LA CHOUANNERIE NORMANDE AU TEMPS DE L'EMPIRE

DEUXIÈME PARTIE

 

CHAPITRE IV. — MADAME DE VAUBADON.

 

 

D'Aché, pourtant, n'avait pas renoncé à ses projets : l'arrestation de Le Chevalier, celles de Mme de Combray et de Mme Acquet n'étaient point des faits de nature à décourager un tel homme ; ce n'était là, après tout, que la perte de son enjeu, et il était de taille à recommencer la partie ; il ne paraît pas certain même que, quand Licquet le cherchait par toute la Normandie, d'Aché ait pris la précaution de quitter le château des Montfiquet, à Mandeville, où il séjournait habituellement depuis son voyage auprès des princes, au commencement de 1807. Dix mois après le vol du Quesnay, sa présence avait été signalée dans l'Eure[1] : c'était à l'époque où se terminait l'enquête de Licquet, qui prit aussitôt la poste et accourut à Louviers ; il put se convaincre, en effet, que d'Aché y avait été aperçu trois jours auparavant. D'où venait-il ? Sortait-il de Tournebut où, en dépit des perquisitions, il aurait pu vivre depuis six mois, dans quelque cachette bien fournie de provisions ? Quelque invraisemblable que parût cette supposition, Licquet n'était pas loin de l'admettre, tant l'audacieuse habileté de son insaisissable rival déconcertait sa propre rouerie. La lettre par laquelle il rend compte à Réal de son enquête dans l'Eure est empreinte d'un découragement profond[2] ; il ne dissimule plus que poursuivre d'Aché est une besogne aussi décevante qu'inutile ; peut-être aussi comprenait-il que le cas de Le Chevalier était un précédent à imiter ; d'Aché eût été un accusé très gênant devant un tribunal ; s'en défaire sans esclandre, en supprimant les formalités toujours délicates de l'audience publique, rien ne serait, certes, plus profitable à l'État ; Licquet sentait bien qu'un excès de zèle amenant une arrestation à grand spectacle, comme l'avait été celle (le Georges Cadoudal, serait très mal vu en haut lieu, et il semble que, dès lors, il apporta une certaine nonchalance à la recherche du conspirateur.

Celui-ci, du reste, s'émouvait peu de savoir ses complices aux mains de la police ; perdu dans ses illusions, il ne prenait de sa sécurité aucun souci et il continuait à séjourner à Mandeville, organisant sur le papier des légions imaginaires, combinant les étapes du roi sur la route de Paris et discutant avec les Montfiquet certains points d'étiquette du séjour que le prince devait faire dans leur château au lendemain de son débarquement.

Un jour pourtant, tandis qu'on était à table — c'était au printemps de 1808 — un inconnu se présenta au château de Mandeville et demanda M. Alexandre : c'était là, on s'en souvient peut-être, le nom que prenait d'Aché dans la région de Bayeux. Il voulut lui-même répondre à cet homme ; ayant jugé son attitude louche et ses questions indiscrètes, il le mit à la porte en le traitant d'espion, mais non sans que l'intrus ne proférât, en s'éloignant, quelques menaces.

Le fait éveilla les craintes de M. de Montfiquet qui persuada à son hôte de quitter pour quelque temps Mandeville. Au cours de la nuit suivante, tous deux partirent à pied pour Rubercy où M. Gilbert de Mondejeu, grand ami et confident de d'Ache, poursuivi depuis longtemps par la police, vivait caché dans la maison d'une demoiselle Genneville. Cette vieille fille, ardente royaliste, ouvrit de grand cœur sa maison aux fugitifs : ils s'installaient à peine autour du déjeuner qu'on venait de servir quand une servante donna l'alarme :

— Voilà les soldats ! cria-t-elle[3].

D'Aché et Mondejeu se jetèrent hors de la salle, firent un bond du perron dans la cour, au moment même où la porte charretière, renversée, livrait passage aux gendarmes : les deux gentilshommes étaient pris si la chute d'un cheval, glissant sur le pavé humide, n'eût produit un encombrement d'un instant, à la faveur duquel ils purent refermer sur eux la porte d'une grange, sortir par les derrières et gagner, en sautant les haies de la propriété, un petit bois de l'autre côté du ruisseau de la Tortone.

Mais d'Aché avait été vu et, de ce jour, il fut condamné à reprendre son existence errante, vivant le jour dans les bois, marchant la nuit, sans ressources, car il n'avait plus d'argent, mais sûr de trouver, en cas urgent, un asile dans cette région où les réfractaires abondaient et où toutes les portes s'ouvraient devant eux. C'est ainsi qu'il gagna la forêt de Cerisy dont une partie, jadis, avait appartenu aux Montfiquet[4] et où s'ouvraient ces galeries de mines abandonnées qu'on avait signalées à Licquet comme servant de retraite à Allain. Il est vraisemblable que celui-ci s'y était, en effet, réfugié et qu'il aida d'Aché à s'y cacher pendant quelque temps ; mais sur ce point, si l'on en excepte une délation assez vague de Bureau de Placène[5], aucun document ne fait foi.

Toujours est-il que, obligé d'abandonner définitivement le château de Mandeville, où les gendarmes avaient, ainsi qu'à Rubercy, opéré une perquisition, d'Aché ne manquait pas d'asiles dans la région de Bayeux[6] : une dame Chivré, habitant un château des environs de la ville, était, depuis quinze ans, la providence des chouans les plus compromis et d'Aché savait être chez elle bien accueilli ; il ne fit, croit-on, qu'y séjourner durant quelques jours. Aux faubourgs de Bayeux même, il trouva pendant plus longtemps une calme et confortable retraite dans la maison de Mme Amfrye[7] qui, vivant seule avec sa fille et une servante, passait pour se désintéresser complètement de la politique. Cette dame Amfrye, qui ne sortait guère que pour aller aux offices et qu'on rencontrait de grand matin dans les rues désertes de Bayeux, marchant, les yeux baissés, vers Saint-Patrice, en compagnie de sa domestique qui portait le livre de prières, était une des plus militantes royalistes de la région. Elle tenait le dépôt des fonds que les émigrés d'Angleterre envoyaient au parti et se chargeait, en outre, de leur correspondance ; une fois par semaine un prêtre sonnait à la porte de Mme Amfrye : c'était l'abbé Nicolas, curé de Vierville, petit village de pêcheurs, situé sur la côte, à quelque cent mètres de la pointe de la Persée. L'abbé Nicolas, dont la réputation de charité était proverbiale, ce qui expliquait ses fréquentes visites à Mme Amfrye qui donnait beaucoup, était, en réalité, un loup de mer comparable, pour l'énergie et le courage, à ce David l'Intrépide que nous avons vu servant de pilote à d'Aché ; sa messe dite et son bréviaire récité, il -s'embarquait, par tous les temps, dans un canot qu'il dirigeait seul et gagnait ainsi les îles Saint-Marcouf où s'opéraient, avec les émissaires de la station anglaise, l'échange des lettres et la remise des paquets que le brave prêtre apportait, sous sa soutane, jusqu'à Bayeux[8]. Ainsi, dans cette ville morne, à l'ombre de l'imposante et singulière cathédrale, se jouait secrètement, entre ces gens pieux, ce drame continuel où chacun risquait sa vie pour ta cause royale ; ils savaient n'avoir pas à gagner au retour du roi légitime ; mais ils s'obstinaient à leur tache par haine de cet usurpateur dont ils ne connaissaient rien, et que leurs cœurs simples et leurs esprits prévenus différenciaient mal des Marat ou des Robespierre qui l'avaient précédé.

Dans Bayeux même, d'Aché pouvait se réfugier alternativement chez une demoiselle Dumesnil, vivant obscurément place Saint-Patrice, ou chez Mme Duquesnay de Montfiquet, cousine des Montfiquet, de Mandeville, et qui habitait rue des Bouchers. Il avait été recommandé jadis et présenté à ces deux dames très respectables par Mme de Vaubadon, royaliste exaltée, qui, pendant le plus fort de la Terreur, avait rendu au parti de signalés services. Elle était citée parmi les Normandes dont le zèle s'était montré le plus intelligent et le plus dévoué.

Née de Mesnildot, nièce de Tourville, elle avait épousé, peu avant la Révolution, M. Le Tellier de Vaubadon, fils d'un conseiller au parlement de Rouen, bel homme, aimable, loyal, élégant, de la plus charmante sociabilité. Elle était de taille moyenne, peu jolie, mais très séduisante, avec son teint très blanc, sa chevelure fauve, ses yeux tendres et sa démarche souple[9]. Deux fils étaient nés de cette union si bien assortie. Quand survint la Révolution, M. de Vaubadon émigra.

Après quelques mois de retraite au château de Vaubadon, la jeune femme se lassa de son veuvage qui paraissait devoir s'éterniser : elle revint habiter Bayeux où elle possédait de nombreuses relations ; la Terreur était passée, on commençait à revivre, et la morne capitale du Bessin s'en donnait à cœur joie[10] ; jamais les bals, les concerts, les redoutes, les soupers ne furent aussi nombreux à Bayeux, plus animés, plus brillants qu'à cette époque. Le succès de Mme de Vaubadon fut très vif ; on saisit chez elle, en l'an IX, lors d'une perquisition opérée pour y découvrir certains chefs royalistes qu'on y disait cachés, une liasse de papiers qui est venue échouer dans les cartons de la police. Il s'y trouve ce billet écrit par un adorateur :

Tous les hommes qui ont eu le malheur de vous voir sont atteints d'une blessure mortelle. Je vous prie, en conséquence, de ne pas séjourner plus longtemps dans cette ville, de ne sortir de votre appartement que le soir, à la brune, et voilée. Nous espérons guérir nos malades par des bains froids et des rafraîchissements ; mais daignez n'en pas faire des incurables[11].

 

Pour ne pas frustrer ses enfants de la fortune paternelle que la nation pouvait séquestrer comme biens d'émigré, Mme de Vaubadon avait, ainsi que nombre de royalistes, demandé le divorce. Toutes celles qui avaient eu recours à cette extrémité s'empressèrent, dès que les portes de la France se rouvrirent devant leurs maris, de requérir l'annulation du divorce et reprirent la vie commune. Mme de Vaubadon ne consentit pas à considérer la cassation de son mariage comme une simple formalité : elle entendit rester libre et même elle intenta à son mari un procès pour la liquidation de ses droits. Cet acte, sévèrement apprécié par l'aristocratie de Bayeux, aliéna à la jeune femme bon nombre de ses relations et la plaça quelque peu en marge de la société. Dès lors, on lui attribua des amants et, quoiqu'en pareille matière il soit impossible de distinguer la calomnie de la médisance, il paraît certain que sa conduite devint plus que légère : elle dissimulait à peine sa liaison avec Guérin de Bruslart, le chef de la Chouannerie normande, le successeur de Frotté, véritable type de brigand romanesque, qui parvint à vivre pendant dix ans en Normandie, et même à Paris, sans tomber dans un seul des mille pièges que lui tendit la police de Fouché. Bruslart débarquait au milieu de la nuit chez sa maîtresse, portant à la ceinture un arsenal de pistolets et de poignards, et toujours prêt pour un combat corps à corps et désespéré.

Conjointement avec ce matamore, Mme de Vaubadon recevait intimement un certain d'Ollendon, ancien chouan d'une réputation louche, qu'on disait passé à la police par besoin d'argent. Mme de Vaubadon était elle-même, depuis son divorce, dans une situation des plus précaires : elle avait dissipé en folles dépenses sa fortune déjà fortement délabrée par la Révolution. Réduite aux expédients, voyant se fermer devant elle les portes des maisons où naguère elle donnait le ton, elle quitta Bayeux et vint se fixer à Caen, rue Guilbert, presqu'en face de la rue Coupée[12].

Soit que d'Ollendon l'eût décidée à tirer profit des relations qu'elle pouvait avoir conservées dans le monde de la Chouannerie, soit que Fouché fût, par ses agents, instruit qu'une ci-devant, connaissant bien des choses et bien des gens, se trouvait clans le besoin et ne refuserait pas de rendre quelques services grassement rétribués, Mme de Vaubadon entra en pourparlers avec la police. Ce fut le sénateur Doulcet de Pontécoulant... — l'homme qu'en 1793 Charlotte Corday avait, d'un mot, flétri immortellement — qui se chargea de faire cette recrue au gouvernement impérial.

Pontécoulant, qui passait pour l'un des protecteurs d'Acquet de Férolles, aurait, s'il faut en croire certaines traditions, insinué à Mme de Vaubadon que, depuis longtemps, on connaissait en haut lieu ses intrigues royalistes : un ordre d'arrestation allait être lancé contre elle et contre d'Aché qu'on l'accusait d'avoir pour amant. — Vous comprenez, ajouta-t-il, que l'empereur est aussi clément que puissant, qu'il a l'horreur des supplices et ne désire que concilier, mais qu'il doit, à tout prix, anéantir le renfort que donne à l'Angleterre les agitations du littoral. Rachetez votre passé ; vous connaissez la retraite de d'Aché ; faites-le sortir de France : on saura l'empêcher de rentrer ; mais on veut avoir la certitude de son embarquement et on vous fournira des agents qui puissent en témoigner[13].

Ainsi on aurait amené Mme de Vaubadon à l'idée de révéler la retraite de d'Aché, en lui certifiant qu'il s'agissait seulement de le faire passer en Angleterre ; les faits ne permettent guère d'admettre cette version édulcorée. Après le drame particulièrement odieux que nous allons raconter, tous ceux qui y avaient été mêlés cherchèrent à se créer, tant bien que mal, un alibi moral et à rejeter sur des sous-ordres l'horreur d'un crime qui avait été longuement et savamment préparé. Fouché, lui-même, que peu de souvenirs tracassaient, était hanté par celui-là ; aussi s'attribuait-il dans l'aventure un rôle aussi chevaleresque qu'inattendu : à l'en croire, d'Aché, aux abois, aurait tenté une démarche extrême ; cet homme qui, depuis l'affaire de Georges, dépistait avec tant de bonheur tous les espions de France, se serait, de son plein gré, présenté inopinément chez le ministre de la police pour s'efforcer de le converti : aux doctrines royalistes ! Fouché se serait montré, dans cette circonstance, d'une loyauté égale à la folie de son visiteur : — Je ne veux pas, aurait-il dit, abuser de votre témérité et vous faire arrêter hic et nunc : je vous donne trois jours pour sortir de France ; pendant ce délai je vous ignorerai complètement ; le quatrième jour, je déchaînerai mes agents contre vous, et, si vous êtes pris, vous en subirez toutes les conséquences.

Le fait est honorable, mais il est faux, à n'en pas douter ; outre qu'on se représente mal ce conspirateur venant s'offrir, sans raison aucune, à celui qui le traque depuis si longtemps, il est bien difficile de s'imaginer qu'une telle rencontre eût pu avoir lieu sans qu'il en fût fait mention dans la correspondance : aucune des lettres échangées sur le cas de d'Aché, entre le ministre et les préfets, ne fait allusion à cette visite : elle semble si en dehors du caractère et de l'un et de l'autre qu'il faut la reléguer au rang des légendes dont Fouché tenta de couvrir quelques-unes de ses perfidies. Il. reste certain qu'un piège fut tendu à d'Aché que Mme de Vaubadon en fut l'instrument direct ; que le sénateur Pontécoulant servit d'intermédiaire entre le ministre et la femme ; mais à qui revient l'invention du stratagème que tous ont cherché à passer au compte d'un hasard malheureux ? On l'ignore : le simple exposé des faits montrera que tous trois étaient dignes de l'avoir combiné.

Mme de Vaubadon avait été, la rumeur publique l'assurait, la maîtresse de d'Aché ; mais elle ignorait où, pour l'instant, il était terré. Dans les derniers jours d'août 1809, elle partit de Caen pour Bayeux : elle allait s'informer auprès de son amie, Mlle Duquesnay de Montfiquet, si d'Aché était dans la région et chez qui il séjournait. Mile de Montfiquet, sachant Mme de Vaubadon des intimes amies du proscrit, répondit, sans préciser davantage, que depuis assez longtemps il habitait, en effet, la ville et qu'elle l'allait voir chaque semaine. Les choses en restèrent là et, après quelques visites, Mme de Vaubadon reprit, le soir même, la voiture publique de Caen[14].

On sut depuis que, le lendemain, elle recevait chez elle, rue Guilbert, Pontécoulant avec lequel elle s'entretint longuement : il fut convenu qu'elle livrerait d'Aché ; en revanche Fouché payerait ses dettes et lui assurerait une pension : mais elle mettait à ce marché une condition singulière : elle se. refusait d'agir de connivence avec l'autorité et elle ne s'engageait à tenir sa promesse que si l'on mettait à sa disposition, en la rendant complètement indépendante, un sous-officier de gendarmerie dont elle se réservait le choix et qui obéirait aveuglément à ses ordres, sans avoir aucun rapport à rendre à ses chefs[15]. Peut-être la malheureuse espérait-elle pouvoir rester maîtresse de la vie de d'Aché et le sauver par quelque subterfuge, tout en gagnant la prime promise ; mais elle avait affaire à Pontécoulant, à Réal et à Fouché, trois forts joueurs contre lesquels on trichait difficilement : ils acceptèrent les conditions de Mme de Vaubadon, soucieux seulement de tenir d'Ache et bien résolus à le supprimer sans autre forme de procès, dès qu'ils sauraient où le prendre[16].

Le jeudi 5 septembre, Mme de Vaubadon reparut à Bayeux ; elle vint trouver Mlle Duquesnay de Montfiquet et lui exposa combien était imminent le danger que courait d 'Aché, l'adjurant de la mettre en rapport avec lui pour le sauver. Nous suivons ici la version d'un ami de la famille de Mme de Vaubadon qui, dans ce récit, a cherché à innocenter cette femme, sinon de la trahison, du moins du crime qui en fut la suite[17].

Mlle de Montfiquet avait mande confiance en la loyauté de son amie, mais elle croyait beaucoup moins à sa discrétion et elle se refusa obstinément à conduire chez d'Aché Mme de Vaubadon. Celle-ci craignant qu'on agît sans elle, revint à la charge ; niais elle se heurta à un parti pris de silence qui rendait toute insistance inutile. Désolée d'avoir peut-être éveillé des soupçons qui pouvaient avoir pour résultat la disparition de d'Aché, elle résolut de ne pas quitter la place.

Je ne veux pas, dit-elle à son amie, me montrer dans Bayeux ; je vais coucher chez toi.

Mais je n'ai qu'un lit.

Je vais coucher avec toi...

Pendant la nuit, comme les deux femmes, préoccupées, ne pouvaient prendre le sommeil, Mme de Vaubadon changea de tactique :

Tu n'as aucun moyen de le sauver, insinua-t-elle ; moi, toutes mes mesures sont prises : j'ai à ma disposition un bateau qui, pour 8 à 900 francs, le transporterait en Angleterre ; j'ai un homme pour le conduire à la mer et deux marins pour diriger le bateau. Si tune veux pas m'indiquer sa retraite, donne-lui au moins un rendez-vous où mon guide le prendrait. Si tu refuses, il peut être arrêté demain, jugé, fusillé, et la responsabilité de sa mort retombera sur toi[18].

Mlle de Montfiquet céda : elle promit de décider d'Aché à passer en Angleterre ; on était au vendredi matin, 6 septembre ; il fut entendu que le lendemain, à dix heures du soir, elle le conduirait elle-même jusqu'au village de Saint-Vigor-le-Grand, aux portes de Bayeux ; elle s'avancerait seule à la rencontre du guide envoyé par Mme de Vaubadon ; l'homme dirait Samson, Mlle de Montfiquet répondrait Félix, et, seulement après l'échange de ce mot de reconnaissance, elle appellerait d'Aché, dissimulé à quelque distance.

Mme de Vaubadon repartit aussitôt pour Caen ; elle était rentrée chez elle avant midi ; son salon de la rue Guilbert n'avait guère d'autres habitués que des soupirants dont le plus assidu était., à cette époque, un jeune homme d'excellente famille, M. Alfred de Formigny, fort amoureux et, par suite, fort jaloux de d'Ollendon qui passait alors pour l'amant en titre. Ce soir-là, M. de Formigny se présenta chez Mme de Vaubadon : on lui répondit qu'elle n'était pas chez elle ; mais comme, de la rue, il apercevait de la lumière dans l'appartement du rez-de-chaussée, et qu'il avait cru distinguer la silhouette d'un homme se dessinant sur les rideaux, il se mit aux aguets et put constater que la maîtresse du logis causait de façon très animée avec un visiteur qu'il ne vit que de dos et en qui il crut reconnaître son rival[19]. Voulant en avoir le cœur net et résolu à une explication décisive, il se plaça en sentinelle devant la porte de la maison ; bientôt sortit, enveloppé d'un manteau, un homme qui, se voyant épié, ramena les plis de son vêtement jusque sur ses yeux. M. de. Formigny, certain d'avoir affaire à d'Ollendon, se précipita sur lui et, de force, écarta le manteau protecteur. Mais il resta fort penaud en se trouvant face à face avec le brigadier de gendarmerie Foison[20] qui, non moins contrarié, grommela quelques jurons et s'esquiva hâtivement. Le soir même, M. de Formigny, encore tout ému de l'aventure, en faisait le récit à quelques amis : indiscrétion sans conséquences, semblait-il ; la réputation de Mme de Vaubadon était entamée au point qu'une nouvelle atteinte passait presque inaperçue.

Cependant Mlle de Montfiquet avait tenu sa promesse ; dès que son amie l'eut quittée, elle se rendit chez Mlle Dumesnil, où, depuis six semaines vivait d'Aché et fit part à celui-ci des offres de Mme de Vaubadon. La proposition était si tentante, elle paraissait si bien inspirée par l'affection la plus attentive et la plus zélée, elle provenait d'une amie d'un dévouement si éprouvé qu'il n'hésita pas à l'accepter. On doit croire, cependant, qu'il ne courait pas à Bayeux grand danger et qu'il ne s'y cachait guère puisque, le samedi matin, il communia pieusement à l'église Saint-Patrice ; puis il rentra chez Mlle Dumesnil et mit en ordre certains papiers. Le soir, quand la nuit fut complètement tombée, Mlle de Montfiquet vint le chercher[21] : elle le trouva prêt à partir ; il était vêtu d'une veste de chasse en drap bleu, d'un pantalon de velours côtelé vert olive, d'un gilet de piqué jaune et chaussé de bottes à la russe ; dans les poches de sa veste il mit deux pistolets anglais, tout chargés, et prit en main une canne à épée. Mlle de Montfiquet lui remit un petit livre de Pensées chrétiennes, sur lequel elle avait écrit son nom ; puis, accompagnée de sa servante, elle le conduisit à travers le faubourg, jusqu'à Saint-Vigor-le-Grand. A l'endroit indiqué, devant le portail de l'église, elle trouva le guide envoyé par Mme de Vaubadon : c'était le brigadier Foison, qu'elle reconnut. Les signes de convention échangés, d'Aché se présenta, baisa la main de Mlle de Montfiquet, lui fit ses adieux et se mit en marche au côté du gendarme. La vieille fille, inquiète, le suivit de loin pendant quelques pas ; elle aperçut, stationnant à l'extrémité des murs de l'ancien prieuré de Saint-Vigor, deux hommes vêtus en bourgeois[22] ; ils se réunirent aux voyageurs ; tous quatre s'éloignèrent sur la route de traverse qui, par la ferme de Caugy, conduit à Villiers-le-Sec. Leur but était de gagner, en passant la Seule au pont de Riviers, la plage de Luc-sur-Mer, à sept lieues de Bayeux, où devait avoir lieu l'embarquement.

 

A l'heure où d'Aché et ses compagnons quittaient Bayeux, le bourg de Luc-sur-Mer était en émoi : le lendemain, dimanche, devait avoir lieu le tirage au sort de la garde nationale, et les jeunes gens du village, ne se dissimulant  pas que cette fête était une conscription déguisée, avaient menacé, disait-on d'empêcher la cérémonie, d'envahir la mairie et de brûler les registres de l'état civil et les papiers du recrutement. Ce qui contribuait encore à inquiéter la population, c'est que, depuis deux jours, quatre hommes qu'on savait être des gendarmes déguisés, rôdaient dans les environs et surtout vers la plage ; ils avaient eu l'audace d'arrêter deux canonniers, gardes-côtes en uniformes et en fonctions et de leur demander leurs papiers ; une rixe grave s'en était suivie. La nuit, les mêmes hommes portaient subitement une lanterne sourde sous le nez de tous ceux qu'ils rencontraient.

M. Boullée, maire de Luc, qui habitait, assez loin du bourg, le hameau de Noire-Dame-de-la-Délivrande, au lieu dit le Bout-Varin, alarmé de ces divers éléments de trouble, veilla, avec ses domestiques, une partie de la nuit du samedi 7 au dimanche 8. A une heure du matin, comme il se trouvait réuni avec eux dans une pièce du rez-de-chaussée de sa maison, un coup de feu retentit au dehors et une balle vint frapper le croisillon de bois de la fenêtre. On courut à la porte, et, dans la nuit fort noire, on aperçut un homme qui s'enfuyait : la cartouche brûlait encore dans la cour.

M. Boullée expédia aussitôt un de ses domestiques au poste des canonniers gardes-côtes pour rendre compte du fait et demander deux hommes de renfort. Ceux-ci n'arrivèrent au Bout-Varin que vers quatre heures du matin. Ayant passé toute la nuit en patrouille assez loin de la Délivrande, ils n'avaient pas entendu le coup de fusil tiré, à une heure du matin, sur la maison du maire ; mais, vers trois heures et demie, ils avaient perçu le bruit de plusieurs détonations et d'un grand cri : A Moi ! dans une direction qu'ils indiquèrent et qui était l'embranchement du chemin venant de Bayeux avec la route conduisant à la mer.

Il faisait petit jour, et M. Boullée, très rassuré par la présence des .canonniers, résolut d'aller immédiatement explorer les localités ; à cinq cents mètres de sa maison, comme il suivait avec les soldats et ses domestiques la route de Luc, un paysan, qui traversait les champs, le héla et lui montra, presqu'au bord du chemin, derrière une meule de paille, le cadavre d'un homme. Le visage, meurtri de coups, était presque méconnaissable : l'œil gauche sortait de sa cavité ; les cheveux étaient noirs, très grisonnants aux tempes, la barbe rare et courte. Il était couché sur le dos, deux pistolets, encore chargés, étaient symétriquement placés à deux pieds environ de chaque côté du corps ; la lame et le fourreau d'une canne à épée avaient roulé à quelques pas ; près de là se trouvait aussi la crosse brisée d'un fusil à deux coups. En soulevant le mort pour visiter ses poches, on s'aperçut qu'il avait les mains liées derrière le dos au moyen d'un solide ruban de fil bleu ; on ne trouva sur lui aucun papier qui pût fournir, sur son identité, une lumière quelconque ; mais seulement une montre, 30 francs en argent et un petit livre de piété sur la première page duquel était écrit ce nom : Duquesnaq de Montfiquet.

Bientôt, le jour grandissant permit un commencement d'enquête : on reconnut qu'une traînée de sang s'étendait sur le chemin de Lue depuis l'endroit où gisait le corps de l'inconnu jusqu'à l'embranchement du chemin de Bayeux, distant de deux cents mètres environ ; il était évident que le meurtre avait été commis à la rencontre des deux routes et que les assassins avaient porté le cadavre dans les champs, au revers d'une meule, pour retarder la découverte du crime. Les gendarmes déguisés dont la présence, depuis deux jours, intriguait les habitants, avaient disparu. lin cheval blessé d'une balle, gisait dans le fosse. On put le relever et, quoique perdant beaucoup de sang, il marcha jusqu'au village de Mathieu, sur la route de Caen, où on l'hébergea.

Ces constatations terminées, les domestiques de M. Boullée et les paysans que la curiosité avait attirés escortèrent jusqu'à la Délivrande le corps de l'homme mort qu'un voisin avait chargé sur une brouette[23] : il fut déposé dans une grange voisine de la célèbre chapelle des pèlerinages ; c'est là qu'à cinq heures de l'après-midi eut lieu l'autopsie ; elle fit connaître que la mort était due à une blessure produite par la lame de la canne fourrée : l'arme, rageusement retournée dans le corps, avait déchiqueté les viscères. Trois coups de feu avaient, en outre, frappé la victime ; cinq chevrotines l'avaient atteinte en pleine figure et avaient brisé plusieurs dents ; de deux balles, tirées à bout portant, l'une avait traversé la poitrine au-dessus du sein gauche, l'autre avait cassé la cuisse gauche ; enfin l'un des meurtriers s'était acharné sur le cadavre et en avait écrasé la face à coups de crosse si violents que le fusil s'était brisé sur le crâne.

Ce fut seulement quand les médecins eurent terminé leur travail que le maire, occupé du tirage au sort pendant tout le jour, trouva le temps d'écrire au préfet pour l'aviser de l'événement. Il était fort perplexe, car l'unanimité des habitants du village accusait les gendarmes de ce crime mystérieux ; on se racontait déjà que, le matin même, à l'aube, le maréchal des logis Foison était entré avec quatre de ses hommes[24] dans un cabaret du village de Mathieu ; l'un d'eux portait un fusil dont la crosse était brisée[25] ; là, tout en déjeunant, ces messieurs, sans voir un enfant de six ans blotti dans une alcôve fermée, tirèrent d'une boite de fer blanc des liards jaunes qu'ils partagèrent entre eux, et l'hypothèse à laquelle on s'arrêtait était celle-ci : les gendarmes avaient détroussé un voyageur dont ils savaient la bourse bien garnie et, sûrs de l'impunité, puisqu'ils pouvaient toujours arguer d'un cas de rébellion, s'étaient débarrassés de lui en le massacrant.

Tel fut le sens de la lettre que le maire de Luc adressa, le 8 au soir, à Caffarelli. Le lendemain Foison se présentait à la Délivrande pour rédiger le procès-verbal. A quelques questions que lui posa Boullée sur les circonstances du meurtre, il répondit sur un ton tellement arrogant, tellement menaçant que son insolence rendait toute enquête impossible. Foison, payant d'audace, avoua qu'il avait assisté à la scène du crime. Il raconta qu'étant, avec quatre de ses hommes, en surveillance sur la route de Luc, ils avaient vu venir à eux, dans la nuit, deux individus auxquels ils demandèrent leurs papiers ; l'un des inconnus avait aussitôt pris la fuite ; l'autre fit une décharge de ses armes : les gendarmes le saisirent et, malgré sa défense désespérée, parvinrent à le terrasser ; il était resté mort sur la place ayant été percé de plusieurs coups pendant la lutte[26].

— Mais ses pistolets sont encore chargés, remarqua quelqu'un.

Foison ne répondit pas.

— Mais il avait les mains liées, objecta le maire. Foison tenta de nier.

— Voici les ligatures[27], répliqua Boullée, en tirant de sa poche le ruban détaché des mains du cadavre.

Et comme le capitaine de gendarmerie Mancel, qui se trouvait présider à l'entretien, remarquait que c'étaient bien là des ligatures de gendarmes. Foison sortit de la salle en proférant de nouvelles menaces et jurant qu'il ne devait de comptes à personne.

L'indignation était grande dans toute la région où la nouvelle du crime s'était répandue avec une surprenante rapidité. En écrivant à Réal, Caffarelli se faisait l'écho de l'émotion publique :

Comment se fait-il que quatre gendarmes n'aient pu saisir un homme qui a lutté longtemps avec eux ? — Comment se fait-il qu'il ait été, en quelque sorte, mutilé ? — Comment, après avoir tué cet homme, l'ont-ils laissé sur le lieu du combat et s'en sont-ils allés, sans s'inquiéter de remplir aucune des formalités voulues en pareil cas 7 — Faites ces questions, Monsieur le comte, le public en fait et n'y peut trouver de solution ; que répondre surtout si, comme on le dit, l'individu a été saisi, attaché fortement les mains derrière le dos, et ensuite fusillé ? — Quelles terribles conséquences tirer de ces faits, s'ils sont vrais ? Comment les gendarmes pourront-ils s'occuper de leurs fonctions, sans crainte d'être traités comme des assassins ou des bêtes féroces ?[28]

 

Il convient de dire que, dès le crime commis, Foison avait pris la route de Caen et remis à Pontécoulant les papiers trouvés sur d'Aché, notes assez précises concernant la situation militaire et politique de la côte normande, ainsi que la possibilité d'un débarquement. Pontécoulant était aussitôt monté en poste et, dès le II au matin, il instruisait verbalement Fouché de la façon dont Mme de Vaubadon et le gendarme Foison s'étaient acquittés de leur mission. Restait à savoir comment le public jugerait la chose, et la lettre de Caffarelli ne présageait sur ce point rien d'agréable ; que serait-ce lorsqu'il deviendrait évident que les gendarmes assassins avaient opéré avec l'autorisation et sous le contrôle du gouvernement ? Heureusement pour les hauts policiers du ministère, une confusion s'était produite qui retardait l'explosion de la vérité. Dans l'espoir de découvrir l'identité du mort, le maire de Luc avait exposé le cadavre avant de le faire inhumer, et bien des gens s'étaient présentés pour l'examiner, entre autres plusieurs personnes venues de Caen : quatre de ces curieux avaient été unanimes à reconnaître le corps pour celui d'un marchand horloger de Paris, nommé Morin-Cochu, bien connu dans les foires de Basse-Normandie[29]. Fouché laissa l'opinion s'égarer sur cette fausse piste ; c'est merveille de voir ses lieutenants, Desmarets, Veyrat, Réal lui-même, chercher Morin-Cocha dans tout Paris et s'informer de ses déplacements comme s'ils n'avaient pas su à quoi s'en tenir sur la personnalité de leur victime. Et lorsqu'on eut trouvé Morin-Cocha bien vivant dans son magasin de la rue Saint-Denis qu'il n'avait pas quitté depuis quatre ans, on se mit à chercher avec autant de zèle un nommé Festau, son courtier, qui pouvait bien être l'homme assassiné[30].

Caffarelli pourtant ne se laissait pas prendre à ce piège grossier[31] : il savait maintenant les choses et il s'en montrait indigné. C'est très courageusement qu'il écrivait à Réal :

Vous me demandez, sans doute, Monsieur le comte, pourquoi je n'ai pas cherché à éclaircir la vérité ? Ma réponse est très simple : il court dans le public que l'expédition des gendarmes a été commandée directement par M. le sénateur comte de P... à qui on a remis les papiers trouvés sur l'individu tué et qui est parti pour Paris, sans doute pour les remettre à Son Excellence le sénateur ministre de la police générale. N'ai-je pas dû respecter le secret de l'autorité ?[32]

 

Et tout ce qui, depuis deux ans, se passait dans son département sans qu'on jugeât convenable de l'en avertir, toutes les irrégularités sur lesquelles, dans son désir de la tranquillité, il avait cru devoir fermer les yeux, tous les empiètements, tous les affronts qu'il avait patiemment supportés lui revenant en mémoire, il éprouvait un haut-le-cœur des besognes louches, des comparses méprisables, des guets-apens odieux et s'en expliquait noblement :

Certes, je ne suis nullement jaloux de faire exécuter des mesures sévères et je voudrais n'en recevoir jamais de telle espèce (sic). Mais je dois à mon caractère, comme à la dignité des fonctions que je remplis, de ne pas me borner à être préfet de nom seulement et, si des motifs quelconques peuvent détruire la confiance en moi à ce point sur des objets importante, il dut tout simplement me le dire et je saurai me retirer sans murmurer. Ce n'est pas avec un homme dont la droiture et le zèle ne peuvent être méconnus qu'il est permis d'en agir comme on fait depuis quelque temps. Je ne peux vous le dissimuler, Monsieur le comte, je suis vivement blessé des divers partis qu'on a pris à mon égard. On a cru devoir ajouter plus de foi à des gens tarés, méprisés, la terreur des familles, qu'à un homme qui n'a jamais cherché qu'à faire le bien du pays qu'il administre et qui n'a jamais connu d'autre ambition que celle de bien faire[33].

 

Et cette lettre, bien étonnante sous la plume d'un préfet impérial, était comme la revanche de tous ces pauvres gens auxquels, depuis tant d'années, la police tendait des pièges si odieux : elle allait souffleter sur la joue de Fouché tous les Licquet et tous les Foison qui trouvaient, dans l'exercice de la justice, matière à de répugnantes comédies ; il eût été surprenant que dans celle de la Délivrande Licquet n'eût pas son mot à dire. L'avait-il soufflée à Réal ? la chose est possible, quoique nous n'ayons de son ingérence aucun indice ; on retrouve bien sa manière dans le scénario du guet-apens auquel succomba d'Aché : même amorçage, même guide sauveur, même projet d'embarquement que pour Mme Acquet, et ce qui donnerait à penser qu'il ne fut pas étranger à l'affaire, c'est qu'il apparaît à la fin, venant de Rouen avec son secrétaire Dupont et le mari de cette femme Levasseur qui passait pour avoir été la maîtresse de d'Aché[34].

C'était le 23 septembre, au matin : le rendez-vous eut lieu à sept heures, chez le maire de Luc ; il y avait là les médecins qui avaient procédé à l'autopsie, le lieutenant de gendarmerie Mancel[35], le brigadier Foison, très ému, encore qu'il cherchât à le dissimuler, par l'obligation d'assister à l'exhumation[36] de sa victime. On partit pour le cimetière et le fossoyeur fil son office. Au bout d'un quart d'heure de travail, la pelle racla la planche qui recouvrait le corps de d'Aché et bientôt après le cadavre apparut, la barbe avait poussée drue et forte. Foison- regardait... C'était bien l'homme avec lequel il avait voyagé pendant toute une nuit, causant amicalement, alors que chaque pas le rapprochait des assassins auxquels il le conduisait. Licquet, très maître de soi, s'agitait, pérorait, parlait du temps où il avait connu tout à fait particulièrement celui qui était lit, étendu sur le remblai de terre molle, la face tuméfiée, sévère pourtant, avec sa barbe épaisse, son nez aminci en bec d'aigle, ses lèvres serrées. Tout à coup il vint au policier le souvenir d'un signe particulier qu'il avait jadis constaté : il donna l'ordre de déchausser le cadavre et tous purent voir, ainsi qu'il l'avait annoncé, que d'Ache avait les ongles des pieds tellement recourbés dans la chair qu'il marchait dessus. Foison, blême et gouailleur, assistait à la scène : il voulut braver ce cadavre, plus terrifiant pour lui que pour tout autre, et, se penchant, du bout de sa canne, il entrouvrit les lèvres mortes... Un jet de miasmes fétides vint frapper au visage l'assassin qui, se rejetant, tomba en arrière en poussant un cri d'épouvante. Cet incident tragique mit lin aux constatations. Le corps fut rendu à la terre : ceux qui avaient assisté à l'exhumation reprirent, en causant, le chemin de la Délivrande, Foison marchant seul derrière les autres ; nul ne lui adressa la parole et comme on revenait chez le maire où tous, gendarmes et fonctionnaires, étaient conviés à dîner, il resta sur le seuil qu'il n'osa franchir comprenant que, de sa vie, il n'entrerait plus chez un honnête homme.

Le soir même, à Caen, où l'on n'ignorait rien des péripéties du drame[37], encore que Fouché se figurât toujours dépister le public sur l'horloger Morin-Cochu, on se contait les détails de l'exhumation ; la vengeance du cadavre foudroyant Foison d'un souffle faisait le fond de toutes les conversations. Une certaine animation régnait dans la ville, où Fon se montrait fier de l'attitude du préfet. Au théâtre, à l'heure où le rideau allait se lever, les élégants de l'orchestre, tout en causant, le dos à la rampe, du fait qui préoccupait toute la société, aperçurent, dans une loge, une femme blonde, très pâle, portant sur les épaules une écharpe de mérinos rouge. Le premier qui la vit n'en put croire ses yeux... c'était Mme de Vaubadon. Ce nom circula aussitôt, d'abord à voix basse, ensuite comme une rumeur, puis il éclata en tempête. Toute la salle, debout, frémissante, les poings levés, hurlait :

— A bas l'égorgeuse ! ... C'est la femme au châle rouge... Il est teint du sang de d'Aché[38] : à mort !

La malheureuse essaya d'abord de payer d'audace, s'efforçant de rester impassible ; on prétend que Pontécoulant était, ce soir-là, au théâtre et, peut-être, espérait-elle que celui-là, du moins, allait se déclarer son champion. Mais quand elle comprit que, dans cette foule où elle reconnaissait peut-être des hommes qui l'avaient aimée, nul ne prendrait sa défense, elle se leva soudain et sortit de la loge, tandis que les plus exaltés se bousculaient vers les couloirs pour la huer au passage. Elle s'esquiva enflai et rentra rue Guilbert ; le lendemain elle quittait Caen pour n'y jamais reparaître.

 

Moins coupable certainement, et plainte maintenant par tous ceux auxquels la mort de d'Aché avait remis en mémoire l'affaire du Quesnay, Mme Acquet vivait alors à la Conciergerie de Rouen ses dernières journées. Après la demande de sursis pour cause de grossesse, après une visite de deux médecins qui avaient déclaré ne pouvoir se prononcer, Ducolombier mit tout en œuvre pour obtenir de l'empereur la grâce de la condamnée[39].

Dès l'arrêt rendu, Timoléon accourut à Paris, en quête des moyens d'approcher Sa Majesté ; Mme de Saint-Léonard, sa parente, femme du maire de Falaise, venait l'y rejoindre et faisait agir ses relations dans le monde officiel. Mais l'empereur vivait à cette époque dans une agitation perpétuelle ; on apprenait qu'il était à Bayonne ou à Berlin lorsqu'on le savait, de la veille à peine, rentré aux Tuileries ; Laeken, Mayence, Cassel lui étaient des séjours aussi familiers que Saint-Cloud ou Fontainebleau, et son esprit était bien plus insaisissable encore : parvînt-on à obtenir une audience (le quelques secondes, quel espoir de fixer son attention sur un objet aussi insignifiant que la vie d'une femme ? Chauveau-Lagarde conseilla l'intervention des enfants de Mme Acquet : ces trois fillettes, toujours nonchalantes et souffreteuses, n'étaient point sorties, depuis vingt mois, de la pension de Mme Du Saussay : l'aînée avait, à cette époque, un pet ; plus de douze ans, la plus jeune n'en avait pas huit. Ou leur acheta en hâte des vêtements de deuil[40] et on les expédia, le 24 janvier, pour Paris, sous la conduite d'une dame de compagnie, nommée Mlle Bodinot. Chaque jour c'était, à travers les rues de la ville, une course à la poursuite de la voiture de l'empereur qui visitait les manufactures. Timoléon de Combray, Mme de Saint-Léonard ou Mlle de Séran conduisaient à tour de rôle les enfants ; on alla à la Malmaison, à Versailles, à Meudon ; enfin, le 2 mars, un jour que lés fillettes étaient allées à Sèvres, l'une d'elles réussit à se faufiler jusqu'à la portière de la voiture impériale et à remettre la pétition aux mains de quelque officier d'ordonnance[41] : sans doute ne parvint-elle pas jusqu'à l'empereur, car cette démarche qui avait coûté tant de peine et tant d'argent resta sans effet.

On retrouve dans les papiers de Mme de Combray plus de dix brouillons de suppliques adressées aux frères de l'empereur, à l'impératrice Joséphine, à des princes étrangers même... Mais chacun d'eux avait tant de choses à demander pour soi Tous craignaient si fort d'importuner le maître ! Celui-ci, d'ailleurs, avait disparu de Paris à l'improviste ; il était maintenant en Allemagne, bousculant l'armée de l'archiduc Charles et faisant sa trouée sur Vienne ; la pauvre Mme Acquet devait tenir bien peu de place dans sa vaste pensée, en dépit des illusions de ceux qui s'intéressaient à la condamnée ; avait-il jamais seulement entendu prononcer son nom ?

En avril, les petites Acquet étaient rentrées à Rouen chez Mme Du Saussay ; Je ne suis pas étonnée, écrivait cette darne à Timoléon, que les enfants ne vous aient pas satisfait ; jusqu'alors il n'y avait que la crainte qui les retînt, et, pendant leur voyage à Paris, les circonstances ne leur valaient que des caresses et des bontés dont elles se sont trop prévalues... Nous ferons tout, ajoutait-elle, s'il arrivait un dernier malheur à Mme Acquet, pour que les enfants l'ignorent ; ce qui serait à souhaiter aussi pour madame votre mère[42].

Ainsi on semblait, dans l'entourage de la condamnée, avoir perdu tout' espoir d'obtenir sa grâce : il est certain, cependant, qu'il eût été bien facile de l'oublier en prison. Qui donc pouvait trouver intérêt à la mort de cette malheureuse ? Ni Fouché, ni Réal, ni le préfet, ni Licquet lui-même qui, dès le verdict rendu, paraissait avoir perdu toute animosité contre ses victimes. Le procureur impérial Chapais-Marivaux s'obstinait seul à exiger la complète exécution de l'arrêt ; deux fois déjà il avait provoqué, au sujet de Mme Acquet, une consultation médicale : les spécialistes n'avaient pas pu ou n'avaient pas voulu se prononcer et ce nouveau sursis 'rendit quelque espoir à Mme de Combray. Du fond de son cachot de Bicêtre elle n'avait cessé de présider aux démarches tentées en faveur de sa fille ; elle n'abdiquait rien, en effet, de ses prétentions et quoique interdite, prisonnière, déchue de ses droits, elle entendait conserver la haute main sur tous les siens.

Comme on venait d'apprendre que l'empereur était entré à Vienne en vainqueur, la marquise s'avisa que le moment serait bien choisi pour implorer de nouveau la pitié du conquérant. Le 1er juin elle manda son fils Timoléon, installé depuis peu à Tournebut[43] ; elle avait décidé d'envoyer en Autriche les deux aînées de ses petites-filles, sous la conduite de leur tante, Mme d'Houël, et du fidèle Ducolombier qui s'offrait à entreprendre ce long voyage. Tandis qu'on vaquait aux préparatifs du départ, Chauveau-Lagarde consentit à rédiger une supplique que les enfants devaient remettre Napoléon ; elles quittèrent Rouen vers le 10 juillet[44] et parvinrent à Vienne dans la quinzaine qui suivit la bataille de Wagram. Ducolombier chercha aussitôt le moyen de rencontrer l'empereur : pressé par la marquise qui n'admettait pas qu'on discutât les idées qu'elles croyaient bonnes, il s'était mis en route sans recommandation, sans lettre d'introduction, sans promesse d'audience, et ne devait attendre que du hasard la possibilité de joindre un instant Napoléon. Il alla s'établir, avec Mme d'Houël et les enfants, à Schœnbrunn où se trouvait le quartier général impérial, et il obtint, à force de sollicitations, de pénétrer, avec les suppliantes, dans la cour du château.

L'empereur était absent : il avait voulu revoir le champ de bataille où il venait de remporter une si éclatante victoire et dont il faisait lever le plan par le colonel Lejeune. Pendant toute la journée, Ducolombier et ses compagnes attendirent debout sur le perron du château le retour du souverain ; pendant toute la journée on vit, en haut des marches, ces silhouettes immobiles couvertes de crêpe[45]. Vers le soir, la grille s'ouvrit, la garde prit les armes, les tambours roulèrent aux champs et, dans l'immense cour, précédé de ses guides et de son mameluk, apparut, à cheval, l'empereur, derrière lequel ondulaient les aigrettes et les panaches d'un nombreux état-major. Quand elles virent s'avancer ce maître du monde auquel elles allaient demander la vie de leur mère, le cœur des pauvres petites Acquet dut battre bien fort ; en un instant l'empereur fut sur elles ; Ducolombier les poussa ; elles se jetèrent à genoux...

Napoléon, apercevant ces femmes en deuil, crut se trouver en présence de la veuve et des orphelines de quelque officier tué au cours de la campagne. Il releva les enfants avec bonté.

— Sire ! Rendez-nous notre mère ! répétaient-elles en sanglotant[46].

L'empereur s'étonné, prend des mains de Mme d'Houël la pétition qu'il lit entièrement. Il y eut quelques secondes d'un silence plein d'angoisse : il releva les yeux, regarda les fillettes, posa à Ducolombier quelques brèves questions, puis, tout à coup, poursuivant son chemin :

— Je ne peux pas, dit-il sèchement.

Et il disparut dans le vestibule parmi des groupes humblement courbés. Quelqu'un qui fut témoin de la scène raconte qu'au moment où l'empereur lut la supplique, il parut très ému : Son visage changea deux fois de couleur, des larmes roulaient dans ses yeux et sa voix était altérée. Le duc de Rovigo assurait que la grâce allait être accordée ; le cœur de l'empereur l'avait déjà prononcée : mais il était fort en colère contre le ministre de la police qui, après avoir fait grand éclat de cette affaire et s'en être donné le mérite, le faisait l'arbitre suprême sans l'avoir aucunement renseigné. — Si c'est un cas graciable, disait Napoléon, pourquoi ne pas l'avoir écrit, et, s'il ne l'est pas, pourquoi avoir donné des passeports à une famille que je suis obligé de renvoyer désolée ?[47]

Il fallut, en effet, reprendre bien tristement le chemin de France ; les deux fillettes étaient déjà d'âge à comprendre qu'elles portaient, pour ainsi dire, à leur mère son arrêt de mort ; chaque relai qui les rapprochait d'elle était un pas vers l'échafaud : rien, désormais, ne pouvait plus sauver la pauvre femme ; elle attendait, résignée ; jamais, depuis la mort de Le Chevalier, elle n'avait perdu cet air d'impassibilité, cette nonchalance qui avait si fort étonné lors' des audiences de la cour spéciale. Soit que la solitude du cachot eût transformé sa nature ardente et éteint ses aspirations ; soit plutôt qu'elle escomptât la . mort comme le seul dénouement possible à son aventureuse existence, elle restait indifférente à son propre sort et semblait ne plus songer à l'avenir : c'était une de ces petites âmes de femmes romanesques qui trouvent en elles assez d'émotion pour le plaisir et pas assez pour la souffrance, et sa passivité était si grande qu'elle ressemblait à de l'hébétement. Licquet l'avait depuis longtemps abandonnée ; il avait été son dernier ami ; de tous les condamnés survivants de l'affaire du Quesnay, elle restait seule à la Conciergerie ; les autres subissaient leur peine à Bicêtre ou avaient été répartis entre les diverses forteresses de l'empire.

Tant qu'on avait pu supposer que le crédit des siens serait assez grand pour attirer sur elle l'attention de l'empereur, on s'était montré pour Mme Acquet plein d'égards et d'attentions : depuis que ses filles étaient rentrées de Vienne, rapportant un refus brutal, les choses avaient grandement changé : elle était devenue la femme Acquet, et l'intérêt qu'on lui témoignait jusque-là fit tout à coup place à la plus brutale indifférence. Le 23 août — et cette date concorde bien probablement avec le retour des fillettes et de leur tante — le procureur impérial Chapais-Marivaux, dans sa hâte d'en finir, commit trois officiers de santé pour procéder à la visite de la femme Acquet ; mais ces braves gens qui n'ignoraient pas, sans nul doute, les conséquences de leur diagnostic, déclarèrent que les symptômes les niellaient dans l'impossibilité de se prononcer sur l'état de la condamnée[48].

Chapais-Marivaux mit un mois à trouver des docteurs assez intègres pour ne point se laisser attendrir dans l'accomplissement de leur devoir professionnel et, le 6 octobre, le préfet écrivait à Réal[49] : M. le procureur général impérial vient de faire visiter la femme Acquet par quatre chirurgiens dont trois ne l'avaient pas encore vue ; ils ont donné leur certificat qu'elle n'était pas enceinte et enfin elle va être exécutée aujourd'hui... De la façon dont elle se prépara à mourir, de l'émoi que la nouvelle de l'exécution imminente dut occasionner dans la prison, nous ne connaissons rien ; on sait seulement qu'au moment de se livrer au bourreau pour les derniers apprêts, Mme Acquet écrivit deux ou trois lettres pour supplier que ses enfants na tombent jamais entre les mains de son mari[50] ; puis on procéda à la toilette de la condamnée ; ses beaux cheveux noirs que, deux ans auparavant, en arrivant à la Conciergerie, elle avait coupés de ses mains, tombèrent de nouveau sous le ciseau de l'exécuteur ; elle se revêtit d'une sorte de peignoir en flanelle blanche sur lequel on lui lia les mains ; elle était prête ; les portes s'ouvrirent ; un peloton de gendarmes entourait la charrette[51] : il était quatre heures et demie de l'après-midi.

Par la rue du Gros-Horloge, le cortège se dirigea vers le Vieux-Marché. Quelqu'un[52] qui le vit passer rapportait que la robe blanche de Mme Acquet, assise dans la charrette à côté du bourreau Forey, les restes de ses cheveux noirs battant son visage faisaient ressortir la pâleur de sa peau ; son attitude n'était ni abattue, ni hardie ; on criait, auprès de la charrette, l'arrêt de la condamnation.

Elle mourut tranquille, ainsi qu'elle vivait depuis des mois ; à cinq heures de l'après-midi, elle apparut ; très blanche et très calme sur la plate-forme ; sans résistance, elle se laissa lier ; sans épouvante, sans cri, elle se coucha sur la bascule, qui, pivotant, l'amena sous le couteau. La tête tomba sans qu'aucun incident eût retardé l'exécution, ce dont se félicitaient les autorités dans le rapport qui, le soir même, fut adressé à Réal : La chose, était-il dit, n'a causé d'autre sensation que celle produite ordinairement par de semblables événements ; la foule considérable n'a pas occasionné le plus léger trouble[53].

Et les curieux restés là considérant l'échafaud dressé s'écartèrent devant les gendarmes qui escortaient les hommes portant dans le panier de Ferey le corps de la morte ; quelques-uns le suivirent jusqu'au cimetière Saint-Maur, ou l'on enterrait habituellement les suppliciés. Le panier fut vidé dans une fosse creusée non loin d'un jeune arbre auquel un inconnu, sans doute pour reconnaître la place où ne devait être élevée ni croix ni pierre tombale, attacha un ruban noir que les pluies et le vent firent bientôt disparaître, sans que rien subsistât pour indiquer le coin de terre où sont encore aujourd'hui, dans l'enclos désert du cimetière abandonné, les restes de la pauvre femme à laquelle, en d'autres temps, son rang eût valu la traditionnelle épitaphe : très haute, très noble et très puissante dame...

 

 

 



[1] Le magistrat de sûreté de Louviers signale la présence de d'Aché dans cette ville, 17 mars 1808. Archives nationales, F7 8171.

[2] Archives nationales, F7 8171.

[3] Le Sénécal, Le meurtre du baron d'Aché, vérités historiques opposées aux fictions des romans (Bayeux, 1869).

[4] Le château qui porte ce nom est bâti à la lisière même de la forêt, à 3.000 mètres environ du bourg de Balleroy.

[5] Archives nationales, F7 8170.

[6] Comme, du reste, dans toute la Normandie. Licquet avait constaté que, dans le département de l'Eure, tous les châtelains des environs de Louviers tenaient à. honneur d'héberger, chacun è son tour, le royaliste proscrit. Archives nationales, F7 8171.

[7] Dans une lettre de Caffarelli à Réal (28 septembre 1809), il est parlé des liaisons de d'Aché avec l'Angleterre, d'où il tirait des marchandises et où il envoyait des dentelles ; son dépôt de marchandises était chez Mme Amfrie, à Bayeux... Depuis un an au moins, il n'a pu avoir aucune communication avec les ennemis de la France... Son magasin s'est épuisé ; j'ignore ce qui l'a fait sortir de son Bite ; mais il est également certain que, très peu de temps avant son départ de Bayeux, il était chez une demoiselle Dumesnil, logée place Saint-Patrice, n'ayant qu'une servante et vivant très obscurément. Archives du Calvados ; police. Affaire d'Aché.

[8] Renseignements communiqués par Guilbert concernant la retraite de d'Aché. Archives nationales, F7 8172.

[9] Renseignements particuliers.

[10] Pezet, Bayeux à la fin du XVIIIe siècle, cité par M. de la Sicotière.

[11] Ce madrigal est signé Louis, président de l'administration municipale de Falaise. Pièces saisies chez Mme de Vaubadon. Archives nationales, F7 6236. Cité par la Sicotière.

[12] Renseignements particuliers.

[13] Le meurtre du baron d'Aché, vérités historiques opposées aux fictions des romans. Bayeux 1869.

[14] Mme de Vaubadon fit deux voyages à Bayeux pour déterminer le départ, non seulement de d'Aché, mais encore de sept autres...

La dame a dû écrire à Paris à quelqu'un qui s'y trouvait, afin de l'engager à se lier à elle et à venir ici. Archives du Calvados. — Lettre de Caffarelli à Réal.

[15] Renseignements particuliers. Nous citons ici textuellement un récit très circonstancié.

[16] M. Daigremont Saint-Monvieux, maire de Caen, se trouvant un jour à Paris, demanda quelques explications sur cette affaire au comte Réal qui lui répondit : Je vais mettre à diner près de vous le directeur qui a conduit toute l'affaire et le charger de vous la raconter. Il tint parole et ce personnage dit à M. Saint-Monvieux : Depuis longtemps Mme de Vaubadon est à notre solde : nous l'avons chargée de faire arrêter d'Aché : nous lui avons laisse carte Manche, sans rien préciser, l'assassinat moins que toute autre chose. Je vous montrerai toute la correspondance si vous le désirez. M. de Saint-Monvieux n'accepta pas. Renseignements particuliers.

[17] M. Le Sénécal avait connu M. de Vaubadon jusqu'à sa mort survenue en 1838. il était depuis longtemps avec lui en relations presque quotidiennes. Or le mari abandonné avait conservé pour la femme coupable une sorte d'indulgence attendrie et le récit de Le Sénécal n'est que l'écho du vieux gentilhomme qui cherchait à s'illusionner soi-même sur celle qu'il avait aimée. Aussi cette brochure doit-elle être consultée avec la plus grande précaution elle est, d'ailleurs, extrêmement rare.

[18] Le meurtre du baron d'Aché, par Le Sénécal.

[19] Le Sénécal ne raconte pas cet épisode dont il a dû pourtant avoir connaissance. Il se contente de dire qu'il reste constant que le soir du vendredi 6, Mme de Vaubadon reçut en audience particulière, très mystérieuse, le sieur Foison, maréchal des logis de la gendarmerie à Caen.

[20] Charles-Julien-Pierre Foison était né à Avranches, le 25 mars 1771. Il s'était engagé au 7e régiment de dragons, comme enfant de troupe, le 15 mai 1784. Brigadier en 1791, maréchal des logis de 1793 au 5 nivôse an V, il était alors entré dans la gendarmerie et il était sous-lieutenant quartier-maître depuis le 9 brumaire an X. Foison avait fait les campagnes de 92, de 93 et de l'an II, à l'armée du Nord, puis il était passé à l'armée de Sambre-et-Meuse : il avait à son actif une action d'éclat : à Lachenbourg, près d'Altenkirchen, étant d'arrière-garde, il chargeait à la tête de vingt-cinq hommes au moment où Marceau fut atteint du coup de feu qui le renversa. Foison fut assez heureux pour faire plusieurs prisonniers et empêcher que le jeune général tombait au pouvoir de l'ennemi : ce fut lui qui fit porter par six grenadiers l'illustre blessé à Altenkirchen.

En 1808, Foison était ainsi noté par ses chefs : du zèle, le désir de bien faire, de la conduite ; est estimé, d'un physique avantageux et d'une très belle tenue.

Il s'était marié, le 10 pluviôse an VII, à Marie-Anne Cabourg, née à Caen, le 4 avril 1773. Son frère, François-Damien Foison, servait également dans la gendarmerie à Caen, comme simple soldat, en 1809. — Archives du Ministère de la Guerre.

[21] D'après une lettre de Réal, que nous citerons plus loin, Mme Amfrie et sa fille auraient également accompagné d'Aché jusqu'au rendez-vous.

[22] Ces deux hommes étaient deux gendarmes de la brigade de Caen, arrivés depuis deux jours à Bayeux pour seconder Foison. M. Benet, l'érudit archiviste du Calvados, a retrouvé une lettre du sous-préfet de Bayeux au maire de la ville demandant de faire donner le logement à deux gendarmes qui viennent faire à Bayeux un service extraordinaire. Le sous-préfet donne au concierge des bâtiments militaires, les ordres de placer les gendarmes dans une des casernes ; il invite le maire à leur fournir des lits et des ustensiles de ménage. Archives du Calvados. Registre d'ordre et de correspondance de la sous-préfecture de Bayeux, n° 14738.

[23] Ce voisin se nommait Lecoq : voici les souvenirs qu'il traçait de la journée du 8 septembre 1809, trente-cinq ans plus tard, alors qu'il était percepteur des contributions directes à Gagny. (Communication de M. Benet, archiviste du Calvados.)

Cagny, le 19 février 1844.

Vers le milieu de la nuit du 7 au 8 septembre 1809, je rencontrai, sur la place de la Délivrande, une brigade de gendarmes commandée par un nommé Foison, de Caen, et qui se dirigeait sur Lue. Environ une heure après, un coup de fusil à balle fut tiré dans une des fenêtres des chambres à M. Boullée, alors maire de Luc.

... Vers trois heures du matin, une forte décharge fut entendue par le sieur Hauvel, de la Délivrande, qui fabriquait de la chandelle pendant la nuit, et par les hommes que M. Boullée avait envoyés à Luc (chercher des canonniers garde-côtes pour venir à son secours), et qui revenaient à la Délivrande par le chemin. des Vaux. Comme le jour commençait à percer, ils aperçurent en passant un cadavre étendu à côté d'une vieille carrière, à environ 6 mètres du chemin. En entrant à la Délivrande, ils virent de la lumière chez M. Hauvel, ils y entrèrent et lui dirent ce qu'ils avaient vu ; tout à coup, un bruit se fit entendre, et comme j'étais voisin dudit sieur Hauvel, j'entendis. je me levai et je courus à l'endroit où le corps avait été vu, il était environ cinq heures. J'étais accompagné de cinq ou six personnes, parmi lesquelles un sieur Brot, tourneur, et il arriva successivement beaucoup de monde, notamment M. le maire dé Lue, et je crois le greffier du juge de paix ; on sut bientôt que le meurtre avait été commis par les gendarmes, et il fut reconnu que l'arrestation avait eu lieu dans les Vaux, et que, dès là, la victime avait été blessée, car la trace de son sang empreinte sur le chemin ne laissa aucun doute sur ce point.

M. Dascher (sic) était d'une taille d'environ 5 pieds, une figure pleine, teint basané, et presque sans barbe, ses vêtements consistaient en une veste dite de chasse, un gilet de piqué fond jaune, des bottes dites à la reine. Je n'ai aucune connaissance de sa coiffure. On a trouvé dans ses poches un livre d'église intitulé Pensées chrétiennes et une somme d'argent qui n'excédait pas 30 francs.

... L'œil gauche sorti de la tête et le nez écrasé d'un coup de crosse de fusil.

... Après que le meurtre fut constaté, M. le maire de Luc demanda qui voudrait se charger de porter le corps dans une maison la plus voisine. Je n'hésitai pas à remplir ce devoir, et je fus chercher ma brouette à civière sur laquelle le sieur l3rot m'aida à le placer, ; et je le portai à l'aide dudit sieur Brot, qui le tenait par un bras, de peur qu'il ne renversât, dans la grange de Mme veuve de la Salle où il fut déposé sur la paille.

Sur les quatre heures du soir, M. Blancaguel, chirurgien, en fit l'ouverture, j'étais présent à cette opération, un des gendarmes y était aussi, mais je ne me rappelle pas de son nom.

Le lendemain, 9, la femme du sieur François Gehanne fit une quête, dont le produit fut employé à acheter du linge pour ensevelir le défunt, et il fut inhumé dans le cimetière de Luc.

[24] Il ne serait pas impossible peut-être, en s'aidant de certains indices assez probants, de retrouver les noms des gendarmes qui aidèrent Foison dans sa criminelle besogne. Nous avons dit que Foison avait, dans la brigade même, un frère, qui, sans doute, n'ignora rien de ce qui se passait : la tradition accuse, en outre, un nommé Poulain et un certain Legras, qui était, en 1809, maréchal des logis, et dont nous avons trouvé les notes aux Archives du Ministère de la Guerre : elles sont ainsi libellées : menteur, vaniteux, homme à. coteries, actif, intelligent, verbalisant bien, tenue médiocre, robuste. Pour celui-ci, du moins, il n'y a aucun doute, puisqu'on possède le certificat attestant que Legras a reçu un brevet d'une dot de 500 francs de l'entes annuelles accordé, par S. M. l'empereur et roi, en récompense du zèle et du courage qu'il a présenté au sujet de l'arrestation du nommé François-Robert d'Aché, brigand redouté... etc. Archives du Calvados, Archives du Ministère de la Guerre. — Ce Legras avait, à la brigade même, un fils, simple gendarme. Or les deux Legras, les deux Foison et Poulain, voilà bien, sans doute, les cinq hommes qui furent aperçus le matin dans l'auberge de Mathieu.

[25] Archives nationales, F7 6397.

[26] Archives nationales, F7 6397.

[27] Le Sénécal, Le meurtre du baron d'Aché.

[28] Archives du Calvados.

[29] Lettre de Caffarelli à Réal, 15 septembre 1809, citée par le Sénécal.

[30] Archives nationales, F7 6397.

[31] Caffarelli cherchait consciencieusement la vérité ; voici le texte d'une lettre qu'il adressait à Réal, le 23 septembre 1809 :

Voici, monsieur le comte, les renseignements que je me suis procurés, que le temps qui me restait pour vous écrire hier ne m'avait pas permis de vous transmettre.

D'Aché était depuis longtemps caché à Bayeux, chez une dame Amfrie, dont la maison, située du côté de la campagne, a été pendant toute la Révolution, la retraite des ennemis du Gouvernement des Chouans, des amis des Anglais, etc. Il était fort gêné, et n'avait que 300 francs qu'il gardait pour l'occasion. Il y a peu de temps, Mme de Vaubadon est allée le trouver, lui a dit qu'elle avait le moyen de le faire évader, que pour cela elle s'était procuré un petit bâtiment qui avait coûté S à 900 francs, et avait gagné dix hommes sûrs qui le passeraient en Angleterre. D'Aché ayant accepté la proposition, il fut convenu qu'à jour et à heure fixes, il quitterait sa retraite et se présenterait près de l'église Saint-Exupère qui est isolée à l'entrée de Bayeux, du côté de Caen, qu'il trouverait là un homme déguisé sous le nom de Samson (c'était un gendarme) que sous sa conduite il se rendrait à Luc où il s'embarquerait. D'Aché emprunta environ 300 francs à Mme Amfrie dont la fille, connue aussi sous le nom de Ménildot, l'accompagna avec la servante. Arrivé au rendez-vous, le prétendu Samson est trouvé, et voyant que les adieux se prolongeaient, il a dit : allons le temps presse, il faut se hâter. Là, d'Aché a été (illisible).

Vous savez, monsieur le comte, ce qui (illisible) sa mort ; mais je ne peux me défendre de l'idée que Mme de Vaubadon a dû être satisfaite d'apprendre qu'il avait été tué : il est clair qu'elle y avait un grand intérêt... Elle vit depuis assez longtemps avec M. Dollendon qui remplace Bruslard et ses nombreux successeurs. Tout en se félicitant de voir l'Etat délivré de d'Aché, vrai scélérat, qui pourrait se défendre d'un sentiment d'horreur pour la femme qui l'a livré et pour ceux qui l'y ont déterminée ?

— Le rapport dit que c'est un gendarme désigné sous le nom de Samson qui a conduit d'Aché. Je n'ai pu savoir sur quoi cette mention était fondée... Archives du Calvados : minute d'une lettre de Caffarelli à Réal.

[32] Archives du Calvados.

[33] Archives du Calvados.

[34] Paris, le 24 septembre 1809. — J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 17. — Depuis que je vous ai adressé ma dernière, j'ai obtenu de nouveaux renseignements qui ne me permettent plus de douter que l'individu, objet de nos recherches, ne soit Daché. Je sais même que le linge qu'il portait sur le corps et que celui qu'il portait dans un petit paquet, sont marqués de l'initiale D.

Son Excellence a désiré qu'a tous les éléments qui sont actuellement sous ses yeux, on en ajoutât un qui otât toute inquiétude aux plus incrédules.

Dans la correspondance que j'ai entretenue avec les autorités constituées de Rouen, soit dans l'affaire Georges, Moreau et Pichegru, où Daché a joué un rôle principal, soit dans l'affaire du vol de la diligence d'Alençon, où ce même Daché reparaît comme chef de bandes, j'avais eu l'occasion de savoir que Daché était parfaitement connu à Rouen, et que M. Liquet avait eu occasion de. le voir et de conférer souvent avec lui pendant un séjour de quatre ans ; que plusieurs habitants de Rouen pouvaient se trouver dans le même cas. Son Excellence a chargé, en conséquence, M. Liquet de se transporter, accompagné de témoins, ayant comme lui, particulièrement connu Daché dans votre département. Il a ordre de se concerter avec vous pour faire d'une manière sûre, prompte et décente, la vérification nécessaire.

Vous croirez, avec Son Excellence, qu'il est de nécessité absolue que les gendarmes présents à l'arrestation soient de nouveau présents au procès-verbal d'exhumation, que M. Maurel qui a dressé le second, que l'officier de santé qui y a figuré, reparaissent dans le procès-verbal que le délégué devra dresser.

Si, comme je n'en doute pas, le brigand tué est d'Aché ; vous pourrez-vous féliciter d'être débarrassé d'un des ennemis les plus dangereux de S. M.

Je vous prie de faire ce qui dépendra de vous pour que l'opération de M. Liquet soit faite de très grand matin, pour éviter autant que possible le scandale qui accompagne toujours ces désagréables opérations. Croyez, Monsieur, à la parfaite considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être votre très obéissant serviteur.

RÉAL.

Lettre à Caffarelli. Archives du Calvados.

[35] Mancel, Jacques-Jean, né à Caen le 5 juillet 1754. Engagé aux dragons de Belzunce, le 24 octobre 1770. — Archives du ministère de la Guerre.

[36] Le procès-verbal de cette exhumation fut envoyé directement par Licquet à Réal. Archives nationales, F7 8172.

[37] ... La dame Dumesnil est à Caen depuis le départ de d'Aché, Elle et sa servante, les dames Amfrie et leur servante n'ont pas gardé le silence sur ce qui s'est passé à la Délivrande ; elles accusent Mme de Vaubadon. Lettre de Caffarelli à Réal.

[38] Le Sénécal, Le meurtre du baron d'Aché, loc. cit.

[39] Du Colombier, avant le verdict du 30 décembre, était allé a Paris — le 24 décembre — afin de solliciter un sursis en faveur de Mme Acquet dont, parait-il, sa condamnation était prévue. On retrouve la trace de ses démarches dans les comptes de Mme de Combray : 24 décembre 1808. Voyage de Du Colombier de Rouen à Paris pour obtenir un sursis à l'exécution du jugement de Mme Acquet, 698 francs. — Le 30 décembre, à Du Colombier, 600 francs. — Pour dépenses faites par Du Colombier pendant les dix-huit à vingt jours qui ont suivi l'arrêt, 240 francs, etc. Archives de la famille de Saint-Victor.

[40] 23 janvier 1809. Payé à Mme Jovent, marchande et couturière en robes pour l'habillement des trois enfants depuis la tête jusqu'aux pieds pour se présenter devant S. M. l'Empereur, 330 francs. Archives de la famille de Saint-Victor.

[41] 2 mars 1809. Voiture pour Sèvres où les demoiselles Acquet présentent leur pétition à l'Empereur, 21 francs. Archives de la famille de Saint-Victor.

[42] Lettre du 4 mai 1809. Archives de la famille de Saint-Victor.

[43] Archives de la famille de Saint-Victor.

[44] On a d'elles une lettre adressée à Mme de Combray et datée de Rouen, 8 juillet.

[45] Cadet de Gassicourt, Voyage en Autriche, en Moravie et en Bavière, p. 269.

[46] Cadet de Gassicourt, Voyage en Autriche.

[47] Mémoires du duc de Rovigo. — Rovigo était mal renseigné ; d'ailleurs, quelques jours avant l'arrivée des petites Acquet, l'empereur avait reçu de Fouché un rapport où se lisaient ces lignes :

Le bruit se répand à Rouen que la peine de la nommée Amie/ de Férolles, condamnée à mort par jugement de la Cour spéciale rendu en décembre dernier est sur le point d'être commuée. Personne ne dissimule combien cette indulgence serait vue de mauvais œil et pourrait avoir des conséquences fâcheuses. On ne verrait pas sans étonnement (je ne parle ici que d'après les esprits les plus sages), que lorsque des malheureux, plus égarés peut-être que coupables, ont subi la peine due à leur crime, l'instigatrice de ce crime, celle qu'un cri général accuse de les avoir séduits, et d'être la cause de leur mort, échappât seule au supplice. On sait qu'en ce moment encore, on fait auprès de Sa Majesté toutes les démarches imaginables pour obtenir cette commutation de peine : on sait qu'on a obtenu un nouveau sursis à l'exécution de cette femme, en lui fournissant les moyens de donner de nouvelles preuves de possibilité de grossesse. Mais je n'hésite pas à attester à Votre Excellence, que la clémence de l'empereur dans cette circonstance produirait un mauvais effet. Il n'y a pas une seule personne (aux bourboniens près qui ne doivent rien négliger pour sauver une complice) qui porte intérêt à une femme notoirement connue pour une prostituée capable de tous les crimes. Jamais exemple n'a été plus nécessaire. Archives nationales, Bulletin du 20 juillet 1809. AF IV, 1506.

[48] Archives nationales, F7 8170.

[49] Archives nationales, F7 8170.

[50] Archives de la famille de Saint-Victor.

[51] Précis des travaux de l'Académie de Rouen, t. 79.

[52] M. Hellis, avocat à Rouen.

[53] Rapport du préfet de la Seine-Inférieure à Réal. Archives nationales, F7 8170.