CIVILISATION, RELIGION ET MONUMENTS DE L'ASSYRIE ET DE LA CHALDÉE

 

CHAPITRE III — LA RELIGION.

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

§ 1. — THÉOGONIE ET COSMOGONIE

La religion de l’Assyrie et de la Chaldée était, dans ses principes essentiels et dans l’esprit général qui présidait à ses conceptions, une religion de même nature que celle de l’Égypte, et qu’en général toutes les religions du paganisme antique. Elle était double, et il faut savoir distinguer, en l’étudiant, sa forme extérieure et vulgaire, des doctrines ésotériques exclusivement réservées aux adeptes de la science, c’est-à-dire à la caste sacerdotale. Lorsqu’on pénétrait au delà de l’écorce extérieure de polythéisme grossier qu’elle avait revêtue dans les superstitions populaires, et qu’on s’élevait jusqu’aux conceptions d’un ordre supérieur qui en avaient été le point de départ, on y retrouvait la notion fondamentale de l’unité divine, dernier reste de la révélation primitive, mais défigurée par les monstrueuses rêveries du panthéisme, qui confond la créature avec le Créateur et transforme l’être divin en un dieu-monde, dont tous les phénomènes de la nature sont les manifestations. Dieu est à la fois un et multiple : un parce que tout ce qui existe émane de lui et qu’il est le grand Tout dans lequel toutes choses se confondent et s’absorbent ; multiple, parce que tous ses attributs sont considérés comme autant de divinités personnelles qui agissent individuellement chacune pour son compte. Ces perfections du grand Tout sont échelonnées dans un ordre d’émanation qui correspond à leur ordre d’importance, et forment tout un peuple de dieux secondaires, tirés de sa substance. C’est dans ces personnages divins et dans leur nature réciproque que se marquent surtout les différences entre les diverses religions païennes, dont le principe primordial est toujours le même. Ainsi que nous l’avons fait voir, l’imagination des Égyptiens avait été surtout frappée par les péripéties successives de la course journalière et annuelle du soleil ; ils y avaient vu la manifestation la plus imposante de la divinité, celle qui révélait le mieux les lois de l’ordre du monde, et ils y avaient cherché leurs personnifications divines. Les Chaldéo-assyriens, au contraire, adonnés d’une manière toute spéciale à l’astronomie, lurent dans l’ensemble du système sidéral, et surtout planétaire, la révélation de l’être divin. Ils considérèrent les astres comme ses vraies manifestations extérieures, et ils en firent, dans leur système religieux, l’apparence visible des hypostases divines émanées de la substance de l’être absolu, qu’ils identifiaient avec le monde, son ouvrage. Aussi, la religion assyro-chaldéenne est, avant tout, une religion sidérale, épurée par la science chez les classes élevées, mais rabaissée jusqu’à un grossier sabéisme pour le vulgaire.

Les anciens eux-mêmes s’étaient bien rendus compte de ce caractère particulier de la religion assyro-chaldéenne. Après avoir parlé de l’habileté des prêtres de Babylone à construire des thèmes généthliaques, le philosophe juif Philon[1], ajoute : En rattachant ainsi les choses terrestres aux choses d’en haut, et le ciel au monde inférieur, ils out montré dans celte sympathie mutuelle des parties de l’univers, séparées quant aux lieux mais non pas eu elles-mêmes, l’harmonie qui les unit par une sorte d’accord musical. Cherchant à résumer le firmament et la régularité éternelle des mouvements dont il est le théâtre, dans une conception philosophique et une formule synthétique, les Chaldéens conclurent logiquement à l’existence d’une intelligence ordonnatrice du monde et des mouvements célestes, d’une force suprême et unique qui réglait la marche invariable des planètes et des étoiles. Ils attribuent, raconte Diodore de Sicile[2], l’ordre et la beauté qui règnent dans l’univers, à une Providence divine, et ils prétendent que, pendant l’âge actuel, les phénomènes, quels qu’ils soient, qui se passent aux cieux, s’accomplissent, non pas au hasard ni spontanément, mais en vertu d’une décision des dieux, fixée d’avance et fermement arrêtée. Cette loi universelle, c’était ce que toute l’antiquité appelait la destinée, l’inéluctable fatalité, gouvernant les dieux eux-mêmes, impuissants comme les hommes, à se soustraire à sa dévorante action.

Tel fut donc le résultat général de la science astronomique des Chaldéens : elle les conduisit à admettre l’existence d’un Dieu unique, supérieur à tous les dieux de leur panthéon, mais qu’ils ne purent toutefois qu’entrevoir d’une manière vague et incomplète, comme à travers un nuage ou un tourbillon ; les observations sidérales des savants de Ninive et de Babylone les amenèrent à s’écrire comme le psalmiste d’Israël Cœli ennarant gloriam Dei. Aussi, la donnée essentielle des spéculations théogoniques des savants chaldéens peut-elle se résumer de la manière suivante : un premier principe immatériel, encore confus, d’où dérivent tous les autres dieux ; c’est Illu, dont le nom signifie le dieu par excellence. Sa conception était, trop compréhensive, trop vaste, pour recevoir une forme extérieure bien déterminée et, par conséquent ; les adorations habituelles du peuple ; à ce point de vue les Grecs lui trouvaient une certaine analogie avec leur Cronos. A une époque assez tardive, on le confondit avec ses principales émanations : à Ninive, on finit par l’identifier avec le dieu Assur, et à Babylone avec Bel-Marduk. Alors et à ce titre seulement, on l’invoque et on sculpte son symbole formé d’un disque ailé, ou son image composée ordinairement d’un buste humain coiffé de la tiare royale, émergeant d’un cercle porté sur deux grandes ailes d’aigle et la queue du même oiseau. C’est le El sémitique, assimilé au dieu protecteur national de Ninive ou de Babylone, de même que pour les Juifs, il devient identique à Jéhovah.

De ce premier principe dont l’essence est indéterminée et dont les théologiens n’osant sonder la nature, ne parlent presque pas, émanent un principe mâle, l’Abîme (apsu) et un principe femelle qui en est la forme passive et le reflet, c’est la mer Chaotique (mummu tiamat). Ce couple engendre une autre dualité de mâle et de femelle, La’hamu et Lu’hmu, les deux formes active et passive de la substance, qui elles-mêmes produisent Sar ou Assur et Kisar ou Seruya. Enfin, au moment où l’univers se détermine sous sa forme ordonnée, sort une triade de Dieux cosmiques, Anu, Bel et Êa, c’est-à-dire le père, la mère et le fils, comme dans les familles humaines. Voici, à l’appui de cette théorie, le début de la narration cosmogonique trouvée dans les ruines du palais d’Assurbanipal :

Du temps où, en haut, le ciel n’était pas encore nommé et, en bas, la terre restait sans nom, l’Abîme (Apsu) sans limites fut leur générateur

et la mer chaotique (Mummu Tiamat) celle qui enfanta leur ensemble.

Leurs eaux confluaient en un,

aucune troupe d’animaux n’était encore rassemblée, aucune plante n’avait poussé.

Du temps où aucun des dieux n’avait encore été produit, où ils n’étaient pas désignés par un nom, où aucun destin n’était encore fixé,

les grands dieux furent ensuite formés.

Lu’hmu et La’hamu furent produits les premiers, et ils grandirent dans la solitude.

Sar (Assur) et Kisar (Seruya) furent produits ensuite.

Puis il s’écoula une longue suite de jours

et Anu, Bel et Êa

naquirent d’Assur et de Seruya.

Chose bien singulière, Damascius a conservé intact et sans altération le dépôt de cet enseignement religieux que nous venons de retrouver dans les documents cunéiformes et qui remonte à l’époque proto-chaldéenne. On dirait presque que l’auteur grec a traduit le document même que nous venons de rapporter : Parmi les barbares, dit-il, les Babyloniens paraissent passer sous silence le premier de tous les principes, et ils en imaginent ensuite deux, Taothé (Tiamat) et Apasôn (Apsu), faisant d’Apasôn l’époux de Taothé, qu’ils appellent la mère des dieux. Ils font naître de leur union un fils unique, Moymis (Mummu) qui me paraît être le monde intelligible, issu des deux premiers principes. Des mêmes, sort ensuite une autre génération, Doché et Dachos (corrigez Lachmê, et Lachmos = La’hamu et Lu’hmu). Succède une troisième, des mêmes parents, Kissarê (Zî-Sar) et Assôros (Assur = Sar), de qui naissent trois dieux : Anos (Ana = Anu), Minos (corrigez : Illimos, Elim = Bel) et Aos (Êa) ; enfin le fils d’Aos (Êa) et de Daokê (Daokina) est Bêlos (Bel-Marduk), qu’ils disent avoir été le démiurge[3].

Les trois dieux de la triade suprême reçoivent, en suméro-accadien, les appellations caractéristiques qui suivent : E-Sar ou demeure du firmament ; E-Kur ou demeure de la terre ; enfin E-a, demeure des eaux. Ces dieux représentent donc les trois grandes zones cosmiques qu’avaient imaginées les savants chaldéens : le ciel, la terre et l’océan.

Le plus fréquemment mis en scène est Êa qui, dans les textes religieux, joue le rôle de créateur, de démiurge et de gouverneur de l’humanité. La est l’Oannès des fragments de Bérose, l’Euahanès d’Hygin, et l’Oes d’Helladius ; il est le pendant du dieu Thoth de l’Égypte, et du Taout de la Phénicie, et, comme eux, auteur de toute science et de toute civilisation. Il reçoit, dans les inscriptions, les qualifications d’antique, de père des dieux ; de seigneur du monde inférieur, seigneur des ténèbres, maître des trésors cachés, celui qui fait parcourir au soleil les quatre régions du ciel. Il est le révélateur de l’astronomie, l’inventeur de l’écriture et de tous les arts ; c’est lui qui apprit aux hommes comment le monde avait été formé ; il est l’auteur de la genèse chaldéenne. La forme grécisée de son nom Oannès, est une légère déformation du nom assyrien Êa-nunu Êa poisson, de même que la forme transcrite par Hygin, Euahanès, en a conservé la dénomination suméro-accadienne ÊA-HAN, qui signifie aussi Êa-poisson. Cette étymologie est en harmonie parfaite avec la description que Bérose nous a transmise de cette divinité : Ce monstre, dit-il, avait tout le corps d’un poisson, mais au-dessous de sa tête de poisson, une seconde tête qui était celle d’un homme, des pieds d’homme sortant de sa queue, et une parole humaine ; son image se conserve jusqu’à ce jour. Nous la retrouvons, en effet, conforme au dire de l’historien de la Chaldée, dans les sculptures des palais assyriens, sur les cylindres en pierre dure et dans certaines figurines de terre cuite qui proviennent de la Babylonie. Il a la figure étrange d’un homme muni d’une queue d’aigle et couvert d’une énorme peau de poisson dont la gueule béante se dresse au-dessus de sa tête et dont le corps descend sur ses épaules. D’autres fois, sous la forme d’un buste humain coiffé, de la Tiare et terminé en queue de poisson, ce dieu ichthyomorphe est figuré nageant à la tête de la flotte des Assyriens. Sous cet aspect, il se confond avec une de ses émanations secondaires, le dieu Bel-Dagan. Êa est la lumière divine, l’intelligence qui dirige l’univers, et, envisagé a ce point de vue, ses qualifications les plus hautes sont : le guide intelligent, le dieu de la vie pure, le seigneur du monde visible, le seigneur des connaissances, de la gloire, de la vie, de l’espèce humaine. C’est lui qui est devenu le Iaô des sectes gnostiques, et c’est son nom qu’on retrouve dans le nom du dieu des Juifs, Jehovab ou plus exactement peut-être Jahveh ; il est représenté comme ayant formé de ses mains la race des hommes.

Bérose ajoute à la description que nous venons de rapporter, que le monstre Oannès s’élança tout à coup de la mer Erythrée (le golfe Persique) sur la plage de la Chaldée, afin de venir civiliser les hommes qui vivaient à la manière des brutes, sans mœurs et sans lois. Il passait le jour au milieu des hommes, sans jamais prendre de nourriture, enseignant aux humains, les lettres, les sciences et tous les arts utiles, la manière de bâtir des, villes, d’élever des temples, les lois, la géométrie, le secret de semer et de récolter, enfin tout ce qui constitue la civilisation, à tel point que depuis lors on n’a rien inventé de plus. Au coucher du soleil, cet Oannès rentrait dans la mer et y passait la nuit, car il était amphibie. Oannès écrivit un livre sur la genèse du monde et sur les règles de la civilisation, qu’il laissa aux hommes. Il n’est peut-être pas téméraire de rapprocher de la représentation de ce dieu, moitié homme moitié poisson, qui flotte à la surface des eaux du chaos, le texte de Sanchonniaton où il est rapporté, d’après les traditions phéniciennes, que le Souffle du vent ténébreux régnait sur le chaos à l’origine des choses, de même que le verset de la Genèse hébraïque qui raconte qu’avant la création le Souffle de Dieu nageait sur les eaux. Le dieu-poisson a donné son nom à Ninus, le héros éponyme de la légende de Sémiramis, et à ‘la ville de Ninive elle-même, en assyrien Ninua ; aussi, le nom de Ninive est-il exprimé idéographiquement, dans l’écriture cunéiforme, par le signe, du poisson renfermé dans un étang sacré. On s’explique par là le jeu de mots consigné dans un passage de Nahum, quand le prophète juif dit de Ninive qu’elle est un étang rempli d’eau. On a aussi voulu rapprocher le nom Êa de celui de Nouah (Noé) le patriarche biblique : assimilation corroborée par un hymne magique en l’honneur du vaisseau mystique de Êa que garnissent sept fois sept lions du désert, et où naviguent, Êa, qui fixe les destinées, Damkina dont la parole vivifie, Silik-mulu-hi, qui prophétise le renom favorable, Mun-abge (bienfaisant sur les vagues), qui conduit le seigneur de la terre, et Nin-Gar (maître du gouvernail ?) le grand pilote du ciel. » Cet hymne énumère toutes les parties du vaisseau, en indique la signification conjuratoire et se termine par ce vœu : Que le vaisseau devant toi vogue sur les canaux ! Que le vaisseau derrière toi navigue sur la surface des eaux ! En toi que la joie du cœur se développe dans sa plénitude ! Le vaisseau de Êa navigue sur le grand océan (zu-ab) qui environne la terre, comme le vaisseau construit par Noé est jeté pendant quarante jours sur l’Océan sans limites.

Le dieu Bel auquel une tablette mythologique donne, sous forme d’invocation ou de litanie, jusqu’à trente et un titres différents, est généralement qualifié de « fondateur, seigneur du monde, seigneur de toutes les contrées, roi des esprits. Sous sa forme suprême, c’est-à-dire quand il est appelé simplement .Bel, sans aucun surnom, il est représenté assis sur un trône, avec une figure entièrement humaine, en costume de roi, la tiare munie de cornes de taureau, symbole de puissance. Bel se confond plus tard, à Babylone, avec sa principale émanation, Marduk, le dieu de la planète Jupiter, et à ce titre il peut, lui aussi, être considéré aussi bien que Ira, comme le démiurge et l’organisateur du monde.

La triade suprême, Anu, Bel et ha, est représentée sur un cylindre, par l’emblème traditionnel de la divinité abstraite, surmonté de trois têtes, pour indiquer que ces trois dieux ne forment en réalité qu’un seul Dieu. Leurs formes passives ou leurs épouses sont Anatu, Beltu et Damkina. Anu et Anatu engendrent Isu, Istar et Raman ; Bel et Beltu ont pour enfants Sin, Belit Rabitu, Adar ou Sandan, Rabtum, Nergal et Las ; enfin Êa et Damkina produisent Marduk et Zarpanit. Il faut encore ajouter, comme fils de Sin et de Belit, le dieu Samas ; et comme enfants de Marduk et de Zarpanit, le dieu Nabu et la déesse Tasmitu. Au-dessous enfin, se rangent, dans des générations successives et impossibles à classer encore aujourd’hui, les nombreuses légions des dieux inférieurs, de sorte que tout le panthéon chaldéo-assyrien est issu des trois premières triades cosmiques : Anu-Anatu, Bel-Beltu, Êa-Damkina. Afin de rendre plus saisissable cette systématisation scientifique qui comporte pourtant quelques variantes dans le détail desquelles il serait superflu d’entrer, nous la reproduisons ci-contre en un tableau généalogique, en mettant entre parenthèses les noms suméro-accadiens que reçoivent les dieux dans les textes religieux.

Cette science de la filiation des dieux et de leur caractère cosmique dont nous retrouvons l’expression dans les textes mythologiques, ne franchit jamais le seuil de l’école ; elle conserva toujours son caractère hiératique et mystérieux comme tout ce qu’enseignait la caste sacerdotale des Chaldéens. Peut-on dire qu’il y eut, dans la suite des siècles, des réformes engendrées par ces querelles théologiques dont les Orientaux ont toujours eu plus particulièrement le monopole ? C’est probable. Toujours est-il que de nombreux documents donnent à la grande triade Anu, Bel et Êa, un caractère qui, de prime abord, ne paraît guère se concilier avec son rôle cosmique, car elle personnifie l’abîme, le chaos, les ténèbres et la confusion. Voici dans quel ordre d’idées rentre cette conception. Anu, Bel et Êa, dieux de l’origine des choses avant la création des mondes, dieux présidant au chaos primordial des éléments, avant que le démiurge eût mis chaque chose à sa place et créé les êtres, sont par conséquent les puissances des ténèbres et de la confusion, et ils gardent ce caractère même après que le monde est organisé. Personnifiant le chaos, ils deviennent les dieux du mal, les antagonistes des dieux, émanés d’eux pourtant, qui ont organisé l’univers et président au maintien de l’ordre qui le régit. Remarquez que des doctrines cosmogoniques semblables pour le fond à celles-ci, forment la base de la mythologie hellénique : Jupiter, le roi du monde organisé, fait la guerre à Saturne son père, qui personnifie le chaos, les éléments avant la création ; il le chasse du trône et il foudroie les Titans qui composent son armée. Ainsi, ce n’est que jusqu’au moment où les grands luminaires du soleil (Sauras), de la lune (Sin) et de la planète Vénus (Istar), commencent leur marche régulière à travers les espaces, qu’Anu règne seul en maître absolu sur le ciel : dès que le monde est créé, le chaos reste son domaine ; il est l’ennemi de l’univers organisé et des dieux qui président à l’harmonie des mouvements sidéraux. Un fragment épique sur les premières générations monstrueuses développées au sein du monde encore chaotique, décrit comme il suit l’empire d’Anu et de Mummu-Tiamat :

Sur une stèle on n’écrivait pas encore, rien n’était ouvert,

les corps et les productions sur la surface de la terre n’avaient pas encore commencé à pousser.

Rien ne s’élevait de la terre ; et je ne m’en approchais pas.

Des guerriers aux corps d’oiseaux du désert, des êtres humains

avec des faces de corbeaux,

les grands dieux les avaient créés,

et sur la terre les dieux avaient créé pour eux une demeure.

Tiamat leur donnait leur force,

la dame des dieux avait élevé leur vie.

Au milieu de la terre ils avaient crû et étaient devenus grand

et leur nombre s’était accru.

sept rois frères, de la même famille,

et six mille en nombre était leur peuple.

Banini leur père était roi, leur mère

était la reine Melili ;

le frère aîné parmi eux, qui marchait devant eux, Menamgab était son nom ;

le second frère parmi eux, Medudu était son nom ;

le troisième frère parmi eux, ...pah était son nom ;

le quatrième frère parmi eux, ...dada était son nom ;

le cinquième frère parmi eux, ...takli était son nom ;

le sixième frère parmi eux, ...ruru était son nom ;

le septième frère parmi eux, ...rara était son nom.

Pour mieux saisir la portée cosmogonique de ce document, il faut en rapprocher le fragment de Bérose qui relate les mêmes doctrines cosmogoniques :

Il y eut un temps où tout était ténèbres et eau, et dans ce milieu s’engendrèrent spontanément des animaux monstrueux et des figures particulières : des hommes à deux ailes, et quelques-uns avec quatre, à deux faces, à deux têtes, l’une d’homme et l’autre de femme, sur un seul corps, et avec les deux sexes en même temps ; des hommes avec clos jambes et des cornes de chèvres ou des pieds de cheval ; d’autres avec les membres postérieurs d’un cheval et ceux de devant d’un homme, semblables aux hippocentaures. Il y avait aussi des taureaux à tête humaine, des chiens à quatre corps et à queue de poisson, des chevaux à tête de chien, des hommes également à tête de chien, des animaux à tête et à corps de cheval et à queue de poisson, d’autres quadrupèdes où toutes les formes animales étaient confondues, des poissons, des reptiles, des serpents, et toutes sortes de monstres merveilleux présentant la plus grande variété dans leurs formes, dont on voit les images dans les peintures du temple de Bêlos (Ê-Sakil). Une femme nommée Omoroca (Um-Uruk, la mère d’Uruk), présidait à cette création ; elle porte dans la langue des Chaldéens le nom de Thavath (Tiamat), qui signifie en grec la mer ; on l’identifie aussi à la lune. Les choses étant en cet état, Bêlos (Bel-Marduk) survint et coupa la femme en deux ; de la moitié inférieure de son corps il fit la terre, et de la moitié supérieure le ciel, et tous les êtres qui étaient en elle disparurent. Ceci est une manière figurée d’exprimer la production de l’univers et des êtres animés, de la matière humide. Bêlos alors se trancha sa propre tête, et les autres dieux, ayant pétri le sang qui en coulait avec la terre, formèrent les hommes, qui pour cela sont doués d’intelligence et participent de la pensée divine. C’est ainsi que Bêlos, que les Grecs interprètent par Zeus, ayant divisé les ténèbres, sépara le ciel et la terre, et ordonna le monde ; et tous les êtres animés qui ne pouvaient pas supporter l’action de la lumière périrent. Bêlos, voyant que la terre était déserte, quoique fertile, commanda 1 l’un des dieux de lui couper la tête, et pétrissant le sang qui coulait avec la terre, il façonna les hommes, ainsi que les animaux qui peuvent vivre au contact de l’air. Ensuite Bêlos forma aussi les étoiles, le soleil, la lune et les cinq planètes[4].

Ainsi qu’on peut aisément le constater, la théorie cosmogonique enseignée traditionnellement dans les écoles sacerdotales de Babylone et conservée par Bérose, avait la plus grande analogie avec celle qui est ex-posée au commencement de la Genèse hébraïque. Comme celte dernière, elle admettait que l’homme est, non pas né par émanation de la terre qui le porte, mais créé par l’opération toute-puissante d’un dieu personnel distinct de la matière primordiale et supérieur à elle. Les prêtres chaldéens enseignaient, d’après Bérose, que l’homme fut façonné par les dieux avec du limon, comme une statue d’argile.

Malheureusement la genèse assyro-babylonienne dont le texte original a été retrouvé dans les décombres de la bibliothèque d’Assurbanipal, est si mutilée que le récit de la création de l’homme n’y est pas compris : il n’en est pas question dans tout ce que l’on en possède, ou plutôt un seul passage, dans ce qui nous reste de ce précieux texte, semble faire allusion à un dieu créateur ayant façonné l’homme de ses mains : La vue des hommes que ses deux mains ont créé, y est-il dit en parlant de Êa, le dieu qui ressuscite les morts[5].

Il existe encore d’autres rapports non moins significatifs entre le récit de la création de l’homme dans la Genèse hébraïque et le même récit clans la cosmogonie chaldéenne. Pour désigner l’homme dans ses rapports avec son créateur, le texte cunéiforme emploie quelquefois le mot admu, qui est bien le même mot que l’Adam du texte biblique. C’était probablement le nom donné par le texte cunéiforme au premier ancêtre de l’humanité ; toutefois, Bérose l’appelle Adoros, nom dans lequel il n’est pas possible de méconnaître l’original Adiuru, retrouvé dans des textes cunéiformes où il est cité pour indiquer l’origine même de notre race[6].

Mais n’insistons pas trop sur la création de l’homme et l’organisation du monde d’après les traditions chaldéennes, pour ne pas revenir sur un sujet déjà traité dans le premier volume de cet ouvrage. Nous ferons seulement, en dernier lieu, remarquer que les Mendaïtes ont recueilli dans leurs livres sacrés les spéculations théologiques des savants chaldéens, soit pour les générations divines, soit pour la création de l’homme et l’organisation du monde. Le Sidra rabba enseigne l’existence d’un dieu suprême, éternel et pur esprit, dont le nom est Aloho, c’est-à-dire le dieu assyrien ilu, expression d’ailleurs universellement en usage dans les langues sémitique pour désigner l’Être suprême. Aloho ne fait rien et n’agit point ; il se confond avec ses propres émanations, parmi lesquelles les deus premières sont, comme chez les Chaldéens, le principe mâle et le principe femelle, Firho et Ayar, l’un qui est l’élément actif et fécondant, l’autre, l’élément passif et fécondé. De ces deux êtres divins émanent trois outras ou génies, appelés la première, la seconde et la troisième Vies, la matière, le verbe et la providence, correspondant â Anu, Bel, Êa. L’homme, appelé Adam, est créé par une de ces trois Vies, Êa, qui lui communique l’utile et la vie, comme dans la Genèse biblique et la tradition bérosienne, aussi bien que dans l’enseignement, de la Cabale et de la plupart des sectes gnostiques des premiers siècles de notre ère[7].

 

§ 2. — LES DOUZE GRANDS DIEUX

Lisant, dans le ciel comme clans le grand livre de la destinée humaine, les Chaldéens ne pouvaient manquer d’appliquer leurs dieux aux astres et de tomber dans le sabéisme. C’est ce qui arriva de bonne heure, et le vulgaire ne retint que ce coté matériel et concret de leur enseignement. Jamais la science des générations divines ne sortit du domaine de la spéculation abstraite, jamais elle ne franchit le seuil de l’école. La religion officielle, ouverte et populaire, n’est qu’un vaste panthéisme sidérique, sans mastères, sans doctrines ésotériques, sans théologie profonde, sans métaphysique. Prise sur le fait et en action dans les textes historiques depuis Teglath-pal-asar Ier jusqu’à Cyrus, elle a exclusivement et essentiellement un caractère sidéral. C’est au soleil, il la lune, aux planètes, aux constellations zodiacales que les rois de Ninive et de Babylone s’adressent dans leurs prières et dont ils appellent la protection de tous leurs vœux. Douze grands dieux constituent le véritable Olympe de la religion officielle : ce sont ceux que Diodore de Sicile appelle κύριοι θεών, et qu’il dit avoir présidé aux douze mois de l’année et aux douze signes du zodiaque : constituant sous les ordres du maître absolu des dieux et des hommes, Ilu, le conseil supérieur de la hiérarchie céleste, eux seuls sont invoqués dans les préambules des inscriptions historiques.

Voici, par exemple, comment les énumère le protocole de la grande inscription historique d’Assur-nazir-pal :

Assur, le grand dieu, le roi de l’assemblée des grands dieux ;

Anu, le dieu impénétrable, le maître qui règle les destinées ;

Salman-Nisruk, le roi de l’atmosphère, seigneur des mystères.

Sin, le savant, le seigneur des sphères, celui qui abreuve les plaines ;

Marduk, ..., le sage, le maître des oracles ;

Raman, l’impénétrable ... le seigneur suprême ;

Adar-Sandan, le héros des combats divins, qui réduit les ennemis ;

Nabu, le dieu qui transmet le sceptre, le dieu qui surveille ;

Belit, épouse de Bel, mère des grands dieux ;

Nergal, le ... le maitre des combats ;

Bel-Dagan, le père suprême des dieux, l’architecte, le créateur ;

Samas, l’arbitre du ciel et de la terre, le mandataire de l’assemblée des dieux ;

Istar, la souveraine du ciel et de la terre, celle qui juge les héros :

tels sont les grands dieux qui règlent les destinées du pays et qui agrandissent la royauté.

Dans d’autres inscriptions, les grands dieux sont invoqués avec d’autres qualificatifs, et souvent dans un ordre différent ; parfois même la liste est incomplète. On peut ainsi s’assurer que le culte officiel et populaire n’avait rien de bien défini en ce qui concerne la hiérarchie divine, et qu’il n’était que fort imparfaitement en harmonie avec la savante théorie théogonique qui constituait la religion occulte et spéciale aux opérations théurgiques.

Le premier des douze grands dieux, celui qui correspond au Jupiter des Grecs et des Romains, et qui gouverne le monde, c’est Marduk, ou Maruduk, le dieu spécial et tutélaire de Babylone. Divinité locale à l’origine et envisagé comme une des multiples manifestations du soleil, ainsi que l’indique la forme étymologique de son nom Amar-utuki éclat du soleil, il devint le chef du panthéon chaldéo-assyrien et prit le pas sur les autres divinités poliades, à partir du jour où la prépondérance politique de Babylone fut définitivement reconnue. Sa personnalité se confond dès lors avec celle de Bel, le fils aîné d’Êa ; c’est pourquoi on le nomme souvent Bel-Marduk, et il préside à la plus grosse et à la plus brillante des planètes, Jupiter. On l’appelle le dieu qui mesure la marche du soleil, le prince des légions stellaires ; il est qualifié de juge, soutien de la royauté, dieu des légions, celui qui marche devant Êa. On l’invoque comme il suit dans un hymne en son honneur :

Roi de la surface de la terre, roi des contrées,

Fils aîné d’Êa, qui ramènes le ciel et la terre (dans leurs mouvements périodiques),

Grand seigneur de la surface de la terre, roi des contrées, dieu des dieux

du ciel et de la terre, qui n’as pas d’égal, serviteur d’Anu et de Bel,

miséricordieux entre les dieux,

miséricordieux qui rappelles les morts à la vie, Marduk, roi du ciel et de la terre,

roi de Babylone, seigneur du E-Sagil

Seigneur du E-Zida, seigneur du E-Mah-bilat ; à toi sont le ciel et la terre,

à toi sont ensemble le ciel et la terre,

à toi est le charme de vie,

à toi est le philtre de vie,

à toi est la clôture brillante de l’ouverture de l’Océan !

L’ensemble des hommes,

Tous les êtres vivants, désignés par un nom, qui existent à la surface de la terre,

les quatre régions célestes dans leur totalité,

les Archanges des légions du ciel et de la terre, tous tant qu’ils sont.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ô Marduk ! roi du ciel et de la terre,

j’ai invoqué ton nom, j’ai invoqué ton cœur ; que les dieux glorifient ton nom !

qu’ils bénissent celui qui t’est soumis ![8]

Sous le nom mystique de Silik-mulu-hi, Bel-Marduk est, nous l’avons vu, l’une des principales divinités invoquées dans les incantations magiques. Son rôle est non moins important dans l’épopée cosmogonique où il lutte pour défendre le monde organisé, contre les puissances du chaos, Anu, Tiamat et leurs agents subalternes.

Le combat de Marduk et de Tiamat forme un des plus importants chapitres de la grande épopée chaldéenne. Jouant le rôle du serpent tentateur dans la Genèse, et prenant la figure d’un animal monstrueux, Tiamat, la source du péché, induit l’homme à désobéir aux règles établies par La, l’intelligence divine. Alors, les dieux arment, de la foudre et de la harpè, Marduk qui précipite Tiamat dans les enfers. Le dithyrambe qui suit est placé dans la bouche de Marduk, au moment oit les dieux célestes viennent de l’équiper pour ce grand combat.

Devant la terreur de ma force immense, puissante comme celle d’Anu, qui oserait résister ?

Je suis le maître ; les montagnes escarpées qui élèvent leurs tètes jusqu’au ciel, tremblent devant moi ;

La montagne d’albâtre, de lapis et d’onyx, je la tiens dans ma main.

Archange de la terre, comme un oiseau de proie fond sur les passereaux,

Dans la montagne, par ma vaillance héroïque, je décide la querelle.

Dans ma main droite, je tiens le disque de feu ;

Dans ma main gauche, je tiens le disque de carnage.

Le soleil à cinquante faces, arme de ma divinité, je le porte ;

Le vaillant, qui brise les montagnes, le soleil dont l’action ne cesse pas, je le porte.

L’arme qui, comme l’ogre, agit merveilleusement tout autour d’elle, je la porte.

Celle qui brise les montagnes, l’arme puissante d’Anu, je la porte.

Celui qui courbe les montagnes, le poisson aux sept nageoires, je le porte.

La lame flamboyante de la bataille, qui dévaste et désole le pays rebelle, je la porte.

La harpè qui bouleverse les rangs, glaive de ma divinité, je la porte,

Celle aux atteintes de qui la montagne n’échappe pas, la main du mâle puissant de la bataille, je la porte.

La joie des vaillants, la lance qui fait la force dans la bataille, je la porte.

Le lacet qui s’attache à l’homme, et l’arc de la foudre, je les porte.

La massue qui écrase les demeures du pays rebelle, et le bouclier de la bataille, je les porte.

La trombe de la bataille, l’arme aux cinquante têtes, je la porte.

Pareil à l’énorme serpent à sept tètes, ayant le ... à sept têtes, je le porte.

Pareil au serpent qui bat les flots de la mer, attaquant l’ennemi en face,

Dévastatrice dans la violence des batailles, dominatrice du ciel et de la terre, l’arme aux sept têtes, je la porte.

Faisant jaillir son éclat comme celui du jour, le dieu qui échauffe l’Orient, je le porte.

Créateur du ciel et de la terre, le dieu dont la main ne rencontre pas d’adversaire, je le porte.

L’arme qui remplit le pays de la terreur de sa force immense,

Dans ma main droite puissamment, le projectile d’or et d’onyx[9].

On se souvient que dans le récit des premiers chapitres de la Genèse biblique, Jéhovah placé à la porte de l’Eden pour garder le chemin de l’arbre de vie, avec les Kérubim, une arme qualifiée la lame flamboyante du glaive qui tourne. Il s’agit probablement d’un instrument analogue au tchakra des Indiens, disque aux bords tranchants, au centre évidé, que l’on projette horizontalement après l’avoir fait tournoyer autour des doigts, de manière à lui imprimer une rotation rapide sur lui-même. Ce disque tranchant, pareil, sans doute, aux roues qu’Ezéchiel décrit à côté des Kérubim de sa vision de la Merkabah, nous en avons la description complète dans le dithyrambe en l’honneur de Marduk, que nous venons de rapporter. Marduk est muni d’une panoplie complète, harpè, lance, lasso, arc, massue et bouclier ; il tient sur chacune de ses mains un disque tournoyant. C’est là son arme la plus formidable, celle qui assure le mieux sa victoire, celle qu’il décrit avec le plus de complaisance et avec abondance de métaphores.

Ainsi armé, Marduk s’avance contre Tiamat qui est à la tête des légions des démons et des divinités infernales ; l’épopée chaldéenne poursuit comme il suit, le récit de ce dramatique épisode

Il prit l’instrument dans sa main droite,

et] il suspendit [l’arc] et le carquois.

Il lança un éclair devant lui,

et [une fureur] impétueuse remplit son corps.

Il prit aussi le cimeterre qui devait pénétrer le corps de Tiamat.

Il retint les quatre vents pour que les attaques de celle-ci ne passent pas se produire au dehors,

le vent de sud, le vent de nord, le vent d’est et le vent d’ouest.

Sa main plaça le cimeterre à côté de l’arc de son père Anu.

Il créa le vent mauvais, le vent hostile, la trombe, l’ouragan ;

quatre vents, sept vents, le vent dévastateur, le vent sans trêve ;

et il lécha les vents qu’il avait créés, sept en nombre,

pour porter le bouleversement dans le corps de Tiamat en se précipitant à sa suite. Il souleva aussi, en maître, le tourbillon, sa grande arme.

Il monta dans un char solide, sans rival, qui aplanit tout devant lui,

il s’y tint debout et sa main attacha les quatre paires de rênes,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tu t’es précipité [sur moi] .... et .... tu as dirigé ton hostilité contre moi.

Mais ta troupe ne prévaudra pas et ce sont leurs corps qu’iront frapper les armes,

Détourne-toi, et moi et toi nous nous livrerons un combat singulier...

Tiamat, quand elle entendit cela,

fut d’abord stupéfaite et changea sa résolution.

Elle examina attentivement en haut,

et elle fortifia puissamment et complètement sa base.

Elle prépara un sortilège, elle se plaça ....

et elle fit prendre les armes aux dieux qui combattaient (avec elle).

Et Tiamat assaillit le héraut des dieux, Marduk ;

ils se précipitèrent ardemment l’un sur l’autre en combat, et ils se joignirent en bataille.

Le seigneur tira son cimeterre et la frappa ;

il lâcha en avant de lui le vent mauvais, qui prend par derrière.

Et Tiamat ouvrit sa bouche pour l’engloutir ;

mais il avait fait entrer en elle le vent mauvais, de telle façon qu’elle ne put fermer sa bouche.

La violence du vent remplit son estomac ;

son cœur défaillit et sa bouche se tordit.

Marduk porta en avant son arme tranchante, il rompit son estomac,

il la coupa par le milieu et fendit son cœur ;

il l’abattit et trancha sa vie.

Il reconnaît son trépas et se dresse superbe sur elle.

Après que Tiamat, qui marchait devant eux, fut abattue,

il dispersa ses soldats ; sa cohorte fut dissipée,

et les dieux ses auxiliaires, qui marchaient à son côté,

tremblèrent, prirent peur et retournèrent en arrière.

Ils se sauvèrent pour mettre leurs vies en sûreté,

et ils se cachèrent en fuyards, dépourvus de vaillance.

Mais [il fondit] sur eux et brisa leurs armes[10].

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La lutte de Marduk et de Tiamat continue, après que cette dernière est vaincue, contre les débris de l’armée des démons. Ce sont particulièrement sept mauvais Esprits, les fils de Tiamat, qui cherchent à entraver la marche du dieu Sin (la lune) et à ternir son éclat. Marduk est obligé de voler au secours de Sin, son fils, et pour vaincre il lui faut avoir recours à son père Êa, l’intelligence suprême, organisatrice du monde ; voici l’épisode qui raconte la lutte victorieuse de Marduk contre les sept Esprits du mal :

Les jours qui reviennent en cycles, ce sont les dieux méchants,

les génies rebelles qui ont été formés dans la partie inférieure du ciel,

Eux, ils sont ceux qui font le mal,

complotant dans leurs têtes méchantes .... le coucher du soleil,

coulant avec les fleuves . . . . . . . . . .

Entre eux sept, le premier est ...

le second, un ogre à la bouche de qui personne n’échappe,

le troisième une, panthère qui frappe ...

le quatrième un serpent ...

le cinquième un dogue de garde qui contre ...

le sixième, une tempête soufflant violemment, qui ... contre dieu ou roi,

le septième, le messager du vent funeste qui ...

Ils sont sept, messagers d’Anu, leur roi ;

de ville en ville chaque jour ils dirigent leurs pas.

Ils sont la tempête de vent du sud qui violemment chasse en avant dans le ciel, le nuage flottant qui dans le jour obscurcit le ciel,

la tempête de vent qui souffle violemment et dans un jour brillant produit les ténèbres.

Avec les vents mauvais, en vents mauvais ils circulent ;

inondation de Raman, ils développent leurs exploits ;

à la droite de Raman, ils s’avancent ;

des fondements du ciel ils éclatent comme l’éclair ;

coulant avec les fleuves, ils marchent en avant.

Dans les vastes cieux, résidence d’Anu, leur roi, ils se sont fixés pour faire le final et n’ont pas de rivaux.

Un jour, enfin, Bel-El (Belial ?) entendit de cette affaire et fortifia sa volonté dans son cœur.

Avec Kin, il maîtrisa la sainte colère des dieux,

Et ils retinrent, pour les diriger ensuite, Sin (la lune), Samas (le soleil) et Istar (Vénus) dans la partie invisible du ciel.

Avec Anu, il renouvela pour eux la direction des légions célestes.

Et à eux trois, les dieux, ses enfants,

il relégua ces sept dieux méchants dans la partie invisible du ciel.

Il confia le renouvellement du jour et de la nuit, sans interruption,

A Nannar, il confia de nouveau la lune,

Il rendit leurs qualités aux mains de Samas, le héros, à Raman, le vaillant.

Il casa Istar avec Anu, le roi de la demeure brillante,

Et la consacra pour la royauté des cieux.

(Suit une lacune de trois lignes qui traitait probablement de la reconstitution de l’ordre céleste.)

Alors ces sept démons,

Au commencement de la période, en présence de ... (montrèrent) leur inimitié.

Pour une année (ils obscurcissent) sa face brillante (de Sin).

Sin (la lune), le roi des hommes (ne luit plus) pour gouverner les pays.

Quant au soleil, (sa splendeur) fut troublée, et il vécut en tristesse.

Le jour fut obscurci, et il ne demeura pas dans le siège de sa royauté ...

Les dieux ennemis, messagers d’Anu, leur roi,

Les représentants malfaisants s’aidaient mutuellement

Et se confirmaient dans leur méchanceté :

Du milieu du ciel vers la terre, ils se ruèrent.

Bel vit les exploits de Sin et son obscuration.

Le maître parla ainsi à son serviteur Nusku :

Nusku, mon serviteur, porte ma décision vers l’abîme,

La nouvelle concernant mon fils Sin qui, dans le ciel, est tristement obscurci,

Apporte-la à Kin (qui habite) dans l’abîme.

Nusku reçut avec respect l’ordre de son maître.

Et alla de suite vers Kin (qui habite) dans l’abîme,

Vers le maître des musli suprêmes, le maître de Nukimmut.

Nusku rapporta le message de son maître de l’autre côté.

Kin, dans l’abîme, entendit celte nouvelle,

Et se mordit les lèvres, et sa face se remplit de larmes.

Kin appela son fils Marduk et lui murmura la nouvelle :

Va, mon fils, Marduk,

Il y a une nouvelle de mon fils Sin qui est tristement obscurci dans le ciel ;

Vois mon obscuration dans le ciel ;

ce sont les sept dieux ennemis, les assassins sans vergogne,

Ce sont les sept dieux ennemis qui tombent sur le pays comme des orages,

Qui, comme les cyclones, dévastent la terre.

Ils se sont postés devant Nannar, la lune, avec succès.

Samas et Raman se sont rangés de leur côté[11].

La suite du poème, malheureusement fort mutilée, raconte les opérations magiques auxquelles Marduk dut avoir recours pour délivrer Sin : c’était là le côté pratique et édifiant du récit, car si un immortel a besoin du secours des incantations pour échapper à l’étreinte des démons, à plus forte raison l’homme devra-t-il, en pareille occurrence, faire appel à la puissance surnaturelle du magicien.

Sur un grand nombre de cylindres en pierre dure, on voit Marduk délivrant Sin de l’étreinte des sept Génies du mal. Un de ces monuments entre autres, figure le dieu Sin, à mi-corps au milieu du croissant lunaire son symbole ; il est barbu, en costume royal, coiffé de la cidaris ou tiare droite appelée agu en assyrien, Sa main gauche lient les trois fruits symboliques de grenadier sortant d’une même branche, que portent beaucoup lite divinités et dont la signification n’est pas encore bien établie. Sin, tourné du côté de Marduk, l’appelle à son secours.

D’après les donnés de l’épopée chaldéenne, Sin, le fils de Marduk et implorant sa protection, est moins important que son père et il occupe un rang inférieur dans la hiérarchie céleste. Il n’en fut pas toujours partout ainsi, et Sin, le dieu hune, semble avoir tenu la place d’honneur dans les adorations des rois primitifs de la Chaldée, avant la suprématie de Babylone. C’était le dieu spécial et tutélaire de la ville d’Ur ; les inscriptions des rois de cette ville, qui ont sans cesse embelli et réparé son sanctuaire, le proclament le chef, le puissant, le seigneur des Esprits, le roi des dieux, l’étincelant. A l’époque de l’empire babylonien, au contraire, Sin n’est plus que le seigneur des trente jours du mois, le seigneur du signe zodiacal, l’architecte, celui qui veille sur la terre ; on lui donne souvent pour frère Adar Sandan, le dieu de la force, et nous raconterons tout à l’heure une légende recueillie par Ctésias, dans laquelle les deux frères divins se disputent le gouvernement du ciel. Toutefois, le caractère astrologique de la religion chaldéo-assyrienne fait que le dieu Lune garde toujours un rôle important, soit dans les représentations figurées où son symbole est le croissant, soit dans les prières liturgiques, comme le constate l’hymne suivant où on l’invoque :

Seigneur, prince des dieux, qui seul es sublime clans le ciel et sur la terre !

Père, illuminateur, seigneur, dieu protecteur, prince des dieux !

Père, illuminateur, seigneur, dieu grand, prince des dieux !

Père, illuminateur, seigneur, Sin, prince des dieux !

Père, illuminateur, seigneur d’Ur, prince des dieux !

Père, illuminateur, seigneur du E-Sirgal, prince des dieux !

Père, illuminateur, seigneur, créateur des couronnes, prince des dieux !

Père, illuminateur, qui fais arriver majestueusement la royauté à sa plénitude, prince des dieux !

Père, illuminateur, qui t’avances dans l’appareil de la majesté, prince des dieux !

Luminaire puissant aux cornes vigoureuses, aux membres complètement formés, à la barbe étincelante, splendide quand il remplit son orbe.

Fruit qui se produit lui-même, sortant de son domicile ; qui, dans son action propice, n’interrompt pas la gouttière par laquelle il verse l’abondance !

Miséricordieux, qui engendre tout, qui, au-dessus des êtres vivants élève sa demeure étincelante l

Père, miséricordieux et restaurateur, dont la main soutient la vie sur la terre l

Seigneur, ta divinité, comme les cieux profonds et la vaste mer, répand une terreur respectueuse !

... de la surface de la terre, développant la rectitude, proclamant sa gloire,

Père, générateur des dieux et des hommes, qui élève sa demeure et fonde tout ce qui est bon.

Qui proclame la royauté, qui donne le sceptre suprême, qui fixe les destinées pour les jours lointains ;

chef inébranlable, dont le cœur est vaste et n’oublie personne,

... dont les genoux ne se reposent pas, qui ouvre le chemin aux dieux, ses frères,

qui, des fondements au plus haut sommet des cieux s’avance, qui ouvre la porte des cieux, faisant luire la lumière sur le pays des hommes,

Père qui m’a engendré ...

Seigneur qui ordonne ses commandements au ciel et à la terre, dont personne n’enfreint la volonté ...

Dans le ciel, qui est sublime ? Toi ! toi seul us sublime.

Sur la terre, qui est sublime ? Toi ! toi seul es sublime.

Toi ! ta volonté est proclamé dans les cieux, et les Archanges célestes prosternent leur face.

Toi ! ta volonté est proclamée sur la terre, et les Archanges de la terre baisent le sol.

Toi ! ton commandement retentit en haut comme un vent dans les ténèbres, et il fait germer la terre.

Toi ! ton commandement existe à peine sur la terre, et déjà la végétation est produite.

Toi ! ton commandement s’étend sur les lieux habités et les sommets, et il multiplie les êtres vivants.

Toi ! ton commandement donne l’existence à la vérité et à la justice ; il affermit la vérité parmi les hommes.

Toi ! ton commandement, ce sont les cieux reculés et la terre qu’ils couvrent, qui n’oublient personne.

Toi ! ton commandement, qui peut l’apprendre ? qui peut l’égaler ?

Seigneur, dans les cieux est tu seigneurie, sur la terre ton principat ; parmi les dieux, tes frères, lu n’as pas de rival.

Roi des rois, qui n’a aucun juge au-dessus de lui, dont aucun dieu n’égale la divinité . . . . .

Favorise la ville d’Ur, ô dieu ! favorise-la !

que l’épouse ... heureuse, ô seigneur ! puisse implorer de toi la paix !

que l’époux ... G seigneur, puisse implorer de toi la paix !

que les Archanges célestes .. : ô seigneur, puissent implorer de toi ta paix !

que les Archanges de la terre ... ô seigneur, puissent implorer de toi la paix ![12]

Le caractère sidéral du dieu Sin qui ne cessa d’être honoré dans nombre de sanctuaires, en Mésopotamie et en Syrie, longtemps après la chute de Babylone, est particulièrement mis en relief dans ce passage de la grande épopée chaldéenne oit il est désigné sous le nom de Nannar le brillant, le lumineux :

Il fit briller Nannar (la lune), il l’attacha à la nuit,

et il lui fixa le temps de ses phases nocturnes qui déterminent les jours,

pour le mois entier sans interruption il établit quelle serait la forme de son disque.

Au commencement du mois, quand commence le soir,

Tes cornes te serviront d’annonce pour permettre de déterminer le, temps du ciel.

Le septième jour, tu seras eu train de remplir ton disque mais les . . . . . . . . . . découvriront sa partie obscure [à moitié.

Quand le soleil descend à l’horizon au moment de son lever, délimite exactement [la plénitude], l’orme son cercle.

Ensuite] tourne-toi, rapproche toi du chemin du soleil.

. . . . . . . . . . tourne-toi, et que le soleil change (le côté où l’on voit) la partie obscure.

. . . . . . . . . . marche dans son chemin.

Lève-toi] et couche-toi, soumis à la loi de cette sentence[13].

Ainsi, dès la plus haute antiquité, les savants chaldéens s’étaient rendu compte du rôle que joue le soleil dans les phases et les transformations graduelles et périodiques de l’astre des nuits.

Sin était un dieu masculin comme le dieu Mên des Grecs ; toutefois, envisagé sous certains points de vue, Sin devient féminin ou plutôt il est, androgyne et a les attributs des deux sexes. C’est ainsi qu’il arrive à se confondre avec Istar, la Vénus assyrienne qui, elle aussi, revêt parfois, comme nous le verrons tout à l’heure, les caractères d’une déesse lunaire et qu’on invoque comme telle. Sin, à l’époque romaine était encore tenu pour hermaphrodite par les Sabiens de Harrân qui l’adoraient[14] ; c’est sans cloute d’après les mêmes conceptions symboliques que le dieu Mên, si populaire dans les religions de l’Asie gréco-romaine, revêt un aspect efféminé et d’un sexe incertain. Le tulle de Sin se perpétua en Mésopotamie jusqu’à l’aurore des temps modernes : c’est en se rendant au temple de Sin à Harrân, pour y offrir un sacrifice solennel, que l’empereur romain Macrin fut assassiné.

Samas ou le dieu Soleil, est une des divinités les plus universellement invoquées ; mais dans la hiérarchie céleste, il vient après Sin, le dieu Lune. On le qualifie hyperboliquement, dans les invocations qu’on lui adresse, d’arbitre des dieux, de grand juge du ciel et de la terre. Souvent on le représente simplement par l’image même du disque solaire ; quelquefois le buste du dieu, coiffé de la tiare, émerge du centre de ce disque. Samas avait des sanctuaires à. Babylone, à Larsa, à Sippara. Dans cette dernière ville dont il était la divinité poliade, il eut un temple resté célèbre tout le temps de la durée de l’empire assyrien on cite constamment ce sanctuaire avec celui d’Anuait, déesse qui passait, à Sippara, pour l’épouse de Samas. Dans ce temple fameux, sans cesse embelli et restauré par les rois chaldéens, brûlait comme dans les sanctuaires de la religion de Zoroastre, un feu qui ne devait jamais s’éteindre. Nous parlerons ailleurs, en traitant des cérémonies du culte, d’un bas relief trouvé à Abu-Habbu, aux ruines de l’ancienne Sippara, sur lequel on voit figuré, avec le disque solaire, l’édicule qui constituait le tabernacle de Samas. Le dieu est majestueusement assis sur un trône, avec le symbole de sa puissance a ses pieds, et il tient dans sa main le disque et le sceptre magique. Dans la Bible, le dieu de Sippara (Sepharvaïm), reçoit le nom de Adrammelek, et son épouse celui de Anammelek, de sorte qu’il paraît évident qu’Adar ou Adra était un des qualificatifs du dieu Soleil, en même temps qu’un des noms de Sandan, l’Hercule assyrien, dont nous allons nous entretenir tout à l’heure. Une longue prière en faveur d’un roi tombé gravement malade, énumère les attributs de Samas de la manière suivante

Seigneur grand, du milieu des cieux brillants, à tes levers,

Héros vaillant, Samas, du milieu des dieux brillants, à tes levers,

dans les verrous des cieux brillants, dans la porte qui ouvre le ciel, à tes ..

dans la barre de la porte des cieux brillants...

dans la grande porte des cieux brillants, lorsque tu l’ouvres,

clans les plus hauts sommets des cieux brillants, lors de ta marche rapide,

les archanges célestes en respect et en joie s’empressent autour de toi ;

les serviteurs de la daine des dieux te conduisent en fête ;

les ... pour la paix de ton cœur te fixent les jours ;

les ... des foules des pays te contemplent avidement ;

Les esprits des cieux et de la terre, te conduisent en troupe...

Le seigneur, quant à moi, m’a envoyé,

Le Seigneur grand, Êa, quant à moi, m’a envoyé.

Fixe ce qui le regarde, enseigne l’ordre qui le concerne, décide la décision qui le touche.

Toi, dans ta marche, tu diriges la race des hommes ;

fais briller sur lui un rayon de paix et qu’il guérisse sa souffrance ;

L’homme, fils de son dieu, a déposé devant toi ses manquements et ses transgressions.

Ses membres sort dans la souffrance ; il est douloureusement souillé par la maladie.

Samas, à l’élévation de mes mains, porte attention ;

mange son aliment, reçois sa victime, rends son dieu pour soutien à sa main.

Par ton ordre, que son manquement soit absous ! que sa transgression soit effacée

Que son malheur tourne à bien ! que sa maladie revienne à la vie

Rends la vie au roi !

Alors, au jour où il revivra, que ta sublimité l’enveloppe de sa protection !

Dirige le roi qui t’est soumis

Et moi, l’enchanteur, ton serviteur soumis, dirige-moi[15].

Le dieu de la force, qui présidait à la planète Saturne, et qui fut le prototype de l’Hercule grec, porte dans les textes cunéiformes un nom composé de deux éléments idéographiques NIN-IB et NIN-DAR, dont la lecture phonétique n’a pas encore été trouvée par les assyriologues. Les Grecs l’ont appelé Sandan, et l’on assimilé à Adar, le dieu de la force chez la plupart des peuples sémitiques[16]. Quoiqu’il en soit, le caractère et le rôle de ce dieu dans la mythologie assyro-chaldéenne sont bien connus ; aucune divinité n’est plus fréquemment invoquée à Ninive ; elle occupe une place moins prépondérante à Babylone. On lui donne les épithètes de terrible, seigneur des braves, maître de la force, exterminateur des rebelles, seigneur du glaive et des armées. Il se confond avec le personnage semi-légendaire de Nemrod et personnifie la force et la vaillance, à la chasse comme à la guerre. Le roi Samsi-daman III s’était mis particulièrement sous la protection de Adar-Sandan, et nous avons reproduit l’invocation qu’il lui adresse eu tête du récit de ses exploits guerriers.

Nergal, le dieu de la planète Mars, était originairement la divinité tutélaire de la ville de Cutha (Kutu). C’était le dieu lion, ilu Ariu. Son nom signifie celui qui piétine, et vient de ce que les Chaldéens avaient remarqué le mouvement rétrograde de la planète Mars. Il était adoré sous la figure d’un lion ; aussi, les lions ailés qui entraient dans la décoration symbolique des palais, sont-ils appelés des nirgalli ; on le représente souvent avec une tête de lion sur un corps d’homme, et tenant à la main un glaive. Les inscriptions le qualifient : le grand héros, le roi des mêlées, le maître des batailles, le champion des dieux, le dieu de la chasse. Ces titres ressemblent fort à ceux de Adar-Sandan ; aussi, il est parfois difficile de distinguer ces deux divinités d’après leurs attributs caractéristiques. Les Cuthéens transportés à Samarie adoraient, prétend une tradition rabbinique, le dieu Nergal, sous la figure d’un coq. Cette assertion n’est peut-être pas tout à fait une simple invention clos rabbins, car sur plusieurs cylindres chaldéo-assyriens, on voit un coq placé comme attribut à côté du dieu Nergal ; il en est, un, même, qui offre la figure d’un dieu à pieds et à queue de coll. Rappelons-nous enfin que les Yézidis de nos jours, adorent leur divinité suprême sous la forme d’un coq de bronze.

Raman, auquel les assyriologues ont longtemps donné le nom de Bin, est le dieu de l’atmosphère et du firmament ; c’est le ciel lumineux des étoiles fixes. Ses principaux titres sont le ministre du ciel et de la terre, le distributeur de l’abondance, le seigneur des canaux, dans lesquels résidait toute la fertilité du pays, le chef bienfaisant, le dieu de la fécondité. Étant le dieu de l’atmosphère, on l’appelle aussi le seigneur de la tempête, du tourbillon, l’inondateur ; on dit des rois conquérants qu’ils dévastent les contrées ennemies comme le tourbillon de Raman et on appelle ce dieu, celui qui balaie de sa tempête les rebelles et les pays ennemis. Son attribut ordinaire sur les monuments est le foudre ; sur titi bas-relief, nous voyons porter au milieu d’une procession sa statue, le front armé de quatre cornes, debout, tenant la hache et le foudre. Sur un autre monument, il est muni de quatre grandes ailes, vêtu en roi coiffé de la tiare à plusieurs paires de cornes superposées, et il poursuit de sa foudre un génie des ténèbres représenté sous les traits d’un monstre. C’est à titre de dieu de la foudre et du feu céleste, que l’expression idéographique de son nom signifie le feu. Ce caractère igné était symbolisé par la couleur rouge dont était revêtu extérieurement l’antique temple de ce dieu dans la ville d’El-Assur (Ellassar). Raman, comme dieu du firmament lumineux est aussi représenté par l’image d’un chien, symbole de la lumière, chez les Chaldéo-Assyriens. Comme Marduk, enfin. il ut originairement un dieu solaire ; c’était le soleil envisagé comme amenant et produisant les pluies ; c’est pour cela qu’il est appelé parfois hyperboliquement le soleil du Sud au plus haut de sa course.

Nabu ou Nébo est le dieu de la planète Mercure, le dieu de l’inspiration prophétique et de l’éloquence, le gardien des secrets de l’écriture, celui qui veille à la conservation des vieux documents et des archivés sacrées. Comme Nisruk, dont il est une manifestation secondaire ; on le qualifie quelquefois l’intelligence suprême ; dieu de l’onction royale et le protecteur spécial des princes, on l’appelle aussi le dieu qui porte le sceptre, le dieu de la tiare, et le sceptre symbole de souveraineté est un de ses attributs. Il est encore le dieu qui surveille les légions du ciel et de la terre, c’est-à-dire qui veille, en sa qualité de dieu savant et d’astre précurseur, à la régularité des mouvements des corps sidéraux et des phénomènes terrestres. Sous le roi Raman-Nirar III, le préfet de la ville de Kalah avait fait construire un temple au dieu Nabu, dont les ruines ont été fouillées par W. Loftus. On y a découvert plusieurs statues du dieu : c’est un vieillard vêtu d’une longue robe, les mains croisées sur la poitrine ; ses cheveux et sa barbe sont arrangés à l’assyrienne ; sa tiare est orné de cornes de taureau, symbole de la force et de la toute puissance divine ; l’inscription qui est sur sa poitrine est ainsi conçue : Au dieu Nabu, le gardien des mystères, le fils du E-Sagil, l’auguste, le directeur des planètes, le chef suprême, le fils du dieu des Nukimut (?), le protecteur, le recteur des astres brillants, le surveillant du ciel et de la terre ; le tuteur de ceux qui bénissent son nom et lui prêtent une oreille attentive ; celui qui tient la tablette des destinées..., celui qui préside au lever et au coucher du soleil ; celui qui marque le temps, le glorificateur de Bel ; le seigneur des seigneurs dont la puissance est immuable et pour qui le ciel a été créé ; le vainqueur, l’auguste, le vigilant qui fait bonne garde, le dieu qui habite le temple E-Zida, au milieu de Kalah... Qui que tu sois, toi qui vivras après moi, mets ta confiance dans le dieu Nabu, et ne te confie pas à un autre dieu.

Un autre hymne à la louange de Nabu le qualifie de la manière suivante :

Seigneur, à ta puissance, aucune puissance n’est égale ;

... à ta demeure, le temple E-Zida, aucune demeure n’est égale ;

A ta ville, Borsippa, aucune ville n’est égale ;

A ta campagne, la Babylonie, aucune campagne n’est égale.

Ton arme est un ogre dont la bouche n’est jamais privée de venin.

Ton commandement est invariable comme les cieux : dans les cieux tu es sublime[17].

Enfin, nous citerons un dialogue mystique entre le roi Assurbanipal et le dieu Nabu :

Je t’ai ouvert (mon cœur), ô Nabu, dans l’assemblée des [dieux].

Mes soucis n’ont pas diminué, le but de ma vie n’est pas atteint.

Je t’ai présenté (mes trésors), ô héros parmi les dieux, tes frères.

(Et j’ai demandé) la gloire d’Assurbanipal pour longtemps, pour toujours.

Et j’ai embelli (tes sanctuaires), sans cesse, ô Nabu !

(Je t’invoque), ô Nabu, dans le comble de mes soucis.

(Nébo) — Je suis ton soutien, ô Assurbanipal, pour l’éternité des jours.

Tes pieds ne se fatigueront pas, tes mains ne se lasseront pas.

(Elles sont ta force, et ne se reposeront pas dans tes conquêtes.)

Tu ne retireras pas ta langue derrière tes lèvres,

Car je te ferai don d’une belle éloquence.

Je glorifierai ta tête, et j’ai glorifié tes images dans les temples divins.

Nébo continue : Que veut ta bouche ? Pourquoi est-ce bon ?

.... tu as exposé au dieu ta crainte ?

Ton œuvre que j’ai rendue propice, les dieux me l’ont recommandée dans les décrets du temple Babur.

Ton destin que j’ai rendu propice, la déesse me l’a recommandé.

(Le bonheur) s’est assuré dans le temple de la souveraine du monde.

Tes gloires, elle les fera grandir. Oh ! prolonge la vie à Assurbanipal !

Fouillant dans ses trésors, Assurbanipal supplia Nabu, son seigneur :

Moi, ton serviteur, ô Nabu, lu ne m’abandonneras pas,

Inscris-moi pour la vie. Devant toi, préserve mon âme de la mère des dieux.

Moi, ton esclave, tu ne m’abandonneras pas, Nabu impénétrable : sauve-moi au milieu de mes soucis !

Une parole consolante partit alors de Nabu, son seigneur :

Ne crains rien, Assurbanipal, je te donnerai une vie longue !

Je prendrai soin de ta vie en lui envoyant des souffles propices.

Je ferai devancer pour toi le jour du bonheur matériel par décret de l’assemblée des dieux.

Et Assurbanipal ouvrit son bahut et présenta à Nabu, son seigneur,

Ce qu’il avait amassé, aux pieds de la reine de Ninive, la déesse de l’assemblée des dieux.

Dans le comble de mes soucis, tu ne m’abandonneras pas, Nabu !

Dans le comble de mes passions, tu n’abandonneras pas ma vie !

(Nébo) : Tu étais petit, Assurbanipal, quand je t’ai confié aux soins de la reine de Ninive.

Tu étais nourrisson, Assurbanipal, quand je t’ai laissé sur les genoux de la reine de Ninive.

Elle a essuyé la bave du coin de ta bouche, elle t’a allaité, la reine de Ninive, elle t’a abreuvé de son lait.

Tes soucis, Assurbanipal, s’en iront comme l’écume sur la face des eaux,

Comme ..... ils fuiront le talon de tes pieds.

Tu disparaîtras à la fin, Assurbanipal, en présence des dieux, et tu célébreras le dieu Nabu ![18]

L’élément passif et féminin dans le panthéon assyro-chaldéen est, comme dans toutes les religions de l’Asie occidentale, représenté par une foule de divinités femelles qui dérivent les unes des autres et ne sont, au fond, que les manifestations diverses de la même déesse qui change de noms et d’attributs, suivant qu’on l’envisage comme divinité sidérale, terrestre ou infernale, ou comme épouse de tel ou tel dieu, car chaque dieu a une compagne. En assyrien, on l’appelle généralement Istar, mot d’où est dérivé le nom d’Astarté, ses deux temples les plus célèbres sont ceux de Ninive et d’Arbèles où elle était représentée sous les deux principaux aspects de sa multiple nature ; ou invoque constamment, comme deux divinités parèdres, Istar de Ninive et Istar d’Arbèles.

En Chaldée, c’est à Uruk on Erech qu’il faut chercher l’origine de son culte ; on l’honore sous le nom de Nanti, et nous avons raconté ailleurs les aventures de sa statue qui resta pendant de longs siècles prisonnière des Elamites et ne fut réinstallée dans son ancien sanctuaire que sous Assurbanipal. Nabuchodonosor appelle Nanâ ou Anna, la mère d’Uruk, la dame d’Uruk, et il restaure son vieux temple nommé en suméro-accadien le E-Anna ou E-hili-Anna, la demeure d’Anna ou la demeure de la splendeur d’Anna. Le nom d’Anna ou Anat qu’on lui donne, est le féminin d’Ana, et il a formé le grec Anaïtis, comme Nana a formé pour les Grecs Nanæa. Pour désigner la même divinité on emploie encore les noms de Malkit, Anunit, Zarpanit, Belit, Allat, et d’autres moins usuels.

Elle est Belit quand on l’invoque comme reine des dieux et des hommes, maîtresse de l’univers organisé ; Damkina, envisagée comme souveraine des ondes, épouse du dieu-poisson, dans lequel se personnifie Êa, l’intelligence divine ; Istar, à la fois comme guerrière, reine des batailles et déesse des amours, épouse de Dumuzi ou Tammuz, le jeune dieu lumineux ravi à la fleur de l’âge, enfin comme présidant à la planète Vénus ; Zirbanit ou Zarpanit, comme formatrice des germes, déesse de la fécondité chez les êtres animés ; génératrice, Muallidat (Mylitta), honorée par les prostitutions sacrées de Babylone ; Anunit, comme l’étoile du fleuve Tigre, comme la planète Vénus en tant qu’associée conjugalement au Soleil ; Gula, comme lune, et par suite triforme, et se confondant avec Sin ; enfin Allat (Άλίττα) comme déesse chthonienne et funèbre, reine des enfers[19]. On la représente comme l’épouse de Bel-Marduk, comme l’épouse de Samas, comme l’épouse de Adar-Sandan. De même que Hécate chez les Grecs, elle change de nom avec les phases de la lune croissante, pleine et décroissante ; aussi avait-elle à Borsippa trois sanctuaires à la fois, réunis dans une même enceinte : le grand temple, le temple de la vie et le temple de l’âme vivante. Tantôt la déesse a un aspect guerrier et préside aux combats, tantôt elle est la déesse de l’amour et de la volupté et son symbole est la colombe, tantôt elle est la déesse mère et tient son enfant dans ses bras. Tel est le sens mystique du personnage légendaire de Sémiramis qui n’est que l’incarnation de cette déesse triforme. Celte multiplicité. d’aspects de la, divinité femelle est nettement exprimée dans un hymne à la planète Istar ou Vénus, oit l’on célèbre en même temps l’androgynisme essentiel de la divinité femelle, et la notion de l’inceste divin, du dieu Tammuz, mari de sa mère : données qui n’ont été répandues dans le monde grec que par les Orphiques et les Néoplatoniciens, mais qui, plus de deus mille ans avant, l’ère chrétienne, étaient professées à l’étal de dogmes formels dans les écoles du sacerdoce chaldéo-babylonien :

L’astre femelle est la planète Vénus (Dilluti) ; elle est femelle au coucher du soleil ;

L’astre mâle est la planète Venus ; elle est mule au lever du soleil ;

La planète Vénus, au lever du soleil, Samas est le nom de son possesseur à la fois et son rejeton.

La planète Vénus, au lever du soleil, son nom est la déesse d’Agadé (Anunit).

La planète Vénus, au coucher du soleil, son nom est la déesse d’Uruk (Nana).

La planète Vénus, au lever du soleil, son nom est Istar parmi les étoiles.

La planète Vénus, au coucher du soleil, son nom est Belit parmi les dieux.

C’est ainsi que la même divinité symbolise les évolutions perpétuelles du principe féminin et passif de la nature : ce qui n’empêche pas que chacune de ces formes nombreuses s’incarne, pour ainsi dire, pour devenir l’épouse d’un dieu, et qu’elle a sa vie propre et individuelle. Istar a son rôle et ses attributs clans le ciel, aussi bien qu’Allat, la reine des enfers, qui parfois lui est opposée, comme dans le poème de la descente d’Istar aux enfers, où elle est sa sœur et sa rivale. Toutes les divinités mâles dont nous avons essayé de définir le caractère pouvaient aussi se ramener à un principe unique et absolu, le principe mâle et actif de la nature, dont elles ne sont que les manifestations multiformes, et c’est ce qui explique l’identité ou même la confusion de leurs attributs, la ressemblance des formules par lesquelles on les invoque.

Les divinités mâles ou femelles du panthéon chaldéo-assyrien n’étaient donc que les personnifications des forces de l’univers. Ce sont les incarnations des éléments : le soleil, le jour, la végétation, tout ce qui naît et vit, d’une part ; la lune et son éclat incertain, la nuit, l’hiver, la mort, d’autre part. Une fable recueillie par Ctésias et Nicolas de Damas met en action cet antagonisme des deux principes qui règnent sur le monde organisé ; dans ce récit, Adar-Sandan, considéré comme divinité solaire, a pour frère jumeau, son adversaire, Sin ou la lune ; les frères ennemis reçoivent les noms de Parsondas et de NTannaros. Dans la lutte qui s’engage entre eux, ce dernier parvient à s’emparer par ruse de son rival ; enorgueilli de sa force herculéenne, il le tient captif, il le fait tomber graduellement au dernier degré de l’avilissement, voire même jusqu’à la perte de la virilité. Celle effémination singulière, la source de la fable d’Hercule filant aux pieds d’Omphale, n’est qu’une variante euphémique de la mort périodique que subit le soleil, le soir et en hiver, quand il se brûle, de la même façon que l’Hercule grec, sur le bûcher du couchant : telle est l’origine de la légende du bûcher de Sardanapale. Après avoir été tout puissant, à midi dans sa révolution diurne, au solstice d’été dans sa révolution annuelle, l’astre du jour arrive toujours à succomber fatalement sous les atteintes de l’astre de la nuit privé de ses forces qu’il reprendra plus tard, on le représente comme ayant perdu tout caractère de virilité, ou bien comme mort, pour ressusciter bientôt ; ce sont là les deux formes de la même donnée fondamentale. Adar-Parsondas tombe chaque soir au pouvoir de son frère rival Sin-Nannaros qui le dépouille de sa force et le rend à moitié femme ; les deux frères se succèdent ainsi clans la domination de la nature. Ils alternent comme les Dioscures ; et comme la nuit est identique à la mort, le vainqueur du soir, considéré par les Chaldéo-Babyloniens comme l’aîné, tue son frère cadet qu’il envoie dans la demeure des morts[20].

La lutte recommence, chaque soir et chaque hiver, lutte incessante qui ne finira qu’avec le monde. Voilà, prise dans son ensemble, la portée philosophique de la religion des Assyro-Chaldéens : on y trouve en germe la doctrine du dualisme qui ne fit que se développer et s’épurer progressivement ; jusqu’au jour où elle prévalut d’une manière absolue et s’imposa à tout l’Orient.

 

§ 3. — LES DIEUX INFÉRIEURS ET LES DÉMONS[21].

Tout était Dieu, excepté Dieu lui-même, s’écrie Bossuet racontant l’état de dégradation dans lequel était tombé le genre humain oublieux de la révélation primitive. Cette parole est, surtout vraie pour les Égyptiens et pour les Assyro-Chaldéens. Au-dessous des grands dieux qui personnifient les forces de l’univers et forment la cour suprême du panthéon, l’imagination des Babyloniens avait conçu l’existence de divinités inférieures qui se comptent par milliers, si bien que leur hiérarchie et leurs attributs demeurent encore pour nous, la plupart du temps, dans une inextricable confusion. Pour comprendre quelque chose à celte hiérarchie inventée, non par l’ignorance populaire qui s’en tenait à un grossier sabéisme, mais par la science des prêtres, il est indispensable de recourir au témoignage des auteurs grecs, et d’exposer avec eux et les textes originaux, les croyances des Chaldéens relativement au gouvernement du monde par les dieux et les démons.

Les Chaldéens, nous apprend Diodore de Sicile, croient que la terre a la figure d’une barque renversée et qu’elle est creuse par en dessous. Que l’on imagine donc une barque retournée, non pas une barque telle que nous avons l’habitude d’en voir, mais un de ces esquifs absolument ronds, qui servent encore habituellement, sous le nom de koufa, dans les parages du bas Tigre et du bas Euphrate, et dont les sculptures historiques des palais de l’Assyrie nous offrent parfois la représentation : telle était la figure de la terre pour les astrologues chaldéens. Nous expliquerions aujourd’hui la même idée en la comparant à un bol renversé. La surface supérieure convexe constitue ce qu’on appelle proprement la terre (ki), la terre habitable ou la surface terraquée (ki-a), désignée aussi par l’expression collective de pays (kalama). La concavité inférieure est l’abîme terrestre (ge), c’est là que résident les génies de la terre, la que se trouve l’enfer ou la demeure des morts (kur-pan-de, arallu). L’ombilic ou le point central en est le nadir (ur), le fondement de tout l’édifice du monde, et c’est dans cette région ténébreuse que plonge le soleil pour accomplir son voyage nocturne à travers le noir pays des ombres.

Au-dessus de la terre s’étend comme une couverture la calotte du ciel (anna), constellé de ses étoiles fixes (mul), tournant autour de la montagne de l’Orient (harsak kurra), dont la cime la plus élevée est l’étoile polaire. L’enveloppe azurée du firmament est soutenue dans l’espace par une colonne mystérieuse el, invisible dont la base est sur la terre, et le sommet au pôle céleste. Le point culminant du ciel, le zénith (paku) ; n’est pas te même que cet axe ou pôle, car il se trouve immédiatement au-dessus du pays d’Accad, regardé comme le centre de la terre, et la montagne sur la cime de laquelle pivote le ciel. des étoiles fixes est située au nord-est de ce pays. L’astrologie chaldéenne admit plus tard un ciel sphérique, enveloppant complètement la terre, en dessous aussi bien qu’au-dessus de nos têtes, mais, primitivement, on se représentait le firmament comme une coupole gigantesque, dont les bords inférieurs reposaient sur les extrémités de la terre, au delà du grand réservoir des eaux (zuab), qui entourait de tous les côtés la surface continentale, exactement à la façon de l’Océan d’Homère. Les mouvements périodiques des planètes (lubat) ; que leur nom suméro-accadien assimile à des animaux doués de vie, s’opèrent au-dessous du ciel des étoiles fixes, c’est-à-dire dans une région moyenne entre la terre et le firmament. Elles se meuvent dans sept sphères concentriques et successives, au-dessus desquelles s’étend le rideau du firmament étoilé. C’est aussi entre la terre et le ciel, qu’on place la zone où se produisent les phénomènes atmosphériques, où résident et soufflent les vents (im) et les tempêtes (im-kab), où circulent les nuages (imdir) qui, déchirés par la foudre (amaktu) qui s’élance des planètes, laissent échapper la pluie (a-an) par leurs gouttières (ganul).

Ainsi, il y a trois zones dans l’univers : le ciel, la surface terrestre avec l’atmosphère, puis l’abîme inférieur. C’est à ces zones que répondent et président les trois grands dieux Ana, Êa et Mulge, noms mystiques de la triade suprême Anu, Êa et Bel. Les dieux des planètes et ceux des constellations zodiacales ont aussi, de leur côté, leur cour d’esprits et de démons, de sorte que chacun des grands dieux est comme le chef de file d’une armée de demi-dieux qu’il envoie à travers le monde pour être les ministres de sa toute-puissante volonté. Dans le cortège de Raman, par exemple, nous voyons les dieux Nipih-Samsi, dont le nom signifie lever du soleil ; Nur-Samsi ou lumière du soleil ; Barqu ou l’éclair ; Is-Birgi le feu de la foudre ; Taranu le grondement du tonnerre. Il y en avait bien d’autres encore, dont les noms ne nous sont pas connus ou dont nous ne pouvons encore articuler ni comprendre les idéogrammes qui les désignent dans les textes cunéiformes.

Il est certain aussi que chaque ville avait sa divinité préférée et tutélaire, dont le renom de puissance était plus ou moins répandu, selon que la cité elle-même étendait son action plus ou moins loin en dehors de ses murailles. Nous connaissons, par exemple, le dieu Sita qui avait son culte dans la ville de Bit-Adar, voisine d’Arbèles, et dont le nom paraît se rapprocher de celui de Seth, le patriarche biblique[22]. Ailleurs, on adore particulièrement le dieu Serpent (Serah) dont l’image figure sur le caillou Michaux et sur de nombreux cylindres ; il est parfois représenté avec une tête humaine comme l’Esculape Glycon de la mythologie hellénique. Son culte très répandu, a sans doute donné naissance à l’anecdote du dragon racontée dans la Bible à la suite du livre de Daniel. Le dieu Serpent rappelle le reptile tentateur de la Genèse ; souvenons-nous aussi du Serpent d’airain qui, à Jérusalem, au temps du roi Ézéchias, était l’objet d’un culte idolâtrique. Un bas-relief de Koyoundjik représente un sacrifice offert dans le camp de Sennachérib à des dieux Serpents. Les deux reptiles ont des têtes de quadrupèdes et ils sont fixés par le cou à une barre transversale qui les tient suspendus ; devant eux est un trépied sur lequel brûlent des parfums ; plus loin, un vase posé sur un piédestal, contient l’eau du sacrifice, et deux pontifes, en adoration, récitent les prières préparatoires, tandis que le victimaire amène le bouc qui doit être immolé[23].

On cite un dieu Sarru-idku, en suméro-accadien Lugal-turda, qui se métamorphose en oiseau de la tempête, sorte d’oiseau gigantesque et fabuleux comme le rokh des contes arabes. On nous raconte comment cet oiseau déroba un des principaux talismans de la puissance des dieux ; comment Ana et Bel-Marduk ordonnèrent à Raman et à Nabu de le tuer ; comment ceux-ci conseillèrent de le chasser seulement de la présence des dieux ; comment enfin, à leur place, Marduk se chargea de l’œuvre de destruction qui est retracée sur plusieurs cylindres[24]. Citons encore, entre autres, Nirba, le dieu des moissons et de la fertilité des champs ; Dibbara, le dieu de la peste on du choléra, proche parent, sans doute, du génie Namtar.

Isdubar, le héros de l’épopée chaldéenne du déluge, est formellement donné comme un dieu dans certains textes ; c’est un personnage de l’Olympe assyrien et il n’est autre que le dieu Feu (is-bar) des textes suméro-accadiens, dont le culte parait avoir eu beaucoup d’importance aux époques primitives ; ce nom de dieu du feu qui lui est donné, explique les légendes judéo-musulmanes relatives à la fournaise de Nemrod, puisque Nemrod n’est autre qu’Isdubar. C’est lui qu’on invoque dans l’hymne suivant qui fait partie du grand recueil magique copié par ordre d’Assurbanipal :

Ô Feu, seigneur suprême, qui s’élèves dais le pays ;

héros, fils de l’Océan, qui s’élèves dans le pays. Feu, par ta flamme éclatante,

tu fais la lumière dans la demeure des ténèbres ;

tu établis la destinée pour tout ce qui porte un nom.

Celui qui mêla le cuivre et l’étain, c’est toi ;

celui qui purifie l’argent et l’or, c’est toi ;

le compagnon de la clame à la face cornue, c’est toi ;

celui qui bouleverse d’effroi la poitrine du méchant dans la nuit, c’est toi.

L’homme, fils de son dieu, que ses œuvres étincellent de pureté !

Qu’il brille comme le ciel !

Qu’il soit pur comme la terre !

Qu’il étincelle comme le milieu du ciel ![25]

Le fleuve qui répandait la fertilité dans le pays par ses inondations périodiques, ne manqua pas, comme le Nil en Égypte, d’être divinisé et mis au nombre des esprits bienfaisants. On l’invoquait pour repousser le mauvais sort, et nous possédons un hymne, assez obscur d’ailleurs, qui lui est consacré :

Dieu Fleuve, qui pousse en avant,

qui chasse devant lui le mauvais sort pareil à un fauve redoutable,

Le mauvais sort a obscurci tous les pays comme le crépuscule du soir quand il s’élève ;

Que le soleil, à son lever, dissipe l’obscurité que celui-ci a répandue, et il ne restera pas dans la maison.

Que le mauvais sort s’en aille clans le désert, le lieu éclatant de lumière ![26]

Si, remontant maintenant dans les régions supra-terrestres, nous envisageons le côté sidérique de la religion assyro-chaldéenne, nous constaterons que ce sont non seulement les douze grands dieux qui s’incarnent dans les astres, mais que chaque étoile, chaque constellation a son génie propre, veillant du haut du ciel sur l’humanité et pour lequel rien de ce qui se passe sur la terre n’est indifférent. Toutes les étoiles sont des divinités d’un ordre inférieur, les unes considérées comme fastes, ce sont les anges ; les autres, comme néfastes, ce sont les démons. Elles sont groupées entre elles suivant des lois rigoureuses et savantes, dictées par les observations astronomiques : on leur donne des noms divins au même titre que nos astronomes modernes désignent par des lettres grecques les différentes étoiles d’une même constellation. Il y avait les iu-lim, expression suméro-accadienne qui signifie le bélier de tête ; c’étaient les étoiles considérées comme les plus importantes d’un groupe déterminé. L’imagination d’un peuple en grande partie adonné à la vie pastorale, se représentait les astres qui peuplent le firmament, comme un immense troupeau dispersé dans les espaces célestes, et chaque étoile qui paraissait conduire la marche d’un groupe d’autres, à travers le désert, sans limites, était un lu-lim, un bélier de tête, ou un chef, et cette expression empruntée à la vie pastorale, devint à la longue une manière poétique de désigner, parmi les hommes, un chef ou un roi.

Autour du dieu Anu, il y avait les Igighs, au nombre de sept, qui habitaient clans le ciel, et dont nous avons la représentation symbolique sous la forme de sept `globules, sur un grand nombre de monuments ; sous les ordres de ce même dieu, étaient des esprits terrestres appelés les Anunnaks : Tu n’as qu’à parler, dit un texte, et dans le ciel les Igighs se prosternent ; tu n’as qu’à parler, et, sur la terre, les Anunnaks embrassent le sol[27]. Un passage de Diodore de Sicile vient fort à propos nous faire connaître ce qu’étaient au juste ces Igighs et ces Anunnaks et le rôle à eux assigné dans l’astronomie chaldéo-assyrienne : c’étaient les dieux subordonnés aux grandes divinités zodiacales, et appelés les juges de l’univers.

Les douze signes du zodiaque, dit Diodore, était divisés en trente-six parties, présidées à leur tour par autant d’étoiles subordonnées aux grandes divinités zodiacales et nommées dieux conseillers. De ces dieux secondaires, la moitié habite au-dessus, l’autre moitié au-dessous de la terre pour la surveiller ; et tous les dix jours, l’un d’eux est envoyé en qualité de messager, de la région supérieure à l’inférieure ; un autre passe de celle-ci dans celle-là, par un invariable échange. Ces trente-six dieux étaient les décans, ainsi appelés parce que chacun d’eux régnait pendant dix jours sur un tiers de signe. Et comme, chaque dixième jour, le tiers d’un signe ou la trente-sixième partie du zodiaque monte au soir sur l’horizon, tandis qu’une autre descend au-dessous, on voit que l’échange signalé n’était autre chose que le fait astronomique résultant du mouvement propre du soleil. Partageant ensuite la sphère céleste entière eu dehors du zodiaque, comme ils avaient partagé le zodiaque lui-même, les Chaldéens, pour achever leur construction à la fois scientifique et religieuse, distinguaient douze étoiles ou constellations dans la partie boréale du ciel, et douze autres dans la partie australe, disant que celles-là, qui se voient, sont préposées aux vivants, et, que celles-ci, invisibles, sont assignées aux morts : toutes ensemble étaient alors les juges de l’univers.

Aux archanges qui habitent les étoiles, à ces Igighs et à ces Anunnaks, il faut rapporter les représentations symboliques des astres qu’on voit sur les monuments qui figurent le monde supra-sensible. Ce sont, outre le grand croissant lunaire, le disque solaire et l’étoile ; d’Istar, les sept globules planétaires et des tiges ou hampes verticales, parfois à plusieurs branches et à têtes d’animaux, qui sont l’image d’êtres divins dont nous ne connaissons pas les noms. On a conjecturé que les Succoth-Benoth des émigrés de Babylone sur la terre d’Israël, dont il est question dans la Bible, sont peut-être les Pléiades. Il est impossible de rien affirmer de précis à ce sujet, car la science est encore impuissante, la plupart du temps, à sonder le mystérieux chaos des documents religieux que nous ont laissés les Assyro-Chaldéens. C’est là, sans contredit, que se trouve la clef de cette mythologie embrouillée, là que le rôle des esprits, des demi-dieux, des auges et des démons est expliqué. Mais le chercheur est dérouté quand il aborde l’étude de ces textes, parce que les dieux, même les plus connus, v reçoivent des noms symboliques qui n’ont aucun rapport avec leurs noms vulgaires, si bien qu’on ne saurait les reconnaître sous ce déguisement hiératique.

Les grands dieux, les personnifications sidérales, les génies des planètes, de l’atmosphère et de l’Océan se présentent non seulement avec des noms étranges en suméro-accadien, mais avec un rôle et des attributs tout à fait différents de ceux qui leur sont donnés dans la religion publique et officielle. Ainsi, à la fin d’une invocation contre Namtar, le démon de la peste, les dieux sont invoqués sous les noms liturgiques qu’on leur donne dans les opérations théurgiques. Bel prend le nom de Mul-ge ; Belit, celui de Nin-gelal ; Adar s’appelle Nin-dar ; Nabu s’appelle Paku ; Sin, Enzuna ; Istar, Tishu ; Raman, Im ; Samas, Ud. Dans d’autres circonstances, ce sont encore d’autres noms, aussi mystérieux pour celui qui tente de les déchiffrer aujourd’hui que pour ceux qui, jadis, ne faisaient pas partie du sacerdoce et du nombre des initiés aux mystères.

D’après ce que nous venons de dire, il y avait pour ainsi dire, deux religions en présence : la religion publique et officielle dont les divinités essentielles sont les douze grands dieux envisagés sous le point de vile que nous avons développé dans le précédent paragraphe ; la religion cachée, mystérieuse, de la magie et de la sorcellerie, dont les divinités et les rites nous sont révélés par les documents appelés religieux par les assyriologues. On pourrait aussi nommer cette dernière, la religion des Esprits, car ce sont eux qu’on invoque toujours, et dont ou provoque l’intervention dans les affaires humaines.

Les textes religieux dont nous parlons, auxquels il faut joindre les nombreuses inscriptions talismaniques gavées sur les cylindres et les amulettes, attestent chez les Chaldéens l’existence, au-dessous des dieux, d’une démonologie extrêmement riche. Il y a là un monde complet d’esprits bienfaisants et d’esprits malfaisants, dont les personnalités étaient soigneusement distinguées dans l’enseignement théologique, les attributions déterminées avec précision, la hiérarchie savamment classée, comme les anges et les archanges de la théologie chrétienne.

Au sommet de l’échelle, on place deux classes d’êtres qui tiennent de plus près que les autres à la nature divine ; ce sont des génies ou des demi-dieux, presque des dieux inférieurs. Les uns redoivent le nom suméro-accadien de mas soldat, combattant, auquel on substitue en assyrien celui de sed génie ; les autres, le nom suméro-accadien de lamma colosse, traduit en assyrien par lamas. Ces noms sont appliqués fréquemment à des génies favorables et protecteurs, sous l’égide desquels on se place. D’autres fois, ces appellations désignent des génies méchants et nuisibles dont il faut conjurer la puissance. Les Chaldéens avaient, ce semble, imaginé des chœurs opposés de mas ou alap bons et mauvais, de lamma méchants et favorables ; souvent même ces génies avaient une double face et pouvaient, suivant les circonstances, se manifester tour à tour comme bienfaisants et funestes, protecteurs et ennemis.

Les lions ailés, sentinelles vigilantes à la porte des palais, sont des nirgalli, et leur chef de file est le grand dieu Nergal. Les taureaux ailés à têtes humaines sont appelés, tantôt sedi génies, d’après la nature de leur essence, tantôt alpi taureaux, d’après leur figure. On leur donnait aussi parfois le nom de kirubi. La description des kerubim dans la Bible, a des rapports frappants avec la représentation des taureaux assyriens. Les livres saints nous disent que les kerubim sont des quadrupèdes dont les pieds sont sans articulation avec un sabot pareil à celui du veau[28], et ils sont munis d’une ou plusieurs paires d’ailes. La gravure d’un cylindre assyrien du Musée Britannique est en quelque sorte l’illustration plastique de la description des animaux symboliques d’une des visions du prophète Ézéchiel. Sur les ondes d’un fleuve, probablement le Habur, car c’est sur ses bords qu’Ézéchiel a sa première vision de la Merkabah, flotte un vaisseau merveilleux et vivant qui se -termine à la poupe et à la proue par un buste humain. Sur ce vaisseau, on voit deux taureaux ailés qui en soutiennent deux autres parallèles. Ces quatre animaux supportent un pavois surmonté d’un trône où est assis un dieu barbu, peut-être Sin, vêtu d’une longue robe, coiffé de la cidaris, tenant à la main un sceptre et un anneau. Un personnage, le sukallu, se tient auprès du dieu, attendant des ordres : c’est lui qui est l’ange ou le malak, servant d’intermédiaire entre le dieu et l’adorateur qui le contemple dévotement. Ne sont-ce pas là les quatre kérubim d’Ézéchiel, adossés deux par deux et se mouvant chacun dans la direction de sa face, vers les quatre côtés ? Au-dessus des têtes des animaux, dit le prophète, il y avait l’apparence d’un pavois de cristal resplendissant, qui s’étendait sur leurs têtes, dans le haut... Et au-dessus du pavois qui était sur leurs têtes, il y avait l’apparence d’une pierre de saphir, eu forme de trône ; et sur cette forme de trône, apparaissait comme une figure d’homme placée au-dessus, en haut. Et je vis comme de l’émail, comme du feu, au dedans duquel était cet homme, et qui rayonnait tout autour ; depuis ses reins jusqu’en haut, et depuis ses reins jusqu’en bas, je vis comme du feu, et comme une lumière éclatante dont il était environné. Tel est l’aspect de l’arc qui est dans la nue un jour de pluie, ainsi était l’aspect de cette lumière éclatante qui l’entourait : c’était la vision de l’image de la gloire de Jéhovah.

Les prières des fiers monarques d’Assur s’adressent fréquemment aux êtres surnaturels qui, par suite d’une opération magique, sont censés habiter dans les corps de pierre des kirubi. Assarhaddon dit à la fin de l’inscription d’un cylindre de terre cuite déposé dans les fondations de son palais : Dans ce palais, que le génie propice, le colosse propice, gardien des pas de ma royauté, qui réjouit ma majesté, perpétue sa présence à toujours, et jamais ses bras (de la majesté du roi) ne perdront leur force. Et un peu auparavant, quand il parle des travaux du palais : Les portes de bois de sapin aux panneaux solides, je les ai bandées de zones d’argent et d’airain, et j’en ai garni les baies de génies, de colosses de pierre, qui, comme les êtres qu’ils représentent, bouleversent (d’effroi) la poitrine du méchant, protégeant les pas, conduisant à leur accomplissement les démarches du roi qui les a formés ; à droite et à gauche, j’ai fait exécuter leurs verrous. Les deux taureaux de la porte du temple E-Sagil, la fameuse pyramide de Babylone, sont enregistrés dans les listes divines parmi les personnages secondaires qui composent la cour de Marduk, le dieu de ce temple, avec ses deux portiers, et les quatre chiens du dieu. Les mêmes listes donnent les noms des deux taureaux de la porte de la déesse Damkina, son épouse, comme des six taureaux des trois portes du Soleil.

Les nombreuses images de taureaux et de lions ailés que les fouilles modernes ont mises au jour, achèvent de nous édifier sur le rôle et les formes peu variées de ces êtres fantastiques. Les uns, à tête humaine et à griffes de lion, ont des bras, comme les kerubim d’Ézéchiel qui ont une forme de main d’homme sous leurs ailes[29] ; d’autres n’ont d’humain que le visage. Voyez ceux dont Botta a enrichi le musée du Louvre. Il en est qui ont cinq pattes, ou plutôt l’une des quatre pattes est figurée deux fois, afin que le spectateur en voie toujours quatre, de quelque côté qu’il envisage le monstre. Les ailes déployées partent des épaules et s’élèvent en arrière au-dessus de la croupe ; la tête est coiffée d’une tiare cylindrique ornée de plumes et de rosaces, et ceinte, à sa partie inférieure, de la double rangées de cornes, emblème de la force matérielle. Ces taureaux ont à peu près deux fois la hauteur d’un homme de grande taille.

Un petit bas-relief du Cabinet des Antiques, à la Bibliothèque Nationale, représente un quadrupède ailé, se rapprochant des grands taureaux dont nous venons de nous entretenir, mais avec des attributs tout spéciaux. Le monstre a le corps et les pattes de devant d’un lion ; les pattes de derrière, armées de serres puissantes sont celles de l’aigle ; il a des oreilles de bœuf, des cornes d’ægagre ; l’œil, la face et le bec entr’ouverts ressemblent à ceux du perroquet ou du faucon. Une crinière hérissée orne son cou fièrement cambré comme celui du cheval, et s’étend tout le long de l’épine dorsale jusqu’à la croupe ; la queue, pareille à celle du lion, se redresse et se termine en trois touffes épaisses ; enfin, de grandes ailes, à plumes imbriquées, qui prennent naissance au-dessus des pattes de devant, se développent en éventail. Tel est le bizarre assemblage dont on a formé un animal symbolique participant à la fois du griffon, de la chimère et du sphinx, tels que les Grecs ont figuré ces êtres fabuleux.

Les schedi et les lamassi à deux pieds sont plus fréquents encore que les quadrupèdes. Au musée Britannique, on en voit cieux qui tiennent un bouquetin et un cerf et sont vêtus d’une sorte de chape qui descend jusqu’aux talons : sauf les ailes, ils sont entièrement humains. D’autres ont des becs d’aigle comme le dieu Nisruk, leur chef suprême. En voici un qui tient par la crinière deux chevaux ailés, comme le Pégase de la mythologie hellénique ; un autre est en adoration devant l’arbre de vie ; un troisième à quatre ailes, saisit par les pattes de derrière deux lions ailés à tête humaine. Le plus souvent, ils tiennent de la main droite élevée la pomme de pin, et de la gauche abaissée le panier mystique qui figure toujours, dans les scènes religieuses, à la main d’un des officiants. Qu’on prenne la peine, en un mot, de jeter un coup d’œil sur les représentations qui décorent les cylindres en pierre dure, et l’on sera surpris de la variété infinie des scènes où figurent ces génies, et de la bizarre fécondité de l’esprit assyrien qui les a inventés ; ou comprendra aussi, eu même temps, les difficultés qu’éprouve aujourd’hui l’archéologue pour retrouver l’idée qui a présidé à une conception de ce genre et la signification originaire de pareils symboles.

Au-dessous de ces schedi, de ces lamassi, de ces alapi, de ces kirubi qui sont les grands lions ailés, les grands taureaux ailés et les êtres fantastiques du cycle de Nergal est de Nisruk, les textes religieux mentionnent d’autres esprits moins puissants, d’un ordre inférieur, mais essentiellement mauvais, les génies du mal ou démons proprement dits. Il y en a d’innombrables légions. Dans chaque groupe, ces êtres sont au nombre de sept ; ils vont sept par sept, revêtant les formes les plus grotesques et les déguisements les plus propres à tromper l’homme à la perte duquel ils s’acharnent. Les plus puissants et les plus redoutables sont ceux qui ont un caractère cosmique, dont l’action s’exerce sur l’ordre général de la nature et qui peuvent le troubler par leur méchanceté. Dans une formule, ou place dans le ciel sept mauvais esprits, sept fantômes de flammes, sept démons, des sphères ignées, qui forment exactement la contrepartie des sept dieux des planètes, investis du gouvernement de l’univers. Une autre formule mentionne les sept esprits de l’abîme : ce sont certainement les sept maskin ou tendeurs de pièges, démons qui résident au fond de l’Océan et qui dépassent tous les autres eu puissance et en terreur.

Ils sont sept ; ils sont sept.

Au plus profond de l’Océan, ils sont sept ;

perturbateurs du ciel, ils sont sept.

Au plus profond de l’Océan, dans la retraite secrète, ils grandissent.

Ils ne sont ni mâles ni femelles ;

eux, en chaîne ils s’étendent ;

ils n’ont pas d’épouse, ils ne produisent pas d’enfant.

Ils ne connaissent ni le bon ordre, ni la générosité bienfaisante ;

ils n’écoutent ni prière ni supplication.

Vermine qui grandit dans la montagne,

ils sont les ennemis d’Êa ;

ils sont les agents de destruction des dieux.

Renversant la selle du cavalier, ils s’établissent sur les routes.

Ils sont ennemis ; ils sont ennemis.

Ils sont sept, ils sont sept, ils sont sept (bis)[30].

Ces monstres font leur demeure habituelle dans les lieux incultes, malsains et sauvages ; c’est de là qu’ils viennent rôder dans les endroits habités pour tourmenter les humains. Issus de l’Aral, l’empire ténébreux de Mul-ge, les diables affectionnent particulièrement les ténèbres, et c’est pendant la nuit, surtout, qu’ils attaquent l’homme et rôdent autour des habitations pour y semer l’épouvante.

On nous dit que l’utuq habite le désert, le mas se tient sur les sommets, le gigim erre dans le désert, le telal se glisse dans les villes. Mais c’est surtout le désert qui est leur réceptacle. A chaque instant, dans les textes magiques, il est question des démons qui guettent l’homme du fond du désert ; les exorcismes, nous l’avons vu, ont potin objet de les repousser dans ces solitudes privées de vie. L’habitation des démons dans le désert était, du reste, une croyance générale en Syrie aussi bien qu’en Chaldée et en Mésopotamie, et les prophètes d’Israël eux-mêmes ont adopté cette opinion populaire. Quand Isaïe[31] décrit la dévastation d’Édom, il dit :

Les épines croîtront dans ses palais, les ronces et les chardons dans ses forteresses ; ce sera la demeure des chacals, le repaire des autruches.

Les animaux du désert, y rencontreront les chiens sauvages, et les démons s’appelleront les uns les autres ; là seulement Lilith fera sa demeure et trouvera son lieu de repos.

A la suite de ces démons actifs, a la puissance desquels on attribue tout mal, prennent rang ceux qui, sans avoir une action aussi directe, se manifestent par des apparitions effrayantes et sont dans un étroit rapport avec les ombres des morts enfermées sous la terre, dans les sombres demeures du pays immuable, qui correspond exactement au schéôl des anciens Hébreux. Tels sont le innin et l’uruku énormes, sortes de lémures et de larves. Mais les trois principaux êtres de cette classe sont le fantôme (labartu), le spectre (labassu) et le vampire (akharu) Les deux premiers épouvantent seulement par leur aspect ; le vampire attaque l’homme. Un des démons femelles les plus importants et les plus dangereux est Lilith qui a persisté dans la démonologie rabbinique et même arabe. On la trouve mentionnée dans la prophétie contre Édom. Chez les rabbins des bas temps du judaïsme, la Lilith est une strige, une sorte de lamie ou d’empuse qui enlève les petits enfants pour les mettre à mort ; dans les livres des Mendaïtes, elle est, de même, censée s’introduire auprès du lit des femmes en couches pour tuer les nouveau-nés. Dans les mêmes écrits comme dans la littérature magique des Chaldéens, Lilith est un démon d’impureté dont les criminels amusements donnent naissance à des démons lascifs, les Hengê et les Séirim : ce sont les Faunes et les Satyres de la mythologie assyrienne.

 

§ 4. — LE CULTE DES MORTS ET LES DOCTRINES SUR L’AUTRE VIE

Les Babyloniens, dit Hérodote, embaument leurs morts dans du miel ; leurs lamentations funèbres sont à peu près les mêmes que celles des Égyptiens. Malgré ce que ce témoignage a de vague et d’invraisemblable, c’est à peu près tout ce que nous savons des usages funéraires des Assyriens et des Chaldéens. Les sculpteurs de Ninive et de Babylone ont évité de reproduire des cérémonies funèbres sur les bas-reliefs des palais, de même que jamais, dans leurs batailles, ils n’ont fait Figurer un Assyrien tombant sous les coups de l’ennemi ; ne dirait-on pas qu’ils aient voulu faire croire aux générations futures que la mort était impuissante à moissonner les rangs des fils d’Assur et que la protection de leurs dieux, lés avait, comme Achille, rendus invulnérables. Aussi, tandis que la vallée du Nil est pleine de tombeaux, que nous retrouvons les cadavres embaumés des anciens Égyptiens, leurs hypogées richement décorés de peintures et de bas-reliefs, les ruines de la Chaldée et de l’Assyrie n’offrent-elles rien d’analogue ? Les explorateurs de Khorsabad et de Koyoundjik n’ont rencontré nulle part la trace des cimetières ninivites, et ils se sont tous posés cette question : Que faisaient de leurs morts les Assyriens ?

Cependant, si l’Assyrie est dépourvue de nécropoles, la basse Chaldée, en revanche, en est couverte ; chaque monticule, depuis Niffer et Mughéir jusqu’au confluent du Tigre et de l’Euphrate est un cimetière, où les cadavres ont été, pendant des siècles, ensevelis et amoncelés. On a supposé dès lors que la basse Chaldée avait été considérée par les Ninivites et les Babyloniens comme une terre sacrée, celle de la patrie d’origine : c’est là que, par un respect religieux et filial, ils faisaient transporter les restes de leurs morts bien-aimés, pour les réunir il ceux des ancêtres de leur race. Les Assyriens du haut Tigre plaçaient sur des bateaux la dépouille mortelle qui leur était chère et la confiant aux ondes du fleuve, ils l’accompagnaient au loin en pleurant, jusqu’à sa destination dernière. Les Persans ne font Pas autrement encore aujourd’hui ; ils veulent que leurs morts soient enterrés à Nedjef et à Kerbela, et ils les amènent parfois des provinces les plus éloignées, pour leur assurer un plus saint repos auprès de la mosquée d’Ali le chef des musulmans chiites[32].

Cette coutume, malgré le lointain voyage qu’elle suppose, est le seul moyen rationnel d’expliquer il la fois l’absence de tombeaux en Assyrie, et l’effrayante accumulation de cercueils que les voyageurs signalent dans la basse Chaldée. Il est difficile, dit Loftus, de donner une idée juste de l’aspect de la nécropole de Warka, tant sont nombreux les lits de cercueils, les uns sur les autres. Le spectateur n’en peut croire ses yeux... Il n’y a probablement pas dans le monde d’autre site que l’on puisse, à cet égard, comparer à Warka ; eux-mêmes, les caveaux (le la Thèbes d’Égypte ne renferment pas, réunis sur un seul point, de, telles multitudes de morts. Depuis sa fondation par Urkam (Lik-Bagus) jusqu’au moment où les Parthes finirent par l’abandonner, Warka paraît avoir été une sorte de cimetière sacré, un campo santo[33]. Puisque les Assyro-Chaldéens prenaient la peine de transporter bien loin et à grands frais, la dépouille mortelle de leurs proches, ils, devaient veiller, comme les Égyptiens, à sa conservation et à l’entretien du cercueil dans lequel on la déposait. On a la preuve que l’embaumement était pratiqué en Chaldée comme en Égypte ; le corps était étendu sur une natte, la tête reposant sur un coussin, les membres et le buste enveloppés de bandelettes enduites de bitume. On déposait à côté du défunt les objets qui lui avaient été chers pendant la vie : le cylindre qui lui avait servi de cachet, ses armes si c’était un guerrier ; des bijoux, des boîtes à fard et a parfums quand c’étaient des femmes. De grandes jarres d’argile remplies de liqueurs fermentées, des écuelles dans lesquelles on a recueilli des noyaux de dattes, des os de sangliers et de poulet, des arêtes de poisson, étaient l’image symbolique de la nourriture de la substance invisible et surnaturelle qui survivait à la tombe ; on déposait enfin, dès l’antiquité la plus reculée, des statuettes funéraires, comme en Égypte, â côté du cadavre : c’était des images d’Allat en terre cuite, généralement de fabrique fort grossière.

Quant à la forme de la tombe, elle n’a rien de monumental comme celle de l’Égypte, et cela parce que la pierre faisait défaut à l’architecte ; elle varie entre deux ou trois types qui paraissent correspondre à la fortune plus ou moins grande des familles : tantôt c’est un petit caveau bâti en briques et bien voûté, tantôt ce sont de grandes jarres de terre cuite ou de simples couvercles posés sur les cadavres. Les caveaux ont, en général 2 mètres à 2 mètres 20 de longueur sur 1 mètre 80 de hauteur ; une fois murés, ils étaient inaccessibles ; on a trouvé parfois jusqu’à une douzaine de cadavres entassés dans un seul de ces étroits réduits. A une époque qui se rapproche de la conquête perse, ainsi que dans la suite, on plaçait généralement les morts dans des cercueils en terre cuite émaillée dont la forme ne peut mieux se comparer qu’à une pantoufle.

De toutes ces tombes, il n’en est aucune qui se fasse remarquer par ses proportions plus brandes, sa richesse, son élégance, et qu’on puisse regarder comme une tombe royale. Cependant, au temps d’Alexandre, Arrien raconte formellement que les anciens rois avaient leur sépulture dans la basse Chaldée : La plupart des tombeaux des anciens rois assyriens, dit-il, étaient construits au milieu des lacs et des marécages[34]. Warka fut donc le lieu probable de la sépulture de ces monarques : on peut affirmer, dans ce cas, que les lombes des rois ne se distinguaient pas sensiblement de celle des simples particuliers.

Le caveau funéraire était inviolable et sacré, c’était un crime de laisser un cadavre sans sépulture et de profaner un cercueil. La plus grande calamité qui pût accabler un mortel, c’était que son corps demeurait abandonné et exposé à devenir la pâture des chiens et des chacals. Aussi avait-on pris des précautions inouïes pour empêcher qu’une cause, même toute naturelle, vint troubler clans son éternel sommeil la dépouille sans vie déposée dans la tombe : les ingénieux artifices auxquels se livrèrent dans ce but les architectes chaldéens contrastent avec la pauvreté monumentale du tombeau, et méritent, a cause de cela, de fixer un instant notre attention. Le voyageur anglais Taylor a décrit minutieusement la grande nécropole de Mughéir, et voici comment MM. Perrot et Chipiez ont résumé les observations de cet explorateur

Le sommet de ces buttes qui ont servi de cimetière aux plus vieilles cités, est pavé en briques cuites ; la masse de la colline artificielle est faite de cercueils empilés, que séparent des cloisons et des lits de cette même matière. Pour assurer la conservation des corps et des objets ensevelis avec eux, il fallait rejeter promptement au dehors tous les liquides qui naîtraient de la corruption des cadavres, et que verseraient les chutes de pluie ; on avait donc ménagé des suites nombreuses de drains disposés dans le sens vertical ; c’était une vraie canalisation. De longs conduits de terre cuite parlent du dallage supérieur, sur lequel ils s’ouvrent par une étroite embouchure ; ils sont composés d’une série de tubes ou de manchons qui ont chacun environ 0m,60 de haut, et 0m,45 de diamètre ; il y en a quelquefois jusqu’à quarante de superposés. Les tubes sont lutés par une mince couche de bitume. Pour les rendre plus résistants, on leur a donné une légère courbure concave et on les a remplis de tessons ; cette garniture intérieure n’empêche pas le passage des eaux, mais elle appuie et soutient la paroi. Celle-ci n’est d’ailleurs pas, extérieurement, en contact avec la brique ; dans toute sa hauteur, le conduit n’est entouré que de ces mêmes tessons. Ces débris de poterie ont du jeu ; ils ne pèsent pas lourd ; avec le cylindre qu’ils protègent, ils forment ainsi, de place en place, au milieu de la construction compacte, comme des cages carrées, comme des cheminées, larges d’environ 1m,20. Toutes les précautions avaient été prises pour capter les eaux que les orages jetteraient sur les terrasses. On ne s’est pas contenté de l’orifice qui s’ouvre, au sommet de chaque colonne de tubes, entre les briques du pavage ; tout le chapeau conique dont il fait partie est percé de petits trous qui en font une sorte de passoire. L’humidité qui aurait réussi à filtrer entre les joints des dalles serait ainsi recueillie ; s’il était encore quelques gouttes qui ne parvenaient pas à pénétrer dans l’intérieur des drains, elles glisseraient entre tous ces morceaux de vases. Tant par les tubes mêmes que par les interstices de cette, enveloppe, tous les liquides qu’il s’agissait d’éliminer arriveraient sans difficulté jusqu’au niveau du sol ; là, sans doute, ils devaient être recueillis dans des canaux en pente qui les emportaient au loin, canaux que dissimule aujourd’hui l’amas de décombres où se cache et disparaît le pied de toutes ces buttes. Ce qui prouve que les dispositions avaient été bien calculées, c’est que le résultat voulu s’est trouvé atteint ; grâce à ce drainage, ces tertres funéraires, quoique abandonnés à eux-mêmes, sont restés, jusqu’à nos jours, parfaitement secs. Ce ne sont pas seulement les cercueils qui s’y sont conservés intacts, avec les objets de terre cuite ou de métal qu’ils contenaient, ce sont aussi les squelettes. Ceux-ci se réduisent en poussière quand on y touche ; mais au moment où l’on ouvrait, la caisse de terre cuite qui les renferme, ils semblaient n’avoir pas souffert de l’action du temps[35].

Tels étaient les soins qu’on donnait à la sépulture. Les Chaldéens croyaient que le monument funéraire était hanté par l’âme immatérielle (ekimu) qui s’était dégagée du corps au moment de la mort. Si la tombe était respectée, l’ekim devenait pour les parents, amis ou voisins du défunt, un démon protecteur qui veillait sur eux et les protégeait, en reconnaissance de leur piété ; si la tombe était violée par la faute des parents ou des amis, ceux-ci étaient accablés de maux par l’ekim errant et malheureux. Le plus grand malheur qui put arriver à l’homme, c’était d’être privé de sépulture ; sou âme repoussée par les autres âmes, privée de libations et de sacrifices, se trouvait accablée de maux et en proie à l’action pernicieuse des mauvais esprits[36].

Aussi, quand les monarques assyriens veulent se venger de leurs ennemis, ils vont violer les tombeaux de leurs familles et jeter au vent les cendres de leurs pères. Dans sa campagne contre Suse, Assurbanipal raconte ainsi qu’il saccagea la nécropole royale : Les tombeaux de leurs rois anciens et récents, de ces rois qui n’avaient pas redouté Assur et Istar, messeigneurs, et qui avaient fait la guerre aux rois, mes pères, je les renversai, je les démolis et je les exposai à la lumière du soleil ; puis, j’emportai leurs cadavres en Assyrie. Je laissai leurs ombres sans sépulture, je les privai des offrandes de ceux qui leur devaient des libations.

Ce que nous venons de raconter, d’après les documents originaux, est suffisamment éloquent, pour que nous ne puissions tenir aucun compte ni de ce qu’Hérodote rapporte an sujet du tombeau gigantesque que la reine Nitocris se serait fait élever à grands frais à l’une des portes de Babylone, ni de ce que raconte Diodore d’après Ctésias, du tombeau de Ninus, ni enfin des traditions populaires recueillies par Strabon au sujet du monument de Tarse en Cilicie, connu sous la fausse dénomination de Tombeau de Sardanapale. Mais nous sommes naturellement conduits à nous demander sous l’empire de quelles idées de piété et de religion les Chaldéens honoraient les mânes de leurs ancêtres, quelle était la nature de cet ekim qui se dégage du corps après la mort, quelles étaient, en un mot, la doctrine des Chaldéens sur l’autre vie. Problème philosophique important qui a une connexion immédiate avec une question passionnément agitée, naguère, par divers savants : celle de la croyance des Sémites et en particulier (les Hébreux à l’immortalité de l’âme. Sans nous préoccuper ici du point de vue de l’enseignement dogmatique de la Bible, ni des opinions qui ont pu être émises dans l’un ou l’autre sens parles champions de cette querelle fameuse, nous dirons cependant que s’il est avéré, par l’étude des textes originaux, que les Égyptiens croyaient à la survivance de l’âme humaine, aux récompenses et aux châtiments accordés aux bonnes ou aux mauvaises actions dans un monde suprasensible, si les mêmes doctrines se trouvent formellement contenues dans la littérature religieuse des Chaldéens et des Assyriens, il serait singulièrement téméraire, en saine critique, de prétendre que les Juifs se soient systématiquement obstinés dans une croyance contraire. Les Chaldéens et les Égyptiens sont les instituteurs des Israélites, et le bot : sens se refuse à admettre, quoi qu’on puisse arguer de l’obscurité ou même du silence du texte biblique, que les Israélites aient, sur le seul point de l’immortalité de l’âme, échappé à l’influence de leurs maîtres. Tout porte à croire, au contraire, que l’idée de la survivance de l’être humain après la mort est une doctrine commune à toute la race sémitique comme aux Égyptiens eux-mêmes.

En ce qui concerne particulièrement les Assyro-Chaldéens, les inscriptions cunéiformes sont venues, naguère, apporter un argument irréfutable en faveur de cette thèse. Le document mythologique qui raconte la descente de la déesse Istar aux enfers pour y chercher son amant. Tammuz a été, sous ce point de vue spécial, interprété par M. J. Halévy[37], et ce sont les conclusions mêmes de ce savant que nous allons analyser ici.

D’après ce fragment de poème épique et quelques passages des textes magiques, on voit que les Chaldéens se représentaient l’Hadès comme une sorte d’immense forteresse, placée sous l’écorce terrestre et limitée de toutes parts par les eaux fangeuses de l’Océan qui recèlent les fondements de la terre. Ce lieu de retraite des morts porte le nom d’Aral  ou de pays où l’on ne voit rien (mat la namari) ce qui coïncide avec le sens du terme grec Άδης ; on l’appelle aussi le pays sans retour, d’où l’on ne revient jamais, (mat la tayarti). Le gouvernement de ce monde des ténèbres éternelles est entre les mains d’un couple divin composé de Nergal, le dieu de la force et de la guerre, et son épouse Allat, qui n’est que la manifestation infernale d’Istar ou Astarté, mais qui est parfois donnée comme la sœur de cette déesse. Comme l’enfer de Dante, la forteresse est environnée de sept puissantes murailles, sur le modèle des sept sphères planétaires : c’est le résultat de l’influence des doctrines astrologiques sur la religion. Dans chacune de ces murailles est pratiquée une porte unique qu’un portier incorruptible ferme au verrou dès qu’une nouvelle ombre en a franchi le seuil. L’entrée principale de l’Aral, celle à laquelle est préposé le dieu Negab, le grand portier du monde, est située à l’Occident, au pied de la grande montagne qui, de ce côté, fait pendant à la montagne de l’Orient où la mythologie chaldéenne place le lieu de l’assemblée des dieux, ou l’Olympe. Dans un des plus curieux et des plus étranges fragments de la collection magique[38], il est parlé de cette montagne infernale qu’on représente même comme la mère de Mul-ge, le dieu de l’abîme. Sept dieux président aux sept enceintes concentriques de l’enfer et sont appelés fils du seigneur infernal ; il y a en outre douze dieux de bronze placés a l’intérieur de la clôture de bronze, et de chaque côté des portés de ce rempart de métal, le dernier de tous, veillent des taureaux de bronze à race humaine, comme ceux des portes des palais. » Le taureau de droite est invoqué comme il suit : Ô grand taureau, taureau très grand, qui piétines aux portes élevées, qui ouvres l’accès à l’intérieur, qui ouvres largement les canaux, qui sers de base au dieu Serah, le moissonneur des champs, mes mains élevées ont sacrifié devant toi. Le taureau de gauche de la même porte est invoqué à son tour : Tu es le taureau engendré par le dieu Zî ; c’est toi qui portes les zones de la demeure souterraine où résident les morts ; pour l’éternité le dieu Nin-izzida t’a placé. — Les grandes portes, les clôtures, les barrières, les portes... qui établissent les divisions du ciel et de la terre... qu’il les garde !

Quand la porte est définitivement franchie, c’est à Mul-ge que s’adresse la prière de celui qui a été forcé de pénétrer dans son empire : Pasteur véritable, pasteur sublime ! Mul-ge, pasteur véritable, seigneur de la totalité des pays, pasteur véritable, seigneur de l’armée des anges, pasteur véritable ! Le malheureux solliciteur adressé tour à tour ses supplications aux grands archanges, les ministres du roi des ombres et aux autres dieux tels que Êa, roi de l’Océan, Silik-mulu-hi, nom sacro-saint de Marduk, Im, l’inondateur, Oud, le vaillant, et cent autres.

Laissons maintenant pénétrer dans ce lieu d’horreur, Istar, la fille de Sin, la sœur d’Allat :

[Vers la mai]son qu’habite Irkalla,

[Et] dont le soir n’a point de matin,

[Vers le pays] d’où il n’y a pas de retour,

[Dont les habitants], privés de lumière,

[Ont la poussière] pour nourriture, la boue pour aliment,

Une tunique à ailes [pour vête]ment,

[Ne voient point le jour], sont assis dans les ténèbres.

[Dans la maison] où je veux entrer,

[Demeurent] les (anciens) possesseurs de couronnes,

[Les por]teurs de couronnes qui dominaient la terre aux temps antiques.

Dont Anu et Bel ont perpétué les noms et la mémoire.

Là aussi ont été consolidés les fondements de la terre, là confluent les eaux puissantes.

Dans la maison de poussière où je veux entrer,

Demeurent le seigneur et le noble,

Demeurent le roi et l’homme puissant ;

Demeurent les gardiens de l’abîme dus grands dieux ;

Demeure Etana, demeure Ner.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Que vers la terre d’où l’on ne revient pas, la terre des ténèbres !

Istar, fille de Sin, dirige son esprit !

Et Istar, fille de Sin, dirigea son esprit (selon cette demande du fils),

vers la maison de l’obscurité, la demeure du dieu Irkalla,

vers la maison où l’on entre, mais dont on ne sort pas ;

vers la route où l’on s’achemine sans retour,

vers la maison, où, pour celui qui entre, la cécité remplace la lumière.

C’est l’endroit de ceux qui sont affamés de poussière et qui mangent de la boue ;

la lumière n’y est pas vue, on reste dans l’obscurité.

Comme des oiseaux, ils sont vêtus d’ailes.

Sur la porte et le verrou, s’étend la poussière.

Istar en s’approchant du pays sans retour

fit connaître son désir au gardien de la porte :

Gardien de céans, ouvre la porte !

ouvre ta porte pour que j’entre.

Si tu n’ouvres pas ta perte et que je n’entre pas,

j’enfoncerai la porte, je briserai les verrous

je démolirai le seuil, je franchirai les portes ;

je ferai échapper les morts sous forme de loups-garous vivants ;

et au nombre des vivants s’associeront les morts (aussi ranimés),

Le gardien ouvrit la bouche et parla

et exposa ceci à Istar, la grande déesse :

Tiens-toi tranquille, déesse, ne te fâche pas.

Je veux t’obéir et t’annoncer à la reine des grands dieux.

Le gardien entra et dit à Allat :

Maîtresse de céans, ta sœur Istar [veut entrer] ;

elle méprise la grande défense [de l’Enfer].

Allat, la maîtresse, ouvrit sa bouche :

Nous sommes comme l’herbe coupée, [eux sont] du bronze ;

nous sommes comme la plante fanée, [eux sont] comme l’arbre fleurissant.

Que m’apporte son courroux ? que m’apporte la colère de son foie ?

(Istar) — Maîtresse de céans, je [ne veux pas me quereller] avec toi,

je voudrais me manger moi-même comme du pain, je voudrais boire [mon sang] comme du vin.

Laisse-moi pleurer sur les époux qui ont quitté leurs épouses ;

laisse-moi pleurer sur les épouses que leurs époux ont abandonnées ;

laisse-moi pleurer sur le petit enfant qui a été moissonné avant le temps.

(Allat) — Va, gardien, ouvre-lui ta porte,

et mets-la nue, comme le veulent les antiques usages.

Le gardien alla, et lui ouvrit la porte :

Entre, Déesse, que ta volonté se fasse,

que le palais de la terre sans retour s’étale devant toi !

Il la fit entrer dans la première porte, la toucha et lui enleva la grande tiare de sa tête.

— Pourquoi, gardien, m’enlèves-tu la grande tiare de ma tête ?

— Entre, Déesse, car ainsi le veulent les lois de la Souveraine infernale.

Il la fit entrer dans la seconde prote, la toucha et lui enleva ses boucles d’oreilles.

— Pourquoi, gardien, m’enlèves-tu mes boucles d’oreilles ?

— Entre, Déesse, car ainsi le veulent les lois de la Souveraine infernale.

Il la fit entrer dans la troisième porte, la toucha, lui enleva les opales de son cou.

— Pourquoi, gardien, m’enlèves-tu les opales de mon cou ?

— Entre, Déesse, car ainsi le veulent les lois de la Souveraine infernale.

Il la fit entrer dans la quatrième porte, la toucha, lui enleva les tuniques de son corps.

— Pourquoi gardien, m’enlèves-tu les tuniques de mon corps ?

— Entre, Déesse, car ainsi le veulent les lois de la Souveraine infernale.

Il la fit entrer dans la cinquième porte, la toucha, lui enleva la ceinture en pierres précieuses de sa taille.

— Pourquoi, gardien, m’enlèves-tu la ceinture en pierres précieuses de ma taille ?

— Entre, Déesse, car ainsi le veulent les lois de la Souveraine infernale.

Il la fit entrer dans la sixième porte, la toucha et lui enleva les anneaux de ses pieds et de ses mains.

— Pourquoi, gardien, m’enlèves-tu les anneaux de mes pieds et de mes mains ?

— Entre, Déesse, car ainsi le veulent les lois de lu Souveraine infernale.

Il la fit entrer dans la septième porte, la toucha et lui enleva le voile qui couvrait sa pudeur.

— Pourquoi, gardien, m’enlèves-tu le voile qui couvre ma pudeur ?

— Entre, Déesse, car ainsi le veulent les lois de la Souveraine infernale.

Après qu’Istar fut descendue dans le pays sans retour,

Allat la regarda et se moqua d’elle à sa face.

Istar ne se possédant plus se rua sur elle,

Allat ouvrit sa bouche et parla ;

Au dieu qui fixe les destinées (Namtar) elle fit connaître ses volontés

Va, dieu des destinées, (écoute mes ordres).

Emmène-la, de soixante (maladies accable) Istar.

La maladie des yeux (sur ses veux),

La maladie des côtés (sur ses côtés),

La maladie des pieds (sur ses pieds), La maladie du cœur (sur son cœur),

La maladie de la tête (sur sa tête),

Et sur tous ses membres (répands la torpeur).

Après qu’Istar, la déesse, eut été enfermée dans le sanctuaire éternel,

Le taureau n’allait plus vers la vache, et l’âne ne voulait plus de l’ânesse,

L’épouse ne voulait plus de l’époux,

Le guerrier résistait aux ordres de son maître,

Et l’épouse repoussait les bras de son mari.

Le dieu Papsulial (Nabu), le serviteur des grands dieux, se déchira le visage en présence de Samas (le soleil) :

Redoute, Samas, l’accomplissement du destin.

Samas s’en alla devant Sin (la lune), son père, qui envoya,

Vers le dieu Êa, un messager de malheur :

Istar est descendu sous la terre et n’en est point remontée.

Depuis qu’Istar est descendue aux Enfers,

Le taureau ne va plus à la vache, et l’âne ne veut talus de l’ânesse,

L’épouse ne veut plus de l’époux,

Le guerrier résiste aux ordres de son maître.

Et l’épouse repousse les bras de son mari,

Le dieu Êa, dans la profondeur de son cœur, fit un projet,

Et créa Uddusnamir (renouvellement de la lumière), le cerbère :

Va, Uddusnamir, dirige ton esprit vers la porte de l’Enfer,

Et les sept portes de l’Aral s’ouvriront devant toi ;

Qu’Allat te voie et qu’elle se montre a ta face,

Après que sou cœur se sera calmé et qu’elle aura apaisé son foie,

Notifie-lui la volonté des grands dieux,

Élève tes têtes vers l’outre de la résurrection, et fais attention (à lui dire) :

Eh ! déesse, que l’on me donne l’outre de la résurrection, et que j’y puisse boire !

Lorsque Allat entendit cela,

Elle se frappa la hanche et se mordit le pouce

Tu m’as demandé une chose qu’on ne demande pas ;

Va, Uddusnamir, je te lierai avec un lien solide.

Que le ciment des fondations de la ville soit la nourriture

Que la mare des cloaques de la ville soit ta boisson ;

Que l’ombre du rempart soit ta couverture,

Que les créneaux soient ta demeure

Que le seuil soit ton unique siège !

Que la faim, la soif oppressent ta gorge !

Allat ouvrit la bouche et parla ;

A Namtar, son ministre, elle exprima sa volonté

Va, Namtar, pénètre dans le palais de l’Éternité (la demeure d’Êa).

Ornes-en les colonnes avec des pierres précieuses ;

Fais sortir le dieu des Anunnaks, et assieds-le sur le trône d’or.

Fais boire à Istar les eaux de résurrection et ramène-la en ma présence.

Namtar alla, ouvrit le palais de l’Éternité ;

il en orna les colonnes avec des pierres précieuses ;

il fit sortir le dieu des Anunnaks et le fit asseoir sur un trône d’or.

Il fit boire à Istar les eaux de résurrection et il l’emmena.

Il la fit sortir par la première porte et lui restitua le voile de sa pudeur ;

il la fit sortir par la seconde porte et il lui restitua les anneaux de ses mains et de ses pieds ;

il la fit sortir par la troisième porte et lui restitua la ceinture en pierres précieuses de sa taille ;

il la rit sortir par la quatrième porte et lui restitua les tuniques de son corps,

il la fit sortir par la cinquième porte et lui restitua les opales de son cou,

il la fit sortir par la sixième, porte et lui restitua les boucles de ses oreilles,

il la fit sortir par la septième porte et lui restitua la grande tiare de sa tête.

Puis Istar ne refusa pas sa libération, et retourna sur la terre supérieure.....

Dans la conception de l’enfer assyrien, telle qu’elle ressort de ce morceau poétique, on ne rencontre aucune idée morale de rémunération, aucune distribution de récompenses ni de peines par un dieu juste et bort ; les tristesses de l’Aral paraissent cire les niâmes pour tous les hommes, quelle qu’ail été loin- conduite pendant leur vie.

D’autres passages des textes religieux paraissent pourtant nous autoriser à croire que les justes ne menaient pas éternellement cette vie de privations et de souffrances qui caractérise l’Aral. On parle de bienheureux qui reposent sur des lits, buvant un breuvage sacré, probablement ce qu’on appelle, dans d’autres textes et dans les livres des Mendaïtes : les eaux de la vie ; ils sont, eux, installés dans la demeure de la félicité et de la vie.

Il semble aussi que la vie des bienheureux qui habitent sur la montagne d’argent, opposée à la montagne de l’Aral, soit la continuation de celle qu’ils ont menée sur la terre ; le. guerrier, par exemple, environné des trophées et du butin qu’il a pris au combat, donne de grands festins à ses amis ; le sang qu’il a versé sur le champ de bataille équivaut à la vie la plus sainte et rachète toutes les fautes qu’il a pu commettre. Ainsi, il se rafraîchit à la source des eaux de la vie, eaux vivifiantes, si souvent célébrées encore dans les livres sacrés des Mendaïtes ; il est l’objet de la sollicitude de tous les siens qui lui prodiguent les marques de tendresse. Dans le poème d’Isdubar, on voit ce héros qui prend, comme Istar, la résolution de descendre au pays des ombres pour revoir son ami Eabani, mis à mort par Istar ; il s’encourage lui-même à faire cette tentative imprudente et cherche à se rendre compte par avance des choses étranges qui vont s’offrir à sa vue.

Couché sur le lit funèbre

Et buvant l’eau pure,

le guerrier tué dans la bataille,

je le verrai.

Son père et sa mère soutenant sa tête,

Et sa femme se penchant au-dessus de lui,

Le guerrier dont le corps repose sur le champ de bataille, J e le verrai.

L’homme dont l’âme (ehimmu) n’est pas couchée dans la terre,

L’homme dont l’âme est privée de demeure,

Je le verrai.

La félicité du juste, réclamée par la conscience humaine, est encore plus nettement exprimée dans ces deux fragments d’un hymne religieux :

Lave tes mains, purifie tes mains ;

Les dieux, tes aînés, se laveront les mains, se purifieront les mains ;

Mange la nourriture pure dans des bassins purs,

Bois l’eau pure dans des vases purs ;

Prépare-toi à jouir de la paix du juste !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

On a apporté l’eau pure.

Anat, la grande épouse d’Anu,

Êa t’a tenu dans ses bras sacrés

Êa t’a transféré clans un lieu de sainteté ;

Il t’a transféré de ses mains sacrées ;

Il t’a transféré au milieu de miel et de graisse,

Il a versé dans ta bouche l’eau magique,

Et la vertu de l’eau t’a ouvert la bouche...

Il y a, dans tous ces textes, comme une idée vague de Paradis ou de Champs-Élysées opposés au Tartare, car la récompense du juste entraîne logiquement le châtiment du méchant. Il est aussi question de résurrection, et Marduk, avec son épouse Zarpanit, sont souvent appelés celui ou celle qui fait revivre les morts. Dans le poème même de la descente d’Istar aux enfers, bien que l’Aral soit le lieu d’où l’on ne revient pas, la mort n’est pas absolument irrévocable, et la légende admet le cas exceptionnel d’une résurrection. Les grands dieux du ciel peuvent agir directement sur les puissances infernales et les forcer à délivrer une ombre, quand le retour de celle-ci sur la terre est jugé nécessaire. Le monde dépérissait par suite de l’absence d’Istar partie pour rejoindre son fils et son amant Tammuz ; les dieux enjoignent à Allat de la délivrer ; on l’asperge avec les eaux de la vie, on lui en fait boire et elle renaît. Cette renaissance était-elle admise quand il s’agissait de simples mortels, et en quoi consistait-elle pour ces ombres encore à demi-matérielles, qu’on nous représente voltigeant comme des oiseaux et se nourrissant de poussière ? Il ne faut pas se dissimuler que bien des points demeurent obscurs sur la manière dont les Chaldéens admettaient la vie après le trépas et sur les conditions de l’existence par delà, la tombe.

Une plaque de bronze de la collection de M. de Clercq, retrace en un tableau d’ensemble la vie des enfers, et il est nécessaire que nous en donnions ici une description sommaire. L’une des faces est occupée tout entière par un quadrupède à quatre ailes et à griffes d’aigle qui, dressé sur ses pattes de derrière, semble vouloir s’élancer par-dessus la plaque contre laquelle il s’appuie. Sa tête passe par-dessus le bord comme par-dessus la crête d’un mur. La face de ce monstre rugissant et féroce, aux yeux flamboyants, domine la scène suivante qui se déroule en quatre bandes horizontales sur la seconde face. Ces quatre registres superposés ne sont autre chose que les cieux, la terre et les enfers. En haut, on voit les représentations symboliques des astres. Plus bas, une file de sept personnages vêtus de longues robes, et ayant des têtes d’animaux parmi lesquelles on peut distinguer un lion, un dogue, un ours, un bélier, un cheval, un aigle, un serpent : ce sont les génies célestes appelés Igighs. Au-dessous, une scène funéraire qui se passe sans doute sur la terre. Deux personnages à tête humaine, coiffés d’une peau de poisson, comme le dieu Anu, sont debout au chevet du lit d’un mort étendu et comme emmailloté dans une gaine à momie. Plus loin, deux génies à tête de lion et de chacal paraissent se menacer de leurs poignards, taudis qu’un homme semble s’éloigner de cette scène d’horreur. Le tableau représenté au quatrième registre, baigne dans les flots de l’Océan qui, d’après la donnée mythologique des Chaldéens, recèle les fondements de la terre. Un monstre hideux, à figure bestiale et humaine à la fois, avec des ailes et des griffes d’aigle, une queue en tête de serpent, est debout sur la rive de l’Océan sur lequel vogue une barque : c’est la barque d’une divinité (elippu), expression souvent employée dans les textes religieux, et peut-être le prototype de la barque du nautonier Charon, dans la mythologie grecque. Dans la barque, est un cheval qui porte sur son dos une divinité gigantesque, à tête de lion, rugissante et tenant dans ses mains deux serpents, tandis des lionceaux bondissent contre sa poitrine pour sucer le lait de ses mamelles. Enfin, devant cet horrible monstre, sont des débris de toutes sortes, des membres coupés, des vases, et comme des restes d’un festin.

Voilà bien, sur cette petite plaque de bronze, la figure du monde tel que se le représentait l’imagination chaldéenne : les dieux et les puissances sidérales, les anges et les démons, Ighigs et Anunnaks ; la terre et les hommes avec les êtres surnaturels qui ont une action directe sur eux : les morts, protégés par certains démons, attaqués par d’autres, d’après la conception philosophique du bien et du mal et cet antagonisme des deux principes qui le fond de la religion assyro-chaldéenne. Annu protège les morts comme l’Orisis égyptien ; le fleuve souterrain, qui fait penser au Styx et à l’Archéron, nous reporte aussi vers le Nil souterrain de l’Ament. Faut-il aller plus loin que ces rapprochements encore vagues et incertains ? Y a-t-il entre les doctrines eschatologiques des Chaldéens et des Égyptiens sur le monde des esprits et le royaume des ombres une connexion précise, immédiate, qui en ferait comme deux rivières qui, s’échappant d’une même source pour couler dans des directions parallèles, ont enfin confondu leurs eaux dans le grand courant des idées hellénistes ? Nul doute que les découvertes ultérieures n’apportent une solution affirmative à ce problème de psychologie et d’histoire qu’on peut seulement poser aujourd’hui.

 

§ 5. — LES TEMPLES ET LE CULTE

Le temple de Jupiter Bélus, dit Hérodote décrivant Babylone, existe encore de mon temps ; il est percé de portes d’airain ; il est carré et a deux stades de côté (370 mètres). Au centre s’élève une tour massive longue et large d’un stade (185 mètres) ; elle en supporte une autre, et celle-ci une autre encore, ainsi de suite jusqu’à huit. Un escalier en spirale conduit extérieurement de tour en tour. Fers le milieu de la montée, il y a une chambre et des sièges oïl se reposent les visiteurs ; la dernière tour est surmontée d’une chapelle spacieuse, renfermant un grand lit richement couvert, et auprès une table d’or.

Suivant les recherches de MM. G. Perrot et Ch. Chipiez[39], tous les temples chaldéens et assyriens pouvaient à peu près se ramener à un type uniforme, pareil à celui qui est décrit chez Hérodote. C’étaient des prismes quadrangulaires placés les uns au-dessus des autres, ceux offrant la plus grande surface, à la base, de telle sorte que l’édifice présentait l’aspect de terrasses en retrait les unes sur les autres. Les Assyriens appelaient ces pyramides à degrés, du nom de zigurat. A Babylone, deux surtout de ces temples à étages étaient célèbres et sont constamment cités dans les textes cunéiformes : le E-Sagil, dont le nom a persisté jusque dans le Traité d’Agriculture nabatéenne, et le E-Zida, qu’on s’accorde à faire correspondre aux ruines actuelles de Babil ou de Birs-Nimroud. L’observatoire de Khorsabad a encore actuellement trois degrés complets et le commencement d’un quatrième ; le premier dessine sur le sol un carré de 43 mètres 10 de côté ; chaque étage avait 6 mètres 10 de hauteur, et ce qui reste de l’édifice est recouvert d’un stuc colorié où les tons varient, conformément à la description d’Hérodote. Sept couleurs différentes ont permis d’affirmer que l’édifice avait sept étages : celui du rez-de-chaussée, au-dessus de la grande terrasse fondamentale, était peint en blanc, le second en noir, le troisième en rouge pourpre, le quatrième en bleu, le cinquième en vermillon, le sixième en gris d’argent, le septième enfin était doré. Ce sont ces mêmes couleurs qu’Hérodote donne aux différents degrés de la forteresse d’Ecbatane. Chacun d’eux était consacré à l’une des grandes divinités du panthéon, et avait une signification religieuse et symbolique qui nous échappe en partie aujourd’hui.

Quelquefois, comme Mugéhir (Ur), et dans la plupart des temples de la basse Chaldée, les degrés supérieurs ne s’élevaient pas directement au milieu de la plate-forme carrée qui formait la base ; ils étaient beaucoup plus rapprochés de l’un des côtés, de manière à présenter, sur une face, des gradins de vastes proportions, tandis que sur la face opposée ces gradins étaient très étroits. On a calculé que le temple de Mugéhir dont les débris ne s’élèvent qu’à 15 mètres au-dessus du sol, pouvait avoir, à l’origine, une quarantaine de mètres d’élévation. Mais les temples les plus célèbres étaient beaucoup plus élevés ; les auteurs anciens sont unanimes à vanter leur prodigieuse hauteur qu’ils comparent à celle des pyramides égyptiennes. Qu’on en juge par les ruines actuelles de Birs-Nimroud qui dominent encore aujourd’hui de 71 mètres le niveau de la plaine qui les entoure ; c’est à ce temple sans doute que Strabon donne un stade de hauteur en même temps qu’un stade de côté (185 mètres)[40]. La masse de la ruine de Babil a aujourd’hui encore 40 mètres d’élévation : aucun des monuments européens, même construit en pierres de taille, s’il était écroulé sur lui-même, n’atteindrait à cette hauteur après vingt siècles d’affaissement et de consomption. Quelquefois, comme pour l’Observatoire de Khorsabad, on accède au sommet de l’édifice par une rampe quadrangulaire qui monte lentement en tournant en spirale, comme une vis, autour du monument, si bien que les étages ne sont pas séparés les uns des autres.

Suivant Diodore de Sicile, le sommet élan occupé par des statues ou par un édicule : Au sommet de la montée, dit cet auteur, Sémiramis plaça trois statues d’or travaillées au marteau. Tout porte à croire que des chapelles étaient ménagées, à chaque étage, dans l’épaisseur de la masse, et que chacune d’elles était consacrée à la divinité stellaire dont l’emblème était la couleur de l’étage. La chapelle du sommet était recouverte d’une coupole dorée dont les feux étincelants devaient produire de loin un effet d’autant plus saisissant qu’il dominait une ville toute noircie par le bitume. Nabuchodonosor dit qu’il fit revêtir de lames d’or ciselé, de sorte qu’elle resplendissait comme le jour, la coupole du sanctuaire de Bel Marduk.

Taylor a recueilli à Abu-Sharcin, au sommet d’un monticule d’éboulis, une énorme quantité de plaques d’or très minces avec les clous dorés qui les fixaient à la paroi des murs. Au surplus, nous savons, par des auteurs classiques, que le métal, étendu en feuilles servait à faire des revêtements extérieurs. Philostrate[41] signale cet emploi du métal, confirmé encore par les textes cunéiformes : Les palais des rois de Babylone sont couverts en bronze, ce qui les fait étinceler au loin ; les chambres des femmes, les appartements des hommes et les portiques ont, au lieu de peintures, des décorations en argent, en or plaqué ou même en or massif.

Aujourd’hui, toutes ces merveilles sont ensevelies sous un linceul de sable, et des tertres de boue nous révèlent à peine leur place. Pourtant, nous disent les voyageurs, ces collines artificielles, au milieu du désert uni comme une glace, produisent encore, surtout à certaines heures de la journée, une impression qui émeut : C’est le matin, quand parfois la base du tertre est cachée dans les vapeurs légères qui rampent à la surface du sol et que, seul, le sommet se montre dans l’air pur au-dessus de la brume, vivement éclairé par les premiers rayons ; c’est le soir, quand la silhouette du massif se découpe et s’enlève en noir sur les rougeurs du couchant enflammé. On comprend alors quelle a été l’idée et l’ambition de l’architecte chaldéen quand il a créé le type de la tour à étages ; on sent pourquoi il en a multiplié les exemplaires, pourquoi il les a répandus avec profusion dans toute cette contrée. Ce qui manquait à son pays, c’était la variété pittoresque de ces accidents de terrain qui font la beauté des régions voisines, de celles qui lui versent les eaux de ces fleuves dont il habitait les rives. Par son invention et son travail, il a donc voulu suppléer à cette lacune et donner à l’aspect de la Chaldée quelque chose de cette diversité que mettent ailleurs les pentes adoucies des coteaux, les âpres contours des rochers coupés à pic et les cymes pointues des monts inégaux. Ces pagodes, comme on serait tenté de les appeler, ces temples pyramidaux, ce sont des collines bâties de main d’homme. Par leur élévation apparente et par l’effort énorme qu’elles supposent, elles sont destinées à rompre la monotonie de ces vastes champs unis où elles se dressent d’un élan si hardi ; en même temps, elles étonneront les contemporains et cette postérité même qui ne verra plus que les faibles débris de si grands ouvrages[42].

Outre les grandes zigurat ou pyramides à étages réservées aux divinités suprêmes du panthéon chaldéo-assyrien, il y avait des temples beaucoup plus petits et d’une toute autre forme, dans lesquels on honorait particulièrement les dieux secondaires. Tel est, par exemple, le temple du dieu arménien Haldia, à Musasir, dont nous avons déjà parlé ailleurs, et qu’on voit représenté sur un bas-relief du palais de Sargon. Ce temple s’élève sur une terrasse comme toutes les constructions assyro-babyloniennes ; la façade, qui a une grande analogie avec celle du temple grec, est ornée de six pilastres, et de boucliers votifs ; elle se termine par un fronton triangulaire comme nos maisons européennes. L’entrée du temple est flanquée de deux lions et de deux grandes vasques de bronze qui contenaient sans doute l’eau lustrale, comme la mer de bronze du temple de Salomon ; enfin, de chaque côté de la porte du sanctuaire, sont deux génies colossaux armés de longues lances. Rien malheureusement ne peut nous donner une idée de la disposition intérieure de l’édifice.

Les inscriptions des rois proto-chaldéens parvenues jusqu’à nous, sont, presque toutes, consacrées aux restaurations de temples dont les divinités, mentionnées par leur nom suméro-accadien, ne sont pas toujours faciles à identifier avec leurs noms assyriens. De ces textes primitifs, il résulte formellement que chacune des principales villes chaldéennes avait, comme nous l’avons déjà dit, sa divinité spéciale et favorite, à laquelle la cité était consacrée, et qui prenait, là, le rang suprême dans la hiérarchie divine, tandis que dans d’autres cités, celte divinité n’avait plus, dans le panthéon, qu’un rang secondaire. De cette observation, il résulte, à un point de vue général, un fait important. C’est que dans l’étude de l’organisation extérieure et publique du culte national en Chaldée, il faut avoir soin de démêler le culte de chaque personnage divin dans une ville déterminée, ou il était regardé comme le premier et le plus grand des dieux, quelle que fût d’ailleurs sa place dans la conception systématique et générale de la hiérarchie du panthéon babylonien. Cette faculté pour chaque personnage divin, même d’un ordre secondaire, de devenir, dans le lieu où il recevait spécialement les adorations, le premier des dieux, est, du reste, un fait qui se reproduit dans toutes les religions panthéistiques. Dans l’esprit de ces religions, en effet, l’unité divine, la substance première, est un être insaisissable, invisible, qui se manifeste dans une grande variété d’attributs, tous personnifiés, tous divinisés, et qui se réfléchit dans une multitude de symboles. Ces symboles, la nature les fournit, l’homme les observe et les imite. Des corps immenses, tels que le soleil, la lune, la terre ; des phénomènes tout-puissants, tels que la foudre, les volcans, les déluges, sont les expressions les plus étendues de la divinité ; mais ces expressions ne sont jamais complètes. L’homme, pas plus par la pensée que par les yeux, ne peut percevoir l’unité divine ; la pluralité, inséparable de cette unité, ne lui permet de voir à la fois qu’une des faces de l’être divin. Aussi, tout symbole, toute figure, tout nom, toute manifestation, toute émanation de la divinité, portent-ils en eux-mêmes un double caractère ; positivement ils n’expriment qu’une des qualifications de l’être divin ; virtuellement, ils en font pressentir l’unité et l’étendue.

Le dieu qui, dans la ville même de Babylone et dans celle de Borsippa, était le principal objet du culte, était Bel-Marduk, avec son épouse Mylitta, la grande déesse Nature, appelée souvent Zarpanit quand on envisageait surtout le côté voluptueux de ses attributs ; elle est devenue la Vénus de la mythologie classique. Zarpanit avait un temple magnifique au centre même de Babylone. A Ur, le dieu de la ville, dès le temps du vieux roi Lik-Bagus, était Sin, le dieu Lune ; à Sippara et à Larsam, c’était Samas, le soleil ; dans Erech (Uruk) et à Nipour, Belit Taauth, déesse du firmament. A Cutha on adorait Nanâ ou Anna sous le surnom de Succoth-Benoth, qui avait trait aux prostitutions en l’honneur de cette déesse.

Le culte matérialiste et singulièrement immoral de la Babylonie devait naturellement exciter une profonde horreur chez les adorateurs de Jéhovah. De là, leurs véhémentes invectives contre les idoles des Chaldéens. De là, ces éloquentes apostrophes, qui offrent en même temps la peinture si vive d’un culte entièrement naturaliste et souvent obscène, qui n’était guère, d’ailleurs, qu’une exploitation permanente de la superstition populaire au profit de la caste sacerdotale.

Vous verrez à Babylone, dit Baruch, des dieux d’or et d’argent que l’on porte sur les épaules, et qui se font craindre par les nations.

On emploie l’or pour ces dieux, comme on le fait, pour une jeune fille qui aime la parure. On met sur leur tête des couronnes d’or, mais il arrive quelquefois que les prêtres de ces dieux leur dérobent l’or et l’argent, et s’en servent pour eux-mêmes. Ils le donnent à des femmes impudiques qu’ils entretiennent, et après que ces mêmes femmes le leur ont rendu, ils en parent encore les dieux ; ils couvrent d’habits ces dieux d’argent, d’or, de bois, comme on en revêt des hommes.

L’un de ces dieux (Nabu) porte un sceptre, comme un homme qui a le gouvernement d’une province. L’autre (Bel-Marduk) a une épée ou une hache à la main, mais il ne peul s’en servir pour se défendre contre les voleurs.

Ils allument devant eux des lampes, et eu plus grand nombre que pour eux-mêmes ; mais ces dieux n’en peuvent voir aucune, et ils sont comme des poutres dans une maison.

Ils disent que les reptiles qui sortent de la terre leur lèchent le cœur par respect, lorsqu’ils les rongent effectivement, eux et leurs habits.

Les prêtres vendent les offrandes et en disposent comme il leur plaît ; leurs femmes en prennent aussi tout ce qu’elles veulent et le mettent en réserve, sans en rien donner aux pauvres et aux mendiants.

Ces prêtres ôtent à loups dieux les vêtements qu’on leur a donnés, et ils en habillent leurs femmes et leurs enfants.

On voit aussi chez eux des femmes liées de vœux infâmes, et de cordons qui en sont le symbole. Elles sont assises dans les avenues, brillant pour leurs dieux des noyaux d’olives.

Ce témoignage de la tradition juive nous conduit à citer ce que raconte Hérodote au sujet de ce qui se passait dans le temple de Bel à Babylone. On n’y voit point de statue, dit-il, et nul n’y passe la nuit, hormis une femme indigène que choisit entre toutes le dieu, à ce que rapportent ses prêtres chaldéens. Ces mêmes prêtres disent aussi, el, ils ne me paraissent point dignes de foi, que le dieu parcourt le temple et se repose sur le lit, de la même manière qu’à Thèbes en Égypte, selon les Égyptiens. Car, là aussi, une femme passe la nuit clans le temple de Jupiter-Thébain, et l’on assure que ni l’une ni l’autre de ces femmes n’a commercé avec des mortels. De même à Patara en Lycie, la prêtresse du dieu, lorsqu’il est : présent, car l’oracle n’est pas perpétuel, passe la nuit dans l’intérieur du temple. Cette assertion du voyageur grec pourrait bien n’être que l’écho de bruits calomnieux répandus sur une religion discréditée à l’époque où Hérodote passait à Babylone. Cependant il semble confirmé par une formule d’incantation magique

La prostituée sacrée (qadista) au cœur rebelle,

La prostituée sacrée qui abandonne son office.

La prostituée sacrée d’Anu, insoumise,

Au soir du commencement du mois incomplet.... (Le reste est en grande partie mutilé)[43]

Nous savons d’autre part qu’en Arménie, à une époque bien postérieure à la chute de la puissance assyro-babylonienne, Anaïtis ou Astarté, c’est-à-dire l’ancienne Istar ou Zarpanit, avait un temple célèbre autour duquel se trouvait un vaste territoire cultivé par des esclaves de l’un et l’autre sexe, en qualité d’hiérodules ou serfs de la déesse. Son culte y était accompagné de prostitutions sacrées pareilles à celles de Babylone dont elles suivaient la monstrueuse tradition[44]. A l’époque grecque, Anaïtis avait aussi, à Comana, en Cappadoce, un temple avec des champs que cultivaient plus de six mille hiérodules au profit des prêtres ; dans tout l’Orient grec où le culte d’Astarté se répandit, c’étaient les mêmes pratiques ignominieuses s’abritant sous le manteau d’une religion qui, à l’instar de toutes les religions du paganisme, paraissait inventée pour corrompre les hommes plutôt que pour les éloigner du vice et leur enseigner la vertu.

La description qu’Hérodote a laissée du temple de Bel-Marduk nous fait pénétrer dans le sanctuaire même, et nous en laisse à peu près deviner l’aménagement. La disposition intérieure des temples chaldéens nous est en outre révélée jusqu’à un certain point, par un curieux bas-relief du Musée Britannique, trouvé à Abu-Habbu, l’ancienne Sippara, au sud-ouest de Bagdad. Dans cette ville, il y a un temple E-parra où l’on adorait à la fois Sin, Samas et Istar, ainsi que nous l’apprennent les inscriptions du bas-relief. Le monument représente une scène d’adoration du dieu Samas par le roi Nabu-pal-iddin, vers l’an 900 ; l’inscription porte : Image de Samas (le soleil), le seigneur grand, qui demeure dans le temple E-parra, lequel est à Sippara. Le dieu trône dans un tabernacle où il est assis, la tête coiffée de la tiare ornée d’une double rangée de quatre cornes de taureau ; il porte dans sa main un disque et le sceptre de justice. Au-dessus de lui sont le croissant lunaire, symbole de Sin, le disque radié du soleil (Samas), enfin l’étoile d’Istar. Au-dessus du pavillon sous lequel le dieu est assis, sont deux figures qui tiennent dans leurs mains les cordes auxquelles est fixé le grand disque solaire reposant sur un autel ; devant l’autel, trois personnages s’avancent pour faire leur acte d’adoration ; le premier tient le second par la main comme pour le présenter à la divinité. Ils sont là pour prier et non pour faire un sacrifice ; ils viennent implorer les dieux, confesser leurs fautes et faire appel à la miséricorde divine. Un texte de la collection des hymnes religieux met en scène un prêtre qui présente à sa divinité favorite un pécheur venu pour implorer le pardon de ses fautes : c’est le commentaire de la scène que nous venons de décrire :

LE PRÊTRE

Devant la déesse, il prosterne sa face,...

... ton serviteur ; « Calme-toi, » ai-je demandé avec prière.

Celui qui a commis des fautes, lu l’accueilles d’une main propice

tu accordes ta grâce protectrice à l’humanité, et cet homme a repris vie.

Dominatrice de toutes choses, daine de l’humanité,

miséricordieuse, dont la protection est bonne, c’est toi qui accueilles les lamentations.

Sa déesse est irritée contre lui, et c’est toi qu’il invoque

... tu prendras sa main.

LE PÉCHEUR

Au-dessus de toi, il n’y a pas de dieu directeur

fais-moi grive efficacement et accueille mes lamentations,

Prononce mon pardon, et que ta colère s’apaise

jusqu’à quand, ô ma dame, dois-je me présenter en suppliant devant ta face ?

Je me suis tu comme la tourterelle, je poursuis mes gémissements

.... pour que tu apaises ta colère[45].

La doctrine du péché et de la pénitence est, exprimée watts les plus anciens documents religieux de l’Assyrie aussi nettement que dans les livres bibliques eux-mêmes. Nous possédons de véritables psaumes de la pénitence qui remontent jusqu’aux origines suméro-accadiennes, et où respire parfois un souffle poétique comparable Et celui qui anime le livre des Psaumes, clans la Bible :

Il est assis dans le gémissement ;

En paroles douloureuses son cœur se déchire.

Cruellement clans les pleurs, cruellement dans le gémissement,

Il a été frappé de silence, comme la tourterelle, il a entrecoupé ses pleurs la nuit et le matin.

Il a imploré comme un enfant la miséricorde de son propre dieu.

Il est dans les gémissements douloureux ;

devant son dieu, clans ses lamentations brûlantes, il a prosterné sa face.

Seigneur, la violente colère de ton cœur, qu’elle s’apaise

Le dieu que je ne connais pas, qu’il s’apaise !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je mange des aliments de colère

Je bois des eaux d’angoisse.

De la transgression envers mon dieu, sans le savoir je me nourris.

Dans le manquement à ma déesse, sans le savoir je marche.

Seigneur, mes fautes sont nombreuses, grands mes péchés.

Ô mon dieu, mes fautes sont très brandes, très grands mes péchés.

Ô ma mère déesse, mes fautes sont très grandes, très grands mes péchés

Dieu qui connaît l’inconnu, mes fautes sont très grandes, très grands mes péchés.

Mère déesse qui connaît l’inconnu, mes fautes sont très grandes, très grands mes péchés.

J’ai fait des fautes — et ne les connais pas

J’ai commis le péché — et ne, le connais pas ;

Je me suis nourris de transgression — et ne le connais pas.

Le seigneur, dans la colère de son cœur a rougi de fureur contre moi.

Le dieu, dans la fureur de son cœur m’a accablé ;

La déesse s’est irritée contre moi, et m’a amèrement troublé.

Le dieu qui connaît l’inconnu m’a oppressé

La déesse qui connaît l’inconnu m’a exténué.

Je suis prosterné et personne ne me tend la main ;

Je crie ma prière et personne ne m’entend.

Je suis exténué, languissant et personne ne me délivre

Je m’approche de mou dieu miséricordieux, et je prononce des lamentations.

J’ai commis des fautes, que le vent les enlève !

Mes blasphèmes sont très nombreux, déchire-les comme un voile !

Ô mon dieu, mes péchés sont sept fois sept ; — absous mes péchés ;

Ô ma mère déesse, mes péchés sont sept lois sept, — absous mes péchés !

Dieu qui connais l’inconnu, mes péchés sont sept fois sept, absous mes péchés !

Mère déesse, qui connais l’inconnu, mes péchés sont sept fois sept, absous mes péchés !

absous mes fautes, dirige celui qui se soumet à toi !

Ton cœur, comme celui d’une mère qui a enfanté, qu’il s’apaise ![46]

Comme celui d’une mère qui a enfanté et d’un père quia engendré, qu’il s’apaise !

Dieu, seigneur, que mes lamentations soient apaisées...

Ô ma déesse, accorde-moi ta faveur et reçois mes lamentations.

Que soit absous mon manquement, ma mauvaise action, mon erreur !

Que mon péché soit absous ! les choses qui cachent le poids qui m’accable, qu’elles se lèvent !

que les sept vents emportent mes gémissements !

que je déchire mon manquement ! que l’oiseau du ciel l’emporte,

qu’un filet de poisson l’emporte et que le fleuve l’entraîne

Illumine moi comme une statue d’or...[47]

Une des formes les plus ordinaires du culte des dieux était les processions solennelles qu’on faisait faire à leurs statues. On les porte en triomphe sur des brancards, comme nous le faisons encore pour les statues de nos saints. Aux grands jours de fête ou aux époques de calamité publique, les simulacres divins sont enlevés de leurs piédestaux et promenés pieusement à travers les rues de la ville, avec des chants et des danses telles que David en exécuta devant l’Arche d’alliance. Voyez le dieu Raman soutenu par les épaules de quatre solides guerriers, et reconnaissable à la hache et au foudre, ses attributs ; voyez ces statues d’Istar la guerrière, portées aussi par quatre pontifes ; voyez encore cette autre figure divine qu’on transporte de la même façon, mais avec la niche elle-même ou le tabernacle que, sans doute, dans la superstition populaire, elle ne devait jamais quitter. Ajoutez à ces scènes incomplètes que vous offrent les sculptures, des lites de prêtres qui chantent des litanies, des rangées de musiciens qui les accompagnent de la harpe, de la guitare et du tambourin ; puis, tout le peuple qui suit en prières ; et sans trop de frais d’imagination, vous serez surpris de rencontrer, il y a plus de deus mille ans, les mœurs religieuses qui s’étalent encore aujourd’hui sous nos veux.

Nous savons déjà que dans le temple de Samas, à Sippara, on entretenait un feu perpétuel, d’où l’appellation suméro-accadienne de Agade-ki le lieu de la flamme éternelle, pour désigner cette ville. Des scènes d’adoration sont fréquentes sur les bas-reliefs et sur les cylindres. Tantôt, par exemple, nous voyons de chaque côté de l’arbre de vie, des génies ailés, un genou en terre, élevant la main et la présentant en avant, à la hauteur des yeux ; ou bien, ils sont debout, tenant clans la main droite levée la pomme de pin mystique et dans la gauche le panier à anse. La plante de vie à laquelle s’adressent les hommages des dévots, est un arbre mystique, symbole de l’immortalité, dont la forme hiératique et conventionnelle est dérivée de celle du cyprès,  arbre toujours vert et odoriférant ; c’est un souvenir de l’arbre de la science du bien et du mal dont il est parlé dans l’Écriture. Les Mendaïtes ont encore l’arbre Setarvan qui symbolise pour eux la vie éternelle.

Les cylindres sur lesquels sont, représentés des sacrifices d’animaux, sont très nombreux et nous initient au cérémonial religieux en usage dès les temps les plus reculés de l’histoire de la Chaldée. L’animal sacrifié est souvent. une gazelle, un bouquetin, ou un jeune chevreau.

Au premier jour du mois, dit un texte, quand la lune paraît, le prince des nations doit offrir une gazelle pure au dieu Sin, le grand dieu. Il invoque Samas, Istar, et Sin, les grands dieux, en élevant la main ; il honore ainsi les grands dieux[48].

On voit ordinairement sur ces cylindres, le sacrificateur, le couteau à la main, prêt à immoler le bouquetin que tient dans ses bras et que lui présente un autre personnage, celui sans doute qui fait l’offrande ; plus loin, et présidant à cette scène, le pontife est debout, élevant les deux mains. Il semble souvent que le sacrifice ait lieu pour délivrer quelqu’un d’une possession diabolique, car on voit, en plus de la scène que nous venons de décrire, un homme lutter contre un lion fantastique qui représente le malin esprit.

D’autres fois, ce sont des sacrifices humains. Sur un cylindre, figure nue scène composée du symbole sidéral qui est l’image de la divinité, et quatre personnages : un pontife qui élève les mains dans l’altitude de la consécration, nu autre qui, les mains croisées, assiste à la scène avec recueillement ; un servant lient le seau contenant l’eau lustrale et le glaive sacré ; devant lui, un personnage agenouillé, les mains liées : c’est la victime, que le prêtre bénit avant qu’elle soit immolée. Sur un autre cylindre, la scène est plus complète. La statue du dieu est là, assise sur un trône ; le sacrificateur saisit la victime agenouillée, il la frappe du glaive à coups redoublés. Plus loin le pontife, toujours avec sa longue robe à franges, sa tiare ornée de cornes, ses mains élevées devant le visage. Deux autres personnages assistent à cette sanglante cérémonie qui ne saurait trop nous surprendre après les actes de sauvage férocité auxquels nous avons vu se livrer l’Assyrien envers ses prisonniers de guerre. Ailleurs enfin, la scène de l’immolation seule est représentée. Le bourreau frappe un homme agenouillé qui implore son pardon d’un geste désespéré ; à côté de lui, est nue tête coupée, et plus loin, deux démons monstrueux que ce sacrifice aux dieux met en fuite et qui s’éloignent en poussant des cris de rage.

Les Chaldéens pratiquaient donc, à l’origine au moins, les sacrifices humains ; la Bible dit formellement qu’encore au VIIe siècle avant notre ère, les habitants de Sippara sacrifiaient leurs fils et leurs filles[49], pour honorer Adrammelek et Anamelek. Nous pouvons citer enfin un fragment de littérature nationale relatif aux sacrifices d’enfants.

Au seigneur suprême il s’est adressé et

l’enfant dont la tête est élevée pour l’humanité ;

l’enfant qui est donné pour sa vie ;

la tête de l’enfant pour la tête de l’homme a été donnée

le front de l’enfant pour le front de l’homme a été donné

la poitrine de l’enfant pour la poitrine de l’homme a été donnée[50].

Une autre inscription dit ce qui suit :

Pour que Raman soit favorable et donne la prospérité,

Sur les hauteurs on brûle un enfant.

De sorte qu’il y avait des sacrifices d’enfants par le glaive et par le feu : les Phéniciens ont connu, comme les Assyriens, de semblables horreurs. Empressons-nous d’ajouter qu’elles semblent n’avoir été en usage qu’exceptionnellement et à l’origine. Les bas-reliefs des palais, qui représentent les rois offrant des sacrifices et des libations aux dieux, après de grandes victoires, n’offrent à nos yeux rien de semblable.

La partie deutérocanonique du livre de Daniel renferme un épisode bien connu, surtout à cause des controverses auxquelles a donné lieu son authenticité : c’est l’histoire de Bel et du dragon. On offrait au dieu Bel, raconte ce texte, chaque jour douze artabes de fleur de farine, quarante brebis et six amphores de vin. Celui qui a écrit ces lignes, fait remarquer M. l’Abbé Vigouroux[51] était parfaitement des usages de Bel-Marduk à Babylone. Dans le récit des sacrifices et des offrandes qu’il fit à son dieu favori, Nabuchodonosor s’exprime comme il suit : Je me suis prosterné avec adoration devant le dieu Marduk qui m’a engendré ; je me suis incliné pour porter son joug... je lui ai offert des victimes pures, bien plus qu’auparavant. Ainsi, le premier jour du mois, j’ai offert un bœuf gras, seize... en sacrifices propitiatoires aux dieux da E-Sagil et de Babylone ; un poisson, un oiseau, un... produit des marais ; du miel, de la crème, du lait, de l’huile épurée, de l’hydromel, la boisson fermentée de la montagne, du vin blanc, du vin des cantons de Izallam, Tuim, Çimmim, Tilbunim, Aranabanim, Çuham, E-Kubatim, Bitalim ; toutes ces choses aussi abondantes que l’eau du fleuve, je les versai en cadeau dans la coupe de Marduk et de Zarpanit, mes maîtres[52]. Nous avons vu ailleurs ces files d’esclaves qui apportent devant les dieux des fruits, des pains, des colombes, des lièvres et des perdreaux, voire même des sauterelles et des oignons ; nous avons contemplé le roi Sennachérib offrant une libation, assis sur son trône, une coupe hémisphérique à la main ; les monarques de Ninive offrent aux dieux des lions, des taureaux, des cerfs, des chevreaux, des bisons, après de grandes chasses ou de grandes conquêtes. On leur consacre aussi des ex-voto formés d’objets précieux. Les statues des divinités étrangères étaient emmenées en captivité et déposées dans les temples assyriens, de sorte que les dieux ennemis devenaient en quelque sorte les prisonniers des dieux ninivites. J’ai consacré les vingt-cinq dieux de ces pays, que mes mains avaient pris, à titre d’offrandes, dans le temple de Belit, la grande épouse du dieu Assur, mon seigneur ; je les ai consacrés à Anu, à Raman, à Istar l’assyrienne, aux dieux de ma ville d’Assur et aux déesses de mon pays. C’est ainsi que s’exprime Teglath-pal-asar Ier après une de ses campagnes en Commagène. Nous savons déjà que la déesse Nana, enlevée de son temple d’Uruk, resta pendant de longs siècles, prisonnière des Élamites, et qu’elle ne fut réinstallée dans son ancien sanctuaire que sous Assurbanipal. Enfin, les rois faisaient placer dans les temples leurs propres statues afin que, même absents, ils lussent en quelque sorte présents sous les yeux de la divinité. Là, au seuil du sanctuaire, le roi se tient immobile, les mains jointes dans cette attitude familière encore aujourd’hui aux Orientaux pour exprimer la soumission respectueuse ; il est devant son dieu comme l’esclave devant son maître ; son image perpétue jour et nuit sa prière et ses actions de grâce. La statue royale de granit redit incessamment à la statue en or du dieu qui l’écoute, ces paroles ciselées sur sa poitrine on sur les plis de sa robe : Ô Marduk, maître des pays, écoute la parole de ma bouche : ce temple que j’ai bâti, fais que je m’enorgueillisse de sa gloire. Dans Babylone, fais que j’atteigne la vieillesse, que je sois rassasié de postérité ; que je reçoive les tributs des rois de toutes les contrées du monde ; fais que ma postérité gouverne l’humanité jusqu’à la consommation des siècles. C’est ainsi que s’exprime Nabuchodonosor quelques années avant que le sable du désert recouvre pour jamais sa ville bien-aimée et ses temples bâtis pour l’éternité ; c’est dans le même sens que parlent aux dieux les inscriptions gavées sur les genoux du roi Gudea trente siècles auparavant.

 

 

 



[1] De Migat. Abrah., 32.

[2] Diodore de Sicile, II, 30.

[3] Damasc., De prim. princip., 125, p. 384, éd. Kopp.

[4] Lenormant, Les Origines de l’histoire, t. I, p. 506.

[5] Fr. Lenormant, Les origines de l’histoire, t. II, p. 446.

[6] Smith, Transactions of the Society of biblical Archaeology, t. III, p. 378, Lenormant, Origines, I, 47.

[7] Guignaut, Les religions de l’antiquité, t. II, 2e part., p. 896.

[8] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 119.

[9] Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 31.

[10] Fr. Lenormant, Les Origines de l’histoire, t. I, p. 513.

[11] J. Oppert. Fragments mythologiques, p. 20.

[12] Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 50.

[13] Fr. Lenormant, Les Origines de l’histoire, t. I, p. 501.

[14] Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabismus, t. II, p. 183.

[15] WAI, IV, pl. 17. Cf. Lenormant, Journal asiatique, 7e série, t. XII, 1878, p. 378.

[16] Ce nom de Sandan n'est probablement qu'une épithète du dieu et non pas la transcription de son nom même, de sorte que les arguments que divers savants ont l’ait valoir en faveur du nom de Sandan ou du nom de Adar qui parait parfois désigner Samas aussi bien que le dieu de la force, sont sans rondement. Nous avons, employé le mot Adar ou Adar-Sandan, parce que l’idéogramme NIN-DAR parait autoriser la lecture Adar, la syllabe DAR jouant le rôle de complément phonétique.

[17] Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 40.

[18] J. Oppert, Fragments mythologiques, p. 30.

[19] Fr. Lenormant, dans la Gazette archéologique, 1876, p. 59

[20] Fr. Lenormant, Les Origines de l’histoire, t. I, p. 161.

[21] Pour les développements que comporte ce paragraphe, voyez surtout : Fr. Lenormant, Die Magie und die Wahrsagekunst, Iéna, in-8°.

[22] Fr. Lenormant, Les Origines de l’histoire, t. I, p. 217.

[23] Ce bas-relief est au Musée Britannique.

[24] Fr. Lenormant, Les Origines de l’histoire, t. I, p. 116, note 4.

[25] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 311.

[26] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 44.

[27] WAI, IV, 9, l. 57 et suiv.

[28] Ézéchiel, I, 7.

[29] Layard, Monuments, 1ère série, pl. 42.

[30] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 83.

[31] Isaïe, XXXIV, 13 et 14.

[32] On trouvera sur cette coutume de forts curieux détails donnés par le docteur Saad, dans le Journal asiatique (mai-juin, 1885, p. 533 et suiv.). Le nombre des pèlerins qui se rendent à Kerbela dépasse annuellement cinquante mille, emmenant avec eux plus de dix mille cadavres. Ils viennent de Ispahan, de Hamadan, de Téhéran, du Khorassan, de Tabriz, de Chiraz, d’Ourmia, etc. A Hanéguine, sur la frontière turque, les pèlerins sont soumis à une visite sanitaire, en raison des maladies qu’engendrent de pareils transports de corps en putréfaction, qu’on a pourtant la précaution, généralement, d’enfermer dans des caisses en fer-blanc. Il y a en Perse une corporation d’hommes, appelée naachkech, qui se chargent du transport des cadavres ; il n’est pas rare que ces singuliers entrepreneurs amènent, chacun, jusqu’à trente et quarante cadavres à la fois.

[33] W. Loftus, Travels and researches in Chaldea and Susiana, p. 199.

[34] Arrien, Anabase, VII, 22.

[35] Perrot et Chipiez, Hist. de l’art, t. II, p. 160 à 161. Cf. Taylor, Notes on the ruins Mugeyer (Journal of the royal Asiatic Society, t. XV, pp. 268-269).

[36] Voyez J. Halévy, Revue archéologique, t. XLIV, 1882.

[37] Revue archéologique, t. XLIV, 1882, p. 44 et suiv.

[38] WAI, IV, 23, 1.

[39] Histoire de l’art dans l’antiquité, t. II, p. 381 et suiv.

[40] Strabon, XVI, I, 5.

[41] Vie d’Apollonius de Tyane, I, 23, cité par G. Perrot et Ch. Chipiez, t. II, p. 394, note.

[42] Perrot et Chipiez, Hist. de l’Art., t. II, p. 131-132.

[43] Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 67.

[44] Gazette archéologique, 1876, p. 14.

[45] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 161.

[46] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 153.

[47] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 162.

[48] WAI, IV, pl. 32-33, obv. col. I. Cf. J. Menant, Recherches sur la glyptique orientale, I, p. 144 et suiv.

[49] II Rois, XVI, 16, 17.

[50] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 142. Voir sur ce texte un travail de M. Sayce, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. IV, p. 27-29.

[51] La Bible et les découvertes modernes, 4e édit., t. IV, p. 555.

[52] WAI, I, 65 col. I, l. 11 à 28.