LA CHOUANNERIE NORMANDE AU TEMPS DE L'EMPIRE

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE IV. — D'ACHÉ.

 

 

Le domaine de Donnay, situé à trois lieues de Falaise sur la route d'Harcourt, était une de ces terres dont Acquet de Férolles avait usurpé la possession, sous couleur de les soustraire au fisc et de prendre en mains la gérance des biens de son beau-frère Bonnœil, émigré. Or, celui-ci était depuis longtemps rentré en jouissance de ses droits civils et Acquet ne lui cédait pas la place : ce terrible homme, agissant au nom de sa femme comme créancier de la succession de feu M. de Combray[1], avait engagé contre ses beaux-frères toute une série de procès ; il s'était révélé si habile procédurier qu'il était parvenu, bien que Mme Acquet eût depuis longtemps formé contre lui une demande en séparation, à vivre sur les biens des Combray où il se maintenait comme en pays conquis, au moyen de tout un arsenal de textes, tirés, suivant l'occasion, de l'ancien droit coutumier de Normandie, des lois révolutionnaires ou du Code Napoléon. Traiter ces questions, dans le détail, serait fastidieux et inutile : il suffira de savoir qu'à l'époque où nous a conduit notre récit Mme Acquet n'avait, pour toute ressource, qu'une pension de deux mille francs que lui avait allouée, à titre de provision, un jugement du 1er août 1804. Elle vivait seule à Falaise, dans l'hôtel de Combray, rue du Tripot, assez vaste immeuble composé de deux corps de logis dont l'un se trouvait' vacant par l'absence de Timoléon, fixé à Paris. Mme de Combray s'était chargée de subvenir à l'entretien de ses petites-filles : elles avaient été reléguées à Rouen, dans une pension tenue par une dame Du Saussay[2].

Prévoyant bien que cette situation ne serait pas éternelle, Acquet, en dépit des réclamations à maintes reprises formulées par Bonnœil, avait continué à ravager la terre de Donnay, pour en tirer profit immédiat, coupant les bois, débitant en fagots les charmilles, abattant les hêtres centenaires ; le château lui-même, dont la façade s'allongeait naguère au bout de solennelles avenues, avait souffert de ses dévastations ; ce n'était plus qu'une masure, aux portes battantes, au toit effondré où Acquet s'était réservé un logement, abandonnant le reste aux ravages des saisons et du temps. Rembuché dans cette ruine comme un fauve dans sa bauge, il ne supportait aucune atteinte à ce qu'il appelait ses droits. Mme de Combray ayant voulu en 1803, passer le temps des moissons dans ce château où s'étaient écoulées ses années heureuses, où tous ses enfants avaient été élevés, il l'en avait fait expulser par huissier, et la marquise s'était réfugiée au presbytère du village, vendu comme bien national lors de la Révolution, et qu'elle avait racheté de compte à demi avec la commune pour le rendre à son ancienne destination[3]. Comme aucun desservant n'avait encore été nommé, elle put s'installer là, tant bien que mal, à la grande colère de son gendre qui considérait cette intrusion comme une bravade.

Deux ans plus tard, Mme de Combray n'avait pas à Donnay d'autre asile et c'est à ce presbytère, toujours inoccupé, qu'elle amena d'Aché ; ils y arrivèrent le 17 juillet au soir. Il ne pouvait être question, pour le proscrit, d'un long séjour dans cette maison très en évidence et sans cesse exposée à l'espionnage haineux d'Acquet. Il y demeura, cependant quinze jours, ne se cachant pas, chassant même[4] et recevant quelques visites, celle de Mme Acquet, entre autres, qui vint de Falaise pour voir sa mère et qui rencontra là d'Aché pour la première fois. Au commencement d'août, celui-ci quittait Donnay et Mme de Combray l'accompagna jusqu'au château d'un voisin de campagne, M. Descroisy[5], où il passa une nuit ; au petit jour, il s'éloigna à cheval dans la direction de Bayeux. Mme de Combray seule était dans la confidence du lieu où il se retirait.

D'Aché avait dans la région, le choix de plusieurs asiles. Il était particulièrement lié avec la famille Duquesnay de Montfiquet, qui habitait Mandeville près de Trévières. M. de Montfiquet, gentilhomme d'une grande loyauté, mais parfaitement insignifiant, ayant émigré au début de la Révolution, sa terre de Mandeville avait été mise sous séquestre, son château pillé et en partie démoli. Mme de Monfiquet, femme de tête et d'énergie, restée sans ressources avec ses six filles, s'était réfugiée chez les d'Aché, à Gournay, où elle passa tout le temps de la Terreur[6]. Mme d'Aché garda même auprès d'elle, pendant cinq ans, une des jeunes filles, Henriette, qui était disgraciée et bossue, mais d'une intelligence remarquable.

M. de Montfiquet, revenu de l'étranger en l'an VII[7], avait tant bien que mal reconstitué son petit domaine de Mandeville : il y vivait pauvrement avec les siens dans l'espoir du retour de la monarchie qui ramènerait des jours meilleurs. Tous ces motifs assuraient là, à d'Aché, non seulement un abri sûr, mais un concours de tous les instants ; le très petit nombre de personnes au courant de ce qui se passait à Mandeville étaient persuadées que Mlle Henriette avait sur le proscrit une grande influence et qu'elle était, depuis longtemps, sa maitresse[8]. De l'avis unanime, elle recevait toutes ses confidences et le servait en admiratrice passionnée. De fait, elle lui avait ménagé, pour les cas d'alerte, d'autres retraites aux environs de Trévières : l'une au moulin de Dungy, l'autre chez M. de Cantelou à Lingèvres ; une troisième enfin, chez un tanneur de Bayeux, nommé la Péraudière. Et, pour l'escorter dans ses expéditions, elle avait recruté un homme d'une audace inouïe qui brigandait depuis dix ans dans la région ; il avait à venger la mort de ses cieux frères, tombés dans un guet-apens et fusillés à Bayeux en 1796 ; on l'appelait David l'Intrépide. Dix fois condamné à mort et certain d'être immédiatement fusillé s'il était pris, David n'avait pas de domicile ; par les nuits de tempête, il s'embarquait clans un canot qu'il conduisait et, sûr de n'être pas rejoint, il gagnait l'Angleterre où il servait de commissionnaire aux émigrés ; on assure même qu'il n'était pas sans influence dans l'entourage du comte d'Artois[9]. Quand il séjournait en France, il logeait chez une vieille dame, ancienne gouvernante d'un conseiller au Parlement de Normandie[10], qui habitait seule un ancien hôtel de Bayeux et à qui Mlle Henriette de Montfiquet l'avait recommandé. David n'y tenait pas grand'place ; quand il arrivait, il faisait basculer cieux marches de l'escalier machinées à son idée, se glissait dans une cavité que cette manœuvre découvrait et remettait la chose en place ; toute la gendarmerie du Calvados aurait pu monter au premier étage et en redescendre sans se douter qu'un homme était caché dans la maison où, d'ailleurs, on ne le chercha jamais[11].

Tels étaient les moyens et le personnel dont disposait d'Aché[12] sur son nouveau terrain d'opérations : une pauvre fille bossue formait son conseil, et son armée se composait de David l'Intrépide. Du reste, il n'avait pas un sou vaillant ; au commencement de l'automne, Mme de Combray lui envoya huit louis par Lanoë, garde-chasse qu'elle avait eu à son service et qui occupait maintenant une petite ferme à Glatigny, près de Bretteville-sur-Dives. Lanoë était le type du paysan rapace que l'appât d'un petit écu rend docile ; jadis il avait servi de guide au baron de Cornu-largue et à Frotté, au temps où Mme de Combray leur offrait asile à Donnay[13] ; il avait même, pour ce fait, paru devant une commission militaire et était resté près de deux ans en prison ; mais la leçon n'avait servi à rien : pour trois francs il faisait dix lieues ; s'il se lamentait sur les dangers auxquels ces missions l'exposaient, on doublait la somme et il partait content. Au milieu d'août, il alla chercher à Mandeville, pour l'amener à Donnay, d'Aché qui y passa dix jours et qui y séjourna encore pendant trois semaines à la fin de septembre[14]. Il devait y revenir en décembre ; mais il vit, à l'heure où il s'apprêtait à s'y rendre, surgir, à Mandeville, Bonnœil en alarmes qui l'avertit de ne pas se montrer : Mme de Combray était accusée d'un crime et sous le coup d'une arrestation...

 

Acquet n'avait pas vu, sans dépit, sa belle-mère s'installer à sa porte : très à l'affût de ce qui pouvait être désagréable à la marquise, il se mit à songer que, si un titulaire était nommé à la cure vacante de Donnay, il faudrait bien le loger au presbytère, dont la commune possédait la moitié, et que cette cohabitation gênerait considérablement Mme de Combray. Cette perspective réjouit Acquet, et comme il avait des amis haut placés, entre autres le baron Darthenay, son voisin de Meslay, récemment désigné comme député du Calvados, il obtint, sans grande peine, la nomination d'un desservant. Peu de jours après, un brave prêtre, nommé l'abbé Clérisse, débarquait à Donnay, très disposé à remplir saintement les devoirs de son ministère, et bien éloigné de prévoir le sort tragique auquel il était destiné

Mme de Combray avait pris ses aises au presbytère qu'elle considérait un peu comme sa propriété personnelle, puisqu'elle en avait payé la moitié ; elle se vit forcée de céder une partie de l'immeuble, ce qui l'aigrit, dès l'abord, contre le nouvel arrivant. De son côté, Acquet fit fête à son protégé, le reçut chaleureusement, le mit en garde contre les agissements de la marquise, qu'il dépeignit comme une ennemie acharnée du gouvernement réparateur auquel la France devait le Concordat. L'abbé Clérisse, obligé par la disposition du local à faire presque ménage commun avec Mme de Combray, ne tarda pas à s'apercevoir de l'allure louche de la maison : c'étaient des conciliabules à voix basse, des visiteurs admis la nuit et disparus au petit jour, des allées et venues mystérieuses, bref, tout le train d'une maison de conspirateurs, si bien qu'un jour l'honnête curé prit à part Lanoë et lui prêcha la prudence lui prédisant de graves ennuis s'il ne quittait au plus tôt le service de la marquise[15]. Mme de Combray, exaspérée, traita l'abbé de concordataire, injure qui, dans sa bouche, signifiait renégat ; elle eut l'imprudence d'ajouter que le règne de l'usurpateur ne durerait pas toujours, et que les princes viendraient bientôt, à la tête d'une armée anglaise, remettre les choses en place. Et, dans sa colère elle quitta avec éclat le presbytère pour aller demander asile à son fermier, Hébert[16], logé dans un tournebride qui servait de cabaret, à la rencontre des routes d'Harcourt et de Cesny, et qu'on appelait la Bijude. Acquet triomphait ; l'abbé, stupéfait, se tenait coi, quand le malheur voulut qu'il tombât malade, se mît au lit et mourût après quelques jours d'indisposition. Le bruit circula, venant du château, que Mme de Combray l'avait tué de chagrin ; puis on se parla, à l'oreille, d'un certain panier de vin blanc dont elle aurait fait cadeau au pauvre prêtre ; huit jours plus tard, tous ceux qui tenaient pour Acquet étaient persuadés que la marquise avait empoisonné l'abbé Clérisse[17] après l'avoir imprudemment admis dans ses confidences[18]. L'émotion fut grande au village ; Acquet louait la consternation ; l'autorité prévenue par lui, sans nul doute — commençait une 'enquête, quand M. de Saint-Léonard, neveu de la marquise, maire le Falaise et très bien en Cour, parvint à étouffer l'affaire et à imposer silence aux malveillants.

Cette première passe du duel engagé entre Acquet de Férolles et la famille de Combray avait eu pour résultat d'interdire à d'Aché la maison de sa vieille amie : se sentant aux prises avec un ennemi toujours aux aguets, elle n'osait exposer à une dénonciation l'homme sur la tête duquel reposait le sort de la monarchie. D'Aché, de tout l'hiver, no parut pas à la Bijude ; Mme de Combray y vivait seule avec son fils Bonnœil et son fermier Hébert : elle avait fait repeindre et approprier la maison ; mais elle souffrait de se voir logée si mesquinement et regrettait les hautes salles et la quiétude de Tournebut. Au commencement du carême de 1806, elle envoya une dernière fois Lanoë à Mandeville pour convenir avec d'Aché d'un moyen de correspondance et elle reprit, avec Bonnœil, 'a route de Gaillon, déterminée à ne plus remettre le pied sur ses terres de Basse-Normandie tant que son gendre y régnerait en maitre, et bien persuadée que le prochain retour du roi la vengerait des humiliations qu'elle venait d'y supporter. Elle était, d'ailleurs, brouillée avec sa fille qui n'était venue à Donnay que deux fois pendant le séjour de sa mère où elle n'avait manifesté qu'une admiration très mitigée pour les projets (le d'Aché et avait paru se désintéresser complètement des tracas suscités à la marquise et de son exode à la Bijude.

Si Mme Acquet de Férolles s'en désintéressait, en effet, c'est qu'un grand événement s'était passé dans sa vie.

Acquet savait bien que le procès en séparation intenté par sa femme se terminerait inévitablement au profit de la demanderesse : les mauvais traitements qu'elle avait endurés étaient de notoriété publique ; tout le monde, à Falaise, la plaignait et prenait son parti. Ce procès perdu était, pour Acquet, la fin de la plantureuse existence qu'il menait à Donnay et, non seulement il eut voulu gagner du temps, mais il souhaitait secrètement que sa femme mît de son côté quelques torts bien établis et fit ainsi regagner, à lui, défendeur, sinon les sympathies, du moins une chance de voir repousser la demande en séparation qui causait sa ruine. Pour mener à bien cette machiavélique combinaison, il manifesta l'intention d'entrer en arrangement avec la famille de Combray et il dépêcha à Mme Acquet un de ses amis chargés de poser les bases d'une transaction. Cet ami, nommé Le Chevalier, était un beau garçon de 25 ans[19], aux cheveux noirs, au teint mat, aux dents blanches. Il avait les yeux tendres, la voix chaude et, par surcroît, une tournure élégante, une bonne humeur inépuisable, malgré son air mélancolique, et une audace à toute épreuve. Comme il était propriétaire d'une ferme dans la commune de Saint-Arnould, aux environs d'Exmes, on l'appelait le Chevalier de Saint-Arnould, ce qui lui donnait l'allure d'un gentilhomme. Il était, d'ailleurs, bien apparenté et de famille touchant à la noblesse.

Le Chevalier est resté un des personnages les moins étudiés de l'histoire des troubles de l'Ouest : ses aventures, pourtant, méritent mieux que les quelques lignes, souvent erronées, que lui ont parcimonieusement consacrées certains chroniqueurs de la Chouannerie. C'est une figure très spéciale, copieusement romanesque, un peu énigmatique comme il convient, et qui tranche, par une nuance de galanterie et de scepticisme, sur le fond uniformément héroïque et brutal du tableau[20].

Né généreux et amoureux de gloire, ainsi qu'il le disait lui-même, il était le fils d'un conseiller garde-marteau de la maîtrise des eaux et forêts de Vire. Un séjour de plusieurs années à Paris, où il reçut les leçons de maîtres de toute sorte, tant pour les sciences que pour les beaux-arts et les langues étrangères[21], avait complété son éducation. Il était rentré à Saint-Arnould en 1799, fort embarrassé du choix d'une carrière, lorsqu'une rencontre avec Picot, chef de division du pays d'Auge, dont nous avons conté la mort aux premières pages de ce récit, décida de sa vocation : Le Chevalier se fit officier royaliste, non point tant par conviction que par un sentiment de générosité qui le portait du côté des vaincus et des opprimés. Dès les premiers jours de son enrôlement, un coup de feu lui fracasse le bras gauche[22] ; à peine guéri de sa blessure, il se remet en campagne, est compromis dans une arrestation de diligence : on emprisonne trois de ses amis ; lui-même, arrêté, parvient à prouver que, le jour même où l'attaque avait lieu aux environs d'Evreux, il rendait visite, à Paris, à un sénateur très ami du pouvoir, et les magistrats durent s'incliner devant cet indiscutable alibi. Le Chevalier pourtant voulut comparaître devant le tribunal qui jugea ses compagnons et plaida leur cause avec l'éloquence de l'amitié la plus pure et la plus héroïque ; même quand il entendit prononcer leur condamnation à mort, il demanda, dans un élan d'émotion qui émerveilla, à partager leur échafaud. On se contenta de l'envoyer dans les prisons de Caen d'où il sortit au bout de quelques mois, pour rester, à Caen même, sous la surveillance de la police, et c'est alors que son existence devint une extravagante épopée.

Il se trouvait maître d'une fortune assez importante : sa chevaleresque conduite à l'affaire d'Evreux lui avait valu, dans le monde de la Chouannerie, une célébrité telle que, sans le connaître autrement que de renom, Mme de Combray avait traversé la Normandie pour venir, comme bien d'autres dames royalistes, visiter le héros dans sa prison et lui offrir ses services : il eut des admiratrices qui l'adulaient et des flatteurs qui l'exploitèrent ; comment cette tête, un peu chaude, de vingt ans aurait-elle résisté à de telles griseries en cette étrange époque où les plus sages déraisonnaient ? Du moins sa folie fut-elle généreuse.

A peine hors de prison, apitoyé par la misère des chouans amnistiés, véritables parias dont les bandes affamées vivaient d'expédients ou d'aumônes, il prend à sa charge les royalistes sans aveu de tous les partis, les nourrit, les loge, les entretient, toujours suivi d'une douzaine de ces parasites dont la troupe dépenaillée encombrait le café Hervieux, où il tenait sa cour et où traînaient, en outre, des maîtres d'anglais, de mathématiques et d'escrime qu'il avait à sa solde et dont il recevait les leçons entre deux parties de pharaon.

Le Chevalier avait le cœur ardent, la bourse toujours ouverte ; il parlait facilement et avec le ton du barreau. Il apportait à ses affections une sorte d'exaltation passionnée : il apprit, en prison, la mort d'un de ses amis, Gilbert, guillotiné à Evreux, et, comme quelqu'un le félicitait de sa prochaine mise en liberté, il répondait : — Ah ! mon bon camarade ! Etait-ce une lettre de félicitations qu'il fallait m'écrire ? Mon cœur vous est-il si peu connu et ne savez-vous pas combien je chérissais Gilbert ? Oui, le bonheur de mes jours est à jamais détruit ; rien ne peut remplir le. vide de mon cœur... J'ai vécu... Oh ! bien trop ! Ô devoirs divins de l'amitié et de l'honneur, que mon cœur brûle de vous satisfaire ! Ô moment de l'anéantissement ou de l'éternité, que vous me semblerez doux quand je les aurai remplis ! Telle était la manière de Le Chevalier, et cette affectation détonnait singulièrement dans le monde où il vivait ; son opulence relative, sa générosité, un certain mystère qui planait sur sa vie lui donnaient, sur les chefs les plus populaires, une sorte d'avantage : on savait qu'il rêvait de projets gigantesques et ses partisans le considéraient comme étant de taille à accomplir de grandes choses.

En réalité, Le Chevalier dépensait sans compter son patrimoine qui se trouva bientôt singulièrement réduit[23] : la caisse du parti dont un ancien officier de Frotté, Bureau de Placène, s'intitulait pompeusement le trésorier général, la caisse du parti étai t vide et, pour la remplir, des instructions venues de haut, sans qu'on sût nettement de qui elles émanaient, recommandaient aux fidèles le pillage des caisses de l'Etat. Le Chevalier, dont la manière de vivre avait peu à peu détendu la surveillance de la police, en profitait pour faire de rapides absences. Certains avaient remarqué que chacune de ses fugues coïncidait ordinairement avec une arrestation de diligence, chose fréquente en Normandie à cette époque et considérée par tout le parti comme jeu de bonne guerre ; la plupart du temps, d'ailleurs, l'exploit n'était pas de nature à éveiller grands scrupules, le conducteur de la voiture, et souvent aussi sou escorte, étant de complicité avec les chouans on tirait seulement quelques coups de fusil ou de pistolet pour simuler un combat ; les uns ouvraient les caisses, tandis que d'autres faisaient le guet ; on partageait jusqu'au dernier sou l'argent du gouvernement, en ayant soin de replacer dans les coffres celui appartenant aux particuliers ; quelques heures plus tard la bande rentrait à Caen et les réunions bruyantes du café Hervieux n'étaient même pas interrompues.

Ce qui, en dépit de ces équipées que personne, d'ailleurs, ne jugeait déshonorantes, rend particulièrement attachante la figure de Le Chevalier, c'est la douleur intime et profonde qui assombrissait sa vie d'aventures. Il avait épousé en 1801 — à 21 ans, alors qu'il était détenu à Caen — une jeune fille un peu plus âgée que lui, Lucile Thiboust, dont le père avait été directeur des domaines[24]. Il lui fallait s'échapper de sa prison pour passer quelques rares heures auprès de sa femme qu'il chérissait d'autant que le plus souvent son amour était réduit à s'exhaler en lettres brûlantes et non dénuées de littérature. C'est en prison qu'il apprit la naissance d'un fils né de cette intermittente union, et, huit jours plus tard, la mort de la femme adorée qui l'avait rendue père. Son chagrin fut immense ; il se mit à aimer son enfant de toutes les forces de son âme exaltée, et, de ce jour, on peut affirmer qu'il n'eut plus, à proprement parler, d'autre affection. Il avait vécu si vite qu'à vingt-trois ans il était lassé de l'existence ; sa seule préoccupation était l'avenir de son fils qu'il avait confié aux soins d'une brave femme, nommée Marie Hamon ; il traçait, pour ce bambin au maillot, une règle de conduite — qu'il fuie la corruption, la séduction et toutes les passions honteuses et violentes ; qu'il soit ami comme on l'était dans l'ancienne Grèce, amant comme on fut dans l'antique Gaule[25]...

Au résumé, ses exploits, sa captivité, ses malheurs intimes, sa faconde, son courage et sa belle prestance faisaient de Le Chevalier un héros de roman et voilà l'homme qu'Acquet de Férolles jugea bon de décocher à sa femme. Sans doute l'avait-il connu par l'intermédiaire de quelqu'un de ses anciens compagnons de chouannerie ; il le reçut à Donnay, lui prêta, pour se l'attacher d'assez fortes sommes que Le Chevalier distribuait aussitôt à la meute de parasites qui ne le quittait pas[26] : Acquet lui fit confidence des projets de séparation dont le menaçait sa femme et le pria d'user auprès d'elle de sa séduisante éloquence pour parvenir à un arrangement amiable.

On manque de renseignements sur la façon dont s'acquitta de sa mission ce conciliateur que, sans son mari, la pauvre femme n'aurait jamais connu. Elle s'était donnée, autant par inexpérience que par surprise, à un homme qui, pendant cinq ans, t'avait martyrisée ; elle vivait à Falaise dans un isolement dont s'accommodaient mal son besoin de tendresse et sa nature impressionnable ; le personnage qui surgissait dans sa vie répondait si bien à l'idée qu'elle se faisait d'un héros ; il était si beau si brave, si généreux ; il parlait avec tant de douceur et de politesse que Mme Acquet, pour qui ces qualités étaient de surprenantes nouveautés, l'aima, dès le premier jour, d'un amour effréné[27]. Elle s'associa à son existence avec une ardeur qui excluait tout autre sentiment, elle voulut être si bien à lui que, perdant toute retenue, elle adopta son aventureuse façon de vivre, se mêlant aux déclassés qui entouraient son amant et fréquentant avec eux les auberges et les cafés de Caen. Il était parvenu à se soustraire à la surveillance de la police de Caen ; il entreprenait secrètement des voyages à Paris où il avait, disait-il, des amis dans l'entourage même de l'empereur ; il courait les routes de Normandie connu de tous les anciens chouans, causant avec eux du bon temps où l'on faisait la guerre aux Bleus et ne cachant pas que, le jour où il le voudrait, il n'aurait qu'à faire un signe pour voir se ranger autour de lui toute une armée. Il entretenait, au reste, une petite troupe de gens déterminés qui portaient ses messages et composaient son état-major.

Nombre d'indices ne permettent pas de douter que leur grande ressource était l'enlèvement des fonds de l'Etat transportés par les voitures publiques, et c'est de ces butins que s'alimentait la caisse du parti, le trésorier Bureau de Placène étant depuis longtemps blasé sur la provenance des fonds qu'il recevait. Certaines concordances de dates sont singulièrement probantes : ainsi, au commencement de décembre 1805, d'Aché est à Mandeville, chez Montfiquet, si dénué d'argent que Mme de Combray, on l'a vu, lui envoie, par Lanoë, huit louis d'or ; cependant il songe il passer en Angleterre pour en ramener les princes ; une somme importante lui est nécessaire pour disposer son voyage et parer aux éventualités d'une si audacieuse tentative. Mme Acquet est instruite de la situation par sa mère qu'elle est venue voir Donnay, et, le 22 décembre 1805, la diligence de Rouen à Paris est attaquée à la côte d'Authevernes, distante de trois lieues seulement du château de Tournebut. Les voyageurs remarquèrent qu'un des brigands, vêtu d'un costume militaire, et que ses camarades appelaient le Dragon, était plus mince et plus actif que les autres, si bien qu'on l'eût pris pour une femme habillée en homme[28]. La même bande opérait de nouveau, au même lieu, le 15 février 1806 ; ainsi que dans l'affaire précédente, elle disparut, le coup fait, si rapidement qu'on pensa bien qu'une maison des environs lui servait de retraite ; les soupçons se portèrent sur le château de Mussegros[29], situé à trois lieues d'Authevernes ; nul ne songea alors à Tournebut, dont les maîtres étaient absents depuis sept mois. C'est en mars, seulement, qu'y revint Mme de Combray, et c'est en avril que d'Aché., copieusement lesté d'argent, se décidait à franchir le détroit pour porter aux princes les vieux de leurs fidèles provinces de l'Ouest.

 

Depuis qu'il habitait Mandeville, d'Aché n'avait pas perdu son temps. C'était une entreprise délicate que d'organiser, dans les conditions où il se trouvait, un passage offrant quelques chances de réussite. L'embarquement était relativement aisé et David l'Intrépide se chargeait d'y pourvoir : mais il importait surtout d'assurer le retour, et l'abordage clandestin de la côte française, garnie de patrouilles, sillonnée jour et nuit par les douaniers et gardée par des sentinelles sur tous les point- : où un bateau pouvait approcher du rivage, présentait des difficultés presque insurmontables. D'Aché fit choix d'une petite crique, au pied des rochers de Sainte-Honorine, à deux lieues à peine de Trévières. David, qui connaissait tous les côtiers de la région acheta à bon prix la complicité d'une des vigies chargées de la surveillance de la mer[30]. On convint avec cet homme d'un système de signaux qui permettraient de n'aborder qu'en cas d'absolue sécurité.

C'est par une nuit de tempête, à la fin d'avril 1806, que d'Aché prit la mer dans un canot de dix-sept pieds de long que dirigeait seul David l'Intrépide. Après cinquante heures de traversée, ils abordèrent en Angleterre et David regagna aussitôt le large, tandis que d'Aché se mettait en route pour Londres.

On s'imagine aisément quelles devaient être les impressions de ces fanatiques de la royauté lorsqu'ils approchaient de ces princes pour lesquels ils se dévouaient depuis tant d'années, traqués sur la terre de France et poursuivis comme des malfaiteurs, ils se figuraient trouver à Londres l'accueil que méritait leur héroïque fidélité : ils se préparaient à être traités en fils par le roi, en amis par les princes, en chefs par les émigrés qui attendaient impatiemment, avant de rentrer en France, qu'on la leur eût reconquise... La déception était cruelle : ce monde de l'émigration, que ses malheurs et son incommensurable vanité rendaient si facile à duper, avait été victime de tant de faux chouans, d'espions déguisés ou de simples escrocs, tous apportant des plans de restauration, se les faisant payer et s'esquivant pour ne plus reparaître que la méfiance, à la fin, avait pris la place de cette assurance candide des premiers temps : tout Français, arrivant à Londres, était considéré comme un aventurier et, autant qu'on peut lire dans une histoire fermée, car ceux qui tentèrent l'expérience d'une visite aux princes exilés ont respectueusement fait silence sur leur déconvenue,— il semble bien qu'un rapprochement avec l'émigration réservait aux royalistes militants de terribles déboires. D'Aché n'échappa point à cette désillusion, et, quoiqu'il fût resté muet sur les incidents de son séjour à Londres, on sut qu'il y avait été, dès l'abord, mis en prison et que, de cieux mois, il ne put parvenir à approcher le comte d'Artois et moins encore le roi exilé.

M. de la Chapelle, qui était alors le personnage influent de la petite cour d'Hartwel, le fit comparaître, le questionna sur ses projets, s'opposa à ce qu'il fût reçu par les princes[31], mais le mit en rapport avec les ministres du roi George ; tout individu apportant l'idée de quelque machination contre le gouvernement de Napoléon était toujours, chez ces derniers, bien venu et écouté.

Après trois semaines de conférences, on arrêta, pour le printemps de 1807, un débarquement qu'appuierait une levée générale des paysans de l'Ouest. L'attaque simulée de Port-en-Bessin permettrait de s'emparer, par surprise, des îles Tatihou et Saint-Marcouf, ainsi que de Port-Bail, sur la côte occidentale du Cotentin ; la destruction des chaussée, qui défendent la partie basse de la péninsule. assurerait le succès de l'entreprise en isolant Cherbourg, pris à revers et enlevé sans résistance possible. Le corps d'invasion concentré sous les forts de la ville avant là une retraite assurée, descendrait par Carentan sur Saint-Lô et sur Caen à la rencontre de l'armée de paysans et de réfractaires dont d'Aché garantissait le concours ; il se faisait fort de réunir vingt mille hommes ; le gouvernement anglais en offrait tout autant en soldats russes et suédois qu'il se chargeait de transporter sur les côtes de France ; en attendant, alun de parer aux dépenses que nécessiteraient ces préparatifs, un crédit illimité était ouvert à d'Aché sur le banquier Nourry de Caen[32].

Son séjour à Londres dura près de trois mois ; vers la fin de juillet une frégate anglaise le ramenait à la station de l'amiral Saumarez qui le reçut avec de grands égards et fit appareiller, pour le conduire à la côte, un brick de quatorze canons. Quand on fut, la nuit, à quelques portées de fusil du rivage de Saint-Honorine, d'Aché exécuta lui-même les signaux convenus auxquels la vigie de terre ne tarda pas à répondre. Une heure après, le canot de David l'Intrépide accostait le brick anglais et, avant le lever du jour, d'Aché était rentré à Mandeville et faisait partager à ses hôtes la joie que lui causait l'heureux succès de son voyage. Et, tout de suite, on fit des projets : on décida, sur-le-champ, que le château des Montfiquet servirait d'asile au roi durant les premiers jours qui suivraient le débarquement[33]. Huit mois devaient s'écouler avant l'entrée en campagne et ce temps suffisait à d'Aché, l'argent ne manquant pas, pour préparer ses opérations.

Il convient de dire tout de suite que le cabinet anglais, en spéculant sur le fanatisme de d'Aché, comme jadis sur celui de Georges Cadoudal et de tant d'autres, n'était point du tout dans l'intention de tenir ses promesses : sa politique haineuse contre Napoléon lui suggérait cette infamie de stimuler les naïfs royalistes de France par des espérances qu'il était bien déterminé à ne pas réaliser ; il les abandonnait lorsqu'il les voyait engagés au point de ne pouvoir reculer, peu soucieux, d'ailleurs, de les pousser à l'échafaud et désireux seulement d'entretenir en France des agitateurs et de les acculer à une situation désespérée, dans le but de susciter parmi eux quelque assassin qui débarrasserait le monde de Bonaparte. Sans doute est-ce là une des causes de l'obstination des princes exilés à ne point encourager les tentatives (le leurs partisans ; connaissaient-ils le piège tendu à loyauté de ces malheureux ? N'osaient-ils les mettre en garde dans la crainte de s'aliéner le gouvernement anglais ? Payaient-ils de ce prix le loyer d'Hartwel ? Cette histoire des intrigues qui se jouaient autour du prétendant est pleine de mystères, ceux qui y furent mêlés, tels que Fauche-Borel ou Hyde de Neuville s'y perdaient eux-mêmes et il fallut le grand jour de la Restauration pour ouvrir les yeux des principaux intéressés sur certains dévouements qui se trouvèrent n'avoir été que des trahisons.

En ce qui concerne d'Aché, il semble bien certain qu'il ne reçut des princes aucune promesse, qu'il ne fut même pas admis en leur présence et que les ministres anglais, seuls, l'excitèrent à se lancer clans l'extraordinaire aventure où ils avaient bien l'intention de le laisser périr. Ainsi le crédit illimité ouvert chez le banquier Nourry n'était qu'un leurre : tout en laissant croire aux conspirateurs que l'argent ne leur ferait jamais défaut, on limitait d'avance ce crédit à 30.000 francs et cette duplicité indigna jusqu'aux policiers qui, plus tard en eurent la révélation.

dl n'est point facile de suivre d'Aché dans le travail occulte qu'il entreprenait : il apportait tant de .soins et de précautions à échapper à la police qu'il a, du même coup, dépisté la postérité : c'est à peine si quelques jalons permettent de suivre sa trace pendant les trois années qui marquèrent l'apogée de son étonnante existence.

On le trouve d'abord, pendant l'automne de 1806, à la Bijude où Mme de Combray, restée à Tournebut, avait chargé Bonnœil et Mme Acquet d'aller le recevoir. Il s'agissait de lui procurer un porteur d'ordres rompu aux habitudes et aux dangers de la Chouannerie. Mme Acquet avait proposé, pour remplir ces fonctions, un allemand nommé Flierlé[34] que Le Chevalier recommandait. Flierlé s'était distingué dans la Chouannerie ; spadassin émérite, il avait été mêlé à tous les complots. Venu à Paris à l'époque. du 18 fructidor, il y avait reparu au moment où Saint-Réjant préparait sa machine infernale ; il y séjourna de nouveau pendant trois mois lors de la conspiration de Georges. Depuis deux ans il vivait, en attendant quelque nouvel engagement, d'une petite pension sur la caisse royale et, quand les fonds manquaient, il se faisait héberger par ses anciens compagnons plus fortunés, rôdant de Caen à Falaise, de Mortain à Bayeux ou à Saint-Lô, poussant même ses excursions jusque dans la Mayenne[35]. Bien qu'il ne l'eût pas avoué, on peut affirmer qu'il était un des hommes employés ordinairement aux attaques des voitures publiques : c'était en ce genre un professionnel : on l'appelait le Teisch[36].

Convoqué à la Bijude, il s'y présenta un matin de la fin d'octobre ; le soir du même jour, tandis qu'on était à table, d'Aché arriva à son tour ; on causa — assez vaguement du grand projet, — mais beaucoup des anciens camarades de la Chouannerie ; malgré son accent tudesque des plus prononcés, Flierlé, sur ce sujet, était intarissable. D'Aché et lui couchèrent dans la même chambre et cette intimité dura deux jours pleins, au bout desquels on convint que Flierlé serait employé, en qualité de courrier, aux gages de cinquante écus par mois. Cette nuit-là Lanoë conduisit d'Aché jusqu'à deux lieues de la Bijude et le mit sur la route d'Argentan[37].

Ici, nouveau jalon : le 26 novembre, l'inspecteur de police Veyrat informe en toute hôte Desmarets que d'Aché, tant cherché depuis deux ans, a débarqué la veille à Paris, descendant de la diligence de Rennes avec un nommé Durand[38]. Celui-ci, laissant sa malle au bureau, s'était logé dans un hôtel de la rue Montmartre, d'où il était parti, le matin même, pour Boulogne. Quant à d'Aché, écrivait Veyrat, il n'avait ni malle ni paquet et il a disparu dès qu'il fut descendu de voiture ; les recherches que l'on a faites aux maisons garnies et hôtels du voisinage n'ont rien produit. Desmarets mit en campagnes ses meilleurs agents ; mais tout fut inutile : d'Aché resta introuvable.

Il était à Tournebut[39] où il demeura un mois. Il est probable que ce passage à Paris et ce séjour chez Mme de Combray étaient motivés par un pressant besoin d'argent : à cette date, d'Aché avait épuisé le crédit ouvert chez le banquier Nourry ; croyant la source intarissable, il l'avait exploitée largement[40] ; sa déception fut cruelle quand on l'avisa que son compte était définitivement clos. Il se trouvait de nouveau sans argent, et, par une coïncidence qu'il faut bien signaler, tandis qu'il séjournait à Tournebut, en ce mois de novembre 1806, la diligence de Paris à Rouen fut dévalisée au Moulin de Mouflaines[41], à quelque cent mètres d'Authevernes où avaient eu lieu les précédentes attaques. Cette fois le butin fut médiocre ; quand d'Aché reprit le chemin de Mandeville, il n'avait que six cents francs pour toute ressource[42].

Il dut passer l'hiver dans une oisiveté torturante : nul indice de ses agissements jusqu'en février 1807. Le temps des grands événements était proche, et il était urgent de les annoncer. Il s'arrêta à l'idée d'un manifeste qui devait être répandu à profusion dans toute la province, et ne laissa à personne le soin de le rédiger ; cette proclamation, faite au nom des princes, stipulait l'amnistie générale, la conservation des autorités, la modification des impôts et l'abolition de la conscription[43]. Lanoë, mandé à Mandeville, reçut dix louis et le manuscrit de ce manifeste avec ordre de le faire imprimer aussi secrètement que possible[44]. Le madré Normand promit, glissa le papier dans la doublure de son habit et, après une tentative infructueuse — et probablement assez molle — auprès d'un apprenti typographe de Falaise, il le remit à Flierlé, avec toutes les recommandations de prudence, mais en y joignant cinq louis seulement[45]. Flierlé s'adressa à un libraire de la Froide-Rue à Caen ; celui-ci, après avoir pris connaissance du texte, refusa son concours. Ici se place un incident dont il est difficile de démêler l'importance, qui semble avoir été considérable, cependant, à en juger par le mystère dont il resta entouré. Soit qu'il eût reçu quelque communication urgente d'Angleterre, soit, plutôt, que, dans son dénuement, il eût pensé à réclamer l'assistance de ses amis de Tournebut, d'Aché expédia en hâte Flierlé à Mme de Combray et lui remit deux lettres en lui recommandant la plus extrême discrétion Flierlé partit de Caen à cheval, le 13 mars au matin. Le lendemain, à l'aube, il arrivait à Rouen, et, tout de suite, il se rendait rue de l'Hôpital, chez une modiste, la dame Lambert, à laquelle était adressé un des billets dont il était porteur. — Je le lui remis, dit-il, sur son escalier, sans lui parler, parce qu'ou m'en avait donné l'ordre, et je partis dans la matinée même pour Tournebut où j'arrivai entre deux et trois heures. Je donnai l'autre lettre à Mme de Combray qui la jeta au feu après l'avoir lue[46].

Flierlé coucha au château ; le lendemain, Bonnœil le conduisit à Louviers et lui confia là un paquet de lettres à l'adresse de d'Aché. Tous deux se dirigèrent ensemble sur Rouen, et l'Allemand prit, rue de l'Hôpital, la réponse de la marchande de modes qui la lui remit elle-même sans dire un mot[47]. Puis il poursuivit aussitôt son voyage : le 20 mars, au soir, il était de retour à Mandeville et déposait le précieux courrier entre les mains de d'Aché. A peine celui-ci en eût-il pris connaissance qu'il expédia à David l'ordre d'appareiller sou canot et, sans perdre un moment, les lettres venues de Rouen furent portées en mer aux stationnaires anglais pour être de suite envoyées à Londres[48].

On ignora toujours ce que contenaient ces mystérieuses dépêches et, sur ce point, l'enquête fut réduite aux suppositions. On prétendit que d'Aché avait adressé à Mme de Combray le manifeste et qu'une imprimerie clandestine fonctionnait dans les caves de Tournebut ; on assura, d'autre part, que Bonnœil était rentré, vers le 15 mars, d'un voyage à Paris et en avait rapporté, pour la faire passer par Mandeville, la correspondance d'un comité royaliste secret à l'adresse du cabinet anglais[49]. D'Aché, certainement, attachait une importance extrême à cette expédition qui devait, selon lui, décider d'un envoi immédiat de fonds et hâter les préparatifs de la descente à l'île Tatihou. Mais les jours se passèrent et aucune réponse ne parvint. Dans l'angoisse de l'incertitude et de l'attente, il pensa à se rapprocher de Le Chevalier qu'il ne connaissait que par sa réputation d'homme adroit et résolu ; l'entrevue eut lieu à Trévières vers le milieu d'avril 1807. Le Chevalier avait amené un de ses aides de camp. D'Aché s'y présenta seul.

Le nom de ces deux hommes est si ignoré, ils tiennent dans l'histoire une si humble place qu'on a peine à se figurer, maintenant qu'on connaît le piteux avortement de leurs rêves, comment, sans ridicule, ils pouvaient imaginer que de leur rencontre sortirait un résultat quelconque. Mais l'atmosphère dans laquelle ils se mouvaient leur créait à tous deux une puissance : d'Aché était— ou croyait être — le porte-parole du roi exilé ; quant à Le Chevalier, — soit gloriole, soit crédulité, — il se targuait d'une immense popularité dans le monde de la Chouannerie et parlait, avec mystère, du comité royaliste qui, fonctionnant à Paris, était parvenu, disait-il, à rallier à la cause du prétendant des hommes considérables de l'entourage même de l'empereur.

Depuis qu'il était l'amant adoré de Mme Acquet, les stations de Le Chevalier au café Hervieux étaient devenues plus rares ; ses parasites s'étaient dispersés, et bien qu'il eût conservé sa maison de la rue Saint-Sauveur, à Caen, il passait la plus grande partie de son temps soit à Falaise, soit à la Bijude qu'habitait alternativement son ardente maîtresse. La police du comte Caffarelli, préfet du Calvados, s'était déshabituée de le surveiller ; même il avait obtenu[50] un passeport pour Paris, où il se rendait fréquemment. Il en revenait toujours plus confiant et dans le petit groupe où il vivait à Falaise, et qui se composait-de Dusaussay, son cousin, de Beaurepaire et de Desmontis, deux camarades de la Chouannerie, de Révérend, ancien chirurgien à l'armée de Frotté, et de Mc Lefebvre, le notaire de la famille de Combray, il ne tarissait pas en confidences sur ce fameux comité secret et sur l'imminence de la restauration ; la révolution qui l'amènerait devait, à l'en croire, être très pacifique : Bonaparte, fait prisonnier par deux de ses généraux, disposant chacun d'un corps de 40.000 hommes, serait expédié aux Anglais et remplacé par une régence dont on choisirait les membres parmi les sénateurs sur lesquels on pouvait compter[51]. On rappellerait alors le comte d'Artois — ou son fils le duc de Berry — qui prendrait possession du royaume en qualité de lieutenant-général.

Le Chevalier ajoutait-il foi à ces utopies ? On a dit qu'en les propageant il ne cherchait qu'à enivrer les gens pour les exciter aux brigandages dont le produit devait lui revenir sans danger[52] ; cette accusation répond mal à la loyauté chevaleresque de son caractère : il nous semble plus probable qu'à l'un de ses voyages à Paris, il était tombé dans le piège tendu par l'espion Perlet qui, payé par les princes comme chef d'une agence de renseignements, vendait à Fouché leur correspondance et livrait à la police les royalistes qui la lui apportaient. Ce Perlet avait imaginé, comme appât pour son trébuchet, l'existence d'un comité de puissants personnages qu'il se vantait d'avoir amenés à la cause royale, et sans doute Le Chevalier fut-il l'une de ses trop nombreuses victimes. Quoi qu'il en soit, il tirait vanité de ses hautes compromissions, et c'est en égal, presqu'en émule, qu'il se présenta chez d'Aché.

La conférence fut, d'abord, plus que froide ; ces deux hommes, si différents de façon et de nature, aspiraient tous deux à un grand rôle et se jalousaient instinctivement ; leurs sentiments personnels même les divisaient : l'un était l'amant de Mme Acquet de Férolles, l'autre était l'ami de Mme de Combray, et celle-ci blâmait fort l'inconduite de sa fille à qui elle avait signifié de ne plus reparaître à Tournebut. Le Chevalier, après les politesses d'usage, se refusa à poursuivre l'entretien avant d'être fixé sur la nature des pouvoirs conférés par le roi à son interlocuteur et sur l'autorité dont il était investi. Or, de pouvoirs écrits, d'Aché n'en avait jamais eus : il se retrancha. avec arrogance, sur ce que la confiance que les princes lui témoignaient datait des premiers jours de la Révolution et qu'il attendait d'eux une commission en règle ; sur quoi, Le Chevalier, prenant l'avantage, le traita d'agent des Anglais et, posant ses pistolets sur la table, l'invita à se brûler immédiatement  la cervelle[53]. On se calma pourtant de part et d'autre et chacun exposa ses moyens d'action : Le Chevalier connaissait la plupart des chouans de Normandie, soit pour avoir combattu en leur compagnie, soit parce qu'il s'était lié avec eux dans les différentes prisons de Caen ou d'Évreux où il avait séjourné. Il se chargeait donc des enrôlements et de la conduite de l'armée dont il déléguerait le commandement à deux hommes qui lui étaient tout dévoués. Le nom de l'un ne fut pas publié ; c'était, dit-on, un ancien chef d'état-major de Charette : l'autre était fameux dans toute la Chouannerie sous le pseudonyme du général Antonio : il s'appelait Allain et, depuis l'an IX, travaillait avec Le Chevalier. assurait, d'ailleurs, le concours de son ami, M. de Grimont, directeur du haras d'Argentan, qui fournirait à l'armée des princes la cavalerie nécessaire ; il offrait, en outre, de se rendre à Paris pour le grand coup[54] et se faisait fort, à l'aide de certaines complicités[55], de s'emparer de la trésorerie impériale. D'Aché, de son côté, irait en Angleterre chercher le roi, présiderait au débarquement et guiderait, à travers la Normandie insurgée, l'armée suédo-russe jusqu'aux portes de la capitale.

La besogne ainsi distribuée, les deux hommes se quittèrent alliés, mais non amis : d'Aché s'était trouvé offensé des prétentions de Le Chevalier ; celui-ci, en rentrant chez eu' Acquet, ne cacha pas qu'à son idée d'Aché n'était qu'un vulgaire intrigant et un agent de l'Angleterre[56].

Restait la question d'argent qui, pour le moment, primait toutes les autres ; on était bien tombé d'accord sur la nécessité de piller les caisses de l'État en attendant l'arrivée des subsides d'Angleterre ; mais ni d'Aché, ni Le Chevalier ne s'étaient ici formellement prononcés ; chacun d'eux voulait laisser à l'autre la responsabilité du vol ; ils se la rejetèrent plus tard obstinément : l'un assurant que d'Aché, lui-même, avait, au nom du roi, donné l'ordre d'arrêter les voitures publiques ; l'autre reniant Le Chevalier et l'accusant d'avoir compromis la cause en employant de tels moyens. Le débat est de peu d'intérêt ; l'argent manquait, et non seulement la caisse royaliste était vide, mais, ce qui était bien plus immédiatement grave, Le Chevalier et ses amis se trouvaient sans ressources. A force de mener large vie et de se sacrifier pour le parti, il avait totalement dissipé sa fortune et était couvert de dettes : l'avoué Vanier, chargé de ses affaires d'intérêts, perdait la tête sous l'avalanche de traites, de protêts, de billets impayés qui tombait sur son étude[57]. Le notaire Lefebvre, gros homme viveur et sensuel, n'était pas mieux en fonds et mettait sur le compte du gouvernement la débâcle de ses affaires qui n'avait d'autre cause que son désordre. Quant à Le Chevalier lui-même, il attribuait, non sans raisons, sa ruine à son désintéressement et à son dévouement pour la cause royale, ce qui lui était une excuse pour le passé et aussi pour l'avenir. Mme Acquet, qui l'admirait aveuglément, avait donné jusqu'à son dernier louis pour subvenir aux coûteuses libéralités de son amant. Il reste d'elle des billets touchants qui montrent à quel point elle lui était attachée :

Voilà la lettre de Mme Blin (une créancière), que je vous envoie ; toute ma peine est de n'avoir pas la somme, j'aurais le plaisir de la payer pour vous et jamais vous n'en auriez rien su... Je vous aime de tout mou cœur et je suis toute à vous et je ferai tout pour vous... Aimez-moi comme je vous aime ; je vous embrasse bien fort[58].

 

Je ferai tout pour vous, — et la pauvre femme se désolait de savoir le héros qu'elle idolâtrait aux prises avec de mesquines préoccupations d'argent. Elle n'y pouvait parer, ayant été récemment déboutée de sa demande en séparation[59]. Acquet triomphait : elle était réduite à vivre de sa modique pension de deux mille francs, sans pouvoir disposer des biens de l'héritage paternel. Et voilà qu'un soir, seule à Falaise avec Lanoë, à l'hôtel de Combray, rue du Tripot, dont l'un des corps de logis avait été loué au receveur des finances, elle entendit, à travers le mur, le tintement des louis qu'on ensachait. Ce bruit produisit sur elle une sorte de griserie ; elle songea qu'il y avait là de quoi satisfaire à toutes les fantaisies de son amant...

— Lanoë, dit-elle tout à coup, il me faut de l'argent, il me faut seulement 10.000 francs[60].

Ce soir-là, Lanoë, terrifié, ne répondit rien ; mais, quelques jours plus tard, comme il la ramenait de la Bijude à Falaise dans son cabriolet, elle revint à la charge et lui remit, enveloppé dans du coton, un morceau de cire jaune en lui ordonnant d'aller, dès qu'ils seraient rue du Tripot, prendre l'empreinte de la serrure du receveur. Lanoë s'en défendit, alléguant que c'était la maison de M. Timoléon et qu'il pourrait en arriver à celui-ci du désagrément[61]. Mais elle insista. — Je veux l'empreinte, dit-elle ; je ne vous dis pas pourquoi faire : mais je veux l'avoir. Lanoë, pour se débarrasser d'une mission qui lui déplaisait, s'en alla prendre en cachette l'empreinte de la serrure du grenier à foin. Une clef fut faite sur ce modèle, et, la nuit venue, la fille de la marquise de Combray, retenant son souffle et marchant sans bruit, se glissa jusqu'au bureau du receveur des finances et tenta vainement d'en ouvrir la porte[62]...

 

A peu près vers le même temps, Le Chevalier qui revenait d'un voyage à Paris, recevait de l'avoué Vanier, tout aussi endetté que son client, l'avis que la situation pécuniaire était désespérée. — Je crains, écrivait Vanier, l'accomplissement du psaume : Unde veniet auxilium nobis quia perimus[63]. Ce à quoi Le Chevalier répondit, comme il le faisait, invariablement : dans six semaines, peut-être avant, le roi sera remonté sur le trône ; les beaux jours alors reviendront et nous aurons de bonnes places : seulement, il est temps de montrer du zèle, car ceux qui n'auront rien fait n'auront, comme de juste, rien à attendre[64]. Il ajoutait que l'heure était propice, Bonaparte étant au fond de l'Allemagne avec toute son armée.

Il aimait ces allusions qui le posaient, pour ainsi dire, en rival de Napoléon et grandissaient son rôle à la hauteur de ses illusions.

 

 

 



[1] A la mort de son père, en 1784, Bonnœil, l'aîné des fils, avait hérité des terres de Combray, Donnay, Bonnœil et Lessart. Le second fils, Timoléon, reçut, la maison de Falaise, d'autres immeubles, des rentes et un capital de 55.340 livres. Bonnœil ayant été inscrit sur la liste des émigrés, le séquestre fut mis sur ses biens ; ses deux sœurs, Mme d'Houel et Mme Acquet, réclamèrent alors une délivrance du bien héréditaire pour leur tenir lieu de leur légitime et leur réclamation fut admise jusqu'à concurrence de la moitié de leurs droits : un arrêté du 13 nivôse an IX envoya Mme Acquet en possession des biens séquestrés sur Bonnœil jusqu'à concurrence d'un capital de 32.114 francs. Mme de Combray intervint à son tour pour la liquidation des droits qu'elle avait à exercer sur la succession de son mari ; les choses en étaient là, quand Bonnœil, amnistié, réclama la totalité de ses biens. La situation, comme on voit, était un nid à procès : il semble bien qu'elle ne fut jamais complètement liquidée à la complète satisfaction de tous les intéressés.

[2] Archives de la famille de Saint-Victor.

[3] Celui qui l'avait acheté d'abord voulut s'en défaire et le proposa aux habitants de la commune auxquels il le vendit 3.600 francs et ma mère a fourni la moitié de la somme. Interrogatoire de Bonnœil. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[4] Interrogatoire de Guillaume, dit Lanoë, 4 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[5] — Qui est ce M. Descroissy ? — C'est un gentilhomme des environs, fils de M. de Manoury, ancien ami de la maison. Interrogatoire de Lanoë. M. Descroisy habitait à Les Moutiers-en-Cinglais.

[6] Archives nationales. Dossier Montfiquet. F7 8171.

[7] Interrogatoire de Richard-Michel Guilbert, 7 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[8] Déclaration du notaire Lefebvre. Lettre du préfet de la Seine Inférieure â Réal. Archives nationales, F7 8171.

[9] Cet homme serait d'autant plus essentiel à entendre qu'il a accompagné M. Alexandre (d'Aché) chez M. de la Chapelle et qu'il possède les secrets de son cabinet. Déclaration de Guilbert, 17 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[10] M. Lacour. Archives nationales, F7 8172.

[11] Renseignements communiqués par Guilbert et Placène sur les retraites de Deslorières (d'Aché.). Archives nationales, F7 8172.

[12] Du jour de son arrivée à Mandeville, d'Aché avait troqué son nom de Deslorières contre celui d'Alexandre, précaution qui lui créait en quelque sorte deux personnalités différentes et qui devait, en cas de recherches, faire bifurquer les policiers.

[13] Interrogatoire de Guillaume, dit Lanoë, 7 février 1808.

[14] Interrogatoire  de Guillaume, dit Lanoë, 4 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[15] Interrogatoire de Guillaume, dit Lanoë, février 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[16] François Hébert, né au Vé, arrondissement de Falaise, était fermier de la Bijude depuis trente ans : Mme de Combray avait en lui une confiance absolue ; la Bijude avait été donnée en douaire à Mme de Combray ; la ferme rapportait 6 à 700 livres par année.

[17] Aucune preuve, est-il besoin de le dire, ne fut apportée à l'appui de cette accusation ; il y a donc tout autant de présomptions contre Acquet que contre sa belle-mère ; Acquet pouvait avoir commis le crime — s'il y eut crime — pour en accuser ensuite Mme de Combray. Mais il n'était pas inutile de mentionner ce fait, car de semblables calomnies se reproduisirent plus tard et d'autres aventures du même genre ont pu faire croire que Mme de Combray sacrifiait, sans scrupules, à l'intérêt de son parti, les gens qu'elle croyait trop instruits de ses secrets. M. de la Sicotière a tort de parler ironiquement des victimes innocentes payant de leur vie... etc., car l'accusation, fondée ou non, fut prise, plus tard, très au sérieux par la justice.

[18] Rapport du préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8172.

[19] Extrait des registres de la paroisse Notre-Dame de la ville de vire, le 2 mars 1780 a été baptisé un fils, né de ce jour du légitime mariage de Charles-François-Marin Le Chevalier, conseiller, garde-marteau de la maîtrise des Eaux et Forêts de Vire, et de dame Marie-Anne-Jacqueline-Suzanne Dumont, son épouse. Nommé Armand-Victor par Armand-Louis Dumont de la Rochelle, représenté par dame Marie-Suzanne-Renée du Montbray, épouse de Philippe Dumont, conseiller, marraine de l'enfant.

[20] Un écrivain normand, Charles Le Sénécal, dont nous aurons plus tard à citer les travaux, se souvenait d'avoir vu, étant enfant, Le Chevalier, et avait consigné ses impressions dans des notes manuscrites qu'a bien voulu me communiquer M. Bénet, l'archiviste du Calvados, à qui j'adresse ici tous mes remerciements pour l'obligeante érudition avec laquelle il m'a guidé. Le Sénécal se trompe sur certains points, mais son témoignage est précieux cependant et nous y aurons quelquefois recours.

Le Chevalier était membre très chéri d'une famille dont une partie habitait Tinchebray et l'autre Bernières-le-Patry, à un kilomètre de ma famille. Il n'était pas de jour où nous ne vissions quelque membre de cette famille Le Chevalier. Pour aller de Tinchebray chez son parent, M. de la Rochelle, il était indispensable que Le Chevalier passât dans notre parc : c'est là, qu'étant chez mon oncle je l'ai rencontré. J'ai assisté pendant une demi-heure à une conversation soutenue avec le meilleur ton, et j'avoue que je n'ai rien compris ni retenu de ce qui s'est dit, car, j'étais en contemplation devant cet homme dont j'avais entendu tant de fois vanter le courage ; je ne pouvais concilier ce ton simple, modeste, distingué, avec les actes de courage qu'on lui attribuait : il était vêtu d'un habit noir, dans un costume correct, élégant, qu'il était bien rare de voir à cette époque... Il avait environ cinq pieds, cinq ou six pouces, mince mais parfaitement proportionné.

[21] Billard de Veaux, Mémoires, t. III, p. 214.

[22] A l'affaire du Gast, dit La Sicotière. Billard de Veaux donne une autre version : en faisant une patrouille dans les environs du haras du Pin, Le Chevalier plaça nonchalamment son espingole sous son bras ; le coup partit et dix-neuf balles lui brisèrent l'épaule. Mémoires, t. III, p. 215.

[23] Voici, estimé par lui-même à quoi se réduisait sa fortune vers 1804 : une maison à Caen évaluée 40.000 francs, une petite ferme et un bois dans les environs de Vire, évalués 25.000 francs, créances certaines 30.000 francs. Archives nationales, F7 8172.

[24] Renseignements particuliers.

[25] Renseignements particuliers.

[26] M. Acquet me prêta 2.400 francs que je lui ai rendus, il y a quatre à cinq mois. Lettre de Le Chevalier à Réal. Archives nationales, F7 8171.

[27] Lettre du préfet de la Seine-Inférieure à Réal, 11 octobre 1807. Archives nationales, F7 8110.

[28] Déclaration du sieur Burgault, propriétaire, demeurant à Paris, rue de la Paix, n° 14. Archives nationales, F7 8172.

[29] Récapitulation des faits qui se lient au procès des darnes Combray. Archives nationales, F7 8170.

[30] Un jour je lui faisais observer qu'en descendant à terre il aurait pu are arrêté ; mais il m'apprit alors qu'il ne courait aucun risque, parce qu'il avait à lui ses signaux, et par là il entendait celui qui signale sur la côte. Il s'embarquait à deux petites lieues de Mandeville : c'était tout près de là que se trouvait l'individu qui lui faisait des signaux, en réponse à ceux que Deslorières faisait avant de débarquer. — D. — M. Deslorières vous a-t-il dit combien il lui en avait coûté pour gagner la vigie ? — R. — Il ne m'a pas désigné la somme, mais il m'a dit que cela lui coûtait cher.

Interrogatoire de Guillaume, dit Lanoë, 5 février 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[31] Interrogatoire de Mme de Combray, 2 août 1807. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[32] Mme Acquet se rappelle que lorsqu'elle vit M. Deslorières, il y a un an, à Donnay, il lui apprit que le gouvernement anglais lui avait donné un crédit illimité sur un banquier de Caen. Déclaration de Mme Acquet, 9 octobre 1807.

[33] La maison des Montfiquet avait été destinée à recevoir le roi, s'il était débarqué incognito parce qu'elle était le centre des habitudes de Deslorières ; on comptait aussi sur M. de Cantelou, riche propriétaire des environs de Bayeux. Déclaration de Mme Acquet, 20 décembre 1807.

[34] Flierlé était ne à Leibstadt, dans le duché de Neubourg, en Allemagne. Il avait quarante ans en 1808.

[35] Les révélations de Flierlé fournissent des indications précieuses sur le sort des anciens chouans pendant la période impériale : voici un extrait de ces interrogatoires : D. Etiez-vous payé exactement ? — R. Oui exactement. — D. Y avait-il beaucoup de monde payé comme vous ? — R. Nous pouvions être une cinquantaine, parce qu'on ne pensionnait que les chouans qui avaient été officiers. On donnait seulement des secours aux simples soldats qui étaient dans le besoin, on en logeait même dans les maisons particulières et on payait leur nourriture. On en plaçait aussi comme domestiques chez les particuliers riches. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[36] Le deutsh (l'allemand).

[37] En le reconduisant sur la route pour le mettre dans le chemin de Paris, il me dit qu'il avait été en Angleterre pour se concerter avec M. de la Chapelle ; que, s'il pouvait lui être utile, il le ferait, mais qu'il n'y voyait pas encore bien clair. Interrogatoire de Guillaume, dit Lanoë, 2 septembre 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[38] On s'aperçut que ce Durand était un placide voyageur qui ignorait le nom et la personnalité de d'Aché : il n'était monté qu'à Laval dans la diligence où d'Aché se trouvait déjà. Archives nationales, F7 6397.

[39] Il est tombé comme une bombe... Il a passé un mois chez moi, il y a environ neuf mois ; mais ce n'est pas de Donnay qu'il venait, je ne sais d'où. Interrogatoire de Mme de Combray, 2 août 1807. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[40] Une grande partie de cet argent avait été envoyée dans les environs de Rouen. Rapport du préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8172.

[41] Le 30 novembre 1806. Récapitulation des faits qui se lient au procès des dames Combray. Archives nationales, F7 8170.

[42] Mme de Combray affirma lui avoir prêté cette somme. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[43] Déclarations de Mme Acquet de Férolles, et rapport du préfet de la Seine-Inférieure, déjà cité.

[44] Au mois de février de l'an dernier, et vers la moitié, M. Deslorières m'écrivit par la poste à Donnay et me dit de me rendre où il était parce qu'il voulait me parler. Il me remit un manifeste pour le faire imprimer : il annonçait aux Français que les anciens princes allaient rentrer ; qu'ils conserveraient les autorités, que les propriétés seraient respectées et que chacun eût à se tenir bien paisible chez soi. Interrogatoire de Guillaume dit Lanoë, 5 février 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[45] Lanoë me dit qu'ayant été chargé par M. Deslorières de faire imprimer la proclamation, et n'ayant pu trouver d'imprimeur qui voulut le faire, il me priait de voir si je serais plus heureux que lui et qu'il me remettrait les cinq louis que lui avait donnés M. Deslorières. — D. M. Deslorières lui en avait donné dix : ne vous le dit-il pas ? — R. Il ne m'en parla pas. Interrogatoire de Flierlé, 16 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[46] Archives nationales, F7 8172.

[47] Interrogatoire de Flierlé, 15 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[48] Déclaration de Guilbert, huissier à Trévières, 17 janvier 1808. Archives du Greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[49] Rapport du préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8172.

[50] En août 1806. Archives nationales, F7 8170.

[51] Interrogatoire de Lefebvre, 9 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[52] Note épinglée à l'interrogatoire du notaire Lefebvre. Archives nationales, F7 8171.

[53] Rapport du préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8172.

[54] Lettre de Réal au préfet du Calvados. Archives nationales, F7 8170.

[55] Entre autres celle de l'adjudant-général Lautour-Maheu, corn-patriote de Le Chevalier et que celui-ci disait être son ami. Archives nationales, F7 8171.

[56] Interrogatoire de Flierlé, 15 janvier 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[57] La plupart de ces réclamations se trouvent aux Archives nationales dans le carton F7 8171.

[58] Archives nationales, F7 8171.

[59] Le 4 mars 1807. Archives de la famille de Saint-Victor.

[60] Un soir que j'étais chez elle, Mme Acquet, entendant résonner de l'argent chez le receveur qui demeurait dans la maison, me dit qu'il lui fallait de l'argent ; qu'il lui fallait seulement dix mille francs. Interrogatoire de Guillaume, dit Lanoë. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[61] Interrogatoire de Lanoë, 3 septembre 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[62] Elle fit faire des clefs sur cette empreinte et me chargea ensuite d'aller les essayer ; comme je savais bien qu'elles ne pourraient servir, je lui dis qu'elles n'allaient pas. Quelque temps après elle me dit : J'ai été les essayer moi-même pendant la nuit, parce que je ne m'en rapporte pas à vous. Interrogatoire de Lanoë, 3 septembre 1808.

[63] Archives nationales, F7 8171.

[64] La contre-révolution était immanquable : ceux qui la serviraient seraient bien récompensés ; mais, si on ne lui était pas utile dans le moment actuel, tous les anciens services seraient oubliés. Interrogatoire de Flierlé. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.