Le notaire Lefebvre[1] n'en perdait rien de sa bonne humeur : de haute taille, les épaules larges, le teint fleuri, il aimait à dîner fort et à pérorer dans les cafés, en alternant les parties de billard avec les tournées de calvados. C'était là, jusqu'alors, sa part dans la conspiration, et il n'en espérait pas moins, à la rentrée des Bourbons, obtenir quelque grasse sinécure en récompense de son dévouement. Dans les premiers jours d'avril 1807, Lefebvre et Le Chevalier dînaient ensemble à Argentan, à l'hôtel du Point-de-France. Ils avaient retrouvé là les amis Beaurepaire et Desmontis, ainsi que le cousin Dusaussay ; on alla au café et on y resta plusieurs heures. Survint Allain, dit le général Antonio[2], que Le Chevalier avait, on l'a vu, désigné pour être son principal lieutenant ; il le présenta aux autres. Allain dépassait la quarantaine ; il avait le nez long, les yeux clairs, la face colorée, était marqué de petite vérole et portait une forte barbe noire ; l'air, d'ailleurs, d'un bourgeois des plus calmes et des plus rangés. Le Chevalier prit sur la table une carte à jouer, en déchira la moitié, y traça quelques caractères et la remit à Allain, disant : — Ceci vous servira pour entrer. Ils causèrent ensuite à mi-voix dans l'embrasure d'une fenêtre et le notaire surprit encore cette phrase : — Une fois dans l'Église, vous sortirez parla porte de gauche et vous trouverez une ruelle ; c'est là[3]. Quand Allain se fut éloigné, Le Chevalier exposa à ses amis l'affaire qu'il était en train d'étudier : l'approche de chaque trimestre, un mouvement de fonds s'opérait entre les différents chefs-lieux de la région. Les receveurs d'Alençon, de Saint-Lô, d'Evreux expédiaient de l'argent à Caen ; mais ces envois avaient lieu à des dates irrégulières et étaient, la plupart du temps, escortés par des gendarmes. Comme la voiture portant la recette d'Alençon relayait ordinairement à l'hôtel du Point-de-France, à Argentan, il suffisait d'être prévenu de l'heure de son arrivée dans cette ville pour en déduire tout l'horaire du reste de son voyage. Or Le Chevalier s'était assuré le concours d'un palefrenier, nommé Gauthier, dit Boismâle, qui se chargeait, moyennant payement, d'avertir Dusaussay dès que le chargement serait signalé. Dusaussay habitait Argentan ; en montant aussitôt à cheval, il pouvait facilement arriver, plusieurs heures avant la voiture, à l'endroit de la route où les gens seraient postés. C'était ce Boismâle qu'Allain était allé trouver. Quand il rentra dans le café, il rendit compte de sa mission : le palefrenier était décidé, en effet, à servir Le Chevalier ; mais l'affaire n'aurait pas lieu, selon toutes probabilités, avant six semaines ou deux mois ; c'était plus de temps qu'il n'en fallait pour réunir la petite troupe nécessaire à l'expédition. Les rôles furent distribués : Allain se fit fort de recruter des hommes ; le notaire se procurerait des fusils pour les armer ; il mettait, en outre, à la disposition d'Allain une maison située au faubourg Saint-Laurent de Falaise, et qu'il était chargé de vendre ; on pourrait établir là un dépôt d'armes et de provisions, car la difficulté était de loger et de nourrir les enrôlés pendant un temps qui pouvait être assez long. Le Chevalier répondait de l'assistance de Mme Acquet de Férolles, qu'il déciderait aisément à héberger les hommes au moins pendant quelques jours : il offrait, en outre, comme lieu de rassemblement, sa maison de la rue Saint-Sauveur, à Caen. Les grandes lignes du projet ainsi arrêtées, on se sépara et, dès le lendemain, Allain se mit en campagne, portant sur lui, comme à son ordinaire, un matériel complet d'arpentage, et muni d'une sorte de diplôme d'ingénieur particulier, qui lui servait de référence et justifiait ses perpétuels déplacements. C'était, au reste, le chouan type, le gars déterminé et prêt à tous les coups de main, aussi habile à commander une bande qu'à dépister les gendarmes : intrépide et rusé, il connaissait tous les réfractaires du pays et savait s'en faire obéir. C'est une chose presque incroyable que ce recrutement d'une troupe de réfractaires armés, logés, défrayés de tout pendant deux mois, parcourant les routes, s'embusquant dans les bois, menant aux environs de Caen et de Falaise une existence de Mohicans sans qu'aucun gendarme s'en étonne et sans qu'eux-mêmes, satisfaits d'être nourris et de boire à leur soif, songent à s'informer de ce qu'on attend d'eux. Et l'on est à la plus brillante année du régime impérial, à l'apogée de cette administration si vantée qui, en réalité, n'était que façade : la Chouannerie avait semé, dans les populations de l'Ouest, de tels ferments de désorganisation que les autorités de tous rangs se sentaient impuissantes à lutter contre cette épidémie sans cesse renaissante. Le comte Caffarelli, préfet du Calvados, dans son grand désir de conserver sa place, apportait à la surveillance des réfractaires une indolence voisine de la complicité et ne cessait d'adresser à Fouché les rapports les plus optimistes sur l'excellent esprit de ses administrés et sur leur inviolable attachement aux constitutions impériales. On était au milieu d'avril 1807 ; Allain passapar Caen où il s'adjoignit Flierlé, et tous deux, se cachant le jour, marchant de nuit, gagnèrent les confins de la Bretagne. Allain savait où trouver des hommes : à vingt-cinq lieues environ de Caen, dans le département de la Manche, est situé, à l'écart des grandes routes, le village de la Mancellière dont tous les gars étaient réfractaires. Le général Antonio qui, dans tous les centres d'insoumis, était très populaire, s'y fit indiquer la maison d'une femme Harel dont le mari, incorporé en l'an VIII, à la 63e demi-brigade, avait déserté au bout de six mois, affolé du besoin de revoir sa femme et ses enfants[4]. Son histoire était commune à bien d'autres : la conscription répugnait à ces paysans de l'ancienne France qui ne pouvaient se résigner à perdre de vue leur clocher : ils ne manquaient pas de courage et ne demandaient qu'a se battre ; mais, pour eux, l'ennemi immédiat, c'étaient les gendarmes, les Bleus, qu'on voyait dans les villages faisant rafle des hommes valides, et ils n'éprouvaient aucune animosité contre les Prussiens et les Autrichiens qui, eux, ne cherchaient noise qu'à Bonaparte. Comme il apportait une offre de travail largement rétribué, Allain fut bien reçu chez la femme Haret, réduite avec ses enfants à l'extrême misère. Il s'agissait, disait-il, d'une opération d'arpentage autorisée par le gouvernement. Harel, lui-même, sorti le soir de sa cachette, accepta avec joie la proposition de son ancien chef et, comme celui-ci avait besoin de solides porteurs de perches, Haret fit profiter de la bonne fortune deux de ses amis qu'il présenta au général sous le nom de Grand-Charles[5] et de Cœur-de-Roi[6]. Allain compléta sa troupe par l'enrôlement de trois autres recrues : Le Héricey, dit la Sagesse[7] ; Lebrée, dit Fleur d'Épine[8] ; et Le Lorault, dit la Jeunesse[9]. On but ensemble un coup de cidre et on partit le soir même, Allain et Flierlé guidant la marche. En six étapes ils gagnèrent Caen et Allain conduisit aussitôt ses hommes à la maison de Le Chevalier, rue Saint-Sauveur. Ils devaient y rester près de trois semaines. On les mit au grenier, sur du foin[10] ; Chalange, le domestique de Le Chevalier, qui leur portait à manger, les trouvait dormant ou jouant aux cartes[11]. Afin de ne pas éveiller les soupçons des fournisseurs habituels de la maison, un nommé Lerouge, dit Bornet, ancien boulanger, se chargeait de cuire le pain et d'en approvisionner la maison de la rue Saint-Sauveur[12]. Un jour, il apporta, dans sa charrette à pain, quatre fusils procurés par le notaire Lefebvre[13] ; Haret, qui avait été soldat, les nettoya, les démonta et les dissimula dans une botte de paille. Ainsi empaquetées, on chargea les armes sur un cheval que Lerouge fil sortir, la nuit, par la porte de la cave, ouvrant sur la rue Quincampoix derrière la maison[14]. Les hommes suivirent ; sous la conduite d'Allain, ils traversèrent toute la ville ; arrivés à l'extrémité du faubourg de Vaucelles, à la croisée du chemin de Cormelles, ils firent halte et se distribuèrent les armes ; Lerouge regagna la ville avec le cheval et la petite troupe s'éloigna sur la grande route. A cinq lieues environ de Caen, après avoir passé le relais de Langannerie où était alors casernée une brigade de gendarmerie, le chemin de Falaise traverse un fourré assez épais, mais de peu d'étendue, appelé le bois du Quesnay. C'est là que les hommes s'arrêtèrent ; ils se tapirent dans le taillis et y passèrent toute une journée. La nuit suivante, Allain les conduisit, en trois heures de marche, à une vaste maison abandonnée dont les portes étaient ouvertes et où il les installa dans un grenier, sur le foin : c'était le château de Donnay. Le Chevalier ne s'était pas trompé ; Mme Acquet avait accepté, avec une sorte d'enthousiasme, de servir ses projets ; la pensée qu'elle se rendait utile à son héros, qu'elle s'associait à ses dangers, l'aveuglait sur toute autre considération. Elle eût offert à Allain et à ses compagnons l'hospitalité de la Bijude, sans la crainte de compromettre son amant qui y faisait d'assez longs séjours, et elle s'était arrêtée à l'audacieuse idée de les loger chez son mari qui, confiné dans une dépendance du château de Donnay, laissait à l'abandon le corps principal de l'habitation où l'on pouvait pénétrer par les derrières sans être vu. Peut-être espérait-elle rejeter sur Acquet la complicité du crime au cas où la retraite eût été découverte. Quant à Le Chevalier, apprenant que d'Aché venait de quitter Mandeville et de passer en Angleterre après avoir annoncé comme très prochain son retour avec le prince, avec des munitions, avec de l'argent, etc.[15], il partit pour Paris, ayant à concerter certaines dispositions, disait-il, avec le Comité secret. Avant de quitter la Bijude, il recommanda bien à sa maîtresse, si le coup se faisait en son absence, de remettre immédiatement l'argent enlevé à Dusaussay, qui se chargerait de le lui apporter à Paris où le Comité l'attendait ; elle lui donna une boucle de ses admirables cheveux noirs pour qu'il en composât un médaillon et lui fit promettre qu'il n'oublierait pas de lui rapporter de bonne eau de Cologne. Puis ils s'embrassèrent ; il partit : on était au 17 mai 1807 ; c'était la dernière fois qu'elle le voyait. Elle ne restait pas oisive, d'ailleurs, préparant elle-même la nourriture des sept hommes logés sous les combles du château ; des bottes de foin et de paille leur servaient de lits : il leur était recommandé de ne point sortir, même pour satisfaire aux besoins les plus impérieux, et ils restèrent là pendant dix jours. Chaque soir, Mme Acquet se glissait dans cette tanière empuantie : elle paraissait, tenant son ombrelle de ses mains gantées, vêtue d'une robe de mousseline claire, le front couvert d'un grand chapeau de paille[16] ; elle était ordinairement accompagnée de sa servante, Rosalie Dupont, grande et forte fille, et de Joseph Buquet, cordonnier à Donnay, portant de larges plats de terre, ressemblant à des gamelles, contenant du veau cuit au four, avec des pommes de terre. C'était l'heure de la bombance et des gauloiseries ; la jolie châtelaine ne dédaignait pas de présider au repas allant et venant parmi ces hommes vautrés, s'informant si ces braves gens ne manquaient de rien et se trouvaient satisfaits du régime. Elle était, de tous, la plus impatiente : soit qu'elle prit au sérieux les illusions politiques de ceux qui l'entraînaient dans cette aventure, et qu'elle eût hâte de s'exposer pour la bonne cause, soit que son funeste amour pour Le Chevalier l'eût complètement dévoyée, elle faisait sa chose de l'attentat qui se préparait et qui lui semblait devoir mettre fin à ses malheurs. C'était déjà de sa part un acte de témérité folle que d'héberger et d'entretenir les recrues d'Allain dans une maison occupée par son mari et d'oser y pénétrer elle-même pour les y visiter ; elle se compromettait ainsi, comme à plaisir, sous les yeux de son ennemi le plus acharné, et, sans doute, Acquet, tenu au courant, par ses gens dressés à l'espionnage, se gardait-il d'intervenir, de crainte d'interrompre une aventure où sa femme devait se perdre irrémédiablement. Mme Acquet agissait, d'ailleurs, comme si elle eût été assurée de la complicité de tout le pays ; elle combina les moindres détails de l'expédition avec une étonnante fertilité d'esprit ; elle cousit, de ses mains, de grands bissacs de grosse toile qui devaient servir à porter les provisions de la petite troupe et à contenir l'argent retiré des caisses ; elle courut à Falaise pour inviter Lefebvre à recevoir Allain et Flierlé, en attendant l'heure de l'action. Lefebvre, qui déjà avait fixé son prix et s'était fait promettre douze mille francs à prendre suries fonds attendus, ne voulait, cependant, s'engager qu'à demi ; il consentit néanmoins à loger Allain et Flierlé dans l'immeuble vacant du faubourg Saint-Laurent. Rassurée sur ce point, Mme Acquet revint à Donnay ; dans la nuit du jeudi 2S mai, les hommes sortirent du château, sans emporter leurs armes, et furent conduits à une grange où on les laissa seuls toute la journée, en présence d'un tonnelet de cidre qu'ils mirent à sec[17] ; Mme Acquet, pendant ce temps, leur préparait une nouvelle retraite ; à peu de distance de l'église de Donnay se trouvait une maison isolée appartenant aux frères Buquet, très dévoués à la famille de Combray ; l'un deux, Joseph, le cordonnier, passait dans le village, pour être, depuis le départ de Le Chevalier, l'amant de Mme Acquet, et s'il est possible, grâce à l'absence de tout témoignage décisif, de sauver la mémoire de la pauvre femme de cette nouvelle accusation, il n'en faut pas moins reconnaître qu'elle exerçait sur cet homme une influence inexplicable ; elle l'avait, pour ainsi dire, asservi et il lui était aveuglément soumis par les droits même qu'elle lui avait accordés[18], affirme un rapport adressé à l'empereur. Quoi qu'il en soit, elle n'eut qu'un mot à dire pour que Joseph Buquet lui livrât sa maison et, le vendredi, les six hommes en prirent possession[19]. La mère Buquet se chargea de les nourrir pendant quatre jours ; ils la quittèrent enfin le mardi 2 juin, à la nuit tombante : Joseph leur indiqua la route qu'ils devaient suivre et leur fit même un bout de conduite. Les pauvres gens trimèrent leurs guêtres jusqu'au matin, s'égarant dans les terres, n'osant ni demander leur chemin, ni suivre les routes battues. A l'aube, ils rencontraient, à une lieue de Falaise, Allain qui les attendait à la lisière d'un bois, près. du hameau de la Jalousie : il les conduisit, en traversant Aubigny, jusqu'à une auberge isolée à l'extrémité du village. Le notaire Lefebvre avait pris lui-même la peine de venir l'avant-veille en personne présenter Allain à l'aubergiste et demander à celui-ci s'il voudrait recevoir pour quelques jours six braves garçons de déserteurs que la gendarmerie tourmentait, ce à quoi l'homme avait répliqué qu'il les logerait avec plaisir. En arrivant à l'auberge, Allain et ses hommes, harassés de fatigue, demandèrent à déjeuner et montèrent tout de suite à la chambre qui leur avait été préparée[20]. Il était quatre heures et demie du matin[21]. Ils se couchèrent sur la paille et, de tout le jour, ne bougèrent qu'à l'heure des repas. La nuit et toute la journée du lendemain se passèrent également à dormir, à manger et à boire. Le jeudi 4 juin, au soir, ils engouffrèrent dans leurs bissacs du pain, du lard et des cruchons de cidre et partirent, par le derrière de la maison, un peu avant neuf heures. Le vendredi, Allain reparut seul à l'auberge d'Aubigny ; il commanda à la servante de porter des vivres sur la route de Caen jusqu'à l'embranchement du chemin d'Harcourt ; deux des hommes attendaient là ; ils prirent les provisions et s'esquivèrent rapidement. Allain, vers deux heures du matin, se coucha ; le samedi, à midi, comme il se mettait à table, une carriole s'arrêta devant la porte de l'auberge ; Lefebvre et Mme Acquet en descendirent ; ils apportaient sept fusils[22] qui furent aussitôt montés au grenier. On causa : Mme Acquet tira d'un petit panier quelques citrons qu'elle coupa dans un saladier rempli de vin blanc et d'eau-de-vie[23] ; tout en tenant conseil, Lefebvre et la jeune femme buvaient ; de la salle basse on percevait leurs grands éclats de rire ; la chaleur était accablante, tous trois s'enivrèrent[24]. Il fallut aider Mme Acquet à se remettre en voiture, et Lefebvre se chargea de la reconduire à Falaise. Allain, resté seul à Aubigny, fit disposer un souper pour six à sept personnes ; il en surveillait les préparatifs, quand survint un cavalier qui demanda à lui parler : c'était Dusaussay apportant des nouvelles ; il venait d'une traite d'Argentan où il avait vu la voiture, chargée de caisses d'argent, entrer dans la cour de l'auberge du Point-de-Trace : il décrivit le chariot, l'attelage, le conducteur : puis il remonta aussitôt à cheval et s'éloigna rapidement. A ce moment, la bande tout entière reparaît, conduite par Flierlé. On distribue les armes ; les hommes se rangent autour de la table et mangent debout, hâtivement. Ils remplissent leurs bissacs de pain et de viandes froides et, à la nuit pleine, ils partent : Allain et Flierlé les accompagnent et, rentrent à l'auberge après deux heures d'absence[25]. Ils ne dormirent pas : on les entendit, jusqu'au jour, aller et venir lourdement dans le grenier. Le dimanche 7 juin, Allain paya la dépense, acheta à l'aubergiste une hache courte et un vieux fusil, ce qui portait à huit le nombre des armes à feu dont la bande pouvait disposer. A sept heures du matin il s'éloignait définitivement, sur la route de Caen, avec Flierlé, et gagnait, à trois lieues de là, le bois du Quesnay, où ses hommes avaient passé la nuit. Le chariot destiné au transport des fonds avait été, le 5 au soir, chargé à Alençon, dans la cour de la maison de M. Decrès, receveur général de l'Orne, de cinq lourdes caisses contenant en écus et en monnaie de billon 33.489 fr. 92 centimes. Le 6, à cinq heures du matin, le roulier Jean Gousset, voiturier aux gages du sieur Hubert, directeur des Messageries à Alençon, avait attelé au camion trois chevaux et, escorté par deux gendarmes, avait pris la route d'Argentan où il était arrivé à cinq heures du soir. Il s'arrêta au Point-de-France où il devait charger une sixième caisse renfermant en or et en écus 33.000 francs, qui lui fut livrée dans la soirée par les agents de M. Larroc, receveur des finances. La voiture, soigneusement bâchée, resta pendant la nuit dans la cour de l'auberge. Gousset, qui avait bu, allait et venait, parlant à tout venant de son chargement ; même il interpella un voyageur, M. Lapeyrière, géomètre du département de l'Orne, et lui dit en clignant de l'œil sur la caisse que les commis du roulage hissaient dans le chariot : — Si nous en avions chacun dix fois autant ; notre fortune serait faite[26]. Le dimanche 7, il attela à quatre heures du matin ; en raison du supplément de charge. on lui avait imposé un quatrième cheval ; trois gendarmes étaient commandés pour l'accompagner. On fit assez lentement les cinq lieues qui séparent Argentan de Falaise où l'on arriva vers dix heures et demie. Gousset s'arrêta chez Bertami, au Cheval noir[27], où les gendarmes le quittèrent ; il y dîna et, comme la chaleur était forte, il s'y reposa jusqu'à trois heures de l'après-midi ; le chariot, pendant l'étape, resta devant la porte de l'auberge, sans surveillance. On remarqua que les chevaux demeurèrent attelés trois heures d'avance et l'on en conclut que Gousset désirait n'arriver qu'à la nuit à Langannerie, lieu de la couchée. De fait. il prit son temps. A trois heures un quart seulement, il se mit en chemin, sans escorte cette fois, tous les hommes de la brigade de Falaise étant employés aux opérations du recrutement qui avaient lieu ce jour-là. Par hasard, à la sortie de la ville, il rencontra Vinchon, gendarme de la brigade de Langannerie, qui, accompagné de son neveu, jeune garçon de dix-sept ans, nommé Antoine Morin, regagnait à pied sa résidence. Ils engagèrent la conversation avec le roulier, qui marchait à la gauche de sa voiture, et firent la route avec lui. Ces compagnons de rencontre n'étaient pas pressés ; Gousset ne paraissait pas, lui non plus, avoir hâte d'arriver. Aux dernières maisons du faubourg, il offrit une tournée de cidre ; après quelques cents mètres, le gendarme rendit la politesse et on s'arrêta devant le cabaret du Sauvage. Une lieue plus loin, nouvelle halte à la Vieille cave[28]. Là, Gousset proposa une partie de quilles que le gendarme et Morin acceptèrent. Il était près de sept heures du soir lorsqu'on passa à Potigny. La journée était magnifique et le soleil encore haut sur l'horizon ; comme on savait ne plus rencontrer d'auberge avant l'étape, on fit là une quatrième station. Enfin Gousset et ses compagnons se remirent en marche : en une heure ils pouvaient maintenant atteindre Langannerie, où le charriot devait s'arrêter pour la nuit. La veille au soir, Mme Acquet de Férolles, en rentrant à Falaise avec le notaire Lefebvre, s'était couchée plus malade de fatigue que d'ivresse ; pourtant, dès l'aube, elle avait regagné Donnay, clans la crainte que son absence n'y éveillât des soupçons ; ce dimanche 7 juin était, en effet, le jour de la Fête-Dieu, et elle devait s'occuper, comme elle le faisait chaque année, de l'ornementation des reposoirs. Lanoë, arrivé la veille au soir de sa ferme de Glatigny, travailla toute la matinée à tendre des nappes et à tapisser les murs de branches vertes[29]. Mme Acquet dirigeait avec une exaltation fébrile l'arrangement de la procession, remplissant des corbeilles de roses effeuillées, groupant les enfants, posant des guirlandes ; sans doute sa pensée échappait au charme de cette fête fleurie pour se tourner vers ce bois, là-bas, où, à cette même heure, les hommes qu'elle avait embauchés attendaient, tapis sous les feuilles, le fusil en main. Peut-être trouvait-elle une jouissance perverse au contraste des cantiques chantés le long des haies avec l'anxiété criminelle qui l'étreignait ; n'avoua-t-elle pas plus tard, la pauvre femme, que, dans le désarroi de son esprit, elle n'avait pas craint d'implorer de Dieu la réussite de son entreprise ? Quand, vers cinq heures, la procession fut terminée, par les rues jonchées de roses, Mme Acquet s'en vint trouver Rosalie Dupont, sa confidente. Son impatience était telle que, n'y pouvant résister, elle partit avec cette fille, invinciblement attirée vers cette route où se jouait son sort et celui de son amant. Lanoë qui, les offices chantés et les reposoirs défaits, regagnait, à la fraîche, sur son bidet, sa ferme de Glatigny, fut très surpris de rencontrer, au crépuscule, la châtelaine de la Bijude, dans un petit bois près de Clair-Tizon[30]. Elle était là, à une lieue à peine de l'endroit où sa bande était embusquée. Du lieu désert où elle se trouvait, elle put, le cœur battant, immobile et muette d'angoisse, entendre les coups de fusil lointains qui résonnaient clair dans le silence du soir d'été ; il était exactement huit heures moins un quart. La voiture avait, en effet, quitté Potigny à sept heures. Un peu après le village, la route, désormais en droite ligne pendant six lieues, descend une pente au bas de laquelle se rencontre le petit bois du Quesnay, taillis fourré et bas de coupe qui n'était guère peuplé que de noisetiers dominés par quelques pieds de diène. Allain avait posté ses hommes sous les branches, le long de la route : à la lisière du bois, du côté de Falaise, se trouvaient Flierlé, Le Héricey et Fleur d'Épine. Il s'était embusqué lui-même avec Haret et Cœur-de-Roi à l'extrémité du taillis la plus voisine de Langannerie. Grand-Charles et Le Lorault étaient placés à distance égale de ces deux pelotons, au milieu du bois. Les huit hommes attendaient depuis midi le passage du trésor : ils commençaient à perdre patience et parlaient de retourner souper à Aubigny quand ils perçurent le bruit du lourd chariot dévalant la côte : il avançait assez rapidement, Gousset n'ayant point pris la précaution d'enrayer. On entendait ses hue et ses dia lancés à pleine voix. Marchant à gauche de la voiture[31], il dirigeait ses chevaux au moyen d'un long cordeau, son petit chien trottinait à côté de lui. Le gendarme Vinchon et Morin se trouvaient, pour l'instant, distancés par l'allure accélérée de la voiture. Les hommes du premier et du second poste la laissèrent passer sans se montrer ; elle roulait, maintenant, entre les deux taillis que coupait la route ; en quelques minutes elle atteignit la lisière du fourré du côté de Langannerie quand Gousset aperçut tout à coup un homme portant une longue houppelande grise et des bottes à retroussis, debout au milieu de la chaussée, un fusil à la main : c'était Allain. — Halte-là, coquin ! cria-t-il au charretier. Deux de ses compagnons n'ayant qu'un pantalon et une chemise, un mouchoir de couleur noué autour du front, sortent aussitôt du bois, apprêtent leurs armes et le mettent en joue. D'un vigoureux effort, Gousset, pris de peur, fait tourner tout l'attelage à gauche et le lance, à grand renfort de jurons et de coups de fouet, dans un chemin de traverse qui vient, en oblique, croiser la route un peu avant la sortie du bois ; mais en un instant les trois homme sont sur lui, le renversent, lui mettent le canon du fusil sur la tempe, tandis que deux autres, surgis du taillis, sautent à la tête des chevaux. La lutte fut courte : on arrache à Gousset sa cravate, on la lui noue en bandeau sur les yeux ; une main le fouille et lui prend son couteau, il est bourradé, poussé dans le bois et menacé d'une balle s'il fait un mouvement. Cependant Vinchon et Morin, restés en arrière, ont vu de loin la voiture disparaître dans le bois. Morin, peu soucieux de se mêler à la bagarre, se lance à travers champs, tourne le taillis très peu étendu, et court vers Langannerie afin de prévenir les gendarmes. Vinchon, au contraire, tire son sabre et s'avance courageusement sur la route ; mais à peine a-t-il fait quelques pas qu'il reçoit, du premier poste, une triple décharge. Il roule, frappé d'une halle à l'épaule et va s'abattre, perdant son sang, dans le fossé. Les hommes, alors, se hâtent autour de la voiture ; à l'aide du couteau de Gousset, ils coupent les cordes de la bâche, découvrent les coffres, les attaquent à grands coups de hache. Tandis que deux des brigands détellent les chevaux, d'autres jettent pêle-mêle, à pleines poignées, l'or et les écus dans les bissacs dont ils sont munis. Le premier sac, gonflé d'argent, était si lourd qu'il fallut l'effort de trois hommes pour le hisser sur le dos d'un cheval ; Gousset lui-même, malgré le bandeau qui l'aveugle est invité brutalement à donner un coup de main et obéit à tâtons. On défonçait la seconde caisse quand le cri : Aux armes ! vint interrompre la besogne. Allain rallie ses hommes et les forme en ligne au bord de la route. Morin, en arrivant à Langannerie, y avait trouvé seulement deux gendarmes, le brigadier et un homme, qui, aussitôt avertis, étaient montés à cheval et avaient couru, à toute bride, jusqu'au bois du Quesnay. Il faisait presque nuit lorsqu'ils parvinrent à la lisière du fourré. Une décharge les accueille ; une balle frappe le brigadier à la jambe et son cheval s'abat, mortellement blessé ; son unique compagnon, complètement sourd, ne sait où donner de la tête ; voyant rouler son chef, il prend le partie de battre en retraite et court jusqu'au hameau du Quesnay chercher du renfort. Le bruit de la fusillade a déjà jeté l'alarme aux alentours, le tocsin sonne à Potigny, à Ouilly-le-Tesson, à Sous-mont ; des paysans 'attroupent aux deux extrémités du bois mais ils sont sans armes et n'osent avancer ; Allain a placé en grand'gardes cinq de ses hommes qui, au jugé, font feu dans les taillis et ceci tient à distance les curieux les plus résolus. Derrière ce rideau de tirailleurs résonnent les coups de hache éventrant les caisses, le fracas des planches arrachées, les jurons des travailleurs se hâtant au pillage ; cette scène extraordinaire se prolonge pendant près d'une heure. Enfin, sur un cri d'appel, la fusillade cesse ; les brigands s'enfoncent dans le fourré ; on entend s'éloigner, par le chemin de traverse, les pas des chevaux lourdement chargés que les hommes excitent de la voix[32]. Ils prirent avec leur butin le chemin d'Ussy, entraînant le charretier Gousset, auquel on avait laissé son bandeau et que Grand-Charles tenait par le bras. Ils marchaient vite, dans la nuit, pour se garer d'une poursuite possible. A moins d'une demi-lieue du Quesnay, la traverse qu'ils suivaient passe au hameau d'Aisy, écart du village de Sous-mont et où le maire de cette commune avait un château : il s'appelait M. Dupont d'Aisy et avait reçu, ce soir-là, à sa table, le capitaine Pinteville, commandant la gendarmerie de l'arrondissement. Le repas avait été interrompu par le bruit lointain de la fusillade. M. Dupont envoya aussitôt ses domestiques donner l'alarme à Sousmont ; en moins d'une heure il avait réuni une trentaine de villageois ; il se mit à leur tête avec le capitaine Pinteville et marcha vers le Quesnay. La petite troupe n'avait pas fait cent pas quand elle se heurta à la bande d'Allain ; un combat s'engage ; les brigands exécutent un feu nourri qui, par un hasard bien étonnant, ne produit d'autre effet que de disperser les paysans. Dupont d'Aisy et le capitaine Pinteville lui-même jugent dangereux d'engager la lutte contre des adversaires si déterminés : ils replient leurs hommes, et, tournant résolument le dos à l'ennemi, ils battent en retraite du côté du Quesnay[33]. Lorsqu'ils arrivèrent dans le bois, une sorte de foule l'occupait déjà ; des villages environnants, où le tocsin continuait de sonner, des gens accouraient, attirés uniquement, d'ailleurs, par la curiosité. On riait du bon tour joué au gouvernement. On estimait l'affaire bien conduite et nul ne se gênait pour applaudir à son succès[34]. On entourait le chariot à demi-versé dans l'ornière du chemin et on battait en tout sens le petit bois pour y relever les traces du combat. Dupont d'Aisy et le capitaine Pinteville, en arrivant avec
leurs hommes, mirent un peu d'ordre dans les premières constatations : ils
s'étaient munis de lanternes ; en présence des gendarmes, enfin arrivés en
nombre, qui contemplaient piteusement la scène, les paysans recueillaient les
débris des coffres et y replaçaient, en la comptant d'un ton gouailleur, la
monnaie de billon que les voleurs avaient dédaignée et jetée dans l'herbe. On
trouva dans le taillis le portefeuille de cuir du voiturier renfermant les
deux bordereaux du chargement ; on sut ainsi que le gouvernement perdait un
peu plus de 60.000 francs, et, devant ce chiffre respectable[35], l'estime
grandit pour les gens habiles qui avaient fait le coup. Dans l'endroit le
plus épais du bois on découvrit une sorte de hutte de branchage où restaient
des os, des bouteilles vides et des verres, et, tout de suite, la légende
s'établit que les brigands logeaient là depuis des
semaines attendant une occasion lucrative. Ceux qui avaient assisté,
de loin, au combat, décrivaient ces messieurs
qui étaient, disaient-ils, au nombre de douze
; trois portaient des redingotes de draps gris : ceux-ci étaient chaussés de
bottes ; un autre avait été frappé par la très
petite taille de deux des brigands[36]. Enfin, la monnaie recueillie et les coffres rechargés, on attela deux chevaux au camion qu'on traîna chez Dupont d'Aisy ; celui-ci s'était prodigué ; il ne quitta pas le chariot qu'il fit déposer dans sa cour et mit sous clef les caisses brisées et le billon dont le total s'élevait à 3.404 francs. Et quand, dès l'aube, M. le comte Caffarelli, préfet du Calvados, prévenu par exprès dès minuit, arriva sur les lieux dans sa chaise de poste, c'est encore chez Dupont d'Aisy qu'il fut reçu ; même, après avoir recueilli les témoignages et considéré les pièces à conviction, il adressa au ministre de la police un de ces rapports optimistes qu'il troussait avec tant d'aplomb. Par celui-ci, il annonçait à Son Excellence qu'après vérification faite le chargement avait été reconnu intact... sauf les caisses contenant l'argent du gouvernement. M. Caffarelli possédait à fond l'art délicat de la correspondance administrative et savait faire glisser, à grand renfort d'eau claire, la pilule dorée des vérités désagréables. Ce fonctionnaire modèle passa la journée à Aisy, attendant des nouvelles ; les paysans et les gendarmes battaient le pays avec précaution, car, depuis la veille, la légende avait grossi et on parlait, non sans terreur, du combat courageusement livré par M. Dupont d'Aisy à toute une armée de brigands. Vers midi, les éclaireurs rentrèrent ne ramenant que les quatre chevaux du chariot qu'ils avaient trouvés attachés à une haie près du village de Placy, et le pauvre Gousset qui s'était tranquillement assis à l'ombre d'un arbre, sur un sillon, près d'une pièce de blé. Il raconta que la bande l'avait abandonné là, de très grand matin, après l'avoir fait marcher, pendant toute la nuit, les yeux bandés. Au bout d'une heure et demie, n'entendant plus rien, il avait osé détacher son bandeau, et, ne connaissant pas le pays, il attendait qu'on vînt le chercher ; il ne put fournir, touchant les voleurs, aucune indication, si ce n'est qu'ils marchaient très vite et qu'il avait reçu d'eux de terribles coups. M. Caffarelli plaignit beaucoup ce pauvre homme, le chargea de conduire à Caen le chariot et les caisses brisées, puis, après avoir hautement félicité M. Dupont d'Aisy de sa belle conduite, il reprit, le même jour, le chemin de sa résidence. Après l'escarmouche d'Aisy, Allain et ses compagnons avaient marché grand train dans la direction de Donnay : ils allaient à l'aventure et s'égarèrent. En traversant le village de Saint-Germain-le-Vasson, ils entraînèrent de force un garçon meunier qui prenait le frais sur le seuil de sa porte et qui, bien que très effrayé à la vue de cette bande d'hommes armés et de chevaux chargés de lourds bissacs, consentit à leur servir de guide. Il les conduisit jusqu'à Acqueville. Allain le renvoya en lui donnant dix écus[37]. Il était environ minuit quand ils arrivèrent à Donnay ; ils passèrent derrière le château. Joseph Buquet les attendait là et les mena jusqu'à sa maison. Son frère et lui font entrer les huit hommes, leur recommandent le silence, les aident à décharger les sacs dont le contenu est vidé dans un trou, creusé d'avance, au bout du jardin[38] ; puis, on tire à boire. On prend une heure de repos et, connue le jour allait paraître, Allain donna le signal du départ. Il avait hâte de conduire ses gens hors du département du Calvados et de les mettre ainsi à l'abri des premières poursuites de la police de Caffarelli. Au jour naissant, ils passaient l'Orne au pont de La Landelle, jetaient leurs fusils dans une pièce de blé et se séparaient après avoir reçu chacun 200 francs[39]. Cette journée du 8 juin s'écoula pour les habitants de Donnay dans le calme le plus parfait. Mme Acquet ne sortit pas de la Bijude. Dans l'après-midi, un tanneur de Placy, nommé Brazard, en passant devant la maison, bêla Hébert qu'il aperçut dans le jardin. II lui apprit que, le matin, à son réveil, il avait trouvé quatre chevaux attachés à sa haie ; les gendarmes de Langannerie étaient venus les réclamer, disant que c'étaient ceux de la diligence de Falaise à Caen attaquée par les chouans pendant la nuit. Hébert s'étonna beaucoup[40] ; Mme Acquet fit l'incrédule ; mais le bruit de l'attentat se répandit : le soir, la nouvelle était connue de tout le village. Acquet, depuis un mois, restait invisible : son instinct haineux, et sans doute aussi des indices sournoisement recueillis, l'avertissaient que sa femme machinait sa propre perte, et il se gardait de l'arrêter en si bon chemin. Quelques jours auparavant, son jardinier Aumont avait remarqué un matin que la rosée sur la pelouse était abattue et relevé des traces de pas conduisant à la cave du château[41] ; mais Acquet sembla n'attacher à ces faits aucune importance. C'est par sa servante qu'il apprit l'enlèvement de la recette d'Alençon ; le lendemain, le boucher Redet, de Meslay, raconta que, huit à dix jours auparavant, comme il passait en charrette, vers trois heures du matin, près des ruines de l'abbaye du Val, sa jument avait fait un écart, effrayée par la vue de sept ou huit hommes qui sortirent subitement de derrière une haie ; ils lui demandèrent le chemin de Rouen. Redet, sans répondre, s'était enfui, et comme il parlait à tout venant de cette rencontre, Hébert, l'homme-lige de Mme de Combray, l'avait instamment prié de ne point ébruiter l'incident. Si Acquet eût gardé un doute, cette recommandation l'eût dissipé. Il partit aussitôt pour Meslay prendre conseil de l'ami Darthenay, et, le jour suivant, il écrivit au commandant de la gendarmerie[42] pour l'inviter à perquisitionner au château de Donnay. La visite eut lieu le vendredi 12 juin, et c'est le capitaine Pinteville qui la dirigea. Acquet s'offrit à guider les recherches ; la perquisition amena des constatations singulières : certaines portes de cette grande maison, abandonnée depuis longtemps, furent trouvées munies de fortes serrures récemment posées ; d'autres étaient clouées et on dut les enfoncer ; dans un grenier retiré et obscur auquel on ne parvenait qu'avec peine — Acquet conduisait les gendarmes — un tas de foin conservait encore l'empreinte des six hommes qui s'y étaient couchés ; des os encore frais, des débris de pain et de viande, des ordures témoignaient que la bande y avait séjourné ; des feuilles de papier, provenant d'un mémoire imprimé par le sieur Hely de Bonnœil, frère de Mme Acquet, étaient roulées en cartouches et cachées dans un coin sous les tuiles. On découvrit même les bissacs qu'après le vol les Buquet avaient cachés là ; dans le sol d'une cave, un trou de deux pieds et demi en carré, profond de même, avait été creusé pour recevoir l'argent ; on avait eu la précaution d'ouvrir, au dessus, le plancher, afin que, de l'étage supérieur, il fût possible de surveiller le dépôt[43]. Le projet d'enfouir en cet endroit le produit du vol avait été, on le sait, abandonné au profit des Buquet ; mais l'indice était d'importance et Pinteville en fit son rapport. La chose, d'ailleurs, n'alla pas plus loin. Quel soupçon pouvait atteindre les châtelains de Donnay ? Les brigands avaient, à la vérité, choisi leur maison pour asile ; mais il n'y avait rien là qui pût servir de base à une accusation de complicité : ni Pinteville, ni Caffarelli, qui transmit au ministre le procès-verbal, ne songèrent même à pousser plus avant sur ce point leur enquête. Fouché n'en savait pas davantage ; mais il trouvait l'affaire mollement conduite. Il paraissait évident que l'attentat du Quesnay allait grossir la liste, si longue depuis dix ans, des vols de fonds publics dont les auteurs resteraient à tout jamais impunis. Réal, flairant d'instinct que d'Aché était dans l'affaire, se souvint à propos du capitaine Manginot qui, au temps du complot de Georges Cadoudal, avait réussi à reconstituer les étapes des conjurés entre Biville et Paris et auquel on devait précisément la révélation du rôle joué par d'Aché dans la conspiration[44]. Manginot[45] reçut donc
l'ordre de se rendre en toute hâte dans le Calvados. Le 23 juin il arrivait
chez Caffarelli, porteur de ce mot de présentation : L'adresse,
le zèle, le bonheur de cet officier dans ces sortes de recherches sont connus
; ils ont été assez prouvés par son succès dans une affaire du même genre, je
vous invite à l'accueillir comme il mérite de l'être. Le préfet fit
donc fête à l'officier ; il connaissait trop bien la manière des chouans et
leur habileté à disparaître pour conserver personnellement aucune illusion
sur le résultat final de l'aventure ; mais il n'en montra rien et manifesta,
au contraire, la plus grande confiance dans le savoir-faire d'un homme qui
paraissait si bien en cour. Celui-ci débuta par une nouvelle perquisition au château de Donnay ; mais, comme sa grande réputation l'obligeait au succès et qu'il n'était pas fâché d'étonner les autorités du Calvados par la sûreté de son coup d'œil, il fit arrêter tout d'abord Acquet de Férolles ; c'était lui qui, le premier, avait prévenu la gendarmerie du séjour des brigands à Donnay, et ceci semblait à Manginot prodigieusement louche. Le même jour, il donnait l'ordre de s'assurer d'Hébert ; quelques personnes du village essayèrent bien d'insinuer qu'Hébert et Acquet étaient irréconciliablement ennemis et que Manginot faisait fausse route ; mais celui-ci, très gonflé de son importance, n'en voulut pas démordre. Poursuivant ses extravagantes déductions, il flaira que la complicité du charretier Gousset, convaincu d'avoir bu et joué aux quilles tout le long du chemin, ne pouvait faire doute, et le pauvre homme fut arrêté dans son village où il était retourné, près de sa femme et de ses enfants, pour se remettre de ses émotions. Enfin Manginot, évidemment en verve de bévues. s'imagina que Dupont d'Aisy lui-même avait bien put retenir Pinteville à dîner et ameuter ses paysans dans le but d'assurer la retraite des brigands ; en conséquence, il décerna contre lui un mandat d'amener[46], à la grande stupeur de Caffarelli qui voyait ainsi emprisonner tous ceux dont il avait loué la belle conduite et donné en exemple le dévouement. Ainsi dans une région où il n'avait, pour ainsi dire, qu'à frapper au hasard pour atteindre un coupable, le capitaine Manginot était assez malchanceux pour n'incarcérer que des innocents, et, par surcroît d'ironie, le hasard voulait que ces innocents fissent, devant l'enquête, une si piteuse figure que les soupçons s'en trouvaient justifiés. Acquet désirait grandement dénoncer sa femme, mais il ne voulait parler qu'à coup sûr, et le magistrat de sûreté de Falaise, devant lequel il comparut, note qu'au cours de ses interrogatoires il tombe dans des contradictions ; ses réponses sont loin d'être satisfaisantes, quoiqu'il les combine avec le plus grand soin et réfléchisse longtemps avant de parler[47]. Au premier mot qu'il insinua contre Mme de Combray et sa fille, le juge, indigné, le fit taire et l'expédia, sous bonne garde, à Caen où on le mit au secret[48]. Quant à Hébert, ne voulant pas compromettre les dames de la Bijude auxquelles il était tout dévoué, il répondit à peine aux questions qui lui étaient posées ; il n'y eut pas jusqu'à Dupont d'Aisy qui ne prêtât au soupçon ; on découvrit chez lui soixante fusils, ce qui parut excessif, même pour un grand chasseur tel qu'il se piquait de l'être, et là encore tous les indices concouraient à convaincre Manginot qu'il était dans la bonne voie. Mme Acquet, cependant, affectait la plus grande sécurité. Voyant l'enquête s'égarer, elle pouvait, en effet, se figurer que tout danger était pour elle écarté : elle avait bien, d'ailleurs, d'autres soucis. Depuis le 7 juin, Le Chevalier attendait à Paris les fonds dont il avait le plus pressant besoin, et, comme il ne recevait rien malgré ses réclamations réitérées, il avait pris le parti de venir lui-même chercher l'argent ; il n'osait, cependant, se montrer dans la région de Falaise, et fixa au notaire Lefebvre un rendez-vous à Laigle en l'invitant avec instance à lui apporter là tout ce dont il pourrait se charger. Or, les Buquet, chez qui les 60.000 francs avaient été déposés pendant la nuit du 7 juin, s'obstinaient, malgré les supplications de Mme Acquet, à ne pas s'en dessaisir : ils les avaient retirés de leur jardin et cachés en divers endroits dont ils gardaient jalousement le secret. Cependant, en usant de son influence sur Joseph, Mme Acquet parvint à lui soutirer 3.300 francs qu'elle remit au notaire pour les porter à Le Chevalier ; mais Lefebvre, dès qu'il tint l'argent, allégua, à son tour, qu'on lui avait promis, pour prix de son concours, une somme de 12.000 francs et qu'il gardait celle-ci comme acompte. Il poussa cependant jusqu'à Laigle, à la rencontre de Le Chevalier et[49], pour calmer l'impatience de celui-ci, il l'assura que Dusaussay allait, incessamment, prendre la route de Paris avec 50.000 francs, qu'il lui remettrait intégralement. Mm' Acquet se désespérait ; la prudence l'empêchait d'essayer de vaincre l'entêtement des Mique, ceux-ci prétextaient, pour garder l'argent, qu'il appartenait à la caisse royale et qu'ils en étaient les dépositaires responsables, et la malheureuse se trouvait avoir commis un crime que rendait vain l'obstination de ces paysans rapaces, Elle était là, prête à tout abandonner pour rejoindre Le Chevalier, prête à s'expatrier même avec lui, lorsqu'on apprit que Mme de Combray, informée par la rumeur publique des faits qui se passaient en Basse-Normandie, s'était décidée à se rendre à Falaise pour plaider auprès des magistrats la cause de son fermier Hébert. Elle avait quitté Tournebut le 13 juillet et pris à Évreux la diligence de Caen. Mme Acquet, venue au-devant de sa mère jusqu'au relai de Langannerie, attendit là le passage de la voiture publique et, quand en descendit Mme de Combray, la jeune femme, toute en larmes, se jeta dans ses bras. Comme la marquise s'étonnait un peu de ces manifestations auxquelles clic n'était plus accoutumée, sa fille, à voix basse, lui dit en sanglotant : — Sauvez-moi, maman, sauvez-mois ![50] Ce fut, de part et d'autre, un retour momentané à
l'affectueuse confiance d'autrefois. Tandis qu'on changeait les chevaux et
que les postillons buvaient à l'auberge, les deux femmes allèrent s'asseoir à
l'ombre d'un arbre, sur l'herbe du talus, au bord de la route. La confession
de Mme Acquet fut sans réticence : elle dit comment son amour pour Le
Chevalier l'avait entraînée à combiner l'affaire du 7 juin, à héberger les
hommes d'Allain et à recéler chez les Buquet l'argent enlevé. Si on le
trouvait là, elle était perdue sans ressources, et il était urgent de
soustraire les fonds aux Baquet pour les remettre aux chefs du parti auxquels
ils étaient destinés. Elle n'osa, cette fois, nommer Le Chevalier ; mais elle
argua que, redoutant l'espionnage des gens de son mari, elle ne pouvait ni
transporter l'argent chez elle, ni opérer le change des espèces chez quelque
banquier de Falaise ou de Caen ; tout le pays la savait réduite aux
expédients. Mme de Combray n'avait pas à redouter les mêmes dangers, et elle
convint, en effet, que personne ne s'étonnerait de
voir à sa disposition 50 ou 60.000 francs, plus ou moins. Mais sur les autres points, son jugement fut moins approbatif : non point qu'elle s'étonnât de voir sa fille compromise en pareille aventure, combien d'attentats similaires avaient été préparés, en sa présence, à son château de Tournebut ? N'avait-elle pas elle-même inoculé à sa fille le fanatisme politique en lui présentant comme des martyrs, des hommes tels qu'Hingant de Saint-Maur, Raoul Gaillard ou Saint-Réjant ? Et de quel droit l'eût-elle jugé sévèrement, elle qui, fille de l'intègre président de la Cour des comptes de Normandie, se montrait prête à se faire la complice d'un vol à main armée, que la sainteté de la cause rendait, à son avis, méritoire. La marquise de Combray professait, sans le savoir, le jacobinisme à rebours ; elle acceptait le brigandage, comme autrefois les terroristes avaient admis la guillotine ; le but rêvé justifiait les moyens d'action. Aussi ne s'épuisa-t-elle point en reproches ; elle s'emporta, il est vrai, au nom de Le Chevalier qu'elle haïssait ; mais Mme Acquet l'apaisa en l'assurant que son amant n'avait agi que sur l'ordre exprès de d'Ache et que tout avait été combiné entre ces deux hommes. Dès lors que son héros était de l'affaire, la marquise de Combray était heureuse d'y jouer un rôle. Le soir même, elle arrivait à Falaise et, laissant sa fille à l'hôtel de la rue du Tripot, elle alla demander l'hospitalité à l'une de ses parentes, Mme de Tréprel. Dès le lendemain matin, elle manda le notaire Lefebvre[51]. Mme Acquet, avant d'introduire celui-ci chez sa mère, lui fit la leçon. : Parler le moins possible de Le Chevalier et affirmer que d'Aché avait tout ordonné. Sur ce terrain, Lefebvre trouva Mme Combray très conciliante ; il n'eut besoin d'employer ni prières ni instances pour l'engager à se charger de soustraire les 60.000 francs aux Buquet ; elle y consentit sans aucune difficulté ni observation contraire : elle parut très zélée et très satisfaite de la tournure que prenaient les choses et elle s'offrit à transporter elle-même l'argent à Caen chez Nourry le banquier de d'Aché. Ici Mme Acquet observa qu'elle n'était point maîtresse de disposer ainsi des fonds ; c'était par amour que la pauvre femme s'était associée à l'attentat du 7 juin et elle se souciait fort peu de l'intérêt de la caisse royaliste : elle ne souhaitait rien, sinon finie son dévouement profitât à l'homme qu'elle adorait et, si l'argent était remis à d'Ache, toutes ses peines devenaient inutiles ; elle essaya d'insister, alléguant que Dusaussay se chargeait de porter l'argent au caissier royaliste de Paris ; que Le Chevalier l'attendait pour se rendre en Poitou où sa présence était indispensable ; mais sur ce Point Mme de Combray fut inflexible : la somme entière serait remise au banquier de d'Aché ou elle refusait son concours[52]. Mme Acquet dut s'incliner, le cœur bien gros, et tout de suite on tint conseil sur la façon dont s'effectuerait le transport. La marquise expédia Jouanne, le fils de son ancien
cuisinier, à Glatigny, pour prévenir Lanoë qu'elle
voulait sur-le-champ lui parler. Jouanne fit d'une traite les six
lieues de Falaise à Glatigny et revint, sans prendre haleine, en compagnie de
Lanoë qui le mit en croupe sur son cheval. A peine furent-ils arrivés que Mme
de Combray ordonna à Lanoë d'aller à Donnay chercher une voiture et de se préparer
à un voyage de plusieurs jours. Lanoë se fit un peu prier, représenta qu'on
était au temps des moissons et qu'il avait des travaux urgents à terminer ;
mais ceci importait peu à la marquise qui parlait ferme et tenait à être
obéie ; Mme Acquet d'ailleurs insista, disant : — Vous
savez bien que maman n'a confiance qu'en vous pour la conduire et qu'on vous
paye toujours bien vos courses[53]. Cet argument
décida Lanoë qui, le soir même, se mit en route pour la Bijude où il coucha.
Mme de Combray, on le voit, ne ménageait guère les pas de ses serviteurs ; la
distance, du reste, ne semble pas avoir été, pour ces gens accoutumés à la
marche et au cheval, un empêchement aussi grand qu'elle le serait de nos
jours. La remarque n'est pas sans utilité, et elle aidera à l'intelligence de
quelques uns des incidents qui vont suivre. Le jeudi 16 juillet, Lanoë revint à Falaise avec une petite charrette que lui avait prêtée un paysan de Donnay ; il l'avait attelée de son cheval et d'un autre, emprunté à Desjardins, fermier de Mme de Combray. Les deux femmes prirent place dans la carriole et partirent pour la Bijude ; Lefebvre les accompagna jusqu'au faubourg ; il leur donna rendez-vous à Caen pour le surlendemain et leur remit, tracé de sa main, un itinéraire qui leur permettrait d'éviter la grande route trop fréquentée. Aime de Combray et sa fille couchèrent ce soir-là à la Bijude ; la journée du lendemain fut employée en pourparlers avec les Buquet qui, cette fois, n'osèrent résister à l'ordre formel de Mme de Combray et, la nuit venue, ils livrèrent, bien à contre-cœur, deux sacs contenant neuf mille francs en écus que la marquise fit placer, en sa présence[54], dans la charrette remisée sous la grange. On ne pouvait charger davantage pour un premier voyage et Mme Acquet s'en réjouit, espérant encore que le surplus de la somme resterait à sa disposition. La marquise avait cru prudent d'éloigner Lanoë ; elle l'envoya à la foire de Saint-Clair qui se tenait en pleine campagne à une lieue de là et on ne le revit que le samedi, au moment fixé pour le départ. La relation qu'il laissa de son voyage, quoique notée avec une évidente mauvaise humeur, ne manque pas de pittoresque : Je revins, dit-il, de la foire vers une heure de l'après-midi ; lorsque je fus pour atteler, je vis dans la voiture une valise en cuir et un sac de nuit. Colin, le domestique de la Bijude, jeta deux bottes de paille dans la voiture pour asseoir ces dames, et Mme de Combray me donna un porte-manteau, un paquet qui me sembla être du linge et un parapluie pour mettre dans la voiture. Quand nous fûmes en route, je fis trotter mes chevaux ; mais Mme Acquet me dit de ne pas aller si vite parce qu'elles ne voulaient arriver que le soir à Caen, vu qu'elles avaient dans la voiture de l'argent du vol. Je la fixai et je ne lui dis rien ; mais je me dis à moi-même : Voilà encore un de ses tours ; si je l'avais su avant de partir je les aurais laissées là ; elle a usé de subterfuge pour me compromettre, ne l'ayant pu ouvertement. Quand je lui en fis des reproches, quelques jours plus tard, elle me dit : Je me doutais bien, si je vous en eusse parlé, que vous n'auriez pas voulu. Pendant la route, ces dames parlèrent ensemble ; mais le bruit de la voiture m'empêcha d'entendre ce qu'elles disaient. Cependant j'entendis Mme Acquet dire que cet argent servirait à payer des dettes ou à donner à des malheureux. Je l'entendis dire aussi que Le Chevalier avait de l'esprit et Mme de Combray disait que M. d'Aché avait l'esprit plus mûr ; que Le Chevalier aurait peut-être plus de langue que lui[55]... L'itinéraire indiqué par Lefebvre se détournait de la grand'route à Saint-André-de-Fontenay, vers le hameau de Basse-Allemagne ; la nuit tombait quand la voiture de Lanoë passa l'Orne au bac d'Athis. On gagna, de là, Bretteville-sur-Odon, afin d'entrer en ville comme si l'on venait de Vire ou de Bayeux. De son côté, le notaire était arrivé dans la journée à Caen ; après avoir mis son cheval à l'auberge dans le faubourg de Vaucelles, il traversa, en promeneur, toute la ville et alla à la rencontre du trésor sur la route de Vire. Il atteignait, comme huit heures sonnaient, les premières maisons de Bretteville et se disposait à revenir sur ses pas, très étonné de n'avoir pas rencontré la charrette, lorsque Mme Acquet l'appela par la fenêtre d'un cabaret. Il entra ; Mme de Combray et sa fille s'étaient arrêtées là, tandis que Lanoë faisait consolider, par le charron du village, une des roues de la voiture. On prit un rafraîchissement et on laissa reposer les chevaux ; vers dix heures seulement on se remit en marche : Lefebvre avait pris place avec les dames sur la carriole ; à la barrière de la route de Granville, il descendit, paya les droits d'octroi sur les deux bottes de paille que contenait la voiture et l'on pénétra dans la ville sans autres incidents[56]. C'était à l'auberge de Gélin, rue Pavée, que, sur l'avis du notaire, on avait décidé de porter les fonds ; Gélin était le gendre de ce Lerouge, dit Bornet, que Le Chevalier employait quelquefois, mais la voiture se trouva trop large pour pénétrer dans la cour de l'auberge ; un passage de troupes avait eu lieu, ce jour-là, et la maison était remplie de soldats. Il ne pouvait être question de s'y loger ; mais, du moins, fallait-il laisser là les deux sacs d'argent ; tandis que Gélin faisait le guet, la marquise, consternée de se voir en pareil lieu, ne pouvant sortir de la cour parce que la voiture barrait la porte, dut assister au déchargement ; deux hommes, l'un en veste, l'autre en pelande bleue[57], s'empressaient autour de la charrette ; ce dernier tenait une lanterne sourde : Lefebvre, Lerouge, Mme Acquet elle-même tiraient de la paille les sacs qu'on hissait par la fenêtre du rez-de-chaussée dans la maison. Il semble que Mme de Combray éprouva là, pour la première fois, le sentiment de sa déchéance : elle se trouvait brutalement mêlée à l'une de ces expéditions qu'elle s'était représentées jusqu'alors comme de chevaleresques pas d'armes, et ces coulisses du brigandage lui faisaient horreur. — Mais c'est une bande de coquins ! dit-elle stupéfaite, à Lanoë[58], et elle insista pour qu'il la fît sortir ; il lui fallut passer par la salle du cabaret encombré de buveurs. Enfin dans la rue, sans tourner la tête, elle s'en alla à l'hôtel des Trois Marchands, en face de Notre-Dame, où elle descendait habituellement. Mme Acquet ne connaissait plus ces hésitations ; elle dut souper avec les recéleurs ; on sut que, dans la nuit, elle eut avec Allain une entrevue mystérieuse derrière les murs de l'Abbaye-aux-Darnes ; Bureau de Placène, le caissier des chouans, ayant eu vent d'un transport de fonds, les y retrouva après avoir encaissé l'argent ; ils se séparèrent après une heure d'entretien. On ne sait où coucha, cette nuit-là, M Acquet ; elle ne parut à l'hôtel des Trois-Marchands que quatre jours plus tard ; elle y rencontra Mme de Combray qui revenait de Bayeux. Dans son besoin de réconfort, la marquise avait voulu voir d'Aché et savoir de lui s'il était vrai qu'Allain eût agi d'après ses ordres ; mais d'Aché, comme bien on pense, avait assuré sa vieille amie qu'il réprouvait d'aussi vils moyens et qu'il était toujours digne de son estime[59]. Elle était revenue à Caen, très marrie de s'être laissé jouer par sa fille et par le notaire ; elle ne leur dit rien de son séjour à Bayeux, sinon qu'elle n'y avait pas vu d'Aché et qu'il était encore en Angleterre ; puis, toute boudeuse, elle partit pour Falaise par la diligence, ne voulant pas faire route avec sa fille. Celle-ci, le même jour — c'était le jeudi 23 juillet — prit une voiture faisant le service de Caen à Harcourt et descendit à la Forge-à-Cambro où l'attendait, avec sa charrette, Lanoë, rentré à Donnay depuis le lundi. Dès que Mme Acquet eut pris place dans sa carriole, Lanoë s'assit à côté d'elle et lui apprit que, la veille, les gendarmes étaient venus à Donnay et avaient perquisitionné dans la maison des Buquet ; ils étaient partis, toutefois, sans arrêter personne : un homme en houppelande noire semblait les conduire. Mme Acquet posa quelques questions hâtives, puis elle dit à Lanoë de fouetter les chevaux et garda le silence jusqu'à la Bijude ; il l'observait du coin de l'œil et vit qu'elle était très pâle. En arrivant le soir au village, elle voulut aller de suite à la maison des Buquet, resta pendant un quart d'heure enfermée avec Joseph ; sans doute fit-elle près de lui une suprême tentative pour obtenir de l'argent ; elle reparut le teint animé, très fiévreuse : — Vite, à Falaise, dit-elle. Mais Lanoë lui représenta qu'il avait à faire chez lui et que son cheval ne pourrait résister à être toujours en route. Pourtant, elle le harcela de telle façon qu'à la fin il consentit. Tandis que le cheval mangeait l'avoine, Mme Acquet s'en alla à la Bijude et se jeta toute habillée sur son lit : le temps, très lourd pendant toute la journée, s'était chargé vers le soir et de grands éclairs déchiraient le ciel. Vers deux heures du matin, Lanoë vint frapper au carreau et Mme Acquet parut, prèle à partir ; elle monta en croupe derrière lui ; ils se mirent en route par la forêt de Saint-Clair et Bonnœil ; comme ils pénétraient dans le bois, l'orage éclata tout à coup d'une extraordinaire violence ; d'énormes rafales courbaient les arbres, brisant les branches ; la pluie tombait à flots, transformant le chemin en torrent ; le cheval avançait pourtant ; mais, vers le jour, alors qu'on approchait du village de Noron, Mme Acquet se sentit subitement indisposée au point qu'elle se laissa glisser à terre, presque évanouie. Lanoë l'étendit sur les bruyères, au bord de la route, dans la boue ; quand elle eut repris ses sens, elle le supplia de la laisser là, de poursuivre jusqu'à Falaise et d'en ramener le notaire Lefebvre ; elle paraissait hantée du souvenir de l'homme en houppelande noir qui avait guidé les gendarmes à Donnay. Lanoë, effrayé, obéit ; mais Lefebvre ne put le suivre que dans l'après-midi ; en arrivant à Noron, ils trouvèrent Mme Acquet à l'auberge où elle s'était traînée ; la pauvre femme avait la lièvre ; presque en divaguant, elle informa Lefebvre qu'elle n'avait pas d'argent à lui donner ; que les gendarmes étaient venus à Donnay ; que l'homme qui les conduisait était peut-être un des compagnons d'Allain, amené là, sans doute, pour reconnaître les lieux ; mais elle ne craignait rien ; elle allait y retourner et rapporterait l'argent. Lefebvre essaya de la calmer ; dès qu'il se fut éloigné, après une demi-heure d'entretien, elle entreprit Lanoë, le suppliant de la reporter à Donnay ; il s'en défendit énergiquement, ne voulant plus rien entendre ; enfin, devant son désespoir, il se laissa attendrir, mais jura bien que, cette fois, il en avait assez et qu'il la laisserait à la Bijude. Elle consentit à tout, se hissa sur le cheval, et, de nouveau, tenant Lanoë à bras-le-corps, les vêtements trempés d'eau, plaqués sur ses membres grêles, elle reprit le chemin de Donnay. En passant à Villeneuve, ferme appartenant à son frère Bonnœil, elle aperçut un groupe de femmes qui l'interpellèrent ; le fermier Truffault s'approcha et, comme, anxieuse, elle l'interrogeait, il répondit : — Un malheur est arrivé ; les gendarmes sont revenus tout à l'heure chez les Buquet ; ils ont pris le père, la mère, le fils aîné. Joseph, qui s'était caché, est seul, bien désolé, -et ne sait que devenir. Le fermier ajouta qu'il venait d'expédier à Falaise son gars pour instruire Mme de Combray de cet événement. Mme Acquet descendit de cheval. Elle tira Truffault à l'écart et le questionna à voix basse. Quand elle revint près de Lanoë elle était aussi blanche qu'une cire. —Je suis perdue, lui dit-elle ; Joseph Buquet veut me dénoncer. Puis, le regard fixe, parlant pour elle-même : —Je pourrais bien, à mon tour, dénoncer Allain, puisqu'il est proscrit ; mais où dirais-je que je l'ai connu[60] ? Elle paraissait bien inquiète, ne sachant que faire. Enfin elle insinua qu'il fallait la reconduire à Falaise. Mais Lanoë fut intraitable : il jura qu'il n'irait pas plus loin, qu'elle pouvait s'adresser au fermier si elle voulait. Et, rendant la bride à son cheval, il s'éloigna au trot, la laissant là, au milieu d'un cercle de paysans qui, silencieusement, contemplaient, avec une consternation ébahie, la fille de leur dame, couverte de boue, les yeux égarés, les bras ballants, l'air si éperdu et si désolé que les plus durs la prenaient en pitié[61]. En rentrant chez lui, ce soir-là, le notaire Lefebvre apprit que, pendant son absence, Mme de Combray lui avait dépêché son jardinier pour l'inviter à venir, au plus tôt, la rejoindre à l'hôtel de la rue du Tripot. Pourtant, harassé, il s'était jeté sur son lit et dormait à poings fermés quand, vers une heure du matin, on frappa à sa porte : c'était encore le jardinier ; il fut si pressant que, malgré sa fatigue, Lefebvre se décida à le suivre. Il trouva la marquise presque folle d'angoisse ; elle avait appris par le gars de Truffault l'arrestation des Buquet ; elle ne s'était pas couchée, s'attendant à toute minute à recevoir la visite des gendarmes ; elle n'avait qu'une pensée, fuir, retourner en hâte à Tournebut et s'y cacher avec sa fille ; elle pressait le notaire de l'accompagner et, tout en parlant fiévreusement, elle nouait sur sa tète un fichu de laine. Lefebvre, plus calme, lui représenta qu'il avait laissé à Noron Mme Acquet épuisée de fatigue ; il fallait attendre, pour quitter Falaise, qu'elle fût en état de se mettre en route ; que, d'ailleurs, à celte heure de nuit, on était dans l'impossibilité de se procurer une voiture ; mais Mme de Combray, avec l'obstination d'une femme égarée, ne voulait rien entendre ; elle expédia à Noron, en lui donnant un écu de trois livres, son jardinier, chargé de prévenir Mme Acquet qu'elle eût à prendre, sur-le-champ, le chemin de Tournebut, par Saint-Sylvain et Lisieux ; puis, entraînant à travers les rues désertes Lefebvre qui monta chez lui pour y chercher les trois mille francs provenant du vol du 7 juin, elle gagna le Val-d'Ante et s'engagea sur la route de Caen. La nuit était très sombre ; la tempête avait cessé, mais la pluie tombait sans discontinuer. Sur le chemin défoncé, la vieille marquise avançait, s'obstinant contre la fatigue, s'arrêtant parfois pour s'assurer qu'elle n'était pas dépistée. Lefebvre, pris de peur à son tour, hâtait le pas à côté d'elle, pliant sous le poids de son porte-manteau rempli d'écus : tous deux allaient sans parler ; c'était cette interminable route qu'avait suivie, le jour du vol, le chariot portant la recette d'Alençon et ce souvenir devait rendre plus tragique encore cette marche effarée dans la nuit. L'aube pointait à peine quand les fugitifs traversèrent le bois du Quesnay ; au hameau de Langannerie, ils quittèrent la route et prirent la traverse de Bretteville-le-Rabet. Il faisait maintenant grand jour ; les granges s'ouvraient, les gens s'étonnaient du passage matinal de ce couple étrange qui semblait avoir marché toute la nuit ; la marquise surtout intriguait avec ses cheveux collés aux tempes, sa jupe trempée d'eau et ses brodequins couverts de boue. On n'osa pourtant les questionner. A six heures du matin, Mme de Combray et son compagnon atteignirent le bourg de Saint-Sylvain, à cinq grosses lieues de Falaise. Si Mme Acquet était parvenue à quitter Noron, c'était là qu'on devait la rencontrer. A l'auberge où Lefebvre s'informa, personne n'avait paru. On attendit pendant deux heures, que le notaire employa à s'assurer d'une charrette pour continuer la route vers Lisieux. Un paysan consentit à conduire les voyageurs moyennant 15 francs payés d'avance, et, vers huit heures, Mme Acquet n'arrivant pas, ils se décidèrent à partir. Un peu plus loin, à Croissanville, on fit halte, et Lefebvre, tout en déjeunant, écrivit une lettre à l'adresse de Lanoë pour lui recommander instamment de se mettre à la recherche de Mme Acquet et de l'exhorter à rejoindre au plus tôt sa mère à Tournebut. Le reste du voyage se passa sans incident. On arriva à Lisieux pour l'heure du souper et on y passa la nuit. Le lendemain matin, Mme de Combray prit, sous un faux nom[62], deux places dans une voiture publique qui partait pour Évreux où l'on débarqua le soir. Les fugitifs avaient là un asile, rue de l'Union, près le grand séminaire, chez un ancien chouan, nommé Vergne, qui avait été dans les ordres ayant la Révolution et qui s'était établi médecin depuis la pacification. Le jour suivant, Mme de Combray et Lefebvre se procurèrent une carriole dans laquelle ils firent les cinq lieues qui séparent Évreux de Louviers. Ils mirent pied à terre avant d'entrer dans la ville, car la marquise voulait éviter l'hôtel du Mouton où elle était connue. Ils gagnèrent donc, par des rues détournées, le pont de l'Eure et trouvèrent à louer, dans une auberge du faubourg, un cabriolet qui les déposa, à la nuit tombante, au hameau du Val-Tesson. Ils étaient là à une lieue de Tournebut qu'ils pouvaient atteindre en passant par les bois ; niais n'allait-on pas y trouver les gendarmes ? La fugue de Mme de Combray à Falaise, à Bayeux et à Caen, pouvait avoir éveillé les soupçons et attiré sur sa maison la surveillance de la police. Il était neuf heures du soir quand, après une heure de marche, elle parvint à la hauteur de l'Ermitage ; elle crut prudent d'expédier Lefebvre en éclaireur ; elle l'accompagna jusqu'à la grille et le laissa s'aventurer seul vers le château. Tout paraissait y être au calme : le notaire pénétra dans la cuisine où il trouva une fille d'ouvrage qui prévint aussitôt Soyer, l'homme de confiance ; et Mme de Combray ne se montra tout à fait rassurée que quand celui-ci vint, en personne, lui ouvrir une porte du jardin : elle put ainsi se glisser, sans être vue, jusqu'à sa chambre[63]. |
[1] Jean-Charles Lefebvre, trente-six ans (en 1808), né au Fresne, arrondissement de Caen. Il était notaire à Falaise depuis 1804. Auparavant, il avait été clerc chez Me Poignant, à Caen, et chez Me Delencontre, à Falaise ; puis notaire à Argences. Archives nationales, F7 8171.
[2] Hyacinthe-François Allain, quarante-deux ans (en 1807). Il était né à Appeville, dans la Manche. Archives nationales, F7 8170.
[3] Interrogatoire du notaire Lefebvre, 4 août 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[4] Interrogatoire de Harel. F7 8171.
[5] Charles-François Michel, vingt-six ans, charpentier, dit le Grand-Charles.
[6] Son véritable nom était Grenthe.
[7] Le Héricey, dit la Sagesse, dit Gros Pierre, vingt-huit ans, charpentier.
[8] Gabriel Lebrée, dit la Cheinaye, dit Fleur d'Epine, vingt-quatre ans, charpentier.
[9] Jacques-Louis-Marie Le Lorault, dit la Jeunesse.
[10] Allain, qui couchait avec eus, était le seul qui eût un matelas : pendant le jour, il tenait avec Le Chevalier de longues conférences. D'Aché même serait venu s'y joindre quelquefois. Interrogatoire de Cœur de Roi. 2 octobre 1807. Archives nationales, F7 8170.
[11] Déposition de Jean-François Chalange. Archives nationales, F7 8171.
[12] Bornet venait quelquefois à notre chambre et nous disait : Eh bien, avez-vous bien prié, le Bon Dieu ? Interrogatoire de P.-F. Haret. Archives nationales, F7 8171.
[13] Lefebvre avait acheté ces fusils d'un nommé Dusaillant, à Falaise. Archives nationales, F7 8170.
[14] Archives nationales, F7 8171.
[15] Déclaration de Mme Acquet, 20 décembre 1807. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[16] Déposition de P.-F. Harel. Archives nationales, F7 8171.
[17] Déposition de P.-F. Harel. Archives nationales, F7 8171.
[18] Rapport du préfet de la Seine-Inférieure, 26 février 1808. F7 8172.
[19] Interrogatoire de Grenthe, dit Cœur de Roi, 2 octobre 1807. Archives nationales, F7 8170.
[20] Déposition de Chevalier, aubergiste à Aubigny. Archives nationales, F7 8172.
[21] Acte d'accusation. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[22] Outre les quatre fusils apportés de Donnay, le notaire en avait acheté d'autres à un ancien chouan de Falaise nommé Courmaceul. On assure qu'il les avait payés douze louis chacun. Archives nationales, F7 8170.
[23] Acte d'accusation et déposition de Chevalier, aubergiste à Aubigny.
[24] Acte d'accusation et déposition de Chevalier, aubergiste à Aubigny, et rapport du préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8172.
[25] Déposition de Chevalier, aubergiste à Aubigny.
[26] Déposition du sieur Lapeyrière. Archives nationales, F2 8172.
[27] Interrogatoire de Jean Gousset. Archives nationales, F7 8172.
[28] Près du hameau de Saint-Loup.
[29] Hébert me dit : Te voilà bien arrivé pour m'aider à faire le reposoir... Le lendemain, toute la journée, on m'a vu à Donnay soit à travailler au reposoir, soit à l'office. Interrogatoire de Lanoë. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[30] Lanoë, qui déposa du fait, assure que Mme Acquet était, à ce moment, accompagnée de trois personnes. Une chose assez remarquable, c'est que Lanoë qui passa, pour retourner à Glatigny, à moins d'un quart de lieue du bois du Quesnay et précisément au moment où avait lieu le combat, s'est défendu d'en avoir rien entendu.
[31] Allain, avançant la tête hors du fourré, aperçut le camion et eut un instant d'hésitation. Dusaussay ne lui avait annoncé que trois chevaux et l'attelage qui se présentait en comprenait quatre. Mais il reconnut, au signalement qu'il lui en avait donné, le petit chien de Gousset et il se renfonça dans le bois en criant à ses compagnons : C'est bien cela. Interrogatoire de Pierre-François Havel. Archives nationales, F7 8171.
[32] Interrogatoire de P.-F. Harel. Archives nationales, F7 8171. Déclaration de Jean Gousset. Archives nationales, F7 8172. Rapport du préfet du Calvados à Réal. Archives nationales, F7 8172. Rapport du préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8172. Procès : acte d'accusation ; interrogatoire de Flierlé. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[33] Rapport du préfet du Calvados, 9 juin 1807. — Lettre du général Moncey, inspecteur général de la gendarmerie au ministre Fouché, 14 juin 1807. Archives nationales, F7 8172.
[34] Archives nationales, F7 8172.
[35] Exactement 63.076 fr. 85. Rapport du préfet du Calvados.
[36] D'après le premier rapport du préfet du Calvados à Réal, en date du 9 juin, la troupe des brigands aurait été, en effet, composée de douze personnes, dont deux de très petite taille ayant environ cinq pieds. Nous savons, cependant, à n'en pouvoir douter, qu'Allain et Flierlé n'avaient enrôlé que six compagnons. Quatre complices seraient-ils donc venus, en amateurs, prendre part à l'action ? Et cette question nous reporte à la déposition de Lanoë qui, vers huit heures du soir, rencontra, le 7 juin, Mme Acquet et trois autres personnes aux environs du bois du Quesnay. L'une de ces personnes était la fille Dupont : mais les deux autres ? Hébert et Joseph Buquet, peut-être. Si Mme Acquet amena, au dernier moment, ce renfort à Allain, et qu'elle voulut assister au pillage de la voiture, sa présence et celle de la fille Dupont expliqueraient la très petite taille que le rapport de Caffarelli attribue à deux des compagnons d'Allain. Notons, en outre, que, le 16 septembre suivant, Réal écrivait à M. le préfet du Calvados, à lui seul, qu'il était démontré que Mme Acquet de Férolles avait participé au vol du 7 juin. Archives nationales, F7 8170.
[37] Interrogatoire de Flierlé. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[38] Rapport du préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8172 et Acte d'accusation.
[39] Allain distribua à ses compagnons et je pris moi-même 200 francs dans un mouchoir. Interrogatoire de Flierlé. Un rapport du préfet de la Seine-Inférieure à Réal assure que chacun des bandits ne reçut que 50 francs. Archives nationales, F7 8172.
[40] Interrogatoire de François-Jean Hébert. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[41] Interrogatoire de François-Jean Hébert. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[42] J'eusse écrit sur-le-champ aux gendarmes pour les inviter à faire la visite... mais j'écrivis seulement le lendemain qui était le 11, et quoique ma lettre fut remise dès ce même jour, la visite ne se fit que le dimanche 14. Déclaration d'Acquet de Férolles. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen. Acquet commet ici une erreur : c'est le vendredi 12 qu'eut lieu la perquisition : la lettre de Caffarelli qui en rend compte à Réal est datée de Caen, 13 juin 180'7. On peut encore citer cet aveu, fait par lui-même, de l'odieuse délation dont Acquet se rendait hypocritement coupable : C'est à moi qu'on doit la découverte du repaire des voleurs dans le château de Donnay : c'est moi qui ai écrit an. brigadier de la gendarmerie pour provoquer la visite. Et quand Acquet écrivait cette lettre au ministre de la police (14 décembre 1807) sa femme était depuis deux mois arrêtée, et il savait, par conséquent, qu'il l'accusait ainsi personnellement.
[43] Lettre du préfet du Calvados à Réal. Archives nationales, F7 8172.
[44] J'envoie sur les lieux Mangin : personne n'est plus en état que lui de réussir à raison surtout des relations qu'il peut y avoir entre ces bandits et ceux qui ont commis, dans l'Eure, des délits semblables. Note de Réal à Fouché. Archives nationales, F7 8172.
[45] François Manginot, né le 30 mars 1752, à Dieulouard (Meurthe), était en 1807 capitaine de gendarmerie à Evreux. Ses noies étaient ainsi conçues : des moyens, de la conduite, de la tenue, très actif, servant bien et faisant bien servir ; assez adroit pour les captures. Archives du ministère de la guerre.
[46] Le 11 juillet 1807. Archives nationales, F7 8172.
[47] Archives nationales, F7 8172.
[48] Caen, le 1er juillet 1807. Cette nuit, entre onze heures et minuit, le sieur Acquet de Férolles a été déposé à la maison d'arrêt de cette ville. Lettre de Caffarelli à Réal. Archives nationales, F7 8170.
[49] L'entrevue avait eu lieu le 24 juin. Interrogatoire de Lefebvre. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[50] Nous n'entrâmes point dans l'auberge ; nous nous assîmes sur l'herbe et ma fille me dit : — Sauvez-moi, maman, sauvez-moi — me doutant bien de quoi elle était coupable à cause de ses relations avec Le Chevalier, je lui dis : — Qu'avez-vous fait, ma fille ? — elle me répondit. — C'est par l'ordre de M. d'Aché. Je repartis sur le champ : — Cela ne se peut pas, il en est incapable. C'est un homme d'honneur. Elle persista à dire que c'était par son ordre. L'instant du départ de la voiture arriva et nous repartîmes... à Falaise je couchai chez une de mes parentes, Mme Trepré (sic) qui était absente.
Interrogatoire de Mme de Combray. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[51] Lefebvre voulut se justifier en disant que c'était par l'ordre de M. Deslorières. Je lui repartis que cela n'était pas ; que je connaissais trop bien ses principes. Il me répliqua — Madame, je puis vous assurer que c'est par son ordre : depuis que vous l'avez vu il a pu changer de façon de penser : les circonstances ne sont plus les mêmes. Ma fille tenait le même langage et je ne savais quo répondre, quoique je penchasse toujours à croire que cela n'était pas. Lefebvre et ma fille, pendant mon séjour à Falaise, me sollicitèrent et particulièrement Lefebvre, à leur aider à transporter l'argent provenant du vol... Je leur fis voir le danger auquel je m'exposais ; mais étant seule avec ma fille, elle se jeta dans mes bras en fondant en larmes ; je ne pus résister à ses sollicitations.
— Interrogatoire de Mme de Combray. Archives du greffe de a Cour d'assises de Rouen.
De son côté Lefebvre déposa : — La déclaration de Mme de Combray est inexacte. Je n'eus besoin d'employer aucunes prières ni instances vis-à-vis d'elle pour l'engager de transporter des fonds à Caen. Elle consentit sans aucune difficulté ni observations contraires et parut même très satisfaite de la tournure que prenaient les choses.
Interrogatoire de Lefebvre. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[52] Interrogatoire de Lefebvre. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[53] Interrogatoires de Guillaume, dit Lanoë. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[54] Cette somme fut apportée le soir et Mme de Combray la fit charger sur une petite voiture et aida même à la placer. Déclaration de Mme Acquet de Férolles, 9 octobre 1807. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[55] Interrogatoire de Lanoë, 4 septembre 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[56] Interrogatoires de Lanoë, de Mme Combray, de Guillaume, dit Lanoë, passim. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[57] Interrogatoire de Guillaume, dit Lanoë. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[58] Etant avec Lanoë qui portait mon paquet, je lui dis : C'est une bande de coquins, il ne faut pas se mêler d'eux. Il m'observa qu'il ne voulait pas laisser sa voiture ni ses chevaux ; je l'approuvai et lui dis de les reprendre et de les conduire à son auberge accoutumée. Interrogatoire de Mme de Combray. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[59] — D. Qu'est-ce que le sieur d'Aché vous a dit lorsque vous lui parlâtes des vols de la diligence ? — R. Il m'assura qu'il n'y était pour rien et qu'il était toujours digne de mon estime. — D. A votre retour de Bayeux, avez-vous dit à votre fille et à Lefebvre que vous aviez vu d'Aché ? — R. Non, je m'en suis bien gardée : je les ai laissés dans la persuasion où ils étaient qu'il était en Angleterre. Interrogatoire de Mme de Combray. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[60] Nous conservons les termes mêmes du récit de Lanoë. Interrogatoires. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[61] Interrogatoires de Mme de Combray, 21 août 1807, 11 avril 1808 ; de Guillaume, dit Lanoë, 2 septembre 1808 ; du notaire Lefebvre, 7 janvier et 4 août 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[62] — Mme de Combray me dit, dans la voiture, qu'elle avait pris un autre nom qu'elle me désigna pour m'en servir si je lui parlais, mais je ne m'en rappelle point ; je ne sais pas trop, cependant, si ce n'était pas Mirza. Interrogatoire de Lefebvre. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.
[63] Interrogatoires de Mme de Combray et du notaire Lefebvre. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.