LA GUILLOTINE

ET LES EXÉCUTEURS DES ARRÊTS CRIMINELS PENDANT LA RÉVOLUTION

 

CHAPITRE II. — LES EXÉCUTEURS EN PROVINCE PENDANT LA TERREUR.

 

 

I. — L'HOMME NÉCESSAIRE

 

Quels furent dans les provinces les instruments de la justice révolutionnaire ? C'est là un point secondaire, il est vrai, de l'histoire de la Terreur, qui n'a jamais été étudié et dont le secret était resté jusqu'ici enseveli dans les cartons des Archives nationales. Sans doute, en cherchant à l'éclaircir, allons-nous tirer de l'oubli bien des noms et bien des faits qu'il serait préférable peut-être de laisser dans l'ombre ; sans doute, des documents épars que nous allons essayer de grouper, ne résultera-t-il qu'une esquisse fort incomplète et sommaire ; cependant, cette rapide étude aura, du moins, le mérite d'ajouter quelques traits au tableau, à peine ébauché encore, de la justice criminelle dans les départements, de novembre 1793 à juillet 1794.

Dans certaines grandes villes, autrefois sièges de Parlements ou résidences de Cours souveraines, et devenues, en 1790, chefs-lieux de départements, les exécuteurs en titre avant la Révolution étaient restés en exercice, assez peu régulièrement, il est vrai, puisqu'à la lettre du Décret du 13 juin 1793 il eût été juste qu'ils résiliassent leurs fonctions et attendissent que l'ordre du tableau dressé en exécution de ce Décret les répartît, suivant leur ancienneté, dans tous les départements.

Mais, comme la justice criminelle ne chômait pas, comme il y avait abondance de jugements à exécuter, ceux des tribunaux qui s'installèrent dans les villes où résidaient d'anciens maîtres des hautes œuvres se les attachèrent en qualité d'exécuteurs. Ainsi les Sanson demeurèrent à Paris ; le tribunal d'Arras conserva Pierre-Joseph Outerdebanck[1], le ci-devant exécuteur aux ordres du Conseil d'Artois ; à Angers, à Alençon, à Beauvais à Caen, à Laon, au Mans, à Melun, à Metz, à Nantes, à Strasbourg[2], les anciens exécuteurs continuèrent leurs fonctions et guillotinèrent au nom de la République comme ils avaient pendu au nom du Roi : ceux-là furent les privilégiés.

Elles étaient rares, en effet, les villes que la division de la France en départements n'avait pas décapitalisées ; soixante chefs-lieux peut-être se trouvaient n'avoir point d'exécuteurs ; en revanche, Abbeville, Amboise, Boulogne, Calais, Cambrai, Chinon, Compiègne, Epernay, Etampes, Issoudun, Loches, Longwy, Longuyon, Loudun, Mantes, Meaux, Montmédy, Neufchâteau, Noyon, Phalsbourg, Pontoise, Provins, Reims, Saint-Mihiel, Sarreguemines, Saarbourg, Saar-Louis, Saumur, Sedan, Soissons, Thionville, Toul, Vierzon, Vitry-le-François, jadis sièges de juridictions, possédaient, à ce titre, un maître des hautes œuvres qui, par la nouvelle législation, se trouvait menacé ou de renoncer à ses fonctions, ou d'aller chercher du travail au loin, dans les départements du Midi, terreur de ces malheureux parias, dont la plupart, à force d'humilité et de patience, étaient parvenus à se faire accepter dans ces localités où leurs ancêtres avaient exercé et où ils étaient nés eux-mêmes. Et nous ne parlons pas de ceux qui ne s'intitulaient modestement que rifleurs : ceux-là pullulaient dans le Nord et dans l'Est ; en certaine région, on l'a vu, chaque village avait le sien, et tous avaient pris place sur le fameux tableau, au même titre que leurs confrères des grandes villes, malgré leur inexpérience et leur incapacité : c'était de l'égalité mal entendue.

 

Nous avons déjà dit quelles difficultés rencontra l'exécution du Décret du 13 juin. Les démissions arrivaient en masse au ministère, et, pourtant, les tribunaux criminels fonctionnaient activement, et les apôtres que le Comité de Salut public envoyait dans les départements avaient hâte de faire connaître à la province l'instrument qui faisait merveille à Paris. Cela donna lieu à certaines perles de correspondance administrative dont il faut noter quelques exemples.

Mende, 6 juin 1793.

Citoyen, ministre de la justice,

Depuis que le tribunal criminel du département de la Lozère siège à Florac, il y a jugé et condamné à mort sur ma poursuite cinquante-deux hommes pris les armes à la main par une des colonnes de l'armée qui était partie de Florac, comme ils allaient se joindre à la troupe de Chanier. Ils n'ont pas été exécutés faulte d'exécuteur et de guillotine. Cet instrument fut caché ici à Mende avant que la troupe de Chanier s'emparât de la ville, et on l'a retrouvé, mais il n'est point employé parce qu'il n'y a pas d'exécuteur. Cependant une telle exécution aurait été d'un exemple très utile dans ce département.

DABZAN,

l'Accusateur public de la Lozère.

 

Barjavel, l'accusateur public, du département de Vaucluse, avait bien, grâce à ses instances, obtenu de l'Administration la faveur d'une guillotine, mais il lui manquait un exécuteur, et il écrivait à son collègue du Gard la lettre suivante :

Avignon, 30 brumaire an II (20 novembre).

Je te prie de me prêter pour quelques jours l'exécuteur des jugements criminels de ton département ; j'ai écrit pour m'en procurer un en titre, mais, avant qu'il arrive, j'aurai des exécutions à faire. Dernièrement, faute d'exécuteur, j'ai été réduit à faire fusiller un ci-devant seigneur, aide de camp du traître Précy, dans Lyon, aujourd'hui Ville-Affranchie.

Ça eût fait meilleur effet qu'il eût été guillotiné. Envoie-moi tout de suite cet homme nécessaire. Si tu n'en as pas dans ton département, fais-moi venir celui de l'Hérault le plus tôt possible. Il sera, suivant la loi, payé de ses frais de voyage, comme s'il conduisait la guillotine ; nous en avons une à notre usage[3].

 

L'accusateur public du Gard était, on le voit, plus favorisé que son collègue d'Avignon : il possédait l'homme nécessaire ; même il estimait cette faveur à un si haut prix que l'assurance de l'envoi d'un exécuteur officiel semble avoir été une des douces satisfactions de sa carrière.

17 prairial an II.

L'accusateur public du Gard à Herman, commissaire des Administrations civiles, police et tribunaux.

Citoyen, l'exécuteur domicilié à Toul que la Commission envoie dans le Gard ne trouvera pas ici une place vacante, attendu que, depuis le 1er frimaire, Dominique Vachale, Génois de nation, en remplit les fonctions avec une activité et une dextérité surprenantes... N'importe, lorsque le nouveau sera arrivé, nous le garderons jusqu'à nouvel ordre... Depuis ma dernière, dix-sept conspirateurs ont expié leurs forfaits. Voilà donc déjà quarante-deux contre-révolutionnaires de raccourcis ; il y en a encore ; mais nous les tenons, et leur dernière heure n'est pas bien éloignée.

Salut et fraternité.

MICHAUD (OU MINARD ?).

 

D'ailleurs, l'exécuteur de Toul annoncé ne se présenta point ; il se nommait Laurent Piècler ; ses ancêtres exerçaient depuis plus de cent ans en Lorraine, ce qui l'avait si fort attaché à ce pays qu'il ne consentit point à s'expatrier : il refusa. On le retrouve exécuteur à Auxerre, en 1806.

Puisque le nom du Génois Dominique Vachale se présente, donnons de cet intrus une brève silhouette : il avait, à Nîmes, une sorte de réputation pour son flegme et sa belle tenue ; on le rencontrait souvent se promenant par la ville : c'était un homme de taille moyenne, coiffé d'un énorme tricorne, habit de garde national, avec de petites épaulettes, des culottes de peau jaune, guêtres nouées jusqu'aux genoux, un sabre sous le bras, le tout rougi par d'énormes taches de sang[4]. Les enfants le suivaient de loin dans les rues. Comme personne n'avait voulu le loger, il habitait au tribunal même dans les chambres hautes du palais de justice[5]. Après la Terreur, il disparut, et sans doute changea-t-il de nom, car on perd sa trace.

 

De Bourg, l'accusateur public Bataillard adressait en ces termes ses doléances au ministre :

Bourg régénéré, le 13 pluviôse an deux.

..... J'attends toujours que tu veuilles bien m'adresser un exécuteur des jugements criminels pour ce département. Ceux des départements voisins sont tellement occupés qu'il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de les obtenir pour faire les exécutions dans celui-ci.

BATAILLARD.

 

Et l'on devine, dans cette courte supplique, une pointe d'envie contre ces départements où le bourreau est si occupé... Allusion transparente à celui de Lyon, auquel la Terreur donnait tant de besogne que l'exécuteur de l'Isère est parti avec permission pour Commune-Affranchie, afin d'y aider son frère que la rapidité des opérations de la Commission fatigue extraordinairement[6].

Il est assez connu que la situation se prolongea longtemps à Lyon, si bien que l'exécuteur de l'Isère s'y fixa sans doute, et, le 4 prairial an II, l'accusateur public de Grenoble, privé depuis six mois de son collaborateur, écrivait :

..... J'avais publié une invitation aux citoyens qui voudraient devenir les vengeurs du crime, sans avoir pu réussir ; enfin, ces jours derniers, pressé de faire mettre à exécution un jugement à mort contre un distributeur de faux assignats, j'ai pris un parti que je n'approuve pas moi-même, mais qu'il m'était impossible de différer. C'est de profiter de la bonne-volonté de deux individus condamnés, l'un à la peine de huit années de fer pour crime de faux, l'autre à un court emprisonnement par la police correctionnelle[7].

J'ai éprouvé, citoyen, que le préjugé qui frappait les exécuteurs des jugements criminels était encore assez fort enraciné dans ce pays, et que je ne pouvais pas espérer de trouver un honnête citoyen qui voulût accepter les fonctions.

 

A Chambéry la situation est la même.

Chambéry, 17 prairial an 2.

..... Le tribunal criminel fait, chaque jour, subir à des coupables la peine due à leurs crimes, et l'on est obligé de recourir aux départements voisins pour mettre à exécution ses jugements. Les frais de transport des exécuteurs coûtent beaucoup à la République ; nous t'invitons donc à prendre au plus tôt des dispositions pour envoyer dans ce département un exécuteur des hautes œuvres. La prompte punition du coupable intimide les malveillants, et elle ne doit jamais mieux s'effectuer qu'au moment où la justice, la probité et les vertus sont à l'ordre du jour[8].

Le Président du Directoire du département,

GRAND.

 

Et lorsque, deux mois après, on annonce de Paris au tribunal du Mont-Blanc l'envoi d'un exécuteur en titre, l'accusateur public remercie en des termes qui ne laissent aucun doute sur l'importance que les émissaires du Comité de Salut public attachaient à la collaboration du terrible acolyte dont l'arrivée seule devait répandre la terreur dans toute la région :

Chambéry, le 20 messidor an 2.

L'accusateur public du département du Mont-Blanc apprend avec plaisir que le citoyen Laurent René[9] est nommé exécuteur au Mont-Blanc. Cette mesure évitera de grands frais de déplacement, car le département n'avait pas d'exécuteur, en même temps qu'elle redoublera l'épouvante des méchants. Je m'empresserai de présenter ce citoyen au tribunal[10].....

D'HAVRÉ-BUISSON.

 

A Poitiers, l'exécuteur Verdier avait, en 1793, donné sa démission, renonçant ainsi à des fonctions que ses pères exerçaient depuis le commencement du siècle[11]. A Dijon, le Directoire du département est réduit (fructidor an II) à faire une affiche pour inviter ceux qui se croiraient capables d'être exécuteurs à se présenter. Ce qu'apprenant, le Ministre trouve la chose prématurée, la liste des exécuteurs ci-devant en titre n'étant pas épuisée, et promet d'envoyer dans la Côte-d'Or un exécuteur dès que cela sera possible[12].

 

On pourrait multiplier ces citations : celles-là suffisent pour montrer, par la concordance de leurs dates, que la province ne fut régulièrement pourvue d'exécuteurs que dans les derniers jours de la Terreur. Presque partout le zèle des commissaires avait suppléé à cette irrégularité ; l'activité des bourreaux les y aidait : Jouenne l'aîné, par exemple, qui travaillait en Normandie, se piquait d'une activité dont il se faisait un titre de recommandation :

Caen, 8 nivôse an 2.

Il y a des départements où des coupables existent par le manque d'un vengeur du peuple ; il n'en est pas de même dans les départements du Calvados et de la Manche ; un jugement n'a jamais été retardé une seconde, j'ai pris la poste, j'ai fait aller la guillotine de même[13].

JOUENNE l'aîné.

 

II. — LES BOURREAUX AMATEURS. — ANCE ET COLLET DE CHARMOY

 

Il était cependant réservé à la ville de Rochefort et au conventionnel Lequinio, en mission dans la Charente-Inférieure, de doter la Révolution de bourreaux amateurs, travaillant par goût, par patriotisme,... par peur plutôt. On connaît la lettre de Lequinio[14] : elle a eu les honneurs de l'insertion au Moniteur, et elle a été reproduite plusieurs fois ; néanmoins, elle est si typique et résume les faits avec un enthousiasme si sincère qu'il faut la relire :

Encore un grand triomphe moral, citoyens mes collègues, non pas sur les momeries presbytérales, elles n'existent plus dans ce pays, mais sur un préjugé non moins fort et non moins enraciné qu'elles ! Nous avons formé ici un tribunal révolutionnaire comme celui de Paris, et nous en avons nommé nous-mêmes tous les membres, excepté celui qui doit clore la procédure, le guillotineur. Nous voulions laisser aux patriotes de Rochefort la gloire de se montrer librement les vengeurs de la République, trahie par des scélérats ; nous avons exposé le besoin à la société populaire : Moi, s'est écrié avec un noble enthousiasme le citoyen Ance, c'est moi qui ambitionne l'honneur de faire tomber la tête des assassins de ma patrie. A peine a-t-il eu le temps de prononcer cette phrase que d'autres se sont levés pour le même objet, et ils ont réclamé, du moins, la faveur de l'aider ; nous avons proclamé le patriote Ance guillotineur, et nous l'avons invité à venir, en dînant avec nous, prendre ses pouvoirs par écrit, et les arroser d'une libation en l'honneur de la République. Nous pensons qu'en peu de jours les juges le mettront à même de donner la preuve pratique du patriotisme avec lequel il vient de se montrer si au-dessus des préjugés, qu'il fut toujours intéressant aux rois et aux tyrans d'entretenir, pour nourrir toutes les inégalités sociales sur lesquelles s'établissait leur puissance[15].

 

Les cartons des Archives nationales ne contiennent aucun document sur ce Ance, intrus dans la profession, et sur lequel on a établi bien des légendes... moins atroces peut-être que la réalité.

De son état civil, de sa profession avant la Révolution, des causes de sa détermination, on ne sait rien. Les Archives de la Charente-Inférieure, non plus que celles du Finistère, départements dans lesquels il exerça, n'ont pu nous fournir à ce sujet aucune indication. C'est dans les brochures locales qu'il faut chercher sur cet homme étrange des renseignements souvent contradictoires et toujours incomplets.

D'abord, bien qu'il signât lui-même, d'après la prononciation française Ance[16], il se nommait en réalité Hentz. Il était, par conséquent, d'origine allemande, alsacienne tout au moins, et il est permis de supposer qu'il appartenait peut-être à l'une de ces familles de rifleurs qui, avant la Révolution, abondaient dans les provinces d'Alsace[17].

Comment était-il venu échouer dans les départements de l'Ouest ? On l'ignore. Sans crainte de le calomnier, on peut croire qu'il avait quelque méfait à cacher, et que, s'il saisit avec tant d'empressement cette occasion de se mettre, non pas au-dessus, mais au-dessous des lois, c'est qu'il y trouvait un intérêt quelconque. Toujours est-il que Lequinio trouva en lui un serviteur dévoué et obéissant.

Le tribunal révolutionnaire de Rochefort avait été installé dans la chapelle de l'hospice Saint-Charles ; on lui jeta pour première pâture un mulâtre qu'on écrasa des charges les plus accablantes. Pendant la délibération, Hentz élevait la guillotine sur la place de la Liberté, et, une heure après, il faisait son apprentissage au milieu d'une foule ébahie de la nouveauté de ce spectacle. Lorsque, quelques jours plus tard, eut lieu le jugement de neuf officiers et marins de l'Apollon, Hentz n'attendit pas, pour préparer l'instrument de mort, que la sentence fût prononcée. Longtemps à l'avance, il était à son poste, attendant sa proie ; le peuple l'applaudissait et entourait l'échafaud en dansant et en chantant. Quand les malheureux arrivèrent sur la place, toute la foule entonna le Ça ira, et après l'exécution on dansa la Carmagnole jusque sur la guillotine.

Hentz recevait un traitement de 5,600 livres, sur lequel il payait les deux aides qui lui étaient nécessaires. C'était de l'argent bien gagné ; en outre, il avait été gratifié d'un titre plus relevé que celui de bourreau : Nous avons, écrit Lequinio, donné le nom de vengeur du peuple au patriote qui s'est chargé si généreusement de l'exécution des jugements du tribunal révolutionnaire, et à l'instrument qui nous délivre en un instant des traîtres celui de JUSTICE DU PEUPLE, qui y est attaché en gros caractères. Cette justice vient de se faire sentir solennellement à deux coupables, dont l'un était enseigne de vaisseau et voulait un roi. Les cris de : Vive la République ! se sont élevés de 4.000 bouches, à l'instant où sa tête est tombée, et l'hymne chéri a couronné cet hommage rendu à la liberté.

Hentz s'était ainsi fait dans l'Ouest une manière de réputation : lorsque le conventionnel Laignelot, qui assistait Lequinio à Rochefort, s'en vint révolutionner la Bretagne, il amena avec lui, à Brest, le vengeur du peuple et Hugues, l'accusateur public. La guillotine de Rochefort ne chôma point pour cela, car, lorsqu'eut lieu, en l'absence de Hentz, l'exécution de l'ancien député Dechizeaux, un individu, nommé Daviaud, employé des vivres de la marine, voulant, à ce qu'on assure, satisfaire une haine personnelle, demanda et obtint de remplacer l'exécuteur officiel.

Hugues était un homme prévoyant : le même jour qu'il installait le tribunal à Brest et avant même qu'un arrêt fût prononcé, il donnait l'ordre au charpentier de la commune de dresser, sur la place de la Liberté[18], la sainte guillotine pour y rester en permanence. En face de l'échafaud s'élevait un autel de la patrie érigé, en 1792, pour la fête de la Fédération. Le peintre Satori y avait représenté deux faits d'armes. Cet autel fut renversé et remplacé par un monceau de bûches simulant une montagne avec ses anfractuosités. La sainte Guillotine eut ainsi pour pendant la sainte Montagne, et la place prit le nom de Place de la Montagne. Nous ne suivrons pas Hentz dans tous ses hauts faits : c'était pourtant un raffiné, et il cherchait à justifier, aux yeux de la population brestoise, la réputation qui l'avait précédé. Lors de la mise en jugement des trente administrateurs du Finistère, par exemple, il se montra digne de ses deux parrains Laignelot et Lequinio.

Le matin même, toutes les mesures étaient prises en vue de l'exécution. Hentz avait commandé la charrette. C'était l'usage à Paris ; cela surprit à Brest, car il n'y avait encore que des accusés devant leurs juges. L'accusateur public, non moins sûr de son fait, avait, lui, commandé pour ses clients, un grand repas : un repas de trente couverts, bien servi, mais sans couteaux ; et il avait recherché en ville trente bouteilles du meilleur vin, parce que l'humanité, disait-il, exigeait qu'ils fissent au moins un bon repas avant de mourir. Trente couverts ! il voulait paraître compter que les trente seraient condamnés. Les vingt-six qui le furent se refusèrent à sa politesse. Hentz put donc, sans plus de retard, se remettre à ses lugubres préparatifs et les mener sur la place du Triomphe-du-Peuple — ou place de la Montagne — où ils furent exécutés (2 prairial, 20 mai 1794).

On dit que, pour montrer leurs têtes au peuple, selon l'usage pour les grands criminels, et dans l'espoir que ce spectacle ferait faiblir les malheureux qui attendaient leur tour, il eut l'ingénieuse idée de les ranger toutes les unes auprès des autres, sur l'esplanade de la guillotine, de composer, selon l'expression de la pétition de Brest, présentée à la Convention le 11 frimaire an III, un parterre avec vingt-six têtes de suppliciés.

Un fait vraiment monstrueux[19], qui semble résulter des pièces officielles, c'est que les actes de décès des condamnés furent dressés avant leur exécution. Les procès-verbaux sont datés de cinq heures du soir, et un extrait du jugement de condamnation porte que l'exécution eut lieu entre six et sept heures du soir. Le greffier, en constatant par avance, voulait peut-être se donner le temps de l'aller voir sans retarder son dîner.

Hentz était un fashionable ou, comme on disait alors, un muscadin. Sa chevelure, ondoyant avec grâce sous un bonnet phrygien coquettement posé, rehaussait des traits que les femmes enviaient[20]. Ces avantages physiques, joints à une mise élégante et recherchée, donnaient à ce boucher d'hommes un aspect séduisant. Ajoutons, pour nous faire une idée complète de ce personnage, que, loin d'avoir reçu une éducation distinguée, et d'avoir l'esprit cultivé, comme l'a dit un écrivain consciencieux trompé par des traditions inexactes, Hentz était complètement illettré. Son ignorance est attestée suffisamment par l'autographe suivante, reproduction fidèle de l'original, faisant partie de la collection de M. Guichon de Grandpont, commissaire général de la marine, à Brest.

+ Pour le service de la guilliotine pour le thibunal revolucionerre.

J'ai demendé dix livres de savon bleanc et une éponge.

Brest le 24 thermidor l'an 2me de la république françaisse une indicible.

ANCE, vengeur.

 

Cette originale façon d'orthographier ses mandats n'excluait pas chez cet homme odieux un amour exagéré de l'ostentation, une certaine affectation de pompe lugubre et repoussante. Ayant eu à exécuter un marin convaincu de tendance liberticide, il brandit, dans un geste superbe, la tête du supplicié vers la rade, et il resta dans cette attitude, comme pour menacer la mer elle-même et prendre à témoin l'Océan de la justice de cette immolation.

Les représentants Faure et Bollet mandaient, de Laval, dans un de leurs rapports : A Brest, des juges du Tribunal révolutionnaire ont eu la bassesse de violer les cadavres des jolies suppliciées, et cela à la face du peuple, dans un amphithéâtre de dissection. Le citoyen vengeur du peuple s'est amusé à laisser tomber le couperet de la guillotine à diverses reprises sur la même tête, afin de prolonger une agonie[21].

Ce vengeur du peuple, nous le connaissons, c'était Hentz. Il ne bornait pas à de tels raffinements de cruauté son sanguinaire cabotinisme : lorsqu'il sortait de la ville pour aller travailler aux environs, il composait une sorte de cortège autour de la guillotine qu'il emmenait naturellement avec lui. Monté sur un cheval, il précédait la charrette qui portait l'instrument des supplices, et il faisait ainsi, avec une solennité tragique, son entrée dans les villages. Un grand silence régnait sur son passage. Les Bretons qui ne craignent rien, avaient peur de ce maudit[22].

 

On avait cru jusqu'à présent que ce fait odieux du bourreau amateur était une atrocité unique dans l'histoire de la Révolution, et que Hentz était un de ces phénomènes monstrueux qui n'ont ni précédent ni imitateur. Il n'en fut pas ainsi : le conventionnel Lequinio eut la gloire de susciter un autre vengeur du peuple, aussi répugnant que le premier. C'est à la Rochelle que le fait eut lieu, et il serait à jamais resté dans l'oubli, car je ne crois pas qu'aucun historien l'ait mentionné, si le misérable, qui offrit, de son plein gré, ses services à la Révolution, n'avait eu l'infamie de s'en vanter plus tard dans une lettre que le hasard d'une recherche m'a fait découvrir dans les cartons des Archives nationales[23].

Il s'appelait Collet de Charmoy ; il était chantre de son état, profession que la Révolution avait sans doute rendue peu lucrative. Lequinio, en arrivant à la Rochelle, trouva bien une guillotine, mais pas de guillotineurs ; cela n'était point pour l'embarrasser. Nous savons déjà comment il procédait en pareille occurrence. Il se rend à la Société populaire et expose simplement le cas aux patriotes présents ; il faut bien avouer que sa proposition jeta un froid ; et ce fut sans doute avec une horreur secrète, mais habilement dissimulée sous des bravos enthousiastes, que les terroristes terrorisés de la Rochelle entendirent une voix s'élever et crier : Moi ! moi ! C'était l'ancien chantre qui offrait ses services à sa patrie. Il fut agréé et entra immédiatement en fonctions.

Le métier lui plut sans doute, car, ne se trouvant pas suffisamment consacré de par le bon plaisir d'un simple représentant du peuple, il écrivit au ministre, autant pour faire valoir qu'il remplissait l'emploi par pure vocation que pour briguer l'honneur d'être inscrit au rôle des exécuteurs, au même titre que ceux qui avaient l'heureuse chance de compter dans la profession de longues années d'exercice ou de nombreux ancêtres. Voici sa lettre :

La Rochelle, 1er prairial an 2.

Citoyen, j'ai cru que, pour l'exécution de la loi rendue le 24 floréal qui te donne le droit de nommer et commissionner les individus qui doivent remplir les fonctions d'exécuteur des jugements criminels, je devais t'instruire que le 22 ventôse le représentant du peuple Lequinio m'a nommé à la place de vengeur de la loi pour la Rochelle, que mon patriotisme seul m'a fait accepter cette place que j'ai exercée jusqu'à ce jour.

CHARMOY.

 

Mais le bon temps ne pouvait pas toujours durer. Le 9 thermidor survint, et avec lui l'échafaud entra en vacances : Collet de Charmoy languit ; il craint de n'avoir pas montré assez d'enthousiasme ; il s'excuse d'avoir hésité un instant avant de répondre à la proposition de Lequinio ; il proteste de son républicanisme depuis 89, et maudit son ancien état... Mais laissons-le exposer lui-même ses doléances : sa supplique est une page de pathos révolutionnaire qui perdrait toute saveur à n'être point intégralement citée :

A la commission des administrations civiles, police et tribunaux de toute la République.

CITOYEN,

Jacques-Bonaventure Collet-Charmoy, exécuteur des jugements criminels à la Rochelle, nommé commissionné par Lequinio, représentant du peuple envoyé par mission au département de la Charente-Inférieure,

Vous observe, citoyen, que le représentant nomma une commission militaire à la Rochelle où de toute nécessité, il fallait un exécuteur, que le représentant se transportant à la Société de ladite commune, et lui ayant exposé l'urgence d'un exécuteur, aucun ne se présenta, il n'y eut que moi, membre de cette même Société, qui me prononça ouvertement ; et si un silence avait tardé trop longtemps, c'est que je suis un peu estropié et j'avais cru ne pouvoir le faire ; mais les forces sont dans les républicains, et mon courage fit tomber la tête des scélérats.

Le département a cru nécessaire que mon traitement n'ait plus lieu vu la commission suspendue ou dissoute, ce qui me fait une suppression funeste, ayant été victime déjà de plusieurs suppressions d'un état éteint à juste raison — j'étais chantre —, me met dans aucune impossibilité de rentrer sur cette verge despotisme puisqu'il n'y en a heureusement plus, me met dans le cas, citoyen, de vous demander si je ne suis pas au nombre des supprimés par la loi du 3 frimaire an 4. Vu mon zèle à servir ma patrie, honnête homme, père de famille dont un sert la patrie sur les vaisseaux de la République qui n'a quinze ans et l'autre qui i cerait aussi sans une maladie qui lui est survenue au moment de partir, qui n'en a que neuf ou le préjuger abite parmie les sots regarder comme un monstre plutôt d'être chérie. C'est vous en dire assez, administrateur ? Je vous demande donc la justice de prononcer sur mon sort.

Vous sentez comme moi qu'une réponse tardive me ferait languir, mais je suis plus que persuadé de la diligence que vous vous serez bien aporter à un républicain de 89 sans interruption et qui ne cessera de l'être vous ferez justice.

Salut et fraternité.

CHARMOY,

Vengeur de la loi, à la Rochelle, rue d'Offredy, n° 1.

 

Ce que Charmoy ne dit pas, c'est que, plutôt d'être chéri, il était pour les Rochelais un tel objet d'horreur qu'il avait été obligé de s'expatrier ; il s'était réfugié chez son ami Senson (sic), exécuteur à Tours. C'est là qu'il reçut, au lieu des félicitations et des émoluments qu'il attendait un avis très sec du ministre, lui notifiant que n'ayant pas été en activité antérieurement à la loi du 13 juin 1793, il n'y avait pas lieu de lui en appliquer les dispositions, et qu'en conséquence il ne pouvait être inscrit au nombre des exécuteurs pensionnés par l'Etat.

C'était lui faire comprendre durement qu'il ne serait jamais considéré que comme un amateur ; aussi se révolte-t-il ; il écrit lettre sur lettre, rappelant son élan de patriotisme, prenant à témoin les ennemis mêmes de la nation entière, auxquels il avait appliqué la loi, s'étant offert au représentant Lequinio pour cet effet. Il parvint à intéresser à son sort le vieux Sanson, de Paris, qui le recommande. Évidemment Sanson, ce roi des exécuteurs, ce représentant d'une si nombreuse et si illustre dynastie de bourreaux, exerçait sur l'ancien chantre un prestige considérable. Il aspirait à l'honneur d'entrer dans cette heureuse famille, et il réussit à marier sa sœur[24] à Louis-Charles-Martin Sanson, cet ami chez lequel il s'était réfugié à Tours, et qui était le frère de l'exécuteur de Louis XVI.

Grâce à cette alliance, il fut nommé exécuteur à Amiens. Il y était encore en 1811 ; mais, dégoûté du métier, il avait cédé sa place — par acte passé devant Me Lesur, notaire, — moyennant une pension viagère de 1.200 francs à Constant Vermeille, le fils de l'ancien maître des hautes œuvres de Cambrai avant la Révolution. Malheureusement, Vermeille ne tint pas ses engagements, et Collet de Charmoy mourut dans la misère. Sa veuve avait été recueillie par charité chez son neveu Henry Sanson, l'exécuteur de Paris ; elle y vivait, sans aucune ressource, en 1819, avec une fille, âgée de quarante-cinq ans, qu'elle avait eue de son premier mari.

 

III. — RENNES. — ARRAS. — CAMBRAI. — LYON. — FEURS.

 

Si la Révolution fut particulièrement sanguinaire dans les provinces de l'Ouest, c'est que l'insurrection vendéenne et bretonne excitait la répression et décuplait le pouvoir discrétionnaire des représentants en mission. Rennes fut le théâtre de scènes de carnage dont le récit n'entre pas dans le cadre spécial de cette étude ; qu'il nous suffise de recueillir quelques traits qui touchent spécialement à l'histoire de l'échafaud.

Les prisons et les échafauds ne suffisaient plus pour les malheureux ramassés sur les chemins et pour leurs complices vrais ou supposés. — C'était vers la Noël 1793. — Puisaye avait envoyé à Rennes quelques personnes, hommes et femmes, messagers ordinaires de sa correspondance. A leur retour, leurs chaussures et le bas de leurs vêtements étaient imprégnés de sang. On avait guillotiné par pleines charretées : la pluie n'avait pas discontinué dès le matin, et le sang des victimes se mêlait à la boue des rues, à l'eau fangeuse des ruisseaux[25]. Des bandes de chiens venaient savourer le hideux régal que la Révolution leur livrait. Une fois, parmi ces animaux que leur effroyable pâture changeait en bêtes féroces, il s'éleva une lutte générale et furieuse. Ils se roulèrent, ils se vautrèrent dans la mare de sang formée près de l'échafaud, et Rennes, épouvantée, les vit parcourir ses rues, tout dégoutants de cette horrible livrée. — L'impression de ce spectacle fut telle que les autorités ordonnèrent de tenir désormais les chiens à l'attache, et la guillotine fut dressée sur l'égout de la place du Palais, afin que, par ce canal, le sang humain disparût immédiatement sous terre.

Dans la même ville, on organisa une Compagnie d'enfants pris dans la bourgeoisie aisée, et que l'on appelait l'Espoir de la Patrie. Pour donner d'avance le goût du sang à la future génération, on employait ces enfants à fusiller, dans le cimetière Saint-Etienne, les infortunés ramassés par les colonnes mobiles. On procédait par quinze ou vingt à la fois. La plupart, mal atteints par les jeunes apprentis-bourreaux, n'étaient pas tués sur le coup[26].

 

A Arras, où des scènes non moins atroces se passaient, pour le plus grand plaisir du proconsul Joseph Lebon, d'odieuse mémoire, l'emploi de vengeur du peuple était tenu par Pierre-Joseph Outredebanque[27], dont la famille exerçait depuis plus d'un siècle l'office d'exécuteur des arrêts du Conseil d'Artois. Lui-même avait commencé jeune[28] et il comptait, à l'époque de la Terreur, tout près de quarante ans de service. Du reste, la Révolution l'avait ruiné ; nous le voyons, en 1791, se plaindre qu'il n'a plus d'emploi, par suite de la suppression des justices seigneuriales ; auparavant, il était payé par la municipalité d'Arras, par celle de Saint-Omer et son traitement fixe se montait à 600 livres. En outre, il jouissait du privilège d'enlever à son profit tous les chevaux morts de la ville et de la banlieue ; enfin tous les bailliages et seigneuries, et frais d'exécution y joints, lui faisaient annuellement la somme de 2.000 livres[29].

 

Son inaction ne lui pesa pas longtemps ; Lebon lui donna de l'ouvrage. Dès l'arrivée du proconsul à Arras, les prisons regorgèrent : Saint-Waast reçut les condamnés par jugements des tribunaux criminels ou militaires ; la prison dite des Baudets servit de maison de justice et d'antichambre au tribunal révolutionnaire ; quant aux gens suspects, et ils étaient légion, Lebon les avait ainsi divisés : Les mâles seront enfermés à la maison dite l'Hôtel-Dieu, et les femelles à la maison dite la Providence.

Or il y avait un mot de Saint-Just — un mot jugé digne de l'antiquité — que la Société populaire de Réunion-sur-Oise[30] avait consigné sur ses registres. Comme il se plaignait qu'on n'exécutait pas assez sévèrement son arrêté contre les nobles, on lui fit observer que les prisons étaient pleines : Il faut, dit-il, que les cimetières, et non les prisons regorgent de traîtres. C'était aussi l'avis de Joseph Lebon, et il trouva en Pierre Outredebanque un auxiliaire docile et dévoué.

L'échafaud, d'abord dressé devant l'Hôtel de Ville, sur la place de la Liberté — aujourd'hui Petite-Place —, fut bientôt transporté, presque au centre de la ville, sur la place de la Révolution — aujourd'hui place de la Comédie[31]. L'endroit était favorable : outre que le voisinage du théâtre permettait à Lebon d'assister, en compagnie de sa femme[32], aux exécutions capitales, du haut du balcon de la salle de spectacle, les condamnés pouvaient, de la plate-forme, apercevoir, dans la rue des Rapporteurs qui se trouvait juste en face, la maison de leur compatriote Robespierre.

Entre Outredebanque et Lebon, il convient de donner un souvenir à Tacquet cadet, l'huissier du tribunal révolutionnaire, chargé d'aller chercher aux Baudets les accusés pour les conduire devant leurs juges : c'était un homme d'une figure repoussante, il était ordinairement vêtu d'habits de couleurs voyantes et coiffé d'un bonnet de police brodé. Il y avait, de la prison au tribunal, un chemin direct ; mais Tacquet se détournait exprès pour faire passer les accusés, qu'il menait sous bonne escorte, devant la guillotine et leur donner ainsi un avant-goût du supplice. On lui en fit l'observation : Bon ! dit-il, autant qu'ils la voient plus tôt que plus tard !

Pierre-Joseph Outredebanque était assisté de ses deux fils, Pierre et Ernould ; celui-ci était né en 1776, et comme il avait montré, tout enfant, une grande aptitude pour le métier, il aidait son père depuis l'âge de dix ans[33]. C'est à ce jeune homme, sans doute, que les habitués du théâtre rouge — ainsi les juges nommaient entre eux la guillotine — durent de voir, après une exécution multiple[34], les cadavres nus de l'un et l'autre sexe, habilement groupés, sur l'échafaud, dans les positions les plus horribles[35]. Lebon, loin de sévir contre ces atrocités, les jugea si ingénieuses qu'il invita les Outredebanque à sa table[36].

Du reste, lui-même n'était pas ennemi d'un certain raffinement ; un jour, au moment où les fils de l'exécuteur venaient de lier sur la planche à bascule le marquis de Vielfort, ci-devant membre de la noblesse aux États d'Artois, Lebon paraît au balcon de la Comédie et fait signe de la main à Outredebanque de suspendre l'exécution. La foule étonnée croit que le tout-puissant proconsul fait grâce au condamné !... Lebon tire de sa poche un journal et donne gravement lecture d'un succès que viennent de remporter les armées de la République ; puis il fait le récit de la prise de Menin dont il a reçu la nouvelle : alors, apostrophant le patient : Va, scélérat, dit-il, apprendre à tes pareils la nouvelle de nos victoires !... Et l'exécution suivit son cours ; elle avait été suspendue au moins pendant dix minutes[37].

Les acolytes de Lebon étaient dignes de leur maître : après l'exécution de vingt-sept habitants de Saint-Pol, Flourent, l'un des jurés, conduisant deux femmes à la comédie — le théâtre jouait fréquemment et la salle était toujours pleine ! — passa sur le ruisseau qui charriait le sang des victimes ; il lâcha le bras d'une de ces femmes et, trempant la main dans ce sang, le fit dégoutter le long de ses doigts en disant : Comme c'est beau ![38]

Le 9 thermidor et le rappel du proconsul donnèrent des loisirs à Pierre-Joseph Outredebanque : il mourut six mois après, le 1er ventôse an III (19 février 1795), dans sa petite maison de la rue des Porteurs[39]. Son fils aîné, auquel revenait l'office, ne lui survécut que deux jours. Le 4 mars suivant (14 ventôse an III), Charles Jouenne, l'ancien exécuteur à Dieppe avant la Révolution, fut nommé à la place d'Arras, en dépit des réclamations et des plaintes d'Ernould Outredebanque, qui, chose extraordinaire, trouva moyen de se faire recommander au ministre par Guffroy, l'ennemi de Lebon. En l'an VIII, Ernould Outredebanque, qui avait épousé la veuve de son frère, fille du citoyen Vermeil, exécuteur à Cambrai, continuait à solliciter un emploi, qu'il n'obtint pas d'ailleurs ; Charles Jouenne exerçait encore à Arras en 1818[40].

Lebon ne régnait pas qu'à Arras ; il avait étendu sa domination sur toute la région du Nord, et les hécatombes de Cambrai ont justement attaché à son nom un surcroît de répulsion et d'horreur. Je sais bien que les faits odieux qui s'y passèrent ont été révélés par les dépositions des témoins figurant dans le procès de Lebon lui-même, et que celui-ci s'est inscrit en faux contre la plupart de leurs affirmations : il reste cependant établi que le fanatique proconsul apportait dans la mise en scène de l'échafaud à Cambrai le même raffinement qu'à Arras. Il avait amené avec lui la troupe de comédie de cette ville, pour donner au peuple trois représentations gratuites par semaine. Un orchestre était placé à côté de la guillotine[41], et l'un des témoins cités au procès donnait sur la façon dont se passaient les exécutions des détails qui, pour être exposés dans une forme à la fois pompeuse et naïve, n'en sont pas moins horribles.

J'ai été témoin d'une barbarie qui vous fera frémir, dépose-t-il. Le tribunal avait condamné deux prévenus d'émigration à la peine de mort : l'un était le fils du maître de poste de Lens, et l'autre se nommait Vaillant. On les amena sur la place de la Révolution, on les lia aux pieds de la guillotine ; là ils furent, pendant deux heures, livrés aux insultes de la canaille qui les couvrit d'ordures les plus viles ; je ne sais même s'ils ne furent point maltraités de coups. On brûla à leurs yeux leurs habits, l'un d'eux se trouva mal jusqu'au point de perdre connaissance. Aussitôt le digne exécuteur des crimes de Lebon lui jeta un seau d'eau qui rappela ce malheureux à de nouveaux tourments ; on amène sept personnes à guillotiner, leur sang les inonde, il détourne la tête ; frémissez ! Le bourreau prend celle qui vient de tomber et, ô comble d'horreur ! il frappe cette tête sanglante contre ses lèvres mourantes et éprouvant depuis plus de deux heures les convulsions de la mort... et le bourreau ne fut point puni. — L'accusé s'écrie qu'il n'était point présent à cette exécution, qu'il n'a même appris la vérité de ces faits que depuis son arrestation ; que, s'il avait su, le bourreau aurait été sévèrement puni, que cela regardait l'accusateur public, qu'un jour l'exécuteur ayant oublié la clef du ressort de la guillotine, fit attendre le patient un seul instant, et qu'il subit quinze jours de détention pour cet oubli.

 

L'exécuteur dont il est ici question n'était probablement pas cet Outredebanque que nous avons vu exercer à Arras. Sans doute, Lebon l'emmena quelquefois avec lui ; mais, comme l'échafaud continuait à fonctionner à Arras pendant les absences du conventionnel, il est certain que la présence de l'exécuteur y était nécessaire. D'ailleurs, Cambrai possédait toute une famille de bourreaux, les Vermeille[42], qui occupaient depuis plus d'un siècle la place de maître des hautes œuvres, et que la Révolution avait laissés sans emploi ; il est probable que c'est de ces personnages que se servit Lebon[43] ; et, détail à noter, c'est sans doute l'un de ces Vermeille qui fut chargé de le mettre lui-même à mort ; Amiens, où le farouche conventionnel fut jugé, n'avait point d'exécuteur en titre ; quelques rares condamnations à mort y furent prononcées pendant la Terreur, et l'on fut obligé de faire venir de Cambrai ce Vermeille, qui, depuis trente ans, était exécuteur des jugements criminels de l'ancienne province d'Artois et, par conséquent, du département de la Somme. On agit de même, tout le fait croire, lors de la condamnation de Lebon, le 24 vendémiaire an III. Le fier proconsul montra, du reste, moins de sang-froid devant l'échafaud quand il lui fallut y monter comme acteur, qu'aux jours où il en recherchait le spectacle. Après avoir entendu son arrêt, il écrivit à sa femme une lettre où il parle de ses enfants, Pauline et Emile, d'une façon vraiment touchante — lui que les pleurs de tant de veuves et d'orphelins n'avaient pu émouvoir ! — Puis il dîna comme à l'ordinaire ; après son repas, il demanda de l'eau-de-vie et en but à deux reprises différentes. Dans le trajet de la prison à la place du Grand-Marché, où était dressé l'échafaud, il garda constamment le silence ; plusieurs fois, l'exécuteur fut obligé de le soutenir pour l'empêcher de tomber. Il avait trente ans.

 

A Lyon, où régnaient d'autres hommes non moins féroces que Lebon, l'échafaud avait reçu le nom d'autel de la Patrie[44]. On offrait à la Liberté, sur cet autel, de si fréquents holocaustes que, le 10 janvier 1794, un membre de la Commission révolutionnaire demanda à faire placer de la chaux ou des décombres autour de la guillotine, par raison de salubrité et pour soustraire aux yeux la vue du sang.

Sur quoi le Conseil municipal arrête de faire creuser un encaissement sous l'échafaud, d'y mettre du sable qu'il aura soin de faire enlever tous les deux ou trois jours au plus tard, ainsi que de continuer à faire mettre des décombres à l'entour.

Il serait absolument superflu de conter ici dans leurs détails les épisodes sanglants de la Révolution lyonnaise. Ce travail a été fait maintes fois, et d'une façon définitive.

Les exploits de la Commission de justice militaire de Feurs sont peut-être moins connus. Feurs est une petite ville qui ne compte pas aujourd'hui plus de 2,500 habitants, et qui se trouva en octobre 1793 être le chef-lieu du département de Rhône-et-Loire, formé d'une partie du territoire de celui du Rhône alors livré à la guerre civile. Feurs dut à cet honneur intempestif le douteux privilège d'être traité en cité d'importance et révolutionné comme telle. La guillotine y arriva le 2 novembre et y fut installée avec une certaine solennité : deux compagnies des gardes nationales de Rive-de-Gier et de Saint-Chamond et cent vingt hommes des armées révolutionnaires, sous les ordres du citoyen Escoffier et tramant quatre pièces de canon, faisaient cortège autour de l'instrument des supplices. Le 7 novembre, eut lieu, sous la présidence du conventionnel Javogue, l'installation du tribunal révolutionnaire dans l'ancienne chapelle des Pénitents, rue du Palais : la maison d'Assier et la maison Gras avaient été transformées en prison. L'échafaud fut dressé en face de l'arbre de la liberté sur la place de Feurs[45] ; et, tout étant ainsi machiné, Javogue commença à terroriser. Au nombre des hauts faits de cet énergumène, on cité l'arrestation de la veuve Martimon, une vieille femme de quatre-vingt-deux ans : elle fut enlevée, la nuit, de sa campagne de Montuclas, liée sur une charrette et tramée par des chemins impraticables jusqu'à la ville de Chazelles où elle expira en arrivant, les membres brisés et le ventre éclaté.

D'ailleurs, la guillotine ne fonctionna pas longtemps à Feurs ; les fusillades de Lyon empêchaient Javogue de dormir : il choisit une partie de la garenne du château, à l'est de la ville, où une belle allée de vieux sycomores servait de promenade aux habitants ; le 8 février 1794, on fusilla là vingt-huit condamnés. Les victimes sortirent de la prison, attachées par une grosse corde les uns à la suite des autres ; conduits d'abord sur la place devant la guillotine, ils durent entendre la lecture de leur sentence ; puis ils défilèrent dans les rues, au chant du Miserere, au milieu de la foule silencieuse et terrifiée : quelques parents, quelques amis leur tendaient une main qu'ils ne pouvaient presser. Quand le cortège fut arrivé à la promenade, on attacha les extrémités de la corde à deux arbres, et les patients se trouvèrent ainsi rangés, le long d'un mur, au bord d'une large et profonde fosse qu'on avait creusée pendant la nuit. Il y eut quelques minutes d'attente. L'officier chargé de commander le feu tardait à donner l'ordre fatal ; il tournait les yeux vers la porte de la ville : tout à coup, parut sur le chemin de Feurs à Dousy, une voiture où Javogue se prélassait entre deux déesses de la Raison. C'était le signal : une décharge retentit, et les vingt-huit condamnés tombèrent liés ensemble, les morts entraînant les blessés. Au même instant, la populace des quartiers pauvres se précipita sur les victimes et les dépouilla : on lui avait promis cette aubaine pour acheter son impassible indifférence. Les soldats républicains de Feurs, il faut le dire à leur honneur, avaient demandé et obtenu de ne point prendre part à cette sanglante exécution. La fusillade fut faite par un peloton de prisonniers piémontais armés par Javogue pour cette occasion[46].

La ville de Feurs donna en cette circonstance un exemple unique : elle dénonça Javogue à la Convention nationale ; les habitants de la ville avaient, en formulant leur supplique, dressé un tableau sinistre des crimes de ce fou furieux. Le conventionnel vivait à Feurs dans l'ancien château du lieu (l'hôtel Gaudin), et se montrait par la ville en état de nudité, pour faire revivre, disait-il, l'ancienne simplicité républicaine[47]. Il prêchait dans les réunions populaires la communauté des femmes, la prostitution des jeunes filles, il préconisait jusqu'à l'inceste. Il fit condamner une femme qui lui avait refusé ses faveurs, l'envoya à l'échafaud nue jusqu'à la ceinture et se trouva sur son passage pour lui dire qu'elle était belle. Je ne reconnais comme patriotes, annonçait-il, que ceux qui, comme moi, dénonceraient au besoin leur père, leur mère, leur sœur, et boiraient sur l'échafaud un verre de leur sang. Il demandait deux millions de têtes à couper pour l'affermissement de la République[48]. Selon lui, la véritable religion, c'est la mort des aristocrates ; la seule divinité d'un bon républicain, c'est la guillotine.

 

Javogue fut rappelé ; mais le Comité de Salut public, trouvant sans doute qu'il avait accompli à souhait sa mission, ne le punit pas. Il devait expier plus tard. Après son départ, le tribunal de Lyon fut chargé de juger les criminels du département de Rhône-et-Loire.

Nous voici revenus, après cette digression, à la Révolution lyonnaise ; nous n'en rapporterons plus qu'un incident assez généralement ignoré et tellement significatif qu'il faut le mentionner : c'est l'exécution de l'exécuteur lui-même. Le 27 germinal an II (16 avril 1794), Jean Ripet l'aîné, âgé de cinquante-huit ans, exécuteur de la haute justice, et Jean Bernard, son adjoint, âgé de vingt-six ans, tous deux natifs de Grenoble, furent guillotinés en vertu d'une condamnation de la Commission révolutionnaire, et comme complices de l'assassinat commis dans la personne du patriote et vertueux Chalier et du citoyen Riau !

Je crois qu'on peut clore par un tel fait cet aperçu rapide de l'histoire des exécuteurs en province pendant la Terreur ; d'ailleurs, poussé plus avant, le tableau risquerait d'être monotone, et l'on ne pourrait manquer de se répéter. Mais, en terminant, il n'est pas inutile de rappeler un mot de Barthélémy Maurice, dans son Histoire des prisons de la Seine : Comme l'élève, dit-il, qui ne choisit pas sa place dans l'atelier et ne peut reproduire du modèle que la partie qu'il voit, je ne suis pas à blâmer ; si la Révolution ne paraît pas belle dans cette esquisse, j'étais placé vis-à-vis de l'échafaud, et c'est son vilain côté.

 

 

 



[1] Notons, une fois pour toutes, que nous ne tenons point compte de l'orthographe essentiellement variable des noms d'exécuteurs ; et que nous suivons les indications des pièces officielles.

[2] Voici les noms des exécuteurs qui exerçaient dans ces villes avant 1789 et qui y restèrent pendant la Révolution : à Angers, Filliaux, nommé en 1783 ; à Alençon, Jacques-Michel Boistard, nommé en 1774 ; à Beauvais, Berger (1784) ; à Besançon, Claude-Antoine Chrestien (1774) ; à Caen, Charles-Louis Jouanne (1776) ; à Laon, François-Joseph Desmorets (1761) ; au Mans, Charles Jouanne (1767) ; à Melun, Nicolas-Lubin Jouanne (1788) ; à Metz, Oswald Barré (1784) ; à Nantes, Charles-François Ferey (1785) ; à Strasbourg, Georges-Frédéric Maeigest (?). Archives nationales : V1 540.

[3] L'échafaud était en permanence à Avignon sur la place de l'Horloge.

[4] Documents officiels pour servir à l'histoire de la Terreur à Nîmes.

[5] Archives nationales : BB3 207. Lettre du 9 fructidor an III.

[6] 24 pluviôse an II. — Archives nationales : BB3 206.

[7] Ces deux hommes s'appelaient l'un François Pache, natif du département du Mont-Blanc, l'autre, Joseph Porte, Italien. Le premier fut nommé exécuteur, et le second, aide.

[8] Archives nationales : BB3 207.

[9] Laurent Reine, et non René. Il venait de Nancy où son père avait été maître des hautes œuvres avant la Révolution.

[10] Archives nationales : BB3 217.

[11] Archives nationales : V1 540.

[12] Archives nationales : BB3 207. — La place de Dijon était vacante par la mort de l'exécuteur Chefdeville.

[13] Archives nationales : BB3 206.

[14] Lequinio, qui avait cinquante ans à l'époque de la Révolution, était originaire de Vannes ; député à la Convention, il fut envoyé, en septembre 1793, en mission dans les départements de l'Ouest. Il s'y fit le rival de Carrier, qu'il n'égala peut-être pas en cruauté, mais qu'il surpassa par son avidité et ses concussions. Il avait jusque-là professé l'athéisme ; mais, revenu à Paris en 1794, il prononça aux Jacobins, le 7 mai, un éloge pompeux du discours de Robespierre à la Convention sur l'immortalité de l'âme. Maximilien repoussa ses éloges, et, rapprochant les anciennes doctrines de Lequinio de celles qu'il venait de professer, il le fit exclure de la Société comme un fourbe et un hypocrite. Après le 9 thermidor il demanda, en désignant le petit Dauphin enfermé au Temple, que l'on purgeât le sol de la liberté du dernier rejeton de la race impure du tyran. Dénoncé comme terroriste en 1795, il fut accusé, par le rapporteur de la Commission chargée d'examiner sa conduite, d'avoir mangé habituellement avec les bourreaux ; du fruit de ses rapines, payé pour 12.000 francs de dettes, acheté des propriétés et envoyé à son frère des sommes considérables ; d'avoir fait servir la guillotine de tribune aux harangues ; d'avoir forcé des enfants à tremper leurs pieds dans le sang de leur père ; enfin d'avoir lui-même brûlé la cervelle à des détenus. Il fut néanmoins compris dans l'amnistie d'août 1796. Élu, en 1798, député du département du Nord au Conseil des Cinq Cents, il en fut exclu par la loi du 12 mai de la même année ; il exerça, après le 18 brumaire, les fonctions d'Inspecteur des Forêts ; puis il fut envoyé aux États-Unis comme sous-commissaire des relations commerciales. Il mourut sous l'Empire.

[15] Moniteur, 14 novembre 1793.

[16] C'est l'orthographe qu'a adoptée, d'après la lettre de Lequinio, M. Vallon dans son remarquable ouvrage Les Représentants en mission dans les départements, où il consacre quelques lignes à ce fanatique.

[17] Ce n'est là qu'une hypothèse impossible à contrôler, puisque, nous l'avons dit, on ne connaît point, à part quelques rares exceptions, les noms des exécuteurs qui exerçaient en Alsace avant 1790.

[18] Place du Champ-de-Bataille.

[19] WALLON, Les représentants en mission. — LEVOT, Histoire de la ville et du port de Brest.

[20] A Brest, dit A. Monteil, dans sa Décade des Clubs (Histoire des Français des divers États), le bourreau, jeune homme de vingt et quelques années, élu président de la Société, fut aussitôt courtisé par tous les pères de famille qui avaient des filles à marier.

M. Levot fait justement remarquer que cette course au mariage ne se concilie guère avec la difficulté que Hentz éprouvait à trouver un logement, difficulté telle qu'il fallut lui en assigner un officiellement.

[21] Th. MURET, Histoire des guerres de l'Ouest.

[22] On peut consulter sur Ance : WALLON, Les représentants en mission dans les départements ;

LEVOT, Histoire de la ville et du port de Brest pendant la Terreur ;

Armand LOD, Biographie du conventionnel Bernard de Saintes ;

VIAUD et FLEURY, Histoire de la ville et du port de Rochefort ;

Daniel MASSION, Histoire politique, civile et religieuse de la Saintonge et de l'Aunis ;

CHATONNET, Notice sur Gustave Dechesseaux, député à la Convention.

[23] Archives nationales : BB3 206 et suivants.

[24] Marie-Victoire Chollet de Charmoy, veuve d'un premier mari nommé Lexcellent, était née le 10 juin 1750. J'ignore la date de son mariage avec Louis-Charles-Martin Sanson ; et il est certain que, si l'on pouvait établir que cette union avait eu lieu avant l'époque de la Terreur, Charmoy trouverait dans cette alliance une excuse à son odieux fanatisme. Beau-frère du bourreau, il s'offre à être bourreau ; la chose présentée de cette façon devient vraisemblable. Mais il n'en fut pas ainsi ; le mariage n'eut lieu certainement que longtemps après le 9 thermidor ; la preuve nous en est donnée par une lettre de Charmoy lui-même, datée de nivôse an III et écrite de chez son ami Sanson, de Tours. Au cas contraire, il n'eut pas manqué de dire son beau-frère.

[25] Le nombre des exécutions par la guillotine seule fut à Rennes de quatre-vingt-dix, dans les journées des 24, 25 et 26 décembre 1793. Th. Muret, Histoire des guerres de l'Ouest.

[26] Plusieurs personnes étaient encore, vers 1848, connues à Rennes comme ayant eu le malheur de figurer dans cette compagnie. L'une d'elles, qui avait été l'un des chefs, occupait, après 1830, un poste éminent dans la cité.

[27] Le nom s'est modifié en Ouderdebank et en Oudreban.

[28] Il était né vers 1735.

[29] Archives nationales : BB3 206.

[30] La ville de Guise dans l'Aisne.

[31] Demuliez ordonnait tout ce qui avait rapport à la police et aux formes du tribunal et des exécutions ; il avait vu à Paris une galerie et des rafraîchissements, on guillotinait sur la place de la Révolution ; vite il fallut à Arras une galerie et des rafraîchissements et on transféra la guillotine sur la place de la Révolution ; il fit ôter l'échafaud pendant quelque temps, après les exécutions, mais il se lassa à la fin, et l'échafaud resta (Renseignements fournis par Lebon lui-même au cours de son procès).

[32] La citoyenne Lebon se croyait autorisée à suppléer son mari dans ses fonctions administratives. Un jour que Lebon était absent, elle signa elle-même un ordre d'écrou. Cette femme, qui parlait à table, devant ses invités, du nombre de têtes de veaux abattues dans la journée, devint plus tard une excellente et très dévouée mère de famille.

[33] Archives nationales : BB3.

[34] Celle de Mme Bataille et de ses complices, accusés de s'être cotisés pour le rachat de l'église Saint-Géry.

[35] Procès de Lebon. Déposition du citoyen Alexandre Morgan.

[36] Procès de Lebon. — Le président interpelle le témoin Joseph-Antoine Catiaux de déclarer qu'elles étaient les conversations de l'accusé avec les jurés, si le bourreau ne mangeait pas habituellement à sa table et de quelle manière il lui parlait.

Il répond ne savoir de quel genre étaient ses conversations avec les jurés, mais qu'étant à table ils se donnaient et lisaient des papiers écrits ; que le bourreau mangeait avec eux, et que le représentant le traitait sans distinction comme les autres.

L'accusé répond qu'il y a trop longtemps qu'on parle de ce bourreau pour qu'il ne saisisse pas l'occasion de répondre à ce fait.

Accoutumé à se trouver avec les juges du tribunal d'Arras lorsqu'ils se déplaçaient avant ma mission, dit-il, il vint, sans être invité, se placer à table avec les autres à Cambray, et, malgré la répugnance que plusieurs éprouvaient, personne n'osa lui dire de se retirer, de peur de paraître vouloir flétrir un homme non flétri par les lois. Qu'on se souvienne, d'ailleurs, de l'insertion faite au Bulletin de la Convention de différentes lettres où des représentants du peuple semblaient s'applaudir d'avoir vaincu un préjugé en invitant l'exécuteur à leur table.

[37] Dans l'ancienne législation, sous l'empire de laquelle Outredebanque avait reçu ses lettres de provision, l'exécuteur était tenu de prêter, en chambre échevinale, le serment de bien exécuter son office et d'alléger les souffrances du condamné.

[38] Conseil général de la commune d'Arras. — Séance du 2 ventôse.

L'exécuteur des jugements n'a pas soin de nettoyer la guillotine chaque fois qu'il fait une exécution. Dans les chaleurs de l'été il fera très malsain sur la place, si l'on ne prend pas des mesures à ce sujet. L'Assemblée arrête que l'exécuteur sera tenu de nettoyer la guillotine chaque fois qu'il fera une exécution, en jetant de l'eau et en la balayant. Elle décide, en outre, qu'il sera fait un tonneau pour recevoir le sang, qu'il sera également tenu de faire vider aussitôt après l'exécution.

Séance du 24 ventôse.

On propose, par mesure de bien général, d'inviter l'accusateur public de faire faire plusieurs paniers doublés de toile cirée pour transporter ceux que l'on guillotinerait au cimetière, aussitôt après l'exécution, ainsi qu'une charrette qui servirait à les y conduire, motivée sur ce que, les corps restant sur la guillotine, le sang qui s'en épanche pourrait occasionner le mauvais air et causer des maladies.

Le 25 ventôse, Outredebanque fait des observations pour que le sang des conspirateurs ne corrompe point l'air que tout républicain doit respirer.

26 ventôse. — Le Conseil général de la commune d'Arras au Directoire du département : Le Conseil général devant veiller à la salubrité de l'air ; considérant que les aristocrates, après avoir exhalé le poison de l'aristocratie, empoisonnent encore nos concitoyens de leur sang quand le glaive de la loi frappe leur tête coupable, a délibéré de vous inviter de faire fabriquer un ou plusieurs paniers doublés d'une toile cirée, comme à Paris, afin qu'aussitôt les têtes tombées, elles puissent être transportées au cimetière commun sur une voiture.

Les cadavres des suppliciés restaient longtemps exposés aux regards indiscrets de la foule. Le Directoire du District finit par se révolter de ces scandales, et, le 27 germinal an II, il prit la délibération suivante : Un membre ayant fait part à l'administration que, sans respect pour les mœurs, une quantité de citoyens et surtout d'enfants affluent pour voir dépouiller de leur vêtement les personnes qui périssent par l'effet de la justice nationale, et ayant peint la nécessité de faire cesser cette dégoûtante curiosité, l'Assemblée arrête : 1° ceux que la loi aura frappés de mort conserveront leurs vêtements jusqu'au lieu de la sépulture ; personne ne pourra les approcher lorsqu'on devra les enterrer ; 2° la gendarmerie et les soldats de police accompagneront les exécutés jusqu'au lieu de la sépulture.

(Voir le Procès de Lebon ; le remarquable livre de M. A. PARIS, Histoire de Joseph Lebon, et Arras sous la Révolution, par E. LECESNE.)

[39] La rue des Porteurs est située le long des remparts de la ville ; c'est là qu'autrefois se trouvait l'abattoir qu'on appelait la tuerie publique. Le fils cadet d'Outredebanque continua, après la mort de son père, à habiter l'immeuble connu alors dans tout Arras sous le nom de Maison du bourreau.

[40] Archives nationales : BB3 208.

[41] Lebon a nié ce fait affirmé par plusieurs témoins.

[42] Archives nationales : BB3 206.

[43] A. PARIS, Histoire de Joseph Lebon.

[44] A. METZGER, Lyon en 1794.

[45] La guillotine de Feurs a été récemment exposée et mise en vente chez un marchand de curiosités du boulevard du Temple. Un amateur de Versailles l'a achetée 1.400 francs.

[46] On a élevé, à l'endroit où tombèrent les victimes du 8 février, une chapelle expiatoire. Un historien de Feurs a conté le fait suivant : Un témoin oculaire, dit-il, alors jeune garçon de douze ans, curieux et indifférent comme le sont, à cet âge, les gamins de tous les pays, était au bord de la fosse où s'amoncelaient les corps. Il m'a rapporté que ce qui l'avait le plus impressionné dans ce drame sanglant, c'était moins l'image de ces morts tragiques que l'aspect des corps entassés dans la fosse commune, ondulant les uns sur les autres et paraissant tressaillir chaque fois qu'un nouveau corps était jeté sur ces chairs palpitantes.

[47] Assemblée bailliagère du Forez, par M. d'ASSIÈS.

[48] Voir sur la Révolution à Feurs :

Histoire de la ville de Feurs et de ses environs, par BROUTIN ;

Les tribunaux révolutionnaires de Lyon et de Feurs, par E. FAYARD.