LA GUILLOTINE

ET LES EXÉCUTEURS DES ARRÊTS CRIMINELS PENDANT LA RÉVOLUTION

 

CHAPITRE IV. — LA GUILLOTINE.

 

 

I. — LA LÉGISLATION

 

Le 10 octobre 1789, le Dr Guillotin, député de Paris, lut à l'Assemblée constituante une proposition en six articles tendant à faire prononcer que le préjugé d'infamie qui rejaillissait sur la famille d'un condamné n'existerait plus ; que la confiscation des biens ne pourrait plus être prononcée ; que les mêmes peines seraient infligées aux coupables de quelque rang qu'ils fussent, et que le plus grand supplice serait la décapitation. La proposition fut ajournée.

Le 1er décembre suivant, M. Guillotin reproduisit ses six articles. Malheureusement le discours qu'il lut à l'appui était, du moins en quelques passages, de nature à compromettre le sort de sa motion. L'orateur proposait l'instrument de supplice auquel on a depuis donné son nom, et, pour le faire adopter par ses collègues, il leur dit avec une naïve bonhomie : Avec ma machine, je vous fais sauter la tête d'un clin d'œil, et vous ne souffrez point. L'Assemblée se mit à rire, vota quelques articles, mais passa le lendemain à d'autres travaux, ajournant de nouveau, par ce fait, la proposition de M. Guillotin.

Ce ne fut que le 3 mai 1791 que l'Assemblée décréta enfin : Tout condamné à mort aura la tête tranchée.

Il restait à faire choix de la machine la plus propre à répondre à l'humanité des intentions de l'Assemblée. Celle qu'avait proposée l'auteur de la mention, et qui, a-t-on prétendu depuis, était anciennement en usage en Chine, fut enfin adoptée.

Je ne sais pas pourquoi on a mêlé les Chinois à cette affaire ; on a souvent reproduit une gravure italienne de 1555 due à Achille Bocchi, et qui aurait servi de modèle à la machine du Dr Guillotin ; on a raconté que le trop célèbre philanthrope[1] s'était également inspiré d'anciennes gravures allemandes de Penez, d'Aldegrever et de Lucas Cranach pour la construction de son appareil... Il n'y avait pas besoin d'aller chercher si loin un modèle. L'avis motivé sur le mode de décollation, rédigé par le Dr Louis[2], secrétaire perpétuel de l'Académie de Chirurgie, dont nous donnons plus loin le texte intégral, mentionne clairement qu'une semblable machine était couramment en usage en Angleterre au XVIIIe siècle. Même en France, la guillotine, pour n'avoir pas encore reçu ce nom pittoresque, n'en fonctionnait pas moins en certaines contrées avant 1790.

Dans les mémoires de Puységur, on lit que le maréchal de Montmorency a été exécuté avec une machine à décapiter : M. de Montmorency..... s'en alla à son échaffaut, sur lequel il entra par une fenêtre qu'on avait ouverte, qui conduisait audit échaffaut, dressé dans la cour de la maison de ville, sur lequel était un bloc où on lui fit mettre la tête. En ce pays-là[3], on se sert d'une doloire, qui est entre deux morceaux de bois, et, quand on a la tête posée sur le bloc, on lâche la corde et cela descend et sépare la tête du corps. Comme il eut mis la tête sur le bloc, la blessure qu'il avait reçue au col lui faisant mal, il remua et dit : Je ne remue pas par appréhension, mais ma blessure me fait mal. Le Père Amoul était près de lui, qui ne l'abandonna point. On lâcha la corde de la doloire ; la tête fut séparée du corps. L'un tomba d'un côté, et l'autre de l'autre.

On n'en montre pas moins à Toulouse, dans une boîte garnie de velours, l'épée qui a servi à l'exécution de Montmorency.

On pourrait même assurer que la décapitation à l'aide d'une machine était un supplice usité en France avant la conquête romaine. On a trouvé, en effet, en 1865, à Limé, dans le canton de Sains (Aisne), près de la route de Guise à Vervins, un volumineux couperet de silex, pesant environ une centaine de kilogrammes, et que les antiquaires ont reconnu être un tranche-tête gaulois, une guillotine de l'âge de pierre[4]. On tenta, à l'aide de ce disque de silex, des expériences qui furent concluantes. En le faisant mouvoir sous forme de pendule suspendu à une longue tige, on opéra facilement la sécation de têtes de moutons.

La machine à décapiter n'était donc pas en 1791 une nouveauté ; pourtant il est certain qu'on ne s'entendait point sur la façon dont serait construite cette machine : Guillotin, qui tenait à son idée, consulta l'homme de France le plus expert en ces sortes de matières. Il s'adressa à Sanson. Celui-ci, qui ne voyait pas sans un certain dépit les savants se mêler de ses affaires, répondit par une note qui n'apportait pas grande lumière au débat, mais qu'il faut citer cependant, car elle contient certains détails intéressants.

Pour que l'exécution puisse se terminer suivant l'intention de la loi, il faut que, sans obstacle de la part du condamné, l'exécuteur se trouve encore très adroit, le condamné très ferme, sans quoi l'on ne parviendra jamais à terminer cette exécution avec l'épée...

A chaque exécution, l'épée n'est plus en état d'en faire une autre, étant sujette à s'ébrécher ; il est absolument nécessaire qu'elle soit repassée et affilée' de nouveau s'il se trouve plusieurs condamnés à exécuter au même instant ; il faudra donc avoir un nombre d'épées suffisant et toutes prêtes. Cela prépare des difficultés très grandes et presque insurmontables.

Il est à remarquer encore que très souvent les épées ont été cassées en pareilles exécutions.

L'exécuteur de Paris n'en possède que deux, lesquelles lui ont été données par le ci-devant Parlement de Paris. Elles ont coûté 600 livres pièce.

Il est à examiner que, lorsqu'il y aura plusieurs condamnés qui seront exécutés au même instant, la terreur que présente cette exécution par l'immensité de sang qu'elle produit et qui se trouve répandu portera l'effroi et la faiblesse dans l'âme du plus intrépide de ceux qui resteront à exécuter. Ces faiblesses produiront un obstacle invincible à l'exécution. Les sujets ne pouvant plus se soutenir, si l'on veut passer outre, l'exécution deviendra une lutte et un massacre.

A en juger par les exécutions d'un autre genre qui n'apportent pas, à beaucoup près, les précisions que celle-ci demande, on a vu les condamnés se trouver mal à l'aspect de leurs complices suppliciés, avoir au moins des faiblesses, la peur ; tout cela s'oppose à l'exécution de la tête tranchée avec l'épée. En effet, comment supporter le coup d'œil de l'exécution la plus sanguinaire sans faiblesse.

Dans les autres genres d'exécution, il était très facile de dérober ces faiblesses au public, parce que l'on n'avait pas besoin, pour la terminer, qu'un condamné reste ferme et sans terreur ; mais, dans celle-ci, si le condamné fléchit, l'exécution sera manquée.

Peut-on être le maître d'un homme qui ne voudra ou ne pourra plus se tenir.

 

De toutes ces observations, Charles-Henry Sanson concluait à l'indispensabilité d'adopter l'usage d'une machine qui fixât le patient dans la position horizontale, pour qu'il n'eût plus à soutenir le poids de son corps, et qui permît d'opérer avec plus de précision et de sûreté que la main de l'homme n'en peut avoir.

Ici les chroniqueurs font généralement intervenir un bon Allemand nommé Schmidt, lequel, passionné pour la musique, avait l'habitude de faire chaque jour son duo avec Sanson, devenu mélomane pour les besoins du récit. Entre deux airs de ballet, Schmidt, avec son accent d'outre-Rhin, aurait pris la parole et dit à l'exécuteur : Ché né foulais bas m'en mêler, gar il z'achit té la mort du brojin ; mais ché fous fois trop ennuyé... et il aurait alors jeté sur une feuille de papier le croquis d'une machine qui remplissait exactement toutes les conditions requises, et ainsi aurait pris naissance la guillotine. Il y a certainement dans ce romanesque épisode une tradition qui repose sur un fait vrai, car c'est un charpentier nommé Schmidt qui fut, en effet, le constructeur de la première guillotine : nous verrons tout à l'heure comment on fut amené à s'adresser à lui. L'histoire des duos avec le bourreau, de ce bédide air d'Armide, interrompu pour dessiner le modèle du sinistre instrument, est un agrément brodé sur un fond de vérité. La chose se passa d'une façon moins pittoresque peut-être, mais plus régulière et plus officielle. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire le texte de la loi du 25 mars 1792 et les observations qui l'accompagnent.

Loi relative à la peine de mort et au mode d'exécution qui sera suivi à l'avenir.

Donnée à Paris le 25 mars 1792.

Décret du 20 mars 1792.

L'Assemblée nationale considérant que l'incertitude sur le mode d'exécution de l'article 3 du titre I du Code pénal suspend la punition de plusieurs criminels qui sont condamnés à mort ; qu'il est très instant de faire cesser des inconvénients qui pourraient avoir des suites fâcheuses ; que l'humanité exige que la peine de mort soit la moins douloureuse possible dans son exécution ; décrète qu'il y a urgence.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que l'article 3 du titre I du Code pénal sera exécuté suivant la manière indiquée et le mode adopté par la consultation signée du secrétaire perpétuel de l'Académie de chirurgie, laquelle demeure annexée au présent décret ; en conséquence, autorise le pouvoir exécutif à faire les dépenses nécessaires pour parvenir à ce mode d'exécution, de manière qu'il soit uniforme dans tout le royaume.

Avis motivé sur le mode de la décollation

Le Comité de Législation m'a fait l'honneur de me consulter sur deux lettres écrites à l'Assemblée nationale concernant l'exécution de l'article 3 du titre I du Code pénal, qui porte que tout condamné à la peine de mort aura la tête tranchée.

Par ces lettres, M. le ministre de la Justice, et le directoire du département de Paris, d'après les représentations qui lui ont été faites, jugent qu'il est de nécessité instante de déterminer avec précision la manière de procéder à l'exécution de la loi, dans la crainte que si, par la défectuosité du moyen, ou faute d'expérience et par maladresse, le supplice devenait horrible pour le patient et pour les spectateurs, le peuple, par humanité, n'eût mission d'être injuste et cruel envers l'exécuteur.

J'estime que les représentations sont justes et les craintes bien fondées. L'expérience et la raison démontrent également que le mode en usage par le passé pour trancher la tête à un criminel l'expose à un supplice plus affreux que la simple privation de la vie, qui est le vœu formel de la loi ; pour le remplir, il faut que l'exécution soit faite en un instant et d'un seul coup ; les exemples prouvent combien il est difficile d'y parvenir.

On doit rappeler ici ce qui a été observé à la décapitation de M. de Lally : il était à genoux, les yeux bandés ; l'exécuteur l'a frappé à la nuque ; le coup n'a point séparé la tête et ne pouvait le faire. Le corps, à la chute duquel rien ne s'opposait, a été renversé en avant, et c'est par trois ou quatre coups de sabre que la tête a été enfin séparée du tronc : on a vu avec horreur cette hacherie, s'il est permis de créer ce terme.

En Allemagne, les exécuteurs sont plus expérimentés, par la fréquence de ces sortes d'expéditions, principalement parce que les personnes du sexe féminin, de quelque condition qu'elles soient, ne subissent point d'autres supplices ; cependant, la parfaite exécution manque souvent malgré la précaution, en certains lieux, de fixer le patient assis dans un fauteuil[5].

En Danemark, il y a deux positions et deux instruments pour décapiter. L'exécution qu'on pourrait appeler honorifique se fait avec un sabre ; le criminel, à genoux, a un bandeau sur les yeux, et les mains sont libres. Si le supplice doit être infamant, le patient lié est couché sur le ventre, et on lui coupe la tête avec une hache.

Personne n'ignore que les instruments tranchants n'ont que peu ou point d'effet lorsqu'ils frappent perpendiculairement ; en les examinant au microscope, on voit qu'ils ne sont que des scies plus ou moins fines, qu'il faut faire agir en glissant sur le corps à diviser. On ne réussirait pas à décapiter d'un seul coup avec une hache ou couperet dont le tranchant serait en ligne droite ; mais avec un tranchant convexe, comme aux anciennes haches d'armes, le coup asséné n'agit perpendiculairement qu'au milieu de la portion du cercle ; mais l'instrument, en pénétrant dans la continuité des parties qu'il divise, a, sur les côtés, une action oblique en glissant, et atteint sûrement au but.

En considérant la structure du cou, dont la colonne vertébrale est le centre, composé de plusieurs os dont la connexion forme des enchevauchures de manière qu'il n'y a pas de joint à chercher, il n'est pas possible d'être assuré d'une prompte et parfaite séparation en la confiant à un agent susceptible de varier en adresse par des causes morales et physiques ; il faut nécessairement pour la certitude du procédé qu'il dépende de moyens mécaniques invariables dont on puisse également déterminer la force et l'effet. C'est le parti qu'on a pris en Angleterre ; le corps du criminel est couché sur le ventre entre deux poteaux barrés par le haut par une traverse, d'où l'on fait tomber sur le cou la hache convexe au moyen d'une déclique. Le dos de l'instrument doit être assez fort et assez lourd pour agir efficacement comme le mouton qui sert à enfoncer des pilotis ; on sait que sa force augmente en raison de la hauteur d'où il tombe.

Il est aisé de faire construire une pareille machine, dont l'effet est immanquable ; la décapitation sera faite en un instant suivant l'esprit et le vœu de la nouvelle loi ; il sera facile d'en faire l'épreuve sur des cadavres et même sur un mouton vivant. On verra s'il ne serait pas nécessaire de fixer la tête du patient par un croissant qui embrasserait le cou au niveau de la base du crâne ; les cornes ou prolongements de ce croissant pourraient être arrêtées par des clavettes sous l'échafaud ; cet appareil, s'il paraît nécessaire, ne ferait aucune sensation et serait à peine aperçu.

Consulté à Paris, le 7 mars 1792.

 

Signé : LOUIS.

Secrétaire perpétuel de l'Académie de Chirurgie.

 

II. — LES ESSAIS

 

Ce rapport très circonstancié faillit valoir au Dr Louis la triste célébrité qui échut définitivement à son confrère : l'appareil à décapiter s'appela, en effet, la Louisette, pendant quelque temps ; mais guillotine prévalut.

Toujours est-il que l'instrument existait en théorie ; il ne s'agissait plus que de mettre en pratique l'invention nouvelle ; ici on rencontra quelque difficulté. Dès que le décret du 20 mars avait été rendu, Rœderer, procureur-syndic du département de Paris, avait écrit au ministre des contributions publiques, le priant de vouloir bien prendre des mesures pour faire construire la machine telle que Louis en avait donné la description. Clavières répondit qu'il était plus convenable que le Directoire du département se chargeât de ce soin aux frais du trésor public ; mais il demandait avant tout qu'on procédât aux devis et détail estimatif de la dépense que nécessiterait cette construction. Il est bon de dire qu'un malheureux condamné, nommé Pelletier, attendait son sort depuis plusieurs mois, tandis que les pouvoirs se rejetaient ainsi le budget de sa mort future.

On s'adressa pour le devis au charpentier Guédon, ordinairement chargé de la fourniture des bois de justice. Il établit l'estimation d'un appareil luxueux — deux poteaux de la meilleure qualité en bois de chêne neuf avec rainures de cuivre... etc. — Mais le total auquel il concluait était exorbitant : il s'élevait à 5,660 livres. En annonçant cette fâcheuse nouvelle au ministre, Rœderer fait remarquer qu'un des motifs sur lesquels le sieur Guédon fonde sa demande est la difficulté de trouver des ouvriers pour des travaux dont le préjugé les éloigne ; mais il s'est présenté des ouvriers qui ont offert d'exécuter la machine à un prix bien inférieur, en demandant seulement qu'on les dispensât de signer un devis, et témoignant le désir de n'être pas connus du public.

Et Pelletier attendait toujours. Le misérable attendait même si impatiemment que l'un des juges du tribunal criminel provisoire prit la liberté de faire remarquer à l'autorité combien la lenteur des procédés administratifs était cruelle en une pareille circonstance.

11 avril 1792.

A Monsieur le Procureur général syndic.

J'ai eu l'honneur de vous voir, Monsieur, pour vous engager, au nom de l'humanité et du bien public, à faire déterminer par l'Assemblée le mode d'exécution le plus convenable à la peine de mort commandée par la loi.

Les soins que vous avez donnés à cet objet n'ont pu obtenir le décret qu'au bout d'un mois ; il y a à peu près le même temps qu'il est rendu, et la machine nécessaire pour l'exécution, machine fort simple, n'est pas encore commandée. Il y a quatre mois, le Tribunal a instruit, jugé et fait exécuter, en quinze jours, deux coupables d'assassinats dans Paris. Depuis trois mois, il a instruit contre un malheureux coupable du même crime un procès jugé définitivement depuis deux. Cet accusé connaît le sort qui lui est destiné ; chaque instant qui prolonge sa malheureuse existence doit être une mort pour lui.

Son crime a été public, la réparation devait être prompte, et une pareille lenteur, surtout au milieu de cette ville immense, en même temps qu'elle ôte à la loi l'énergie qu'elle doit avoir, compromet la sûreté du citoyen...

Au nom de la justice et de la loi, au nom de l'humanité, au nom des services que nos tribunaux s'empressent de rendre dans le poste où la confiance public les a placés, daignez donner des ordres pour faire cesser l'effet des causes de ce retard qui nuit à la loi, à la sûreté publique, aux juges et aux coupables eux-mêmes.

Pardonnez, Monsieur : ma franchise tient autant à mon état qu'à mes principes, et particulièrement à la grande idée que vous nous donnez de vous-même comme citoyen et comme administrateur.

MOREAU,

Juge au deuxième tribunal criminel provisoire.

P.-S. — J'ai vu lundi dernier M. Louis qui m'avait promis de vous voir pour cet objet dans la même journée.

Rœderer répondit :

11 avril 1792.

Le particulier désigné travaille à la machine de concert avec M. Louis : il la promet pour samedi ; on pourra en faire l'essai ce même jour ou dimanche sur quelques cadavres, et lundi ou mardi les jugements pourront être exécutés.

 

On avait, en effet, trouvé un charpentier moins imbu de préjugés que Guédon, et qui s'était chargé de fournir une machine bien conditionnée pour 305 francs, non compris le sac de peau destiné à recevoir la tête coté à part 24 francs[6]. C'est ce Schmidt dont nous avons parlé plus haut qui soumissionna l'entreprise, assez importante, du reste, puisqu'il s'agissait de construire un appareil semblable pour chacun des départements du royaume. Schmidt se piqua d'honneur et mit de la célérité dans son travail ; le 15 avril, Sanson était prévenu de l'essai de la machine destinée à la décapitation. L'expérience réussit pleinement, et l'on décida que l'exécution de Pelletier aurait lieu en place de Grève le 25 avril. Seulement, comme on craignait que la nouveauté du spectacle ne causât parmi les assistants une curiosité par trop indiscrète, on prit quelques précautions.

Rœderer à M. de Lafayette, commandant général de la garde nationale.

Le nouveau mode d'exécution, Monsieur, du supplice de la tête tranchée attirera certainement une foule considérable à la Grève, et il est intéressant de prendre des mesures pour qu'il ne se commette aucune dégradation à la machine. Je crois, en conséquence, nécessaire que vous ordonniez aux gendarmes qui seront présents à l'exécution de rester, après qu'elle aura eu lieu, en nombre suffisant sur la place et dans les issues pour faciliter l'enlèvement de la machine et de l'échafaud.

Le procureur syndic,

RŒDERER.

 

On pouvait, en effet, craindre un excès de curiosité de la part de la foule, car on ne tenait point secrets alors, ainsi qu'on le fait aujourd'hui, les préparatifs d'une exécution, et un journal annonçait, dès le matin même du 22 avril, l'expérience qui devait être faite pour la première fois, in anima vili, sur la place de Grève.

Aujourd'hui, doit être mise en usage la machine inventée pour trancher la tête aux criminels condamnés à la mort. Cette machine aura, sur les supplices usités jusqu'à présent, plusieurs avantages : la forme en sera moins révoltante ; la main d'un homme ne se souillera point par le meurtre de son semblable, et le condamné n'aura à supporter d'autre supplice que l'appréhension de la mort, appréhension plus pénible pour le patient que le coup qui l'arrache à la vie.

Le criminel qui doit aujourd'hui éprouver le premier l'effet de cette machine nouvelle est Nicolas-Jacques Pelletier, déjà repris de justice, déclaré par jugement rendu en dernier ressort, le 24 janvier dernier, au troisième tribunal criminel provisoire, dûment atteint et convaincu d'avoir, de complicité avec un inconnu, le 14 octobre 1791, vers minuit, attaqué, dans la rue Bourbon-Villeneuve, un particulier auquel ils ont donné plusieurs coups de bâton, de lui avoir volé un portefeuille dans lequel était une somme de 800 livres en assignats, etc.

Pour réparation, le tribunal l'a condamné à être conduit place de Grève revêtu d'une chemise rouge, et à y avoir la tête tranchée, conformément aux dispositions du Code pénal.

 

Et, dans son numéro du lendemain, la même feuille rendait compte des débuts de la nouvelle machine.

Hier, à trois heures et demie après midi, on a mis en usage, pour la première fois, la machine destinée à couper la tête aux criminels condamnés à mort.

La nouveauté du supplice avait considérablement grossi la foule de ceux qu'une pitié barbare conduit à ces tristes spectacles.

Cette machine a été préférée avec raison aux autres genres de supplices : elle ne souille point la main d'un homme du meurtre de son semblable, et la promptitude avec laquelle elle frappe le coupable est plus dans l'esprit de la loi qui peut souvent être sévère, mais qui ne doit jamais être cruelle.

 

Le peuple de Paris s'était, comme on le voit, porté en foule à cette représentation tragique qui devait avoir tant de lendemains. La Chronique de Paris rendait en ces termes compte de l'impression que l'exécution avait produite :

Le peuple, d'ailleurs, ne fut point satisfait : il n'avait rien vu ; la chose était trop rapide ; il se dispersa désappointé, chantant, pour se consoler de sa déception, un couplet d'à propos :

Rendez-moi ma potence de bois,

Rendez-moi ma potence !

 

L'ultima ratio de la Révolution était trouvée : chose vraiment remarquable, et qui influa certainement sur la marche des événements, cette machine, inventée dans un but philanthropique, faisait son apparition au moment précis où la tourmente révolutionnaire grondait en ouragan. Cet instrument discret, rapide, d'aspect propre, venait au moment psychologique. Mais on peut se demander ce qui serait advenu si le Dr Guillotin n'avait pas conçu ce sinistre héritier de son nom. Evidemment, cette lacune n'aurait point empêché les soulèvements populaires ni les massacres de septembre ; mais, certainement, sans la guillotine, le tribunal révolutionnaire eût été dans l'impossibilité de fonctionner de la façon que l'on sait. Le peuple de Paris n'aurait pas supporté le spectacle de si nombreuses exécutions d'après l'ancienne méthode, en supposant même que ces exécutions eussent été possibles ; et l'on a vu que, de l'avis de Sanson lui-même, elles étaient impraticables.

Je sais bien qu'à Nantes et à Lyon les proconsuls avaient d'expéditifs moyens de se défaire des suspects ; mais l'exemple des fournées de Paris les grisait ; d'ailleurs, il est probable que ni les canonnades du Rhône, ni les noyades de la Loire n'auraient pu avoir lieu dans la capitale ; ce qui faisait ici le succès de la guillotine, c'était précisément le manque d'appareil, la simplicité, l'absence de bruit : l'instrument ne semblait pas tuer les gens, mais les supprimer.

 

III. — LA GUILLOTINE EN PROVINCE

 

Dès le lendemain du jour où la guillotine avait été, pour la première fois, mise en usage à Paris, Challon, procureur-syndic du département de Seine-et-Oise, invitait son collègue de Paris à autoriser l'exécuteur des jugements criminels de la Seine à prêter à celui de Versailles la machine destinée à trancher la tête aux condamnés. La loi, en effet, avait ordonné que le mode de décapitation serait uniforme dans toute l'étendue du royaume, et il n'existait encore qu'une seule guillotine qu'on pouvait, à la rigueur, transporter à Versailles, malgré la complication de l'appareil et l'extrême lourdeur des charpentes qui lui servaient de piédestal, mais qu'il ne fallait pas songer à faire voyager dans toute la France. Aussi, dès les premiers jours de mai 1792, le constructeur Schmidt se mettait à la besogne, et, moyennant 329 francs par machine — accessoires compris, — commençait-il à fournir de guillotines les départements. Ces instruments, faits à la hâte, étaient, pour la plupart, défectueux et mal établis.

Dès la réception de ses fournitures, l'exécuteur de Versailles — un Sanson — se plaignait que le tranchoir de Seine-et-Oise était de mauvaise trempe et qu'il était déjà ébréché. Le matériel des exécutions était d'ailleurs assez compliqué ; il fallait tenir toujours prêts :

1° Les paniers d'osier doublés en cuir ;

2° Les sangles et courroies ;

3° Les balais ;

4° Les planches pour les écriteaux[7] ;

5° Les fers, réchauds, pelles, pincettes et soufflets[8] ;

6° Une hache ou couperet ;

7° Les italiennes ou cordes.

Un certain matériel ne pouvait servir qu'aune seule exécution :

1° Les cordes pour attacher au poteau les condamnés aux expositions ;

2° La chemise rouge ;

3° Le voile noir ;

4° Le son, sable ou sciure de bois ;

5° La paille ;

6° La graisse ou le savon ;

7° Le charbon ;

8° Pommade et poudre à tirer pour mettre sur la marque des condamnés flétris ;

9° Les clous ;

10° Les empitoires ou entraves pour attacher les jambes ;

11° Vestes, tabliers, pantalons pour les aides ;

12° Eau pour laver les paniers et la place où se font les exécutions, dans les villes où elle se vend[9].

Il faut dire que ces fournitures étaient aux frais de l'exécuteur ; ce n'est que fort longtemps après la Révolution, en 1813, que le ministère de la Justice se chargea de leur paiement qu'il arrêta ainsi qu'il suit sur des bases invariables :

Tarif des frais d'exécution des arrêts criminels, fixé le 11 mars 1813 par le ministre de la Justice[10].

Transport des échafauds, des condamnés et de l'exécuteur :

1° Du grand échafaud dans les villes où siège la cour d'assises

32f

»

Y compris le déplacement.

2° Du petit échafaud, dito

8

»

3° Du grand et du petit échafaud hors la ville où siège la cour d'assises

8

»

Pour une voiture

à 1 collier et par jour

8

»

à 2 colliers

14

»

à 3 colliers

20

»

à 4 colliers

25

»

Pour une bête de somme par jour

5

»

4° Du condamné, tant au lieu du supplice qu'au lieu de l'inhumation

6

»

Toutes les fois qu'il y aura, plus d'un condamné, pour chacun en sus

3

»

5° De l'exécuteur : 12 francs par jour conformément à l'article 3 de la loi du 3 frimaire an II

12

»

Placement et déplacement des échafauds :

1° Du grand échafaud et de la machine à décapiter

»

»

2° Du petit échafaud

»

»

Fournitures faites par l'exécuteur :

1° Pour l'exécution d'un arrêt rendu contre un contumax

»

75

2° Pour l'exécution d'un condamné sans flétrissure

1

75

3° Pour l'exposition d'un condamné avec flétrissure

2

55

4° Pour l'exécution à mort d'un condamné

3

55

Toutes les fois qu'il y aura plus d'un condamné, il sera accordé 2 francs en sus de cette somme pour chacun d'eux

2

»

5° Pour l'exécution d'un parricide

15

30

 

Mais revenons au charpentier Schmidt et aux sinistres envois qu'il faisait dans les départements pendant le cours de l'année 1792.

La besogne marchait lentement ; car, plus d'un an après, en pleine Terreur, tous les départements n'étaient point encore pourvus ; le citoyen Barjavel, accusateur public à Avignon, écrivait :

Avignon, 3 octobre 1793 an II.

Le département du Gard, sur ma demande, prête pour quinze jours à ce département la Guillotine, en attendant que celle que nous a annoncée le ministre des contributions publiques nous soit parvenue. Je vous prie de faire fournir une voiture à trois colliers pour aller demain prendre à Nismes cet instrument salutaire.

Signé : BARJAVEL[11].

 

L'accusateur de Nîmes s'empressa de satisfaire au désir de son collègue de Vaucluse ; celui-ci reçut avec joie la machine à guillotiner, et la renvoya exactement dès que celle qu'il avait demandée fut arrivée de Paris. Il apprenait cette bonne nouvelle à son compère en lui adressant ce petit mot de remerciement :

Avignon, 15 octobre 1793.

Cher collègue,

Je vous adresse la guillotine que le département du Gard a bien voulu me prêter. Elle a délivré la République d'un émigré et de trois contre-révolutionnaires.

Le Comité a fait parvenir au département de Vaucluse la guillotine dont il a besoin. Je vous remercie des services que vous m'avez rendus.

Vive la République !

BARJAVEL.

 

Ce Barjavel n'était cependant pas à la fin de ses emprunts : il avait bien une guillotine, mais il n'avait pas d'exécuteur : nous avons vu[12] comment il fut de nouveau réduit à mettre à contribution, à ce sujet, son confrère du Gard, qui, il est vrai, avait l'heureuse chance de posséder deux bourreaux dans son ressort.

Ces faits furent sans doute fréquents à l'époque de la Révolution : il est probable, il est certain même que bien des départements n'avaient point reçu encore en 1794 la machine de Schmidt. Elles sont heureusement rares, les villes où l'échafaud fut dressé en permanence, et j'aime à croire que si bon nombre des proconsuls que la Convention envoyait en mission dans les provinces furent des fanatiques et des sanguinaires, il y en eut beaucoup qui firent plus de bruit que de besogne, et qui purent se vanter, quand il n'y eut plus de danger à le faire, d'avoir répandu des flots d'encre, mais pas une goutte de sang. La lenteur que Schmidt apportait à la fabrication de ses appareils eut sans doute en quelques endroits cet heureux résultat : c'est que, comme il n'y avait pas de guillotine, on ne guillotinait pas.

Sous le consulat seulement, tous les départements se trouvèrent en possession d'un échafaud ; à mesure que les conquêtes de la France s'étendaient, on expédiait dans les provinces conquises, en même temps qu'un, personnel d'administration départementale, un exécuteur et sa machine. Si nous rapportons ce fait, c'est qu'il a encore aujourd'hui son intérêt. La guillotine, un siècle après la Révolution, ne se trouve à présent en usage que dans les pays qui, de 1792 à 1815, furent annexés à la France.

En Allemagne, par exemple, où la peine de mort est encore en vigueur, les exécutions se font à la hache ; mais, par une exception qui ne peut avoir son origine que dans la tradition de l'ancienne administration française, l'usage de la guillotine s'est conservé dans les provinces de la rive gauche du Rhin. On en fait usage à Cologne, à Mayence, dans le Palatinat, dans la Prusse rhénane. Il en est de même en Italie, où l'on s'en sert encore — théoriquement, il est vrai, les exécutions étant extrêmement rares. — Partout ailleurs, en Europe, ce genre de supplice n'a jamais été employé. En Belgique, où la peine de mort n'existe plus, le bourreau n'a point pour cela été supprimé. Ce fonctionnaire platonique vient de mourir récemment.

C'était un petit vieillard nommé Boutequin, aux favoris blancs, aux allures de bourgeois endimanché, qu'on voyait apparaître de temps en temps sur la Grande Place aux jours des expositions en effigie.

Un aide allait planter un pieu entre deux pavés, quatre gendarmes à cheval se postaient derrière ce bois de justice, leur brigadier commandait : Sabre haut ! et, au moment où les lattes étaient tirées du fourreau, on voyait sortir Monsieur de Bruxelles du bureau de la Permanence de police tenant un papier. Ce papier, c'était l'arrêt qui condamnait le contumax.

Boutequin allait accrocher le document au poteau, puis rentrait à la Permanence. Une heure après, on le voyait reparaître ; de son même pas tranquille, il allait décrocher la pancarte, adressait un Merci ! timide aux gendarmes qui rengainaient leur espadon et filaient au trot vers leur caserne, puis il retournait chez lui, à pied, son parapluie ou sa canne sous le bras, perdu parmi les passants.

Il n'eut jamais à couper une tête.

Mais nous voilà terriblement loin de l'échafaud révolutionnaire : revenons-y sans transition.

 

IV. — LES EMPLACEMENTS DE L'ÉCHAFAUD

 

C'est donc sur la place de Grève que la guillotine fut dressée pour la première fois en France : c'était, depuis un temps immémorial le lieu ordinaire des exécutions à mort ; comment fut-on amené à transporter autre part le sinistre appareil ? Pourquoi la Révolution imposa-t-elle à ses victimes un long trajet, véritable agonie, entre le Palais et le supplice ? c'est là un point qui n'a pas été jusqu'à présent très nettement éclairci : les peintres et les dessinateurs qui ont eu à traiter des scènes de l'époque de la Terreur se sont le plus souvent trompés dans la reconstitution du décor de l'échafaud. Il n'y a là rien que de très naturel ; car les historiens eux-mêmes ont, pour la plupart, hésité sur les différents emplacements de la guillotine. Le changement du nom de place du Carrousel en place de la Réunion[13], de place Louis XV en place de la Révolution, n'a pas peu contribué à jeter la confusion sur les différents théâtres des exécutions.

Dès le 10 août, le parti vainqueur comprit qu'il n'avait qu'une chance de se maintenir au pouvoir : c'était de régner par la terreur ; et, tout de suite, on installa un tribunal criminel, jugeant sans appel les crimes commis contre le peuple dans la journée du 10 août. La première victime fut Louis-David Collenot, dit d'Angremont, convaincu de ce vague chef d'accusation, qui devait si souvent être reproduit plus tard contre tant d'autres accusés, d'être un conspirateur et le chef des brigands soudoyés par la cour. Sans doute voulut-on rendre son supplice plus cruel et donner à son exécution une plus grande pompe, en le faisant mourir en face même du château désert des Rois : toujours est-il que la guillotine fut dressée ce jour-là — 22 août 1792 — à la place du Carrousel, devant la grande porte de la cour royale des Tuileries. Cette installation inaccoutumée avait pris du temps : l'exécution n'eut lieu qu'à dix heures du soir à la lueur des flambeaux[14]. Le journaliste Durosoy, coupable d'avoir publié jadis une liste de royalistes fidèles s'offrant comme otages de Louis XVI, périt au même endroit et dans les mêmes conditions, le 25 août, à neuf heures du soir[15].

Le 27, l'échafaud était reporté à la Grève pour le supplice de trois faussaires. Il se passa ce jour-là un fait singulier dont la Chronique de Paris[16] rendait compte en ces termes :

Le supplice de trois fabricateurs d'assignats[17] a été accompagné de circonstances remarquables ; il y avait en même temps dans la Grève onze hommes et une femme au carcan pour d'autres délits, témoins de cette exécution. Guillot s'est évanoui ; l'abbé Sauvade a monté à la ville où il a dicté son testament avec tranquillité ; mais à la vue de l'échafaud les forces l'ont abandonné. Un des fils de l'exécuteur, qui montrait au peuple une des têtes sans regarder à ses pieds, est tombé dé l'échafaud et s'est brisé la cervelle à terre. On le dit mort. Son père a témoigné la douleur la plus vive[18].

 

Le même jour (27 août), le Conseil général, après une longue discussion, arrêtait que les condamnés par le tribunal populaire ne pourraient être exécutés qu'en plein jour.

D'ailleurs, le nouveau supplice semblait — aux spectateurs, bien entendu — très doux et très humanitaire. Les philanthropes — et tout le monde était philanthrope, depuis que Jean-Jacques avait mis la sensibilité à la mode — en étaient dans l'enthousiasme ; ils rêvaient maintenant d'en poétiser les préliminaires, et la lettre que voici caractérise bien les sentiments de l'époque :

On n'interroge plus les accusés sur la sellette ; on devrait encore supprimer la charrette dans laquelle on conduit les condamnés au supplice. Contraints au malheur nécessaire de les frapper du glaive de la loi, nous devrions du moins faire disparaître tout ce qui peut ajouter à l'horreur de leur situation. Ne serait-il pas plus humain de les mener à l'échafaud dans un carrosse découvert, ayant seulement avec eux le ministre du culte qu'ils auraient demandé, et même un ami, s'ils en avaient un assez constant et assez courageux pour leur donner cette dernière et pénible marque de son attachement. Les condamnés ne devraient avoir les mains liées derrière le dos qu'au moment du supplice. La garde qui les environne suffit pour répondre d'eux, et l'exécuteur placé dans une voiture de suite ne devrait s'offrir à leurs yeux qu'à l'instant de remplir son cruel ministère ; cette recherche d'humanité donnerait un caractère plus auguste à la peine capitale, et le peuple verrait qu'il faut que la mort du supplicié soit bien nécessaire à la patrie, puisqu'elle consent à laisser périr sur l'échafaud un homme qu'elle traite avec tant d'intérêt. (Chronique de Paris, 30 août.)

 

Depuis le 22 août 1792 jusqu'à la fin de l'année la guillotine eut à Paris deux emplacements. Le Carrousel était réservé aux exécutions ordonnées pour crimes politiques ; la place de Grève restait témoin des exécutions des criminels de droit commun, et des expositions. Le 21 janvier 1793, pour la première fois ; l'échafaud était dressé sur la place de la Révolution[19]. La raison de cette dérogation à l'usage établi était simple. Le roi était détenu au Temple, et, pour aller de la prison à la place de Grève ou au Carrousel, il eût fallu que le cortège s'engageât dans le dédale de rues étroites et tortueuses qui formaient à cette époque le cœur de la ville, et où un enlèvement eût été possible. Il y avait, disait-on, plus de six mille individus payés pour se réunir, crier grâce et tenter d'arracher Louis XVI au supplice. Le gouvernement ne l'ignorait pas et il prenait ses mesures en conséquence. La rue du Temple, les boulevards et la rue Royale formaient depuis la prison jusqu'à la place Louis XV un parcours large, direct et facile à surveiller. La voiture du roi était d'ailleurs escortée de douze à quinze mille hommes bien armés, et plus de cent mille autres étaient rangés en haies impénétrables depuis le boulevard du Temple jusqu'au pont de la Liberté[20] ; des canons étaient braqués de distance en distance, et il fut ordonné de fermer toutes les croisées qui donnaient sur le boulevard.

Le détail de l'exécution du Roi ne rentre pas dans notre sujet ; on en a donné du reste de si nombreuses narrations qu'il serait superflu de refaire un récit qui est dans toutes les mémoires. Un seul point n'a pas été élucidé, et comme il touche directement à l'objet spécial de cette étude, nous en dirons quelques mots : Qu'est devenue la guillotine dont on fit usage le 21 janvier 1793 ? On prétend — car, n'ayant trouvé aucun document officiel à ce sujet, nous sommes ici réduits aux on-dit — qu'elle existe encore. Il n'y a pas longtemps, quand les transportés condamnés aux travaux forcés approchaient de la Guyane, le premier point qu'ils reconnaissaient du large, à quarante kilomètres de la côte, était un groupe de rochers, l'archipel du Salut. Au faîte du plus élevé de ces îlots la guillotine était dressée en permanence sur fond de ciel. C'était l'épouvantail destiné à tenir en respect les pensionnaires du bagne. Comme il n'y a pas à Cayenne d'exécuteur en titre, c'est un forçat, un amateur, qui tient l'emploi de bourreau, et qui fait fonctionner, au petit bonheur, cette vieille machine disloquée[21] ; il l'appelle peu respectueusement la manivelle. Or cette manivelle, ce bois de justice qui est venu échouer si loin, c'est l'authentique guillotine de Sanson, le couperet qui a décapité les Girondins et Louis XVI[22]. Le chroniqueur qui signale ce fait étrange, émet le vœu que cet outil révolutionnaire prenne au musée Carnavalet la place qui lui revient de droit. Si la ville de Paris ne le réclame pas, il ira pourrir dans un hangar du pénitencier, ou il tombera dans les mains de quelque barnum qui le promènera dans les foires.

C'est là une des versions ; mais il y en a d'autres. On assure que dans la famille Roch — une famille où les fonctions de bourreau sont considérées à l'égal d'un sacerdoce — on conserve précieusement le couperet sous lequel tomba la tête de Louis XVI[23]. Et, si cette légende est en contradiction avec l'assertion qui précède, il faut reconnaître qu'elle concorde absolument avec une tradition qui a été recueillie — ou inventée — par le rédacteur des Mémoires de Sanson. Celui-ci raconte que, lors de l'exécution d'un émigré, nommé Guyot-Desmaulans, au mois d'avril 1793, le condamné arrivé sur la plate-forme considéra l'échafaud avec une attention singulière, et en même temps une Vive émotion se trahit sur sa physionomie. Sanson se trouvait auprès de la victime ; Guyot-Desmaulans lui dit : Est-ce le même ? Et comme l'exécuteur ne paraissait pas comprendre, il lui demanda si c'était là l'instrument qui avait servi à l'exécution du roi. Sanson lui répondit que le couteau seul avait été changé, et alors le royaliste qui allait mourir s'agenouilla et baisa pieusement la place que Louis XVI avait arrosée de son sang. Je sais bien que l'on ne peut accorder généralement aucune créance aux Mémoires des Sanson : sans doute, çà et là, les romanciers qui en ont assumé la paternité ont bien voulu respecter la vérité des faits ; mais ça été pure concession de leur part. Pourtant nous avons vu que l'éditeur de cet ouvrage fut mis en rapport avec le dernier des Sanson, et il est possible qu'il en reçut confidence de quelque tradition telle que celle-ci.

Nous ne la rapportons d'ailleurs qu'à titre de simple curiosité, car une troisième version — tout aussi peu authentifiée que les deux premières — fait un autre sort à la guillotine du 21 janvier : M. le comte de Reiset, dans son Livre-Journal de Mme Eloff, où il a rassemblé avec un soin si pieux les plus menus détails de la vie et de la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette, a recueilli le témoignage suivant.

M. le comte O' Mahony, dit-il, m'a raconté qu'étant, il y a quelques années à Auch, il fut pris par un orage à l'entour de la ville ; il entra sous le porche d'une maison isolée ; l'Orage continuait ; il s'assit sur des pièces de bois de charpente qui étaient rangées au-dessous d'un escalier extérieur placé dans la cour.

Etant revenu dans sa famille, il me raconta ce qui lui était arrivé et décrivit l'endroit où il était allé chercher un refuge contre la pluie. Mme de Marignan, chez laquelle il était, l'ayant écouté avec attention, lui dit : Mais, mon cher cousin, vous êtes entré chez le bourreau, et les pièces de bois dont vous parlez sont celles de l'échafaud de Louis XVI. En effet, après l'exécution du roi, on avait tiré au sort la ville qui aurait l'échafaud, et il échut à la ville d'Auch[24].

 

Quel que fût le sort qui attendait l'échafaud que le sang de Louis XVI avait rougi, il est certain qu'après le 21 janvier cet instrument fut dressé de nouveau au Carrousel et y fonctionna plusieurs fois. Si cette machine fut remplacée par une autre, ce changement n'eut lieu que dans le courant d'avril 1793 ; encore est-il probable que l'on se contenta d'y apporter quelques perfectionnements, tels, par exemple, que la substitution du cuivre au fer des rainures pour éviter la rouille. C'est, du moins, ce qu'on peut conclure d'un article des Révolutions de Paris du 27 avril 1793.

On a mis, dit Prudhomme, la dernière main à la guillotine ; on ne saurait imaginer un instrument de mort qui concilie mieux ce qu'on doit à l'humanité et ce qu'exige là loi, du moins tant que la peine capitale ne sera point abolie. On devrait bien aussi perfectionner le cérémonial de l'exécution et en faire disparaître tout ce qui tient à l'ancien régime. Cette charrette, dans laquelle on met le condamné, et dont on fit grâce à Capet ; ces mains liées derrière le dos, ce qui oblige le patient à prendre une posture gênante et servile ; cette robe noire, dont on permet encore au confesseur de s'affubler, malgré le décret qui défend le costume ecclésiastique : tout cet appareil n'annonce pas les mœurs d'une nation éclairée, humaine et libre. Peut-être même est-il impolitique de laisser un prêtre assister un contre-révolutionnaire, un conspirateur ou un émigré à son dernier moment. L'ascendant de la religion peut porter le criminel à confier des choses importantes à un homme disposé à en abuser par la suite[25]. Un autre reproche à faire à ce supplice, c'est que, s'il épargne la douleur au condamné, il ne dérobe pas assez aux spectateurs la vue du sang ; on le voit couler du tranchant de la guillotine et arroser en abondance le pavé où se trouve l'échafaud ; ce spectacle repoussant ne devrait point être offert aux yeux du peuple, et il serait très aisé de parer à cet inconvénient, plus grave qu'on ne le pense, puisqu'il familiarise avec l'idée du meurtre, commis, il est vrai, au nom de la loi, mais avec un sang-froid qui mène à la férocité réfléchie. N'entend-on pas déjà la multitude dire que ce supplice est beaucoup trop doux pour les scélérats qu'on a exécutés jusqu'à présent et dont plusieurs, en effet, ont eu l'air de braver la mort. Le peuple se dégrade en paraissant vouloir se venger, au lieu de se borner à vouloir faire justice.

 

Cette impassibilité des victimes, ce calme et ce sang-froid devant la mort n'étaient pas sans exaspérer quelque peu les maîtres de la France ; ils voulaient terroriser et ils ne faisaient peur qu'à eux-mêmes.

L'intrépidité avec laquelle les contre-révolutionnaires que la loi condamne vont à la mort est vraiment incroyable, dit un journal[26], et prouve que le crime a ses héros tout comme la vertu. Le colonel Vaujour se voyant condamné demandait gaîment à ceux qui l'entouraient à quelle heure la cérémonie serait terminée : A deux heures, lui répondit-on. — Tant pis, c'est ordinairement l'heure de mon dîner ; mais, n'importe ! je dînerai un peu plus tôt. Il demande de suite plusieurs plats, mange et boit à proportion. L'heure fatale sonne ; il n'avait pas encore fini : Je mangerais bien encore un morceau, dit-il à ceux qui venaient le chercher. N'importe, partons ! — Parvenu au coin de la rue de l'Échelle, il fut hué par quelques femmes : Telle était ma destinée, dit le patient, que je devais être insulté par la canaille jusqu'à ma dernière heure.

Le chirurgien dentiste[27] disait à haute voix après son jugement : Eh bien ! oui, au f... la République, et vive le Roi ! Arrivé sur le théâtre, il répéta les mêmes mots, et, se tournant vers l'exécuteur : Allons, guillotine-moi !

Le vieux Blanchelande, gouverneur de la Martinique, ne fit qu'un saut de la charrette sur l'échafaud et mourut avec joie. — Jursau, après sa condamnation, dit en se retirant : les b... qui viennent de me condamner le paieront cher.

Ce malheureux, avant de recevoir le coup mortel, s'écria trois fois : Vive le Roi ! Quel délire ! Tous ceux qu'on guillotine dans les départements affectent la même fermeté et bravent la mort, toute hideuse qu'elle est.

 

Cette machine si perfectionnée, ce spectacle si attrayant désolaient l'architecte Gisors qui avait été chargé d'aménager les locaux du château des Tuileries en vue d'y installer la Convention, et qui se plaignait de ce que ses ouvriers perdaient un temps considérable et quittaient leurs travaux pour aller attendre au Carrousel l'heure des exécutions[28].

L'Assemblée tint sa première séance aux Tuileries le vendredi 10 mai 1793, et tout aussitôt un membre fit la motion de retirer de la place de la Réunion la machine qui sert à exécuter les jugements rendus par le Tribunal révolutionnaire. Cette proposition ne fut pas adoptée ; mais la Convention décréta seulement que la municipalité de Paris serait invitée à choisir un autre lieu pour l'exécution des jugements du Tribunal. Les députés consentaient bien à ordonner la besogne, mais ils ne voulaient pas en être témoins ; dès le lendemain l'échafaud était reporté à la place de la Révolution ; il devait y rester pendant treize mois[29].

Cette fois, on ne le dressa pas, comme au 21 janvier, entre les restes de la statue de Louis XV et l'entrée des Champs-Elysées : on l'établit, au contraire, entre ce piédestal et le jardin des Tuileries. Les gravures de l'époque assez nombreuses, qui représentent soit la mort de la Reine, soit quelque autre exécution, sont peu documentées et ne concordent point entre elles sur l'emplacement exact de la guillotine. Les historiens ne s'entendent pas mieux sur ce point de détail. Lamartine, qui n'hésite pas généralement à sacrifier la vérité à une belle phrase, met l'instrument du supplice à l'endroit où la fontaine jaillissante la plus rapprochée de la Seine semble aujourd'hui laver éternellement le pavé. D'autres le placent au centre même de la place, à l'endroit où s'était élevée la statue équestre de Louis XV. C'est une erreur. Cette statue avait été renversée le 12 août 1792, mais le piédestal était resté debout, et l'on y avait élevé, pour remplacer l'image du roi bien-aimé, une statue assise de la Liberté[30], à laquelle Mme Roland adressa son dernier salut et son dernier mot. Les curieux se massaient de préférence sur les deux terrasses du jardin des Tuileries, près des Renommées de marbre qui ornent encore l'entrée du jardin ; de là ils dominaient le lieu du supplice. Il y avait même un restaurant installé dans l'ancien logement du suisse du Pont-Tournant, et on l'appelait le Cabaret de la Guillotine. On a dit, mais c'est un détail qu'aucun contemporain, je crois, n'a rapporté, que la carte des plats, offerts par cette guinguette à ses clients, portait, écrite au verso, la liste de la fournée du jour.

 

V. — LA CHARRETTE DE SANSON

 

La foule était ordinairement grande autour de l'échafaud. Il y avait là de tous les mondes ; des bourgeois, des militaires, des muscadins, des femmes, beaucoup d'espions de police, très peu d'ouvriers. Les députés n'y venaient guère, et pour cause ; cependant Dulaure nous dit qu'il cherchait à se familiariser avec la vue du supplice[31].

Robespierre, lui, ne paraît pas avoir éprouvé la moindre répulsion pour ce terrible instrument objet de dégoût et d'horreur pour presque tout le monde. Loin d'en fuir la vue, il passait pour le contempler fréquemment ; on aurait presque dit qu'il y trouvait du plaisir, car il s'arrêtait, dit-on, quand sa promenade l'amenait au bas des Champs-Elysées. Cela n'est guère en harmonie avec les sentiments d'humanité et de sensibilité qu'il affectait et dont il parlait à tout instant[32].

 

Cependant, quand les victimes étaient obscures et en petit nombre, les spectateurs étaient assez clairsemés : d'ailleurs, l'heure des exécutions variait suivant la durée des séances du tribunal, et bien des gens se contentaient d'aller voir les charrettes dans la rue Saint-Honoré. C'était là qu'avait lieu le vrai drame. C'était là qu'on pouvait assister de près à la lente agonie de ceux qu'on traînait à la boucherie. Elles existent encore pour la plupart, les vieilles et hautes maisons de cette voie douloureuse, qui ont vu passer tant de malheureux liés aux ridelles du vis-à-vis de maître Sanson. L'affreux cortège débouchait de la rue du Roule et s'engageait à gauche de la rue Saint-Honoré. Il y a là, en face de ce tournant étroit où l'encombrement des curieux était toujours énorme à cause du voisinage des Halles, une maison Louis XIV avec un des plus beaux balcons de Paris. Un peu plus loin est la fontaine de l'Arbre sec. Charlotte Corday, qui, curieuse, profitait du long parcours à travers les rues pour voir Paris qu'elle ne connaissait pas, jeta sans doute un regard à ce monument d'un joli style rococo. Puis voici l'Oratoire : bien des fronts de condamnés ont dû se relever en passant devant cette église, bien des prières suprêmes ont dû monter vers ce noir portail. C'est là, dit-on, que, au moment où l'on conduisait la Reine à l'échafaud, une mère, dans la foule, éleva au-dessus des têtes son enfant, un petit garçon blond, de l'âge du Dauphin, qui envoya un baiser à la pauvre femme qui allait mourir. Devant le Palais-Égalité là foule était toujours houleuse et serrée : on était bien là pour voir. Sur les marches de Saint-Roch on était mieux encore ; aussi les curieux s'y installaient-ils longtemps avant le passage des charrettes. Au 16 octobre, le perron de l'église était noir de monde. Une femme, postée à l'extrême bord d'un des massifs de maçonnerie qui se trouvent là, cracha dans ses mains et tâcha de lancer sa salive jusqu'à la Reine. Ce qui a pu faire croire que Marie-Antoinette s'aperçut de cette lâche insulte, c'est qu'à ce moment, bien qu'elle eût les mains liées, elle tourna le dos à toute cette canaille. Précédant la charrette, qui menait la Reine à l'échafaud, un officier de la garde nationale, l'épée à la main, levait et inclinait alternativement son arme pour inviter le public à garder le plus profond silence. L'air solennel et pénétré de sa mission, la gravité de sa marche, la douleur concentrée du héraut de la mort, la majesté de son geste, tout imprimait à ce spectacle une horreur indicible et poignante[33].

Celui qui, tout enfant, a été témoin de ce fait avait conservé du passage des charrettes un autre souvenir non moins poignant.

Comment, à l'âge que j'avais[34], me suis-je trouvé là ?... Ce sont de ces choses que je suis réduit à classer parmi les énigmes de ma vie. Quoi qu'il en soit, je l'ai vu, ce tombeau roulant ; il était rempli de malheureux qui allaient à la mort... tous hommes. L'un d'eux (je reproduirais sa figure avec ses angoisses avant qu'il eût parlé, et sa résignation lorsqu'il se fut écrié) : Y a-t-il quelqu'un qui veuille aller rue de la Vieille-Draperie, n° 16 ?Moi, répondis-je par un mouvement de pitié que je ressens encore, et sous les yeux de la foule qui n'osait m'approuver. — Merci, jeune homme, ajouta-t-il, allez dire à ma femme et à mes enfants que je meurs en les aimant, et qu'ils se consolent. — J'y cours, lui dis-je en m'élançant du côté que l'on m'indiqua ; et j'allai m'acquitter de ma promesse comme un pauvre enfant tout attendri, mais ne comprenant ni les motifs de ce drame, ni la difficile grandeur du rôle qu'il venait d'accepter.

 

Comme on n'irait pas chercher dans le journal de Charles Maurice des anecdotes sur la Révolution, cueillons-y encore celle-ci qui rectifie un fait avancé par divers historiens.

On a dit qu'en allant à la mort les Girondins chantaient le fameux hymne : Mourir pour la patrie !... C'est une erreur. D'abord ces infortunés, dont la tenue et le courage étaient admirables, ne pouvaient se sentir inspirés par le cadavre de Valazé placé sur une charrette particulière. Deux seuls entre tous, Duprat et Mainvielle, se sont soulevés en passant devant la rue Saint-Roch, et ont fait entendre le premier couplet de la Marseillaise. Ils continuaient, lorsqu'un enfant de onze ans, qui, seul aussi peut-être, les écoutait avec cette sorte de prédestination dont le mot est : Regarde pour te souvenir ! les perdit de vue et demeura terrifié sur la place. Cet enfant, c'était moi. J'avais onze ans et sept mois. A cet âge, la mémoire est déjà forte. Le collège de M. Hix, dont je faisais partie, avait pour quelques jours renvoyé ses écoliers à leurs parents, et le hasard voulut que l'épouvantable spectacle vînt frapper ma jeune imagination pour ne jamais s'en effacer. Quant au chant Mourir pour la Patrie ! il est, on le sait, l'ouvrage d'un jeune homme de vingt-quatre ans, nommé Girey-Dupré, rédacteur du journal le Patriote français, et qui en a expié aussi la généreuse inspiration. Cela se bornait à un seul couplet, que son brave auteur avait composé avant de se rendre au tribunal, et qu'il a chanté depuis la prison jusqu'à l'échafaud. En voici la reproduction exacte :

Pour nous quel triomphe éclatant !

Martyrs de la liberté sainte,

L'immortalité nous attend,

Dignes d'un destin si brillant,

A l'échafaud marchons sans crainte,

L'immortalité nous attend.

Mourir pour la Patrie ! (bis)

C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie !

Après la réaction on a ajouté des couplets à celui-ci, pour en faire un hymne national, et les chanteurs des rues en ont assez longtemps propagé la mémoire.

 

Peu à peu, cependant, le quartier Saint-Honoré se lassa du spectacle quotidien qui lui était offert. Le passage des charrettes paralysait entièrement le commerce à certaines heures de la journée. Dès que le sinistre cortège approchait, les boutiques se fermaient, la rue appartenait à la plus vile populace. D'abord les crieurs apparaissaient, annonçant la liste des condamnés, fraîchement imprimée ; les groupes se formaient, stationnant le long des maisons, hurlant des obscénités ou chantant des refrains révolutionnaires ; les fenêtres hautes se garnissaient de curieux : tout à coup, l'on criait : Les voilà ! Et, escorté d'un groupe de gendarmes, apparaissait le carrosse à trente-six portières. Les patients, les mains liées derrière le dos, les pieds nus ou chaussés de larges souliers ou de pantoufles, y étaient placés, attachés aux ridelles, se faisant vis-à-vis. Chaque charrette contenait cinq à six condamnés. Quand il n'y avait qu'une ou deux victimes, elles étaient tournées de façon à ne pas voir les chevaux. On sait que la Reine, sortant de la Conciergerie et arrivée sur la charrette, enjamba assez lestement la planche qui, posée en travers, servait de banc, et s'assit face en avant. ; Sanson la fit se relever et s'asseoir le dos tourné à l'attelage. La durée du trajet variait de trois quarts d'heure à une heure et demie.

 

La place de la Révolution ne présentait point, non plus, un aspect bien réjouissant. Au mois d'août 1793, le Conseil général de la Commune avait arrêté que la guillotine y resterait dressée en permanence jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, à l'exception néanmoins du coutelas que l'exécuteur des hautes œuvres sera autorisé d'enlever après chaque exécution. Cet épouvantail interrompait singulièrement la perspective de la grande avenue des Tuileries. Autour de lui, le sol était toujours imprégné de sang, au point que la trace des pieds des passants qui avaient traversé la place se reconnaissait bien au loin et jusque sur le pavé de la rue de Bourgogne. Cela, non plus, ne plaisait qu'à demi aux habitants du quartier. Aussi, après la fête de l'Être Suprême[35], le 25 prairial an II, jugea-t-on convenable de transporter l'échafaud à l'autre extrémité de Paris, à la barrière du Trône-Renversé.

 

VI. — LA GUILLOTINE À LA PLACE DU TRÔNE

 

Là on l'installa dans des conditions plus confortables et de façon à ne point voir se renouveler les inconvénients qui avaient fait abandonner le précédent emplacement. On creusa sous la plateforme un trou d'environ une toise cube, où s'écoulaient le sang et l'eau avec laquelle on lavait l'instrument des supplices. Mais cette fosse se trouva bientôt pleine et répandait une odeur si infecte que le commissaire de la section émit l'idée de combler cet égout et d'en creuser un autre plus profond où l'on rencontrerait une terre dans laquelle le sang s'imbiberait.

C'est à la place du Trône qu'eurent lieu les grandes fournées ; c'est là que périrent les nombreuses victimes de la soi-disant conspiration des prisons. Et à ce sujet, il est échappé à M. Thiers, dans son Histoire de la Révolution, une singulière erreur au sujet de l'emplacement de la guillotine,

Dans la nuit du 6 juin, dit-il, on traduisit les cent soixante désignés au Luxembourg. Ils tremblaient en entendant cet appel, ils ne savaient ce qu'on leur imputait ; et ce qu'ils voyaient de plus probable, c'était la mort qu'on leur réservait. L'affreux Fouquier, depuis qu'il était nanti de la loi du 22, avait opéré de grands changements dans la salle du Tribunal. Au lieu des sièges des avocats et du banc destiné autrefois aux accusés et pouvant en contenir dix-huit ou vingt, il avait fait construire un amphithéâtre qui pouvait contenir cent à cent cinquante accusés. Il appelait cela ses petits gradins. Poussant son ardeur jusqu'à une espèce d'extravagance, il avait fait élever l'échafaud dans la salle même du Tribunal, et il se proposait de faire juger en une même séance les cent soixante accusés du Luxembourg.

Le Comité de Salut public, en apprenant l'espèce de délire de son accusateur public, l'envoya chercher, lui ordonna de faire enlever l'échafaud de la salle où il était dressé et lui défendit de traduire plus de cinquante individus à la fois : Tu veux donc, lui dit Collot d'Herbois dans un transport de colère, démoraliser le supplice ? Il faut cependant remarquer que Fouquier a prétendu le contraire et soutenu que c'était lui qui avait demandé le jugement des cent soixante en trois fois. Cependant, tout prouve que c'est le Comité qui fut moins extravagant que son ministre et qui réprima son délire. Il fallut renouveler une seconde fois à Fouquier-Tinville l'ordre d'enlever la guillotine de la salle du Tribunal. Les cent soixante furent partagés en trois groupes, jugés et exécutés en trois jours.

 

Est-il besoin de dire que jamais la pensée d'installer la machine à décapiter dans la salle même du Tribunal ne vint hanter l'esprit de l'accusateur public. Le mot échafaud, qui se trouve en effet dans les documents originaux, ne signifie qu'échafaudage et désigne les immenses gradins qu'il était urgent d'élever dans l'enceinte de la justice pour y placer les cent soixante accusés. M. Thiers a pris ce mot dans son sens moderne et en a fait la guillotine. Erreur excusable, en ce sens qu'elle indique bien que, de la part de Fouquier-Tinville, aucune atrocité, si extravagante soit-elle, ne peut étonner un historien même impartial.

La guillotine resta en permanence à la place du Trône jusqu'au 9 thermidor ; elle y dévora treize cents victimes en six semaines ! Un autre échafaud était dressé, non pas à demeure celui-là, sur la place de Grève, chaque fois que le Tribunal avait prononcé contre quelque prévenu de droit commun la peine de mort[36]. Le 10 thermidor, l'instrument de mort était, dès le matin, reporté à la place de la Révolution. A quatre heures du soir, Robespierre et vingt et un de ses principaux complices y montaient aux acclamations d'un peuple immense. Le 11 et le 12, le spectacle continua. En ces trois jours, Sanson exécuta cent trois terroristes mis hors la loi ; puis la guillotine quitta définitivement la place de la Révolution. La grande épouvante était finie. Paris respira.

De thermidor an II à prairial an III l'échafaud fut dressé à la place de Grève : c'est là que moururent Fouquier-Tinville et Carrier. Au moment où celui-ci apparaissait sur la fatale plate-forme, le son aigu d'une clarinette s'éleva du sein de la foule qui huait l'horrible noyeur de Nantes, et Carrier put reconnaître l'air du Ça ira !

A la fin de mai 1795 (prairial an III) la guillotine revint à la place de la Révolution : après les émeutes des 1, 2 et 3 prairial, la Convention avait, en effet, rendu un décret instituant une commission militaire composée de cinq membres[37] chargés d'instruire contre les fauteurs de troubles. Dans les premiers jours de sa session, cette commission siégea aux Tuileries, dans le local du Comité de Salut public, et les prisonniers étaient détenus dans les caves du château ; après quelques séances, la Commission militaire transporta ses assises, place Vendôme, dans l'ancien bureau du petit hôtel du lieutenant général de police, près du couvent des Capucines. Le voisinage de la place de la Révolution fut, sans doute, cause qu'on y installa de nouveau l'échafaud. Paris, secoué par trois années de sang, excédé de la Révolution, découragé, mourant littéralement de faim et de misère, n'aurait pas supporté peut-être le long trajet des charrettes à travers les rues.

Du 6 avril 1793 au 11 thermidor an III (29 juillet 1795), l'instrument du Dr Guillotin avait fait tomber, tant au Carrousel qu'à la place de la Révolution, au Trône ou à la Grève, deux mille huit cent trente et une têtes. S'il fallait donner une appréciation sur ce résultat, il suffirait de rappeler le mot de Danton : Le tribunal révolutionnaire ! J'en demande pardon à Dieu et aux hommes..... Et la parole de Saint-Just : L'exercice de la Terreur a blasé le crime, comme les liqueurs fortes blasent le palais.

 

VII. — LES CIMETIÈRES DES SUPPLICIÉS. - LA MADELEINE. - LES ERRANCIS. - PICPUS

 

Suivant les déplacements successifs de la guillotine, les inhumations des suppliciés avaient lieu dans divers endroits dont il convient d'indiquer l'emplacement, aujourd'hui oublié.

La Révolution, en dépossédant l'Eglise, lui avait enlevé les cimetières dont la propriété fut transférée à l'autorité municipale. On les mit en vente en stipulant qu'ils ne pourraient être livrés au commerce qu'après dix années à compter des dernières exécutions. Après la suppression des cimetières des paroisses, deux nécropoles seulement suffisaient à tout Paris en 1792. L'une était le cimetière de l'Ouest ou de Vaugirard ; l'autre se nommait l'enclos de Clamart et était situé rue du Fer-à-Moulin.

Dès la première exécution, la Commune de Paris, prévoyant sans nul doute les hécatombes qui allaient suivre, fit l'acquisition d'un grand terrain dépendant de l'ancienne paroisse de la Madeleine[38] et ayant servi de potager aux religieuses bénédictines de la Ville-l'Évêque. Ce jardin, prenant façade sur la rue de la Ville-l'Évêque, longeait toute la rue de l'Arcade et était séparé de la rue d'Anjou par une suite de maisons non interrompue. C'est là que, dès le 20 janvier 1793, le pouvoir exécutif avait fait creuser une fosse de 10 pieds de profondeur et conduire un tombereau de chaux vive. Le lendemain, à neuf heures du matin, au moment même où Louis XVI quittait la tour du Temple, les citoyens Leblanc, administrateur du département, et Dubois vinrent s'informer près du citoyen Picavez, curé de la Madeleine, si les préparatifs de l'inhumation étaient terminés. Sur sa réponse affirmative, ils se rendirent à l'église, où attendaient, escortés de la croix et revêtus de leurs ornements sacerdotaux, les deux vicaires de la paroisse, MM. Damoreau et Renard.

Le corps du Roi n'entra pas à l'église. Après une très courte absoute, les deux prêtres l'accompagnèrent jusqu'au cimetière ; une foule de peuple les escortait, maintenue par des dragons et des gendarmes à pied, dont la musique jouait des airs républicains. La populace envahit le cimetière, et c'est dans le silence le plus religieux qu'elle écouta M. l'abbé Renard réciter les prières des morts. Le corps du Roi était vêtu d'un gilet de piqué blanc, d'une culotte de soie grise et de bas de soie gris. Le chapeau[39] et les souliers manquaient. La tête était placée entre les jambes ; la figure n'était pas décolorée et les yeux restaient ouverts[40]. La dépouille royale, déposée dans une bière ouverte, fut descendue dans la fosse et recouverte d'une couche de chaux vive[41]. Le cimetière de la Madeleine reçut également les corps des victimes de l'échafaud révolutionnaire pendant le cours dé l'année 1793 et les trois premiers mois de 1794[42]. Mais ce lieu funèbre se trouvait trop près de la place de la Révolution ; en outre, un rapport du commissaire de la section du Mont-Blanc observe que le pavé de la rue Ville-l'Evêque est constamment rougi de sang. Les véritables motifs de l'abandon du cimetière furent les plaintes des habitants du quartier, à qui ce voisinage déplaisait et qui considéraient ce charnier de décapités comme un foyer d'épidémie. Il faut remarquer cependant que la petite nécropole était loin d'être encombrée ; de plus, dès qu'une tranchée était remplie de cadavres, on s'empressait de les couvrir d'une couche de chaux vive ; la pestilence n'était donc pas à craindre ; mais c'est là un trait général de l'imagination populaire. Les Parisiens, qui vivaient sur d'anciens cimetières répartis dans les quartiers les plus populeux et les plus malsains de la ville, ne pouvaient supporter le voisinage du cimetière des suppliciés : cela les émouvait, les inquiétait, leur faisait toujours redouter les épidémies, même à l'époque où leur nombre relativement restreint ajoutait un chiffre imperceptible au chiffre énorme des inhumations ordinaires de Paris. Le quartier de la Madeleine était aéré, et le cimetière n'était pas au quart rempli. Mais le Roi, mais les Girondins étaient là ; l'imagination en était préoccupée. Les voisins se croyaient malades. La commune fit donc choix d'un nouvel emplacement, à l'extrémité du faubourg de la Petite-Pologne. C'était une sorte de désert s'appuyant contre les murs même de la Folie de Chartres, c'est-à-dire du parc Monceau ; il était bordé par le mur d'enceinte, la rue de Valois et la rue du Rocher, qui, à cet endroit, s'appelait la rue des Errancis. Ce fut le cimetière de Mousseaux, comme l'on disait administrativement ; mais, pour le peuple, le vieux mot persista et on l'appela le cimetière des Errancis. Du 5 mars au 25 mars 1794, les inhumations ordinaires y furent faites ; pendant cette période, les décapités étaient encore portés à la Ville-l'Évêque et Hébert et Clotz furent les derniers décapités qu'on y enterra, le 24. Le 25, l'ordre fut donné de fermer définitivement le cimetière de la Madeleine et d'inhumer les supplices aux Errancis.

Danton, Desmoulins, Lucilé, Chaumette ont inauguré ce cimetière[43]. L'autorité n'ignorait pas l'amour et le fanatisme qui s'attachaient à ces noms. Elle fit, pendant quelque temps, mystère des inhumations de Monceau. Les suppliciés étaient d'abord déposés à la Madeleine, et c'était quelques jours après qu'on les portait à Monceau, sans doute pendant la nuit. Les voisins n'en savaient rien ; ils croyaient qu'on les enterrait au haut de la rue Pigalle (alors le cimetière Roch) ; ils s'en plaignaient même et soutenaient que ces corps des suppliciés produiraient une épidémie.

Lorsqu'on sut positivement leur inhumation à Monceau, ce furent d'autres plaintes. La naissante commune des Batignolles, si aérée, si clairsemée, au vent du nord, dans la plaine de Clichy, ne pouvait plus, disait-elle, supporter l'odeur des cadavres. En réalité, ce petit angle détaché du parc Monceau (49 toises en tout sûr 29) se comblait et regorgeait. Quatre immenses sections de Paris venaient y enterrer leurs morts (sept mille en moins de trois ans). Les guillotinés comptaient pour bien peu dans ces nombres énormes. Ils y vinrent pendant dix semaines (du 25 mars au 10 juin) et, du jour qu'ils n'y vinrent plus, les plaintes cessèrent ; les voisins ne s'aperçurent plus de la présence des morts.

 

Lorsqu'au 16 prairial (14 juin 1794) l'échafaud fut dressé, pour un jour, sur la place de la Bastille et ensuite à la barrière du Trône-Renversé, il devenait urgent de trouver dans le quartier même un lieu de sépulture pour les victimes : on choisit le cimetière attenant à l'église Sainte-Marguerite[44] ; c'était un charnier déjà comblé par les inhumations ordinaires. Les habitants de la section ne s'en plaignaient point d'ailleurs. Mais, dès qu'on y porta les suppliciés, ils protestèrent et déclarèrent que tout le faubourg était empoisonné. Il fallut chercher autre chose.

Il y avait, à l'extrémité du faubourg, à Picpus, près du mur d'enceinte de la barrière, un jardin dépendant de l'ancien couvent des religieuses chanoinesses de Saint-Augustin. Ce jardin avait été loué comme bien national ; la commune le reprit pour cause d'utilité publique, et l'on commença à y creuser des fosses ; le commissaire de police de la section de l'Indivisibilité, Almain, et celui de la section des Quinze-Vingts, Renet, chargés de la surveillance de cet établissement, prirent quelques mesures propres à assurer le bon fonctionnement de ce nouveau et important service : ils demandaient, entre autres perfectionnements, que l'on pavât la chaussée conduisant de la place de l'exécution au nouveau cimetière. Ce chemin, le long du mur d'enceinte, était impraticable, disaient-ils, surtout pour les nouveaux tombereaux qui transportent les cadavres des suppliciés : ces tombereaux ayant des roues trop basses, s'engravent dans le sable et les terres mouvantes, et les font demeurer malgré le nombre des chevaux que l'on y peut atteler.

On proposait aussi, afin de prévenir toute odeur méphitique, d'établir sur la fosse un plancher en charpente sur lequel on pratiquerait des trappes pour la facilité du service... — Au lieu même de l'exécution, place de la Barrière-Renversée (sic), il a été pratiqué un trou destiné à recevoir le sang des suppliciés. Quand l'exécution est terminée, on se borne à couvrir le trou avec des planches, ce qui est insuffisant pour renfermer l'odeur résultant du sang corrompu, et qui s'y trouve en assez grande quantité... On pense que, pour supprimer toute espèce d'exhalaison meurtrière, dans la saison actuelle[45], il serait convenable d'établir sur une petite brouette à deux roues un coffre doublé d'une feuille de plomb dans lequel tomberait le sang des suppliciés, qui serait ensuite versé dans la fosse de Picpus. Le département des Travaux publics s'empressera, sans doute, d'adopter cette dernière mesure, et je l'y exhorte d'autant mieux que, le lieu du supplice et celui de la fosse n'étant pas très éloignés l'un de l'autre, il serait possible que ces exhalaisons s'attirassent entre elles et vinssent à produire un foyer de méphitisme d'autant plus dangereux que, dans cette hypothèse, elles ne laisseraient pas d'embrasser une grande partie de l'atmosphère.

 

On le voit, l'autorité cherchait à éviter de nouvelles récriminations de la part des habitants du faubourg ; elle les craignait à ce point qu'elle s'efforçait de tenir secret, autant que possible, le lieu où se faisaient les inhumations. Tout Paris savait où étaient tombées les victimes, mais ce qu'on avait fait de leurs restes, les journaux du temps ne l'avaient point dit ; les familles des décapités étaient à ce sujet dans l'ignorance la plus complète à l'égard de leurs proches morts sur l'échafaud.

Lorsqu'en 1802 Mme de Montagu-Noailles rentra en France, un de ses premiers soins avait été de s'informer du lieu où Mme la duchesse d'Ayen, sa mère, guillotinée le 22 juillet 1794, avait été ensevelie. Personne ne put l'en instruire. Elle apprit enfin qu'il existait quelque part, dans une mansarde des faubourgs, une pauvre fille en état de lui fournir là-dessus quelque lumière ; elle se nommait Mlle Paris et gagnait paisiblement sa vie à raccommoder les dentelles. Mme de Montagu se mit en marche sur ces faibles indices, et, après avoir frappé à bien des portes, monté et descendu bien des escaliers, elle arriva au quatrième étage de Mlle Paris, qui, en la voyant, crut que c'était quelque nouvelle pratique que le ciel lui envoyait ; mais quand Mme de Montagu lui eut expliqué l'objet de sa visite, la pauvre ouvrière fondit en larmes.

Mon père, dit-elle, était un vieillard infirme qui avait servi trente ans dans la maison de Brissac ; mon frère, un peu plus jeune que moi, était employé de l'état-major de la garde nationale ; il était très rangé, très économe, et il nous soutenait tous par son travail, car les malheurs de la maison de Brissac avaient privé mon père de sa pension, et, pour moi j'étais en chômage, vu qu'on ne portait guère de dentelles au temps de la Terreur. Un jour, mon frère ne rentra pas au logis à l'heure accoutumée ; je sortis pour avoir de ses nouvelles, et, à mon retour, je trouvai la maison déserte. Mon père, qui pouvait à peine marcher, avait été traîné en prison pendant mon absence ; mon frère y était depuis le matin. Je n'ai jamais su de quoi on les avait accusés[46]. On n'a voulu ni m'enfermer avec eux, ni me permettre de les embrasser. Je ne les ai revus que sur la charrette qui les conduisait au supplice. Quelqu'un qui m'aperçut dans le cortège et qui me reconnut voulut par pitié m'emmener avec lui, et sur mon refus il s'éloigna lui-même en pleurant. J'ai vu guillotiner mon père et mon frère, et, si je n'en suis pas morte sur le coup, c'est que Dieu me soutint ; je ne tombai même pas, je restai debout à la place où j'étais, balbutiant quelques prières, mais machinalement, et sans rien voir ni rien entendre. Quand je repris mes sens, la place du Trône était déjà presque déserte, les curieux se dispersaient de tous côtés. Les tombereaux tachés de sang, où l'on avait mis les corps des pauvres victimes, prenaient le chemin de la campagne, entourés de quelques gendarmes. Je ne savais pas où ils allaient ; cependant, quoique j'eusse grand'peine à marcher, je les suivis. Ils s'arrêtèrent à Picpus ; il faisait presque nuit, mais je reconnus parfaitement l'ancienne maison des Augustines et l'endroit où ils enterrèrent tous ensemble les malheureux qu'on venait de guillotiner. Depuis ce temps, j'y vais souvent ; c'est, l'hiver et l'été, ma promenade des dimanches.

 

Mme de Montagu fit, à son tour, le lendemain, ce douloureux pèlerinage avec Mme de la Fayette : elle trouva une sorte de cimetière clos de murs et dominé par une croix.

Peu après le 9 thermidor, en effet, le terrain de Picpus avait été mis en vente ; un habitant du faubourg s'en était rendu acquéreur et l'avait fait bénir par un prêtre[47], caché dans Paris. Par la suite il l'avait cédé à la princesse de Hohenzollern dont le frère, le prince de Salm-Kilbourg, guillotiné avec cinquante-deux autres victimes, le 22 juillet 1794, y avait été inhumé.

Mmes de Montagu et de Lafayette résolurent d'acheter le jardin des Augustines et de le réunir, avec l'agrément de la princesse de Hohenzollern, au terrain qui contenait l'ancienne fosse commune. Elles s'inscrivirent en tête d'une souscription à laquelle devaient prendre part les membres de toutes les familles qui avaient eu un parent immolé à la place du Trône. Avec le temps l'œuvre de Picpus se développa. On construisit une grande chapelle, où, sur des plaques de marbre, sont inscrits les noms des 1.307 victimes qui reposent dans l'enclos funèbre. Celui-ci est resté intact ; mais, dans un terrain voisin, sont les caveaux et les monuments — très simples pour la plupart — des familles des suppliciés qui ont obtenu d'être réunis dans le repos à ceux des leurs que la Révolution avait mis à mort. Dans un angle se trouve le tombeau du général Lafayette ; par une petite porte grillée, on aperçoit l'ancienne fosse commune, petit enclos gazonné, ombragé de peupliers et de cyprès, parmi lesquels se dresse une croix de fer. Le couvent est occupé aujourd'hui par les dames de l'Adoration perpétuelle. On célèbre tous les jours dans la chapelle un service mortuaire en mémoire des victimes de l'échafaud et, chaque année, à la fin d'avril ou au commencement de mai, on y fait un service solennel à la suite duquel le clergé et les familles en deuil sortent processionnellement de l'église et se rendent à l'enceinte sacrée qu'on appelle le champ des martyrs.

 

Le 9 thermidor, la fosse commune de Picpus reçut donc sa dernière fournée de victimes ; le 10, la guillotine étant revenue à la place de la Révolution, le cimetière des Errancis fut rouvert. La fosse qu'on y creusa pour recevoir les restes de Robespierre, Saint-Just, Fleuriot-Lescot, Payan, Vivier et autres, fut établie au nord de l'enclos, le long des murs de l'ancien chemin de ronde de Clichy. On y amena vingt-deux troncs dans deux tombereaux, — les têtes avaient été mises séparément dans un grand coffre, — puis le cadavre de Lebas, le seul qui fût au complet. Les frais de transport et d'inhumation s'élevèrent à 193 livres, plus 7 livres données comme pourboire aux fossoyeurs, y compris l'acquisition de chaux vive dont une couche fut étendue sur les restes des tyrans pour empêcher de les diviniser un jour[48]. Le terrain des Errancis reçut encore les fournées du 11 et du 12 thermidor ; les durs hommes de la Montagne y furent rejoints plus tard par Bourbotte, Romme, Goujon, Duquesnoy, Duroy et Soubrany. Puis le cimetière fut clos et mis hors d'usage ; on avait écrit sur sa porte toujours fermée ce mot : Dormir. Avant le 18 brumaire on n'y enterrait plus, et l'existence en semblait ignorée. Plus tard, il y avait sur son emplacement un cabaret à musique : on y buvait, on y dansait, on y chantait. L'annexion de la banlieue a fait disparaître ce petit Tivoli. Le boulevard Malesherbes, le prolongement de la rue Miromesnil en ont morcelé le terrain : ce qui en restait avant 1870 était clos de murs, et quelques joueurs de boule s'y réunissaient le dimanche pour viser le cochonnet[49]. Les beaux hôtels du parc Monceau se sont, depuis, élevés sur ce lieu funèbre.

 

VIII. — L'ÉCHAFAUD EN VAUDEVILLES

 

On ne saurait se figurer avec quelle facilité cette contemplation constante de l'instrument des supplices familiarisa vite les Parisiens avec la guillotine. Elle était entrée dans les habitudes journalières ; et bien certainement les passants et les promeneurs des Champs-Elysées n'y apportaient pas plus d'attention que nous n'en donnons à l'obélisque des Pharaons qui occupe aujourd'hui sa place.

Il est certain que l'exécution du roi causa dans la ville une sorte de stupeur. Mais le peuple de Paris n'est pas fait pour les impressions durables ; et ce précédent avait eu pour effet de blaser les spectateurs sur les exécutions qui suivirent. La curiosité survécut pendant quelque temps ;au mois de mai 1793, une fournée faisait encore événement ; lorsqu'on mit à mort les douze condamnés de l'affaire de Bretagne, la place de la Révolution était noire de foule ; mais bientôt le fait se répéta si fréquemment que l'on n'y attacha plus d'importance. La verve gouailleuse des Parisiens s'exerçait aux dépens de Sanson, de son instrument et des victimes elles-mêmes. On surnommait le bourreau Charlot — en raison sans doute du prénom de Charles qu'il portait ainsi que presque tous les membres de sa famille ; — on l'appelait aussi sans-farine, par une double allusion à son nom et au hideux sac de son qui recevait la tête des condamnés. La guillotine était la planche à assignats ; la petite fenêtre, la chatière... D'ailleurs, si l'on veut se rendre compte des facéties que la justice révolutionnaire inspirait au bon peuple en l'an II de la fraternité, il faut lire le passage suivant dû à la plume du patriote Hébert. C'est le compte rendu de la mort de la Reine : nous le copions textuellement, en prenant soin seulement de supprimer les mots orduriers qui, dans l'original, sont, bien entendu, écrits en toutes lettres, et de souligner certaines expressions pittoresques, dans lesquelles on peut retrouver sans doute les métaphores familières au public ordinaire des exécutions.

Vous tous, qui avez été opprimés par nos anciens tyrans, vous qui pleurez un père, un fils, un mari mort pour la République, consolez-vous, vous êtes vengés. J'ai vu tomber dans le sac la tête du veto femelle. Je voudrais, f..., pouvoir vous exprimer la satisfaction des Sans-Culottes, quand l'archi-tigresse a traversé Paris dans la voiture à trente-six portières. Ses beaux chevaux blancs, si bien panachés, si bien enharnachés, ne la conduisaient pas, mais deux rossinantes étaient attelées au vis-à-vis de maître Sanson, et elles paraissaient si satisfaites de contribuer à la délivrance de la République qu'elles semblaient avoir envie de galoper pour arriver plus tôt au lieu fatal. La garce, au surplus, a été audacieuse et insolente jusqu'au bout. Cependant les jambes lui ont manqué au moment de faire la bascule pour jouer à la main chaude, dans la crainte, sans doute, de trouver après sa mort un supplice plus terrible que celui qu'elle allait subir. Sa tête maudite fut enfin séparée de son col de grue, et l'air retentissait du cri de : Vive la république ![50]

 

On pourrait ici grouper les effets oratoires auxquels donna lieu, dans les discours officiels de l'époque, la guillotine considérée comme rasoir national. Il y aurait là une étude bien curieuse et assez comique d'éloquence révolutionnaire. L'instrument de mort était devenu, en effet, un lieu commun qui trouvait sa place dans toutes les harangues — et l'on sait si elles furent nombreuses, — au même titre que les Brutus, les Cassius, les Scævola, les Germanicus et autres fameux héros de l'antiquité. Mais une telle compilation nous entraînerait trop loin, et nous devons nous en priver. Contentons-nous de donner comme échantillon ce fragment d'un discours de Chaumette au Conseil général de la commune de Paris.

Citoyens, rappelez-vous ces moments de crise où les membres de la Montagne et ceux de la Commune de Paris, en défendant la même cause, ont eu simultanément un pied sur l'échafaud et l'autre lancé au hasard pour la liberté en danger[51].

 

Donc l'échafaud était passé dans les mœurs, et les Parisiens — certains Parisiens, du moins, — s'amusaient extrêmement de ce nouveau jouet. On eut la plaisante idée de trancher la tête de tous les saints de pierre qui ornaient la façade des églises. A Notre-Dame, les statues des porches de la vieille basilique avaient été raccourcies. La brisure blanche de la pierre faisait contraste avec le corps de ces statues noircies par le temps et donnait l'impression d'une chair fraîchement coupée, ce qui parut très malicieux. Et partout on chantait des couplets de circonstance, pleins d'allusions à la guillotine. Quel recueil on ferait de ces chansons révolutionnaires qu'inspiraient certainement autant la peur que l'habitude et le besoin inné de plaisanter qu'a le peuple de Paris. Ce sinistre refrain :

Dansons la Carmagnole !

Vive le son ! vive le son !

Dansons la Carmagnole !

Vive le son... du canon !

n'est autre chose qu'une allusion brutale au sac de son qui hantait les cauchemars de toute la France en 1793.

D'ailleurs, on a imprimé en l'an II un Recueil d'hymnes patriotiques chantés aux séances du Conseil général de la commune par les citoyens de l'armée révolutionnaire[52], qui ne laisse aucun doute sur la place que tenait la guillotine dans les préoccupations poétiques des Tyrtées de l'époque. Représentez-vous le Conseil général de la Commune de Paris tenant séance et chantant :

Puisque nous sommes réunis,

Tuons les brigands du pays,

Ne faisons pas d' quartier,

Tuons jusqu'au dernier,

Dansons la carmagnole ! etc.

Tremblez, traîtres conspirateurs !

Fédéralistes imposteurs,

Vos projets sont connus,

Vous êtes tous f...

Dansons... etc.

Fuyez, fuyez, il en est temps,

La guillotine vous attend,

Nous vous raccourcirons,

Vos têtes tomberont.

Dansons... etc.

La lecture de ces chants féroces, si justement oubliés, est une révélation des pensées qui animaient leurs auteurs. Dans le Chansonnier de la Montagne[53] se trouvent de charmants couplets dans le genre de celui-ci :

On verra sur tous les chemins

La troupe révolutionnaire ;

La guillotine la suivra,

Les magasins on fouillera.

Celui qui se mutinera,

On fera sa fête

En coupant sa tête (bis).

Nous croyons devoir recueillir aussi cette chanson sur la mort de la reine :

Contre Antoinette la veuve

La France ne fit qu'un cri ;

Elle subit la même épreuve

Que le Sire son mari...

A mater cette ex-reine

Le fer n'a point réussi :

La Majesté souveraine

S'y montrait en raccourci[54].

Il fut de mode, parmi les condamnés, de rimer quelques vers badins avant d'aller à la mort ; cela s'appelait faire sa chanson de guillotine. Tout le monde connaît le fameux Voyage de Provins qu'écrivit après sa condamnation le Girondin Ducos. Il en est une autre plus ignorée, due au fougueux montagnard Louis-Bernard Magnier. Tels sont, du moins, les prénoms que lui donne son acte de naissance ; mais il avait obtenu par une loi spéciale, le 11 juin 1791, d'être autorisé à changer ce banal Louis-Bernard en Lepelletier-Brutus-Beaurepaire[55]. Ce Magnier, originaire de Guise, était une sorte d'écervelé qui s'était révélé en Bretagne comme l'un des plus sanguinaires agents du Comité du Salut public[56]. Traduit en prairial an III devant la Commission militaire, il fut amené à pied à Paris et s'occupa immédiatement à écrire sa Chanson de guillotine : en voici quelques couplets :

Je m'en vais de Rennes à pied ;

Convenez-en, la chose est dure.

Le Sénat n'avait pas pensé

De m'accorder une monture.

Voyez à présent

Qu'il est prévoyant !

Je vais au supplice en voiture !

Air des PORTS À LA MODE

Demain Sanson, d'un air benêt,

Me dira : — Faut que je tonde ;

Tu pourras, l'ami, s'il te plaît,

Terroriser dans l'autre monde.

Air : BONSOIR, LA COMPAGNIE !

Je suis d'autant mieux consolé

Que je me vois sacrifié

Pour ma chère patrie.

Voilà la planche qui m'attend,

Je vais m'y présenter gaiement ;

Plus de tourment, plus d'agrément ;

Bonsoir, la compagnie !

 

D'ailleurs, Brutus Magnier en fut pour ses frais de poésie : il ne fut condamné qu'à la déportation à Sinnamary, d'où, par suite du décret d'amnistie, il revint, au bout de deux ans, calmé sans doute et assagi, car il ne joua plus aucun rôle dans les événements qui suivirent.

Il ne faut pas oublier, non plus, cette scène comique mélangée de chant et de parlé, qui a trait à la mort du Père Duchesne.

L' cabriolet du Pont-aux-choux

Vous train' avec dix-huit grigoux.

Hébert, c' patriote d' bricole

Qui s' trouvant pris comme un goujon

N' parlait plus de l'aire une motion.

(Parlé) C'est pas étonnant ça : y voulait bien jaspiner, mais...

La fille à Guillotin

L'y tombant su' l' béguin

L'avertit qu'il n'a pas la parole[57].

Une autre se chantait sur un air de cantique :

Il obtiendra sa guérison

Ma guingueraingon,

Il obtiendra sa guérison

En faisant dévote oraison

A la sainte Guillotinette

Ma guingueraingette.

Cela n'est que doucereux ; mais vous représentez-vous quel pouvait être le poète qui traçait des vers comme ceux-ci :

J'achèterais des têtes

Si j'avais les moyens,

J'en porterais en fête

Une dans chaque main.

Vive la Guillotine

Qui fait si bonne mine

Et qui coupe si bien

Le cou à tous ces chiens !

. . . . . . . . . . . . . . . . .

Mes beaux aristocrates,

Dans le sac à Sanson

Crachons, crachons ![58]

. . . . . . . . . . . . . . . . .

 

IX. — LE CULTE DE LA GUILLOTINE

 

Sans doute, on croirait que la facétie macabre ne peut être poussée plus loin ; pourtant, on vit plus horrible encore. Le vent de folie qui passait sur la France avait à ce point troublé les cerveaux que la guillotine eut ses amoureux et ses fidèles. Il y eut la religion de l'échafaud. Nous avons déjà vu que des bourreaux amateurs s'étaient présentés pour purger le sol de la République des royalistes qui la souillaient. Un fait presque semblable se passa au sein même de la Convention. Le 17 germinal an II (7 avril 1794), un citoyen se présenta à la barre de l'Assemblée et offrit une somme qu'il destinait, dit-il, aux frais d'entretien et de réparation de la guillotine. Le Moniteur[59], qui mentionne cette proposition, ajoute que les plus violents murmures interrompirent le pétitionnaire. On lui ordonna de vider la barre et on chargea le Comité de Sûreté générale d'examiner sa conduite.

En s'indignant ainsi, l'Assemblée faisait vraiment preuve de bien grande pudeur ; elle était, d'ordinaire, moins susceptible. Si la Révolution avait suscité de si répugnants enthousiasmes, la Convention ne devait s'en prendre qu'à elle-même. Les représentants en mission, les membres des comités eux-mêmes avaient tout fait pour élever l'échafaud à la hauteur d'une institution vénérable.

Dans une lettre du 27 brumaire an II, Gateau, administrateur des subsistances militaires, parlant de Saint-Just, disait :

Il a tout vivifié, ranimé, régénéré, et, pour achever cet ouvrage, il nous arrive de tous les coins une colonne d'apôtres révolutionnaires, de solides sans-culottes ; Sainte Guillotine est dans la plus brillante activité, et la bienfaisante terreur produit ici, d'une manière miraculeuse, ce qu'on ne devait espérer d'un siècle au moins, par la raison et la philosophie. Le moment de la justice terrible est arrivé, et toutes les têtes coupables doivent passer sous le niveau national.

 

Gateau, l'auteur de cette lettre, avait pour cachet une guillotine, dont l'empreinte est encore sur la cire qui scellait une de ses lettres. Cet énergumène était de Blérancourt ; il était depuis longtemps l'ami intime de Saint-Just. Appuyé sur l'autorité de ce dernier, fort de leurs relations et, de plus, aidé par Tuillier, aussi de Blérancourt, l'ami et le secrétaire bien connu de Saint-Just, il avait terrorisé les habitants du département de l'Aisne. Ils furent arrêtés tous deux à Paris, le 11 thermidor an II, comme complices de Robespierre et de Saint-Just.

Mais, dès que la Terreur ne fut plus à l'ordre du jour, Gateau renia Sainte Guillotine. Il est vrai, écrivait-il, que ce langage dégoûtant, dont la seule réminiscence empoisonnera jusqu'à mon dernier souffle, appartient aux situations, aux circonstances, aux choses et aux hommes de ce temps d'opprobre et de calamités, et qu'il calomnie horriblement mes principes, mes sentiments, ma conduite et mon cœur ; car celui-ci ne me reproche pas plus une goutte de sang, ni même une larme, que ma conscience, une injustice et une obole. J'ai servi ma patrie avec un zèle brûlant et avec loyauté.

Sur cette défense éloquente et énergique et après une détention de plus de quatorze mois, Gateau fut mis en liberté le 26 vendémiaire an IV, en exécution d'un arrêté du Comité de Sûreté générale de la Convention nationale. Il mourut en 1815, chef de bureau au ministère des finances. Son ami Thuillier était mort en brumaire an III, pendant sa détention.

Les mots de Sainte Guillotine étaient d'ailleurs d'usage courant ; dans certaines villes, à Brest par exemple, on avait dressé, nous l'avons dit, en face de l'échafaud une sorte de pyramide en bois, recouverte de rochers simulés : c'était l'emblème de la Montagne, et les exécutions semblaient être ainsi une cérémonie d'un culte nouveau ; à Orange, l'accusateur public avait eu la même idée et il en était fier.

Tu connais, écrivait-il, la position d'Orange. La guillotine est placée devant la montagne. On dirait que toutes les têtes lui rendent, en tombant, l'hommage qu'elles méritent : allégorie précieuse pour de vrais amis de la liberté. Les deux Chiere, prêtres, sont au nombre des conspirateurs punis. Ça va et ça ira !

 

A Paris même, lors de la fête de l'Être suprême, l'instrument des supplices fut simplement dissimulé sous des tentures de velours bleu, semées de bouquets de roses, et toute la Convention, tous les pouvoirs publics défilèrent tranquillement devant lui, associant ainsi la guillotine à une solennité soi-disant religieuse. Ces gens avaient le culte du sang : on connaît le mot d'Amar disant, lors des exécutions en masse qui suivirent l'affaire de Cécile Renaud : Allons au pied du grand autel voir célébrer la Messe rouge ! Pourquoi donc simulaient-ils l'indignation quand ils faisaient école. L'exemple venait d'eux ; ils donnaient le ton, et les apôtres qu'ils invoquaient dans les provinces se contentaient de les imiter, bien paiement. Prud'homme cite à ce sujet une lettre de Giraud à un membre du Comité de Salut public ; cette élucubration peut passer pour la merveille de ce genre.

Je citerai toujours Paris, car Paris peut servir de modèle à tout. A Paris donc, l'art de guillotiner a acquis la dernière perfection. Sanson et ses élèves guillotinent avec tant de prestesse qu'on croirait qu'ils ont pris des leçons de Cornus, à la manière dont ils escamotent leur homme ; ils en ont expédié douze en treize minutes. Envoyez donc à Paris l'exécuteur des hautes œuvres de Marseille pour faire un cours de guillotine auprès de son collègue Sanson, car nous n'en finirons pas. Tu dois savoir que nous ne te laisserons pas manquer de gibier de guillotine et qu'il en faut expédier un grand nombre. En outre, je ne voudrais pas que tu fis (sic) accompagner ces bougres-là avec un tambour, mais avec une trompette, ce qui annonce mieux la justice du peuple. Il faut suppléer à la promptitude de la guillotine pour électriser le peuple en conduisant ses ennemis à l'échafaud[60]. Il faut que cela soit une espèce de spectacle pour lui. Les chants, la danse doivent prouver aux aristocrates que le peuple ne voit de bonheur que dans leur supplice. Il faut, en outre, faire en sorte qu'il y ait un grand concours de peuple pour les accompagner à l'échafaud.

 

A Paris, la guillotine était de toutes les fêtes. Le 21 janvier 1794, on entoura l'échafaud de la place de la Révolution d'autant de poteaux que la République comptait de départements. Chacun de ces poteaux était surmonté d'un écusson au milieu duquel on lisait le nom d'un département. On dansa, et le peuple nomma cette fête le bastringue des départements. L'air qui fut composé exprès pour cette circonstance se conserva longtemps après le 9 thermidor, et, comme il était fort joli, on l'adopta dans tous les bals, même dans ceux du grand ton, même dans ceux à la victime. La première contre-danse, dans chaque quadrille, était toujours la contre-danse du bastringue[61].

Je ne vois vraiment pas après cela ce qui a pu étonner et faire crier à l'impossible, lorsqu'un chroniqueur a rapporté certains passages des litanies de la guillotine :

Sainte guillotine, protectrice des patriotes, priez pour nous.

Sainte guillotine, effroi des aristocrates, protégez-nous.

Machine aimable, ayez pitié de nous.

Machine admirable, ayez pitié de nous.

Sainte guillotine, délivrez-nous de nos ennemis.

 

 

 



[1] Le Dr Guillotin, qui était à la fois un modéré, un philanthrope et un honnête homme, était né à Saintes en 1738 ; après de brillantes études, il était entré au noviciat des Jésuites et enseigna quelque temps, en cette qualité, au collège que ces Pères avaient à Bordeaux. Mais son amour pour l'indépendance lui fit quitter au bout de quelques années l'état religieux ; il vint à Paris afin d'y étudier la médecine pour laquelle il se sentait de la vocation. Ses talents le placèrent dans l'opinion du public au premier rang, qu'il méritait d'ailleurs par sa science et sa modestie. Il ne parut pas qu'il souffrît du triste renom que lui valut sa motion sur la peine de mort ; il traversa la Révolution sans se mêler aux luttes des partis et mourut en 1814, après le retour des Bourbons, dans une maison qui fait l'angle de la rue de la Sourdière et de la rue Saint-Honoré. Son éloge funèbre fut prononcé, le 28 mars 1814, par le Dr Bourru, qui glissa discrètement sur la triste célébrité qu'avait acquise au Dr Guillotin sa malencontreuse invention : Malheureusement pour notre confrère, dit-il, sa motion philanthropique a donné lieu à un instrument auquel le vulgaire a appliqué son nom : tant il est vrai qu'il est difficile de faire du bien aux hommes sans qu'il en résulte pour soi quelque désagrément. Qui sait même si ce n'est pas par suite de ce motif qu'un homme dont la vie a été si utilement employée au bien de l'humanité n'a pas été distingué par le Gouvernement, ou pour quelque décoration ou pour quelque place éminente ?

La véritable raison de l'oubli dans lequel le Gouvernement impérial avait laissé Guillotin était les vieilles idées de liberté qu'avait conservées l'ancien député aux États généraux : il n'était rien moins que bonapartiste. Dans un interrogatoire qu'il subit on lui demanda : Monsieur Guillotin, vous passez pour ne point aimer l'Empereur. — Monsieur, cela est vrai. — Mais, Monsieur, pourquoi ne l'aimez-vous pas ?Monsieur, parce que je ne le trouve point aimable. Ces hommes élevés sous l'ancien régime avaient plus d'indépendance morale que la génération née pendant la Révolution : on peut rapprocher ces paroles de Guillotin du mot peu connu de Mercier. Le ministre de la police disait un jour à l'auteur du Tableau de Paris : Mais, Monsieur, vous cassez les vitres. — Pourquoi diable avez-vous des vitres ? répondit Mercier.

[2] Le docteur Louis était de Metz et son portrait se voit encore aujourd'hui à la mairie de cette ville. On dit qu'il mourut, en 1792, du chagrin de voir son nom donné — il le croyait du moins — à l'instrument des supplices.

[3] Toulouse.

[4] Voir Notice raisonnée sur... un tranche-tête et une lancette, par M. Peignet-Delacourt, Paris, S. Claye, imprimeur, 1866, in-4°.

[5] Au musée des horreurs du vieux burg de Nuremberg se trouve un des fauteuils qui servaient aux exécutions.

[6] Une tradition populaire assure que ce fut dans la Cour du Commerce, rue Saint-André-des-Arts, que se fabriqua la première guillotine. Le fait est vrai ; il y a quelques années, on retrouvait, en faisant des réparations au magasin de M. Durel, libraire, les soubassements de la charpente sur laquelle on avait dressé l'échafaud afin de l'expérimenter sur des moutons vivants.

[7] Destinés aux expositions.

[8] Pour la marque. Voici quelques détails, assez oubliés, concernant ce genre de supplice. On marquait sur l'épaule :

F. pour les faussaires condamnés soit à la détention, soit à la réclusion ;

T. F. travaux forcés pour faux ;

T. P. F. travaux à perpétuité pour faux ;

T. condamnés à temps ;

T. P. condamnés à perpétuité.

En avant de ces lettres était le numéro du département, par ordre alphabétique. Paris 87.

Ces numéros avaient un pouce de haut et étaient disposés ainsi :

87 T

Immédiatement après l'application de la marque on mettait sur l'épaule de l'individu, avec un tampon de bois recouvert en peau une pommade faite avec du saindoux et de la poudre pilée ; on avait jugé que cette pommade pouvait remplacer le tatouage et devenir ineffaçable. Mais on se trompa. La brûlure ne se guérit pas sans escarre, et quand l'escarre tombe, la surpeau qui repousse redevient blanche.

Ces sortes de marques ont été en usage, jusqu'au 21 juin 1811. A cette époque la Cour impériale de Paris, ayant été classée par ordre alphabétique au n° 27, on fut obligé de refaire d'autres marques, qui elles-mêmes furent encore changées le 25 mars 1820, où les numéros furent supprimés.

[9] Archives nationales : BB3 216.

[10] Archives nationales : BB3 216.

[11] Manuscrit de la collection Requiem, cité par M. de Beaumefort dans le Tribunal criminel d'Orange.

[12] Chapitre II, § premier.

[13] La réunion des patriotes fédérés des départements et des patriotes des sections s'était tenu au Carrousel, lorsque le jugement de Louis XVI touchait à sa fin ; ils avaient juré qu'ils le traîneraient à l'échafaud.

[14] Thermomètre du Jour, août 1792.

[15] Thermomètre du Jour, août 1792.

[16] 29 août 1792.

[17] Vimal, Guillot et Sauvade.

[18] Voir au chapitre précédent, § V : Sanson en 1793.

[19] Proclamation du Conseil exécutif provisoire :

Le Conseil exécutif provisoire, délibérant sur les mesures à prendre pour l'exécution du décret de la Convention nationale des 15, 17, 19 et 20 janvier 1793, arrête, les dispositions suivantes :

1° L'exécution du jugement de Louis Capet se fera demain lundi 21 ;

2° Le lieu de l'exécution sera la place de la Révolution, ci-devant Louis XV, entre le piédestal et les Champs-Elysées ;

3° Louis Capet partira du Temple à huit heures du matin, de manière que l'exécution pourra être faite à midi, etc.

[20] De la Concorde.

[21] Il y a quelques mois que l'exécuteur actuel a été chargé par le département des Colonies de faire fabriquer des ustensiles neufs à l'usage des possessions françaises d'outre-mer.

[22] C'est du moins ce qu'affirme M. Hugues Le Roux dans un article du Figaro (20 juillet 1891).

[23] Voir la Paix du 13 janvier 1892.

[24] Il n'existe aux archives du Gers aucun document à l'appui de cette assertion.

[25] Le tribunal, révolutionnaire s'inquiéta plusieurs fois de ce que les condamnés avaient pu confier à leur confesseur pendant le trajet de la prison à l'échafaud. L'abbé Lothringer subit, entre autres, un interrogatoire, le 3 septembre 1793, sur les révélations que lui avait faites, disait-on, le général Miaczinski, exécuté le 17 mai. Il faut ajouter qu'on demanda au prêtre de révéler seulement ce que le condamné lui avait dit hors de la confession et par forme de conversation.

[26] Le Thermomètre du Jour, 7 mai 1793.

[27] Autre condamné du même jour.

[28] Archives nationales : F 13.

[29] Il y a une correspondance bien curieuse, au point de vue des mœurs de l'époque, entre Hanriot et Fouquier-Tinville.

Hanriot aurait voulu pouvoir, des fenêtres de son état-major, à l'hôtel de ville, comme Lebon, à Arras, assister aux exécutions des malheureux que le Tribunal révolutionnaire faisait guillotiner. Il demanda qu'on fit dresser l'échafaud sur la place de Grève où on n'exécutait plus que les faussaires et les coupables de crimes de droit commun, ce qui était insuffisant' pour ses distractions personnelles. Fouquier lui répondit que le Tribunal avait choisi la place de la Révolution parce qu'il fallait premièrement que les conspirateurs soient vus le plus possible ; en second lieu, qu'ils soient exécutés à peu de distance de la Convention. C'était, on le voit, à leur qualité de soi-disant coupables de crimes politiques que les condamnés devaient l'honneur d'être envoyés place de la Révolution.

Archives nationales : AF11 38. Etude sur Fouché, par M. le comte de MARTEL.

[30] Au citoyen Girardin, peintre, pour le payement d'un mémoire d'ouvrages faits pendant les mois de floréal et prairial à la statue de la Liberté de la place de la Révolution, 3.623 l. 78 s. (Archives nationales : F13 280.)

[31] Fragments de mémoires inédits publiés par la Revue rétrospective (1840).

[32] Etude sur Fouché, par le comte de MARTEL.

[33] Charles MAURICE, Histoire anecdotique du théâtre et de la littérature, 1856.

[34] Charles Maurice était né en 1782.

[35] La guillotine fut d'abord dressée sur la place de la Bastille ; mais elle n'y resta qu'un jour. Le 26 germinal, la trésorerie a payé au citoyen Prud'homme la somme de 52 livres pour avoir fourni de l'eau et du sable pour laver et couvrir le sang des victimes péries place de la Révolution, la veille de la fête en l'honneur de l'Être suprême.

Cela doit être noté dans les préparatifs de la fête... Le citoyen Prud'homme trouva du sang tout frais. C'était celui de douze administrateurs du département des Ardennes, condamnés le jour même par le tribunal révolutionnaire ; c'était le sang d'un nommé Thézut, ex-noble ; c'était le sang d'un enfant de dix-huit ans, volontaire dans le 9e régiment d'artillerie légère ; c'était le sang, enfin, d'un certain Lecoq, domestique de Roland, coupable d'avoir apporté un cahier de musique à Mme Roland dans sa prison. L'agent-voyer et ses ouvriers trouvèrent sous la flaque encore fraîche, une rouille plus tenace, faite du sang des milliers de victimes royalistes, fédéralistes, dantonistes, hébertistes immolées pendant une année sur cette place. Article de M. Anatole France. Voir le Temps de juillet 1892.

[36] Le 4 germinal an II, la guillotine de la place de Grève n'était point posée au moment où elle devait l'être ; et un condamné attendit pendant plus de vingt minutes l'exécution de son jugement. Le peuple en fut indigné.

[37] J. Capitain, colonel, président ; Verger, adjudant général, chef de brigade ; Talmet, chef d'escadron ; P. Beaugrand, capitaine ; Gauda, capitaine d'artillerie. Deux volontaires, Romanet et Deville, et Rouhière, commissaire ordonnateur des guerres, étaient chargés du rôle de Secrétaires. La Commission cessa de fonctionner le 11 thermidor et fut dissoute le 17.

[38] L'église de la Madeleine fut vendue comme bien national le 4 pluviôse an V.

[39] Louis XVI, pour aller à l'échafaud, avait la tête couverte d'un petit chapeau à trois cornes, auquel était attachée une cocarde nationale, toute neuve.

Voir la relation du Magicien républicain, citée par M. Dauban.

[40] Déposition de M. l'abbé Renard, et procès-verbal officiel de l'inhumation.

[41] Lorsqu'en 1814 on fit des fouilles pour retrouver les restes de Louis XVI, il sembla que la terre avait déjà été remuée.

[42] Ces assertions ne sont pas conformes aux conclusions d'un intéressant travail publié par M. Louis Lazare dans la Bibliothèque municipale. Il fixe au mois de juillet 1793 la fermeture du cimetière de la Madeleine. M. Maxime Du Camp a adopté la même version. Malgré de telles autorités, il me semble qu'il y a là une erreur. Les deux écrivains ne citent, d'ailleurs, aucun document précis à l'appui de leur opinion, tandis qu'on en pourrait avancer en faveur de l'opinion contraire. Dans une brochure publiée en 1814 et intitulée : Liste des personnes qui ont péri par jugement du Tribunal révolutionnaire depuis le 26 août 1792 jusqu'au 13 juin 1794 et dont les corps ont été inhumés dans le terrain de l'ancien cimetière de la Madeleine, M. Desclozeaux, qui s'était rendu propriétaire de ce terrain, dans le but pieux de veiller sur les tombes des illustres victimes qui y reposaient, donne une nomenclature qui comprend mille trois cent quarante-trois noms et s'étend jusqu'au 13 juin 1794. C'est aller un peu loin, car, si cette date était admise pour exacte, elle supprimerait tout à fait le cimetière des Errancis. Il y a là de la part de M. Desclozeaux une erreur assez explicable : les suppliciés étaient ostensiblement portés à la Madeleine, et ce n'était que quelques jours après leur décès qu'on les transférait nuitamment au cimetière de Monceau. M. Desclozeaux a dû noter toutes les entrées officielles sans tenir compte des sorties. En outre, si depuis le 15 juillet 1793, les suppliciés avaient été portés à Monceau, ainsi que l'affirme M. Louis Lazare et, après lui, tous ceux qui se sont occupés de ce pénible sujet, pourquoi aurait-on fait exception pour la Reine, décapitée le 16 octobre 1793 ? Il est certain qu'elle fut inhumée à la Madeleine ; c'est donc que la Madeleine était la nécropole ordinaire de la guillotine ; car la commune de Paris craignait que les restes des tyrans ne fussent un jour divinisés et l'on n'eût point fait une exception si peu égalitaire pour Marie-Antoinette, dans le seul but de réunir son corps à celui de Louis XVI. Enfin, je crois qu'on peut accorder sur ce point spécial toute créance à Michelet, ordinairement peu scrupuleux sur le choix de ses documents, et qui ne cite du reste ses sources que rarement. Mais il a écrit son chapitre des Cimetières de la Terreur d'après un travail très considérable que M. Hardy, employé aux archives de la Préfecture de police, avait fait à son intention. Ce chapitre est fort documenté, et, quoiqu'il soit écrit en beau langage, il semble basé sur des données très nettes.

[43] MICHELET, Histoire de la Révolution.

[44] Ce cimetière existe encore aujourd'hui, à peu près dans l'état où l'a laissé la Révolution. Quand je le visitai il y a quelques années, on pouvait lire encore sur le mur au pied duquel était creusée la fosse commune : Défense de stationner sur les charniers.

[45] L'été de 1794 fut particulièrement chaud. En thermidor la chaleur était excessive : au moment le plus frais de la nuit, le thermomètre ne descendait pas au-dessous de 16 et 18 degrés ; des hommes et des animaux, excédés par cette température, périrent ; les légumes dans les jardins et les champs furent grillés ou dévorés par les chenilles que cette chaleur avait fait éclore. Les meubles et les boiseries craquaient : les portes et les fenêtres se déjetaient. Les vents dominant étaient du nord et de l'est. Le ciel était presque toujours sans nuage. Le 17 thermidor, un orage survint qui rafraîchit tellement l'air que, le 20, à 5 heures du matin, le thermomètre était descendu à 2, 3 degrés.

[46] La liste générale de toutes les personnes traduites au Tribunal révolutionnaire, dressée par M. Campardon, contient ces deux mentions :

PARIS (André), palefrenier du duc de Brissac et conducteur de diligences, condamné à mort le 22 messidor an II ;

PARIS (François), domestique de M. de Mandat, employé à l'état-major, condamné à mort le 27 messidor an II.

[47] L'abbé Beudot, ancien vicaire de Sainte-Marguerite.

[48] Bibliothèque municipale, Louis Lazare.

[49] Maxime DU CAMP, Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie.

[50] Moins de six mois après le 16 octobre, c'était le tour d'Hébert de jouer à la main chaude. Il fut si lâche devant la mort qu'il fut l'objet du dégoût des dix-sept condamnés qui allaient mourir avec lui. Dès la sortie du Palais, sa face était livide ; il était vêtu, suivant son habitude, avec recherche, mais ses habits étaient en désordre. Il pleurait à gros sanglots, et la sueur coulait de son front. La population, massée sur le parcours des charrettes, l'accablait de huées et d'injures : Eh ! Père Duchesne, lui criait-on, tu vas regarder à la lucarne, tu nous diras demain dans ta feuille ce qu'on y voit... ! Sur la place, il fallut le descendre de la charrette et l'asseoir sur le pavé, car ses jambes ne pouvaient plus le soutenir. Il était presque mort de peur lorsqu'on l'attacha, évanoui, sur la bascule.

On nous a réhabilité déjà bien des hommes de la Révolution, mais je ne crois pas qu'il soit au pouvoir de quelqu'un de laver cette ignoble figure d'Hébert et de la montrer autrement qu'au pilori de l'histoire.

[51] Moniteur du 14 frimaire an II.

[52] Voir le catalogue des livres composant la bibliothèque poétique de M. Viollet-le-Duc, Paris, chez Floc, libraire, 1847.

[53] Recueil de chansons, vaudevilles, pots pourris et hymnes patriotiques, par différents auteurs. Paris, Favre, l'an deuxième de la République française une et indivisible, in-18.

[54] La Révolution en vaudevilles, 2 tomes en 1 volume. Paris, l'an III, in-18, avec une gravure représentant la Prise de la Bastille.

[55] Cette folie n'était pas un fait isolé à l'époque de la Révolution. La fille du ministre Lebrun avait été baptisée civiquement : Victoire-Constitution-Jemmapes-Dumouriez Lebrun.

[56] Voir, sur Brutus Magnier, Les derniers Montagnards, de M. J. CLARETIE.

[57] La Révolution en vaudevilles.

[58] Enfin indiquons seulement ici, pour mémoire, une autre chanson de l'époque, intitulée la Guillotine de Cythère. C'est une composition trop licencieuse pour que nous puissions en citer même un couplet.

[59] Du 18 germinal.

[60] A Orange les charrettes étaient précédées d'un tambour qui jouait le pas de la mort, marche funèbre, et l'échafaud était décoré de drapeaux tricolores !

[61] G. DUVAL, Souvenirs de la Terreur.