LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

PREMIÈRE PARTIE

 

I. — UN GENTILHOMME D'AUTREFOIS.

 

 

Le 18 novembre 1766, l'Académie de Musique donnait la première représentation de Silvie[1]. Sophie Arnould interprétait le principal rôle qu'elle abandonna, d'ailleurs, après la troisième représentation, l'ouvrage n'ayant eu qu'un succès tempéré[2]. Elle y fut remplacée par une débutante, Mlle Beaumesnil, jeune actrice de dix-sept ans[3], écrivait Grimm, jolie comme une fleur, quoiqu'elle n'ait pas l'élégance, la grâce et le caractère théâtral de la figure de Mlle Arnould. Et le gazetier ajoutait : Mlle Beaumesnil relève de couches... ainsi c'est une personne des plus formées pour son âge. Je crois que jamais actrice n'a débuté avec autant d'aisance... Elle a eu le plus grand succès : si elle avait paru dans un rôle moins mauvais, elle aurait tourné la tête à tout Paris[4].

Elle tourna du moins celle d'un abonné de l'Opéra, M. de la Belinaye[5]. C'était un gentilhomme breton déjà mûr ; pendant trente ans il avait vécu à son régiment ou dans sa province[6], pestant contre la modicité de sa fortune, qui l'obligeait à la retraite. Gratifié sur le tard d'un héritage considérable, il songea à regagner le temps perdu, fit l'acquisition d'un hôtel, monta luxueusement sa maison et devint l'habitué des lieux de plaisir[7] ; recherchant tous les moyens agréables de dépenser sa fortune et séduit par la jeunesse de Mlle Beaumesnil qu'on disait d'une vertu accessible, il lui offrit sa protection, agrémentée d'une pension mensuelle de mille écus : l'actrice ne se montra point sévère et bientôt rien ne manqua plus à la félicité de M. de la Belinaye.

Il s'était, par surcroît, institué le mentor d'un de ses neveux, Charles-Armand Tuffin de la Rouërie[8], enseigne-drapeau au régiment des Gardes françaises, et il s'appliquait à l'initier aux douceurs de la vie parisienne. Le jeune homme fut élève docile, étant à l'âge où l'on apprend vite : il avait, en effet, lorsqu'il arriva à Paris, dix-sept ans[9], un cœur sensible et généreux, un esprit aimable[10], le regard vif, la figure agréable, quoique peu régulière[11], une tournure avantageuse : encore enfant quand il perdit son père, élevé par sa mère, jeune femme jolie et coquette, il avait reçu une instruction plus brillante que solide, parlait très bien l'anglais et l'allemand, excellait dans la danse[12] ; bref, il aurait été le modèle des enseignes s'il eût su réprimer les emportements de sa nature ardente et exaltée[13]. M. de la Belinaye se chargea de compléter son éducation[14].

A force d'accompagner celui-ci à l'Opéra, de l'entendre vanter la beauté et les charmes de Mlle Beaumesnil, le jeune officier aux Gardes, d'autant plus attentif à ces louanges qu'il ignorait les relations de son oncle avec la chanteuse, se prit à rêver d'elle plus qu'il ne convenait à son imagination inflammable, et il devint irrésistiblement amoureux. Comme il n'était pas homme à se laisser dépérir de langueur, il se présenta, certain soir, après le spectacle, à la loge de la Beaumesnil, qui le congédia sans vouloir l'entendre. Cette défaite exalta son désir : il fit savoir à 1 actrice qu'il était prêt à toutes les folies, et il lui offrit, le plus sérieusement du monde, sa main et son nom, faisant valoir qu'il serait riche un jour, étant le seul héritier d'un certain monsieur de la Belinaye...

La Beaumesnil apprit ainsi que l'amoureux enseigne était le neveu de son protecteur. Soit qu'elle fût bonne fille et n'eût pas d'ambition, soit qu'elle craignît d'échanger une situation assurée contre un avenir aléatoire, elle adressa au jeune officier un sermon quasi-maternel et, sans rien révéler de sa liaison avec la Belinaye, lui représenta qu'un tel mariage compromettrait à tout jamais sa situation dans l'armée et mettrait sa famille au désespoir. Sa conclusion fut qu'elle lui fermait sa porte et lui interdisait de la revoir.

Avec une ténacité d'illusions peu commune, la Rouërie porta ce refus au compte de la vertu et de la délicatesse de sa belle, et son amour s'en accrut. Une nuit, il se dirige, escorté de deux couvreurs, portant une échelle vers la maison qu'elle habite[15] ; elle lui a défendu sa porte, il entrera par la fenêtre, et le voilà escaladant le balcon, frappant aux vitres de l'actrice, qui par hasard est seule. Tout émue, elle consent à le recevoir, car il menace de se jeter sur le pavé si elle s'obstine dans sa rigueur ; mais, dès qu'elle le voit à ses pieds, elle le conjure de s'éloigner, lui avouant qu'un secret est entre eux, que son insistance la perd et que jamais elle ne sera à lui.

L'officier, dont l'affliction est extrême, se laisse pousser dehors et sort par l'escalier dérobé, juste au moment où M. de la Belinaye frappe en maître à la porte de la maison. Il venait de rencontrer dans la rue les couvreurs remportant l'échelle : croyant à quelque incendie, il s'était renseigné et n'avait pas appris, sans inquiétude, que ces braves gens s'en retournaient après avoir prêté assistance à un militaire pour entrer par la fenêtre dans telle maison qu'ils désignèrent. Les soupçons que ce récit fit naître dans l'esprit de la Belinaye se confirmèrent lorsqu'il entra chez sa maitresse : il la trouva fort émue, l'interrogea sévèrement, s'exaspéra de ses réticences, le prit de très haut et, finalement, sortit de la maison en jurant qu'il n'y reparaîtrait jamais.

Le lendemain, il partait pour la Bretagne, où il se confina dans son château, boudant le monde, vivant dans une retraite farouche : il ne fut même pas informé de la disparition de son neveu, qui, le même jour, avait quitté Paris et, d'une traite, avait couru s'enfermer à la Trappe, bien résolu à y finir ses jours.

— Sans doute, mon frère, c'est Dieu que vous cherchez ? lui dit dom Lepé, père portier du couvent, lorsqu'il se présenta.

— Non, répondit brusquement la Rouërie, ce sont les hommes que je fuis[16].

Mais le hasard voulut que le comte de la Belinaye, chassant, quelques jours plus tard, aux environs de Soligny, rencontra les moines du couvent qui travaillaient dans les champs. Il s'approcha de l'un d'eux pour demander son chemin et pensa tomber de surprise... Sous le capuchon de bure il avait reconnu son neveu ! On s'explique ; le jeune homme fait part de ses déboires amoureux : une fille d'opéra l'a repoussé par un scrupule inexplicable.

— Son nom ?

— C'est la Beaumesnil.

La Belinaye comprend : sa maitresse a voulu lui rester fidèle ; un si beau trait enflamme son imagination ; il se reproche son injustice, entraîne le novice, l'emmène à Paris, et tous deux vont se jeter aux genoux de l'actrice et solliciter d'elle le pardon de leurs odieux soupçons[17].

La Beaumesnil, à bout de vertu, pardonna à l'un et à l'autre : l'amoureux officier eut tout lieu de se féliciter de cette absolution, et la Belinaye, sûr à présent de l'attachement de sa maîtresse, citait à tout venant ce cas de fidélité, unique alors dans les Annales de l'Opéra.

 

Cette anecdote n'aurait qu'un assez mince intérêt, si l'un des personnages qu'elle met en scène et qui sera le héros de ce récit ne s'y révélait tel qu'il demeurera au cours de la singulière épopée que nous allons raconter. Armand de la Rouërie restera jusqu'à la fin l'utopiste exalté que nous montre son aventure avec la Beaumesnil : se lançant dans la plus sérieuse entreprise avec une incompréhensible légèreté, emporté d'abord, moins par noble enthousiasme que par besoin d'activité ou amour du romanesque ; à mesure que naîtront les difficultés qu'il n'aura pas prévues, sa ténacité lui tiendra lieu d'expérience, sa folle énergie sera toute sa politique, jusqu'au jour où, dégagé du tumulte de ses irrésolutions, étonné lui-même de la gravité des circonstances et de la grandeur de son œuvre, il tombera, odieusement trahi, vaincu, entraînant ses amis dans sa chute et léguant à son pays de grandioses catastrophes.

La Rouërie est la personnification complète des gentilshommes de l'ancien régime : il résume en lui leurs qualités et leurs défauts, la facilité des mœurs, l'insouciance, la bravoure, la hautaine et naïve imprudence, l'enthousiasme chevaleresque et l'héroïque mépris de la mort.

Ces gens étaient doués d'une étrange souplesse vitale : pour eux l'apprentissage avait été nul, et la tâche fut terrible. Au cours de la tempête révolutionnaire, ils firent preuve d'un courage, d'une fierté, d'un stoïcisme qu'on s'étonne de rencontrer chez des hommes qu'une existence frivole n'avait préparés qu'au plaisir et à la mollesse.

Sous l'influence de Mlle Beaumesnil, la Rouërie devint le plus élégant des mauvais sujets, le plus turbulent des désœuvrés : il maniait, comme Léonard, le fer à papillottes et appointa une fleuriste en renom pour qu'elle lui apprît à faire des bouquets[18] ; il commit l'extravagance de danser en public, avec sa maîtresse, un pas de ballet sur la scène de l'Opéra[19] ; il connut des succès de toutes sortes et des avanies de tout genre ; il eut des querelles, des dettes, des duels, voulut tâter de tout, même du mariage, et demanda la main de la fille d'un gentilhomme breton, Ranconnet de Noyan, son voisin de campagne[20], qui, d'ailleurs, l'éconduisit ; enfin une rencontre malheureuse avec le comte de Bourbon-Busset[21] mit fin au prologue de cette existence mouvementée : la Rouërie blessa grièvement son adversaire, qui, pendant dix jours, passa pour mort. Le roi apprit la chose, — Bourbon-Busset était son cousin[22] ; — dans un mouvement d'humeur, il menaça de faire pendre le turbulent Breton, dont les désordres défrayaient les gazettes. La Rouërie, se sentant perdu, voulut mourir : il absorba une forte dose d'opium, fut secouru à temps, s'enfuit à Genève, d'où il envoya sa démission[23] ; enfin, subitement résolu à racheter par quelque action d'éclat les désordres de sa jeunesse, il revint à la Rouërie, fit ses adieux à sa mère et, accompagné de trois domestiques, s'embarqua pour l'Amérique, où il arriva à la fin d'avril 1777[24]. Il laissait en France un fils naturel, auquel il avait donné son nom et qui reparaîtra au cours de notre récit.

C'est un symptôme bien remarquable que cet enthousiasme de la noblesse française pour la révolution d'Amérique. Il semble que, tout à coup, d'une porte ouverte à l'horizon du vieux monde, soufflèrent des bouffées d'indépendance et de nouveauté, et les gentilshommes, étouffant dans la viable société, où, pourtant, ils avaient toutes leurs aises, se précipitèrent pour aspirer cet air vivifiant qui les enivra. On citait comme admirable ce trait des Américains, faisant fondre la statue de bronze de Georges III pour en fabriquer des canons ; on s'extasiait d'une cloche nouvellement placée dans la tour de Philadelphie, sur laquelle étaient gravés ces mots : J'annonce à la patrie la liberté[25]. C'était de l'engouement plutôt qu'une adhésion mûrement réfléchie ; mais ces impressions superficielles passaient dans le peuple, qui les prenait au sérieux. Ah ! si l'on avait su diriger cette noble ardeur ; si quelque homme de génie et d'action s'était trouvé pour tourner au profit de la France cet enthousiasme de la jeune noblesse, cette généreuse exubérance, ce besoin de dévouement et d'abnégation ! Mais, au lieu d'une ligne politique sagement étudiée, cet amour subit de la liberté n'était, chez ces gentilshommes, qu'un sport dont la vogue s'empara : on vit des officiers d'avenir solliciter du Ministre des congés illimités afin de rejoindre les insurgents ; et, si la permission leur en était refusée, ils rendaient leur épée et s'embarquaient en dépit des ordres de leurs chefs.

Le marquis de la Rouërie fut des premiers à gagner le nouveau monde : il était en Amérique avant même que Lafayette eût quitté la France. Il venait là chercher l'indépendance et les aventures : ni les unes ni l'autre ne lui firent défaut.

Au moment d'aborder, après une traversée de deux mois, le vaisseau qui le portait fut attaqué par une frégate anglaise ; la moitié de l'équipage fut tué, le navire prit feu, la sainte-barbe sauta, tout le chargement fut perdu, et c'est à la nage que la Rouërie aborda, sans un vêtement, avec ses trois domestiques également nus, la terre de la liberté[26].

Pareil incident n'était pas fait pour arrêter un homme de cette trempe : ayant obtenu de Washington l'autorisation de lever une légion, il s'occupa tout aussitôt de recruter des volontaires ; mais les Français étaient assez mal vus alors en Amérique. Les premiers qui s'étaient offerts avaient révolté les indigènes par leurs prétentions et leur hâblerie, et la froideur de l'accueil que reçurent les propositions de la Rouërie avait toute l'apparence d'un congé. Pourtant, comme il était tenace et qu'il voulait se battre, il acheta, moyennant la somme de 2.400 livres, le commandement d'up corps franc qu'avait formé un major suisse, et il se trouva prêt pour l'entrée de la campagne de 1777[27].

Nous ne suivrons pas toutes les péripéties de cette étrange période de sa jeunesse. Il nous suffit, pour le moment, de marquer l'influence que ce roman vécu exerça sur son caractère : le commandement d'une troupe d'irréguliers, la liberté absolue de ses mouvements, la guerre de surprise et de ruses, les nuits passées à l'embuscade, l'attrait du danger, les campements improvisés, cette existence de partisan, sans souci du bienêtre ni du lendemain, sans loi, sans préjugés, sans sujétion, entrait si bien dans ses goûts qu'elle lui valut rapidement la réputation d'un héros, en même temps qu'elle le rendait impropre à se plier désormais aux étroites obligations de la vie européenne. En peu de temps, le nom du colonel Armand, — c'est celui qu'il avait adopté, — devint aussi populaire parmi les insurgents, que le nom de Lafayette. En 1780, le. marquis de Chastelux, au cours de son voyage aux États-Unis, eut l'occasion de dîner chez M. de la Luzerne avec le colonel Armand, cet homme célèbre en France, dit-il, par sa passion pour Mlle B..., et qui l'est, en Amérique, par son courage et sa capacité[28].

La Rouërie plaisait aux indigènes par la simplicité avec laquelle il avait su se plier aux mœurs républicaines ; aux Français, par sa pétulance teintée d'une nuance de mélancolie ; à tous, par son courage héroïque et son indomptable ténacité. La légion qu'il commandait fut détruite en Caroline à la bataille de Cambden ; dès la campagne finie, il passe en France[29], y achète tout ce qui est nécessaire pour armer et équiper de nouveaux partisans ; de retour en Amérique, il en fait l'avance au Congrès[30] et réorganise sa troupe[31]. Au siège d'York, il monte, l'un des premiers, à l'assaut des ouvrages de l'ennemi, et Washington, en récompense de sa valeur, l'autorise à choisir, parmi les plus braves de l'armée, cinquante hommes pour renforcer sa légion ; partout il se dépense, il se bat, il s'expose, recherchant les postes périlleux, se plaisant aux coups d'audace[32], et, quand la guerre est terminée, il séjourne encore en Amérique pour faire valoir auprès du Congrès les services de ses compagnons d'armes déjà rentrés en France : il était parti le premier, il revint le dernier[33], trop tard pour bénéficier de ses services : les promotions sont faites, les gratifications payées, il ne peut rien obtenir et, vite las de solliciter, s'en va bouder à son château de la Rouërie.

Il ne rapportait d'Amérique, outre la croix de Cincinnatus, que 50.000 francs de dettes[34], un ami rencontré au cours de la campagne qu'on nommait le major Chafner, et des opinions égalitaires un peu trop expansives peut-être, qu'il eût mieux fait de dissimuler. C'était, en effet, en 1783, un piètre moyen d'obtenir un commandement que de terminer sa requête ainsi qu'il le faisait : Dans un pays où la naissance donne des droits privilégiés, j'aurais pu, sans vanité et certainement sans attacher une idée bien sérieuse à ce genre de mérite, me mettre sur les rangs avec ceux qui placent leur espoir sur cette base, mais j'ai servi, et c'est à ce titre que je désire obtenir de servir toute ma vie[35].

Il resta donc avec son titre purement illusoire de brigadier général au service des Provinces-Unies, le regret de voir son avenir perdu et sa situation pécuniaire embarrassée[36], et l'obligation de rester oisif dans sa vieille maison de Fougères ou dans son château isolé de Saint-Ouen de la Rouërie : toutes circonstances qui le firent songer au mariage.

Il y avait alors, au bourg de Saint-Brice-en-Coglès, distant d'une lieue et demie du château de la Rouërie, une des plus belles et des plus riches héritières du pays[37]. Son père, le marquis de Saint-Brice[38] était mort ; sa mère se nommait Hyacinte le Prestre de Châteaugiron ; elle-même portait les titres de très haute et très puissante demoiselle Louise-Caroline Guérin, dame marquise de Saint-Brice de Champinel, baronne des baronnies de Sens et de la Chatière, châtelaine des châtelainies de Saint-Etienne, la Fontaine-la-Chaise, Parigné, le Sollier, le Rocher-Portail et autres lieux[39].

Cette belle héritière joignait à toutes ses qualités celle d'être protégée par la reine, qui projetait de la marier au fameux chevalier de Parny[40]. Mais le marquis de la Rouërie se présenta et, après d'assez longues hésitations de la part de Mme de Saint-Brice, — hésitations motivées par le souvenir de la jeunesse désordonnée du soupirant, — il fut agréé[41], et le mariage eut lieu au château de Saint-Brice, le 22 décembre 1785 ; le marquis était assisté de sa mère, de son fidèle Chafner et d'une de ses cousines, Mlle Thérèse de Moëlien de Trojoliff, qu'il affectionnait[42].

L'union ne fut pas heureuse : après trois mois de mariage, la marquise de la Rouërie, dont la santé était délicate, fut prise d'une maladie de langueur. On appela pour la soigner un jeune docteur du bourg de Bazouges-la-Pérouse, nommé Chévetel, fils d'un médecin honorablement connu dans la contrée et dont la réputation était grande[43]. Chévetel avait vingt-sept ans[44] ; il était de figure avenante et se recommandait autant par l'élégance de ses manières que par la distinction de son esprit[45]. Dès l'abord, il plut au marquis de la Rouërie qui, dans l'isolement où il vivait, entre son major américain et sa femme malade, se félicitait de cette relation nouvelle ; il était d'ailleurs de nature aimante et se livrait vite ; en peu de jours Chévetel l'eut conquis : le médecin s'installa au château, y devint le conseiller indispensable, si bien qu'ayant ordonné à la malade les eaux de Cauterets, on n'eut pas de peine à le décider à abandonner sa clientèle pour suivre la marquise aux Pyrénées.

On partit[46] dès que la saison permit d'entre prendre un si long voyage ; Mme de la Rouërie ne le supporta qu'au prix des plus grandes fatigues ; à l'arrivée à Cauterets son état avait empiré ; elle languit pendant quelques semaines et s'éteignit le 18 juillet 1786[47], après six mois de mariage, se croyant, sans doute, victime de quelque accident mystérieux, car, au moment de rendre le dernier soupir, elle supplia qu'on fit après sa mort l'autopsie de son cadavre[48]. Chévetel ne crut pas devoir déférer au désir de la morte, qui fut immédiatement inhumée dans le cimetière de Cauterets.

Ce chagrin venait cruellement s'ajouter aux déceptions dont avait déjà souffert le marquis de la Rouërie : il revint se confiner en Bretagne, désœuvré, sans espoir de reprendre goût à la vie, sans confiance dans l'avenir : il passait des semaines entières à la chasse sur les bords du Couësnon et de la Loysance ; il cherchait à reprendre, dans les landes de sa province, l'existence aventureuse et libre qu'il avait connue aux rives de l'Hudson. On raconte qu'avec son beau-frère, M. de Chasseloir, il venait en chassant, au mépris des lois et à la barbe de la maréchaussée, depuis Fougères jusqu'aux portes de Paris[49] : son caractère frondeur se plaisait à ces extravagances. Ou bien, il s'enfermait durant des mois dans son château, ne recevant que Chévetel, avec lequel il sympathisait chaque jour davantage, et le major Chafner, qui vivait sous son toit, bien décidé à y finir ses jours et à ne jamais revoir l'Amérique.

Mais Armand de la Rouërie était doué de cette impressionnabilité qui permet tour à tour l'abattement et l'exaltation : il suffisait d'une circonstance fortuite pour le rejeter, de la tristesse où il s'enlisait, à l'exubérance qui lui était naturelle. Cette circonstance se présenta : la lutte de la Cour et des Parlements avait eu pour effet d'émouvoir le peuple de toutes les provinces : d'ailleurs, en 4788, l'agitation était partout : l'assemblée des notables, l'impôt territorial, le commerce des grains, la tenue prochaine des États généraux et l'affaire du Collier, la Cour plénière et le Mariage de Figaro, les grands bailliages et Cagliostro, mille autres incidents graves ou futiles étaient l'objet des controverses dans toutes les familles[50].

A peine les édits du 8 mai furent-ils arrivés à Rennes que toute la Bretagne prit fait et cause pour le Parlement. Le jour où l'intendant Bertrand de Molleville se présenta au palais pour y faire enregistrer les ordres du roi, la foule le poursuivit de clameurs méprisantes : elle arrachait la baïonnette aux soldats de l'escorte, et un combat s'ensuivit entre le peuple et la troupe.

Les jeunes gens de la ville s'armèrent : on assurait que les Anglais faisaient passer aux mécontents des munitions et des fusils. Les nobles rédigèrent, sous forme de protestation, une sévère remontrance qui n'était, en réalité, qu'un acte d'accusation véritable contre Brienne et Lamoignon. Ils déclaraient réclamer formellement l'exécution du contrat de mariage de Louis XII et de la duchesse Anne, relativement aux libertés et aux coutumes particulières de la province, reprochant au roi de violer le contrat d'union, grief gros de menaces et qui faisait dire à Versailles : la Bretagne effraie[51].

Le chevalier de Guer, le marquis de Tremargat, jambe de bois, le comte de Bedée, oncle de Chateaubriand, qu'on appelait Bedée l'Artichaut, à cause de son gros ventre, pour le distinguer d'un autre Bedée, long et effilé, qu'on nommait Bedée l'Asperge, faisaient cependant, par leur intransigeance, nombre d'ennemis à l'ordre privilégié : on parlait un jour d'établir une école militaire où seraient élevés les fils de la noblesse pauvre ; un membre du tiers s'écria :

— Et nos fils, qu'auront-ils ?

— L'hôpital ! répartit Tremargat ; mot qui, tombé dans la foule, germa promptement[52].

On pense bien que le marquis de la Rouërie s'était enflammé aux premières nouvelles de ces conflits. Il était accouru à Rennes et se montrait parmi les plus exaltés, et nous croyons ne pas nous tromper en datant de cette époque un duel qu'il eut avec son cousin de Guitton de la Villeberge, lieutenant de vaisseau[53]. Toujours est-il que, lorsqu'il fut question de porter à Versailles les remontrances des nobles bretons, il fut l'un des douze gentilshommes choisis pour cette délicate mission : les autres étaient MM. de la Fruglaye, de Guer, des Nétumières, de Bec de Lièvre, de Montluc, de Trémargat, de Carné, de la Féronnière, de Cicé, de Châtillon et de Bedée l'Artichaut[54].

Ils arrivèrent à Paris le 5 juillet 1788, et le public se montrait curieux de la façon dont le roi recevrait cette indiscrète ambassade : on assurait que dix autres députés les avaient suivis pour leur succéder si le ministre Brienne attentait à la liberté des premiers[55]. Les États de Bretagne s'étaient engagés, de leur côté, à employer tous les moyens pour la défense de leurs représentants et à armer même la province si leurs personnes étaient menacées.

Les douze députés se présentèrent à Versailles et ne furent pas admis : ils se retirèrent en notifiant que, s'ils n'obtenaient pas audience du roi avant un jour qu'ils fixaient, ils retourneraient rendre compte de ce refus à leurs commettants[56]. Sur cette menace ils rentrèrent à Paris, attendant le bon plaisir de Sa Majesté. Le 14 juillet, — date fatidique, — ils offrirent un grand souper à tous leurs compatriotes habitant la capitale : la fête fut animée, comme bien on pense, et les têtes s'échauffèrent : la réunion se termina vers minuit, et MM. les députés bretons rentrèrent chez eux pour y trouver chacun un exempt de la police, porteur d'une lettre de cachet, les invitant, au nom du roi, à venir achever la nuit au château de Bastille. Ils y entrèrent à trois heures du matin, individuellement conduits par un officier major de la garde de Paris et un inspecteur de police[57].

Nous possédons, sur le séjour du marquis de la Rouërie dans la fameuse prison d'État des documents assez curieux concernant le régime imposé aux détenus. Dès le premier jour, le baron de Breteuil mande au major de la Bastille que l'intention du roi est que MM. de Montluc, de la Rouërie, de Chatillon, etc., soient servis chacun par un de leurs domestiques[58]. Trois jours plus tard, c'est l'autorisation de laisser entrer à la forteresse deux cent quarante bouteilles de vin de Bordeaux, que les États de Bretagne envoient à MM. les gentilshommes prisonniers[59]. Leur correspondance est remise fort régulièrement, et on autorise le gouverneur à leur donner plumes, encre, papier, couteaux, ciseaux, montres, promenades, en un mot à faire pour eux tout ce qui est possible[60]. L'un des détenus, M. de la Fruglaye, obtient l'autorisation de recevoir son fils, auquel il est permis de dîner avec son père et de venir, s'il le juge bon, s'enfermer avec lui[61]. Le 21 août, on loue un billard qu'on place dans la chambre du major pour l'amusement de MM. les gentilshommes bretons. Si, comme on l'a dit, la Bastille était le résumé des rigueurs de l'ancien régime, on reconnaîtra qu'elles étaient acceptables : la Révolution, qui détruisit l'antique geôle, se hâta d'en élever vingt autres bien autrement rudes et dont les gardiens se préoccupaient peu de l'amusement des détenus.

Armand de la Rouërie n'eut pas à gémir longtemps dans cette peu farouche prison. Le 25 août, Brienne remettait au roi son portefeuille ; les parlementaires triomphaient. On dit que, le soir de ce même jour, à l'heure où la nouvelle de la retraite du ministre circulait dans Paris, mettant le peuple en liesse, on vit, sur les tours de la Bastille, une lueur s'élever, aussitôt saluée par les cris de joie et les clameurs d'enthousiasme : c'était la Rouërie et ses compagnons de captivité qui illuminaient la vieille forteresse[62]. Ces nobles, on peut le dire, aimaient à jouer avec le feu : ils saluaient l'éveil d'une révolution qui devait être, pour eux tous, une suite ininterrompue de catastrophes, de deuils et de ruines.

Le retour du marquis en Bretagne ressembla à un triomphe : la ville de Fougères s'illumina pour le recevoir. Malheureusement l'allégresse publique fut cause d'un accident regrettable qui termina brusquement la fête : une fusée incendia un groupe de quatre maisons formant l'angle de la Grand'Rue et de la rue de l'Horloger[63]. Ce malheureux événement, que bien des gens accueillirent comme un sinistre présage, ne nuisit en rien cependant à la popularité toujours croissante du châtelain de la Rouërie. Sa conduite pendant la lutte des Parlements et du pouvoir, le souvenir de ses hauts faits d'Amérique, celui même de sa retraite à la Trappe, de ses duels, de ses amours devenues légendaires, contribuaient à mettre en évidence sa personnalité plus sympathique, il faut le dire, aux paysans et au petit peuple qu'à ses pairs de la noblesse. Ses opinions, semblables en cela à celles de bien d'autres gentilshommes, ne paraissent pas avoir été d'une logique parfaite : il était à la fois royaliste et révolutionnaire ; il tenait pour l'ancien régime en réclamant la vieille constitution bretonne, et contre la Cour, en désapprouvant les tendances hostiles à l'esprit philosophique des Parlements. Nous croyons qu'il était, surtout, dévoré d'un besoin d'activité et qu'il recherchait toutes les occasions de luttes et de conflits.

Tel était si bien son état d'esprit que, de retour à son château, il entreprit, pour s'occuper, de transformer l'antique manoir de ses ancêtres en une demeure plus élégante : il commença par tout culbuter[64], la ferme, l'étable, le château lui-même, fit des levées de terre, planta des avenues aboutissant à de vastes carrefours, bâtit de somptueuses écuries[65], peintes à fresques et garnies de râteliers en chêne sculpté : de l'ancien manoir il ne conserva que la chapelle, isolée à l'entrée de la cour[66] et, sur de nouveaux plans, fit élever la vaste habitation, de style un peu froid, qui subsiste encore aujourd'hui : c'est une construction régulière, composée d'un rez-de-chaussée et d'un étage, et que surmontent, sculptées dans un fronton triangulaire, les armes des Tuffin de la Rouërie[67]. Dans le parc, enclos de murs ou de haies, le marquis avait planté quatre tulipiers, rapportés d'Amérique et que le temps a respectés ; une double rangée de tilleuls, encadrant un rond-point en terrasse, termina, du côté du nord, la propriété ; un saut-de-loup permettait à la vue d'errer sur les grands espaces[68], s'étendant jusqu'à la baie lointaine du mont Saint-Michel.

Il ne semble pas que la Rouërie apportât à ces transformations grande persévérance. Il les avait entreprises avec ardeur, mais il se lassa vite, sans doute, car, à l'époque de la Révolution, rien encore m'était achevé[69] ; même une ancienne construction, reste du manoir primitif, demeurait debout accolée aux nouvelles façades du château. Son temps se partageait, d'ailleurs, entre ces travaux, dont il laissa bientôt la surveillance à son intendant Deshayes ou à l'ami Chafner, et de fréquents voyages, à Paris, où Chévetel s'était établi, ayant obtenu par le crédit de son ami[70] une place de médecin des bâtiments dans la maison de Monsieur, comte de Provence. C'est également à cette époque, sans doute, qu'il faut placer une nouvelle passion du marquis, dont fut l'objet Mlle Fleury[71] de la Comédie-Française, alors âgée de vingt-deux ans et qui s'appelait, de son véritable nom, Marie-Florence Nones[72]. Elle avait reçu des leçons de Mlle Clairon et passait pour conserver les traces précieuses de l'ancienne tradition. Elle était, au reste, plus coquette que jolie, affectait, dans son jeu, une sensibilité dégénérant parfois en un accent doucereux et pleureur[73], et n'était pas avare de ses faveurs[74].

La politique vint interrompre les amours du marquis et de la tragédienne. La convocation des États généraux était décidée, et les assemblées provinciales s'occupaient à examiner les candidatures : la Rouërie, prévoyant qu'il y aurait là un rôle à jouer pour un homme batailleur et entreprenant, se hâta de regagner la Bretagne.

La noblesse de la province continuait à bouder : estimant que la convocation n'avait pas été faite selon les lois fondamentales de la constitution bretonne, elle s'était mis en tête de s'abstenir et était à peu près résolue à ne pas se faire représenter aux États généraux. C'était un nouveau déboire pour le marquis de la Rouërie : sans doute estimait-il que son nom, son passé, sa détention récente le désignaient aux suffrages de ses concitoyens, et il voyait avec dépit échapper cette nouvelle occasion de se mettre en valeur. Aux réunions préparatoires de son ordre, il combattit avec emportement pour qu'on procédât à l'élection ; il prit à parti chacun des opposants, s'efforçant de leur démontrer que l'abstention était une faute ; que c'était abandonner au Tiers une influence dont il n'était que trop ambitieux ; que cette désertion isolée ne produirait qu'une impression mesquine, amortie, d'ailleurs, par la grandeur des événements, ce en quoi, sans doute, il raisonnait juste. Comme ceux qu'il prêchait étaient tout aussi bretons que lui et ne lui cédaient point en ténacité, on dédaigna ses conseils, et il lui fallut retourner à la Rouërie planter ses choux[75].

Mais les plantations ne l'amusaient plus. Dans son château inachevé il s'enferma, rongeant son frein, réduit à assister, de loin, en spectateur, aux débuts de la Révolution, n'ayant pour confident de sa rage patriotique et de ses désappointements électoraux que le fidèle Chafner, qu'il idolâtrait et qu'il ne quittait jamais[76], — car il était l'homme des sentiments excessifs. Ce Chafner ne passait pas, cependant, pour un compagnon bien divertissant : D'une famille obscure et pauvre, racontait plus tard Mme de Langan qui l'avait souvent rencontré, il était, à la vérité, bel homme ; j'entendais dire qu'il avait beaucoup d'esprit, mais il fallait le deviner, car il parlait très mal le français, et j'ai toujours pensé que, pour conserver sa réputation d'homme aimable, il faisait bien de ne pas l'apprendre, car on interprétait toujours à son avantage ce qu'on n'entendait pas, et c'était là ce qui lui valait tant de succès[77].

Le marquis vivait, au reste, en mésintelligence avec sa mère, qui, n'ayant pu supporter les écarts de son caractère fantasque, s'était réfugiée à Fougères : il avait, en revanche, recueilli à son château sa cousine Thérèse de Moëlien[78], fille d'un conseiller au parlement de Bretagne. Thérèse, privée de fortune, avait renoncé au mariage : on prétendait qu'elle était la maîtresse de la Rouërie, et, pour la laver de cette accusation, les historiens ont assuré que Mlle de Moëlien était sans beauté. C'est une erreur : tous les témoins oculaires s'accordent, au contraire, à vanter les charmes de son visage et l'élégance de sa démarche[79]. —Je vis, dit Chateaubriand, cette comtesse de Trojoliff[80], qui, cousine et intime amie du marquis de la Rouërie, fut mêlée à sa conspiration. Je n'avais encore vu la beauté qu'au milieu de ma famille : je restai confondu en l'apercevant sur le visage d'une femme étrangère[81]. Il ne faut donc pas la montrer laide dans l'intérêt de sa vertu, qui n'y gagnerait rien. Qu'elle ait eu, ou non, le marquis pour amant, la chose importe si peu à notre récit que nous ne nous y arrêterons pas : il suffit de dire que Thérèse mit contre elle toutes les apparences ; passant la plus grande partie de l'année au château de la Rouërie, que n'habitait aucune autre femme, sortant à cheval en compagnie de son cousin, l'accompagnant dans ses voyages et passant pour lui être entièrement dévouée. De fait, dès qu'il fut né avec elle, la Rouërie se rangea : il ne quitta plus ses terres, suivant, du fond de sa solitude, la marche de la Révolution. Il pestait contre l'oisiveté où il végétait, se lamentant de n'avoir point de part aux événements, estimant que la fortune l'avait dupé. Il avait tâté de tout, bravé les préjugés, passé les mers, combattu pour la liberté ; par amour des aventures, il avait goûté des filles de théâtre, du couvent, de la guerre, de la politique, des prisons d'État ; il s'était marié pour essayer de la vie régulière... toutes ses tentatives avaient avorté, et, alors que chacun, en France, s'enflammait pour ou contre les idées nouvelles et se préparait aux luttes futures, lui seul, que l'inaction consumait, était réduit, par l'injustice du sort, à demeurer inoccupé et à rester témoin oisif et jaloux de l'activité des autres.

Chateaubriand, qui le vit à cette époque, a tracé de lui ce portrait : Je rencontrai à Fougères le marquis de la Rouërie... qui s'était distingué dans la guerre de l'Indépendance américaine. Rival de la Fayette et de Lauzun, devancier de la Rochejaquelein, le marquis de la Rouërie avait plus d'esprit qu'eux : il s'était plus souvent battu que le premier ; il avait enlevé des actrices à l'Opéra comme le second, il serait devenu le compagnon d'armes du troisième. Il fourrageait les bois, en Bretagne, avec un major américain et accompagné d'un singe assis sur la croupe de son cheval. Les écoliers de droit de Rennes l'aimaient à cause de sa hardiesse d'action et de sa liberté d idées ; il était élégant de taille et de manières, brave de mine, charmant de visage et ressemblait aux portraits des jeunes seigneurs de la Ligue[82].

 

 

 



[1] Silvie, opéra-ballet en trois actes avec un prologue, par M. Laujon, musique de MM. Berton et Trial. — Archives de l'Opéra.

[2] L'Académie de Musique donne, à la non-satisfaction du public, l'opéra de Silvie, pastorale froide et compassée qui a été jouée à la Cour en 1765 pendant le voyage de Fontainebleau. — Correspondance de Grimm, janvier 1167.

[3] C'est une erreur : Mlle Beaumesnil avait dix-neuf ans, étant née le 31 avril 1748. Elle se nommait Henriette-Adélaïde Villard. — Archives de l'Opéra.

[4] Sur le portrait de Mlle Beaumesnil, gravé par Vidal, on lit ce quatrain :

Est-ce une Muse, est-ce une Grâce

Qui tient la lyre d'Apollon ?

C'est toutes deux ; Tibulle en instruit le Parnasse,

Et Beaumesnil leur a prêté son nom.

[5] Charles-René, comte de la Belinaye, né le 11 décembre 1735, à Fougères. Entré aux Gardes Françaises, en qualité de gentil homme à drapeaux, le 24 décembre 1744 ; deuxième enseigne, le 23 novembre 1749 ; premier enseigne, le 2 septembre 1753 ; sous-lieutenant, le 5 juin 1757 ; lieutenant, le 5 octobre 1766 ; colonel du régiment de Condé, le 3 janvier 1770. Cette promotion subite nous indique peut-être la date de son changement de fortune et, par conséquent, du début de ses relations avec Mlle Beaumesnil. — Archives du Ministère de la Guerre.

[6] La terre de la Belinaye est voisine de Montours, dans les environs de Fougères.

[7] Le récit des aventures amoureuses de la Belinaye se trouve dans la 2e édition du Dictionnaire des Anecdotes historiques de l'Amour depuis le Commencement du Monde, Troyes, 1811, t. VII, p. 223 et suiv. On y rencontre bien des détails de pure fantaisie ; nous n'en retenons que ce qui concorde avec des témoignages moins apocryphes.

[8] En Bretagne le nom se prononçait et se prononce encore la Rouarie. On écrit ordinairement la Royrie ou la Rouairie. Nous adoptons cependant l'orthographe des pièces officielles.

[9] Extrait des registres de la paroisse de Saint-Léonard-de-Fougères, diocèse de Rennes, province de Bretagne :

Armand-Charles, fils légitime de messire Anne-Joseph-Jacques Tuffin, chevalier, seigneur comte de la Rouërie et de dame Thérèse de la Belinaye, ses père et mère, né du jour d'hier, a été baptisé ce jour, 14 avril 1750. Parrain messire Armand-Magdeleine de la Belinaye, chevalier, seigneur comte dudit lieu ; marraine dame Bonne-Charlotte de Pont-Farcy, marquise de Bois-Février, qui ont signé. La cérémonie faite par vénérable et discret messire Maurice Frain de la Villegontier, prêtre, docteur de Sorbonne et prieur de la chapelle du château. — Archives du Ministère de la Guerre.

[10] Notes inédites de Mme de Langan de Bois-Février, publiées par M. le vicomte le Bouteiller. — Journal de Fougères. 1892.

[11] Récit de Chévetel.

[12] Récit de Chévetel.

[13] Notes de Mme de Langan de Bois-Février.

[14] La Rouërie fut mis très jeune au régiment des Gardes, sous la surveillance d'un de ses oncles, qui était peu digne de le guider et dont l'exemple contribua à l'entraîner dans des égarements vers lesquels sa nature ardente et exaltée ne le portait que trop. — Notes de Mme de Langan de Bois-Février.

[15] L'Almanach des spectacles nous indique les logements successifs de Mlle Beaumesnil : rue Traversière, quartier Saint-Honoré, de 1768 à 1770 ; en 1771, rue de Mousseaux, faubourg Saint-Honoré. Elle revient rue Traversière de 1772 à 1777 ; enfin on la trouve, en 1780, à la Chaussée d'Antin.

[16] Biographie bretonne, par Levot.

[17] Voici comment Bachaumont raconte cette aventure, à la date du 3 janvier 1777 : Un jeune officier aux Gardes, nommé M. de la Belinaye de la Roirie, est devenu éperdument épris de Mlle Beaumesnil de l'Opéra et l'a enlevée à son oncle, qui l'entretenait. Non content de cet exploit, il a voulu se lier à elle d'un nœud indissoluble et l'épouser. L'actrice s'y est refusée généreusement, en lui faisant sentir l'éclat scandaleux que cet hymen ferait dans le monde, le tort qui en résulterait pour lui, forcé de quitter son emploi et le dégoût qu'il pourrait prendre d'elle ensuite, ce qui les rendrait malheureux l'un et autre. Ce discours sévère n'a fait que l'enflammer davantage, pt, rien n'ayant pu vaincre son amante, il s'est retiré à la Trappe : aventure qui fait l'objet des conversations du jour.

[18] Notes inédites de Mme de Langan de Bois-Février, publiées par M. le vicomte le Bouteiller. — Journal de Fougères, 1892.

[19] Récit de Chévetel.

[20] Archives nationales, W, 274. — Portraits de Famille, par le comte de Sainte-Aulaire.

[21] Louis-François-Joseph, comte de Bourbon-Busset, né en 1749, mousquetaire du roi le 20 juin 1764, capitaine au régiment de Royal-Piémont le 26 décembre 1766, mestre de camp le 13 février 1764. — Archives du Ministère de la Guerre. Il avait épousé Elisabeth-Louise de Boynes. Ce duel tragique eut pour motif une divergence de vues entre la Rouërie et le comte de Bourbon-Busset touchant le degré de cuisson d'un poulet. — Renseignements particuliers.

[22] Nous trouvons, dans la Correspondance secrète publiée par M. de Lescure, cette note : Le comte de Bourbon-Busset, qui a épousé Mlle de Boynes, mène une vie très scandaleusement dérangée. Le roi, dont il avait été le menin et qui l'aimait, lui avait témoigné son mécontentement de sa conduite. Le désordre continua, et il s'éloigna de la cour pendant quelque temps. La semaine passée, il parut à Versailles : mais Sa Majesté, l'ayant aperçu, ordonna au ministre de le faire arrêter par forme de correction. En conséquence, dès le lendemain, il fut conduit au château de Dourlans (24 mai 1785).

[23] Régiment des Gardes Françaises. Le sieur la Rouërie, sous-lieutenant, demande l'agrément de vendre sa sous-lieutenance. Le roi donne l'agrément d'acheter la sous-lieutenance de la compagnie de Radepont, vacante par la retraite du sieur la Rouërie, au sieur Deshurlières, enseigne des grenadiers de la compagnie de Fontenu. — Archives du Ministère de la Guerre.

[24] Archives du Ministère de la Guerre.

[25] Correspondance secrète, publiée par M. de Lescure.

[26] Archives du Ministère de la Guerre.

[27] Archives du Ministère de la Guerre.

[28] Il alla, ajoute Chastelux, s'ensevelir dans une célèbre et profonde retraite ; mais il en sortit bientôt : son caractère est gai, son esprit agréable, et personne ne voudrait qu'il se fût voué au silence. — Voyage de M. le marquis de Chastelux dans l'Amérique septentrionale.

[29] C'est au cours de ce séjour en France que la Rouërie obtint la croix de Saint-Louis. Il fut reçu le 15 mai 1781. — Archives du Ministère de la Guerre, Ordre de Saint-Louis.

[30] Voyage de Chastelux.

[31] Je fus chargé, par le Congrès, d'aller en France chercher des secours d'habits et d'armes, objets dont nos armées étaient alors entièrement dépourvues ; ainsi, arrivé à Paris, je songeais plus à remplir ma mission qu'à l'intérêt de mon ambition. Craignant que le Gouvernement ne se décidât pas, ou mît beaucoup de lenteur à se décider à fournir les objets que j'étais venu chercher, j'empruntai en mon nom 50.000 livres à 5 0/0 d'intérêts, fis mes achats et, pendant qu'on les conduisait à Brest, je songeai à faire valoir en France mes services d'Amérique. — Lettre du marquis de la Rouërie au comte de Brienne. — Archives du Ministère de la Guerre. Dans un jugement du tribunal de Fougères concernant la succession de la Rouërie, nous trouvons : Outre les biens-fonds... il existera, dans ladite succession, onze contrats sur le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, montant ensemble à un capital de 57.951 francs. — C'est là, sans doute, le remboursement de l'avance faite au Congrès.

[32] Je certifie que le colonel Armand, marquis de la Rouërie, était avec moi à l'affaire du 25 novembre 1777 dans le Jersey, lorsqu'un corps de hessois, soutenu par quelques piquets des Anglais, sous le commandement du lieutenant général lord Cornvalis, fut défait par un parti moins nombreux de riflemen et de milices. Je reconnais avec plaisir et gratitude les obligations que je dois au colonel Armand pour le zèle et la valeur qu'il a montrés dans cette occasion, où il se trouvait le plus ancien officier après moi. Ma mission n'avait d'autre objet qu'une reconnaissance des dispositions de l'ennemi, et je n'avais avec moi ni brigadier, ni colonel continental, excepté le marquis de la Rouërie qui m'avait suivi.

Donné à Fishkik, le 26 novembre 1778.

Signé : LAFAYETTE.

— Je certifie que M. le marquis de la Rouërie a servi dans l'armée des Etats-Unis depuis le commencement de 1777 avec le rang de colonel, pendant lequel temps il a commandé un corps indépendant et s'est acquis beaucoup d'honneur et d'avantages au service.

Il s'est conduit en toutes les occasions comme un officier d'un mérite distingué, d'un grand zèle, activité, intelligence, vigilance et bravoure.

Pendant la dernière campagne, il a rendu des services très importants, et sur la fin il a frappé un coup hardi de partisan, par lequel, avec beaucoup d'adresse et de courage, il a surpris un major et quelques troupes ennemies qui étaient en quartier à une distance considérable en dedans de leurs piquets, les prit et les amena sans aucune perte des siens.

Je lui donne ce certificat comme un témoignage de ma parfaite approbation de sa conduite et de l'estime que j'ai pour lui personnellement.

Donné au quartier général à Moristown, le 16 février 1780.

Général WASHINGTON.

Archives du Ministère de la Guerre.

[33] En 1783.

[34] Dans une lettre conservée à son dossier (Archives du Ministère de la Guerre), il fixa à cette somme ce que lui a coûté la guerre de l'Indépendance.

[35] Archives du Ministère de la Guerre.

[36] Il avait, à cette époque, outre ses dettes d'Amérique, environ 15.000 francs de dettes contractées en Bretagne à diverses dates. — Archives du greffe du Tribunal de Fougères.

[37] J.-M. Peigné. Antrain et ses Environs. 1861.

[38] Ancien capitaine du régiment de Conti-Cavalerie, chevalier de Saint-Louis.

[39] Archives de la paroisse de Saint-Brice (Ille-et-Vilaine).

[40] J.-M. Peigné, Antrain et ses Environs, 1861.

[41] La brochure citée précédemment (Antrain et ses Environs) contient cette indication singulière : La marquise de Saint-Brice consentit au mariage, après avoir payé à M. de Parny un dédit assez considérable.

[42] Les futurs adoptèrent par contrat le régime de la communauté, suivant la coutume de Bretagne, avec les modifications suivantes : la communauté commencera au jour du mariage et non p&s après un an et un jour ; en sont exclues les dettes que les futurs peuvent avoir contractées avant le mariage, les successions futures et 24.000 livres de mobilier provenant à la future épouse de la succession de son père. — En cas de prédécès du futur époux, la future épouse prélèvera hors part sa garde-robe, ses bijoux, un équipage attelé de six chevaux et les habits de ses domestiques. Elle jouira du douaire d'une rente annuelle de 6.000 livres. En cas de prédécès de sa femme, le futur prélèvera sa garde-robe, ses bijoux, ses armes, habits de ses domestiques, ses équipages et six chevaux. — Archives du château de Bonabri (Côtes-du-Nord), Du Cleuziou.

[43] Chévetel père donna des soins à Chateaubriand enfant : Ma poitrine se gonfla la fièvre me reprit, on envoya, chercher à Basouches (sic) un excellent médecin nommé Cheftel (sic), dont le fils a joué un rôle dans l'affaire du marquis de la Rouërie. Mémoires d'outre-tombe, t. I, p. 170.

[44] Extrait du registre des actes de naissance de la commune de Bazouges-la-Pérouse pour l'année 1758 :

Valentin-Marie-Magloire, fils de noble maître Louis-Valentin Chévetel, docteur-médecin, et de demoiselle Louise-Cécile Fontaine, né de ce jour, a été baptisé le jour de la naissance par le prêtre soussigné. Parrain noble maître Valentin Chévetel, sénéchal de différentes juridictions ; marraine Dlle Cécile-Lefrançois, qui ont signé le trentième octobre 1758, Chévetel, Lefrançois, Delaporte, Fontaine,... etc. Germain, prêtre.

[45] J.-M. Peigné, Antrain et ses Environs, 1861.

[46] Il ne nous semble pas que le marquis de la Rouërie accompagna sa femme aux Pyrénées. A cette époque, il projetait un voyage en Prusse : c'est du moins ce qui parait ressortir de cette lettre du marquis de Chastelux.

A Paris, 23 may 1786.

Quoique M. le marquis de la Rouërie n'ait pas besoin, Monsieur, de vous être recommandé, je me fais un plaisir de lui servir d'introducteur auprès de vous. Notre liaison date d'un pays bien éloigné de celui que vous habitez. Nous avons passé trois ans ensemble en Amérique où il a commandé une légion et où il a obtenu le rang de brigadier général que ses services distingués lui avaient bien mérité. En attendant qu'une promotion le mette à portée de rentrer en activité dans notre service, en y prenant le commandement d'un corps que M. le Maréchal de Ségur lui destine, il veut employer ses loisirs à augmenter ses connaissances militaires et il ne croirait pas mieux remplir cet objet qu'en visitant les États et les troupes du roi de Prusse. Il doit faire ce voyage avec M. Schafner, jeune et excellent officier qui était major de sa légion.

Je suis persuadé, Monsieur, que vous serez bien aise de les connaître l'un et l'autre, et je ne puis aussi leur rendre un meilleur service qu'en vous priant de les aider de vos conseils et de vos lumières.

J'avais formé le projet de faire, cette année, le voyage qu'ils entreprennent ; mais les circonstances ne l'ont pas permis. Je ne renonce pas cependant à l'espoir de vous offrir sous peu à Berlin l'assurance du sincère attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, etc.

Le marquis DE CHASTELUX.

[47] Extrait des Registres des Actes de l'état civil de la commune de Cauterets :

L'an 1786 et le 18 juillet est décédée haute et puissante dame Louise-Caroline Guérin, marquise de Saint-Bris (sic), dame du Roché-Portail et autres lieux, épouse de haut et puissant seigneur messire Armand Tufin, marquis de la Rouërie, seigneur de Carné et autres lieux, chevalier de Saint-Louis et de Cincinnatus, ancien brigadier général de la cavalerie anglo-américaine, après avoir reçu tous les sacrements, et son corps a été enterré dans le cimetière avec les cérémonies ordinaires, en présence de mes. Labatut, vicaire de Cauterets, de mes. Gérôme Caddefer, vicaire dadé (?) et de mes. Dominique Saint-Martin, vicaire de Cachon, qui ont signé avec moi.

[48] Ce sentiment lui était inspiré par la tendresse qu'elle avait pour une de ses nièces, qui menaçait d'être atteinte de la même maladie. — J.-M. Peigné, Antrain et ses Environs, 1861.

[49] J.-M. Peigné, Antrain et ses Environs, 1861.

[50] Mémoires d'outre-tombe.

[51] Correspondance secrète, publiée par M. de Lescure.

[52] Mémoires d'outre-tombe.

[53] Archives du Ministère de la Marine.

[54] Bibliothèque de l'Arsenal, Fonds Bastille.

[55] Correspondance secrète, publiée par M. de Lescure.

[56] Correspondance secrète, publiée par M. de Lescure.

[57] Bibliothèque de l'Arsenal, Fonds Bastille.

[58] Bibliothèque de l'Arsenal, Dossier Chatillon.

[59] Lettre de M. de Crosne à M. Beaugeard, trésorier général des États de Bretagne. Bibliothèque de l'Arsenal, Fonds Bastille.

[60] Registre de la Bastille. Renseignement communiqué par M. Alfred Bégis.

[61] Le Livre d'Ecrou de la Bastille, par M. Alf. Bégis.

[62] Le vicomte Le Bouteiller, La Révolution dans le pays de Fougères. — Journal de Fougères, 1892.

[63] Le vicomte Le Bouteiller, La Révolution dans le pays de Fougères. — Journal de Fougères, 1892.

[64] Notes de Mme de Langan de Bois-Février. — Journal de Fougères, 1892.

[65] Le bâtiment qu'on appelait à l'époque de la Révolution l'Ecurie neuve porte, encore très visible, le millésime de 1788. On y voit quelques restes de peintures murales et les râteliers de chêne ouvragé.

[66] Les personnes, aujourd'hui peu nombreuses, qui ont vu la chapelle de la Rouërie disent qu'elle était placée à droite de la cour du château, près d'un grand portail qui se trouvait au bas de cette cour, en face de ce château, de sorte que Je pignon sud était sur le bord de la voie qui conduisait au chemin de Sacey. Elle était, dit-on, de belle dimension et bien décorée ; un chapelain, faisant partie du clergé paroissial, y célébrait le dimanche la messe à laquelle assistaient les personnes du château, les fermiers et autres gens des environs. Pendant la Révolution, elle fut dévastée, et les nouveaux propriétaires ne l'ayant point restaurée, mais au contraire employée à des ouvrages profanes, elle se détériora de plus en plus, et enfin fut détruite, de façon qu'il n'en reste plus de traces. — Note de M. le curé Penou, mort à Saint-Ouen-de-la-Rouërie, en 1859.

[67] La propriété a subi, au cours de ce siècle, une modification qui en change considérablement le caractère : la chapelle et la cour, jadis fermée de murs, ont été supprimées : à leur place, la pelouse d'un jardin anglais s'étend jusqu'au perron du château.

[68] Les propriétés du marquis de la Rouërie comprenaient, — en mesures modernes, — 382 hectares. En voici la nomenclature sommaire : le château, — la métairie de la Retenue, — la métairie du Château, — la métairie du Vau-Hulin, où se trouvait le colombier, au bord du ruisseau du Tronson, à l'extrémité d'une avenue de chênes partant du portail du château, — le moulin du Vau-Hulin, — le moulin du Val, — le Plessis, — la petite métairie du bourg, — le bois de Bannière, — la métairie de la flotte, — la métairie du Bas-Châtelet, — la métairie du Haut-Châtelet, — la métairie de la Gaucherais, — le moulin de Malheute, — la métairie de la Chesnay-en-la-Fontenelle, — la métairie des Portes, — le moulin des Portes-en-Bazouges.

Le tout fut adjugé, le 6 septembre 1813, comme biens dépendants de la succession d'Armand Tuffin, à George Bourge Dupré de Saint-Maur, demeurant à Argent, département du Cher, pour la somme de 210.000 francs. — Extrait des Minutes du Greffe du Tribunal de Fougères.

[69] On aperçoit encore, au milieu du champ dit de l'Avenue, dans l'axe de la principale façade du château, un talus inachevé, qui, dans les projets de la Rouërie, devait former une chaussée, conduisant directement de la route d'Avranches au portail du château.

[70] J.-M. Peigné, Antrain et ses Environs, 1861.

[71] Tous les biographes ont parlé des relations de la Rouërie avec Mlle Fleury, et cette liaison fut sans doute fertile en incidents romanesques, car elle semble avoir atténué, dans la mémoire des contemporains, le souvenir des amours du marquis avec la Beaumesnil. Beaucoup même, et Levot (Biographie bretonne) est du nombre, prêtent à Mlle Fleury le rôle que joua en réalité la Beaumesnil. Quant à la date probable de cette nouvelle intrigue, elle nous est implicitement fournie par les Archives de la Comédie-Française. Mlle Fleury débuta pour la première fois, à dix-sept ans, le 23 mars 1784. Or, à cette époque, la Rouërie revenait d'Amérique et songeait au mariage ; le second début de l'artiste eut lieu le 23 octobre 1786 (rôle d'Hypermmestre) ; c'est donc probablement à cette date que la Rouërie put la voir et l'aimer. — Renseignements fournis par M. Monval, archiviste bibliothécaire de la Comédie-Française.

[72] Elle était née à Anvers. Son acte de naissance est ainsi consigné sur les registres de la paroisse Notre-Dame :

28 décembre 1766. Maria-Florentia, par. Ludovicus-Josephus Nones, ex-capitaine breton, œt. 22. Maria-Anna Dyonisia Bernaerdt, Hujus æt. 20. Susceperunt Joannes-Franciscus Collet Maria-Florentia Renard. — Renseignement fourni par M. Alf. Bégis.

[73] Journal des Débuts, 22 vendémiaire an XIV.

[74] Nous trouvons dans les Souvenirs d'un Sexagénaire, d'Arnault, cette piquante anecdote :

Mme Fleury ne manquait pas de mérite, quoiqu'elle manquât tout à fait de grâces. Un soir, après le spectacle, comme je traversais le théâtre déjà vide et qui était à peine éclairé, j'entendis un homme qui pressait assez vivement une dame de se montrer complaisante, instances que la dame repoussait presque brutalement.

— Non, Monsieur, cela n'est pas possible ! cela n'est pas possible, disait-elle d'un ton très décidé.

Reconnaissant la voix de Mlle Fleury, qui me semblait un peu sortie de ses habitudes, et croyant savoir de quoi il s'agissait, je me retirais à petits pas et à petit bruit.

— Venez, venez ! me crie Mlle Fleury. Protégez-moi contre M. Legouvé, qui me tourmente ; c'est à n'y pas tenir.

— Mademoiselle, un acte de complaisance vous coûte-t-il donc tant aujourd'hui ?

— Savez-vous ce qu'il exige de moi ?

— Je le présume.

— Voyez si je puis le lui accorder, voyez, Monsieur, je m'en rapporte à vous.

— Permettez-moi de me retirer.

— Monsieur veut que je reprenne le rôle de Méhala (dans la Mort d'Abel).

— Ce n'est que cela ? pourquoi vous y refuser ? vous y montrez tant de talent.

— Soit, mais j'y montre aussi mes jambes et mes genoux.

— Ainsi le veut le costume du rôle.

— Je ne suis pas bégueule, on le sait ; mais je vous le demande : une femme peut-elle aimer à montrer ses genoux et ses jambes quand elle a. les jambes et les genoux tournés comme cela ?

— Je suis obligé d'en convenir, et ce n'est pas par galanterie, dis-je à Legouvé ; mais il faut se rendre à l'évidence : Mademoiselle a raison.

La Mort d'Abel ne fut pas reprise.

[75] Je me rappelle avoir vu M. de la Rouërie, au Bois-Février, tâcher d'amener mon père à cette opinion ; mais il perdit son temps près de lui comme près des autres. — Notes de Mme de Langan de Bois-Février, publiées par M. le vicomte le Bouteiller. — Journal de Fougères, 1892.

[76] Souvenirs inédits de Mme de Langan de Bois-Février.

[77] Souvenirs inédits de Mme de Langan de Bois-Février, Journal de Fougères.

[78] Vu l'acte d'ondoyement dont la teneur est comme il suit :

Le quatorzième jour de juillet mil sept cent cinquante-neuf, vue la permission de M. l'abbé Guersans, vicaire général de ce diocèse, j'ai ondoyé une fille née le même jour, à dix heures du matin, du légitime mariage de haut et puissant messire Sébastien Marie-Hyacinthe de Moëlien, chevalier seigneur de Trojolif, K'moisan, K'guilemet et autres lieux, conseiller au Parlement de Bretagne, et de haute et puissante dame Perinne-Josèphe de la Belinaye. — Ainsi signé : Joseph Doucet, recteur de Saint-Georges de Rennes.

Vénérable et discret messire Maurice Frain, abbé de la Villegontier, docteur de Sorbonne, grand-oncle maternel de ladite enfant actuellement notre paroissienne, lui a ce jour, dix-neuf mai mil sept cent soixante-sept, suppléé de notre consentement les cérémonies du saint baptême. Ont été parrain et marraine : haut et puissant seigneur messire Joseph-René, comte de Moëlien, chef de nom et d'arme, ancien capitaine des vaisseaux du roi, chevalier de l'ordre militaire de Saint-Louis, et haute et puissante dame Thérèse de la Belinaye, veuve de haut et puissant seigneur messire Jacques Tuffin, marquis de la Roirie, qui ont donné à ladite enfant les noms de Thérèse-Josèphe et ont signé avec nous.

N'a été présent à ladite cérémonie haut et puissant seigneur Sébastien-Marie-Hyacinthe de Moëlien, père de ladite enfant. ancien conseiller au Parlement de Bretagne, attendu son exil à Landerneau. Ont, de plus, signé : Haute et puissante dame Perrine-Josèphe de la Belinaye, dame de Moëlien, mère de l'enfant, haut et puissant seigneur messire Armand-Magdeleine de la Belinaye, aïeul maternel, messire Maurice Frain, abbé de la Villegontier et autres.

Signé : Perrinne de la Belinaye de Moëlien, Joseph-René de Moëlien ; de la Belinaye de la Rouërie, Armand de la Belinaye, Farcy de Pontfarcy, Frain de Farcy, Frain de la Tendrais, Gravelle de la Belinaye, Renée de la Belinaye, Frain des Guyonnières, Anne de la Belinaye et Bougret Pe. — Extrait du Registre des Actes de Baptême de la Paroisse Saint-Léonard de Fougères.

[79] Voir à ce sujet, outre ce que dit Chateaubriand, les rapports de Sicard (p. 283) et les souvenirs de Louis de Saint-Aulaire (p. 169).

[80] Chateaubriand écrit, par erreur, Tronjoli, faisant confusion avec un nom très connu en Bretagne.

[81] Mémoires d'outre-tombe.

[82] Mémoires d'outre-tombe.