LE tragique exode commença joyeusement. Pour ces jeunes gens, presque tous hommes de bureau et d'études, cette escapade par ce bel été, dans cette admirable Normandie, s'annonce comme une partie de plaisir. Répartis entre les trois compagnies du bataillon du Finistère, les députés jouaient au soldat ; nul de leurs compagnons n'ignorait leur qualité ; la plupart de ces volontaires étaient de bonnes familles ; très informés des événements récents et fiers d'avoir, pour camarades ces représentants au nom desquels la France presque entière, disait-on, s'insurgeait. Les fugitifs étaient au nombre de vingt-deux Buzot, Pétion, Barbaroux, Salle, Cussy, Lesage, Bergœing, Giroust, Meillan, Louvet, Guadet, Valady, Mollevaut, Gorsas, Duchâtel, Kervélégan, Delahaye et Henry-Larivière, tous députés à la Convention ; quelques-uns de leurs collègues, qui les avaient rejoints à Caen, n'étaient pas du voyage, Lanjuinais, par exemple, ne s'était arrêté qu'un jour dans la capitale de la Basse-Normandie et se trouvait déjà à Rennes où un asile sûr l'attendait, Par contre, quelques amis de la Gironde s'étaient bénévolement mêlés aux proscrits, entre autres Honoré Riouffe, écrivain agréable que l'admiration attachait à leur sort, Marchena, un espagnol, exilé de son pays en raison de son exaltation révolutionnaire, et Le Deist de Botidoux, ancien député des Côtes-du-Nord aux États généraux qui, après avoir figuré à Caen dans l'éphémère état-major du général Wimpfen, regagnait la Bretagne et se faisait fort de procurer aux représentants des asiles où ils pourraient attendre, en pleine sécurité, la fin des mauvais jours. Il faut nommer encore Joseph, le domestique de Buzot, résolu à ne point quitter son maître. Des voitures suivaient la troupe, contenant les femmes, c'est-à-dire l'une des filles de Gorsas, Mme Salle et ses trois enfants, d'autres peut-être. Ainsi avançait-on sur la route de Vire ; on était plein d'espoir et d'entrain : Louvet, à qui cette aventure rappelait certains épisodes de son Faublas, jugeait la situation très piquante et déclarait fort agréables cette marche militaire, les haltes au bord de la routé, le verre de cidre bu à l'auberge, le petit morceau de beurre sur le pain de munition mangé avec appétit. Comme il ne connaissait pas le pays, il laisse dans le vague les détails de l'itinéraire et, sur ce point, la romanesque relation qu'il a écrite de cet épique voyage est fort peu précise. Il paraît certain que le bataillon n'abattit pas en un seul jour les quinze lieues qui séparent Caen de Vire. Après Bretteville-la-Pavée qui fut le premier village rencontré, on traversa Verson, long bourg échelonné des deux côtés de la route, puis Mondrainville ; vers le milieu du jour on passa près du village de Noyers, devant une vieille maison qui borde la route et dont l'une des portes est surmontée de cette inscription, datée de 1620 : Cœur désireux n'a jamais de repos, maxime de mauvais présage qui dut aux fugitifs inspirer des réflexions mélancoliques. Tous l'avaient eu le cœur désireux ; par besoin de changement, de luttes, de renommée, ils avaient quitté le modeste état qui leur assurait la vie paisible ; le calme bonheur des existences sans éclat ; ils s'étaient lancés dans l'ouragan, et l'ouragan les emportait. Après Noyers, c'est la longue côte de Montbroc dont le sommet domine une immense étendue de pays ; le regard découvre au loin la cathédrale de Bayeux ; puis c'est la descente vers Villers-Bocage où commence le charmant bocage normand ; et c'est là sans nul doute, que l'on fit la première couchée. Louvet, en parisien amusé de tout, trouvait plaisir à recevoir son billet de logement et à prendre modestement gîte chez quelque particulier qui, croyant héberger un volontaire, ne se gênait pas avec lui et le dispensait par là de toute cérémonie. Il est bien vraisemblable que, séparés pendant la marche, les députés se réunirent à la veillée pour discuter de leur situation. Quand le bataillon serait rentré dans ses foyers, que feraient-ils, eux, les hors-la-loi dont la France attendait son salut ? Le Deist de Botidoux les pressait de se fixer à Rennes, capitale de la Bretagne et de diriger là le mouvement fédératif. Il y mettait tant de chaleur que ses instances inspirèrent quelques soupçons. On parut se ranger à son avis ; mais on se fiait davantage à Kervélégan, un collègue, celui-là réputé pour sa droiture, sa loyale et opiniâtre ténacité bretonne. Mis le 2 juin en arrestation chez lui, rué des. Saints-Pères, au troisième étage, sous la surveillance de deux gendarmes, il supportait impatiemment la promiscuité de ses gardiens. Bâti en Hercule, il empoigna, certain jour, l'un d'eux dont l'indiscrétion le harcelait, et le tint suspendu à bout de bras, hors de la fenêtre, au-dessus du vide, menaçant de le précipiter à la première vexation. Assagis par cette démonstration, les gendarmes promettent de se relâcher de leur rigueur si Kervélégan jure de ne point s'évader. Il consent : Foi de breton, je fais serment de vous prévenir quand j'aurai l'intention de me sauver. Le 28 juin, vers le soir, tandis que ses deux cerbères se restaurent : Citoyens, leur dit-il, la main sur le bouton de la porte et un pied déjà hors de la chambre, citoyens, je vous avertis que je m'en vais. Adieu ! Il sort, donne un tour de clef à la serrure, descend l'escalier, saute dans un cabriolet où l'attend sa fille Lise, âgée de quinze ans. Vingt louis de guides et au galop, crie-t-il au cocher. Le fiacre, roulant toute la nuit atteignit Mantes au petit jour. De là Kervélégan avait gagné Caen où il jetait arrivé le 2 juillet. L'avis de cet homme sans détour et persuasif était que l'on poursuivît jusqu'à Quimper ; député et maire de cette ville, il n'y comptait que des amis, même parmi ses adversaires politiques. Ses collègues, présentés par lui, y pourraient vivre aussi longtemps qu'ils le voudraient, sous la sauvegarde de l'honneur breton, et s'y embarquer sûrement pour gagner, au besoin, par mer, quelqu'autre port de France où leur action serait réclamée. Ce plan séduisit d'autant plus que les proscrits se trouvaient, pour la plupart, démunis d'argent. Pétion avait emprunté 2.800 livres à un négociant de Caen, avant de quitter cette ville ; Louvet attendait des subsides de Lodoïska qui, à Paris, s'évertuait à réunir toutes ses ressources ; Buzot, ayant séjourné à Évreux s'y était muni de quelque viatique ; Barbaroux reçut à Caen, de ses amis de Marseille, une certaine somme aussitôt partagée avec sa mère et une femme qui l'avait aidé ; mais les autres, évadés dans les conditions que l'on sait, étaient absolument dépourvus : Salle, par exemple, ne possédait que 300 livres ; Guadet était moins riche encore ; il avait laissé à sa femme, restée à Paris, le peu d'argent dont il disposait ; nourrice d'un enfant et gardée à vue par un gendarme, la malheureuse, au bout de son maigre pécule, ne subsista que du prix de quelques effets, montres, couverts, linge, qu'elle faisait vendre en cachette. Leur tenue et leur bagage témoignent, au reste, de l'indigence des Girondins proscrits ; beaucoup n'ont ni vêtements ni chaussures de rechange. Il est peu probable qu'ils aient adopté le costume militaire puisque les volontaires eux-mêmes parmi lesquels ils marchent n'ont point de tenue uniforme ; ils passent seulement par-dessus leur habillement la vareuse de toile que portent les soldats en manœuvres, Buzot, si élégant d'habitude, est couvert d'une bonne roupe de drap brun à collet et parements de velours cramoisi, d'une culotte de cotonille à raies bleues et blanches et s'est muni d'un sabre et de deux pistolets ; Pétion s'est acheté, à Caen, chez Bracou, un pistolet, et, chez Aundeville, au Gagne-Petit, un chapeau à trois cornes orné d'une très large cocarde tricolore ; mais certains, comme Salle et Guadet, sont à peine vêtus et pas du tout armés. Celui-ci surtout, ordinairement négligé, portant des habits troués au coude, est maintenant misérable ; sa belle tête au front superbe, aux cheveux noirs, aux yeux bleus, aux joues maigres, sa belle tête qu'il tient légèrement inclinée sur l'épaule, accuse un esprit méditatif, dédaigneux des vanités de la parure. Il est précautionneux, d'ailleurs, car il est pourvu de trois passeports, l'un en blanc et qui pourra servir ; l'autre au nom de Guilgot, natif de Rennes ; le troisième au nom d'un citoyen Heliès, négociant à Falaise. La seconde étape fut à Vire : là Louvet eut une grande joie : fatigué de la marche, il s'était couché à six heures et ne parvenait pas à s'endormir lorsque, à minuit, son hôte l'avertit qu'une dame le demandait. C'était Lodoïska arrivant de Paris. La courageuse femme s'était hâtée de vendre tout ce qu'elle possédait de bijoux et venait retrouver son amant afin de partager ses dangers. Pénétré de sa générosité, Louvet la conjure de former avec lui des liens que leur amour rendra indissolubles. Lodoïska, mariée, on l'a vu, à un bijoutier, s'était empressée, dès l'institution du divorce, d'entreprendre des démarches en vue d'obtenir la rupture de sa première union ; mais les délais, prescrits par le décret du 20 septembre 1792, étaient loin d'être écoulés. N'importe ; elle céda aux désirs de son amant et, comme le mariage de Jean-Jacques avec Thérèse, celui de Louvet et de Lodoïska fut improvisé et réduit au minimum de cérémonial ; Pétion, Buzot, Salle et Guadet reçurent leurs serments ; ce fut tout. Ces épousailles, aussi sommaires que peu légales, durent être célébrées le 31 juillet au matin, car on pense bien que le bataillon ne s'arrêtait pas pour si peu. Ce jour-là encadrant les nouveaux, époux, il alla jusqu'à Mortain, —six lieues de Vire, — et, le 1er août, vers la fin du jour, il entrait à Fougères ; — dix lieues encore. Déjà le petit peloton des députés commençait à se disloquer. : Henry-Larivière l'avait quitté à Viré, se rendant à Falaise d'où il voulait ne pas s'éloigner ; Kervélégan, avec Duchâtel, avait pris l'avance, en fourrier, se rendant à Quimper pour y préparer des logis ; Le Deist de Botidoux, persuadé que les proscrits se fixeraient à Rennes, les avait précédés pour les y attendre ; on le laissait dans cette illusion ; mais plusieurs se méfiaient de lui et Barbaroux surtout insista pour que, évitant Rennes, on se rangeât à l'avis du loyal Kervélégan et que l'on gagnât au plus vite le chef-lieu du Finistère. Au vrai, la situation devient inquiétante et les nouvelles de Paris ne sont point du tout favorables. La Convention bridée par les énergumènes de la Commune s'engage dans, la voie néfaste des représailles impitoyables ; ceux du parti Girondin qui n'ont pas pu ou voulu fuir, — Vergniaud, Gensonné, Valazé, et d'autres, — sont maintenant en prison où ils ont rejoint Brissot, arrêté, le 10 juin, à Moulins. Le 26 juillet a été rendu un décret ordonnant que la maison de Buzot, à Évreux, serait rasée et que rien, désormais, ne sera bâti sur ce terrain maudit ; on y dressera une colonne portant cette inscription : Ici fut l'asile du scélérat Buzot qui, représentant du peuple, conspira la perte de la république française. Car les vainqueurs du 2 juin, pour mieux piétiner les vaincus, déversent sur eux les calomnies les plus grossières, et, quoique le pays, en immense majorité, déplore le coup d'État qui a décapité l'Assemblée, il a peur et se courbe. Évreux même, peuplé des amis et des partisans de Buzot, le renie lâchement ; pour montrer son zèle, la municipalité accueille par des illuminations le décret draconien ; elle brûle sur la place publique le portrait du député tant estimé et aimé il y a moins d'un mois, et aujourd'hui honni ; c'est bien l'ignoble Terreur dont s'inaugure le règne... Les meubles de Buzot sont transportés à la mairie et là démolition de sa vieille maison de là rue de la Petite-Cité est aussitôt entreprise, Tout ce qu'elle a contenu est vendu à l'encan, sans excepter les bardes du représentant et celles de Mme Buzot, eu fuite on ne sait où ; les jacobins d'Évreux se partageront triomphalement la belle culotte de velours vert dragon et celle en velours changeant, les fourreaux de mousseline, de satin gris perle, de taffetas gorge-de-pigeon, et la pelisse de satin blanc à bordure de poil... On dispersera tout, jusqu'au manteau porté par Buzot alors qu'il présidait le tribunal d'Évreux, jusqu'à une chaise de commodité, une cage à oiseaux, un petit balai de crin... L'ingratitude cynique de ses concitoyens fut, pour Buzot, un surcroît d'épreuve ; mais son angoisse harcelante était pour la femme qu'il aimait, celle dont il portait le médaillon sur son cœur, la prisonnière de Sainte-Pélagie. Dans l'espoir de la sauver, il avait quitté Paris, et chaque pas qui l'éloignait d'elle accroissait son impuissance. Que faire pour arracher au bourreau celle .que ses ennemis tiennent en leur pouvoir ? Quel moyen maintenant de soulever ls pays et d'abattre les hypocrites despotes qui l'oppriment ? Atteindre la mer v au plus vite, s'embarquer pour Bordeaux qui, assure-t-on, persiste dans sa révolte contre la tyrannie Montagnarde ; prendre la direction du mouvement insurrectionnel qui gagnera de proche en proche et réveillera la France de sa torpeur... Mais que de jours, que de délais, que d'obstacles en perspective ! On allait traverser une région fort jacobinisée ; le bruit s'y était répandu que les députés hors la loi voyageaient avec les bataillons fédérés rentrant en Bretagne, et les comités locaux rivalisaient à qui reviendrait l'aubaine de les i arrêter et de les livrer à la Convention. A Fougères donc, Gorsas redoutant pour sa fille les dangers menaçants, se sépara de ses compagnons et se dirigea vers Rennes ; Salle dut abandonner sa femme et ses trois enfants ; il les recommanda à la charité d'un pieux ecclésiastique qui consentit à se charger d'eux et auquel il abandonna, pour subvenir à leurs premiers besoins les cent écus dont se composait tout son avoir. L'intrépide Lodoïska et la personne qui l'accompagnait, — très probablement l'Annette de Barbaroux, — résolurent de ne pas quitter, leurs amis ; elles voyageaient en voiture, munies de passeports ; celui de Lodoïska était au nom de Marguerite de Muelle, — son véritable nom, agrémenté d'une intempestive particule ; — la seconde était désignée sous celui de Suzanne Bugnot, veuve Mosanville. Le 2 août, le bataillon du Finistère, parti de Fougères le matin, parvint dans l'après-midi à Antrain, après une étape de six lieues et demie. Une bande de deux cents coquins s'était massée là dans l'intention de le désarmer et de capturer les Girondins. Prévenus à temps, les Bretons firent bonne garde, doublèrent les postes, promenèrent de fortes patrouilles et la nuit se passa sans malencombre. Mais le lendemain, comme on approchait de Dol, vers dix heures du matin, on apprit que la municipalité de cette ville s'opposait au passage des fédérés ; elle avait armé sa garde nationale, braqué ses canons devant la maison commune et réclamé à Saint-Malo un renfort. Le bataillon du Finistère, prêt au combat, entre dans la ville, baïonnette au canon et va se ranger en bataille devant l'hôtel de ville ; les chefs réclament le maire et le somment de s'expliquer sur les mauvais bruits qui courent. Il avoué que l'esprit de la population est monté, non point contre les volontaires, mais contre les traîtres à la Patrie qu'ils recèlent dans leurs rangs. L'attitude belliqueuse, presque provocante des Finistériens, impose aux Jacobins dolois ; jamais ils ne livreront des hommes confiés à leur loyauté : Si vous en avez tant envie, battez la charge et venez les prendre ! Pour éviter une échauffourée, le commandant Fouchet de la Brémandière décide qu'il ne laissera point ses hommes reposer à Dol jusqu'au lendemain, ainsi qu'il en avait le dessein ; après une halte de quatre heures, on quitte d'un pas martial cette ville inhospitalière. Mais l'éveil est donné sur toute la route ; les administrateurs de Lamballe, jacobins, eux aussi, guettent les hors-la-loi au passage ; ils ont expédié des exprès à Loudéac et à Pontivy afin d'aviser leurs collègues de ces deux villes. Saint-Malo est alerté également. Au sortir de Dol, le bataillon du Finistère et les Girondins ont pris le grand chemin de Dinan, — près de six lieues de pays accidenté et difficile où l'on risque, en maint endroit, de se heurter à quelque embuscade. Nul incident pourtant jusqu'à Dinan, où l'on arriva vers minuit. On y fut très bien reçu : C'était à qui, écrit Louvet, nous offrirait des lits. Ils en avaient grand besoin, après une marche de plus de dix lieues ; nul des fugitifs ne se plaignait, mais il ne restait rien de l'entrain du premier jour : la fatigue, la constatation qu'on avançait en pays hostile, assombrissaient les humeurs. La plupart des Finistériens leur restaient, il est vrai, fidèles ; mais d'autres, plus craintifs, alléguaient que la Convention étant reconnue par tout le pays, on se déclarait factieux en protégeant ceux de ses membres qu'elle avait rejetés comme indignes. Les discussions menaçaient de dégénérer en rixes. Les députés tinrent conseil : il leur parut impossible de continuer dans ces conditions le voyage jusqu'à Quimper où les attendait Kervélégan. Il fallait se séparer du bataillon et gagner le chef-lieu du Finistère à marches forcées, par des chemins de traverse. Ils communiquèrent leur détermination au commandant qui fit effort pour les retenir ; voyant leur résolution prise, il s'appliqua à compléter leur ajustement de volontaires, remit à chacun d'eux un congé bien en règle, choisit, pour les armer, les meilleurs fusils, leur procura de bons sabres, des gibernes bien garnies de cartouches et leur laissa, pour qu'ils le revêtissent par-dessus leurs habits, le sarreau de toile blanc, bordé de rouge que les soldats en route avaient alors coutume de porter. Il leur donna pour guides, six hommes éprouvés, dont un caporal et un sergent et leur offrit' même de l'argent, qu'ils refusèrent. Ainsi équipés, ils allaient figurer un petit groupe de volontaires, libérés de tout engagement et regagnant, par le chemin le plus court, Quimper, lieu de leur domicile. La vraisemblance exigeait que Lodoïska et sa mystérieuse compagne ne suivissent point la petite troupe ; elles continuèrent leur voyage en voiture par la grande route, et Louvet avoue que cette décision coûta, à sa maîtresse comme à lui, bien des larmes. Le 4 août, les Girondins partirent donc seuls de Dinan, dans la direction du sud-ouest ; leur projet était d'éviter le plus possible les chemins de voiture et la traversée des bourgs importants. Leur groupe s'était encore réduit par l'absence de Guadet qui, s'écartant sans cesse du bataillon, n'avait point paru, la veille, à Dinan ; Valady et Mollevaut s'étaient attardés en route ; Duchâtel et Kervélégan devaient être déjà rendus à Quimper ; il ne restait donc que dix députés : Pétion, Barbaroux, Salle, Buzot, Cussy, Lesage, Bergœing, Giroust, Meillan et Louvet ; le jeune Riouffe ne les avait pas quittés, non plus que le domestique de Buzot, Joseph ; Marchena, l'espagnol, compagnon intermittent, s'était égaré et l'on était sans nouvelles de lui ; eu revanche un autre partisan chaleureux des proscrits les avait rejoints ; c'était un jeune homme de vingt-quatre ans, rédacteur du Patriote français ; il s'appelait Girey-Dupré. Au total dix-neuf hommes, en y comprenant les six militaires servant de guides. A la sortie de Dinan, la petite troupe suivit le chemin de Caen à Brest pendant six lieues, au bout desquelles ils atteignaient Jugon, gros village antique, fameux dans l'histoire de la Bretagne ; nul ne s'étonna du passage de cette escouade de soldats commandés par deux bas officiers. A une demi-lieue du bourg, les fugitifs, dirigés par leurs guides qui connaissaient le pays, s'engagèrent dans la traverse, à la ferme de la Guérinais. L'itinéraire était bien choisi ; durant près de sept lieues, ils n'allaient pas rencontrer un village. Ils s'arrêtèrent pour la nuit à une ferme isolée où ils soupèrent dans la cuisine ; maigre repas : un petit lièvre pour dix-neuf marcheurs affamés, du pain noir et de mauvais cidre. On leur ouvrit la grange et ils dormirent sur la paille. Le 5, à la pointe du jour, ils se remettaient en route : après cinq heures de marche dans un pays couvert, ils arrivaient en vue de Moncontour-de-Bretagne, petite ville anciennement fortifiée et posée sur un mamelon. Il eût été prudent de ne point la traverser, dût cette précaution obliger à un détour, mais ils se trouvèrent engagés dans une rue si populeuse que rétrograder aurait paru suspect ; c'était un lundi, jour de marché ; le bourg était encombré de paysans, de bestiaux et de charrettes. Sur la place se tassait une véritable foule parmi laquelle circulaient force gendarmes. Il fallait faire bonne contenance et passer sous ces milliers d'yeux sans attirer l'attention. Ce pas dangereux fut franchi sans à-coup ; mais le pauvre Riouffe, qui avait les pieds en sang, traînait derrière ses camarades. Un gendarme arrêta ce mauvais marcheur et lui réclama ses papiers. Riouffe exhiba son congé que le gendarme, esclave des règlements, — ou rendu peut-être soupçonneux par quelques propos entendus dans la foule, — lui ordonna de faire viser par la municipalité. L'éclopé montra ses camarades qui le distançaient et disparaissaient déjà par la porte d'En-Haut : Où les rattraperai-je ? fit-il. Le gendarme eut pitié et le laissa aller. A peine les proscrits sortaient-ils de la ville, pressés de quitter le grand chemin de Loudéac pour prendre la traverse de Plémy, qu'ils s'entendirent héler par une voix familière : c'était celle de Le Deist de Botidoux, leur dévoué compagnon des premières étapes. Ne les voyant pas arriver à Rennes où il les attendait, il s'était lancé à leur recherche, avait rencontré à Lamballe Lodoïska, et, par elle renseigné, il était venu jusqu'à Moncontour dans l'espoir de les y rejoindre. Il blâma fort leur imprudence : on les avait reconnus à leur traversée de la ville ; lui-même entendit des gens dire : Voilà Buzot, voilà Pétion. Pourquoi ne pas suivre son conseil ? Pourquoi s'enfoncer dans un pays hérissé d'obstacles et plein de périls ? Rennes valait beaucoup mieux. Et Botidoux entremêle ses réprimandes de bruyantes démonstrations d'amitié qui paraissent déplacées, en pareille circonstance, à des hommes tombant de fatigue et de faim. Il est dix heures du matin et ils n'ont rien mangé depuis le petit lièvre de la veille ; ils réclament à grands cris du pain ; Cussy, à bout de forces, supplie qu'on lui procure une bouteille d'eau-de-vie. Botidoux s'empresse, leur indique une ferme où ils iront l'attendre, rejoint ça voiture et retourne à Moncontour pour se munir de provisions. Une heure plus tard il est de retour ; le peu de vivres qu'il rapporte et que les fugitifs se partagent, disparaît en un instant. Botidoux insiste pour les ramener à Rennes ; tous refusent énergiquement ; il les exhorte du moins à ne pas voyager en bande ; qu'ils se concertent ; qu'ils aillent se reposer pendant la chaleur du jour dans un bois où il leur fera passer des rafraîchissements. Il leur enverra là des gens sûrs qui les conduiront chez l'un de ses parents, propriétaire du voisinage et chez qui, du moins, ils trouveront un bon repas et passeront une bonne nuit. L'offre était tentante, encore qu'une si exubérante sollicitude semblât aux proscrits singulière ; mais leur fatigue plaidait en faveur de la proposition qui fut acceptée. Les voilà couchés ventre à terre dans un fourré touffu ; ils ne savent où ils sont ; leurs guides eux-mêmes sont déroutés. Vers quatre heures de l'après-midi, un jeune homme se présente comme le neveu de Botidoux ; il apporte les rafraîchissements promis ; mais il faut, dit-il, patienter encore ; l'heure n'est pas venue de se remettre en route. Sur quoi il s'éloigne, ayant affaire au village prochain ; il sera de retour dans un quart d'heure. Une heure et demie se passe sans qu'il reparaisse. Ces allées et venues sont suspectes ; la pluie d'orage tombe à flots et les fugitifs n'osent pas quitter leur fourré et chercher un abri, crainte que le neveu de Botidoux ne les retrouve plus. Au soir seulement, il arrive. On part ; le ciel est sombre, la nuit opaque. Ignorant où on les conduit, les proscrits trouvent le chemin long. Leurs guides, se fiant au nouveau conducteur, ne peuvent les rassurer ; enfin ils discernent qu'on approche d'un bourg assez fort ; un tambour y bat le rappel. Pris de méfiance, Buzot et ses amis protestent qu'ils n'iront pas plus avant. Ce n'est pas le rappel, c'est la retraite, affirme l'homme du pays. On écoute : c'est bien le rappel ; tous le reconnaissant, sauf l'émissaire de Botidoux : C'est ainsi qu'on bat la retraite chez nous, insinue-t-il. Pourtant on l'oblige à tourner le bourg sans y pénétrer ; on marche encore et l'on rencontre enfin Botidoux lui-même, toujours démonstratif et prodigue d'amicales protestations. Il s'est évertué ; il lui a fallu prévenir celui de ses parents chez lequel ils vont loger ; il les attend ; c'est à deux pas. On parvient en effet à un joli château entouré de prairies ; l'hôte se déclare charmé de recevoir les députés Girondins ; mais il est surpris de leur visite ; Botidoux a négligé, dit-il, de l'en aviser ; qu'ils l'excusent ; le souper sera maigre et le coucher peu moelleux, car la maison est pleine ; il n'a que deux lits à partager entre eux tous ; on s'arrangera. On leur sert une omelette et un reste de pâté ; on étale cinq matelas dans le salon ; ils y dorment tant bien que mal, inquiets d'avoir constaté que, en leur souhaitant bonne nuit, Botidoux les a enfermés à clef. Il ne les délivra que le lendemain, 6 août, à huit heures du matin et, tout aussitôt il prôna les avantages d'un retour vers Rennes ; cette insistance parut si bizarre qu'on n'y répondit que par un froid silence. Alors il conjure les proscrits de ne point pousser plus loin leur dangereux voyage ; à Quimper, s'ils y arrivent, ils ne réussiront pas à prendre la mer ; l'embargo est mis sur tous les navires et la surveillance incessante. Qu'ils restent donc ici ; il leur trouvera plus d'asiles qu'il n'en faut pour les loger tous et l'esprit du pays est excellent. Plusieurs sont près de céder ; Buzot, découragé et las de la marche est de ceux-là ; Lesage et Giroust également ; mais Pétion, dont la méfiance s'accroît, regarde Louvet en secouant la tête d'un air mécontent, et celui-ci qui, loin de Lodoïska est un corps sans âme, combat avec chaleur la nouvelle proposition de Botidoux : Kervélégan les attend à Quimper et ils sont résolus à l'y rejoindre. Le châtelain leur offrit avant le départ un déjeuner splendide, en s'excusant de son accueil de la veille, alléguant qu'il hébergeait de jeunes volontaires revenant de la Vendée ainsi que la sœur d'un administrateur du district de Lamballe ; c'est ce qui l'avait empêché, à son grand regret, de faire fête aux députés dont il importait que l'incognito ne fut point dévoilé. Il ne voulut point ; les quitter, sans leur faire un bout de conduite ; il les accompagna durant deux lieues et leur laissa son fils, pour les guider plus avant : puis il rentra chez lui où restaient deux des fugitifs ; Lesage qu'une entorse retenait sur son matelas et Giroust qui se déclarait incapable de suivre ses camarades. La petite phalange, diminuée de ces deux invalides, parcourut 8 lieues ce jour-là sans fâcheuse aventure. Elle s'arrêta, le soir, à Plouguernevel ; on lui ouvrit une grange où la paille ne manquait pas. Tous dormaient quand, vers minuit, Meillan fut réveillé brusquement par des coups frappés à la porte ; en même temps une voix, du dehors, criait : Au nom de la loi, ouvrez ! Meillan pousse son voisin de litière, Bergœing, qui le conjure de le laisser dormir. Mais les mêmes mots retentissent, comminatoires : Au nom de la loi ! Tous les fugitifs sont debout : Aux armes ! Chacun, dans l'obscurité, s'ajuste à tâtons et cherche son fusil ; et toujours la voix ordonne : Au nom de la loi ! — Nous ne sortirons que quand nous serons prêts ! Ils ouvrent la porte enfin : un gros petit homme, décoré d'un ruban tricolore auquel pend une médaille, se présente ; derrière lui une quarantaine de gardes nationaux, armés de fusils, et une douzaine de gendarmes à cheval. Il a l'air fort embarrassé de son rôle, et, moitié sautillant, moitié autoritaire, il expose que le district de Rostrenen, la ville voisine, alarmé de leur passage, l'a envoyé, en qualité de commissaire, pour vérifier leurs passeports. Que faisiez-vous dans cette grange ? — Nous dormions, répond Barbaroux ; une voix goguenarde, celle de Louvet, ajoute : Nous aurions préféré votre lit !... Montrez-moi vos papiers. — Pas ici, citoyen ; sur la place, si vous voulez bien. Et tous, bousculant le petit homme interdit, sortent en masse, fusil à l'épaule, et se rangent en ligne au commandement de leurs sous-officiers. Ils paraissent résolus à livrer bataille et les gardes nationaux reculent à l'aspect de cette bande de forts gaillards, armés jusqu'aux dents. La plupart, en effet, outre leur fusil, portaient à la ceinture des pistolets ; Louvet, par surcroît, trimballait une espingole, cadeau de Lodoïska, dont le canon, évasé en trompe, pouvait cracher vingt balles à la fois. Le commissaire, fort radouci, examinait les papiers ; tous les congés étaient en règle ; pourtant il observa qu'ils étaient tous d'une même écriture. — C'est que notre officier, pour les signer, s'est servi de la même main. — Si chacun de nous eût fabriqué le sien, ils seraient tous d'une écriture différente. Il n'y avait rien à leur répliquer et, sa vérification terminée, le petit homme au ruban tricolore les invita à se recoucher, ils sentirent le piège et déclarèrent à grands cris que, puisqu'on les avait réveillés, ils en profiteraient pour continuer leur route. Le commissaire, perplexe, consulte ses hommes à voix basse ; le résultat de ce conciliabule est qu'il emmènera les soi-disant fédérés à Rostrenen où le district décidera de leur sort. Informés de cette décision, ils protestent ; leur sergent, avec le plus beau sang-froid, commande : Finistère, chargez vos armes ! — Elles le sont. — La baïonnette au bout ! A l'instant les baïonnettes sont mises. Le commissaire, visiblement alarmé de l'attitude menaçante de ces terribles grenadiers dont dix sur dix-sept mesuraient cinq pieds neuf pouces, demande s'ils refusent de le suivre à Rostrenen. Nous ne refusons point parce que c'est notre chemin ; seulement nous nous mettons sur nos gardes. Marchons. Les Girondins se croyaient perdus ; sans se concerter ils étaient décidés à périr en combattant plutôt que d'attendre l'échafaud inévitable. Tout en roulant ces pensées peu folâtres, ils jouaient leur rôle de soldats, ricanant, échangeant des lazzis de caserne, alternant le chant de la Marseillaise avec celui de couplets grivois. Rostrenen est à une lieue de Plouguernevel ; on y arriva vers deux heures du matin ; le district était assemblé ; nouvelle vérification des congés, mollement examinés par l'un des administrateurs manifestement ennuyé de l'aventure. Un autre, plus vétilleux, fut interpellé par Girey-Dupré : Vous avez donc cru prendre des prêtres ? — Mieux que cela, nous avons cru prendre des traîtres. — Oh ! dans ce cas, vous vous êtes mal adressés ; c'est contre les traîtres que nous avons pris les armes. Ce mot à double sens décida du salut des Finistériens. On leur offrit des logements à Rostrenen ; ils refusèrent ; le plus sûr, pour eux, était de gagner du terrain au plus vite. On ne pouvait cependant.se quitter sans boire un verre de cidre, qu'ils acceptèrent et, tandis qu'on trinquait à la Nation, l'un des administrateurs tira de sa poche un papier : Tenez, messieurs, dit-il ; voyez si nous n'avions pas de raisons de vous soupçonner. Il leur lut la lettre qu'il plia, de manière à dissimuler l'en-tête et la signature ; les fugitifs, fidèles à leur rôle, affectèrent de ne prêter à cette lecture aucun intérêt, mais, tout en buvant et en chantant, ils n'en perdaient pas un mot et apprirent ainsi que les magistrats de Rostrenen avaient été prévenus, dans la soirée, par un particulier bien renseigné, du prochain passage, dans leur localité, de Pétion, Buzot, Barbaroux et autres députés hors la loi, en route pour Quimper sous l'escorte de quelques soldats. Les pseudo-Finistériens achevèrent de boire sans paraître se soucier &o. cette dénonciation et, prenant congé, ils se hâtèrent de quitter la ville, dans l'intention d'atteindre, avant la fin du jour commençant, le but de leur voyage. Ils dépêchèrent en avant deux de leurs guides afin d'aviser Kervélégan de leur arrivée prochaine. Soit que les administrateurs du district de Rostrenen eussent été trompés par l'attitude des Girondins, soit, plutôt, qu'ils eussent hésité devant la responsabilité de les livrer à l'échafaud, ceux-ci n'en étaient pas moins signalés et toutes les municipalités de la route se trouvaient, bien probablement, informées de leur approche. Botidoux les avait trahis ! Quel autre que lui, en effet, aurait pu repérer aussi exactement l'itinéraire qu'ils devaient suivre ? Lorsqu'il écrira, dix-huit mois plus tard, la première version de ses Mémoires, Louvet ne l'accusera pas positivement, mais, en le désignant sous l'initiale B..., il le chargera suffisamment pour laisser entendre que ni lui ni ses compagnons n'hésitèrent à incriminer Botidoux de cette odieuse félonie. Il est vrai que, dans les éditions subséquentes, il atténuera ses imputations premières ; mais le thème était posé et bien des historiens et des plus consciencieux, l'ont développé sans ménagements et sans pitié. ***Il faut interrompre ici pour quelques instants le récit afin de réparer cette longue et cruelle injustice. Le Deist de Botidoux n'a pas trahi les députés Girondins. Quand il les rejoignit, le 5, à la sortie de Moncontour, c'est loyalement, héroïquement, qu'il leur offrit ses services. Louvet ni Meillan qui, seuls, ont laissé un récit de l'épique randonnée, n'avaient gardé le souvenir des localités qu'Us traversèrent ; sans doute n'en connurent-ils jamais les noms. Ils ignoraient où Botidoux les avait retrouves, dans quel bois il leur conseilla de l'attendre, dans quel château et chez qui il les conduisit pour la huit. Il importe d'élucider ce parcours ; le bois était un fourré de la forêt de Lorges ; la petite ville où l'on battait le tambour était Uzel ; le château était celui de Bizoin, appartenant à Glais de Bizoin, ancien député à la Législative et oncle de Botidoux. S'ils s'étaient tous fixés, comme celui-ci les en pressait, dans cette région des Côtes-du-Nord, les Girondins auraient échappé à bien des catastrophes, car Lesage et Giroust qui, on l'a vu, suivirent ses avis, passèrent, dans la retraite qu'il leur ménagea, tout le temps de la Terreur. Quand, le 6 au matin, après la nuit à Bizoin, les fugitifs poursuivirent leur marche, Glais de Bizoin les accompagna, on le rappelle, durant deux lieues. Après les avoir quittés, au delà de Merléac, il rencontra, en revenant chez lui, l'un de ses anciens collègues à la Législative, François-Marie-Allain Launay, procureur de la commune de Carhaix. Celui-ci avait croisé sur la route le peloton des proscrits ; ayant aperçu parmi eux un homme habillé en noir, il pensa que c'était un prêtre réfractaire arrêté par des soldats. Glais de Bizoin auquel il parla de cette rencontre, le détrompa, — bien imprudemment, il faut le reconnaître. Il dit que cet homme noir n'était autre que son propre fils, servant de guide aux Girondins ; et il nomma Pétion, Buzot, Barbaroux, Salle.... Il ajouta qu'ils avaient couché chez lui, qu'ils y avaient bu et mangé, et qu'ils devaient s'arrêter, en fin de journée, soit aux ruines de l'abbaye de Bon-Repos, soit à Goarec, aux environs de Rostrenen. François-Allain Launay était un jacobin redoutable : il ambitionna aussitôt la gloire de livrer les hors-la-loi à la Convention triomphante. Poursuivant sa route vers Carhaix, après la confidence de Glais de Bizoin, il s'informa à Bon-Repos, mais sans succès. Il écrivit alors, par exprès, à son frère Jérôme, administrateur du district de Rostrenen, l'avisant du gros secret qu'il venait de surprendre, et ce fut cette lettre qui, dans la nuit suivante, mit en mouvement la garde nationale et la gendarmerie du Heu. Celui des administrateurs qui en donna lecture aux Girondins était bien certainement Jérôme Launay ; et il en cacha la signature pour ne point compromettre le nom de son frère en une affaire des plus graves et dont on ne pouvait prévoir l'issue. Au matin du 7, Allain Launay arriva à Rostrenen : il apprit de Jérôme les événements de la nuit ; on avait, sur sa dénonciation, arrêté les députés proscrits et on les avait laissé fuir !... Furieux il se lança à leur poursuite, mais trop tard. Alors, il recopia sa lettre en quatre expéditions, y ajouta un post-scriptum haletant, daté du 7, et l'expédia aux divers districts du Finistère. Pour laver complètement Botidoux de l'accusation qui pesait sur sa mémoire, il importait de retrouver cette lettre. Un éminent érudit breton, P. Hémon, aujourd'hui disparu, s'est adonné durant plusieurs années à la recherche de ce document démonstratif ; après avoir vainement dépouillé, feuille à feuille, plusieurs centaines de liasses aux archives départementales du Finistère, il découvrit enfin, il y a quelque quinze ans, trois expéditions de cette pièce probante et décisive pour l'histoire de la proscription des Girondins. Il est établi désormais, de façon irréfutable, que leur passage fut annoncé à Rostrenen par le sans-culotte Allain Launay. Le Deist de Botidoux n'a pas dénoncé ses amis ; il les aurait probablement tous sauvés s'ils eussent suivi ses conseils. |