exilé, il fut traité en héros par tous les royalistes, dont le complot breton représentait le dernier espoir ; ses journées se passaient dans les antichambres du Palais épiscopal qu'habitait le comte d'Artois ; il était reçu en audience privée, servait de confident à tout le monde ; comment parvint-il, sans se trahir lui-même, à mener une si vaste intrigue ? Par quel moyen arriva-t-il à tromper tant de gens que le malheur avait dû rendre soupçonneux, à entretenir une correspondance suivie avec la Rouërie, avec Danton, avec Galonné ?— C'est un problème dont il ne nous a pas livré la solution : toujours est-il qu'il apprit bien des choses.

Il assurait plus tard, — et ce fait trouva place dans son rapport au Ministre, — avoir vu vivant et bien vivant chez M. de Vaudreuil[39] le marquis de Favras, pendu trois ans auparavant sur la place de Grève ! Chévetel se laissa conter que, sous prétexte de rendre le supplice plus apparent, on avait donné à la potence une hauteur extraordinaire ; qu'on mit au cou du condamné un collier de fer, réuni à ses pieds par des lanières de cuir, de sorte que la corde ne serra point ; et voilà pourquoi les parents du supplicié s'étaient tant hâté de décrocher le corps et de l'emporter[40].

Pendant les trois semaines qu'il passa à Liège, Chévetel s'occupa à dresser une liste des émigrés qu'il envoya à Danton avec quelques renseignements et quelques détails, note-t-il ingénument : s'il dressait des tables de proscription et de mort, c'était à seule fin de charmer ses loisirs, car le comte d'Artois l'avait invité à ne point quitter la ville avant le retour de Calonne, en l'absence duquel on ne pouvait rien décider. Mais, comme celui-ci ne paraissait pas, comme on apprit bientôt que ses créanciers le gardaient en surveillance à Londres et se refusaient à ce qu'il quittât l'Angleterre, il fallut bien se passer de ses lumières.

Le comte d'Artois reçut donc une dernière fois Chévetel et tous deux tinrent conseil : le Prince approuva pleinement le plan d'insurrection projeté et la date du 10 mars indiquée pour la prise d'armes : il ne refusait pas, en principe, d'aller se joindre aux Bretons quand le moment d'agir serait venu ; mais il ne savait comment s'y prendre pour se séparer de son frère ; et puis, il faudrait obtenir des secours en argent de l'Angleterre, en hommes de Brunswick, et la conduite hésitante de celui-ci restait inexplicable ; si l'on était obligé de se passer de son concours, on attendrait, pour envoyer des régiments en Bretagne, que la Suisse fît son entrée dans la coalition, ce qui ne pouvait tarder.

Telles furent les décisions auxquelles s'arrêta le comte d'Artois ; Chévetel et Fontevieux, qui ne s'étaient point séparés pendant ce voyage de trois mois, n'avaient plus rien à faire à Liège. Fontevieux s'embarqua à Ostende, se chargeant de porter au marquis-de la Rouërie la réponse du Prince ; Chévetel prit congé à son tour et revint directement à Paris, où il rendit compte à Danton du résultat de son ambassade.

 

On était aux derniers jours de 1792 ; si l'entreprise de la Rouerie se trouvait retardée, le succès, en somme, n'en était pas compromis, du moins aux yeux des affiliés, qui, ignorant*la trahison de Chévetel, étaient en droit de se figurer qu'ils avaient lassé la suspicion de leurs adversaires. La campagne prochaine se présentait sous des auspices favorables : on était assuré d'une somme très considérable en assignats ; Botherel tenait prêt, à Jersey, un navire chargé de 1.800 fusils, de 6 pièces de canon et de munitions abondantes ; il disposait de huit bateaux de débarquement et de deux petits corsaires de 200 tonneaux : il avait levé dans l'île une troupe de huit cents hommes, auxquels viendraient se joindre les régiment que Calonne obtiendrait soit de Brunswick, soit de la Suisse ; de plus, on considérait comme étant déjà au pouvoir des insurgés la ville de Saint-Malo et ses forts, qui regorgeaient d'armes et de munitions[41] et dont la garnison était acquise à la cause royale ; enfin le comte d'Artois devait, à l'heure décisive, appuyer de l'autorité de son nom et de sa présence le mouvement projeté : c'était là, réunies, bien des chances de réussite auxquelles venait s'ajouter, comme la plus sérieuse de toutes, l'enthousiaste impatience des paysans de Bretagne qu'on avait peine à contenir et qui, depuis bientôt deux ans, enrégimentés et armés par les soins du marquis de la Rouërie, brûlaient de se lever à sa voix et de le suivre à Paris, afin de délivrer le roi, dont les prêtres réfractaires leur contaient les humiliations et le lent martyre.

Le marquis, d'ailleurs, parcourait incessamment le pays, de Saint-Brieuc à Laval, entretenant cette agitation, ne séjournant pas plus d'un jour au même lieu, et, chose remarquable, comme s'il eût semé la poudre, partout où il passait éclatait la guerre des paysans. Jean Chouan, son fanatique séide, avait monté les têtes de ses concitoyens de Saint-Ouen-des-Toits[42] ; le jour où le curé constitutionnel fit son entrée dans le village, escorté des commissaires du district de Laval venus pour lever des volontaires, il fut reçu par des huées ; la population, tout entière dans la rue, cria : A bas les Patauds, pas d'intrus, pas de volontaires !

Les paysans appelaient Patauds les gardes nationaux de la ville, qui accompagnaient en armes leurs magistrats. L'animosité était grande de part et d'autre, lorsqu'un homme sortit de la foule : c'était Jean Chouan.

— Quand le roi, cria-t-il, demandera que nous prenions les armes, nous marcherons tous, je réponds pour tous ; mais, s'il faut partir pour ce que vous appelez la liberté, vous qui la voulez, allez-vous battre pour elle ! Quant à nous, nous sommes tous au roi, rien qu'au roi.

Cette profession de foi catégorique eut le plus grand succès. Oui, tous au roi ! répondirent d'une seule voix les paysans ; en un instant les commissaires, l'intrus, les gendarmes, les Patauds furent poussés, culbutés, roués de coups, chassés du village et reprirent piteusement la route de Laval[43].

Le soir même, Jean Chouan rassembla les jeunes gens qui l'avaient soutenu : il leur apprit les projets du marquis de la Rouërie et que la contrerévolution était proche :

— Sous peu de jours, dit-il, la Bretagne aura pris les armes et viendra à notre aide ; montrons aux Bretons que les Mainiaux[44] n'ont pas peur. Déjà nos têtes blanches ont chassé un intrus, c'est à nous à ramener les bons prêtres[45].

Et, dès ce jour, on vit, courant la contrée, à la brume, des petites bandes de paysans, guettant les patrouilles de bleus, s'embusquant dans les haies, houspillant les patriotes. Ils allaient, vêtus de la bielle, sorte de veste de couleur sombre, la braie de berlinge noire ouverte aux genoux, laissant le jarret nu et libre ; des guêtres de cuir défendaient leurs jambes contre les broussailles et les ajoncs ; un épais bonnet de laine ou un chapeau à grands bords couvrait leurs longs cheveux. Tous étaient armés : au-dessus de leur épaule la lame d'une faux ou le canon d'un fusil pointait ; quelques-uns portaient la ferte, long bâton servant d'appui pour franchir les haies et les fossés. Leur agilité tenait du prodige ; ni broussaille, ni barrière n'arrêtait un instant leur course ; le premier sobriquet qu'ils reçurent fut celui de bande d'oiseaux[46]. Ils avaient adopté, pour s'appeler, un sifflement particulier qu'on peut orthographier iou, et qui ressemblait assez au cri du chat-huant.

Au cours de cet automne de 1792, une dénonciation parvenue au directoire de Laval signalait Launay-Villiers comme un repaire de conspirateurs. Les gardes nationales de la Baconnière, d'Andouillé et de la Brullatte se portèrent sur le château, qu'elles trouvèrent désert et qu'elles mirent au pillage. Le marquis de la Rouërie, qu'on espérait y trouver, avait disparu. Mais Jean Chouan et ses hommes avaient été prévenus de l'expédition et rejoignirent les Patauds au Bourgneuf : une bataille en règle s'engagea : les bleus étaient bien armés, les paysans n'avaient, pour la plupart, que des faux ; ils se battirent cependant avec tant de rage que les gardes nationaux prirent la fuite en désordre, laissant dix-huit des leurs sur le terrain du combat.

Dans cette première bataille livrée par les royalistes du Bas-Maine, on remarqua, dit un contemporain[47], un fait qui se renouvela plus d'une fois durant la guerre des Chouans et qui semblait ramener au temps des aventures merveilleuses de la Chevalerie. Un homme, inconnu de tous, parut inopinément au commencement de l'action et se mit à la tête des paysans. Agissant en chef, il prend le commandement, donne les ordres, dirige les mouvements, se porte partout où le danger l'appelle, anime les combattants de sa voix et de son exemple et, l'affaire terminée, se retire sans se faire connaître.

Celui qui se montra ainsi dans la journée du Bourgneuf portait le costume des gens du pays ; mais sa tournure, son langage, son brillant fusil de chasse, ses mains que le travail n'avait point brunies, le faisaient assez remarquer. Jean Chouan seul paraissait le connaître ; c'en était assez pour que tout le monde s'empressât de lui obéir[48].

Ainsi le marquis de la Rouërie se faisait la main en attendant l'heure de l'action générale : il chassait le bleu comme jadis, à son retour d'Amérique, il avait chassé le loup dans les bois de Gatines et de Blanchelande Les paysans l'aimaient à cause de sa force et de son audace, et aussi pour sa franchise familière, sa gaîté et ses élans de brusque bonté. Il faisait d'eux ce qu'il voulait et, voyant leur dévouement, quasi bestial, qu'il comparait mélancoliquement aux prudentes tergiversations de quelques-uns de ses amis, il se reprenait à croire au triomphe de sa cause et se voyait déjà, tant son imagination romanesque était prompte aux revirements, entrant en vainqueur dans Paris, à la tête d'une armée de paysans à longs cheveux, à guêtres de cuir, portant la faux sur l'épaule et chantant les vieux airs bretons.

 

 

 



[1] Je rendis à Danton un compte détaillé, mais verbal. — Récit de Chévetel.

[2] Il espérait, grâce à ce pseudonyme, sinon se dissimuler tout à fait, du moins faire naître une confusion sur son véritable état civil ; et, de fait, il est parvenu à dénaturer son nom : tous les historiens l'appellent Lalouche-Cheftel.

[3] L'empressement du Comité et les tergiversations de Chévetel sont corroborés par le texte de cette pièce :

Le Comité de Sûreté générale instruit du complot dénoncé par le citoyen Latouche et dont le Ministre de l'Intérieur (Roland) a connaissance, engage ce Ministre à ordonner très incessamment tous les ordres et tous les pouvoirs pour déconcerter le complot semblable à celui du midy. Le citoyen Morillon peut y être employé, l'intelligence et l'intrépidité qu'il a montrées dans une première opération doit inspirer de la confiance en lui pour cette seconde... Nous envoyons au Ministre de l'Intérieur copie de la déclaration du citoyen Latouche, c'est le Ministre de la Justice (Danton) qui avait connaissance des premières démarches de ce zélé citoyen. Nous répétons que la chose presse, qu'il n'y a pas un moment à perdre.

Ce 5 octobre 1792.

Les membres du Comité de Sûreté générale de la Convention nationale :

Signé : CLAUDE FAUCHET, GOUPILLEAU, MUSSET, INGRAND, BORDAS, DELAUNAY d'Angers et THURIOT.

Le ministre de l'Intérieur n'étant pas chez lui et ne devant pas y rentrer avant la nuit, le comité adresse les citoyens Latouche et Morillon au Ministre de la Justice pour donner des ordres qui ne peuvent pas être retardés.

Pour copie conforme à la minute :

Le Ministre de la Justice,

DANTON.

Archives nationales, W, 274.

[4] Récit de Chévetel.

[5] Né à Autun en 1759.

[6] Lettre de Lalligand du 5 mai 1793. — Archives nationales, F7, 4760.

[7] Voici l'opinion de Chévetel sur Lalligand : Cet homme, que je n'ai jamais vu que quatre à cinq fois, n'était nullement ce qu'on annonce. Il avait servi sous l'ancien régime dans la gendarmerie d'où il fut renvoyé : il fit ensuite tous les métiers : dans une descente qui se fit chez lui (à Autun), on trouva quelques centaines de faux louis avec un balancier et tous les instruments nécessaires à cette fabrication... La première fois que je l'ai vu, il était dans la misère, et, avant qu'il eut obtenu une gratification de la Convention, et lors de son premier retour de Bretagne, Isabeau et moi le trouvèrent un jour chez lui, au milieu des préparatifs d'un somptueux festin : l'opulence avait fait place à la pénurie. — Récit de Chévetel.

[8] Voir Revue rétrospective, juillet-décembre 1889.

[9] Archives nationales, W, 409. Récit de Chévetel. — Chassin, Préparation à la guerre de Vendée, etc.

[10] Premier compte rendu par Morillon. — Archives nationales, W, 274.

[11] Nous n'avons pu recueillir aucun détail biographique sur ce personnage, qui, à en juger par la besogne que lui imposa Lalligand, devait être lié à lui par quelque antécédent resté mystérieux.

[12] L'hôtel existe encore.

[13] Premier Compte Rendu par Morillon. — Archives nationales, W, 274.

[14] Premier Compte Rendu par Morillon. — Archives nationales, W, 274.

[15] Laval, 6 janvier 1793. — Il a dû partir de Saint-Malo un prisonnier nommé Henry, aubergiste à Saint-Servan... convaincu par un arrangement signé respectivement par lui et un Français, qui, d'après le rapport qui m'a été fait, me paraît avoir joué le rôle d'émigré pour lui arracher son secret. — Archives nationales, W, 274.

[16] Premier Compte Rendu par Morillon. — Archives nationales, W, 274.

[17] Recueil de Pièces intéressantes pour l'Histoire de la Révolution, à Paris, de l'imprimerie de Le Rouy, rue de Cléry, n° 97. Ce petit livre rarissime, classé dans les anonymes de la Bibliothèque nationale (La32,696), est bien évidemment de Lalligand lui-même : il y a joint son portrait et celui de son cousin Bazire.

[18] Premier Compte Rendu par Morillon. — Archives nationales, W, 274.

[19] Compte Rendu par Chévetel. — Archives nationales, W, 274.

[20] Très probablement Thérèse de Moëlien.

[21] Premier Compte Rendu, par Morillon. — Archives nationales, W, 274.

[22] Il quitta Saint-Servan le 15 octobre. — Archives nationales, W, 274.

[23] Premier Compte Rendu, par Morillon. — W, 274.

[24] Archives du Département des Affaires étrangères, 1408.

[25] A défaut de Sicard, un autre fut employé à surveiller Lalligand-Morillon ; nous trouvons, en effet, dans un Exposé des mesures prises à l'occasion des troubles de Bretagne, cette indication : Le Ministre des Affaires étrangères fit suivre le citoyen Morillon par un commis de son département qui, à l'insu de Morillon, prit toutes les informations. — Archives du Département des Affaires étrangères, 1408.

[26] Frédéric Masson, le Département des Affaires étrangères pendant la Révolution.

[27] Récit de Chévetel. Il faut observer que la famille Desilles a affirmé que jamais, à cette époque, Lalligand ne s'était présenté à la Fosse-Hingant. — Note écrite en 1812 par un des membres de la famille Desilles.

[28] Rapport de Morillon à Lebrun, 22 décembre 1792. — Revue de la Révolution, t. VII.

[29] Lettre de Lalligand-Morillon au Ministre, 31 octobre 1792. — Archives des Affaires étrangères, 1408.

[30] Archives des Affaires étrangères, 1408.

[31] Burthe.

[32] Archives du Département des Affaires étrangères, 1408.

[33] Archives du Département des Affaires étrangères, 1408.

[34] Il faut lire dans les Mémoires d'outre-tombe la triste odyssée des émigrés bretons échappés au désastre de l'armée royale.

[35] Il est utile de joindre à notre récit le texte même du rapport de Chévetel. Cette pièce se trouve aux Archives nationales, carton W, 214.

Paris, 24 janvier 1793.

MONSIEUR,

Le citoyen Morillon vous ayant rendu compte de la situation de la Bretagne et des motifs qui m'avaient déterminé à entreprendre le voyage que je viens de faire, il me reste à vous communiquer par écrit, comme vous l'avez désiré, les éclaircissements que je me suis procuré tant sur l'affaire de Bretagne que sur les plans combinés des ennemis tant intérieurs qu'extérieurs...

Mon séjour à Jersey me donna le loisir d'observer ce qu'on avait à craindre des habitants et des émigrés qui y sont réfugiés. Les prêtres y sont nombreux et ont conservé leur influence sur les paysans de Bretagne. A Saint-Hélier et à Saint-Aubin, il y en a environ 1.200. Ils catéchisent les matelots et pêcheurs qui abordent dans l'île et les chargent de paquets et de morales chrétiennes pour porter à leurs anciennes ouailles.

Les conseillers, les présidents du ci-devant Parlement de Bretagne, beaucoup de ci-devant privilégiés de cette province, de celle du Maine, du Perche, de Normandie, de l'Anjou, de la Touraine, forment la seconde classe, à la tête de laquelle se trouve l'ancien P. G. S. des états de Bretagne, le sieur de Bothrel ; il est leur agent avoué auprès du chef de la conjuration de Bretagne et auprès du Ministère anglais, qui leur accorde une protection spéciale.

J'avais à mon premier voyage à Jersey, au mois de septembre dernier, fait mettre par le sous-gouverneur de l'île, l'embargo sur 1.800 fusils, 6 pièces de canons avec leurs affûts, 4.000 gargousses, 4.000 boulets et 10.000 cartouches achetés par Calogne (sic) et destinés pour la conjuration de Bretagne. J'ai su du sieur de Bothrel lui-même qu'il avait fait un voyage exprès à Londres et qu'il avait obtenu mainlevée de l'opposition du sous-gouverneur, de sorte qu'aujourd'hui ces armes se trouvent à leur disposition dans un magasin de Saint-Hélier. Ils ont aussi 8 bateaux de débarquement et 2 petits bâtiments de 200 tonneaux. Bothrel me chargea de dire aux Princes qu'il était parvenu à s'assurer près de 800 hommes tant matelots que soldats, pour tenter avec lui et les autres émigrés de se joindre aux mécontents de Bretagne, sitôt qu'il en aurait l'ordre.

Notre Révolution n'a pas séduit les habitants de l'île ; en cas de guerre on les verra appuyer les projets que pourront former les réfugiés pour piller nos côtes. Il existe dans l'île une manufacture de faux assignats ; c'est un fait que je tiens d'un des chefs de l'entreprise.

Les rochers de Chaussée loués à un nommé Pimont de Granville servent d'entrepôt à tous les réfugiés et aux exportateurs de grains.

Rendu à Londres, je trouvai M. de Calogne, qui, sur mes lettres de créance, ne fit aucune difficulté de s'ouvrir à moi sur ses plans. La retraite des armées combinées ont changé les projets ; on fit passer un courrier porteur d'une lettre de Calogne à M. Rouëry, dans laquelle on lui disait qu'il fallait différer de se montrer et qu'on agirait en grand pour la Bretagne dans le mois de mars.

Le résultat des entrevues que nous eûmes avec Calogne fut que nous irions joindre immédiatement les princes ; lui-même devait nous suivre de près, mais les affaires particulières qui lui survinrent l'en ayant empêché, voici ce qui fut arrêté et dont nous fûmes chargés :

1° Annoncer au comte d'Artois (car Monsieur n'est compté pour rien dans toutes ses entreprises) qu'il fallait tourner toutes ses vues du côté de la Bretagne et de la Normandie.

2° De lui répondre d'une Compagnie hollandaise avec laquelle Calogne s'était arrangé pour avoir des bâtiments de transport ;

3° Enfin de montrer la facilité de conserver le Clospoulet, d'y pouvoir subsister et de s'y défendre en cas d'un échec, étant sûr d'avoir Saint-Malo, Cancale et le fort du Châteauneuf aussitôt qu'on le voudrait.

Calogne avait au moins pour un milliard et demi de faux papiers, et il cherchait alors les moyens d'en faire circuler eu France par deux motifs : c'est d'abord qu'il payerait avec les agitateurs intérieurs, et il ne me dissimula pas qu'il en avait à sa solde par tout le royaume, surtout à Paris et en Normandie, et qu'en second lieu cette fausse monnaie se propageant il en résulterait un discrédit de celle de l'Etat. Arrivé à Liège et ayant communiqué au comte d'Artois le projet que nous étions chargés de lui remettre, il nous dit qu'il ne pouvait rien déterminer avant l'arrivée de Calogne, et il ne nous dissimula pas l'état précaire où était son parti. Il envoya le comte de la Palissse à Londres pour hâter l'arrivée de Calogne. Ce fut dans cette intervalle (sic) que j'eus lieu de me convaincre par mes propres yeux chez le vicomte de Vaudreuil que Favras n'était pas mort ; je m'étais aussi procuré à cette époque l'état des cantonnements et la liste des émigrés. Je l'adressai dans le temps avec quelques renseignements et quelques détails au ministre Danton.

Je fus averti au bout de quinze jours que je pouvais me présenter de nouveau chez le comte d'Artois, et ce fut de lui que j'appris qu'il attendait en vain Calogne, arrêté à Londres par ses créanciers. Enfin il me dit qu'il admettait le plan proposé, mais c'est à vous, Monsieur, de décider dans votre sagesse ce que vous croyez utile et convenable de faire.

Paris, le 24 janvier 1793.

CHÉVETEL.

[36] Récit de Chévetel.

[37] Récit de Chévetel.

[38] On appelait ainsi la partie du département d'Ille-et-Vilaine comprise entre Saint-Malo, Cancale et la Rance.

[39] Bazire, dans son rapport à la Convention dit : dans la maison du vieux Broglie.

[40] Compte Rendu par Chévetel. — Archives nationales, W, 274. — Rapport de Bazire à la Convention. Réimpression du Moniteur, XVIII, 45.

Il faut reconnaître que les circonstances de l'exécution de Favras avaient été assez étranges. Voici comment raconte les faits le Dictionnaire encyclopédique de la France, par Ph. Lebas :

Jusqu'au dernier moment Favras concevait l'espoir que sa grâce lui serait accordée. Il avait envoyé un message à Monsieur... il n'en reçut point de réponse. Il fit alors de nouveau quelques aveux ; puis, se résignant enfin, il se rendit au lieu du supplice, monta courageusement à l'échelle et fut pendu à la lueur des flambeaux, à dix heures du soir. Deux heures après, son corps fut rendu à sa famille. Comme il n'était pas encore refroidi, on conçut l'espoir de le rappeler à la vie. Un médecin le saigna ; le malheureux ouvrit les yeux, jeta un soupir et expira.

[41] Situation des places de la République française en bouches à feu, poudres, etc., au 25 août 1792 :

Saint-Malo, 42 canons, 7 mortiers, 11.920 boulets, 1.020 bombes, 41.000 poudres ;

Saint-Malo rade, 61 canons, 16 mortiers, 54.630 boulets, 2.963 bombes, 135.000 poudres ;

Fort Saint-Malo, 20 canons, 2 mortiers, 14.900 boulets, 1.790 bombes, 60.000 poudres.

Fort Saint-Servan, Château du Tureau et Fort de Châteauneuf, les états de ces places n’ont pas été envoyés.

Fort du Petit-Bé, 8 canons, 4 mortiers, 940 boulets, 200 bouches 11.300 poudres.

Archives nationales, DXLV.

[42] Jean Chouan habitait avec sa mère, ses trois frères et ses deux sœurs, une petite closerie, nommée les Poiriers, à une demi-lieue de Saint-Ouen-des-Toits.

[43] Souvenirs de la Chouannerie, par J. Duchemin des Cépeaux.

[44] Saint-Ouen-des-Toits est situé dans le Bas-Maine, près du château de Launay-Villiers, où le marquis de la Rouërie avait vécu pendant trois mois.

[45] Souvenirs de la Chouannerie, par J. Duchemin des Cépeaux.

[46] Souvenirs de la Chouannerie, par J. Duchemin des Cépeaux.

[47] J. Duchemin des Cépeaux.

[48] On a dit que cet inconnu était Gavard ; mais, outre que celui-ci était, nous l'avons dit, un paysan lui-même, il était trop populaire dans le pays du Bas-Maine pour que sa présence pût intriguer les villageois. Ce personnage mystérieux, que Jean Chouan seul paraissait connaître n'était certainement autre que le marquis de La Rouërie.