CIVILISATION, RELIGION ET MONUMENTS DE L'ASSYRIE ET DE LA CHALDÉE

 

CHAPITRE PREMIER — ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

§ 1. — LA ROYAUTÉ

Quelque soit l’importance des découvertes archéologiques dont la Mésopotamie a été le théâtre dans ce siècle, il ne nous est pas encore permis de remonter avec elles le cours des âges jusqu’aux origines de l’histoire positive, et d’assister aux efforts progressifs qu’ont dû faire, pour se constituer en nations, les tribus barbares qui, dans les premiers temps, se partagèrent la domination dans le bassin du Tigre et de l’Euphrate. Les plus anciens, parmi les monuments retrouvés de nos jours, ne sauraient, en saine critique, être antérieurs au quatrième siècle avant notre ère ; et tels qu’ils nous sont parvenus, ces plus vénérables témoins des origines assyro-chaldéens, dignes émules de ceux de l’Égypte, accusent déjà un état de civilisation avancée, maîtresse d’elle-même, eu possession de ses lois et des rouages compliqués qui caractérisent toute société policée. La constitution sociale est appuyée sur une expérience séculaire ; il y a déjà une histoire dégagée du mythe et de la légende ; l’art des objets les plus archaïques est savant ; l’écriture est fixée par un syllabaire qui s’est successivement affranchi de la pictographie et même de l’hiéroglyphisme ; le ciseau du sculpteur sait forcer le marbre ou la pierre à traduire fidèlement la pensée de l’artiste : que nous sommes loin d’une période comparable à celle on les Grecs adoraient les fétiches appelés xoana, dans lesquels n’apparaissent encore que des rudiments de la forme humaine ! Nulle part, en un mot, sinon tout à fait exceptionnellement et à l’état sporadique, on n’a rencontré ces naïfs essais d’une matit qui, pour les premières fois, tente, à l’aide d’un instrument aussi timide que grossier, de donner une forme plastique à mi bloc d’argile ou de granit.

On possède, comme ou l’a vu au premier volume de cet ouvrage, un précieux fragment de tablette cunéiforme, sur laquelle les signes du syllabaire assyrien sont encore exceptionnellement figurés en hiéroglyphes nous savons par là, qu’originairement, l’idée de roi était représentée par une abeille, celle de l’être divin par un personnage dans disque ailé, celle de ciel par une étoile. Qui pourra jamais calculer le laps de temps qui a dû s’écouler pour permettre à celle écriture hiéroglyphique ou eu images, de se déformer et de s’altérer graduellement jusqu’au point de devenir ces têtes de clous, dans lesquelles il est impossible de reconnaître l’image primitive, et qu’emploient pourtant déjà exclusivement les plus vieilles inscriptions chaldéennes qui nous soient parvenues ? Bien d’autres indices autorisent à affirmer que nous ne connaissons encore rien, par les documents indigènes, des origines primordiales de la civilisation assyro-chaldéenne. Entre la période de l’Age de pierre qui a existé en Mésopotamie, comme l’ont établi quelques découvertes, et celle oit vécurent les rois d’Agadé, comme Sargon l’Ancien, il y a place pour une longue suite (le siècles au sujet desquels notre ignorance est absolue : c’est comme un gouffre béant dans lequel l’imagination se perd et qui ne sera peut-être jamais comblé.

On peut seulement conjecturer que les lois immuables qui président à la formation de toutes les sociétés humaines, se sont trouvées aussi appliquées à l’origine de la civilisation prolo-chaldéenne. Il y eut d’abord, ce semble, des tribus vivant de chasse, de pêche et des produits naturels du pays, faisant paître leurs troupeaux dans les gras pâturages des bords du Tigre et de l’Euphrate, issues sans doute de races diverses, mais particulièrement kouschites, jalouses et rivales, se disputant le sol avec les droits de pâture et de parcours : c’est le temps de ces luttes sanglantes dont la Genèse a conservé quelque lointain écho. Chez ces tribus de pasteurs et de chasseurs à demi-sauvages qui s’habituèrent vite, à cause de la fertilité du sol, à l’état sédentaire, l’agriculture se développa assez rapidement ; la terre si merveilleusement fécondée par les débordements périodiques des fleuves, conviait l’homme à un labeur peu pénible et rémunérateur. Les mœurs s’adoucirent ; l’éparpillement primitif en tribus hostiles se fondit graduellement en agrégations plus considérables de populations dont les intérêts cessaient d’être rivaux et que rapprochait la communauté de religion, de langage, de mœurs et d’origine. Les transactions, nées du désir naturel d’échanger le superflu des richesses contre des produits qui faisaient défaut, donnèrent à ces peuples une première teinture commerciale et lièrent entre eux des groupes de tribus, par les chaînes d’une solidarité intéressée. On crée des entrepôts, des marchés où l’on se rend de part et d’autre, pour implorer le secours des dieux lors des grandes calamités publiques, pour discuter des intérêts communs, pour se défendre contre des voisins plus ambitieux ou demeurés plus barbares ; le chef de famille le plus ancien, ou celui qui s’est le plus distingué par son courage, son expérience et sa sagesse, est le roi. Son pouvoir est naturellement héréditaire, parce que sa famille est la plus puissante ou la plus nombreuse : c’est ce que l’on observe de nos Jours encore chez les peuplades qui vivent à l’état patriarcal et se sont, pour ainsi dire, immobilisées dans ces premières étapes de la sociabilité humaine.

C’est dans cette phase de la civilisation que se trouvaient les populations sémitiques et chananéennes à l’époque d’Abraham et de Melchisédec, et les Grecs au temps de la guerre de Troie. Mais, pour la Chaldée, il y avait longtemps que cet état de choses avait disparu quand le patriarche hébreu émigra de la ville d’Ur. Des guerres effroyables, des divisions intestines, des invasions étrangères et mille autres causes paraissent avoir contribué à faire oublier aux Chaldéens l’âge héroïque de leur histoire, pendant lequel se forment leur religion et leurs institutions, eu même temps que se développe l’originalité de leur art et de leur littérature. C’est à peine si le nom de Nemrod et sa légende épique peuvent suppléer à cette immense lacune historique. Cependant, il parait que les collèges sacerdotaux de la Chaldée avaient conservé, au moins dans leur chronologie, un souvenir assez précis de cette période héroïque, comparable au temps où les demi-dieux et les héros de la Grèce, comme Hercule et Thésée, accomplissaient leurs fabuleuses prouesses. De récentes études de M. Oppert tendraient à démontrer que les Chaldéens faisaient concurremment usagé de deux cycles chronologiques, partant l’un et l’autre de l’an 11542 avant notre ère[1]. Cette date est sans doute purement astronomique et mythique ; elle ne saurait être invoquée comme point de départ de l’histoire et elle constitue seulement le commencement théorique du monde et des révolutions sidérales. Quoi qu’il en soit, avant 3800 environ, nous n’avons rien que des fictions mythologiques, et une période effrayante de cinq, dix, vingt siècles peut-être, reste inconnue à l’histoire authentique et documentaire.

Au moment où il faut placer les premiers textes qui nous sont parvenus, nous rencontrons en Mésopotamie des principautés nombreuses qui se sont assises dans chacune des plus importantes cités chaldéennes, et qu’on peut regarder comme nue sorte de- féodalité issue du démembrement de l’empire de Nemrod. Il y a longtemps que la vie par tribus a cessé chez ces peuples qui n’en ont même plus le souvenir, et nous constatons dans leur religion et leurs mœurs une barbarie savante plutôt qu’une grossièreté rudimentaire. Qu’on étudie attentivement les antiquités chaldéennes découvertes à Tell-Loh, l’ensemble le plus imposant des restes de la culture proto-chaldéenne : on verra que l’art sculptural est déjà en pleine floraison, que les temples des dieux sont aussi richement ornés et embellis qu’au siècle de Nabuchodonosor, que la civilisation chaldéenne, en un mot, n’a plus guère de progrès à faire ; de sorte que le Chaldéen se dresse devant nous tout d’une pièce, et qu’il reste identique à lui-même, comme une statue de granit, durant la longue suite de siècles que se déroulent les annales de son histoire. Avec, cette cruauté froide, cette fourberie et cette astuce qui révoltent notre esprit, cette fixité et cet engourdissement dans un état social et politique arrivé tout d’un coup à maturité et qui dure trente siècles, presque sans faire aucun progrès, cette répugnance instinctive à se fusionner avec les races voisines, le Chaldéen nous apparaît comme le Chinois de l’Asie occidentale ; comme ce dernier encore, il possède au plus haut degré le génie commercial et industriel et il est doué de merveilleuses aptitudes artistiques, scientifiques et littéraires.

Au point de vue physique, les statues de Tell-Loh ont les traits essentiels qu’on accorde généralement à la race kouschite, une stature robuste et trapue, un visage rond et adipeux, le nez fort et écrasé, le front intelligent et ouvert. Le type assyrien de Ninive se rapproche de celui que Chateaubriand reconnaît au Bédouin de nos jours : La tête ovale, le front haut et arqué, le nez aquilin, les yeux grands et coupés en amandes, le regard humide et singulièrement doux[2]. C’est le caractère ordinaire de la race sémitique ; chez l’Assyrien, ce, regard vague et indécis qu’on aurait pu regarder comme l’expression de la mansuétude et de la nonchalance, masque au contraire une barbarie réfléchie et calculée, un cœur sans entrailles. Du reste, si l’on peut mettre en parallèle les caractères physiologiques du Babylonien et du Ninivite, aussi bien qu’exposer l’antagonisme politique de ces deux peuples, il n’est que juste de dire que ces frères ennemis se ressemblent par un côté essentiel de leur nature : l’un et l’autre sont altérés de sang, également incapables de pitié et de tendresse, et leur âme est impitoyablement fermée à toute espèce d’émotion. On dirait qu’ils ont emprunté quelque chose dés instincts farouches des fauves du désert qui les environnent, et qu’ils poursuivent dans leurs chasses quotidiennes. Isaïe[3] les appelle le peuple fier : on ne saurait, en effet, refuser le courage aux belliqueuses légions d’Assur ou de Marduk, mais elles ne savaient pas distinguer l’intrépidité de la cruauté et de la sauvagerie : épargner un ennemi vaincu, c’est faiblesse et impuissance ; les races orientales, aujourd’hui encore, se montrent, à ce point de vue, les dignes héritières de l’empire assyrien.

Amoureux du sang et du pillage, plein d’un dévouement exalté pour son roi, pénétré d’un incommensurable orgueil, et pareil au Romain qui traitait les autres peuples de barbares, l’Assyrien s’estime supérieur à toutes les autres races ; infatigable dans les privations, fourbe et hypocrite autant qu’un Oriental peut l’être, doué par excellence des instincts de la domination, actif et persévérant, il constitue une de ces nations que la Providence semble avoir formées pour faire passer les autres sous le joug, et pour être les auxiliaires de son éternelle justice. Telles étaient la rudesse et l’énergie de la nature des Assyriens qu’ils résistèrent des siècles entiers à l’influence énervante du luxe qui, à la suite de tant de conquêtes et de pillages, avait envahi leurs opulentes cités. L’Asie a, vu souvent, dans l’antiquité comme au moyen âge, de grands peuples conquérants et envahisseurs qui paraissaient faits pour dominer le monde : aucun d’eux ne sut, comme l’Assyrien, conserver longtemps sa suprématie militaire et échapper à l’action démoralisatrice du bien-être et de la richesse.

La monarchie assyrienne réalisait, dès l’époque héroïque, symbolisée dans le personnage de Nemrod, le type qu’ont reproduit depuis, toutes les monarchies asiatiques, aussi bien celle des khalifes musulmans, et, des schahs de Perse, que celle des sultans de Constantinople. C’était le despotisme à la fois militaire et religieux, sans frein, sans limites ni contrôle, traversé seulement, de temps à autre, par des catastrophes militaires ou de sanglantes révolutions de palais. Dans ces principautés minuscules des pays de Sumer et d’Accad, comme Ur, Sirtella, Uruk, Larsa, Agadé, le prince a déjà ce caractère d’absolutisme si odieux à notre conception moderne du pouvoir. Il est à la fois pontife et roi, chef militaire et vicaire des dieux : jamais, d’ailleurs, les Orientaux n’ont envisagé autrement le pouvoir suprême : Melchisédec avait, comme Mahomet, cette double investiture.

Parmi les titres officiels que prennent les rois chaldéens, se trouve celui de Pasteur (riu) des peuples, titre qui s’était traditionnellement conservé d’âge en âge depuis l’époque où la vie pastorale était l’état social des Chaldéens. On rencontre assez fréquemment cette même expression dans la Bible pour désigner les rois, et un souvenir du même genre a été conservé par Bérose qui raconte que le premier roi, Alorus, fut choisi par Dieu pour être le pasteur (ποιμήν) des peuples. Le nom de roi, en assyrien, n’est pas le melek des autres langues sémitiques ; on emploie presque constamment le mot sarru, qui est rendu en suméro-accadien par deux idéogrammes juxtaposés, lu-gal, qui signifient l’homme grand, le chef. L’épithète de mâle puissant dont se glorifient les rois proto-Chaldéens les rattache peut-être à Nemrod, l’Hercule sémitique, et aux Géants ou gibborim de la Genèse. Ils s’intitulent aussi rois des quatre régions du monde et rois des légions : cette dernière expression est tout à fait analogue à celle qui qualifie Jéhovah quand on l’appelle le Dieu des légions ou des armées célestes (sabaoth).

Le caractère essentiellement religieux de la royauté chaldéenne est indiqué dans les formules de chancellerie par l’épithète de sakkanaku, qui s’articule syllabiquement patesi en suméro-accadien, et qu’on peut traduire par vicaire des dieux : Melchisédec est de même proclamé dans la Genèse, le pontife du Très-Haut. On a parfois admis que le titre de patesi signifiait seulement gouverneur et que les personnages qui le portent n’étaient pas les rois eux-mêmes, mais leurs lieutenants, qu’ils avalent investis, sous leur suzeraineté, du gouvernement d’une ville ou d’une province. Mais cette interprétation est trop restreinte puisqu’on rencontre des princes chaldéens qui se proclament rois d’une ville et patesis de la ville voisine : ce titre signifie donc plutôt que les rois sont les pontifes suprêmes des sanctuaires plus ou moins célèbres de certaines villes de leur empire. Quand les monarques ninivites ont conquis la Chaldée, ils s’intitulent, d’après le même ordre d’idées, patesis des dieux de Babylone.

Nous tairons les titres moins ordinaires et moins significatifs dont se parent les rois de Chaldée et d’Assyrie, comme ceux de héros, de chasseur ou guerrier sublime, de pontife suprême, et cent autres hyperboles qui s’étalent longuement au début des inscriptions historiques et sont synonymes des idées de force, de puissance, de victoire et d’adoration des dieux. La formule ordinaire et la plus simple est celle-ci : le grand roi, le puissant roi, le roi des légions, le roi du pays d’Assur. Sargon, par exemple, se dit : descendant de Bel, pontife (sakkanaku) d’Assur, lumière d’Anu et de Dagon, le puissant roi, le roi des légions, le roi du pays d’Assur, le roi des quatre régions, le favori des grands dieux, le Pasteur véritable, celui auquel Assur et  Marduk ont accordé le pouvoir. Sennachérib s’intitule à son tour : le grand roi, le puissant roi, le roi des légions, le roi du pays d’Assur, le roi des quatre régions, le favori clos grands dieux, le guerrier, le sage, le prince vigilant, le Pasteur des hommes, le gardien des peuples. Il est parfois des préambules en l’honneur du prince, qui sont si longs qu’on dirait une litanie de synonymes hyperboliques que domine une idée générale dont il faut tenir compte : nulle part le tout-puissant potentat n’est considéré comme un dieu, et quelque basse et ridicule que soit la flatterie à l’égard du prince, elle ne va jamais jusqu’à lui décerner, comme en Égypte, les honneurs de l’apothéose. Il reste toujours homme et le plus humble serviteur des dieux, quelles que soient sa puissance et sa grandeur. Au milieu de l’enivrement de leurs victoires et de leurs richesses, ce dont les fastueux rois de Ninive et de Babylone s’enorgueillissent le plus, c’est de la protection de leurs dieux : ils leur rapportent tous leurs actes ; lotir attribuent tous leurs triomphes, prennent à tâche de traduire leur volonté et de n’agir que sur leurs ordres. Il est à peine besoin de rappeler ici qu’ils s’empressaient de consacrer à leurs dieux nationaux les dépouilles opimes que leur rapportait la guerre, et qu’ils consumaient tout le temps que leur laissaient les armes, à bâtir des temples et des sanctuaires, à ériger des statues en l’honneur de leurs divinités favorites qu’ils célèbrent par clos dithyrambes sans fin. Un bas-relief de Nimroud représente Sennachérib offrant un sacrifice : le prince est debout, appuyé d’une main sur son arc, tandis qu’il élève de l’autre, à la hauteur de son visage, la coupe qui contient la liqueur consacrée ; à ses pieds est étendu le cadavre du taureau que l’on va dépecer. Il a devant lui son grand-vizir, debout, les mains jointes, dans l’attitude du respect ; des eunuques tiennent le parasol et le chasse-mouche, et des officiers de la suite du roi assistent à la cérémonie. Une autre fois, le même prince est représenté assis sur son trône, et tenant à la main la coupe hémisphérique qu’il élève pour la consacrer. Son costume, dont les détails sont rendus avec une merveilleuse habileté, est orné de riches broderies où se déroulent des images d’un caractère religieux et symbolique. Un eunuque présente une autre coupe au roi, et plus loin on voit deux génies ailés qui élèvent en la tournant du côté du prince, une pomme de pin, et tiennent le vase à mufle de lion qui renferme l’eau lustrale.

D’autres scènes figurées sur les bas-reliefs des palais montrent des sacrifices analogues accomplis par les rois, en même temps que le texte des inscriptions contient la relation officielle de ces pieuses cérémonies, ou des constructions exécutées par ces princes en l’honneur de leurs dieux. C’est pour eux un grand titre de gloire que d’ajouter à la suite de leur nom, comme une qualification nouvelle : constructeur ou restaurateur de tel ou tel temple, de même que les empereurs romains joignaient à leur nom ceux de Parthique ou de Germanique qui rappelaient leurs exploits guerriers. Le pieux monarque met sous la protection des dieux son trône, sa vie, sa race royale, et il proclame bien haut la faiblesse humaine en face de la toute-puissance divine.

Ces rois constructeurs ne bâtissaient pas un palais sans accomplir de grands sacrifices qui avaient pour but d’éloigner les démons, d’écarter le mauvais œil et d’attirer sur la demeure royale les bénédictions du ciel. Sargon place sous l’invocation de Samas, de Bel, d’Anu et de Nisruk les quatre grandes portes de son palais de Khorsabad, et les Annales de ce prince renferment le récit de l’hécatombe ordonnée à l’occasion de la dédicace de la résidence royale. Tous les actes de la vie du roi sont dictés par l’ordre des dieux. Entre les milliers d’exemples que nous en pourrions citer, rappelons notamment l’ordre donné à Assurbanipal par Nanâ de rapporter à Uruk la statue de cette déesse, qui était prisonnière des Élamites depuis quinze siècles. Pour connaître la volonté divine, le roi a deux moyens : tantôt il communique directement avec les puissances célestes par le moyen des songes que ces dernières lui envoient ; tantôt il consulte les devins et les astrologues dont c’était le métier d’être en relation avec le monde suprasensible. Les pratiques magiques et divinatoires étaient usitées dès le temps de Sargon l’Ancien et de son fils Naram-Siti, et nous avons un important fragment d’un livre de présages rédigé par l’ordre de ces princes. Plus fard, Sennachérib raconte qu’au moment d’entreprendre nue expédition contre la ville de Madaktu, au pays d’Élam, il consulta les devins et les astrologues, et l’on se souvient du curieux épisode des annales du règne d’Assurbanipal qui concerne la guerre contre les Élamites, où il est dit à quel point ce prince fut troublé par les songes qui l’obsédaient et que lui envoyait Istar, la grande déesse.

Cette superstition singulière était la seule barrière que les rois d’Assyrie trouvassent à l’entraînement de leur toute-puissance : ils se l’étaient inconsciemment imposée à eux-mêmes. La peur du surnaturel les tourmente ; on les voit à chaque instant recourir aux présages, observer le cours des astres, le vol des oiseaux, le cours des flots dans les rivières, le bruissement des vents, les formes changeantes des nuages ; ils sont entourés de devins presque exclusivement occupés à expliquer les rêves nocturnes du monarque et à lui dicter les ordres du ciel. Il convient d’invoquer à ce sujet le livre de Daniel, rempli de traditions relatives au règne de Nabuchodonosor et aux songes de ce prince ; le tout-puissant roi qui fait trembler l’Asie et se proclame « le sans égal sur la terre », se trouve en réalité, par une cruelle ironie du sort, livré pieds et poings liés entre les mains des charlatans et des astrologues qui, au nom du ciel, dirigent ses moindres actions.

Les arrêts plus ou moins intéressés et plus ou moins loyaux de ces collèges d’aruspices, de devins et d’enchanteurs qui agissaient poussés par le fanatisme et une foi sincère en leur science ou bien par la cupidité, la basse adulation, l’intérêt ou quelquefois la haine et le désir de la vengeance, étaient le seul contrepoids à l’omnipotence du vicaire d’Assur ou de Bel-Marduk. Comme dans la Grèce et chez les Romains, c’étaient les largesses et les riches offrandes qui déliaient la langue des oracles et les rendaient favorables : les rois le savaient et ils ne manquaient pas de combler les sanctuaires d’opulents cadeaux dont profilaient les prêtres et les autres interprètes de la volonté divine. Loin donc de s’exercer à atténuer les inconvénients du pouvoir absolu et d’opposer une barrière aux caprices du tyran en le faisant trembler sous la menace de l’intervention des dieux, les collèges sacerdotaux prenaient à tâche, par le plus immoral des calculs, de flatter les passions du prince et d’aller au-devant de ses désirs et de ses appétits en les représentant comme de célestes inspirations.

Ce caractère absolu de la royauté assyrienne éclate surtout dans les sculptures qui décoraient les parois des palais et sur lesquelles nous voyons, sous mille formes variées, les rois de Ninive comme chefs de leurs armées, comme pontifes suprêmes, ou comme grands chasseurs de bêtes féroces. La stèle en diorite noire du roi Marduk-nadin-ahi (vers 1120 av. J.-C.) conservée au Musée Britannique, représente ce prince chaldéen dans le plus grand appareil royal, avec un costume fort original et sensiblement différent de celui que nous trouverons à une époque postérieure,. Il est debout, vêtu d’une tunique talaire surchargée de broderies et ornée de passementeries d’or et de soie, avec des pierres précieuses enchâssées dans les mailles du tissu. Cette robe, à manches étroites et échancrée par derrière, est assujettie à la taille par une large ceinture décorée de festons quadrillés. De la main gauche, le roi tient un arc et de l’autre, deus flèches ; deux poignards sont passés dans sa ceinture, suivant une mode encore usitée de nos jours chez les Arabes. Les tresses de sa longue chevelure descendent sur son cou, taudis que sa barbe frisée parait fort courte si on la compare à celle des rois d’un âge postérieur. Il est coiffé de la tiare sacerdotale : c’est une haute calotte cylindrique ornée sur son pourtour de rosaces et de chevaux ailés en adoration devant l’arbre de vie ; elle se termine en haut par une rangée de plumes. Ses chaussures enfin sont formées d’un tissu quadrillé qui recouvre tout le pied, à la manière de nos pantoufles.

Tel est l’un des plus anciens et des plus remarquables portraits de roi chaldéen que nous aient conservé les monuments de la sculpture : ici les attributs du roi, l’arc et les flèches, sont exclusivement guerriers. Sur les bas-reliefs assyriens d’une époque plus moderne, le roi porte à la main, tantôt un arc et des flèches, tantôt un javelot ou bien un sceptre d’ivoire, la fleur de lotus, la harpa, sorte de grande faucille comme celle que la mythologie romaine met entre les mains de Saturne, la coupe sacrée des libations, l’éventail, comme les souverains actuels de la Perse. Sa poitrine est ornée d’un collier de pierreries, au milieu desquelles étincelle parfois la croix à quatre branches égales, symbole de vie et d’immortalité ; sa tête, raide et impassible, est encadrée d’une chevelure et d’une barbe dont les mèches parallèles et symétriquement bouclées produisent un effet étrange sous la tiare conique qui était par excellence l’insigne de la souveraine puissance. Quelquefois, cependant la tête est nue, comme on le voit pour la statue d’Assur-nazir-pal, ou bien elle est simplement ornée d’une large bande d’étoffe qui forme diadème et s’élargit au-dessus du front. Le roi est toujours accompagné de deux serviteurs qui portent le parasol et le chasse-mouches ; même quand il est sur son char ou dans un palanquin, il est suivi de ces deux esclaves qui étendent au-dessus de sa tête cette sorte de dais qui est souvent d’une richesse extraordinaire et cette houppe formée de grandes plumes d’oiseau.

Avant le siècle des Sargonides le costume royal se composait principalement, comme on peut le constater par les portraits de Samsi-Raman III et d’Assur-nazir-pal, d’une ample tunique talaire ornée d’une ou plusieurs rangées de franges et serrée à la taille par une ceinture. Mais a partir de Sargon, ce vêlement devient plus riche encore. Par-dessus une grande robe dont les manches s’arrêtent à la naissance du coude, le roi est vêtu d’une sorte de châle qui recouvre le dos et la poitrine comme une chasuble. Les pieds sont chaussés de sandales attachées par des courroies ; souvent le monarque porte aux poignets des bracelets, et au cou un collier, tandis que ses oreilles sont ornées de pendants et que sa tête est coiffée de la tiare conique ; quelquefois il appuie une main sur le pommeau d’une courte épée. C’est ainsi que nous apparaissent Sargon et ses successeurs sur les bas-reliefs de Khorsabad, de Nimroud et de Koyoundjik. Si l’on en juge parle portrait de Marduk-radin-ahi, le costume royal était plus somptueux encore à Babylone qu’à Ninive, et c’est bien dans ce splendide apparat que nous nous figurons Nabuchodonosor, au milieu de sa cour, recevant les hommages de toits sus vassaux éblouis de tant de merveilles.

Sur son char de guerre, que le roi soit occupé à tuer des ennemis sur le champ de bataille ou des lions à la chasse, le costume est encore le même, seulement le prince tire de l’arc, ou bien, ne tenant à la main que l’éventail et entouré d’eunuques et d’officiers, il préside avec sang-froid et majesté à la tuerie et au carnage. Il a encore la même attitude quand il reçoit la soumission des vaincus et qu’il pose le pied sur la tête d’un ennemi qui mord la poussière en suppliant, et lui sert de marchepied, selon l’énergique expression du Psalmiste. Une fois, sur un bas-relief de Koyoundjik[4], le roi est figuré debout sur une sorte de petit char ou palanquin que traînent deux eunuques attelés au timon, comme des bêtes de somme ; une autre fois, nous voyons ce palanquin avec le roi sur un bateau que remorquent avec des cordages des esclaves qui suivent la rive du fleuve.

Voyez le roi Sargon en costume de cour ; il est debout ; sa main gauche s’appuie sur la garde de son épée, et de la droite il tient un Ion, bâton qui paraît être l’insigne de la dignité pontificale. Son abondante chevelure est frisée en petites boucles symétriques ; sa moustache, coupée ras au-dessus de la lèvre, est frisée sur les coins de la bouche : le reste de sa barbe, partagé en nattes serrées, descend sur sa poitrine comme celle de tous les personnages de la cour qui prenaient, ainsi que leur maître, et comme le font encore aujourd’hui les Orientaux, un soin tout particulier de leur barbe. La tiare du roi, en forme de cône tronqué, ressemble beaucoup, suivant le témoignage de Botta, aux bonnets actuels des Persans. Deux bandelettes qui sortent de la partie postérieure de la tiare, passent sur les épaules et pendent derrière le dos : ce sont les fanons, et la mitre de nos évêques en a encore de tout pareils. La tunique du prince est bordée d’une frange dont les flocons se terminent par quatre rangées de perles, et, par-dessus cette robe, est jeté cette espèce de manteau court dont nous avons déjà parlé en le comparant à une chasuble. Les sandales que portent encore de nos jours les habitants du mont Sindjar (Singara) sont semblables à celles du roi Sargon : elles sont à quartier élevé, peint de bandes alternativement rouges et bleues. Les pendants d’oreilles et les bracelets sont particulièrement riches ; le fourreau de l’épée est très orné et incrusté de pierreries.

Quand le roi est sur son char de guerre, on voit généralement, debout, à ses côtés, deux autres personnages : le cocher qui tient les rênes et le fouet, et l’eunuque dont les fonctions consistent à étendre le parasol et le chasse-mouches. Très nombreuses sont les scènes des bas-reliefs qui mettent le roi lui-même en action et nous le montrent combattant, tuant souvent de sa propre main un ennemi trop téméraire. Tout se rapporte à la personne du roi et les sculpteurs n’ont en vue que la glorification du tyran : c’est lui qui égorge les ennemis, qui s’enfonce le, premier dans la mêlée, qui reçoit les tributs, qui foule aux pieds les cadavres, qui inflige un châtiment terrible aux prisonniers : témoin le bas-relief qui représente Sargon crevant les yeux à un vaincu enchaîné. Est-il besoin de rappeler les scènes figurées sur l’obélisque de Salmanasar III où l’on voit ce prince recevant, avec la soumission de Jéhu, roi d’Israël et d’autres malheureux rois qui baisent la terre à ses pieds, des tributs de toute espèce, lingots d’or, d’argent et d’autres métaux, étoffes précieuses, vases et ustensiles de toute nature, chevaux, chameaux, bœufs, singes et éléphants ? Nulle part le triomphe militaire du roi n’est représenté d’une manière plus saisissante que sur le bas-relief du siège de Lachis. Voyez Sennachérib assis sur son trône, tenant l’arc et un faisceau de flèches, flanqué des deux eunuques qui agitent des chasse-mouches : il reçoit un de ses principaux lieutenants, son grand vizir sans doute, escorté de quelques soldats, qui lui annonce que les émissaires juifs viennent implorer sa paix. Les envoyés d’Ézéchias sont là, en effet, la tête nue, couverts du sac, et plusieurs d’entre eux sont agenouillés ou prosternés la face sur le sol ; plus loin, comme pour les intimider et leur montrer par avance le sort réservé à ceux qui osent résister au roi d’Assyrie, des soldats égorgent, des prisonniers, en enfonçant leur épée dans la poitrine de ces malheureux sans défense.

Tel est le côté militaire de la monarchie assyrienne : on n’aurait pas compris ni supporté à Babylone ou à Ninive un prince pacifique, exclusivement adonné à la culture des arts. A chaque printemps, le roi partait pour tuer et piller : ainsi le voulaient Assur et Marduk dont il était le vicaire sur la terre ; ainsi l’exigeait l’inassouvissable cupidité de la soldatesque qui n’obéissait aveuglément qu’à la condition d’être menée au pillage.

Dans les intervalles que leur laissaient les armes, les monarques de Ninive, altérés de sang, se livraient à des chasses dont les sculptures nous ont conservé des épisodes aussi étonnants que le texte explicatif qui les accompagne. Dans les immenses plaines de la Mésopotamie, quelque bien cultivé que fût le pays, il y avait de vastes espaces inhabités, des steppes à perte de vue où pullulaient les lions, les onagres, les taureaux sauvages, les sangliers, les bouquetins, les autruches. Xénophon qui traversa ces contrées avec les Dix-Mille, nous l’atteste, et les monuments joignent leur témoignage au sien. La chasse, c’est toujours la guerre : les rois allaient chasser en grande pompe, entourés d’une escorte brillante et armée comme pour une expédition militaire, ainsi que le pratiquaient les khalifes au moyen âge et comme le font encore les schahs de Perse. Les voyageurs qui ont assisté à ces équipées dignes de Nemrod, tels que Tavernier et Chardin, racontent que ce sont, même aujourd’hui, de véritables boucheries où l’on tue les animaux par centaines, mais où le monarque ne court aucun danger. Un corps de troupes, tout entier, répandu dans la campagne pour rabattre le gibier, force, par des cris et nu grand tumulte, les animaux féroces ou inoffensifs, à se réfugier dans une enceinte préparée à l’avance où ils s’entassent parfois en nombre énorme. Là, le prince, embusqué en toute sécurité et protégé par de puissantes palissades contre les bonds des tigres et des lions, choisit à son gré les animaux qu’il veut tirer et il les abat à loisir sans avoir rien à redouter.

Tout porte à croire que les choses devaient, dans la réalité, se passer de même en Assyrie. Mais la flatterie des artistes, dans les représentations de ces chasses dont les monarques aimaient à couvrir les murs de leurs palais, a donné au prince une attitude plus héroïque et un rôle à la fois plus actif et plus dangereux. Il parcourt dans son char les steppes et les forêts où les lions bondissent autour de lui ; il lutte corps à corps avec eux, les accable de traits du haut de son char, leur enfonce son épée dans la gorge : nous voyons, par exemple, Sennachérib attaqué par un lion qui, déjà, a saisi de ses griffes puissantes le char royal ; sans se troubler, le prince, dont les chevaux, épouvantés sans doute par les rugissements du fauve, s’enfuient au grand galop, lui décoche un trait presque à bout portant ; un autre lion est déjà étendu raide mort à ses pieds. Ailleurs, c’est un lion qui s’élance sur le roi pour le dévorer, mais le favori de Nergal lui enfonce, sans s’émouvoir, un poignard sous l’aisselle et le fait rouler dans la poussière. Les chasses d’Assurbanipal sont devenues particulièrement célèbres à cause du mérite artistique des bas-reliefs qui les représentent : ce sont partout les mêmes prouesses hyperboliques naïvement racontées à la postérité la plus reculée : Moi, Assurbanipal, roi des légions, roi du pays d’Assur ; dans une de mes chasses, j’ai rencontré un lion, je l’ai pris par les oreilles, en invoquant Assur et Istar, la souveraine des combats ; j’ai transpercé ses oreilles d’un coup de ma lance : voilà l’œuvre de mes mains. Une autre inscription contient ces mots : Dans une de mes chasses, j’ai pris un lion par la queue, et avec l’aide d’Adar et de Nergal, les dieux mes protecteurs, j’ai broyé sa cervelle d’un coup de massue. A plusieurs reprises, dans le récit des évènements politiques, nous avons mentionné les paroles mêmes des rois d’Assyrie qui se glorifient de leurs exploits cynégétiques comme de leurs plus éclatantes victoires. Suivant leur dire, c’est par centaines qu’ils égorgent les lions avec autant de facilité qu’on tue un mouton, et les sculptures nous montrent ces princes luttant corps à corps avec les fauves. Il est vrai que le secret de ce drame émouvant nous est révélé par des bas-reliefs d’Assurbanipal qui prouvent qu’on amenait sur le terrain de la chasse des lions gardés dans des cages et tout préparés à servir de gibier inoffensif,. C’étaient presque toujours des lions que chassaient les rois ninivites ; le lion pullulait dans toute la Mésopotamie, comme aujourd’hui encore le long du bas-Euphrate. On le chassait même en bateau. Par exception seulement, les rois daignent s’arrêter à tuer des onagres, des bouquetins, des bisons et des sangliers : une fois même nous voyous des Assyriens qui tirent des oiseaux et les transpercent avec leurs flèches dans les airs. Les sculpteurs se sont toujours complu à représenter ces chasses merveilleuses, et l’on prend plaisir à contempler les attitudes variées que l’art a données aux fauves qui tombent et roulent dans la poussière sous les coups de l’épieu des veneurs ou des flèches du roi. Tantôt, le lion se ramasse sur lui-même et rassemble ses forces, tout prêt à bondir sur l’ennemi qui vient hardiment il lui ; tantôt le chasseur le surprend endormi et nonchalamment couché à l’entrée de sa tanière ou sous les grands arbres ; ailleurs, il bondit, il s’élance, il subit, il met en pièces la proie qui tombe sous sa griffe terrible. Une figure représente un lion énorme dont le corps a été traversé par une flèche qui est restée dans la blessure. Le trait a percé les poumons ou coupé quelque gros vaisseau. Le blessé vomit le sang à pleine gueule ; il sent déjà les affres de la mort ; cependant, le dos arrondi, les pattes rapprochées et cramponnées au sol, il se replie sur lui-même et rassemble tout ce qui lui reste de puissance musculaire ; il se contracte et s’arc-boute, dans un dernier effort, pour ne pas se laisser aller et ne point rouler sur le sol. Plus expressive peut-être encore et plus pathétique est une lionne que la même main a frappée, mais d’une manière différente, Une des trois flèches qui l’ont atteinte lui a brisé la colonne vertébrale à la hauteur des reins ; toute la partie postérieure du corps est paralysée ; impuissante, les pattes de derrière traînent à terre ; mais l’animal se raidit sur ses pattes de devant, que la vie et le mouvement n’ont pas abandonnées ; il tend le col et la tête ; il fait, jusqu’au dernier moment face à l’ennemi. Quand on a, pendant quelque temps fixé les veux sur cette image, on se prend à sentir arriver jusqu’à ses oreilles l’écho du rugissement suprême qui sort de cette bouche entr’ouverte, déjà plaintif et cependant encore menaçant[5].

Le soir, à la fin de la journée, quand le cortège royal rentrait triomphalement à la cour, traînant à sa suite les cadavres pantelants de vingt lions et de cent autres fauves du désert, on se dirigeait tout droit au temple de Nergal, le dieu de la chasse ; on rangeait en ligne les corps des victimes et le prince offrait des actions de grâces au dieu qui lui donnait la force, l’adresse et la victoire. On nous montre ainsi Assurbanipal offrant à Nergal les dépouilles opimes de la chasse et versant la coupe sacrée sur les têtes des lions étendus à ses pieds sur les dalles du sanctuaire.

Le grand tueur de lions de la légende, Nemrod, était l’objet d’un culte spécial de la part des rois d’Assyrie qui lui élevèrent des statues où les proportions humaines sont dépassées dans la taille aussi bien que dans les exploits que lui prêtait la tradition : Qui n’a remarqué avec un vif étonnement, dans la galerie assyrienne du musée du Louvre, ce colosse qui étouffe un lion sous son bras ? C’est le fort chasseur devant Jéhovah. Il a la tête nue, les cheveux et la barbe, frisés à l’assyrienne ; il porte une robe échancrée, à manches courtes et ornée de franges ; il a des pendants d’oreilles et des bracelets. Son bras gauche est passé sur le cou d’un lion que le géant cherche à étouffer en le serrant contre sa poitrine ; de la main droite il tient un fouet. Le fauve parait étouffé par l’effort musculaire du géant, et ses griffes contractées cherchent à s’enfoncer dans les vêtements du terrible dompteur qui symbolisait la force et la puissance.

Bien que les inscriptions et les œuvres de la sculpture ne représentent généralement les rois chaldéo-assyriens que comme pontifes, chefs d’armées ou chasseurs de bêtes féroces, on n’aurait qu’une idée imparfaite de la royauté assyrienne si l’on s’en tenait l ces témoignages. Les princes qui régnaient à Ninive et surtout ceux de Babylone étaient agriculteurs, et un certain nombre d’entre eux se sont acquis une gloire immortelle par les grands travaux d’assainissement, de drainage et d’arrosement qu’ils ont accomplis. Hammurabi et Nabuchodonosor racontent dans leurs inscriptions qu’ils ont favorisé l’agriculture chaldéenne par des entreprises de ce genre et les canaux qu’ils ont fait creuser pour irriguer et féconder la plaine sont appelés la bénédiction de la Babylonie. Sennachérib fit aussi canaliser les environs de Ninive et étendre la culture du froment dans ces contrées ; d’autres princes se signalèrent même en ordonnant des reboisements de montagnes stériles, et en faisant transplanter à grands frais dans les plaines mésopotamiennes ou sur les pentes du mont Masius, des essences végétales arrachées aux flancs de l’Amanus ou du Liban. Teglath-pal-asar Ier se vante d’être un arboriculteur émérite : Des cèdres, des pins et des lentisques, des contrées que j’avais subjuguées, essences de bois, que mes ancêtres n’avaient jamais cultivées, j’en plantai dans les jardins de mon pays, et j’enrichis les vergers de l’Assyrie de ces arbres précieux que personne avant moi n’avait transportés en Mésopotamie. Les jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde, où l’on entretenait, à grands frais d’arrosage, la végétation d’arbres et de plantes arrachés à des climats lointains, attestent que les rois Chaldéens ne le cédaient pas à leurs voisins du nord au point de vue de l’art de l’horticulture.

Vous verrons dans un autre paragraphe l’action du roi au point de vue administratif et nous dirons de quelle façon le monarque gouvernait les provinces de son empire. On a conservé des lettres écrites sur l’argile au roi Assurbanipal par les préfets de différentes villes ; nous possédons également des proclamations de ce prince adressées aux habitants de districts éloignés pour faire droit à leurs doléances. Dans l’intérieur de son palais, le roi se livrait avec les collèges de savants à l’étude des mathématiques et de l’astrologie ; il ne restait pas étranger à la littérature nationale, faisant recopier les anciennes annales et les vieilles légendes, et prenant à lâche d’enrichir le grand dépôt littéraire composé de briques inscrites, qu’on a appelé la bibliothèque du palais.

Enfin le roi rendait la justice ; il était juge suprême et en dernier ressort, et le peuple pouvait avoir recours à lui en cas de déni de justice. Une inscription raconte qu’un homme en a appelé de ses juges naturels au roi qui a écouté sa plainte :

Il en a appelé devant le roi ;

Il l’a appelé devant le roi, et le roi a écouté sa plainte ;

Il avait demandé les cinq sixièmes et il a obtenu gain de cause

On lui a restitué son gage au prix...

Il a évité la peine de sa provocation[6].

Ce côté bienfaisant de la royauté assyrienne, ce rôle paternel et protecteur des monarques sanguinaires qui consentaient à oublier un instant la guerre et le, pillage pour cultiver les arts de la paix, touchait profondément le peuple qui ne voyait dans son maître que l’interprète des dieux et l’exécuteur des volontés divines. Le roi d’Assyrie était aimé de ses sujets qui le regardaient comme un père et invoquaient les dieux en sa faveur :

Longs jours,

longues années,

glaive fort,

longue vie

années rte gloire,

prééminence sur les rois accordez tout cela au roi,

mon seigneur, qui a offert de tels présents

à ses dieux.

Les vastes et larges frontières (le son empire

et de son gouvernement, puisse-t-il agrandir et compléter !

Possédant la suprématie sur tous les rois,

la royauté et l’empire, puisse-t-il atteindre la vieillesse

et le grand âge !

Et après le don de ces jours (présents),

dans les fêtes de la Montagne d’argent, des cours célestes

de la demeure de la félicité,

à la lumière des champs de délices,

puisse-t-il mener une vie éternelle, sainte,

en la présence

des dieux qui habitent l’Assyrie ![7]

Un roi dont le nom nous est demeuré inconnu, étant tombé malade, on fit des prières publiques pour sa guérison, et nous possédons l’incantation magique que les devins récitèrent pour le salut du prince. Dans le langage mystique de ces prêtres magiciens, la souffrance du roi est assimilée à une maladie de Sin, le dieu de la lune ; ce dieu, considéré comme le type de la royauté, se trouve livré pieds et poings liés, entre les mains des démons de la maladie qui le tourmentent comme s’il était le roi lui-même :

En ce temps-là, les sept dieux méchants circulaient dans la partie inférieure du ciel ;

devant la face de l’illuminateur Sin, violemment ils survinrent.

Le noble Samas et Raman le guerrier passèrent de leur côté ;

Istar, avec Anu, le roi, s’éleva vers les sièges étincelants

et dans la royauté du ciel déploya sa puissance...

Sin, le pasteur des gouverneurs de la surface de la terre,

fut bouleversé et s’arrêta au plus haut (de sa course),

étant empêché nuit et jour et ne s’asseyant plus sur le siège de sa souveraineté.

Les dieux méchants, messagers d’Anu, leur roi,

complotant dans leurs têtes méchantes, se soutenaient mutuellement ;

du milieu du ciel ils fondirent comme le vent sur la surface de la terre.

Bel, l’occlusion du noble Sin

le vit dans le ciel, et

lui, le maître, à son serviteur Nusku adressa la parole :

Mon serviteur Nusku, porte ma parole vers l’Océan ;

les nouvelles de mon fils Sin, qui dans le ciel est péniblement empêché,

à Ea, dans l’Océan, répète-les.

Nusku obéit à l’ordre de son maître

vers Ea, rapide, il alla.

Au chef, au dominateur suprême, au maître invariable,

Nusku répéta... l’ordre de son maître.

Ea entendit ce message dans l’Océan ;

il mordit sa lèvre, et sa face fut remplie de larmes.

Ea appela son fils Marduk et lui communiqua la nouvelle ;

« Viens, mon fils Marduk,

apprends, mon fils, que Sin dans le ciel est douloureusement empêché ;

vois son angoisse dans le ciel.

Ces sept dieux méchants et meurtriers, qui n’ont aucune crainte,

ces sept dieux méchants, comme des tourbillons, dévastent la vie à la surface de la terre ;

sur la surface de la terre ils ont fondu comme une trombe ;

devant la face de l’illuminateur Sin ils sont survenus violemment : le noble Sauras et Raman le guerrier, ont passé de leur côté...

... Dans la demeure de domination et de justice... possédant la force immense...

a la porte du palais le cri...

Une étoffe bariolée, le poil d’une chamelle qui n’a pas connu le mâle,

le poil d’une... qui n’a pas connu le mâle, façonne-le ;

lies-en les pieds et, les mains du roi, fils de son dieu.

Le roi, fils de son dieu, comme l’illuminateur Sin, rendra complète la vie du pays...

... Fais sur sa tête...

... rends-le pur et saint ; fais-le briller.

L’utuk mauvais, l’alal mauvais, le gikin mauvais, le telal mauvais,

le dieu mauvais, le maskin mauvais,

dans le palais jamais n’entreront ;

de la porte du palais jamais ne s’approcheront ;

au roi jamais ne s’attaqueront,

... Jamais ne tourneront autour ;

... Jamais n’entreront[8].

Un hymne pour la prospérité du roi s’exprime ainsi :

... Que le réseau des canaux [soit en sa possession] ; que la montagne qui produit des tributs [soit en sa possession] ; que les pâturages du désert qui produisent des tributs [soient en sa possession] ; que les vergers d’arbres fruitiers qui produisent des tributs [soient en sa possession]. Roi, pasteur de son peuple, qu’il tienne le soleil dans sa main droite ; qu’il tienne la lune dans sa main gauche. Que le démon favorable, le colosse favorable, qui gouvernent la seigneurie et la noyauté, pénètrent dans son corps ! Amen.

Celte possession bienfaisante des bons esprits est souhaitée au roi comme le plus heureux des effets surnaturels de la magie : tout rempli de l’esprit de sagesse, de justice et de puissance, jamais les démons n’oseront s’attaquer à lui, jamais ils ne s’empareront de lui pour le pousser au mal : il sera comme un saint, illuminé par la grâce divine.

 

§ 2. - LA COUR DU ROI ET LES COLLÈGES SACERDOTAUX

A trois lieues au nord-est de Ninive, sur les bords d’un petit affluent du Tigre, qu’on nomme aujourd’hui le Haser, s’élevait une ville que le roi Sargon avait fait construire vers l’an 710 avant notre ère, et que nous pouvons regarder comme le type des résidences royales assyriennes. Habitée par tous les officiers de la cour, les ministres, les gardes, les soldats, et cette armée d’esclaves chargés du service du palais, c’était comme une de ces vastes fermes où, suivant nos chroniqueurs, les rois mérovingiens se transportaient, loin de leur capitale, avec les prélats, les seigneurs et l’immense cortège de leurs serviteurs et de leurs soldats. Dur-Sarukin, où est aujourd’hui bâti le village de Khorsabad, comprenait un ensemble de constructions enveloppées dans un mur qui formait un carré presque parfait, de dix-huit cents mètres de côté, et dont les angles étaient orientés mathématiquement vers les quatre points cardinaux. Huit portes flanquées de tours crénelées donnaient accès dans la ville ; In mur de circonvallation était interrompu sur sa face nord-est par le château royal qui faisait saillie sur le rempart, pareil à un énorme bastion. Ce palais qui dominait la ville comme une sorte d’acropole et paraissait fortifié aussi bien contre elle que pour sa défense, était bâti au-dessus d’une lourde terrasse artificielle qui avait cinq cent soixante-dix ares de superficie. Ce n’est qu’avec les plus grandes difficultés que les explorateurs modernes, comme Botta et Place, sont parvenus à se rendre compte de l’économie et de la destination des appartements royaux qui comprenaient deux cent neuf chambres plus ou moins spacieuses. Par la comparaison avec les palais turcs et persans actuels où s’est perpétué, avec les mêmes usages et les mêmes mœurs, un agencement analogue, on y a distingué trois groupes de maisons qui sont : le sérail, c’est-à-dire les appartements de réception et les habitations des hommes, le harem où étaient enfermées les femmes du prince et leurs enfants, et enfin le khan, où étaient la demeure des esclaves et les dépendances de service. Le sérail était la partie la plus luxueuse et la mieux ornée ; il comprenait dix cours et plus de soixante pièces, décorées de ces superbes bas-reliefs qui font aujourd’hui la gloire du musée du Louvre, pavées de dalles sculptées et de briques émaillées, sur lesquelles se déroulaient de merveilleuses tapisseries, œuvre du harem ; les appartements privés du prince et les bureaux de sa chancellerie étaient contigus à ces vastes salons où avaient lieu les grandes fêtes et les réceptions solennelles. C’est à ce groupe de constructions que se rattachaient deux édifices isolés, une sorte de temple qui constituait peut-être quelque chose comme la chapelle du roi, et la pyramide à étages à laquelle on a donné le nom d’Observatoire : c’est ici que veillaient, toutes les nuits, les astrologues chaldéens, observant les phénomènes sidéraux, et dictant au prince, à son réveil, les présages heureux ou funestes qu’ils avaient cru lire dans les profondeurs des cieux. Le harem, qui occupait une superficie de près de neuf mille mètres carrés, était un bâtiment qui ne communiquait avec le reste du palais que par deux portes flanquées de corps de garde qui devaient être occupés par des eunuques. C’était, avec ses murs élevés et sans ouvertures, comme une prison au sein d’une forteresse. A l’intérieur, il y avait plusieurs cours et des corps de logis séparés, où étaient aménagés, isolément, les appartements des femmes que le roi avait choisies, au milieu de ce troupeau féminin, pour porter le titre de reines. Rien de comparable à la richesse de décoration de la cour principale du tout ce que nous connaissons du luxe asiatique et de la coquetterie des femmes orientales s’était donné rendez-vous. Le pied du mur de cette cour, quand on l’a déblayé, il y a quelque cinquante ans, était encore couvert d’un revêtement de mosaïque en briques émaillées et vernissées, représentant des animaux fantastiques, des scènes de chasse, de guerre ou des légendes mythologiques ; de chaque côté des portes, se dressaient de grandes statues peintes, et les colonnes qui formaient portique et soutenaient la galerie supérieure, comme dans les cours des palais orientaux modernes, étaient enveloppées d’une gaine de métal simulant l’écorce d’un tronc de palmier ; leur sommet ressemblait à une gerbe de palmes en bronze doré qui retombaient en imitant la courbe gracieuse des feuilles du dattier. Que l’imagination ajoute à cet ensemble retrouvé par la pioche de l’explorateur ; tous les détails qui constituent de nos jours encore le luxe de l’Orient : tentures de soie brochées d’or et d’argent, riches tapis, meubles et ustensiles dont l’élégance n’a peut-être pas été dépassée ; qu’elle se figure, dans cette sorte de grand salon en plein air, protégé par une galerie contre les ardeurs du soleil, et rafraîchi par des fontaines, des arbres et des fleurs, des groupes de femmes étendues sur des sofas, couvertes de parures et de bijoux, et assistant, insouciantes et désœuvrées, aux spectacles que leur donnent les danseuses, les chanteuses et les eunuques qui jouent de la harpe et du tambourin. Alors, comme aujourd’hui, nous trouvons dans le harem cette oisiveté rêveuse qui est pour l’Oriental le comble du bonheur. Supposez, dit M. G. Perrot, cette partie du palais restaurée et mise à neuf ; vous n’auriez rien à y changer pour y installer le harem de quelque grand seigneur turc ou persan. Aujourd’hui, c’est la même clôture rigoureuse du quartier des femmes, ce sont les mêmes précautions prises pour en surveiller et en fermer les abords ; dans l’intérieur, c’est partout la même préoccupation de séparer les unes des autres ces rivales qui se disputent les faveurs du maître. Ces créatures oisives et passionnées se jalousent et se détestent souvent au point de ne pas reculer devant le crime pour se débarrasser d’une ennemie, et elles trouvent aisément, dans cette nombreuse domesticité, des complaisants prêts à servir leurs haines et leurs vengeances[9].

Aucun des bas-reliefs de Khorsabad ne met en scène les femmes de Sargon, mais nous avons le portrait d’une reine assyrienne sur l’une des sculptures du palais d’Assurbanipal, à Koyoundjik. À l’exception des malheureuses emmenées en captivité, c’est à peu près le seul exemple de la représentation d’une femme sur les murs du palais assyrien. On voit Assurbanipal, étendu sur un divan, à la façon des Romains et des modernes Orientaux, appuyé du coude gauche sur de moelleux coussins, tandis que ses jambes sont cachées sous les couvertures ; il tient d’une main la fleur de lotus, et il élève de l’autre une coupe à boire. La reine est assise devant lui sur un siège à dossier, les pieds sur un escabeau ; elle tient un éventail et une coupe qu’elle va porter à ses lèvres. Sa tête est ornée, comme la Cybèle des Romains, d’une couronne murale, c’est-à-dire qui ressemble à l’enceinte fortifiée d’une ville ; elle porte de grosses boucles d’oreilles dont les perles sont disposées eu éventail ; à son cou, étincelle un collier de pierreries, et dans le tissu de son vêtement orné de franges sont enchâssés d’énormes cabochons. Entre le roi et la reine, on a disposé une table, sur laquelle sont placés des coffrets et divers ustensiles ; sur une autre table on voit l’arc et les flèches, emblèmes de la puissance royale. De même que le roi, la reine est suivie de deux eunuques qui agitent le chasse-mouches au-dessus de sa tête. Plus loin, suivent trois autres eunuques qui portent des mets ou des parfums, puis, à quelque distance, des musiciens. Au-dessus du lit royal, manifestement installé dans une des cours intérieures du harem, serpentent des ceps de vigne et, dans le milieu de la cour, s’élèvent des palmiers et des cyprès ; à une branche de l’un de ces arbres, est suspendu un hideux trophée, comme un gage accordé à la cruauté instinctive des femmes du harem : c’est la tête de Teumman, roi d’Élam, que le roi d’Assyrie avait récemment vaincu.

A côté des reines, c’est-à-dire des femmes auxquelles le roi faisait rendre les honneurs souverains, vivait tout un peuple de captives, souvent plus méprisables encore que malheureuses, que le prince honorait quelquefois de ses faveurs ou qui formaient le cortège des reines officielles. On distinguait, parmi elles, des femmes de toutes les nations, arrachées à leur patrie par la dureté impitoyable des soldats d’Assur ; il y avait même des épouses et des filles de rois, emmenées prisonnières, ainsi que nous le racontent, en maints endroits, les inscriptions historiques. L’abrutissement dans le désœuvrement et la débauche, telle était la condition fatale de ce troupeau féminin qui, entre temps, se livrait pourtant à des travaux manuels d’une habileté qui nous étonne.

Voyez ces sculptures où le ciseau de l’artiste s’est appliqué à rendre avec une fidélité minutieuse tous les détails du costume royal : ce sont les femmes du harem qui out lissé la trame de ce riche tissu à franges élégantes, qui ont brodé avec une patience bien orientale, ces tapisseries où les dessins les plus gracieux encadrent les tableaux les plus variés et si admirablement exécutés qu’ils pourraient, de nos jours encore, servir de modales.

Les dépendances ou les communs du palais occupaient un espace plus grand encore que le harem ; ou y a reconnu, par les débris qui s’y sont rencontrés, la maison du trésor, que les textes mentionnent par l’expression bit kutalli, les magasins d’ustensiles qui servaient à l’usage du palais, les dépôts de fer, de cuivre, de briques émaillées et les objets de toute nature qui constituaient la dépouille de peuples vaincus ou l’apport des tributaires. C’est là qu’était l’arsenal où se trouvaient remisés, en temps de paix, les chars de guerre, les boucliers, les arcs et les flèches, les carquois, les lances et les épées. Dans un autre corps de bâtiment, ou a retrouvé les boulangeries et les cuisines ; dans les écuries même, il a été facile de constater encore la présence des anneaux de bronze, scellés dans le mur, auxquels ou attachait les chevaux et les chameaux ; tout auprès, était la remise où l’on rangeait les selles, les harnais et les traits, et plus loin les chambres, petites mais nombreuses, des serviteurs chargés de l’entretien des communs. Quel était le nombre de ces esclaves ? il est bien difficile de l’apprécier, et l’on ne peut qu’invoquer à ce sujet le témoignage de Clésias qui porte à 15.000 les officiers et les domestiques employés ait palais du roi de Perse à Suse. Pour qui connaît les habitudes des souverains orientaux de nos jours, ce chiffre ne paraîtra certainement pas exagéré quand il s’agit du roi de Perse et à plus forte raison des rois d’Assyrie : c’était pour nourrir ce bétail humain que ces princes se mettaient en campagne à chaque printemps et emportaient, comme des pillards de grande route, les richesses de toute nature que le sort des armes jetait entre leurs mains. La ville annexée au palais vivait sans doute encore de lui, et peut-être, malgré soit étendue, n’était-elle entièrement habitée que par des fonctionnaires ou des esclaves attaches au service de la cour.

Les palais déterrés à Nimroud, à Kalah, à Koyoundjik, à Nebi-Younous, à Balawat, et la cité royale de Babylone avaient, sur des proportions plus ou moins vastes, les mêmes dispositions que le palais de Khorsabad. C’était dans ces demeures somptueuses que résidaient les plus fastueux des tyrans que l’histoire ait jamais eu à enregistrer, entourés d’une armée de fonctionnaires, de magistrats, de soldats, de prêtres et d’esclaves.

Le premier personnage était, après le roi, le grand-vizir qui fut souvent placé, sous le nom de tartan, à la tête des armées, quand le prince ne pouvait eu prendre lui-même le commandement. Il était aussi, ce semble, le chef du collège des mages après le roi. Une sculpture de Nimroud représente le monarque assyrien donnant audience à son grand vizir. Le prince, assis sur son trône, les pieds sur un escabeau et coiffé de la tiare, tient l’éventail et un long bâton de commandement qui repose à terre ; un eunuque étend au-dessus de lui le parasol. Le grand vizir s’avance, pieds nus, les mains croisées sur la poitrine, dans l’attitude du respect ; son front est ceint du diadème. Derrière lui, suivent deux personnages dont l’un, imberbe, gras et replet, doit être le grand eunuque, rab-saris ou rab-luh, et le suivant, barbu, un autre ministre, par exemple, le rab-saq ou grand échanson.

On voit également figurer le grand vizir de Sargon sur les murs du palais de Khorsabad. Une fois, entre autres, le premier ministre se tient debout en face de Sargon, la main droite ouverte et élevée à la hauteur du visage, la gauche appuyée sur le pommeau de son glaive. Le vêtement consiste en une tunique frangée et à manches courtes, avec une grande écharpe bordée d’une triple série de rosaces ; les sandales sont semblables a. celles du roi, si ce n’est qu’elles sont peintes en bleu ; les boucles d’oreilles, les bracelets, les colliers ressemblent à ceux du prince, niais le grand vizir n’est que diadémé et il ne porte pas la tiare.

Si puissants que fussent les ministres, ils étaient dans la main du roi ; ils ne pouvaient rien sans sa permission ou son ordre formel, et la moindre velléité d’indépendance ou même d’initiative personnelle de leur part eut été punie de mort. Il n’en était pas de même du collège des Chaldéens et des devins que le roi nourrissait dans son palais et qui s’étaient rendus puissants et redoutables au prince lui-même, par leurs oracles de bonne ou de mauvaise fortune et les relations directes qu’ils avaient arec les mondes célestes. Tout en conservant sur eus une autorité absolue, le roi les redoutait et il les flattait parce qu’il n’ignorait pas que c’était le moyen le plus sûr de mériter les faveurs des dieux.

Aucun teste ne nous fait mieux saisir le rôle des devins à la cour des rois de Babylone que le livre de Daniel où se trouvent consignés les souvenirs que les Juifs avaient gardés de la captivité. Il existait un chef des mages qui avait, pour insigne de sa dignité, une robe écarlate avec un collier d’or au cou[10] ; on distinguait plusieurs catégories de mages : les hasdim, ou Chaldéens proprement dits, docteurs en science religieuse et versés dans l’interprétation des écritures sacrées ; les hartoumini ou conjurateurs ; les gazrim ou astrologues, qui lisaient dans le ciel et observaient les phénomènes sidéraux ; il y avait encore les hukamim ou médecins, les asaphim ou devins, sorte de diseurs de bonne aventure[11] : tous ensemble étaient les sales par excellence, les docteurs (gabri). Le roi les réunissait eu conseil pour les consulter, et malheur à eux s’ils se trouvaient impuissants à répondre sur-le-champ : ils couraient le risque d’être punis de mort, parce que leur silence était interprété comme un refus de concours et un acte de rébellion.

On en peut juger par les curieux épisodes où le livre de Daniel met en scène les Chaldéens essayant d’interpréter les songes de Nabuchodonosor. C’était la seconde année du règne de ce prince : il eut un songe qui troubla son sommeil et dont son esprit demeurait agité. Il commanda alors qu’on fît venir les Chaldéens pour leur demander non pas l’explication du songe, mais les détails de l’apparition elle-même, car le monarque en avait perdu jusqu’au souvenir. Ils accoururent et se prosternèrent devant le roi qui leur dit : J’ai fait un songe ; mon esprit en a été troublé, et j’ai tâché de me le rappeler.

Et les Chaldéens répondirent au roi en langue syriaque : Roi, vis éternellement ; dis le songe à tes serviteurs, et nous en donnerons l’explication.

Mais le roi répondit aux Chaldéens : La chose m’est échappée ; si vous ne me dites le songe et ne m’en donnez l’interprétation, vous serez mis en pièces, et vos maisons seront réduites en volerie.

Mais si vous me dites le songe et que vous m’en donniez l’interprétation, vous recevrez de moi des dons, des présents et de grands honneurs. Dites-moi donc le songe et m’en donnez l’interprétation.

Ils répondirent pour la seconde fois et dirent : Que le roi dise le songe à ses serviteurs, et nous en donnerons l’interprétation.

Le roi répondit et dit : Je vois bien que vous cherchez à gagner du temps, parce que vous voyez que la chose m’est échappée.

Si vous ne me dites pas le songe, il y aura une même sentence contre vous tous, car vous vous préparez à dire devant moi quelque parole fausse et mensongère, en attendant que le temps change. Dites-moi d’abord le songe et je verrai si vous pouvez m’en donner l’interprétation.

Les Chaldéens répondirent au roi : Il n’y a aucun homme sur la terre qui puisse satisfaire à ce que demande le roi ; aussi n’y a-t-il aucun roi, ni prince, ni gouverneur qui ait jamais demandé une pareille chose à quelque magicien, astrologue ou Chaldéen que ce soit.

Car, ce que le roi demande est si difficile, qu’il n’y a que les dieux, qui n’ont aucune communication avec la chair, qui puissent le révéler au roi.

Sur ce, le roi se mit en colère et entra dans une grande indignation, et il commanda qu’on fil mourir tous les sages de Babylone.

Celui qui fut chargé de l’exécution de celle terrible sentence était Ariok, le majordome du palais. Il allait, paraît-il, accomplir sa mission, lorsque Daniel intervint, expliqua le songe du roi et sauva tout le collège des Chaldéens.

Ces prêtres, il faut le dire, disposaient de la destinée de l’empire, beaucoup plutôt par leur science véritable que par leurs pratiques divinatoires. Même dans leur magie, tout n’était pas vaine formule et supercherie pieuse, et il y entrait parfois de véritables procédés scientifiques ; ainsi, par exemple, il n’y avait pas eu Assyrie d’autres médecins qu’eux-mêmes, et leur science médicale, tout en procédant par incantations, philtres et breuvages mystiques accompagnés de simulacres et de prières, avait saur doute en même temps recours, Pont- la composition de ces breuvages enchantés à des substances dont ils avaient reconnu les vertus curatives. C’était là ce qui constituait leur force et le fondement de leur influence auprès des populations qui expérimentaient journellement leur intervention salutaire : quiconque ;i voyagé dans les pays orientaux sait avec quel enthousiasme les médecins sont partout accueillis et de quels privilèges ils se trouvent investis par l’exercice même de leur profession.

Ces savants si puissants à Ninive et à Babylone étaient les descendants de ces proto-Chaldéens Kouschites qui avaient dominé"eu Chaldée avant la prépondérance des Sémites, et qui y avaient établi leur empire sous les noms de Sumer et d’Accad. Émigrés de la, cour de Babylone dans celle de Ninive, ils conservèrent toujours le nom de Chaldéens ou Kasdim qui perdit toute signification ethnique et sous lequel on a désigné jusque pendant le moyen âge, les charlatans, les astrologues, les sorciers que l’Orient déversait sur l’Europe. Leur origine est formellement relatée par Diodore de Sicile, d’après Ctésias qui les avait vus à Babylone et s’était mis en relation avec eux. Les Chaldéens, dit-il, sont les plus anciens des Babyloniens ; ils forment dans l’État une classe semblable à des celle prêtres en Égypte. Institués pour exercer le culte des dieux, ils passent toute leur vie à méditer les questions philosophiques, et ils se sont acquis une grande réputation dans l’astrologie. Ils se livrent surtout à la science divinatoire et font des prédictions sur l’avenir ; ils essayent de détourner le mal et de procurer le bien, soit par des purifications, soit par des sacrifices, soit par des enchantements. Ils sont versés dans l’art de prévoir l’avenir par le vol des oiseaux ; ils expliquent les songes et les prodiges. Expérimentés dans l’inspection les entrailles des victimes, ils passent pour saisir exactement la vérité. Mais toutes ces connaissances ne sont pas enseignées de la même manière que chez les Grecs. La science des Chaldéens est une tradition de famille ; le fils qui en hérite de son père est exempt de toute charge publique. Ayant pour précepteurs leurs parents, ils ont le double avantage d’apprendre toutes ces connaissances sans réserve, et d’ajouter plus de foi aux paroles de leurs maîtres. Habitués au travail dès l’enfance, ils font de grands progrès dans l’étude de l’astrologie, soit à cause de la facilité, avec laquelle on apprend à cet âge, soit parce que leur instruction dure plus longtemps... Les Chaldéens, demeurant toujours au même point de la science, redoivent leurs traditions sans altération ; les Grecs, au contraire, ne songeant qu’au gain, créent toujours de nouvelles sectes, se contredisent entre eux sur les doctrines les plus importantes et jettent le trouble dans l’aine de leurs disciples, qui, ballottés dans une incertitude continuelle, finissent par ne plus croire à rien.

Quand florissaient dans les pays de Sumer et d’Accad les petits royaumes indépendants dont nous avons raconté l’histoire, les Chaldéens avaient déjà, dans plusieurs cités, des écoles très fréquentées : celle de Borsippa était célèbre ; celle de Sippara avait la plus riche bibliothèque ; celle d’Uruk ou Orchoé garda même sa renommée jusqu’à l’époque romaine. Des les temps les plus reculés de l’histoire de Babylone et de Ninive, on trouve les prêtres constitués en caste politique dirigeante, du scia de laquelle même sortent les rois.

Ils formaient bien une caste et non pas seulement une sorte de corporation savante. Ce qui constitue la caste, en effet, c’est d’être absolument fermée et de se recruter exclusivement dans les mêmes familles, sans que le reste du peuple y puisse avoir accès, quels que soit le talent, l’habileté, les services rendus ou là fortune. Mais les rangs de cette aristocratie héréditaire des Chaldéens s’ouvraient pourtant parfois pour y laisser pénétrer quelque esclave ou autre sujet sur lequel le prince avait jeté un regard de bienveillance : l’histoire de Daniel qui devint archi-mage et gouverneur d’une province en fait foi. Qu’on veuille bien se rappeler les premières étapes de la carrière du prophète juif dans la hiérarchie des fonctions du palais de Babylone : d’abord confondu dans la troupe des serviteurs et des eunuques qui servaient le roi à sa table et étaient chargés de la domesticité intime, Daniel se fait remarquer par son intelligence, ses merveilleuses aptitudes pour apprendre la langue assyrienne et son déchiffrement ; il devine et interprète les songes avec habileté, passe dans la caste des mages dont il devient bientôt le chef, et enfin sous Balthasar, il est investi du gouvernement du tiers de l’empire.

Travailleurs infatigables et possédant au plus haut degré l’esprit de tradition, les Chaldéens ne se bornèrent pas a avoir une science pratique et de routine usuelle ; ils la codifièrent et en formulèrent les principes par écrit. Il nous est parvenu un grand nombre de leurs observations astronomiques, qu’ils notaient jour par jour ; et sous le règne d’Assurbanipal, ils rédigèrent un vaste ouvrage de magie qui, complet, se composait au moins de deux cents tablettes, et était, pour la Chaldée et l’Assyrie ce que fut pour l’Inde antique l’Atharva Véda. C’était un recueil de formules de conjurations et d’imprécations destinées à repousser les démons et les autres mauvais esprits, des incantations auxquelles on attribuait le pouvoir de guérir de diverses maladies, des hymnes liturgiques, en un mot, tout un corps de littérature sacrée, en langue suméro-accadienne. Il est à remarquer, en effet, qu’en se dispersant dans toute l’Assyrie, les Chaldéens conservèrent leur vieil idiome national qu’ils employèrent dans leurs écrits religieux, de surfe que le suméro-accadien devint une langue morte, apanage exclusif des savants, et ignorée du vulgaire. On attribua bien vite à ces mots incompréhensibles et à cette écriture mystérieuse une vertu surnaturelle ; le suméro-accadien finit par être la langue exclusive de la religion et des opérations théurgiques.

Nous ne saurions quitter le palais de Sargon sans parler de ces personnages imberbes, à figure rubiconde et, vêtus de longues robes, qui accompagnent partout le roi et que les bas-reliefs ne se lassent pas de mettre en scène avec lui : ce sont les eunuques. Si la plupart de ces êtres étranges étaient voués aux métiers les plus infimes et chargés de l’entretien du palais. Quelques-uns d’entre eux jouissaient, au contraire, d’une influence considérable, étaient appelés aux conseils du prince et le suivaient dans toutes ses expéditions. Aujourd’hui encore, à Constantinople, le kizlar-aga, ou chef des eunuques noirs, est un des principaux dignitaires de l’empire turc ; l’élévation de sa charge remonte jusqu’aux Assyriens : c’était l’intendant général ou majordome du palais ; de lui dépendaient la garde et le service du harem ; il était en même temps le grand maître des cérémonies, et, eu cette qualité, il organisait les fêtes et les réceptions, introduisait les ambassadeurs, accordait ou refusait, presque à son gré, l’accès auprès du prince. Au temps de Nabuchodonosor, le grand eunuque (rab-saris) s’appelait Aspenaz. Le roi lui ordonna de choisir parmi les Juifs emmenés en captivité à Babylone un certain nombre de jeunes gens remarquables par leur beauté physique et leur intelligence, afin de les faire instruire dans les lettres et la langue des Chaldéens et de les dresser au service du palais. Le récit de Daniel insiste sur le soin tout particulier que prend le rab-saris pour la nourriture des jeunes gens élus ; durant trois années consécutives, on servit à Daniel et à ses compagnons une portion de la viande et du vin de la table royale, afin qu’ils eussent un beau visage et un embonpoint convenable. C’est toujours, en effet, avec une face adipeuse et réjouie que sont représentés les eunuques et les serviteurs de la cour.

Sous les ordres du grand eunuque, il y avait toute une troupe d’eunuques inférieurs, hiérarchisés suivant leurs grades et leurs fonctions. Ainsi, Aspenaz charge un de ses subordonnés, Meltsar, de veiller à la nourriture de Daniel et de ses compagnons, et Meltsar, déférant au vœu des jeunes Israélites qui ne voulaient pas se souiller par une nourriture impure, leur fait distribuer seulement des légumes, gardant pour lui-même la viande qu’ils devaient manger et le vin qu’ils devaient boire.

Les eunuques de distinction et d’un haut grade qui approchaient le plus de la personne royale, sont souvent figurés sur les bas-reliefs des palais de Ninive ; les uns élèvent un chasse-mouches ou tiennent le parasol au-dessus dé la tête du prince ; d’autres portent les insignes de la royauté, comme l’arc et les flèches, le sceptre, l’éventail. Ceux-ci, chargés sans doute du service de la table, portent des vases cylindriques élégamment terminés en bas par une tête de lion ; ceux-ci supportent, sur leurs épaules le palanquin royal muni de roues ; d’autres fois ils paraissent préparer la table du festin. Tous sont costumés de la même manière : une tunique longue, serrée au tour du cou et à manches très courtes, leur descend jusqu’aux chevilles du pied ; elle est souvent décorée de broderies qui simulent des rangées de fleurs et de festons, et elle se termine par une bordure de glands ou de houppes dont l’arrangement rappelle les franges de nos rideaux. Une large écharpe, jetée par dessus cette tunique, croise le dos et la poitrine, et finit à la hauteur des genoux, par de longues franges rehaussées de perles étincelantes. La chevelure de ces personnages, soigneusement peignée sur la tête, s’épanouit sur le cou en une sorte de chignon formé de boucles qui reposent sur les épaules comme les perruques du temps de Louis XIV. Ils ont au poignet et ;à la naissance du bras, des bracelets formés de spirales ou de cercles qui se terminent par des mufles de lions ; à leurs oreilles sont suspendus des pendants qui se rapprochent parfois de la croix ansée. Tout, dans leur démarche et leur costume trahit un luxe efféminé, une dégradation morale sans bornes, le plus lâche des caractères et le plus méprisable des métiers. Ce sont probablement les Assyriens qui ont inventé les eunuques, que les cours orientales ont gardés, et dont l’exislence, de nos jours, ne s’explique que par la persistance des causes qui les ont produits : un despotisme avili par la débauche et un climat énervant et corrupteur.

 

§ 3. - ORGANISATION ADMINISTRATIVE

Dans les tablettes d’argile rapportées par M. Henry Layard des fouilles dit palais d’Assurbanipal à Koyoundjik, se trouvaient quatre exemplaires différents, lotis fragmentés d’une liste de noms propres alignés les uns à la suite des autres, parmi lesquels on reconnaissait de temps en temps un nom royal. Plus tard, trois nouveaux fragments de listes identiques furent retrouvés, et, par le rapprochement de ces sept exemplaires, ou parvint à reconstituer la série à peu près complète de tous les noms qu’Assurbanipal avait fait ainsi transcrire. Ce fut sans beaucoup de peine qu’on s’aperçut qu’il ne s’agissait de rien moins que de la liste chronologique des magistrats qui donnaient leur nom à l’année et remplissaient exactement le rôle des archontes à Athènes et des consuls à Rome : le nom assyrien de ces fonctionnaires éponymes est limmu. Au cours des inscriptions historiques qui relatent les campagnes militaires des rois d’Assyrie, nous avons souvent rencontré la mention d’un limmu dont le nom est cité comme date ; on disait : sous le limmu de Nergal-naçir ou de Samsi-ilu, de la même manière que sous l’archontat ou sous le consulat de un tel. On conçoit de quelle utilité sont, pour la chronologie historique, ces listes où les noms se succèdent, année par année et sans interruption, depuis le limmu ou l’éponymie de Tab-idir-Assur, sous le règne de Raman-Nirar II, en 891 avant notre ère, jusqu’à celle de Tebitai, la seconde année du règne d’Assurbanipal, en 666[12]. Ce qui précède et ce qui suit n’a malheureusement pas encore été retrouvé. Mais en dehors de la question de chronologie qui ne saurait nous occuper ici, il est d’autres enseignements précieux qu’on peul tirer de l’étude de ces listes. Plusieurs d’entre les exemplaires retrouvés ajoutent, au nom du limmu, ses qualifications et sa fonction, voire même, parfois, quelques synchronismes importants. On constate que les rois étaient magistrats éponymes généralement au commencement de leur règne ;

qf,dans les années qui surent paraissent successivement, dans l’ordre d’importance et de préséance, les noms des hauts fonctionnaires de l’empire. Cet ordre hiérarchique se vérifie assez souvent, au moins pour les cinq premières années qui suivent l’éponymie royale, si bien que nous avons le tableau, par rang de dignité, des fonctionnaires les plus élevés de la couronne.

L’année civile, chez les Assyriens, commençait à l’équinoxe de printemps, au mois de nisan : c’était ordinairement au premier renouvellement d’année après son avènement, que le roi prenait la dignité toute honorifique de l’éponymie. L’année d’après, venait le tour du tartan, ou grand vizir, qui était le chef de l’armée, puis le rabsaris ou grand eunuque ; le préfet du palais (mil-ekal), le même sans doute que l’on appelle dans la Bible le prévôt ou l’intendant de l’hôtel du roi ; le tukullu, dont le nom, dérivé de tukultu service, désigne peut-être l’officier qui était à la tête de la chancellerie royale[13] ; enfin, le fonctionnaire qu’on appelle le gouverneur du pays, qui devait être une sorte de ministre de l’intérieur, centralisant toute l’administration des provinces. Tels étaient, dans leur rang d’importance, les cinq grands ministres du roi d’Assyrie ; quand leur tour était épuisé, on choisissait, pour être limmu, les gouverneurs de province ou préfets qui étaient, sans doute, aussi hiérarchisés suivant l’importance de leur commandement, ou surtout du chiffre des revenus que leur gouvernement rapportait au roi. D’après ce principe, les quatre plus élevés dans la hiérarchie des honneurs paraissent avoir été le préfet de Ninive, celui de Kalah, celui d’Ellassar et celui d’Arbèles. On comptait après eux, dans la première classe, s’il est permis de s’exprimer ainsi, les préfets de Nisibe, d’Arapha, de Resen, de Lahir, de Kirrur, de Gozan, de Reseph, de Masamua et de Karkémis. Ce roulement régulier dans les fastes chronologiques de l’Assyrie n’a pas toujours été scrupuleusement observé, et hon s’aperçoit parfois que le prince en a bouleversé l’ordre, choisissant, suivant son bon plaisir, et dans des rangs même subalternes, les individus qu’il voulait honorer de l’éponymie, de sorte qu’en dehors des ministres dont nous venons de parler, il est impossible de s’en rapporter à ces listes pour reconstituer les degrés inférieurs de la hiérarchie administrative.

Si la royauté assyrienne était héréditaire, il n’en était pas de même des grandes charges de l’État et de la cour. Les ministres et leurs subordonnés n’exercent leurs fonctions que temporairement ; ils sont à la nomination et à la merci du souverain, dont le caprice va quelquefois les chercher, selon l’usage constant de toutes les monarchies orientales, jusque dans la classe du peuple, et qui peut, en un instant, les précipiter du faîte des honneurs dans la poussière on au fond des cachots. Il n’est point rare que des esclaves soient élevés subitement au rang de ministres, et quelquefois ce n’est ni le talent exceptionnel, ni les services rendus, mais seulement la capricieuse faveur du tyran qui fait de ces coups de fortune. Par hasard, pourtant, l’intelligence et la vertu trouvent leur récompense : Daniel, choisi parmi les esclaves juifs pour servir au palais der roi Nabuchodonosor, se fait remarquer par ses aptitudes ; il devient gouverneur du district de Babylone, et plus tard, sous Balthasar, il est premier ministre.

Les gouverneurs de provinces avaient, dans leur gouvernement, la plus grande indépendance, et les choses devaient se passer à peu près comme elles se passent encore dans l’empire turc ou persan. On demandait aux préfets de maintenir l’ordre matériel, de payer l’impôt et de tenir leur milice prête à toute réquisition ; tout le reste est laissé à leur absolue discrétion. Les inscriptions parfois nous font connaître quelques traits de l’administration de ces puissants personnages, dignes ancêtres des satrapes perses et des pachas turcs. Sous le règne de Raman-Nirar III, le préfet de la ville de Kalah fit élever au dieu Nabu, tout comme s’il eût été roi, une statue qui est actuellement au Musée Britannique, et sur laquelle il fit gaver une inscription. Après les formules de rigueur en l’honneur de Raman-Nirar III et de la reine Sammuramat, il ajoute pour lui-même : Bel-hassi-ilane, préfet de la ville de Kalah, et des districts de Amidà, Sutgana, Timeni, Yaluna, a fait ériger cette statue pour que le dieu Nabu protège sa vie, prolonge ses jours, augmente ses années,et fasse prospérer sa race. Qui que tu sois qui vivras après moi aie confiance dans le dieu Nabu et n’aie pas recours à autre dieu.

Les gouverneurs des provinces éloignées envoyaient au roi des courriers chargés de lui apprendre ce qui se passait et le prévenir en cas d’insurrection ou de mouvements sur la frontière. A intervalles assez rapprochés sans doute des émissaires partaient pour Ninive, porteurs des petites tablettes de terre cuite sur lesquelles le gouverneur avait gravé les nouvelles qu’il voulait faire connaître à son maître. Nous avons par exemple, la lettre que Bel-zikir-essis, qui exerçait un commandement sur la frontière de l’Arabie, écrivit à Assurbanipal pour l’informer d’un incident militaire :

Au roi des nations, mon maître, ton serviteur Bel-zikir-essis. Que les dieux Bel et Marduk accordent des jours nombreux, des années éternelles, un sceptre de justice et un trône durable au roi des nations, mon maître. Au sujet de la mission dont le roi, mon maître, m’a chargé, je lui parlerai ainsi : Tu apprendras les nouvelles du pays d’Arabie ; je t’en envoie un récit. Au sujet des Nabathéens, voici les nouvelles : Ammiata, du pays de Vasai, a marché contre eux, il les a tués, il les a pillés ; une fois au milieu d’eux, il leur a fait grâce. Il est entré dans la ville du roi. Maintenant, je l’envoie au roi, mon maître ; le roi voudra bien entendre le récit de sa bouche.

Nous avons de même deux lettres de Bel-ibni au roi Assurbanipal relatives à des épisodes de la guerre du pays d’Élam. L’une d’elles, après le protocole cérémonieux indispensable quand on s’adressait au roi, contient les importantes nouvelles qui suivent : Voici les nouvelles du pays d’Élam ; Ummanaldas a renversé le roi précédent qui s’est enfui ; sa mère, sa femme, ses enfants, ses parents effrayés ont quitté la ville de Madaklu. Ummanaldas s’est assis sur le trône ; il le remplace. Il a passé le fleuve Ulaï... Bien mieux, les décombres du palais d’Assurbanipal nous ont livré une lettre qu’Ummanaldas écrivit au roi de Ninive, lorsqu’il eut consenti à devenir son vassal, ou qu’il cherchait à gagner ses bonnes grâces :

De la part d’Ummanaldas, roi du pays d’Élam, à Assurbanipal, roi du pays d’Assur. Paix à mon frère. Depuis le commencement, les gens de Martinai ont péché et combattu contre Nabu-bel-zikri. Ils s’enfuirent vers... les frontières du pays d’Élam ; envoie des subsides pour combattre Nabu-bel-zikri. Je désire que Nabu-bel-zikri se soumette à la puissance... Écrit au mois de Duzu, le 26° jour, sous le limmu de Nabusar-ahisu.

Les rois de Ninive étaient donc bien informés par leurs agents de ce qui se passait dans toute l’étendue de leur empire, et les lettres que nous venons de transcrire, nous révèlent un des côtés les plus curieux de l’organisation administrative de cette vaste monarchie assyro-babylonienne qui devança de six siècles l’empire romain. Tout indépendants que fussent les rois tributaires ou les gouverneurs dans leurs provinces respectives, il n’était pas bon, pourtant, qu’ils pressurassent les populations qu’ils avaient à gouverner, au point que des plaintes graves parvinssent jusqu’aux oreilles du roi. Dans ce cas, le prince punissait ou chassait le gouverneur aux allures trop tyranniques et faisait droit aux récriminations justifiées des opprimés, ou aux dénonciations légitimes contre des abus de pouvoir. C’est ainsi que nous possédons le texte d’une plainte adressée au roi contre deux grands officiers qui avaient détourné l’or destiné à faire des statues :

Au roi, mon seigneur ! ton serviteur Abad-Nabu. Paix au roi, mon seigneur ! Qu’Assur, Semas, Bel, Zarpanit, Nabu, Tasmit, Istar de Ninive, Istar d’Arbèles, les dieux puissants et grands, protecteurs de la royauté, accordent cent ans de vie au roi, et multiplient les esclaves et les enfants du roi, mon seigneur ! L’or que, dans le mois de tasrit (septembre-octobre), le conseiller intime (tukullum), et le préfet du palais (abal hekalli) m’ont fait verser, savoir : trois talents d’or pur et quatre talents d’or pur, entre les mains du grand daninu ; cet or pour la statue du roi et pour la statue de la mère du roi, n’a pas été livré aux ouvriers. Que le roi, mon seigneur, donne l’ordre au conseiller intime et au préfet du palais de rendre l’or, de le donner, d’ici à un mois, aux ouvriers, et qu’ils le fassent exactement.

L’historien constate parfois (les analogies singulières lorsqu’il compare des peuples éloignés de plusieurs siècles et qu’il met en parallèle leurs institutions et leurs mœurs. Des inscriptions romaines trouvées eu Afrique, ‘par exemple, contiennent. le texte de lettres adressées par l’empereur à de malheureux colons que l’exaction des proconsuls avait ruinés et poussés à bout : ainsi en était-il parfois aussi dans l’empire d’Assyrie. Le roi adresse des proclamations aux habitants de telle Un telle province, pour leur apprendre qu’il na leur faire justice et châtier un proconsul sans entrailles : une lettre d’Assurbanipal aux habitants du bord de la mer, » probablement le golfe Persique, leur annonce qu’il va réparer les torts de leur gouverneur Nabu-bel-zikri et le remplacer par Bel-ibni :

Proclamation du roi aux habitants du bord de la mer, à leurs fils et à leurs serviteurs. Paix dans leur cœur et bonheur pour eux. J’ai veillé avec vigilance sur vous, j’ai ouvert sur vous mes propres yeux et j’ai [résolu de réparer] entièrement les fautes de Nabu-bel-zikri. Je vous en ai débarrassés. Maintenant, je vous envoie Bel-ibni, mon serviteur, mon messager, pour veiller sur vous. Je commande, et suivant ma volonté... C’est, pourquoi, moi, je vous envoie mes troupes ; je m’unis à vous pour garder vos biens et vos fortunes. Fait au mois d’Airu, le cinquième jour, sous le limmu de Bel-haras-saduyu.

Nous avons aussi une lettre du même prince aux gens du pays de Rasa pour les exhorter à ne pas prendre part à la révolte du pays d’Élam. Parfois, ce sont les préfets des villes eux-mêmes, qui, devenus populaires dans leur province, poussent à la rébellion dans l’espoir de se créer une royauté indépendante : témoin ce Hulaï que Salmanasar II avait installé comme gouverneur de Halziluha et qui se révolta sous Assur-nazir-pal ; témoins aussi ces gouverneurs de Babylone et de la Basse-Chaldée qui rêvaient sans cesse de restaurer à leur profit ces vieux trônes sur les débris desquels on avait installé le siège de leur autorité. Ces insurrections étaient en quelque sorte favorisées par le système singulier d’administration adopté pour la plupart des provinces. Le territoire de la monarchie assyrienne se partageait en deux zones bien distinctes : le pays d’Assur proprement dit, dont les limites relativement peu étendues nous sont données sur la stèle de Samsi-Raman III, et les pays conquis, qui comprenaient outre la Babylonie, toutes les contrées situées en dehors de l’île mésopotamienne. Le pays d’Assur était administré par des agents directs du roi et habité parles Assyriens : là, jamais de révolte, ou plutôt ce pays ne faisait que subir, comme lors de l’insurrection d’Assur-danin-pal, le contrecoup des révolutions du palais ; c’était la guerre civile, Assyriens contre Assyriens, et non la guerre nationale, pour l’indépendance. Hors du pays d’Assur, c’étaient les provinces vassales, qui avaient été soumises par la force des armes et qui n’acceptaient qu’à contrecœur le joug qu’on leur avait imposé. A chaque changement de règne, à chaque événement grave qui survenait à la cour de Ninive, ces contrées, toujours à l’affût d’un moment propice, se soulevaient pour reconquérir leur liberté perdue. Aussi, n’est-il pas étrange de constater que, la plupart du temps, ces provinces vassales conservaient, les inscriptions historiques l’attestent formellement, leur organisation traditionnelle et leurs lois particulières, révisées seulement quelquefois par le monarque suzerain ; leur maison royale était maintenue sur le trône, mais obligée de reconnaître le roi des rois pour son maître, de lui payer annuellement un tribut considérable et de fournir un contingent nombreux à ses armées. On comprend difficilement ce superstitieux respect que les rois d’Assyrie avaient pour l’ordre légitime d’hérédité monarchique dans ces familles royales des pays tributaires, respect qui pillait jusqu’à réinstaller presque constamment à la tête du pouvoir le fils et héritier naturel d’un vassal dont on venait de châtier la révolte en le faisant périr dans les plus atroces supplices. Ce n’était que dans des cas très rares, après une série de rébellions incessamment renouvelées, après une haute trahison trop éclatante, que le roi d’Assyrie dépouillait de ses privilèges une province jusque-là tributaire et, suivant la formule officiellement consacrée, la traitait comme le pays d’Assur, c’est-à-dire en faisait une province directement gouvernée par un simple préfet envoyé de Ninive, ainsi que Sargon le fil pour le royaume d’Israël et tenta de le faire pour Babylone.

Les impôts que les rois d’Assyrie prélevaient, sur les provinces de leur empire, étaient de deux sortes : les contributions de guerre, et la levée régulière de la taxe annuelle. Les contributions de guerre, imposées à la suite d’une expédition ou lors de la reddition dune ville, variaient suivant les circonstances et portaient sur toutes sortes d’objets pouvant être utilisés pour la subsistance de l’armée assyrienne et l’entretien du palais royal : c’étaient, des lingots d’or et d’argent, des barres de fer, de cuivre, de. bronze, des armes, des vêtements, des ustensiles enlevés aux riches habitations des vaincus, des chevaux, du blé et de l’orge, du vin, des troupeaux de bœufs et de moutons, de la laine, parfois des éléphants et même des singes, comme onde voit sur l’obélisque de Salmanasar III ; ou fournissait aussi des cornes de buffles et des dents d’éléphant qui servaient à fabriquer les poignées des épées, les manches clos poignards et ces chefs d’œuvre de petite sculpture qui nous étonnent si fort aujourd’hui. Les impôts réguliers étaient répartis dans les différentes provinces de l’empire par les gouverneurs qui Layaient chaque pays suivant ses productions, quand on payait en nature, car il arrivait aussi qu’on devait fournir des lingots d’or et d’argent. Une tablette cunéiforme qui a sans doute été écrite en vue d’une répartition de l’impôt nous fait connaître quelles étaient les ressources propres à chacune des provinces de l’empire.

Au-dessous des grands fonctionnaires dont nous venons de passer en revue les attributions, il est fort difficile de donner un ordre hiérarchique quelconque à cette armée de petits employés officiels mentionnés dans les inscriptions, notamment dans les contrats privés. Parfois leurs noms suffisent seuls à indiquer leurs fonctions ; souvent aussi ce nom est d’une interprétation des plus obscures. On rencontre, par exemple, des gens qualifiés juges ou chefs des juges ; le chef du glaive du pays les porteurs du poignard, qui devaient être quelque chose comme les chefs de la police municipale ; le chef des deux cornes et le chef des trois cornes, qui avaient probablement des attributions religieuses ; l’homme d’armes du chef des eunuques, le milu, sorte de maître en droit et en jurisprudence, le préposé au pesage des métaux dont les fonctions étaient importantes, car les Assyriens ne connaissant pas la monnaie, les transactions commerciales s’opéraient avec des lingots de métal qu’on faisait passer par la balance ; le nisu kaçir, homme de la division, sorte de répartiteur pour les impôts ; citons encore le tupsar ou notaire et les scribes de la chancellerie, où l’on rédigeait tous les actes privés qui avaient besoin, pour faire foi en justice, d’une homologation ou d’une confirmation officielle.

 

§ 4. - L’ARMÉE.

Le chef suprême de l’armée assyrienne était le roi qui, presque toujours dirigeait les troupes en personne, et dont nous avons fait ressortir ailleurs le caractère essentiellement militaire. Au-dessous du roi, était le grand tartan (tartana), sorte de ministre de la guerre ou de généralissime qu’on voit parfois à la tête de l’armée, en l’absence du roi. La dignité de tartan remonte à l’origine même de la puissance chaldéenne, quand florissaient les royaumes de Sumer et d’Accad : le nom de tartan, en effet, est nue expression suméro-accadienne qui signifie l’homme puissant et dont la langue assyrienne hérita comme de tant d’autres. Le tartana des armées assyriennes est mentionné dans la Bible sous le nom de tartan, et, généralement même, le texte sacré ou plutôt ses interprétateurs, ont pris celle expression pour un nom propre, comme les mots rab-saris et rab-sal, qui signifient, de leur côté, le grand eunuque et probablement le grand échanson. Ce sont, on s’en souvient, ces trois hauts fonctionnaires qui furent envoyés par Sennachérib pour parlementer avec Ézéchias, lors du siège de Jérusalem. Isaïe[14] nous apprend que le roi Sargon, retenu par une autre expédition, envoya son tartan contre la ville d’Azdod (Azot) ; à plusieurs reprises aussi les inscriptions cunéiformes nous montrent le grand tartan à la tête des armées : sous Teglath-pal-asar II, il est chargé de maintenir dans l’obéissance le grand pays de Naïri ; Samsi-Raman III envoie dans la même région son tartan Musakal-Assur. Une première fois, lors de sa vingt-septième campagne, Salmanasar III délègue le grand tartan Dayan-Assur, pour faire la conquête de l’Urarthu (Ararat) ; deux autres fois, dans ses trentième et trente et unième expéditions, il le charge de soumettre les districts de Hubuskia, de Madahir et de Van.

Cependant, il est permis de croire que les rois d’Assyrie, en général, répugnaient à confier le commandement de leurs armées à un officier tel que le tartan qui eût pu, en raison de ses succès militaires, gagner la confiance des soldats, provoquer une insurrection et peut-être détrôner le prince trop confiant. L’histoire de Sargon en est une preuve éclatante : sous Salmanasar V, il dirigeait les opérations du siège de Samarie, tandis que le roi, son maure, était occupé au blocus de Tyr ; il eut l’audace de pousser à la révolte l’armée qu’il commandait et de s’emparer du trône. Aussi, les monarques assyriens conduisent-ils toujours eux-mêmes leurs soldats au massacre et au pillage ; c’est le roi, toujours le roi, qu’on voit figurer sur les bas-reliefs ; c’est lui qui tue et qui frappe sans cesse, car il doit être le plus fort et le plus courageux pour être digne du pouvoir qu’il tient des dieux et de son épée, comme nos rois des temps féodaux. Dans la réalité, les choses devaient se passer un peu moins poétiquement : quand le prince s’exposait au premier rang, il était probablement entouré de gardes à cheval qui veillaient sur ses jours, et, au lieu d’un eunuque portant le parasol, il avait à ses côtés des archers d’une habileté et d’un courage éprouvés. Ainsi, une fois entre autres, le roi Sargon est sur son char traîné par deux chevaux qui courent au grand galop, foulant aux pieds un homme tombé à la renverse ; deux autres malheureux essayent de se relever, après que le char royal leur a passé sur le corps ; le premier, blessé et mourant, se soutient encore de son bras enlacé autour de son compagnon qui se retourne et cherche à engager avec sa lance une lutte désespérée contre le groupe de cavaliers qui fond sur lui. Le roi n’a avec lui, sur le char, que le cocher et un soldat coiffés l’un et l’autre d’un casqué pointu ; le soldat tient deux boucliers, l’un pour protéger le prince par devant, l’autre pour le couvrir par derrière[15]. Maintes et maintes fois nous voyons le prince présider à des sièges de forteresse, faire son entrée triomphale dans les villes ennemies, entre des haies de cadavres, recevoir la soumission des vaincus ou les ambassadeurs ennemis, présider, dans le camp, à l’égorgement des prisonniers ; il est lit, surveillant toutes choses, ne s’en rapportant jamais à des officiers subalternes ; il commande et il exécute ; c’est de lui seul qu’il est toujours question, lui qu’on voit partout : la guerre, le massacre, le pillage et l’incendie sont l’œuvre personnelle du farouche vicaire d’Assur et de Marduk.

Avons-nous aussi, sur les bas-reliefs, des représentations du grand tartan ? Il est difficile de le dire, ou plutôt il est impossible de distinguer ce, haut personnage des autres officiers qui accompagnent le roi. Pourtant, diverses sculptures nous montrent un homme costumé comme le roi et combattant à ses côtés, dans un char pareil au sien : c’est lui sans doute, car, à n’envisager que l’image, on pourrait prendre ce guerrier pour un autre roi ou pour un vice-roi ; pourtant on lui donne une tiare moins élevée que celle du souverain, on même, presque toujours, il a simplement la tête ceinte du diadème quand le roi porte la tiare.

En s’en rapportant au tette de la tablette de la bibliothèque d’Assurbanipal, qui renferme une liste de dignités et de fonctions, le tartan marche à la droite du roi, tandis qu’à la gauche du prince se tient un autre haut dignitaire appelé sultan (siltanu)[16]. Il est possible que ce dernier eût, comme le tartan, un caractère et des attributions militaires, mais nous n’avons aucun renseignement précis à ce sujet. Quant aux autres chefs de l’armée assyrienne, il n’en est pas question dans les inscriptions, et on ne saurait en reconstituer la hiérarchie ; on doit pourtant considérer comme des chefs militaires d’un rang élevé les préfets des villes, les gouverneurs de provinces, ou même les rois tributaires, qui ne manquaient pas d’accourir avec leurs contingents au premier signal donné par le potentat de Ninive.

Il est question, dans la tablette des fonctions et dignités, du chef des chars, du chef des archers, du conducteur des chameaux, du cher des frondeurs. On trouve même le chef des cinquante, ce qui pourrait faire croire, si toutefois il s’agit d’un officier militaire, que l’armée était partagée en escouades de cinquante hommes, de même que l’armée romaine en centuries. Mais nous n’osons pousser plus loin les conjectures et nous sommes forcés de nous arrêter là en attendant que de nouveaux documents nous renseignent plus complètement sur l’organisation de cette formidable armée d’Assur, si bien commandée qu’elle ne fut presque jamais vaincue. Les Assyriens étant un peuple essentiellement guerrier, tous les hommes valides partaient au premier signal, de même qu’aujourd’hui encore, dans une tribu arabe, tous les hommes capables de porter les armes sont appelés, en cas de guerre, à se ranger sous les ordres de cheick ; la campagne terminée, chaque contingent rentrait dans sa province avec la part de butin et d’esclaves qui lui avait été assignée au partage. Cette manière de faire la guerre et de distribuer les dépouilles des vaincus rappelle tout naturellement à l’esprit, les premiers rois francs conduisant les hommes de leurs tribus au pillage de quelque cité de la vieille Gaule, puis répartissant à chacun, suivant la vaillance dont il avait fait preuve, l’or, l’argent, et les ustensiles de toutes sorte, fruit du pillage ; qui sait si des épisodes comme celui du vase de Soissons ne se sont, pas produits au sein de l’opulente Ninive ?

A côté du contingent assyrien, il y avait celui des rois vassaux et tributaires, qui se recrutait et s’armait suivant les usages particuliers de chaque pays : l’important était qu’il fût prêt au jour fixé. Autour du prince, enfin, combattait fine légion d’élite qu’on pourrait appeler la garde royale. En temps de paix, elle faisait le service du palais, veillait sur la vie du roi qu’elle accompagnait partout, à la chasse comme au combat ; elle était composée de gens dont le métier était de faire la guerre, que le roi avait remarqués à cause de leur courage et dont il avait éprouve la fidélité. C’est d’eux que parle Isaïe quand il dit : La ceinture de leurs reins ne se défait pas, la courroie de leurs sandales ne se délie jamais. Leurs flèches sont aiguisées, leurs arcs sont tous tendus, les sabots de leurs chevaux sont comme un caillou, et les roues de leurs chars pareilles à l’ouragan[17]. Les monarques de Ninive, comme les sultans de Constantinople, avaient leur troupe de janissaires qui, fiables, n’eussent jamais hésité à se faire tuer pour le salut du prince, mais qui, mécontents ou rebelles, ne reculaient pas devant l’assassinat pour placer sur le trône un monarque de leur choix. L’histoire encore mal connue des bouleversements intérieurs qui ont amené, à plusieurs reprises, à Ninive, des changements de dynastie, ont en grande partie leur cause dans les murmures et la colère de celle sorte de garde prétorienne.

Les Assyriens combattaient sur des chariots, à cheval et à pied. Comme les autres peuples de l’antiquité tels que les Égyptiens, les Grecs des temps homériques, les Gaulois contemporains de Jules César, et tant d’autres barbares, ils regardaient comme plus noble et plus digne du véritable guerrier la lutte du haut d’un char. Ce n’est qu’exceptionnellement, dans les sièges de forteresses ou dans une marche à travers un pays montagneux, que le roi quitte son char de guerre et met pied à terre : les textes historiques relatent ces circonstances comme tout à fait accidentelles. Le char assyrien, appelé narkabtu, ressemblait beaucoup à celui des Romains ; il était ordinairement traîné par deux chevaux attelés de front ; on en voit pourtant aussi un grand nombre attelés de trois chevaux, tandis que les attelages d’un seul cheval sont fort rares. Monté sur deux roues assez basses, à jantes épaisses et à rayons minces, le char était fermé complètement par devant souvent en forme de demi-circonférence, et il n’était ouvert que par derrière. Ceux qui le montaient se tenaient debout. ; tandis que les uns portaient au bras des boucliers pour se préserver contre les traits qu’on leur lançait, les autres décochaient des flèches sur les rangs ennemis ; ce n’est que lorsque le char était assailli par des soldats qui menaçaient de l’escalader que ceux qui s’y trouvaient comme assiégés mettaient l’épée à la main et luttaient contre les assaillants, avec la supériorité que leur assuraient leur place élevée et le continuel déplacement du char qui faisait lâcher prise à l’ennemi.

Sur les bas-reliefs les chars de guerre sont sculptés avec un art merveilleux comme tout ce qui est armes, ustensiles et bijoux : le timon auquel sont attelés les chevaux dessine une courbe gracieuse qui se termine par un mufle de lion, une tête de cheval, un bec, d’oiseau, ou quelque ligure fantastique ; deux carquois en cuir ouvragé se croisent de chaque côté de la caisse du char et on en voit émerger les pennes, des flèches qui se trouvent ainsi à portée des combattants ; souvent la hampe de l’étendard royal représentant quelque divinité guerrière est plantée sur le char. L’enharnachement des chevaux est d’autant plus riche que le guerrier a un grade plus élevé ; les chevaux qui traînent le char de Sargon ont un panache sur la tête et un énorme gland suspendu sous la mâchoire par une courroie : un large bandeau formé de trois rangs de franges couvre le poitrail, et à l’extrémité du joug sont également suspendues des franges en cordelettes qui flottent sur les flancs de l’animal. Les rênes sont partagées en trois lanières de cuir dont deux sont entre les mains de l’aurige, tandis que la troisième, destinée sans doute à empêcher le cheval de s’abattre, est fixée sur le devant du véhicule. D’autres chars fournissent des détails plus compliqués encore et qu’il était nécessaire d’indiquer pour montrer à quel degré de perfection les artisans assyriens avaient poussé l’art de la sellerie ; le harnachement des plus beaux équipages parisiens est loin de pouvoir soutenir la comparaison avec celui des chevaux des écuries d’un Sargon, d’un Sennachérib ou d’un Assurbanipal. Quant aux chevaux dont se servaient les Assyriens, soit pour le trait, soit pour la remonte de leur cavalerie, le type ordinaire que l’on rencontre presque toujours est le cheval aryen, au front large et plat, aux oreilles courtes, fines et droites, la croupe arrondie et la queue fort longue[18] ; ou admire avec un étonnement toujours nouveau la complaisance et l’art ingénieux que les sculpteurs assyriens ont mis à reproduire les chevaux et leurs harnais.

Les armes offensives des Assyriens sont l’arc et les flèches, la lance ou javelot, la nasse d’armes, la fronde, l’épée, le poignard ; leurs armes défensives sont le casque de bronze, la cuirasse composée d’une tunique en étoffe recouverte de lames métalliques, les boucliers doigt les uns, ronds et plus petits, se tiennent à la main, tandis que les autres, allongés comme de grandes targes, devaient être appuyés à terre et dépasser la hauteur d’homme afin de couvrir-les archers ; enfla la cotte de mailles.

Les cavaliers, très nombreux dans l’armée assyrienne, portent le même costume que les fantassins ; ils montent leurs chevaux, parfois pieds nus, toujours sans étriers et même sans selle : A peine voit-on de temps à autre un tapis étendu sur le clos du cheval. De même que ceux qui combattent à pied ou du haut d’un char, le cavalier est armé de l’arc, de la lance et même de l’épée courte dont il ne peut guère user du haut de sa monture.

Les fantassins combattent avec l’arc et les flèches ou avec un javelot court comme en ont encore aujourd’hui les nègres de l’Afrique. Ils portent aussi an côté un glaive court dont ils se servent rarement. Leur bouclier rond se compose extérieurement d’une rondelle de métal bombée au centre, et intérieurement de lanières de cuir solidement attachées par une armature en fer et formant une sorte de tissu réticulé ou bien des zones concentriques ; ils n’en font usasse que quand ils combattent de près avec leur lance, à l’arme blanche, comme nous dirions aujourd’hui. Quand ils décochent leurs flèches, un servant d’armes se tient à. côté de l’archer et dresse devant lui, pour le couvrir, cette grande targe d’osier revêtue de cuir, dont nous avons déjà parlé, et dont l’extrémité supérieure est légèrement recourbée pour écarter éventuellement les projectiles lancés d’en haut, comme, par exemple, du haut des remparts d’une ville assiégée. Le casque assyrien que portent ordinairement les soldats à pied ou à cheval, a tantôt la forme d’un heaume en bronze parfaitement conique et sans ornement ; tantôt il est muni de paragnathides en métal pour protéger les joues ; il est surmonté d’un cimier élégamment recourbé en avant et orné d’une aigrette en plumes ou eu crin de cheval ; d’autres fois enfin, ce cimier se bifurque, l’une de ses branches se recourbe en avant et l’autre en arrière ; mais la forme essentielle du casque assyrien est toujours celle d’un bassin hémisphérique, emboîtant tout le crâne, et laissant le visage à découvert.

Ici, les guerriers assyriens sont représentés pieds et jambes nus jusqu’au-dessus des genoux ; leur costume consiste en une tunique serrée a la taille par une large ceinture ; ils ont les bras nus pour manier plus facilement la lance ou la masse d’armes qu’on leur voit parfois à la main. Là, d’autres soldats sont tout caparaçonnés de fer, comme les chevaliers du moyen âne. Voyez-les couverts d’une colite de mailles de fer qui, adaptée au casque, leur descend jusqu’aux pieds ; ils sont tout en fer, sauf le nez et les yeux, puis les bras, pour ne pas gêner le tir de l’arc ; ne se croirait-on pas devant quelque image du temps des croisades ? Ces chevaliers d’un autre âge, tout bardés d’un tissu de fer, tirent de l’arc, à pied ou à cheval, ou dans un char ; on les voit même, armés de longues tiges de fer, analogues aux leviers de nos maçons, arracher les pierres d’un rempart pour y pratiquer une brèche, invulnérables qu’ils sont aux traits dont les accablent les assiégés. Les Syriens n’ont pas connu la cuirasse en forme de carapace métallique, telle que l’ont employée les Grecs, les Romains et les peuples modernes.

Un bas-relief[19] qui représente nu siège de ville fournit d’autres renseignements précieux sur l’équipement des soldats. Sous les murs de la place, des frondeurs, avec le casque conique et la tunique, agitent leur fronde de la main droite, tenant de la gauche une pierre arrondie qu’ils vont lancer d’un second coup. Ils ont les jambes et les bras nus, et, particularité singulière, ils portent par-dessus le vêtement ordinaire une autre tunique plus courte, faite de lanières de cuir dures et épaisses, qui protègent le buste presque aussi efficacement qu’une cuirasse de métal. Ce groupe de frondeurs est peut-être un contingent de troupes auxiliaires, comme les archers qui combattent à côté d’eux. Ceux-ci n’ont en effet ni la barbe ni les cheveux à l’assyrienne. Leur coiffure n’est plus le casque conique, mais une sorte de bonnet en étoffe de laine serrée autour de la tète par des lanières. Un double baudrier fait, de bandes de cuir imbriquées, se croise sur leur poitrine et porte leur épée et leur carquois plein de flèches. Ils bandent leur arc, les uns agenouillés, les autres debout, comme le font également les soldats assyriens qui combattent à leur côté. Ailleurs, sur une sculpture du palais de Sargon, nous rencontrons également des archers auxiliaires dont le costume est nouveau pour nous ; tout le haut de leur corps est nu ainsi que leurs jambes, et ils ont seulement les reins couverts d’une pièce d’étoffe enroulée autour du corps et retenue par une ceinture à laquelle est suspendu le glaive ordinaire. Les scènes de guerre si nombreuses et si variées que nous avons reproduites d’après les monuments originaux, sont assez éloquentes par elles-mêmes, et il n’est guère besoin d’insister plus longuement pour montrer comment les Assyriens se comportaient au combat. Admirez avec quelle dextérité ils manœuvrent leur javelot et leur bouclier rond, tantôt élevant leur arme au-dessus de la tête, tantôt agenouillés, parant les coups et épiant le moment de se porter en avant ; parfois, ils achèvent un ennemi en le frappant sur la tête avec leur masse d’armes ; parfois, ils coupent les têtes pour s’en faire un trophée. Souvent, ils marchent à l’ennemi en phalanges serrées, alignés et au pas, comme des soldats d’aujourd’hui rompus aux exercices et à la discipline militaire ; quelquefois aussi, ils sont disséminés et isolés en tirailleurs, pour employer une expression moderne.

En campagne, quand l’armée doit prolonger son séjour en pays ennemi, elle construit un camp retranché qui, avec ses murs et ses bastions, ressemble à une véritable forteresse ; à l’intérieur, on campe sous la tente. Un bas-relief du palais de Sennachérib montre une construction de ce genre avec les tentes des soldats alignées, et le pavillon royal plus spacieux que les autres. C’est une sorte de grande maison portative en toile, fermée en haut par des demi-coupoles tendues à l’aide d’une armature intérieure que la disposition du dessin ne permet pas d’apercevoir. An contraire, les tentes des soldats sont présentées de telle sorte qu’on en voit l’aménagement intérieur. Un mât qui a environ deus fois la hauteur d’un homme est planté en terre verticalement, et autour de lui sont disposées, dans tons les sens, d’autres liges de bois comme les baleines d’un parapluie. Sous l’un de ces abris qui ressemblent étrangement aux grandes tentes de nos soldats, un Assyrien est assis, tenant des objets que leur exiguïté ne nous permet pas de reconnaître ; devant lui, se trouve disposée une table que les voyageurs et les soldats de nos jours connaissent encore et appellent table en X, à cause de la disposition de ses pieds ; le long du mât sont suspendus divers effets d’équipement. Sous la tente voisine, un soldat arrange un lit disposé sur une sorte de couchette, comme les nôtres ; sous une troisième tente, un cuisinier prépare des mets, et plus loin, sous la quatrième, deux hommes assis en face l’un de l’autre, paraissent converser ; une table chargée de comestibles est derrière eux. Un camp retranché figuré sur les murs du palais de Sargon offre des scènes analogues avec d’autres détails ; enfin, sur un bas-relief de Nimroud, on voit une tente sous laquelle sont abrités des chevaux ; deux mats élégants se dressent pour en supporter le toit légèrement bombé ; des chevaux sont groupés autour d’une mangeoire pleine d’orge, taudis qu’un palefrenier panse un autre de ces animaux dans le fond de la tente. C’est, bien là, certes, la vie des camps, telle qu’elle a toujours été pratiquée, prise sur le fait et naïvement racontée à nos yeux par des images vieilles de vingt-cinq ou trente siècles.

Ne se croirait-t-on pas de même en présence d’un château fort féodal quand ou observe l’aspect des forteresses assyriennes, avec leurs murailles et leurs tours crénelées, la tête en encorbellement et percée de meurtrières ? Les portes étaient défendues par deux grosses tours et par un avant-corps qui avait l’aspect d’un bastion, Un fossé régnait généralement autour des remparts et quand il y avait lieu, comme à Ninive et à Babylone, ou l’inondait en détournant le cours d’un fleuve. A Khorsabad, la muraille extérieure avait vingt-quatre mètres d’épaisseur, et Hérodote nous apprend que les murs de Babylone, hauts de cent quatre mètres, étaient épais de vingt-six ; il fallait bien, par la masse énorme de la construction, suppléer à la mauvaise qualité des matériaux, car la brique crue qu’on employait eût put être facilement sapée par les machines ou délitée par les eaux : c’est ce qui arriva au siège de Ninive où une partie des remparts s’écroula sous l’action d’une crue subite du Tibre.

Un bas-relief du palais de Sargon[20] représente le siège d’une forteresse bâtie au sommet d’une montagne ; elle est protégée par une double enceinte, la première crénelée, la seconde munie de tours élevées. Des assiégés se défendent avec leurs lances et se couvrent de leurs boucliers, tandis que leurs compagnons, placés sur les murs inférieurs, paraissent désespérer de la lutte. Parmi les assiégeants, il y a des archers qui lancent des traits sur ceux qui défendent le rempart, tandis que d’autres soldats, qui se sont glissés furtivement jusqu’aux portes de la ville, cherchent à mettre le feu avec des torches enflammées. Un autre siège intéressant, dans les sculptures de Khorsabad[21], est celui d’une place forte entourée par une rivière dont l’eau est représentée par des lignes ondulées et des enroulements conventionnels ; il y a également deux enceintes concentriques, crénelées et munies de forts bastions. Parmi les assiégés, les uns se défendent encore en désespérés, les autres, démoralisés, lèvent les bras au ciel, implorant le secours de la divinité. Le sort qui les attend n’est pas douteux, car on aperçoit dans le bas du tableau, de malheureux prisonniers, dépouillés de leurs vêtements et empalés par la gorge sur des pieux fixés en terre. Les Assyriens représentés d’une taille beaucoup plus élevée que leurs adversaires, en signe de force et de supériorité, montent à l’assaut avec des échelles, se couvrant de leur bouclier contre une grêle de projectiles et l’huile bouillante qui pleut sur leurs têtes.

Mais ce qui rend encore bien plus intéressante l’élude des sièges de places fortes assyriens, c’est l’emploi de machines de guerre pareilles à celles que l’antiquité classique ou le moyen âge ont connues. On a remarqué[22] que les Grecs, qui ont poussé si loin la culture intellectuelle et artistique, sont restés fol t inférieurs aux Assyriens au point de vue des arts mécaniques applicables art génie militaire. Ce besoin de batailler qui pressait les Assyriens, lotir avait fait inventer tout un système de mines, de tranchées, de tours mouvantes, de béliers, de tortues, de machines de jet, à tir droit ou curviligne, qu’on ne retrouve chez les Grecs qu’à partir d’Alexandre. Pour s’emparer des villes, les soldats à Assur non seulement feulent l’escalade à l’aide d’échelles ou mettent le l’eu aux portes, mais ils font brèche à l’aide de béliers qu’ils poussent jusqu’au pied des murs en les roulant sur des chaussées artificielles ; recouvert d’une enveloppe garnie de plaques de métal ou de peaux de bêtes, le bélier avançait sous l’effort clos soldats invisibles qu’il recélait dans ses flancs ; ces mineurs sont armés de longues barres de fer pour saper les murailles ; les assiégés lancent sur la machine des projectiles de toutes sortes pour essayer de l’écraser, ou bien des torches enflammées pour y mettre le feu. Mais les autres ont emporté de l’eau avec eux, et, au moyen de récipients à longs manches, ils éteignent l’incendie au fur et à mesure qu’il s’allume. D’autres fois, nous voyons de grandes tours roulantes, chargées d’archers et de frondeurs qui dominent, du sommet de la tour, la crête des remparts eux-mêmes.

Tous ces détails circonstanciés de la poliorcétique assyrienne jettent un jour nouveau sur les passages des historiens antiques qui racontent des épisodes des campagnes des rois de Ninive ou de Babylone. Dans deux chapitres d’Isaïe où le prophète juif raconte l’invasion de Sennachérib, on trouve la mention de l’agger, de la contrevallation, et de la tortue formée par les boucliers élevés au-dessus de la tête[23]. D’autre part, le récit du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor, dans Josèphe, renferme des observations techniques si précises qu’on peut le croire extrait des histoires détaillées que mentionnent les Chroniques, mais qui ne sont pas parvenues,jusqu’à nous. Laissons parler l’historien juif :

Cependant, dit-il[24], le roi de Babylone pressait avec constance et ardeur le siège de Jérusalem ; ayant construit de grandes tours en terre, il empêcha les défenseurs de se tenir sur les remparts ; il éleva ensuite autour de l’enceinte de la ville plusieurs agger ou plans inclinés d’une hauteur égale à celle des murs. Les assiégés se défendaient vigoureusement ; ils ne se laissaient abattre ni par la faim, ni par les maladies, mais leur courage résistait à tous les maux et persistait à soutenir l’attaque sana être effrayés des machines de l’ennemi approchées de leurs murailles. lis inventaient des machines nouvelles et exécutaient des travaux propres à détourner l’effet de celles des Assyriens, de manière qu’il y avait entre les Hébreux et leurs adversaires une lutte perpétuelle d’adresse et de science ; ceux-ci croyant qu’ils ne pourraient prendre la ville qu’en étant supérieurs dans l’art de l’attaque, ceux-là qu’ils n’avaient de salut à espérer qu’on persistant, en continuant sans relâche à inventer de nouveaux moyens de défense qui rendissent inutiles les machines de l’ennemi.

Ézéchiel[25], à son tour, indique l’emploi du bélier, de l’agger et des tours roulantes dans le siége de Jérusalem par Nabuchodonosor : Fils de l’homme, lui dit l’Éternel, prends de l’argile, mets-la devant toi, et figure sur cette argile la ville de Jérusalem ; représente aussi le siège formé contre elle, la circonvallation achevée, le camp ennemi qui l’environne ; tu élèveras des agger, tu dresseras une tour vis-à-vis d’elle et tu placeras des béliers autour de ses murs. Ailleurs, le même prophète, racontant le siège de Tyr par Nabuchodonosor, signale aussi la circonvallation, les agger, les mantelets et la tortue de boucliers.

La machine de guerre le plus fréquemment reproduite sur les bas-reliefs est le bélier, nom que les Hébreux, les Grecs et les Romains lui ont donné à cause de son mouvement alternatif de recul et de saut en avant, qui imite les béliers bondissant l’un contre l’autre. La tête de la machine qui affecte souvent la forme de la figure d’un monstre hideux, était armée d’un ou plusieurs éperons en fer qui étaient, au moyen d’une poulie, alternativement balancés en avant et en arrière par les efforts simultanés d’un groupe de soldats exercés à cette manœuvre. Une brèche ; était bientôt pratiquée par ces lourdes machines, et le rempart s’écroulait. Aussi, n’y avait-il pas d’effort que l’ennemi ne tentât pour mettre les béliers hors de service : on voit, sur un bas-relief, des soldats qui, du haut du rempart, essayent, au moyen d’un crochet fixé au bout d’une longue chaîne de fer, d’harponner l’éperon d’un bélier pour le soulever et l’empêcher de manœuvrer ; des assiégeants neutralisent leur effort en saisissant l’extrémité des chaînes qu’ils tirent à eux pour dégager la machine.

Bien d’autres détails nous sont encore révélés sur la poliorcétique assyrienne. Des mineurs, enfermés dans leurs galeries souterraines, sapent le pied des remparts ; d’autres renversent la contre escarpe maçonnée du fossé pour remplir avec ses débris le fossé lui-même ; des archers lancent par-dessus la muraille des flèches environnées d’étoupes enflammées qui doivent mettre le feu aux maisons. Voici, ailleurs, des soldats qui n’hésitent pas à se jeter à la nage pour atteindre le pied des remparts, aux yeux étonnés des assiégés ; les uns nagent en s’appuyant contre la poitrine une outre gonflée d’air, comme les Arabes le pratiquent encore aujourd’hui en Mésopotamie ; les autres plus habiles, et entièrement nus, nagent en agitant les bras. Un bas-relief des portes de bronze du palais de Balawat représente farinée assyrienne franchissant avec chars et bagages un fleuve au cours tumultueux sur un pont formé de petits flotteurs rapprochés les uns des autres de manière à imiter nos ponts de bateaux. Il n’est point de fatigue que s’épargne le soldat assyrien pour arriver à ses fins, le pillage et le massacre. Voyez avec quelle avidité et quelle précipitation il fait main basse sur toutes choses dans une ville prise d’assaut : il emporte les statues des dieux, les vases sacrés, les richesses des temples et des palais, les ustensiles de toute nature qu’il trouve sous sa main dans les habitations privées : lits, tables, sièges, candélabres, coffrets, tapis, vêtements, étoffes, sacs de grain et de fruits, tout cela est entassé pêle-mêle sur des chariots que trament des ânes et des mulets, ou bien attaché sur le dos des chameaux. Ajoutez à cela les flammes qui brûlent ce qu’on n’a pu enlever, et ces grands troupeaux de bestiaux, bœufs, chèvres et moutons confondus avec les hommes, les femmes et les enfants captifs et enchaînés qui s’éloignent en pleurant de leur patrie en cendre, et vous aurez une idée sommaire du caractère du soldat assyrien, de sa cruauté inexorable, de son indomptable courage, de sa solidité pour résister à toutes les fatigues comme à tous les efforts de l’ennemi, enfin, de sa cupidité de pirate, qui était le vrai et unique mobile de sa passion pour la guerre et de son dévouement aveugle pour le prince qui lui montrait de loin, à chaque printemps, une nouvelle proie à conquérir et à dévorer. Combien il a raison de représenter le peuple assyrien comme un fléau de Dieu, ce prophète hébreu qui en trace le superbe tableau qui suit :

Voici, je vais susciter les Chaldéens,

Peuple farouche et impétueux,

Qui parcourt les étendues de la terre,

Pour conquérir des demeures qui ne sont point à lui.

Il est terrible et formidable,

De lui émanent son droit et sa grandeur.

Ses coursiers sont plus rapides que les léopards,

Plus agiles que les loups du soir.

Ses cavaliers sont pleins d’arrogance,

Ses cavaliers arrivent de loin.

Ils volent comme l’aigle fondant sur sa proie.

Tout entier, il vient pour ravager,

L’ensemble de ses lignes se porte en avant.

Il entasse les captifs comme du sable.

Pour lui, il se moque des rois ;

Les princes excitent ses railleries,

Il se rit de la forteresse,

Amoncelle de la poussière et l’emporte d’assaut.

Alors il passe comme le vent,

Il s’avance, il se rend coupable,

Celui-là, sa force devient son dieu ![26]

 

§ 5. — LE PEUPLE.

Dans le Coran[27] on trouve désignées sous le nom de Sabiens, des populations mésopotamiennes qui, avec les juifs et les chrétiens, ont droit à une certaine tolérance, parce que la parole divine leur a été révélée et qu’elles ont des livres sacrés écrits par les prophètes antérieurs à Mahomet. Il faut comprendre, avec les auteurs arabes, sous l’appellation générique de Sabiens de Mésopotamie, de petits groupes de peuples qui vivent dans les vallées de l’Euphrate et du Tigre, au milieu des Kurdes et des tribus arabes qui les persécutent : ce sont les gens de Harran, les Mendaïtes ou Soubbas et les Yezidis. On les regarde avec raison comme les derniers débris de l’antique race des Assyro-Chaldéens qui s’achemine lentement vers une disparition complète et une ruine définitive. Ils vivent à l’écart, défiants et soupçonneux, haïs et méprisés par les musulmans, gardant avec une extraordinaire ténacité le dépôt précieux de traditions qu’ils n’ont pourtant pu, malgré tout, préserver de toute altération et de toute influence étrangère. La persistance de cette race à travers les révolutions, ne peut s’expliquer que par son caractère original qui s’oppose à ce qu’elle s’assimile aux populations voisines : diversité d’origine, de langue, de religion, de mœurs, de traditions, telles sont les causes qui ont préservé les Sabiens de la Mésopotamie, les derniers des Chaldéens, comme elles ont préservé les Parsis dans l’Inde et les Juifs dans notre monde occidental. Quelle mine inépuisable d’informations trouverait l’historien chez ces peuples, s’ils étaient restés complètement fermés à toute intrusion exotique, si leurs livres n’étaient farcis d’interpolations chrétiennes ou musulmanes, s’ils ne s’étaient laissés entraîner par la parole enflammée de quelques réformateurs religieux, au temps où le gnosticisme couvrait tout l’Orient de ses sectes et de ses écoles !

Les Mendaïtes, qu’on désigne aussi sous le nom de Soubbas, équivalent de Sabiens, sont peut-être ceux qui ont conservé avec le plus de pureté la tradition chaldéenne. Ils sont cantonnés aujourd’hui sur les bords du Schat-el-Arab, et dans quelques villages du bas Tigre, sous un climat meurtrier qui les condamne a disparaître dans un avenir prochain. D’après le dernier recensement approximatif fait par un des leurs, il y a quelques années, leur nombre ne dépasse pas quatre mille, disséminés dans des villages qui dépendent de la Perse et de l’empire turc. Ils vivent presque tous d’industrie et s’occupent peu d’agriculture. Les professions qu’ils exercent, sont en général l’orfèvrerie et la menuiserie. On compte parmi eux très peu de commerçants et quelques forgerons. Les plus aisés sont ceux qui ont en propriété une petite maisonnette qu’ils habitent, et deux ou trois boutiques qu’ils donnent en louage[28].

Nous aurons, ailleurs, à tirer quelque parti des livres religieux de Mendaïtes, qui renferment tant de données chaldéennes ; si l’on s’en tient il leurs mœurs actuelles et à leur genre de vie industrielle, on doit les considérer comme les héritiers directs de ces corporations d’artisans qui, ciselaient le bronze, l’or et l’argent avec une étonnante habileté, fouillaient l’ivoire et les pierres précieuses, en un mot produisaient ces ouvrages d’émaillerie, de petite sculpture, de bijouterie et d’orfèvrerie, dont il est mille fois parlé dans les inscriptions qui décrivent les ornements des temples et des palais.

Les Yezidis[29] sont disséminés dans toute la Mésopotamie et même jusqu’en Arménie. Les musulmans disent qu’ils adorent le diable. Comme les Mendaïtes, il n’est sorte de crime on d’abomination dont ils ne soient accusés, à cause du voile mystérieux dont ils enveloppent leur vie intérieure et leurs pratiques religieuses, empreintes du plus grossier sabéisme. Un certain cheik Adi, qui, d’après des écrivains arabes, était un saint anachorète, joua chez eux le rôle de réformateur et contribua puissamment à altérer les doctrines chaldéennes dont ils avaient le dépôt. Ils possèdent, auprès de Mossoul, un temple couvert de signes bizarres qui n’ont peut-être pas été jusqu’ici assez scientifiquement étudiés[30]. C’est dans ce sanctuaire que se trouve leur fameux dik ou taouch sacré, le coq, objet de leur culte, dont nous parlerons ailleurs, en rappelant que cet oiseau était déjà adoré par les habitants de Cutha, transporté à Samarie par Assurbanipal, et, nous constaterons que le coq, symbole de Nergal, paraît fréquemment, comme emblème mythologique, sur des cylindres assyro-chaldéens de l’antiquité la plus reculée.

A Harran (Charræ) et à Édesse, dans la haute Mésopotamie, s’étaient réfugiés, au temps de la domination des Séleucides, des Parthes, des Romains, voire même encore au moyen âge, les débris des collèges d’astrologues, avec l’arsenal de leurs pratiques de sorcellerie et de magie. Ces villes furent les derniers repaires du sabéisme, et saint Jacques de Sarug, dans sa fameuse homélie sur la chute des idoles, parle encore, comme d’une époque récente, du temps où le mauvais esprit avait livré Édesse à Nébo, à Bel et à beaucoup d’autres dieux ; où il avait trompé Harran par l’intermédiaire de Sin, de Bel-Sch’min, de Bar Nemre, de Mari, le dieu des chiens, et des déesses Tareta (Astarté) et Godlath[31].

C’était encore une tradition chez les Arabes du Xe siècle de notre ère que les Sabiens de Harran et d’Édesse étaient les restes des anciens Chaldéens[32]. Comme les Babyloniens d’autrefois, les disciples des écoles harraniennes du moyen âge enseignaient que le monde était vieux de plus de 36.000 ans, et, comme eux encore, ils croyaient que chaque planète avait régné 1.000 ans sur le monde ; les combinaisons astronomiques auxquelles se livraient, ces faux savants autour de leur grand cycle de 36.525 années n’étaient que le développement des calculs des écoles de Ninive et de Babylone. C’est dans leur enseignement, dont les caractères généraux ont été si bien analysés par M. Chwolsohn, qu’il faut poursuivre les traces de la science chaldéenne. Malheureusement, on n’y trouve rien touchant la politique, l’état. social, les mœurs et coutumes, les lois, et tout ce qui a trait à la vie civile ; c’est de la théologie toute pure, des calculs de mathématiques, des combinaisons astronomiques, des procédés de sorcellerie, des recettes médicales, dont les Arabes ont en partie hérité. Seule, l’histoire des sciences exactes, de la médecine et des idées religieuses, peu t gagner à être éclaircie par l’étude des livres de ces néo-Chaldéens que le christianisme pas plus que le paganisme officiel de la Grèce et de Rome ne parvint à ébranler et à convertir.

Au temps de l’empire romain, le temple de Sin à Harrar était encore debout et était resté célèbre. Caracalla s’y rendait pour y sacrifier lorsqu’il fut massacré, et, sur les monnaies des empereurs frappées dans cette ville, on voit souvent le symbole du dieu assyrien : c’est un bétyle ayant la forme ovoïde du caillou Michaux, couvert d’une inscription cunéiforme et surmonté du croissant lunaire. Plus lard, l’empereur Julien, suivant le récit d’Ammien Marcellin, offrit un sacrifice sur l’autel de Sin. Un historien arabe, Dimeschi, raconte que, de son temps, il y avait encore à Harran un temple de Sin appelé El-Modarriq, qui formait la citadelle de la ville et où aucun profane ne pouvait pénétrer[33] ; un autre auteur musulman nous informe que le sanctuaire du dieu Azuz fut converti en mosquée[34]. Ces témoignages que nous pourrions multiplier pour Harrar, pour Édesse, pour Atra, dont la citadelle tint en échec les légions de Trajan et de Sévère Alexandre, n’attestent-ils pas d’une manière éclatante la persistance du paganisme chaldéo-assyrien dans ces villes, les plus vieilles du monde, dont l’extraordinaire longévité ressemble à celle des vieux chênes qui, vingt fois, voient les forêts se renouveler à leurs pieds.

Il serait fort téméraire, bien entendu, de prétendre que les populations de la Mésopotamie, au temps d’Assurbanipal ou de Nabuchodonosor, eussent le genre de vie que nous trouvons en action aujourd’hui chez leurs héritiers à la quarantième génération. C’est comme si l’on voulait reconstituer la vie du peuple de Samarie et de Jérusalem au temps de la splendeur de ces deux villes, avec ce qui reste aujourd’hui de juifs à Jérusalem et de samaritains à Naplouse. N’est-il pas néanmoins fort intéressant de constater l’existence, à notre époque, de ces débris de grandes races, quelques misérables qu’ils soient, et leur vivant témoignage n’est, à coup sûr, pas aussi insignifiant qu’on serait tenté de la croire au premier abord ? Au dire des voyageurs, les mœurs des populations mésopotamiennes n’ont guère changé. Voyez les maisons dans le Kurdistan : carrées, sans ouverture autre que la porte et surmontées d’une terrasse épaisse que soutiennent tantôt une voûte grossière, tantôt des poutres en guise de colonnes ; parfois elles sont pourvues, au lieu de terrasse, d’une galerie à claire-voie où l’on se retire, le soir, pour humer la brise. Les maisons des Assyriens ne s’écartaient guère de ce type, et nous pouvons invoquer, à ce sujet, le témoignage de Strabon qui dit, en parlant de la Susiane : Pour protéger les maisons contre l’excès de la chaleur, on en recouvre les toits de deux coudées de terre ; le poids de cette terre oblige à faire tontes les maisons étroites et longues, parce que, si l’on ne dispose pas de poutres très longues, il n’en faut pas moins avoir des appartements spacieux, autrement, on ne manquerait pas d’y étouffer. Le même écrivain, à ce propos, constate une singulière propriété de la poutre de palmier. Les plus solides, dit-il, au lieu de céder avec le temps et de fléchir sous le poids qu’elles supportent, se courbent, en vieillissant, de bas en haut, et, grâce à la convexité qu’elles prennent ainsi, n’en soutiennent que mieux le toit de l’édifice[35].

Et ailleurs, parlant de l’aspect de Babylone, le même auteur s’exprime ainsi : Vu la rareté du bois dit de charpente, on n’emploie, pour bâtir les maisons, dans toute la Babylonie, que des poutres et des piliers en bois de palmier. On a soin seulement d’entortiller chaque pilier avec des cordelettes de jonc qu’on recouvre ensuite de plusieurs couches de peinture. Quant aux portes, c’est avec de l’asphalte qu’on les enduit. Ces portes sont faites très hautes, ainsi que les maisons. Ajoutons que tontes les maisons sont voûtées, par suite du manque de bois... De toits couverts en tuile, il ne saurait être question dans un pays où il ne pleut pas, et tel est le cas de la Babylonie, aussi bien que celui de la Susiane et de la Sittacène[36].

Strabon, qui écrivait en se servant d’ouvrages plus anciens qu’il ne fit souvent que transcrire, admet, pour les maisons de Babylone, l’emploi de la voûte ou des plafonds de bois avec des piliers. Aujourd’hui encore, cette double méthode de toiture est en usage dans le pays : les voyageurs signalent en Mésopotamie des maisons dont les terrasses sont supportées tantôt par des poudres, tantôt par des coupoles ou des voûtes en berceau.

Nous ne possédons pas des renseignements bien circonstanciés en ce qui concerne les artisans des villes assyriennes, leur genre de vie, l’organisation des corporations de métiers, mais nous sommes au contraire en situation de reconstituer en partie la vie de l’homme des champs.

L’agriculture, favorisée par les rois comme Hammurabi et Nabuchodonosor qui creusaient et entretenaient les canaux d’irrigation, avait pris un développement extraordinaire grâce à la merveilleuse fertilité du sol. Elle mettait en usage les méthodes les plus savantes, inventées à la longue par une pratique remontant aux âges les plus reculés et par une théorie ingénieusement raisonnée. Aucun autre peuple de l’antiquité n’alla plus loin dans le domaine de l’art agricole, et sur bien des points de cet art, les modernes ont réinventé, mais n’ont point dépassé ce que faisaient les Babyloniens et les Ninivites. Un système d’irrigations étendu à toute la contrée, et d’autant plus nécessaire qu’il n’y pleut presque jamais, était la première base de cette agriculture ; il était poussé au plus haut point de perfection. C’était dans les plaines basses et facilement arrosables de la Chaldée que ce système avait pris naissance et avait été d’abord pratiqué ; mais ensuite il avait été appliqué à l’Assyrie entière, où sa réalisation offrait cependant de plus grandes difficultés, réclamait plus de science et de travail. Tous les cours d’eau du pays y fournissaient leur tribut, et l’on peut dire que les Assyriens, sur leur territoire, ne laissaient pas perdre une seule goutte du précieux élément auquel est attaché, sous les climats orientaux, le secret de la fécondité du sol.

L’arrosage formait donc l’une des principales occupations de l’agriculteur chaldéen, dans ce pays où il était à peine besoin de labourer la terre pour la féconder et où l’ennemi était, avant tout, la chaleur et la sécheresse. Un texte relatif au labourage des champs contient ces mots : Il puise de l’eau (pour arroser la terre) ; il fouille le champ avec la houe ; il dispose la machine à irrigation, il met le sceau en mouvement et puise de l’eau ; ainsi, il fait produire une récolte double ; ainsi, il fait produire une récolte triple[37]. Comme illustration à ce texte, un bas-relief du palais d’Assurbanipal représente un homme qui puise de l’eau dans une rivière au moyen d’un seau ; vêtu d’un costume’ de travail à la fois ample et court, il est debout sur un terre-plein élevé tout exprès pour permettre l’accès de la rivière ; il saisit. avec ses deux mains le câble auquel est attaché le seau ; ce câble est fixé à une longue traverse en bois qui, tournant sur un pivot à la manière du fléau d’une balance, permet de retirer sans trop de fatigue une charge d’eau considérable. Ce système ingénieux est encore en usage dans nombre de nos villages. L’arrosage doublait et même triplait la végétation du froment. A Babylone, nous dit Hérodote, on fauche régulièrement le blé à deux reprises, et une troisième fois on le fait brouter en herbe et sur pied par les bestiaux : c’est seulement par ce procédé qu’on l’amène à fructifier, autrement, il s’épuiserait à produire des feuilles et une végétation folle, au détriment de l’épi.

Outre le blé, l’agriculteur chaldéen cultivait l’orge, le millet, le sésame, les plantes oléagineuses, les fèves de toute espèce. Dans ses jardins poussaient les concombres et les oignons qu’on offre parfois aux dieux, sur les bas-reliefs, où on les voit fixés le long d’une tige et alignés comme les grains d’un chapelet ; dans ses vergers, outre le palmier et le cyprès, on voyait le mûrier, l’olivier, l’acacia avec son gracieux feuillage, le grenadier avec ses fleurs rouges, l’oranger, le pommier, le poirier ; les coteaux étaient couverts de vignobles, comme l’attestent les inscriptions, et là où l’on ne rencontre aujourd’hui que des marécages ou une plaine déserte sans fin, vivait jadis une population dense et laborieuse qui a disparu avec la fertilité du sol. Dans le nord, les rois d’Assyrie avaient planté des forêts de sycomores, de pins, de cyprès et de toutes ces essences résineuses dont l’odeur est bonne, disent les inscriptions ; il y avait aussi le platane, le chêne, le noyer, et l’on savait y faire la soie avec une espèce de ver qu’on entretenait et qui ne se retrouve dans aucun autre pays. Le citron d’Assyrie avait encore une grande réputation dans l’antiquité classique qui cite aussi, comme provenant du même pays, le tabac, le riz et le coton.

Pour compléter son établissement agricole, le paysan chaldéen avait de nombreux animaux domestiques, et de même que les productions du sol de tous les pays poussaient à merveille et côte à côte dans son champ privilégié, on dirait que, les animaux domestiques de toutes les zones et de tous les climats se fussent donné rendez-vous sous son toit. Les bestiaux et les troupeaux constituaient sa principale richesse, et il avait aussi le cheval, le chameau, l’âne, le mulet, le chien ; des bas-reliefs prouvent que le singe et l’éléphant n’étaient pas inconnus en Mésopotamie, mais d’importation étrangère. On pouvait chasser le lion, le léopard, la hyène, le lynx, le chat sauvage, le loup, le cheval, le sanglier, le buffle, le cerf, la gazelle, le renard, le lièvre, le blaireau, le porc-épic : le lion mésopotamien, terrible pour les troupeaux et, parfois aussi, dangereux pour l’homme, s’apprivoise facilement, et celle circonstance rend moins invraisemblables diverses scènes des bas-reliefs qui nous sont parvenus. Quand la fertilité parsemait la Mésopotamie de prairies émaillées de fleurs, de moissons dorées, d’arbres de toute espèce, de vignobles et de forêts, les oiseaux pullulaient dans cette nature luxuriante. Des textes cunéiformes énumèrent les différentes espèces qu’on rencontrait ; aujourd’hui encore on y chasse, surtout dans les contrées qui se rapprochent des montagnes arméniennes, l’aigle, le vautour, le faucon, le milan, le hibou, le corbeau, la perdrix, le pélican, l’oie sauvage, le canard, la sarcelle, le héron, le martin-pêcheur, le pigeon, le coq de bruyère.

A lire certaines inscriptions, on croirait que les Chaldéens qui ont inventé le calendrier, avaient rédigé, en vue de la culture des champs, quelque chose d’analogue à ce que l’on appelle, dans nos almanachs, les éphémérides agricoles. Nous y trouvons indiquées les meilleures conditions de culture, le temps des semailles, l’appréciation du rendement annuel, l’énumération des oiseaux et des rongeurs malfaisants qui détruisent les récoltes et que l’agriculteur doit faire périr. Voici quelques-unes de ces prescriptions ou plutôt de ces conseils agricoles[38].

On met la charrue dans le sol.

Pendant six mois la terre reste en jachères ;

Puis, on fait le compte du rendement.

Selon le compte du rendement, on évalue le bénéfice. Le bénéfice s’accumule ;

On l’ajoute au prix.

On détruit le, cerf ;

On détruit les corbeaux ;

On les prend dans les engins ;

On les apprivoise.

Au moment du travail, on divise sou champ ;

On le partage ; on en fait trois parties.

Les oiseaux ont été détruits ;

Les taupes ont été tuées ;

Le champ a été arrosé ;

La semence a prospéré.

Au moment de la récolte, on divise le champ ;

On fait les parts

Et, d’après lis conventions, le partage a lieu avec le maître du champ.

On lui paie ce qui lui revient.

On laboure le champ ; on inscrit le travail sur des tablettes.

On mesure le champ ; ou en fixe la mesure sur les tablettes.

On l’arrose deux fois, trois fois.

L’irrigation bien dirigée fait fructifier le sol aride.

Au moment de la récolte, il rapporte le quintuple.

On évalue la récolte et le métayer la vend :

Du double au double ; il l’a acquise pour le double.

Du triple au triple, il l’a acquise pour le triple.

Du quadruple au quadruple, il l’a acquise pour le quadruple....

On perçoit la redevance telle qu’elle est établie.

On perçoit la redevance en grains.

La redevance est conforme au produit courant ;

La redevance est conforme au produit fixé.

La culture et l’entretien des jardins paraissent avoir donné lieu à des usages tout spéciaux : Le propriétaire du jardin, dit une inscription, donne son congé au jardinier, le trentième jour du mois d’Arah-Samna, lors de la rentrée des dattes dans les greniers[39].

Nous n’avons, d’ailleurs, que de vagues indications au sujet des obligations du tenancier ou de l’esclave fermier à l’égard de son maître, de même que sur le droit de propriété. Pourtant, d’après certains textes, il semble qu’un cadastre soigneusement établi et tenu au courant des mutations, servait de contrôle à l’état de possession des terres, et de  base à la répartition des impôts. Les canaux d’irrigation, multipliés dans tout le pays et source principale de sa prospérité agricole, étaient nécessairement l’origine d’un grand nombre de servitudes et d’obligations réciproques entre les propriétaires, et leur régime devait servir de point de départ à la majorité des procès civils portés devant les tribunaux. De nombreux contrats de vente ou de louage de propriétés foncières, nous apprennent de combien de garanties civiles et religieuses la propriété territoriale était environnée. La transmission ne pouvait en avoir lieu que par des formules solennelles et d’un caractère sacré ainsi que par un acte reçu par un officier ou notaire public, et auquel intervenaient un certain nombre de témoins.

Pour donner quelque idée de la nature de ces actes notariés, nous allons el, reproduire quelques-uns, choisis parmi les types principaux et parmi ceux dont la teneur offre le plus d’intérêt : nous commençons par un procès-verbal de bornage :

C’est par cette tablette que l’auteur du Bornage éternel a perpétué son nom.

Vingt-cinq hins de blé ensemencent un grand U (mesure) dans un champ situé sur la rive du fleuve Besim, appartenant à Hankas.

Un stade, en haut, au nord, touchant la propriété de Hankas ; et un stade, en bas, au sud, touchant la propriété de Bin-Kasyati ; la largeur, en haut, à l’ouest, touchant la propriété de Hankas ; la largeur, en bas, à l’Orient, touchant la rive du fleuve Besim.

Voilà ce que Marduk-Bel-nasir, capitaine du roi, a reçu des mains de Nis-Bel, fils de Hankas ; il en a payé le prix.

Sapiku, fils de Itti-Marduk, et..., fils de Zikar-Ea, sont les deux mesureurs du champ.

1 char avec ses attelages, valant

100

(mines ?)

d’argent.

6 harnais pour chevaux, valant

300

 

d’argent.

1 âne de Phénicie, valant

30

 

d’argent.

2 harnais, 1 âne de Phénicie, valant

50

 

d’argent.

1 mulet (?), valant

15

 

d’argent.

1 vache pleine, valant

30

 

d’argent.

30 mesures de blé, 60 mesures, 12 epha, valant

137

 

d’argent.

1 hémicorion (?) 10 pelles (?) 4 epha, valant

16

 

d’argent.

2 chiens, 10 petits chiens (?) valant

12

 

d’argent.

9 chiens lévriers (d’Orient), valant

18

 

d’ardent.

1 chien de chasse, valant

1

 

d’argent.

1 chien de berger (?), valant

1

 

d’argent.

1 chien fureteur (?), valant

6

 

d’argent.

 

Total : 716

(mines ?)

d’argent.

Voilà ce que Nis-Bel, fils de Hankas, a payé entre les mains de Marduk-Bel-nasir, capitaine du roi, pour le pris d’un champ de vingt-cinq hins d’ensemencement.

A quelque époque que ce soit, dans la suite des jours, soit un aklu, soit un non serviteur, soit un fermier, soit un cultivateur, soit un ouvrier, soit tout autre kibu qui se présente, et se sera établi sur la maison de Hankas, et aura voulu rendre inculte ce champ, en aura prélevé les prémices, l’aura fouillé, l’aura retourné (mêlé la terre), l’aura fait inonder, aura occupé ce domaine par fraude ou par violence, et se sera établi dans son enceinte, soit au nom du dieu, soit au nom du roi, soit au nom du représentant du roi, soit au nom du représentant du chef du pays, soif au nom du représentant de la maison, soit au nom de toute autre personne, quelle qu’elle soit, l’aura donné, aura fait récolter les moissons de la terre, aura dit : Ces champs ne sont pas constitué, en don par le roi. S’il prononce contre eux la malédiction sainte, s’il jure par ces paroles : la tête n’est pas la tête, et y installe quelqu’un en disant : il n’y a pas d’œil. S’il enlève cette tablette, s’il la jette dans le fleuve, s’il la brise (?) en morceaux, s’il la fait disparaître sous un monceau de pierre, s’il la brûle dans le feu, s’il l’enfouit dans la terre, s’il la cache dans un lieu obscur : cet homme (sera maudit).

Que les dieux Anu, Bel, Ea, les Grands-Dieux, l’affligent et le maudissent par des malédictions qu’on ne rétracte pas. Que le dieu Sin, le brillant des cieux élevés, couvre son corps avec la lèpre et le tourmente au milieu des régions des hommes jusqu’au jour de sa mort ; qu’il le chasse, comme une bête fauve, au delà des murs de son domaine ;que Samas, le juge du ciel et de la terre, fuie devant lui ; qu’il change en ténèbres la lumière du jour (qui l’éclaire) ;qu’Istar, la souveraine, la reine des Dieux, l’accable d’infirmités et, par les angoisses de la maladie, qu’elle augmente jour et nuit ses douleurs pour qu’il erre, comme un chien, dans les abords de sa ville ;que Marduk, le roi du ciel et de la terre, le Seigneur qui existe de toute l’éternité, enchaîne ses armes par des liens qui ne peuvent être brisés ; que Adar, le dieu des moissons et des bornages, balaye ses bornes et piétine ses moissons, qu’il déplace son bornage ; que Gula, la mère(nourrice) (?), la grande souveraine, infiltre dans ses entrailles un poison inéluctable et qu’il répande le pus et le sang comme de l’eau dans ses urines ;que Raman le gardien suprême des Dieux, répande un jour les lamentations et les malédictions sur son désir : que tous les grands dieux dont le nom est invoqué sur cette tablette le livrent à la vengeance et au mépris, et que son nom, sa race, ses fruits, ses rejetons, devant la face des hommes périssent misérablement.

C’est par cette table que l’auteur du Bornage éternel a perpétué son nom[40].

M. Oppert a publié naguère[41] un contrat d’intérêt privé particulièrement intéressant. Il s’agit d’une vente de champs et de jardins effectuée par les héritiers d’un nommé Kudurru, de la corporation des tisserands, à un homme de la tribu Egibi, et nommé Nabu-ahi-iddin, fils de Sulaï :

Champ d’un triple muid (trente-six épha) de blé ensemencé, et jardin d’arbres fruitiers, situé près de la porte du fleuve de Borsippa, dans le finage de Babylone.

Il a quatre cent cinquante-sept brasses, en long, en haut, vers le nord, attenant à Musezib-Bel, fils de E.-Sagil-sadur, de la tribu de Nur-Sin ; attenant aussi à Ibni-rir, fils de Nahid-Marduk, le tisserand ;

Il a quatre cent cinquante brasses, en long, en bas, vers le midi, attenant il Nabn-ahi-iddin, l’acheteur du champ ;

Il a vingt-deux brasses et demie en large, en haut, vers l’ouest, attenant à Marduk-sakin-zir, fils de Salins-sum, le batelier ;

Il a vingt-deux brasses en large, en bas, vers l’est, touchant à la route royale.

Ce qui fait : un trentain, deux épha, sept omer de semence, pour la première portion, en haut de la route royale.

En outre : cinquante-sept brasses et demie en long, vers le nord, attenant à Ibni-zir, et vers le midi, attenant à Nabu-ahi-iddin, acheteur du champ ;

Vingt et une brasses et demie en large, en haut, vers l’ouest, touchant à la route royale ;

Vingt et une brasses en large, en bas, attenant aux terres d’alluvion qui sont sur les bords de l’Euphrate.

Ce qui fait trois épha, trois omer de semence, pour la seconde portion, en bas de la route royale.

Au total : un triple muid de semence pour la totalité du champ.

Est contractant avec Marduk-zir-iddin, fils de Nabu-mudammiq, tisserand, et dame Qudasu, épouse de ce dernier, et Musezib-Marduk, beau-frère, fils de Kudurru, tisserand : Nabu-ahi-iddin, fils de Sulaï, de la tribu Egibi, s’est proclamé acheteur, à raison de trois omer ¾ pour une drachme d’argent, ce qui fait une mine et demie et six drachmes d’argent pour la valeur totale, et il leur a concédé à titre supplémentaire la somme de six drachmes et demie. Au total : une mine deux tiers, et deux drachmes et demie, dont quittance a été remise entre les mains de Nabu-ahi-iddin, fils de Sulaï, de la tribu Egibi.

Marduk-zir-iddin, fils de Nabu-mudammiq, tisserand, et Qudasu, femme de ce dernier, et Musezib-Marduk, le beau-frère, fils de Kudurru, tisserand, ont été payés et ont été destitués de leur propriété par le versement intégral du montant du prix. Il n’y aura pas d’action vindicatoire, ni retour ; et mutuellement, ils ne s’actionneront pas. Si jamais, parmi les frères, les hommes de la tribu ; hommes ou femmes des tisserands, quelqu’un faisait une revendication en disant : Ce champ n’a pas été vendu, le prix n’en a pas été versé, alors, le récriminant paiera le prix entier, et sera, au surplus, passible d’une amende douze fois plus forte.

Pour la confirmation de ce jugement, furent témoins et présents :

Ea-banu-zir, fils de Sillaï, de la corporation des arbitres ;

Nabu-kin-pal, fils de Sulaï ; tribu Sippê ;

Nergal-zir-ibni, fils de Nabu-kin-pal, tribu Da-Marduk ;

Balatsu, fils de Nabu-nadir-zir, tribu Nanahu ;

Hablia, fils de Nabu-kisir, tribu Iranni.

Avec l’assistance de Ramua, fille de Samas-nadin, de la tribu de Sintabni, mère de Marduk-zir-iddin, et de dame Qudasu, les deux vendeurs du champ ;

Kabti-ili-Marduk, actuaire, de la tribu des at sak ;

Nabu-zir-lisir, actuaire, tribu Samas-baru.

Fait à Babylone, au mois d’Adar, le sixième jour ; dans la quatrième année de Nabonid, roi de Babylone.

Coups d’ongle de Mardulc-zir-iddin et de Qudasu, les enfants (fils et belle-fille) de Nabu-mudammiq, tisserand, pour remplacer leurs sceaux, vendeurs du champ.

Sceau de Kabti-ili-Marduk, actuaire.

Sceau de Nabu-zir-lisir, actuaire.

On voit que l’acte que nous venons de reproduire intégralement n’est pas un contrat de vente pur et simple, entre deux parties contractantes ; il est rédigé par des officiers spéciaux, les tupsar ou notaires qui le confirment par l’apposition de leur cachet officiel ; de plus, on comparaît devant un juge qui préside à la vente, entouré d’autres témoins : c’est l’homologation de l’acte ; cette cérémonie, en assyrien, s’appelle kanaku.

Au point de vue de la situation des femmes, remarque M. Oppert, nous voyons ici, comme dans beaucoup d’autres textes, la mère assise pendant la consécration du marché, et cette assistance porte un terme spécial : ina asabi, in assessione, tandis que pour les hommes on emploie le terme ina pani en présence de. La mère et la femme du vendeur vendent elles-mêmes. Il est évident, d’après ces jugements, dit encore M. Oppert, que la tribu était constituée d’une façon un peu communiste, puisque partout on voit non pas seulement les agnats, mais même tous les gens de la tribu investis d’un droit de revendication de la propriété et d’éviction de la personne possédante. Ces tribus dont parle incidemment Hérodote (I, 200) et qu’il nomme πατριαί, semblent avoir été très nombreuses ; nous en connaissons plus de cinquante, désignées soit par le métier (ce sont alors des corporations), soit par le nom de l’aïeul commun.

S’il est possible, comme on le voit, d’essayer de tracer un tableau de la société assyrienne avec ces contrats passés entre les particuliers, dans lesquels se reflètent tant de traits de mœurs et d’usages, il y aurait également un travail d’analyse à entreprendre sur ces mêmes documents pour essayer d’en dégager la plupart des prescriptions du code assyro-chaldéen, qui est loin d’être aussi bien connu que celui de l’Égypte. En matière criminelle, nous savons seulement que la procédure était sommaire, la loi draconienne et les peines atroces ; la torture était admise pour arracher des aveux aux accusés, et la peine de mort ne s’appliquait presque jamais sans des raffinements de cruauté que l’Égypte, par exemple, ne connut pas. La simple décapitation était rare et passait pour un traitement plein de douceur ; dans certains cas on mettait en croix, dans d’autres ou empalait, dans d’autres enfin le condamné était écorché vif. Les cadavres des suppliciés étaient privés de sépulture et exposés à la dent des animaux sauvages. Pour des fautes de moindre importance que celles qui méritaient la mort, la mutilation d’un ou de plusieurs membres était une peine très habituelle, ainsi que l’usage de crever les yeux.

Nous en savons un peu plus long sur les lois civiles, grâce aux écrivains classiques et à quelques fragments du code qui ont échappé au grand naufrage de la littérature assyrienne.

La polygamie était admise dans tous les rangs de la société, mais les riches seuls avaient les moyens de la pratiquer. Le harem royal était élevé à la hauteur d’une institution d’État et avait un monstrueux développement. Les inscriptions trouvées dans l’intérieur du harem de Sargon au palais de Khorsabad, et relatives a la dédicace de ce bâtiment, contiennent à ce sujet les plus étranges détails, tellement étranges qu’il serait impossible de les reproduire ici. Les mariages étaient placés sous la protection spéciale du dieu Nisruk. La femme apportait dans le ménage un immeuble que son père lui constituait eu dot. La célèbre pierre babylonienne de la Bibliothèque Nationale, connue sous le nom de Caillou Michaux, contient l’acte constitutif d’un de ces immeubles dotaux, dont la propriété est placée sous la garantie des imprécations les plus terribles contre quiconque y porterait atteinte. Il importe de donner ici le texte complet de cet important document :

Vingt hin (mesure de capacité) ensemencent un ammat (mesure de superficie), dans un champ situé près de la ville de Kar-Nabu, sur le bord du fleuve Mê-Kaldan, dans la propriété de Rim-Belit. Le champ est en usufruit : il a trois stades de long, en haut, du côté de l’est, longeant le territoire de la ville de Bagdad ; trois stades de long en bas, du côté du couchant, longeant le domaine de Tuna-Missah ; un stade cinquante toises de largeur, en haut, du côté du nord, attenant au domaine de Rim-Belit ; un stade cinquante toises en largeur, en bas, du côté du sud, attenant encore au domaine de Rim-Belit. Siruçur, fils de Rim-Belit a donné pour toujours ce champ à dame Dur-Sarginaïti, sa fille, la fiancée de Tab-asab-Marduk, fils de Ina-E-Sagil-zir, serviteur. Et T,b-asah-Marduk, fils de Ina-E-Sagil-zir, serviteur, a juré sur cette tablette par le nom des grands dieux et du dieu Serpent de ne pas aliéner cet usufruit.

En quelque temps que ce soit, à l’avenir, parmi les frères, les fils, la famille, les hommes et les femmes, les serviteurs et les servantes de la maison de Rim-Belit, soit un homme faible, soit un homme puissant, soit toute personne quelconque qui se lèvera pour ravager ce champ et pour enlever cette borne, soit qu’il veuille donner ce champ à un dieu, le livrer au roi ou le garder pour lui-même, soit qu’il en change la clôture et le bornage, et y récolte les moissons eu disant : Ce champ n’a pas été donné en usufruit ; soit qu’il envoie un fou, un aveugle, un inconnu, un étranger ; un ignorant pour enlever cette borne, la plonger dans les eaux, l’enfouir sous terre, la briser à coups de pierre ou la jeter dans le feu ; ou bien, soit qu’il détruise l’écriture, qu’il la remplace par une autre inscription, ou la cache dans un lieu invisible : que cet homme soit maudit parles grands dieux Anu, Bel, Ea, Zarpanit ; que les grands dieux abolissent son nom et fassent périr sa, race. Que le grand seigneur Marduk lui inflige une douleur sans fin, sans remède ; sans relâche ; que le dieu Samas, le grand juge du ciel et de la terre juge son cas et le condamne sévèrement ; que le dieu Sin, le lumineux, qui habite les cieux étincelants, couvre ses yeux d’une taie, comme d’un vêtement, et qu’il le fasse errer comme un âne du désert dans les environs de sa ville ; que la déesse Istar, la reine du ciel et de la terre, le prédispose chaque jour pour le malheur devant, dieu et le roi ; que le dieu Adar, fils d’Ana, fils de Bel, le dieu suprême, arrache sa barrière et sa borne ; que la déesse Gula, la grande souveraine épouse de Samasuru-lu (le Soleil du Sud), insinue dans ses entrailles un poison mortel ; qu’il urine du sang et du pus comme de l’eau ; que le dieu Raman, le grand prince du ciel et de la terre, fils du dieu Anu, le guerrier, envoie la grêle sur son champ et détruise ses moissons ; qu’il y fasse pousser la mauvaise herbe et que sa récolte soit foulée aux pieds ; que le dieu Nabu, le ministre suprême lui fasse subir la disette et la famine, l’empêche d’obtenir tout ce qu’il désire. Que tous les grands dieux dont le nom est mentionné sur cette tablette le frappent d’une malédiction fatale, et qu’ils détruisent à jamais sa race.

Ce curieux document, du temps de Marduk-radin-ahi, écrit sur une grosse pierre noire ovoïde qui parait être un caillou roulé par un torrent, constitue un véritable contrat de mariage. La dot de la fiancée est un titre de propriété en usufruit donne par le beau-père il son gendre. On y énumère les crimes que l’on peut commettre contre la propriété ou contre l’acte authentique qui la constitue ; un grand nombre de contrats du même genre renferment des clauses analogues avec des imprécations de même nature contre ceux qui voudraient usurper le champ concédé, contester la propriété, ou violer le bornage. Mais ce qui nous intéresse ici peut-être encore davantage, c’est qu’on y constate l’union intime qui règne entre les membres d’une même famille ou tribu, qui s’associent tous ensemble pour faire respecter par autrui leurs conventions, depuis le chef de famille jusqu’aux esclaves.

La famille était, à Babylone, solidement constituée et étroitement unie : elle se ressentait de l’état patriarcal dans lequel elle avait primitivement vécu et qui est, aujourd’hui encore, le seul état social compatible avec la vie au désert et la division par tribus. Outre les corporations d’artisans en tous genres qui formaient la classe ouvrière et industrielle proprement dite, la société babylonienne était donc partagée en tribus plus ou moins nombreuses, qui portaient le nom de leur ancêtre primitif et reconnaissaient l’autorité du chef ou de l’ancien. C’était une organisation analogue à celle de ces familles de riches Arabes qui, bien que vivant à l’état sédentaire, ont encore conservé leur organisation patriarcale et comptent parfois plusieurs centaines de membres installés, sous l’autorité du père, sur le domaine patrimonial. C’est ainsi que les contrats d’intérêt privé découverts en Chaldée mentionnent constamment les hommes des tribus Nur-Sin, Egibi, Bel-Edir, Sin-Naçir, Babutu, Bassiya. Pour distinguer entre eux les membres d’une même famille, on les désigne, comme faisaient les Romains et comme font encore les Arabes, par leur nom suivi du nom de leur père, puis par la mention de la tribu ou de la famille à laquelle ils appartiennent.

Mais il ne faudrait pas croire que le chef de tribu eût une autorité absolue et sans contrôle : les lois étendaient leur protection sur chaque individu et veillaient sur le sort des plus humbles pour les préserver éventuellement d’une injuste oppression. II nous est resté quelques feuillets du code assyrien en ce qui concerne les droits et les devoirs du père, de la mère, de l’enfant et même de l’esclave :

En quelque cas que ce soit, à l’avenir, il en sera ainsi :

I. Si un fils dit à son père : Tu n’es pas mon père, celui-ci le rasera, le réduira en servitude et le vendra pour de l’argent.

II. Si un fils dit à sa mère : Tu n’es pas ma mère, on lui rasera la face, on le promènera autour de la ville et on le chassera de la maison.

III. Si un père dit à son fils : Tu n’es pas mon fils, on l’enfermera dans la maison et son mur d’enclos.

IV. Si une mère dit, à son fils : Ta n’es pas mon fils, on l’enfermera dans la maison et le domicile.

V. Si une femme fait injure à son mari et lui dit. : Tu n’es pas mon mari, on la jettera dans le fleuve.

VI. Si un mari dit à sa femme : Tu n’es pas ma femme, il lui paiera une demi-mine d’argent.

VII. L’homme qui frappe son esclave : si celui-ci meurt, est perdu, estropié, incapable de travail ou rendu infirme, il paiera par jour, nue demi-mesure de blé[42]. »

Ce précieux fragment est malheureusement tout ce qui nous est resté du code assyro-chaldéen. Pour reconstituer l’état social de Ninive et de Babylone, on en est donc réduit aux indications qui résultent du texte des contrats. Il faut pourtant faire une exception en faveur de quelques autres documents d’un caractère poétique ou religieux qui nous révèlent quelques étranges côtés de la vieille culture babylonienne. Voici, par exemple, une sorte d’idylle qu’on pourrait intituler Histoire de l’enfant trouvé.

Celui qui n’avait ni père ni mère,

Celui qui ne connaissait ni son père ni sa mère,

C’est à la citerne que se rattache son souvenir,

C’est dans la rue qu’on l’a recueilli.

Il l’a pris à la gueule des chiens,

Il l’a pris en main sous le bec des corbeaux.

En présence du devin il a pris son horoscope, de la bouche de celui-ci ;

Et on l’a noté d’une marque distinctive sous la plante des pieds avec le cachet du devin.

Il l’a donné à une nourrice ;

À cette nourrice, il a garanti pour trois ans la farine, les effets (lu coffre et le vêtement.

Alors et à toujours il lui a caché comment il l’avait recueilli.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il lui a ainsi mené à son achèvement l’allaitement des hommes

Et il en a fait son enfant.

Il l’a élevé comme son enfant ;

Il l’a inscrit comme son fils,

Il l’a mis en possession de la science des lettres[43].

L’homme isolé, qui ne dépendait de personne et ne faisait partie d’aucune tribu, se trouvait par ce seul fait, en dehors de la société, abandonné à lui-même, sans protection et sans appui. Par suite de l’organisation sociale, le plus grand malheur qui put arriver à un individu, c’était d’être indépendant ; il fallait être, comme au moyen âge, dans la main d’un patron, d’un maître, d’un chef de tribu. A ce point de vue, on peut rapprocher du document que nous venons de rapporter une incantation magique où se trouvent énumérées les principales calamités qui peuvent fondre sur l’homme dans toutes les circonstances de la vie :

Celui qui meurt de faim en prison ;

celui qui meurt de soif en prison ;

celui qui, affamé, dans une fosse,

suppliant, en est réduit à manger la poussière ;

Celui qui, dans le sein de la terre ou dans le fleuve,

périt et meurt ;

celui qui meurt de faim dans le désert ;

celui que le soleil brûle dans le désert ;

l’esclave qui n’est pas prise pour concubine ;

la femme libre qui n’a pas de mari ;

celui qui laisse une renommée entachée ;

celui qui ne laisse pas de renommée ;

celui qui, dans sa faim, ne se relève pas...[44]

Il y avait, ce semble, plus d’un point de ressemblance entre l’état social du peuple assyro-chaldéen et l’organisation actuelle de la société turque ou persane. Rien ne change dans l’immobile Orient. Comme toute las civilisations asiatiques, celle qui a fleuri sur les bords du Tigre et de l’Euphrate était atteinte d’un mal terrible qu’elle ne pouvait éviter, il est vrai, mais qui ne la rend pas moins odieuse : ce mal, c’était l’esclavage, qu’elle pratiqua avec une cruauté telle qu’on chercherait en vain, partout ailleurs, un pareil mépris des droits de l’humanité, une aussi révoltante exploitation du faible par le fort.

 

§ 6. — LES ESCLAVES

Dans l’empire assyrien, les esclaves se recrutaient surtout par la guerre ; les rois n’entreprenaient pas une seule de leurs expéditions lointaines sans revenir en poussant devant eux, pêle-mêle avec les bestiaux et les moutons, des troupeaux de captifs à demi nus et souvent chargés de chaînes : hommes, femmes et enfants, tout était emmené sous bonne garde, comme un butin que les vainqueurs devaient se distribuer lors du partage des dépouilles. Les conditions d’existence faites aux malheureux qu’on arrachait ainsi à leur sol natal étaient singulièrement variables et elles changeaient suivant le hasard ou le caprice du maître, suivant aussi la nature des travaux auxquels on les destinait. Tel employé au service du palais menait un train de vie fort enviable, même parfois pour des Assyriens ; tel autre cultivait les champs pour le compte d’un maître facile, tandis qu’un troisième pouvait être traité comme une bête de somme et condamné au métier le plus vil et le plus dur : c’était le régime de la discrétion absolue. De même que, sur le champ de bataille, les soldats d’Assur comptent les têtes des ennemis qu’ils ont décapités, de même, après la victoire, ils font l’énumération des captifs qu’ils passent soigneusement en revue, laissant dans le pays dévasté les vieillards et les infirmes, pour n’entraîner avec eux que les hommes valides, surtout Ies gens de métiers dont ils pouvaient, avec plus de profit, exploiter les aptitudes, les femmes qui savaient broder et dont ils voulaient peupler leurs gynécées. Lorsque Nabuchodonosor emmena de Jérusalem qu’il venait de prendre, avec dis mille guerriers, tous les forgerons, les armuriers et les artisans, c’était aussi bien pour les enrôler dans les ateliers de Babylone que pour empêcher les Juifs de remettre leur capitale en état de défense. Utilisés chacun suivant ses talents, ils travaillaient pour le maître, de la même façon qu’auparavant ils travaillaient pour leur propre compte, et, par une amère ironie du sort, ils embellissaient le palais du tyran qui avait rivé leurs fers.

Parmi les prisonniers de guerre, ceux que l’on transplantait au loin pour peupler des villes devenues désertes, n’avaient peut-être pas une situation trop pénible, et, à part la grande amertume de l’exil, il semble que leur état n’était pas autre que celui de colons déportés en masse. Maintes et maintes fois, au cours des inscriptions historiques, il nous a été donné de constater que les rois d’Assyrie transportaient sur les confins de l’Arménie ou de la Médie, les gens de la Palestine et de la Phénicie et réciproquement, sans qu’il fût autrement question de mauvais traitements infligés aux déportés. La tradition juive a gardé dans le livre de Tobie un fort intéressant souvenir de l’exil des Israélites en dédie à l’époque de la chute de Samarie ; rien dans ce pieux récit ne peut donner lieu de croire que les exilés eussent eu à supporter des mauvais traitements ou une séquestration violente ; bien au contraire, on nous dépeint Tobie et les personnes de son entourage comme voyageant d’une ville à l’autre, librement et sans surveillance, travaillant pour s’enrichir, parvenant aux honneurs, se livrant au grand jour à l’exercice de leur religion, en un mot, se résignant à l’exil avec les compensations que leur offrait : un vainqueur qu’on aurait pu s’attendre à trouver moins généreux. D’ailleurs, voici le langage qu’Isaïe met dans la bouche de Sennachérib s’adressant aux gens de Jérusalem : Faites composition avec moi et sortez vers moi ; et vous mangerez chacun de sa vigne, et chacun de son figuier, et vous boirez chacun de l’eau de sa citerne, jusqu’à ce que je vienne et que je vous emmène en un pays qui est comme votre pays ; nu pays de froment et de bon vin, un pays de pain et de vignes, un pays d’oliviers et d’huile, un pays de miel, et vous vivrez et ne mourrez point[45]. Ce qui prouve bien que ces paroles du roi d’Assyrie n’étaient pas simplement une tentative de corruption et un piège grossier, c’est que les Babyloniens qui avaient été transportés sur les ruines fumantes de Samarie, par exemple, vivaient là, comme Tobie, en pleine liberté, adorant leurs divinités nationales, et même écrivant au tyran qui les avait exilés pour lui demander de favoriser leur nouvel établissement[46].

L’histoire de la captivité de Babylone, quand on l’étudie de près, est une nouvelle preuve de la situation assez douce qui fut faite à la colonie juive. Sans doute, les malheureux prisonniers pleuraient la patrie absente, et, leur âme était accablée sous le poids des plus cruels souvenirs : leur ville et leurs maisons en cendres, leurs parents et leurs amis massacrés, leurs fertiles vallées changées en désert, et eux-mêmes culminés bien loin par un implacable vainqueur. Mais c’était là affaire de sentiment ; leur vie matérielle était fort supportable, et plus d’un qui, poussé par le désespoir, avait d’abord suspendu aux saules des bords du fleuve sa harpe silencieuse, en prit vite son parti. Jérémie ne leur dit-il pas : Bâtissez des maisons et demeurez-y ; plantez des jardins et mangez-en les fruits. Prenez des femmes et ayez des fils et des filles ; donnez aussi des femmes à vos fils, et vos filles à des hommes, pour qu’elles enfantent des fils et des filles ; multipliez dans ce lieu et n’y diminuez pas. Cherchez la paix de la ville dans laquelle je vous ai fuit transporter, et priez l’Éternel pour elle, car dans sa paix vous aurez la paix[47]. Jamais les juifs ne furent gênés sur les bords de l’Euphrate pour invoquer leur Dieu, célébrer les rites de leur religion, et leurs prophètes ne craignaient pas d’entretenir parmi eut l’espoir du retour à Jérusalem, en même temps qu’ils appelaient ouvertement les colères de l’Éternel sur le monarque de Babylone. Quelques-uns d’entre eut qui se firent remarquer pour leur beauté physique et leur intelligence ouverte purent même, comme Daniel qui parvint aux plus hautes dignités, bénéficier de la faveur du prince, qui parfois, prenait à cœur de se les attacher par ses bienfaits. N’est-ce pas, d’ailleurs, la chose du monde la plus commune dans toutes les monarchies orientales, que de voir des esclaves et des gens de bas étage s’élever précipitamment au faîte du pouvoir, de la richesse et des honneurs ?

On se tromperait étrangement, pourtant, si l’on s’imaginait que tel était le sort de tous les prisonniers de guerre. C’était l’exception, hélas ! et dans cette immense cohue livrée sans merci au caprice du vainqueur, il fallait distinguer diverses catégories d’esclaves. Les premiers sont ceux dont nous venons d’esquisser le tolérable régime : on les choisissait, parmi les captifs de distinction, rois et princes, personnages d’importance et de savoir-vivre résignés à courber la tête sous le joug qu’ils avaient vainement essayé de secouer, et que leur passé rendait merveilleusement aptes aux fonctions de haute domesticité qui constituaient le service de la cour. Mais la masse des esclaves était traitée tout autrement ; il suffit, pour s’en convaincre, de lire les inscriptions historiques ou de promener ses regards sur les bas-reliefs qui décorent nos musées, Rien ne saurait donner une idée plus frappante de la monstrueuse barbarie de l’Assyrien qui invente de nouvelles tortures et des raffinements aux supplices pour contraindre son esclave à donner, sans parcimonie et jusqu’au complet épuisement, tout ce qu’il a de forces, d’énergie et d’habileté. C’est une bête de somme dont il faut tirer le plus grand parti possible, en exigeant, avec le moins de nourriture et d’entretien, le plus de travail et de services. Voyez, sur les parois du palais de Sennachérib, ces malheureux attelés comme des bœufs et occupés à voiturer les monstres colossaux de granit destinés à décorer la demeure du tyran. Voyez ce taureau ailé qu’ils vont mettre en place à la porte d’un palais en construction. Ils sont déjà parvenus à le hisser sur titi grand traîneau en bois auquel il est assujetti par des barres de fer et des cordages. Devant le traîneau dont l’extrémité antérieure est recourbée comme une proue de navire, afin de favoriser la traction, des forçats disposent de distance en distance des rouleaux en bois sur lesquels la masse devra circuler. Derrière, un immense levier s’engage sous le traîneau, et un groupe d’hommes essaye, en appuyant sur le bras du levier, de soulever le bloc pour en faciliter la marche. Des files d’esclaves alignés en avant et attelés à des cordages, parviennent, par un effort simultané, à faire lentement avancer le monstre de granit ; d’autres hommes, munis de longues perches, soutiennent le monolithe sur les flancs pour l’empêcher de chavirer à droite ou à gauche pendant les oscillations de la marche. Plus loin, des esclaves encore, car on les préfère à des chevaux pour ce genre de travail, traînent des chariots chargés de cordages, de rouleaux et de poutres de rechange. Le chef de chantier frappe dans ses mains pour donner le signal de l’ébranlement général ; parfois, pour que tout le monde entende le commandement, il est muni d’un porte-voix qu’il approche de ses lèvres ; enfin, pour punir les récalcitrants, on aperçoit de distance en distance au milieu des rangs et à la tête de chaque escouade, un Assyrien tout armé, le poignard au côté, qui frappe à coups redoublés avec un long bâton, sur le dos ou sur les reins de quiconque se laisserait aller à la paresse ou au découragement. Afin de bien faire comprendre à la postérité la plus reculée tout l’odieux de cet abus de la force dont il s’enorgueillit, le sculpteur assyrien a même figuré l’un des esclaves qui, épuisé, s’affaisse sous les coups, regardant d’un air suppliant son bourreau auquel il demande grâce en étendant les bras. Et le roi d’Assyrie est là, calme et fier, dominant cette scène odieuse qui consacre son triomphe, et présidant à l’opération de la mise en place des monstres symboliques auxquels il confiait la garde de son palais.

Il paraît d’ailleurs que certains esclaves n’acceptaient pas sans une lutte à outrance l’épouvantable régime qu’on leur imposait ; ils essayaient de fuir ou de se révolter, mais c’était presque toujours en vain ; nous pouvons, en effet, constater que les plus turbulents travaillent avec des entraves de fer aux pieds, tandis que leurs compagnons qui se livrent à la même besogne sont exempts de ce redoublement de sévices[48]. N’avons-nous pas constaté, maintes et maintes fois, lès atrocités commises sur les malheureux que le sort des armes livrait aux mains des Assyriens : on les garrotte, on les frappe à coups de bâtons, on leur rive des chaînes et des boulets aux pieds et aux mains ; on les enferme dans des cages de fer comme des bêtes féroces. L’empalement, l’écorchement vif, la mise en croit, le crèvement des yeux, la mutilation sont des supplices courants et reproduits sur les bas-reliefs avec une ostentation si atroce qu’on aurait de la peine à y ajouter foi, malgré les textes et malgré les images, si nous n’avions, de nos jours encore, le spectacle de pareilles horreurs chez les Chinois et les populations de l’Extrême-Orient. Les Juifs jetés dans la fournaise ou exposés dans la fosse aux lions par Nabuchodonosor sont des exemples qui ajoutent le témoignage biblique à celui des monuments originaux. C’était un privilège que d’être décapité sur le champ de bataille : malheur à celui qui était épargné et avait la vie sauve.

C’est par les esclaves soumis au régime du bagne que furent construits les temples, les palais, les forteresses de l’Assyrie et de la Babylonie : tout est dû à la main de l’homme, transport des matériaux et construction proprement dite. On dirait, quand on examine ces scènes curieuses, que les Assyriens aient voulu épargner leurs bêtes de somme dont on ne les voit jamais faire usage. Regardez encore cette sculpture qui représente des bateaux chargés de matériaux de construction : des esclaves, à force de rames, les font avancer près du rivage où les attendent leurs compagnons avec des pelles, des pioches, des scies, des marteaux[49]. C’étaient les esclaves qui pétrissaient l’argile, sculptaient les revêtements de marbre, moulaient et faisaient cuire les briques dont toute la Mésopotamie est encore parsemée.

Le costume que portent les esclaves nous est connu par les sculptures où sont représentées, prises sur le vif, les scènes que nous avons décrites. Il variait suivant les circonstances et la nature du travail. Des prisonniers, tête nue, la barbe courte et frisée, les cheveux plus courts que ne le comportait la mode assyrienne, paraissent encore vêtus de leur costume national. Leur tunique sans manche descend plus bas que les genoux, et elle est retenue à la taille par une ceinture ; par-dessus la tunique, ils portent sur le dos un manteau recouvert d’écailles de poisson[50]. Parmi les forçats qui travaillent à la construction des palais, les uns sont habillés comme nous venons de le voir ; d’autres sont entièrement nus comme des animaux ; quelques-uns enfin ont le buste couvert d’une tunique ornée de franges surie côté. Il en est qui sont nu-tête ; la plupart sont coiffés d’une sorte de calotte ronde avec deux pattes sur les côtés : c’est le bonnet du bagne. Les gardes-chiourmes qui les surveillent sont chaussés et armés d’un glaive, mais ils portent la même tunique ; ordinairement nu-pieds, les esclaves ont parfois de hautes braies et des chaussures de cuir. Quant aux femmes, tantôt elles ont la tête enveloppée de bandelettes par-dessus lesquelles est jeté un grand voile qui retombe sur la nuque ; tantôt leur tête est entièrement nue et les flots de leur longue chevelure déroulée retombent sur leurs épaules[51].

Les esclaves dont nous venons de retracer la triste existence étaient ceux que le sort avait désignés pour les travaux publics et qui, n’appartenant à aucun maître en propre, n’avaient d’autre propriétaire que le roi, ou l’Étal, comme nous dirions aujourd’hui. Il y avait encore une autre catégorie d’esclaves : c’étaient ceux que le partage du butin, à la suite d’une razzia, distribuait aux particuliers, au même titre qu’on partageait les bœufs et les moutons. Ceux-là étaient heureux ou malheureux, suivant que leur maître était généreux ou inhumain. Il ne faudrait pas croire pourtant qu’ils fussent entièrement livrés à la discrétion de leurs seigneurs. Les lois les protégeaient dans une certaine mesure, et il était généralement admis qu’ils pouvaient se racheter à prix d’argent, car un texte bilingue porte cette phrase en parlant d’un esclave : Il a payé l’argent de son affranchissement[52]. Le fragment de loi sur la constitution de la famille, que nous avons rapporté plus haut, contient même cette disposition qu’on ne s’attendrait guère à y rencontrer : L’homme qui frappe son esclave : si celui-ci meurt, est perdu, estropié, incapable de travail ou rendu infirme, cet homme paiera une demi-mesure de blé.

La femme, réduite en esclavage, entrait dans le harem de son maître où sa condition variait singulièrement suivant le hasard, le caprice ou la richesse de l’homme à qui elle échouait en partage. Dans cette étrange civilisation où la barbarie morale était grande, la vie de harem convenait aux femmes : ne pas être enfermée dans le gynécée, constituait pour elles un grand malheur, car celles à qui incombait un pareil sort, a cause de leur laideur, de leur âge ou de leurs infirmités, se trouvaient abandonnées sans ressources et sans appui :

L’esclave que pour concubine un homme n’a pas prise ;

l’esclave vers les embrassements de qui le mari n’a pas tourné sa bonne grâce ;

l’esclave à qui, pour les embrassements, le mari n’a pas déchiré le voile ;

l’esclave dont le maître, en la prenant en faveur, n’a pas délié la ceinture ;

l’esclave qui, dans sa mamelle, n’a pas de lait....[53]

Telle est la traduction littérale d’un texte malheureusement incomplet qui pourrait former le début d’une idylle intitulée : les infortunes de l’esclave dédaignée. Au point de vue du bien-être matériel, la femme esclave avait plus de chances que l’homme d’être bien traitée : ou ne lui imposait aucun travail de force et on lui épargnait les terribles supplices qui étaient parfois le partage de l’homme valide. Les bas-reliefs nous montrent ces femmes esclaves avec leurs nourrissons à la mamelle ou les portant sur leur dos, comme c’est encore l’usage en Orient ; dans les convois de captifs, elles sont souvent, avec leurs enfants, placées sur des chevaux ou sur des chariots pour n’avoir pas à supporter la fatigue de la marche. Au point de vue moral, les souffrances de la femme étaient certainement bien affaiblies par suite de l’éducation barbare qu’elle avait reçue et qui était pareille à celle qu’on donne encore aujourd’hui aux femmes musulmanes : elle sortait d’un harem pour entrer dans un autre. La femme orientale ne connaît point ces nobles sentiments du cœur et ces vertus délicates qui sont l’apanage de la femme de notre race ; or, les philosophes nous disent que la douleur morale est chose relative et dépend surtout de la sensibilité de la victime.

L’esclavage existant en Assyrie comme institution publique, il y avait dans chaque ville ou même dans chaque bourgade de quelque importance un marché aux esclaves, comme il en existait encore naguère dans les pays musulmans les plus civilisés. On vendait ou on achetait à l’encan un esclave comme un mouton ou un bœuf ; on pouvait même simplement louer un esclave pour un laps de temps déterminé. Il nous est resté un grand nombre de contrats privés qui ne sont autre chose que des actes de venté, d’achat, d’échange ou de louage d’esclaves, actes enregistrés par le notaire ou scribe public en présence de témoins ; il nous a paru intéressant de donner, à titre de spécimens, le texte de quelques-uns de ces documents :

Sceau de Bel-ahi-su, fils de Marduk-abua, aurige, propriétaire de la femme vendue, savoir : la femme Arbail-sarrat, esclave de Bel-ahi-su. — Kiçir-Assur, chef du domaine et gurzak du fils du roi, l’a achetée de Bel-ahi-su, au prix d’une mine et demie d’argent. Cette femme a été achetée, l’argent a été livré ; la rescission et le retour ne peuvent avoir lieu. En quelque temps que ce soit, si Bel-ahi-su, ses fils ou les fils de ses fils réclamaient la rescission du contrat contre Kiçir-Assur, ils rendraient l’argent jusqu’au décuple, et ainsi le contrat serait annulé, et il n’y aurait pas eu prise de possession. Suivent les noms des témoins, au nombre de dix-sept, puis la date : Fait au mois de Sebat, le 2e jour, sous le limmu de Sin-sar-Assur, par-devant Kiçir-Nabu, président[54].

Quelquefois on vend une famille tout entière : Zikar-Istar qui vivait au temps d’Assarhaddon, vend à Simadi, pour la somme de trois mines d’argent, un certain Usi (Osée), peut-être juif, avec ses deux filles Mihsa et Badia, plus un certain Sigaba, et enfin Bel-takkil avec ses deux filles, en tout, sept personnes[55]. Il est difficile d’estimer en monnaie actuelle le prix qu’on payait un esclave, d’autant plus que les Assyriens ne connaissant pas la monnaie, échangeaient au poids les lingots de métal. Dans le cas présent, on a évalué approximativement les trois mines d’argent à environ 675 francs.

Un texte indique spécialement qu’une esclave est achetée pour entrer dans le harem de son maître : la fille Tavat-hasina est acquise moyennant seize drachmes d’argent par une égyptienne du nom de Nitocris qui en fait cadeau à son fils Tachos à l’occasion de son mariage, et elle sera la femme de Tachos[56]. Un contrat d’échange d’esclaves est ainsi libellé : Cachet de Nabu-ali-uçur ; cachet de Ahuni : en tout, deux hommes, fils de Libgi. Cachet de Ahinur, fils de Sili : en tout, trois hommes propriétaires d’un esclave, échangé contre une femme. Istar-dur-Kali, l’esclave mâle appartient à ces hommes, et Kakkullanu, le chef du domaine, l’a acquis. Il l’a payé et fait sortir de leur maison, en leur donnant la fille Tuliha, son esclave[57]. Suivent la formule juridique, les noms des témoins et du notaire.

Un des contrats les plus curieux qu’on ait publiés jusqu’ici est celui qui concerne une esclave d’origine égyptienne, du nom de Tamoun : Nous le transcrivons en entier, parce qu’il constitue un véritable chapitre de droit assyrien, bien qu’il date seulement du temps de la domination perse :

Cause de Tamoùn l’égyptienne, esclave de Kinabu-balat, fils de Kamus-sar-usur, entreprise au nom de Kinabu-balat, fils de Kamus-sar-usur, et qui est l’objet du procès. Lakipi, fils de Musé, l’avait empruntée, puis le maître parla ainsi à Sinbitri, fils de Kamussar-usur : Tamoùn est mon esclave ; pour une mine d’argent, selon la loi de Kinabu-balat, fils de Taauth-simki, je me dessaisis d’elle en la faveur, mais jusqu’au mois de doùz (juillet) en faveur de Lapiki. Voici la décision et la sentence de Kinabu-balat, fils de Taauth-simki : Le maître amènera Tamoùn, contre l’argent de ses déboursés, et la donnera à Sinbitri, fils de Kamus-sar-usur ; il l’émancipera selon la décision et la sentence de Kinabu-balat, et la subordonnera à Sinbitri. Tamoùn attendra, comme esclave de Lakipi, en sa puissance, jusqu’au terme fixé par la décision et la sentence. Tamoùn restera intacte, et ne donnera pas de progéniture à Lakipi. Lakipi donnera à Sinbitri, en dehors de sa future épouse, une dot que le juge aura adjugée à Sinbitri. Gislu, Cils de Zikarya, se porte garant, en face de Lahipi, que celui-ci rie sera pas inquiété jusqu’au mois de doùz. Gislu livrera Tamoùn à Sinbitri au mois de Nisan (de l’année prochaine).

Ont signé par leurs noms

Samas-sar-usur, fils de Kalbaï,

Abdhammon, fils d’Abdinrelel : (nom phénicien),

Nabumonab, fils de Nabu-ah-usur, gardien de la pyramide (?),

Bel-ah-idirr, fils de Narriya,

Alardulc-nasir, qui a écrit ceci, fils d’Ana-ahe-ibni (?)...

Fait à Babylone, le 29 nisan de l’an 6 de Cambyse, roi de Babylone, roi des nations.

M. Oppert joint à ces traductions l’explication suivante :

Le maître de Tamoùn l’a louée ou prêtée à Lakipi, taudis que Sinbitri, son frère, veut l’épouser. Il vend donc sa captive à son frère, moyennant une mine d’argent ; niais par ce fait, il place Lakipi dans la nécessité de rendre l’objet du prêt. Il est alors convenu que le maître fera passer la propriété de l’esclave à Sinbitri, mais à la condition que Lakipi garde encore chez lui l’esclave comme sa servante, jusqu’au mois de doùz (juin-juillet). En contre, Lakipi donnera un cadeau à la servante, que doit épouser Sinbitri. Des conditions particulières sont stipulées à l’égard de Tamoùn, qui doit rester intacte ; pour vérifier ce fait, et pour mettre Lakipi à l’abri d’un reproche quelconque, un garant la prendra pendant neuf mois, jusqu’au mois de Nisan (avril prochain). Cinq témoins attestent la réalité des faits énoncés.

On peut regarder l’acte dont il s’agit ici comme un contrat passé devant un juge faisant acte de juridiction gracieuse. Un savant juriste, M. Thiercelin, se plaçant spécialement au point de vue juridique, récapitule comme il suit les résultats acquis au droit assyrien par cette pièce curieuse :

1° L’esclavage existait à Babylone comme institution, de même que chez toutes les nations de l’antiquité ;

2° L’esclave pouvait être vendu ou seulement loué ;

3° La translation de propriété ne résultait pas de la seule volonté exprimée par le propriétaire ou maître ; elle requérait certaines formes analogues à celles de la mancipatio romaine ;

4° Une chose mancipée conférait sans cloute immédiatement un droit réel à l’acquéreur, de telle sorte que si cette chose avait auparavant fait l’objet d’un louage ou d’un prêt, le locataire ou l’emprunteur ne pouvait élever de prétention sur la chose ;

5° Le louage était résoluble par l’aliénation de la chose louée faite par le propriétaire ;

6° Le cautionnement était pratiqué à Babylone ;

7° Le séquestre conventionnel y était connu ;

8° Les étrangers, oit au moins certains étrangers, étaient admis comme témoins dans les actes de droit ;

9° Les magistrats exerçaient à la fois la juridiction contentieuse et la juridiction gracieuse ;

10° Les transports des créances ou délégations étaient dans la pratique de la vie civile[58].

On a prétendu que les Romains attachaient parfois au cou de leurs esclaves de petites plaques de bronze portant le nom du propriétaire, de telle sorte qu’on pût au besoin saisir partout le fugitif et le rendre à son maître. Les musées possèdent effectivement de ces plaques de bronze qui étaient, peut-être, des plaques de simples colliers de chiens plutôt que des plaques d’esclaves. Quoi qu’il en soit, ce qui reste encore douteux pour les Romains ne saurait plus faire question pour les Assyriens. On a découvert dans les ruines du palais de Sargon dix-sept petites olives en briques, percées d’un trou, sur lesquelles sont inscrits des noms de femmes avec l’indication du trafic dont elles ont été l’objet : on constate ainsi que ce sont des Babyloniennes emmenées en Assyrie après l’expédition de Sargon contre Marduk-pal-iddiu ; voici le libellé de deux de ces textes :

Femme Halat, acquise par Marnarih, au mois de sebat, de la onzième année de Marduk-pal-iddin, roi de Babylone.

Fille Ekinu, acquise par Hamkanu, au mois de sebat de la dixième année de Marduk-pal-iddin, roi de Babylone.

De tels monuments se passent de commentaire : pour l’Assyrien, l’esclave était tout au plus un animal domestique.

 

§ 7. — INDUSTRIE ET COMMERCE

Assise au pied du massif des montagnes arméniennes, au point ou le Tigre devient un grand fleuve navigable et sur la limite d’une des plaines les plus vastes et les plus fertiles du monde, Ninive était un centre merveilleux de commerce et d’industrie, où aboutissaient les produits de la plaine et des pays chauds en même temps que les fruits des montagnes et des régions glacées. L’extension prodigieuse de cette grande capitale s’explique par l’admirable situation de son emplacement et la fertilité des contrées dont elle se trouvait environnée. La nature a ainsi créé sur divers points du sol terrestre certains sites privilégiés, qui deviennent des capitales nécessaires, des entrepôts qui ne sauraient ne point exister : Ninive détruite est, de nos jours, et malgré la mort de l’Orient, remplacée par Mossoul qui végète, malgré tout, au milieu de l’immense désert.

La vie commerciale de Ninive s’explique eu partie par les productions du sol de la Haute-.1lésopotamie. Nous savons déjà qu’on trouve con Assyrie le bitume, la naphte, le pétrole, le soufre, l’alun, le sel. Nous avons dit ailleurs que la pierre a bâtir de bonne qualité, la pierre à chaux, l’albâtre, le grès se rencontrent dans les montagnes au nord de Ninive, tandis que les roches de basalte du mont Masius sont dures comme le granit. A côté du beau marbre des montagnes du Kurdistan, on extrayait le fer, le plomb, l’argent, l’antimoine et même l’or et l’étain. Il y a encore actuellement, à Argana-Maaden, près de Diarbekr, des mines de cuivre qui suffisent à la consommation de l’empire ottoman. Ces richesses minéralogiques affluaient à Ninive, d’où elles partaient pour descendre le Tigre et atteindre Babylone par les canaux qui rejoignaient l’Euphrate.

L’autre pôle du commerce mésopotamien était Babylone, remplacée aujourd’hui par Bagdad. Plus peut-être encore que Ninive, la capitale de la Chaldée était naturellement appelée, par sa situation géographique, à une grande prospérité commerciale. Placée au point de jonction de la haute Asie et de l’Asie inférieure, à portée des deux grands fleuves qui la mettaient en communication avec le golfe Persique et la mer des Indes, elle devait être de bonne heure l’entrepôt des caravanes de l’Orient et de l’Occident, et en même temps le rendez-vous des navigateurs venus des parages de l’Afrique, de l’Arabie et de l’Inde. Tout atteste, en effet, que cette ville fut, dès la plus haute antiquité, l’un des principaux centres du commerce de l’Orient.

Babylone recevait les productions des différentes contrées de l’Asie et vendait en retour à celles-ci les produits de son industrie particulière. Parmi les objets qu’elle fabriquait en grande quantité dans ses nombreuses manufactures, les tissus de laine et de lin occupaient le principal rang. Les robes et les tapis n’étaient tissés nulle part avec une plus grande finesse et de plus vives couleurs qu’à Babylone. Ces manufactures si renommées ne se trouvaient pas seulement dans la capitale de l’empire, mais encore dans d’autres villes et bourgs de la Babylonie. Suivant Diodore de Sicile, il y avait sur les bords de l’Euphrate et du Tigre un grand nombre d’entrepôts destinés à recevoir soit les produits du pays, soit ceux des contrées étrangères. Au temps de Strabon, les plus importantes manufactures de lin étaient à Borsippa, alors de nouveau distincte de Babylone. Outre les robes et les tapis, les Babyloniens confectionnaient aussi avec beaucoup d’art et de soin des objets de luxe, tels que des armes ciselées, des meubles, des bijoux, des amulettes, des cylindres de pierre dure gravés en creux pour servir de cachets.

En échange de ces objets, Babylone recevait des diverses contrées de l’Asie tous les produits nécessaires aux besoins et au luxe d’une grande capitale. L’Arménie lui envoyait ses vins par l’Euphrate, dont Hérodote a décrit la navigation d’une manière si intéressante. L’Inde lui fournissait des pierres précieuses et ses grands chiens, dont le goût était si répandu en Babylonie et en Perse, que Tritantémis, satrape de Babylone sous les Achéménides, avait consacré à l’entretien de ces animaux quatre villes ou bourgades de son gouvernement, et qu’il avait, en retour, exempté ces villes de tout autre tribut. De ce pays, ainsi que de la Perse, venaient aussi des étoffes de laine d’un grand prix. De l’Arabie et de l’Éthiopie, on lui apportait les parfums, les épices, l’or, l’ivoire, l’ébène, le grès, la basalte, l’ambre gris avec lequel on fabriquait des colliers, des talismans et des bijoux de toutes formes.

Babylone était en communication avec les différentes régions qui lui fournissaient leurs produits, par plusieurs grandes routes auxquelles elle servait de point de jonction. L’une de ces routes, partant de Babylone même, se dirigeait au nord, passait par Ecbatane, capitale de la Médie, puis, se prolongeant à l’est, traversait la ville de Ragae, franchissait le fameux défilé des Portes Caspiennes, d’où elle descendait dans l’Hyrcanie, et de là se rendait par Hécatompylos jusqu’à la ville qui fut appelée plus tard Alexandrie d’Arie. Là, elle se divisait en deux branches, dont l’une prenait la direction du nord vers la Bactriane et l’autre inclinait vers le sud, conduisant dans l’Inde par la Drangiane et l’Arachosie, en passant par les villes de Prophthasia, d’Arachotos et d’Ortospana. Dans ce dernier endroit, elle se divisait encore en trois chemins, et c’est pour cela qu’il est appelé par les géographes anciens le trivium, de la Bactriane. Le premier chemin, se dirigeant à l’est et en droite ligne, s’avançait dans l’Inde en Traversant les villes de Peucéla (Pouschkalavati) et de Taxila (Takchaçila). De Taxila, la roule tournant au sud, traversait l’Hydaspe (Vitastâ), l’Hyphase (Vipaça), et de là allait jusqu’au confluent du Gange et du Jomanès (Yamouna), à Palibolhra (Patalipoutra). La seconde voie, partie d’Ortospana, arrivait au même terme en traversant l’Arachosie ; la troisième, remontant au nord, entrait dans la Bactriane et se continuait par Marachanda, jusqu’au Iaxarte.

Une autre route mettait Babylone en relation avec les pays riverains de la Méditerranée. Elle se dirigeait droit au nord dans la Mésopotamie, arrivait à l’Euphrate, près d’Anthémusia, et de là tournait à l’ouest vers la mer. Une dernière route gagnait d’abord Suse, remontait au nord, en traversant l’Assyrie, vers l’Arménie, dont elle empruntait la partie méridionale, franchissait l’Euphrate, parcourait là Cilicie et entrait, par le défilé des Portes Ciliciennes, dans la Cappadoce. De là elle se rendait en Phrygie et aboutissait à Sardes, dans la Lydie. Sur toute cette route il y avait, dit Hérodote qui l’avait parcourue en grande partie, des maisons royales ou stations qui servaient à loger les voyageurs avec toute leur suite. C’étaient les caravansérails d’aujourd’hui. On comptait, ajoute l’historien grec, onze cents stations depuis Sardes jusqu’à Suse. Cette route que dut prendre Memnon lorsque, suivant la légende homérique, il vint de Suse avec ses Ethiopiens, au secours de Troie, est encore celle que suivent maintenant les caravanes qui partent de Smyrne pour Ispahan.

L’Euphrate et le Tigre étaient les voies naturelles du commerce que Babylone entretenait avec l’Arménie et les pays du Caucase. De grands travaux avaient été entrepris en vue de faciliter la navigation du Tigre ; des digues avaient été élevées pour contenir ses eaux et lei empêcher de se répandre dans l’intérieur des terres ; des canaux sillonnaient le pays dans tous les sens et portaient partout la fécondité, ou faisaient communiquer entre eux les divers cantons de la Mésopotamie. Quelques-uns de ces canaux, entre autres le canal royal ou Naharmalcha, étaient si larges et si profonds, qu’ils pouvaient porter des navires marchands. Au moyen de ces dérivations nombreuses, on avait ralenti le cours du fleuve et brisé son impétuosité. Ce système de canalisation avait encore un autre but : il aidait a la défense du pays contre les invasions des peuples voisins.

La capitale de l’empire possédait aussi, au temps de sa prospérité, une puissante marine ; ses vaisseaux allaient chercher, à travers le golfe Persique, les denrées précieuses du midi, les produits de l’Arabie et de l’Inde. Si l’on en croit Strabon, les Babyloniens avaient des comptoirs, des colonies dans ces parages ; et Gerrha, un des plus riches entrepôts du monde, était, suivant le célèbre géographe, une colonie de Chaldéens. Les perles si riches et si abondantes du golfe Persique, les magnifiques plantations de l’île de Tylos, ne pouvaient manquer d’attirer leurs marchands. De cette île provenaient les cannes légères si fort recherchées dans toute l’Assyrie. Enfin, il n’est peut-être pas téméraire de dire que les grandes statues de pierre du roi Gudea ont, été amenées de la côte de l’Égypte ou de la presqu’île du Sinaï sur des embarcations chaldéennes qui auraient fait le tour de la presqu’île arabique tout entière. C’est ainsi que les denrées et les produits de l’Asie et de l’Afrique affluaient à Babylone, et que de là ils se répandaient dans toutes les parties de l’empire.

L’industrie n’était pas moins développée chez les Chaldéens et chez les Assyriens que l’agriculture et la navigation. Ici encore, au moins pour certaines fabrications, les Assyriens avaient été précédés par les Babyloniens et en avaient suivi les enseignements. Les étoffes d’Assyrie, aux couleurs éclatantes, étaient célèbres, dans tout le monde antique, par la beauté de leurs teintures et surtout par les merveilleuses broderies de figures humaines ou symboliques, de processions d’animaux, de symboles divins, de fleurs, qui les couvraient. Dans les sculptures assyriennes tous les personnages importants, le roi et les dieux les premiers, ont des vêtements entièrement décorés de ces fameuses broderies, et nous pouvons juger par là de ce qu’était leur splendeur ; ce sont elles qui, apportées par le commerce, ont servi souvent de prototypes à la décoration des plus anciens vases peints de la Grèce.

N’est-on pas émerveillé quand on regarde avec soin les broderies du manteau du roi ou des grands seigneurs, que le ciseau du sculpteur a si finement rendus ? Toute cette ornementation empruntée au règne végétal, au règne animal, à ki, réalité et à la fable, révèle une habileté de main et un goût exquis de la part des femmes qui brodaient ces riches vêtements durant les longues heures de repos du harem. L’histoire, la mythologie, la botanique, la zoologie réelle ou fantastique sont exploitées avec une inimitable perfection, et nous devons prendre à la lettré ce que nous racontent les auteurs anciens relativement aux merveilleuses tapisseries qui décoraient les chambres des palais. Dans la salle dit festin donné par Assuérus, il y avait, suivant le livre d’Esther[59] des tentures de bleu céleste, de vert et d’hyacinthe reliées par des cordons de fin lin et d’écarlate à des anneaux d’argent et à. des colonnes de marbre. Les lits étaient d’or et d’argent, sur un pavé formé de carreaux de porphyre, d’albâtre, de marbre blanc rehaussé de dessins variés. Les Perses, en succédant aux Chaldéens, avaient conservé leurs palais, leurs usages et vivaient même de leur industrie. Dans la description d’un tableau représentant les aventures de Thémistocle, Philostrate l’Ancien dit encore en parlant des Babyloniens : Nous ne louerons pas le peintre d’avoir imité la tiare, la calasiris, le candys et les bêtes fantastiques de toute sorte que les Barbares brodent, sur les étoffes, mais bien pour ces fils d’or habilement mêlés au tissu et disposés suivant des formes qu’ils ne sauraient plus perdre. Un historien de la tapisserie, M. Eugène Müntz[60] à qui nous empruntons cette citation, ajoute : L’habileté des tapissiers babyloniens égalait la magnificence des compositions qu’ils traduisaient sur le métier, la richesse des matières qu’ils mettaient en œuvre. Pline n’hésite pas à revendiquer pour eux l’honneur d’avoir porté le plus loin l’art de fondre les couleurs dans le tissu, et il ajoute qu’ils ont dia à leur supériorité d’avoir donné leur nom à ce genre d’ouvrage. En effet, les mots de tapisseries babyloniennes, babylonica peristromata, reviennent à chaque instant sous la plume des poètes latins qui n’ont pas assez d’éloges pour les célébrer. Les amateurs de Rome achetaient ces tentures au poids de l’or. Metellus Scipion dépensa 800.000 sesterces (168.000 fr.) pour des triclinaria babylonica ; Néron paya pour ces mêmes étoffes une somme encore plus élevée : quatre millions de sesterces  (840.000 fr.). Ainsi l’Orient qui est, jusqu’à nos jours, demeuré la terre classique de l’industrie de la broderie et de la tapisserie n’a fait que perpétuer les traditions que lui léguèrent en mourant l’Assyrie et la Chaldée.

Aucune nation ne poussa plus loin que le peuple assyro-chaldéen le développement de ce que nous appelons aujourd’hui les arts industriels. Arrêtez-vous à contempler ces meubles sculptés, ces chaises dont tous les contours et les extrémités représentent des têtes ou des pattes d’animaux, ces manches de couteaux en forme de quadrupèdes allongés et accroupis, ces vases qui ressemblent à des mufles de lion, ces sceptres et ces bâtons d’ivoire ; ces fourreaux et ces poignées de glaives, où un art ingénieux a su interpréter la nature, l’histoire, la mythologie, sans l’affectation de recherche, sans la lourdeur et la complication raffinée qui sont les marques évidentes de l’impuissance et de la décadence. Il n’est pas jusqu’à l’art de travailler le cuir, la sellerie et la cordonnerie, qui n’ait été poussé à un degré que jamais peuple n’a dépassé. Voyez, dans le palais de Sargon, ce char attelé de quatre superbes coursiers alignés de front[61] ; l’enharnachement des chevaux est d’une incomparable richesse. Une bande de cuir traversant le poitrail et attachée sur le garrot, est ornée d’une double rangée de glands terminés par des perles. Une autre bande brodée descend du sommet de la tête et soutient, sous la mâchoire, un gland formé de trois houppes superposées et également ornées de grelots. Au-dessus de la tête s’élève tut superbe panache à triplé aigrette. La têtière est décorée de rosaces, et au-dessus des yeux du cheval, il y a un bandeau formé d’écailles imbriquées et se joignant à la têtière par un double gland. Il n’est pas jusqu’à la courroie qui soutient le mors et celles qui passe sur le nez, qui ne soient rehaussées de rosaces et de passementeries multicolores.

Le travail des métaux était non moins perfectionné que celui des étoffes et du cuir, dans les ateliers de l’Assyrie et de la Chaldée. On a recueilli à Khorsabad des poutres de cèdre enveloppées de feuilles de bronze superposées en imbrication les unes sur les autres, de façon à simuler le trotte d’un palmier ; des fragments de bronze doré et ciselé, des lames d’or et d’argent qui serraient de revêtements et qu’on a recueillis dans les ruines, attestent qu’aucun des secrets de la métallurgie n’était ignoré des Assyro-Chaldéens. Ou connaissait l’art de la damasquinerie qui rendit si célèbres au moyen âge les ateliers de Damas et de Bagdad ; on savait repousser, incruster, émailler ; la verrerie et la glyptique comptaient parmi les principales industries de la Chaldée. Manipulant avec une dextérité admirable les matières les plus dures comme les plus malléables, les ouvriers d’Assurbanipal et de Nabuchodonosor fouillaient avec leur ciseau tout aussi bien le jaspe et le cristal que le gypse, le grès ou le basalte ; ils pétrissaient et cuisaient l’argile pour en fabriquer des briques ou des vases dont la pâte était plus ou moins fine suivant l’usage auquel ils étaient destinés. C’est ainsi que les grandes urnes funéraires étaient faites d’une pâte grossière, tandis que les cylindres à inscriptions sont d’un grain très fin qui leur donne la consistance de la pierre ; de même les briques destinées au pavement ou à certains revêtements spéciaux sont d’une solidité à toute épreuve, tandis que celles des terre-pleins des édifices sont simplement cuites au soleil.

Les bas-reliefs nous montrent la grande place que tenaient les meubles incrustés ou revêtus de métal dans le mobilier des palais. Le Musée Britannique possède un très beau trône de bronze, trouvé au palais de Kalah, dans une salle dont les bas-reliefs représentaient le roi Assurnazirpal assis sur un siège semblable. On employait, dans la décoration des salles, de longues frises composées de feuilles de bronze travaillées au repoussé et représentant des figures d’animaux ou de monstres fantastiques ; les poutres saillantes des plafonds étaient aussi souvent revêtues de feuilles de bronze du même genre. On exécutait en grand nombre des vases de bronze, d’argent ou d’or soigneusement ciselés et couverts de sujets ; ces pièces d’orfèvrerie assyrienne étaient portées très loin par le commerce. On voit par un passage des lettres de Thémistocle qu’elles étaient fort recherchées à Athènes au temps des guerres médiques, et l’on en a trouvé jusque dans les tombeaux de l’Étrurie.

Les Assyriens employaient les outils de fer et d’acier, niais ils ne paraissent pas les avoir fabriqués eux-mêmes. Sans doute ils les tiraient des provinces voisines du Caucase, où la métallurgie de l’acier par les Chalybes remontait aux âges les plus primitifs de l’humanité. Ce n’étaient pas, du reste, les seuls produits manufacturés d’un usage habituel chez eux qu’ils dussent au commerce étranger. Les étoffes teintes en pourpre ou en azur leur venaient de la Phénicie, ainsi qu’une partie des verreries ; les mousselines diaphanes, de l’Égypte. Tous les ivoires sculptés que l’on a jusqu’à présent exhumés des ruines des palais assyriens, où on les employait en grand nombre à l’ornementation des meubles, paraissent de travail phénicien. L’Assyrie, du reste, exportait dans les pays avec lesquels elle était en relations de commerce, autant de produits manufacturés qu’elle en importait. Si l’on a trouvé à Ninive un certain nombre d’objets évidemment fabriqués en Égypte, les sépultures des bords du Nil ont également fourni à leurs explorateurs des œuvres de l’industrie assyrienne, surtout de petits meubles en bois précieux et des objets en terre émaillée.

La céramique émaillée, produite par un tout autre procédé que celle de l’Égypte, au moyen d’une glaçure silico-alcaline appliquée sur l’argile ordinaire au lieu de l’être sur une fritte sableuse ; et susceptible de beaucoup plus d’applications variées, étaient en effet une des industries les plus florissantes et les plus développées dans la Mésopotamie, qui dès le temps de la XVIIIe dynastie égyptienne, acquittait une partie de son tribut au Pharaon eu produits de ce genre. Elle avait été créée par les Babyloniens, mais elle avait fini par n’être pas moins développée en Assyrie qu’en Chaldée. Les revêtements de murailles en briques émaillées composant par leur réunion de véritables tableaux, scènes de guerre ou de chasse, images de divinités, processions d’animaux, étaient un des grands éléments de décoration dans l’architecture chaldéo-assyrienne ; Ctésias les décrit dans les palais de Babylone, le prophète Nahum dans ceux de Ninive, et on en a retrouvé des débris dans les édifices que l’on a fouillés, parti entièrement à Khorsabad. L’usage s’en est conservé traditionnellement depuis l’antiquité dans cette partie de l’Asie, car les carreaux émaillés sont encore aujourd’hui le principal ornement des palais et des mosquées de la Perse, et le moyen âge a produit en ce goure, à Ispahan, de véritables merveilles. N’est-il pas étonnant de constater qu’un grand nombre des industries variées des Chaldéens se soient conservées jusqu’à nos jours dans ce pays, sans cloute eu se dégradant de plus en plus et en laissant échapper lentement et un à un tous les secrets du grand art de l’époque de Nabuchodonosor ? Un peu en amont de Bagdad, il existe un bourg appelé Imam Moussa, qui paraît formé des débris de vieilles corporations d’ouvriers chaldéens. Les habitants, raconte M. Oppert, sont très industrieux s’occupant de broderie, d’orfèvrerie et surtout de gravure eu pierre dure. Plusieurs artistes ont acquis une merveilleuse habileté ; aussi l’emploient-ils à la fabrication d’antiquités babyloniennes qu’ils vendent aux étrangers. J’ai vu quelques cylindres d’hématite qui n’étaient pas mal imités[62].

Des industries aussi développées, une navigation aussi étendue que celle que nous avons plus haut constatée, supposent une activité commerciale aussi grande que celle des villes actuelles de l’Europe les plus peuplées. L’industrie est la sœur du commerce : ce n’est que par le commerce que peuvent vivre des capitales aussi énormes que l’étaient Ninive et Babylone. Mais une question se dresse immédiatement devant nous, et notre curiosité éveillée se demande quelle était la base de ce commerce, par quels procédés se faisaient les échanges ; comment l’acquéreur s’acquittait-il de sa dette envers le vendeur ? Était-ce en nature comme dans les civilisations les plus rudimentaires, ou en lingots de métal qu’on évaluait au moyen de la balance, ou bien encore en espèces monnayées comme chez les peuples de l’antiquité classique et chez les modernes ?

De même qu’en Égypte et dans l’Asie antérieure, l’or, l’argent et le cuivre étaient, chez les Assyriens, l’étalon commun de la valeur des choses. Mais ni les Chaldéens, ni les Assyriens, pas plus que les autres civilisations orientales antérieures à la civilisation grecque, n’ont connu la monnaie. Les trois métaux qui seront chez les Lydiens et chez les commerçants de l’île d’Égine, les métaux monétaires dès le VIIe siècle avant notre ère, circulaient en lingots non monnayés, donnés et acceptés au poids, avec vérification à la balance, comme toute autre marchandise. Un court texte bilingue constate cet usage par ces mots : On pèse l’argent et on mesure le grain[63]. Cette manière de procéder marqua même son empreinte dans le langage : le même verbe, sagal, signifie à la fois peser et payer, et un texte grammatical renferme cette phrase : Pour un paiement en argent, on emploie le verbe madad, qui signifie mesurer. Le métal le plus fréquemment employé dans les transactions commerciales, était l’argent : c’est lui qui était le véritable régulateur de la valeur des matières du négoce.

Le système pondéral chaldéo-assyrien avait pour unité inférieure un sicle de 3 gr. 415, dont 60 faisaient une mine, 60 mines formant à leur tour nu talent. C’est d’après ce système qu’invariablement on mesurait l’or, et d’après l’étalon du sicle de 8 gr. 415, de ses multiples ou de ses divisions, que l’on taillait les lingots de ce métal destinés à servir aux échanges. On mesurait fréquemment l’argent au même poids que l’or, surtout quand il s’agissait de grandes quantités, comptées par mines ou par talents. Mais plus souvent, pour les petites sommes, on mesurait l’argent sur un poids différent de celui de l’or, avec un sicle particulier, de 11 gr. 22, de manière à avoir entre le sicle d’or et le sicle d’argent un rapport exprimable en nombres entiers, facilitant ainsi les calculs, tandis que le rapport de valeur, à poids égal, entre l’or et l’argent, était :: 1 : 13 1/3. Ce sicle de 11 gr. était du reste 145 par rapport à la mine pondérale ordinaire, appliquée dans beaucoup de cas, ainsi que nous venons de le dire, a la mesure de l’argent aussi bien qu’à celle de l’or ; tandis que le sicle pondéral du commerce, identique au sicle de l’or, en était 1/60. En outre, une part des lingots d’argent existant dans la circulation de l’Assyrie et de Babylone, ceux qui venaient des contrées de l’ouest, étaient taillés sur le pied du sicle d’argent syrien de 14 gr. 53, dont 15 équivalaient à 2 sicles d’or chaldéo-babyloniens ; 50 de ces sicles formaient la mine syrienne que les documents assyriens appellent mine de Karkémis.

Il ne semble pas que les petits lingots d’or et d’argent, fabriqués pour les échanges en Assyrie et en Babylonie, eussent la forme d’anneaux, adoptée dans les pays de Syrie aux temps de la prépondérance militaire égyptienne. En effet, nous ne voyons jamais employer pour les désigner une expression qui éveille les notions de cercle ou d’anneau. Le signe idéographique qui désigne le sicle dans l’écriture cunéiforme, a comme sens originaire celui de masse, globe ; ceci donne l’idée de quelque. chose d’analogue aux lingots de forme ovoïde légèrement aplatie que nous rencontrons à l’origine du monnayage de la Lydie.

Il faut pourtant constater, au point de vue du mécanisme des échanges et de la circulation commerciale, dans la civilisation que nous révèlent les documents assyriens du IXe au VIIe siècle, un progrès considérables sur l’état de choses antérieur. Mais il ne consiste pas dans l’emploi d’une véritable monnaie ; il repose dans le développement des moyens de représentation fiduciaire de valeurs métalliques, fondée sur le crédit des négociants, dans un emploi des ressources que fournissent à cet égard les contrats de prêt et de change, en un mot dans un système déjà fort avancé de papier de commerce, s’il est permis de se servir ici de cette expression. C’est la seule que fournisse noire langue et l’analogie des usages modernes ; mais en même temps elle est tout à fait impropre quand il s’agit des obligations ou des chèques du commerce assyrien, dont un bon nombre ont traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous. Ln effet, ce n’est pas sur une espèce de papier quelconque que sont tracés ces documents. Conformément aux habitudes particulières de la civilisation euphratique en ce qui concernait l’écriture et son excipient, ils ont été écrits sur de petites galettes quadrilatères d’argile, dont la forme et les dimensions rappellent assez nos pains de savons de toilette. Le texte y a été inscrit sur la terre molle, puis le gâteau d’argile a été mis au four de manière à devenir inaltérable et indestructible.

Les documents auxquels nous faisons allusion se ramènent à cinq types principaux pour chacun desquels nous produirons un exemple.

1. - Obligation simple.

Quatre mines d’argent au poids de Karkémis

(créance) de Nergal-sar-ussur

sur Nabu-zikir-iddin, fils de Nabu-ram-napisti,

de Dur-Sarkin,

à 5 sicles d’argent d’intérêt mensuel.

Le 26 aïru, éponymie de Gabbar (667 avant J.-C.)

Suivent les noms des témoins.

Telle est la forme que l’on donnait en Assyrie au chirographe, rédigé par devant témoins, qui constituait le titre du créancier sur le débiteur et dont la remise à ce dernier constatait sa libération. Comme dans tous les contrats chaldéo-assyriens, le dominus negotii, qui est ici le prêteur, le vendeur dans les actes de vente, le propriétaire dans les contrats de louage, est nommé le premier. C’est une obligation de ce genre que Tobie envoie son fils toucher chez Gabel.

2. - Obligation ou mandat du créancier sur le débiteur à courte échéance, avec clause pénale en cas de non-paiement :

Deux talents de cuivre, pesés avec des poids qui ont la forme de têtes d’Istar.

(créance) de Mannu-ki-Arbaïl

sur Samas-ahi-crib

Celui-ci payera au mois d’abu. En cas de non-paiement, du tiers

(la dette) s’accroîtra.

Le 11 sivan, éponymie de Baubâ (676 avant J.-C.)

Suivent les noms des témoins. L’échéance ici est à 79 jours.

3. - Obligation garantie par une créance sur un tiers, sur qui l’on aura recours en cas de non-paiement :

Sept sicles d’argent

(créance) de Marduk-pal-ussur, fils de Mitia,

sur Marduk-pal-ussur, fils de Segua,

qui (a créance) sur Rimut-Nabu, fils de Itilitia,

fils d’Ilanitabni.

Marduk-pal-ussur payera au, mois de douz

sept sicles d’argent,

plus trois journées de travail pour les intérêts,

En cas de non-paiement par lui,

la créance sera à faire valoir

sur Nabu-ah-idin et Rimut-Nabu,

qui devront acquitter solidairement.

Uruk, le 22 adar,

l’an II de Cyrus, roi de Babylone.

Suivent les noms des témoins.

Le prêt est fait, dans cet exemple, pour 128 jours.

4. - Obligation portant délégation à un tiers du droit de toucher la créance :

Trois mines d’argent

(créance) de Ibbanabal, fils de Pallai, fils de Zupe-Bel,

sur Samas-ah-iddin, fils de Mitia.

Il payera les intérêts, montant à 40 sicles d’argent ;

au mois de sivan.

Mitiga, fils de Beltabnirar, touchera

les trois mines.

Uruk, le 22 adar,

de l’année de l’avènement de Nabonid,

roi de Babylone.

Suivent les noms des témoins. Le payement des intérêts doit avoir lieu, par avance, soixante-huit jours après la date de l’obligation : le premier remboursement d’une mine, au bout de deux cent dix jours, et le second, de deux mines, au bout de trois cent huit.

Jusqu’ici, rien qui sorte des variétés naturelles de la simple obligation, de celles qui ont été admises chez tous les peuples ; rien qui suffise à justifier ce que nous avons dit plus haut des progrès consommés par les Assyriens et les Babyloniens en matière de crédit et de change. Il n’en sera plus de même avec le cinquième type.

5. - Mandat de payement tiré d’un lieu sur un autre :

Quatre mines quinze sicles d’argent

(créance de) Ardu-Nana, fils de Yakin,

sur Marduk-pal-ussur, fils de Marduk-balat-irib,

dans la ville d’Uruk.

Marduk-balat-irib payera

au mois de tebet

quatre mines quinze sicles d’argent

à Bel-pal-iddin, fils de Sinnaïd.

Ur, le 14 arah-samma,

l’an II de Nabonid,

roi de Babylone.

Suivent les noms des témoins.

Le mandat est à soixante-seize jours de date. Il constitue incontestablement une lettre de change encore imparfaite dans sa forme, mais en remplissant toutes les conditions essentielles, On a établi, d’après un plaidoyer d’Isocrate, que le commerce attique avait connu et mis en pratique une sorte de lettre de change ou de chèque : elle devait être fort analogue à celle dont nous constatons l’existence dans la civilisation chaldéo-assyrienne. Pourtant ce que dit Isocrate ne laisse entrevoir dans le contrat de change athénien aucune trace de l’intervention des témoins, qui interviennent ici à la création de l’acte, sans doute pour attester l’identité du tireur. Cette précaution particulière était nécessaire en Assyrie et à Babylone, avec un mode d’écriture qui ne permettait pas l’existence d’autographes d’un caractère individuel et raisonnable ; peu de gens, d’ailleurs, savaient écrire, et la plupart du temps le tireur devait avoir besoin de recourir à un scribe pour faire libeller son mandat.

Le genre d’acte dont nous venons de citer un exemple portait, dans la langue juridique assyrienne, le nom de sipartu, proprement missive, de la racine sapar, envoyer, qui indique essentiellement la notion de remise d’un lieu sur un autre. Dans un recueil de très antiques formules juridiques dans les deux langues suméro-accadienne et assyrienne, nous lisons : la sipartunon payéequi reste à envoyercontre argent il l’a échangée. Nous apprenons ainsi que ces mandats d’un lieu sur un autre étaient négociables, par la formule même consacrée pour l’acte qui constatait cette négociation ; elle devait, en effet, nécessairement s’opérer par un instrument spécial, puisqu’une impossibilité matérielle empêchait qu’on eût l’idée de la faire par un endossement, rien ne pouvant plus s’ajouter au mandat sur argile après la cuisson de la terre.

C’est sans doute pour faciliter la négociation de l’effet à un tiers, que, dans quelques-uns de ceux qui sont parvenus jusqu’à nous, on ne nomme pas de personne chargée de toucher dans la ville habitée par le débiteur. En ce cas, bien évidemment, tout porteur avait le droit de réclamer le payement contre remise du mandat. En voici un exemple.

Vingt-cinq sicles d’argent,

(créance) de Bel-ah-crib, fils de Nabu-nasir,

sur Mukinga, fils de Nabu-ah-iddm,

dans la ville de Borsippa.

Celui-ci payera au mois de tasrit.

Cutha, le 11 abu,

l’an X de Nabuchodonosor,

roi de Babylone.

Suivent les noms des témoins.

Il est facile de juger, d’après ces exemples, ce qu’avait encore d’imparfait la forme de lettre de change usitée chez les Assyriens et les Babyloniens. Ainsi, nous n’entrevoyons aucune garantie contre la présentation indue d’un effet de ce genre, perdu ou volé, par quelqu’un qui n’aurait pas eu réellement, droit de le toucher. L’absence d’acceptation et d’endossement était également un grave inconvénient ; mais nous avons vu qu’on y remédiait en partie par le moyen d’un acte spécial constatant la négociation de l’effet et donnant, par suite, au preneur de la lettre de change, un moyen de recours contre le tireur, en cas de non-paiement.

A côté de tous ces contrats entre particuliers qui nous font connaître un si curieux côté des mœurs commerciales des Assyro-Chaldéens, nous avons encore quelques fragments des lois qui fixaient l’intérêt de l’argent :

L’intérêt peut être calculé à l’année,

l’intérêt peut être calculé au mois.

La redevance de la ville est d’un artaba de grain ;

la redevance de la ville est d’un as de grain.

L’intérêt de l’argent est ainsi fixé

L’intérêt d’une drachme est un sextuple.

L’intérêt de dix drachmes est rie deux drachmes :

L’intérêt d’une mine est douze drachmes.

Pour l’intérêt de son argent, il lui a donné en gage

Une maison, un champ, un verger, une esclave femelle, un esclave mille.

Ils ont échangé une maison contre de l’argent ;

Ils ont échangé un champ contre de l’argent ;

Ils ont échangé un verger contre de l’argent ;

Ils ont échangé une esclave femelle contre de l’argent ;

Ils ont échangé un esclave mâle contre de l’argent[64].

N’y a-t-il pas quelque chose de singulier, au premier abord, et de tout à fait inattendu dans cette constatation de l’existence de pareilles mœurs commerciales avant l’invention de la monnaie, quand les métaux servant d’instrument aux échanges et de commune mesure de la valeur des choses circulaient encore à l’état de simple marchandise ? Pourtant, si l’on réfléchit aux conditions particulières dans lesquelles s’opérait le commerce des Assyriens et des Babyloniens, on se rend compte de ce phénomène d’abord étrange, et l’on comprend les causes qui ont dû conduire ces peuples, de meilleure heure que les autres, à inventer le contrat de change. Le commerce de l’Assyrie et de Babylone était forcément, par suite de la situation géographique de ces contrées, un commerce de terre, qui se faisait par voie de caravanes et, dans presque toutes les directions, avait à traverser des déserts infestés de nomades pillards. Dans ces conditions, une des premières préoccupations des négociants a dû être la recherche des moyens d’éviter les transports lointains d’argent. Tout en faisait une loi : le caractère encombrant du numéraire métallique, le nombre des bêles de somme qui devenaient nécessaires pour en porter de grandes quantités, aussi bien que l’insécurité des routes. Aussi, dès qu’il y a eu un créancier et un débiteur aux deux extrémités d’une ligne de caravanes, l’idée première du contrat de change a dû germer dans l’esprit du créancier. Ceci est tellement vrai, que c’est le renouvellement des mêmes conditions qui l’a fait reparaître après un long oubli, aux débuts du moyen âge, alors que les Juifs et les négociants italiens, en présence des difficultés du transport du numéraire et des risques sans nombre auxquels il était exposé, ont réinventé la lettre de change, mais sous une forme plus parfaite, celle qui s’est transmise jusqu’à nous[65].

 

§ 8. - MŒURS ET COUTUMES

Il ne manque pas de textes Originaux ni de passages des historiens grecs, où l’on puisse recueillir des renseignements curieux sur les mœurs, les coutumes, le genre de vie du peuple chaldéo-assyrien. En les rapprochant et en les groupant, on est tout étonné de constater qu’il existe encore aujourd’hui, eu Orient, une foule d’usages analogues à ceux qui étaient en vigueur au temps d’un Assurbanipal ou d’un Nabuchodonosor : les noms et les gouvernements ont changé, mais les institutions sont restées les mêmes : la cour des puissants khalifes de Bagdad et de Damas, comme celle des sultans de Constantinople au temps de sa splendeur, devait ressembler à celle de Nabuchodonosor ; les bazars des villes de l’Orient perpétuent les traditions que leur ont léguées les bazars de Babylone, et il ne faudrait pas remonter bien haut dans l’histoire moderne pour rencontrer la hideuse plaie de l’esclavage telle qu’elle était dix siècles avant notre ère.

Quiconque a voyagé en Orient a remarqué, à l’entrée des principales villes, ces portes monumentales, richement décorées, et le long desquelles on a ménagé des renfoncements dans la muraille, voire même de véritables chambres, si bien que les portes de la ville ressemblent parfois à un grand bâtiment : c’est là, sous ces voûtes, à l’abri des feux ardents du soleil, que se réunissent non seulement les gardes et les soldats, mais des groupes nombreux d’habitants qui viennent s’entretenir des nouvelles du jour, discuter leurs affaires ou même simplement s’endormir dans cette douce oisiveté si chère à l’Oriental. C’est là aussi que dans les villes les moins accessibles à l’influence européenne, comme à Mossoul, le gouverneur de la ville se rend avec ses officiers pour rendre la justice. Victor Place raconte qu’il a vu souvent à Mossoul, sous la porte qui s’ouvre sur le Tigre, le gouverneur assis entouré de ses gens et rendait la justice. M. Layard raconte de même qu’à Semil, au nord de Mossoul, le chef des Yézidis rend la justice et règle les affaires de la tribu sous la grande porte voûtée de la ville. Est-il besoin de rappeler que c’est à cause d’un usage analogue qui existait anciennement à Constantinople au Vieux-Sérail, qu’on dit encore aujourd’hui la Porte ottomane, la sublime Porte, en parlant du gouvernement turc ? Qui pourrait dire si, comme l’a conjecturé M. G. Perrot[66], ce n’est pas en vertu d’une semblable coutume que Babylone avait reçu son nom de Bab-ilu, la porte du dieu ?

Toujours est-il que l’usage de se réunir à la porte des villes remonte au peuple assyrien. On gardait ainsi l’entrée de la citadelle ou du château royal pour prévenir toute surprise ; en même temps les solliciteurs, les mendiants attendaient le passage du prince ou de quelque personnage important ; les désœuvrés, et ils n’étaient pas rares, apprenaient les nouvelles ou se reposaient à l’ombre ; ceux que divisait la chicane ou qu’une injustice avait atteints dans leurs droits, soumettaient leur requête et s’inclinaient devant l’arrêt du monarque ou de l’un de ses ministres. Voilà pourquoi les portes extérieures des villes et des palais royaux sont ornées avec un luxe tout spécial, et pourquoi elles constituaient un véritable édifice dont la masse imposante ne doit plus nous étonner. A Khorsabad’, outre un avant-corps qui formait une saillie de vingt-cinq mètres sur le mur d’enceinte, il y avait plusieurs cours qui communiquaient entre elles par des galeries voûtées ; l’une de ces galeries a 85 mètres de longueur, et l’ensemble de la porte occupe une superficie de 7.000 mètres carrés. Si nous ne pouvons citer encore de texte cunéiforme se rapportant au rôle des grandes portes des villes et des palais comme lieu de réunion publique, remplaçant l’agora et le forum des Grecs et des Romains, du moins est-il facile d’invoquer le texte biblique qui relate des usages analogues dans certaines villes, dès la plus haute antiquité. Loth, le frère d’Abraham, était assis à l’une des portes de la ville de Sodome quand il reçut les deux anges de Jéhovah[67]. Héphron conclut un marché avec Abraham, à la porte de la ville d’Hébron[68]. Booz, dans l’histoire de Ruth, va s’asseoir à la porte de la ville avec dix vénérables vieillards[69]. Enfin, plusieurs scènes du drame sanglant qui se déroule dans le livre d’Esther entre le juif Mardochée et Aman, se passent sous la porte du palais d’Assuérus.

A l’entrée de ces grandes et belles portes de ville, on plaçait des monstres ailés qui étaient, il la fois les génies tutélaires de la cité et les protecteurs des populations qui venaient s’accroupir à leurs pieds : c’étaient comme les statues des dieux sur le forum. D’ailleurs, quand il construisait sa maison, le Chaldéen avait bien soin aussi d’invoquer les dieux, de chasser les mauvais esprits par toutes sortes de purifications, et d’invoquer les bons en leur consacrant la pierre angulaire de l’édifice, en jetant dans les fondations des amulettes, des images saintes, des inscriptions votives. Un texte s’exprime comme il suit

Il a fait parler l’oracle, et alors il a fabriqué la charpenté et construit le mur ; il a étendu horizontalement une poutre énorme... Il examine soigneusement la voûte, sur l’extrados... Il ne ménage point de porte dans la maçonnerie et ne met point de charpente par-dessus[70].

En pénétrant dans l’intérieur d’une maison assyrienne, nous y trouverons à la fois des usages identiques à ceux des Orientaux de nos jours, et d’autres usages qui s’en éloignent absolument et sont, au contraire, conformes aux habitudes de notre monde occidental. Ainsi, si nous constatons, par les bas-reliefs, que parfois les Assyriens s’étendaient sur leurs divans pour prendre leurs repas, il est aussi incontestable qu’ils s’asseyaient comme nous sur des fauteuils ou sur des tabourets et qu’ils mangeaient sur des tables. Ces tables et ces chaises sont décorées avec autant de goût que de richesse ; elles sont sculptées et présentent, comme motifs d’ornementation, des fleurs et des feuilles, des pattes et des gueules de lions et de divers animaux réels ou fantastiques. Un bas-relief de Nimroud représente quatre scènes de la vie domestique dans les quatre compartiments d’une forteresse[71]. Deux eunuques sont occupés à dépecer un animal égorgé et placé sur une table ; plus loin, un homme barbu, légèrement incliné devant une sorte de fourneau, tient une barre à la main et parait faire cuire des aliments ; un troisième alimente le feu sous des vases ronds placés sur des trépieds ; enfin, dans le dernier compartiment, il semble que deux eunuques, dont l’un est assis et l’autre debout devant une table, fassent les derniers préparatifs d’un festin. Sur d’autres sculptures, on voit des guerriers assyriens qui dépècent un taureau[72], ou bien même une scène d’écurie : un palefrenier panse un cheval, tandis qu’un peu plus loin trois autres chevaux mangent l’orge qu’on leur a versée dans une auge[73].

Les femmes, si l’on en juge par quelques sculptures, étaient vêtues d’une robe talaire, à manches courtes ; sur la tête, elles portaient souvent une sorte de voile qui, laissant le visage entièrement à découvert, retombait par derrière, sur le dos. On en voit qui allaitent leurs enfants, en se tenant à genoux, d’autres, qui les portent à califourchon sur leurs épaules[74]. Les nombreuses figurines de terre cuite qu’on a recueillies en Babylonie sont particulièrement intéressantes à cause clos renseignements qu’elles fournissent tant sur l’art chaldéen populaire que sur le costume aux temps les plus reculés de la civilisation babylonienne. Ce sont des hommes et des femmes debout, les hommes en robe longue, les femmes avec un long voile et une tunique serrée, souvent ornée de franges et de passementeries plus ou moins riches ou vulgaires ; elles ont les mains enlacées sur le devant du corps, dans l’attitude orientale du recueillement. L’une de ces statuettes de femme, type primordial de la déesse mère, est accroupie et porte sur son bras un enfant qu’elle allaite. D’autres fois, c’est une femme qui tient devant elle, à la fois par le goulot et par le fond, un vase à long col. M. Heuzey[75] a particulièrement signalé une figurine de jeune femme allaitant son enfant : La chevelure finement striée, dit ce savant, encadre le front d’une ligne d’ondulations presque imperceptibles, et tombe derrière les oreilles en deux masses de petites boucles... Il faut tourner la figure pour apercevoir la courbe du nez, légèrement arqué,... la découpure des lèvres retroussées et la vive saillie du menton sur les lignes plus molles qui arrondissent le galbe du visage.

Le costume du peuple ne différait guère de celui des esclaves. A Koyoundjik, on a trouvé des sculptures qui représentent des serviteurs assyriens portant des fruits, des vases et des ustensiles de toute nature. Ils ont tous la barbe tressée et frisée, les cheveux longs formant des touffes épaisses sur la nuque. Leur tunique sans manches et sans ornements est assujettie à la taille par une large ceinture ; ils ont les bras, les jambes et les pieds entièrement nus. Les uns portent sur l’épaule une outre de laquelle émergent des fleurs, d’autres supportent deux à deux, sur leurs épaules, une sorte de long plateau en bois sur lequel sont disposés des pains, des fruits et des comestibles variés, des oignons, des raisins, des pommes empilées dans des corbeilles. Ailleurs, ils tiennent des glanes d’oignon liés par la tige, des sauterelles alignées par rangs le long d’une baguette ; en voici un qui saisit par les ailes deux perdrix qui se débattent sous son étreinte ; celui qui le précèdent tient deux lièvres par les pattes de derrière. On en voit enfin qui élèvent des branches au-dessus de leur tête et portent en même temps des oignons dans des corbeilles[76]. Toute cette procession de serviteurs va sans doute placer sur l’autel d’un dieu favori, les offrandes du prince : une inscription de Nabuchodonosor énumère des sacrifices de cette nature. Les aliments qu’on déposait sur la table des dieux servaient de nourriture aux prêtres.

Nous sommes que très imparfaitement instruits sur la nourriture et les repas des Assyro-Chaldéens. Il est de toute évidence qu’ils se nourrissaient des produits du sol, du lait de leurs troupeaux, de la viande des animaux. Des bas-reliefs représentent des personnages mangeant des poissons : Hérodote fournit à ce sujet un fort curieux renseignement : Il existe parmi les Babyloniens, dit-il, trois tribus qui se nourrissent de rien autre chose que du poisson. Elles le pêchent, le font sécher au soleil, le jettent dans un mortier, le broient au pilon et le passent à l’étamine. Alors, celui qui en veut manger le pétrit comme de la pâle et le fait cuire de la même manière que le pain. Nous savons déjà que les Chaldéens fabriquent une espèce de pain, du vin, du vinaigre, du miel et des gâteaux avec les fruits du palmier. Ézéchiel donne d’autres détails sur l’art de la panification à Babylone : Prends du froment et de l’orge, dit-il, des fèves et des lentilles, et du millet, et de l’épeautre, et mets-les ensemble dans un vase et fais-en ton pain.

Comme tous les Orientaux, les Assyro-Babyloniens prenaient un soin extrême de leur barbe et de leurs cheveux qu’ils laissaient croître et tressaient d’une manière si singulière qu’on serait tenté d’en regarder la représentation comme conventionnelle. Des restes de peintures sur les bas-reliefs autorisent à penser que, selon l’usage universel des Orientaux, ils se teignaient les paupières en noir avec le khol ; ils portaient des colliers, des pendants d’oreilles et des bracelets généralement fort élégants et d’un goût exquis. Leur coiffure variait beaucoup. Tantôt ils ont simplement un large bandeau qui retient leurs longs cheveux ; tantôt, c’est une sorte de bonnet phrygien, formé par les enroulements étagés d’un turban en étoffe de laine. La tiare était réservée pour le roi, le grand vizir et les prêtres.

Le vêtement des Babyloniens, d’après le témoignage d’Hérodote et les représentations des cylindres, consistait en une chemise de lin qui descendait jusqu’aux pieds ; sur cette chemise, ils mettaient une tunique de laine assez longue, et par-dessus un manteau blanc.

Chaque Babylonien avait, pour établir son individualité, un bâton sur lequel devait être sculpté un emblème qu’il prenait comme symbole personnel, on pourrait dire comme armoirie. Chacun d’eux avait, en outre, un cachet ordinairement en forme de cylindre. Un très grand nombre de ces cylindres se sont conservés jusqu’à nous ; ils portent, avec des représentations mythologiques, le nom du possesseur, celui de son père et celui de la divinité sous la protection de laquelle il se mettait spécialement. On trouvait chez les marchands des cylindres tout faits, sur lesquels on n’avait plus qu’à inscrire les noms, et il en est où la place réservée à ces noms est restée blanche. Ces cylindres-cachets en pierre dure qui se portaient généralement suspendus au cou, servaient en même temps de talismans pour ‘détourner le mauvais œil et chasser les démons,

La richesse du costume variait naturellement suivait la fortune des individus, et quelquefois suivant leur métier ou leur profession ; mais le vêtement essentiel de tous, riches ou pauvres, fonctionnaires de la cour, soldats ou artisans, était la tunique sans manche, serrée à la taille ; par-dessus, les classes élevées passaient une seconde tunique qui descendait jusqu’aux pieds, enfin ils s’enveloppaient encore d’un grand manteau de laine blanche qui faisait l’office du burnous des Arabes de nos jours.

La musique était un des arts favoris des Babyloniens ; les bas-reliefs nous montrent souvent des groupes de musiciens étrangers qui exécutent un concert en présence du roi : ils sont généralement costumés de la tunique longue descendant jusqu’aux pieds ; leurs cheveux, ramenés en arrière, sont liés par un bandeau et coupés horizontalement sur la nuque. Ils ont plusieurs espèces dei harpes ; l’instrument à cordes, assez compliqué, qu’on appelle le nable ou asor, et dont jouent encore aujourd’hui les tziganes ; la tambourah, sorte de guitare à cordes pincées ; la flûte et la double flûte ; le tambourin ; les cymbales ; ils avaient des chœurs d’enfants qui paraissent s’accompagner du cliquetis des mains. Les représentations de musiciens sur les monuments de Ninive et de Babylone sont moins fréquentes qu’en Égypte et les instruments paraissent moins variés ; il semble aussi que la musique fût un art dévolu aux étrangers et aux esclaves : les riches Babyloniens entretenaient des esclaves musiciens, mais ils dédaignaient d’exécuter eux-mêmes.

Hérodote rapporte relativement aux Babyloniens, un certain nombre de coutumes singulières auxquelles on aurait de la peine à ajouter foi si elles n’émanaient d’une source aussi sérieuse et aussi grave. Voici, par exemple ce qu’il raconte au sujet des mariages :

Une fois par an, dans chaque village, toutes les vierges nubiles se rassemblaient, de sorte qu’on les vît ensemble ; alentour se tenait la foule des hommes. Un héraut appelait tour à tour les jeunes filles et les mettait en vente : d’abord la plus belle, ensuite, quand celle-ci avait trouvé beaucoup d’or et était adjugée, la seconde en beauté ; elles étaient toutes vendues, sous la condition du mariage. Or, tout ce qu’il y avait de riches Babyloniens cherchant à prendre femme, enchérissant les uns sur les autres, achetaient toutes celles qui excellaient par la beauté ; taudis que les gens du peuple qui désiraient aussi se marier, ne regardant point la beauté comme indispensable, prenaient les plus laides et avec elles de l’argent. Car, lorsque le héraut avait fini de vendre les belles, il faisait lever la plus laide, une difforme, s’il s’en trouvait dans le nombre, et il la mettait à l’enchère pour celui qui voudrait l’épouser et se contenter de la moindre dot ; enfin il l’adjugeait au moins exigeant. L’argent ainsi donné provenait des belles ; de cette manière les belles dotaient les laides et celles que la nature avait disgraciées. Nul n’avait, le droit d’accorder sa fille en mariage à qui lui convenait, ni d’emmener la fille achetée, à moins de fournir caution ; mais moyennant caution garantissant qu’on l’épouserait, on pouvait partir avec elle. Si les fiancés ne tombaient pas d’accord, la loi voulait que l’argent fût rendu. Il était permis aussi à celui qui était venu d’un autre village d’acheter, si telle était son intention. Certes, c’était chez eux une très belle coutume ; elle est tombée en désuétude ; mais ou a récemment imaginé un autre moyen de préserver les femmes des mauvais traitements et d’empêcher qu’on ne les emmène dans une autre cité : comme, depuis la prise de Babylone, ils sont tombés dans la misère, tous les gens du peuple qui n’ont pas de quoi vivre prostituent leurs filles.

Rien de semblable ne se constate aujourd’hui chez les Mendaïtes qui out pourtant, à tant de points de vue, conservé les usages chaldéens. Le jeune homme qui désire contracter mariage envoie demander à la jeune fille son consentement et celui de ses parents : ces derniers fixent la somme que doit payer le jeune homme. Le lendemain, plusieurs femmes, parentes du fiancé, portent à la demoiselle deux anneaux, l’un en or et l’autre eu argent, trois pièces d’or qui doivent orner sa coiffure, un panier de friandises et une certaine quantité de hinna pour se teindre les mains et les pieds. Les cérémonies des noces durent huit jours, et commencent par une double ablution dans le fleuve. Les futurs époux se rendent ensuite chez l’évêque mendaïte qui récite les prières liturgiques et demande solennellement le consentement des parties. On fait entrer l’époux sous la petite tente où sa femme est restée dissimulée tout le temps de la cérémonie ; l’évêque dit à la femme : Voici ton époux, auquel tu dois amour et obéissance ; il s’adresse ensuite à l’époux : Voici ta femme que tu dois nourrir avant de manger, que tu dois habiller avant de penser à t’habiller toi-même, et que tu dois toujours chercher à satisfaire. Des festins continuels accompagnent les cérémonies religieuses ; durant ces huit jours de noces, les époux sont considérés comme profanes, et des ablutions finales multipliées leur rendent la pureté d’un bon Mendaïte[77]. Derrière ces usages tout imprégnés d’influences arabe et chrétienne, il y a sans doute un vieux fond chaldéen qu’il n’était pas inutile de mettre en parallèle avec la relation anecdotique d’Hérodote. Le naïf historien fait encore l’incroyable récit que voici, relativement aux mœurs féminines :

La plus honteuse des lois de Babylone est celle-ci : toute femme indigène est obligée de s’asseoir une fois en sa vie dans le temple de Vénus, et de se livrer à un étranger. Plusieurs qui, fières de leurs richesses, dédaignent de se mêler aux autres femmes, se rendent au temple en char couvert, escortées d’une multitude de servantes ; la plupart agissent comme il suit : elles s’asseyent dans l’enclos sacré, la tête ceinte d’une corde ; elles sont là en grand nombre ; les unes entrent, les autres sortent. Elles laissent entre elles, de tous côtés, des chemins alignés que les étrangers parcourent, après quoi ils choisissent. Dès qu’une femme s’y est assise, elle ne retourne plus à sa maison avant qu’un étranger ait jeté sur ses genoux une pièce de monnaie et se soit uni avec elle hors du temple. En jetant cette pièce d’argent, il doit dire : J’invoque pour toi la déesse Mylitta. C’est le nom que les Assyriens donnent à Vénus. Quelque médiocre que soit leur présent, la femme ne doit pas le refuser : ce n’est pas permis, car cet argent est sacré. Elle suit le premier qui le lui jette, et ne dédaigne personne. Lorsqu’elle s’est livrée, elle a satisfait à la loi, à la déesse ; elle retourne en sa maison, et par la suite, quelque somme considérable que tu lui offres, tu ne la déciderais pas à se livrer à toi. Celles qui sont belles, grandes et bien faites, ne tardent pas à s’en aller. Les contrefaites attendent longtemps, faute de pouvoir accomplir la loi. On en a vu rester jusqu’à trois ou quatre ans. Il y a quelque part à Chypre une coutume qui se rapproche de celle-ci.

De semblables récits ne doivent évidemment être accueillis que sous la plus grande réserve. Hérodote partageait, au sujet des femmes de Babylone, les préjugés de Grecs de son temps ; il rapporte ce qu’on lui a raconté, car les femmes des Chaldéens, renfermées dans les harems, n’étaient pas visibles, et cette séquestration permettait à l’imagination des étrangers de forger des romans plus ou moins singuliers qui prenaient vite la consistance de bruits publics. Le mystérieux fascine l’esprit, et nous sommes nous-mêmes encore enclins à ajouter foi aux contes les plus étranges qu’on débite sur la vie des femmes arabes dans l’intérieur des harems.

Une autre coutume non moins bizarre, mais plus vraisemblable que la précédente, est celle qui concerne les malades : Les Chaldéens, dit Hérodote, transportent les malades sur la place du marché ; car ils n’emploient pas de médecins. Le passant donc s’approche du malade et le questionne sur le mal dont il est atteint, pour savoir si lui-même en a souffert ou s’il a vu quelque autre en souffrir. Tous ceux qui vont et viennent confèrent avec lui et lui conseillent le remède qui les a guéris de cette même maladie, ou qui, à leur connaissance, en a guéri d’autres qu’eux-mêmes. Il n’est permis à personne de passer en silence devant un malade, sans l’interroger sur son mal. Les Chaldéo-Assyriens n’avaient pas de médecins publics, ou plutôt, comme nous le verrons ailleurs, leurs médecins n’étaient autres que les devins et les enchanteurs qui mêlaient à leurs sortilèges, pour guérir les malades, des recettes de thérapeutique efficace et appuyée sur l’expérience.

Nous devons maintenant rapporter quelques usages relatifs à la navigation et qui sont consignés à la fois dans Hérodote et sur les bas-reliefs des palais. On voit souvent sur ces sculptures des hommes qui nagent soit en agitant les bras, soit à l’aide d’outres gonflées qu’ils se placent sous la poitrine pour empêcher la submersion. Ce dernier mode de natation, employé par ceux de l’armée assyrienne qui étaient trop pesamment armés ou qui étaient inhabiles à nager sans aucun secours, est encore mis en usage de nos jours par les populations mésopotamiennes. Les Arabes attaquent même leur ennemi, en nageant de la sorte, la lance à la main, le fusil au bras[78]. Nous recueillons dans le récit d’un voyageur moderne, le passage suivant, singulièrement significatif : Je vois passer sur le fleuve plusieurs hommes qui nagent eu embrassant une grosse outre gonflée, qui leur tient lieu des deux vessies indispensables de nos apprentis nageurs. Leurs vêtements, roulés en un paquet, couvrent leurs têtes comme un gros turban : ils ne se couvrent que d’un court caleçon de cotonnade bleue, le reste du corps est nu. Arrivé à terre, le nageur remet son abaïa, charge son outre ou ses deux outres sur son épaule et va son chemin[79].

La navigation actuelle sur le Tigre et l’Euphrate a également conservé les usages qu’avaient inventés l’activité ingénieuse des Chaldéens : Les barques des Babyloniens, dit Hérodote, sont rondes et toutes de cuir, car, lorsqu’ils en ont façonné les côtes, en taillant des saules qui croissent en Arménie, au-dessus de l’Assyrie, ils étendent tout autour, extérieurement, des peaux apprêtées, de sorte qu’elles forment le fond, sans distinguer la poupe, sans rétrécir la proue. Ces barques sont circulaires comme des boucliers ; ils les doublent en dedans de roseaux, puis ils partent et font leurs transports en descendant le fleuve. Leur chargement consiste en marchandises diverses et surtout en vases de terre pleins de vin de palmier. Deux hommes, se tenant debout, dirigent la barque avec chacun une perche ; l’un retire la sienne pendant que son compagnon pousse l’autre jusqu’au fond de l’eau. On construit sur ce modèle de grandes et de petites barques. Les plus vastes reçoivent une cargaison du poids de cinq mille talents. Chacune porte un âne vivant, et les grandes, plusieurs. Lorsqu’en naviguant elles sont arrivées à Babylone et que les mariniers ont disposé du fret, ils vendent à l’encan les roseaux et la carcasse ; puis ils chargent les peaux sur les ânes et s’en retournent par terre en Arménie, car il est impossible de remonter en barque le cours du fleuve à cause de sa rapidité. C’est pour cela qu’ils ne font point leurs bateaux en bois, mais en cuir. Lorsque les conducteurs des ânes sont de retour en Arménie, ils se remettent de construire leurs bateaux par le même procédé. Telle est la navigation de l’Euphrate.

Ce qu’avait si bien observé Hérodote, peut encore se vérifier de nos jours ; rien ne change dans l’immobile Orient, et il est curieux de comparer au récit d’Hérodote la relation des voyageurs modernes. M. Oppert qui eut à expérimenter la navigation du Tigre, la décrit comme il suit :

Voici, dit-il, comment on arrange ces radeaux : on gonfle une quantité de peaux de bouc ou de chèvre, on les soue-lie fortement, on les goudronne, et on les attache alors à une sorte de natte de palmier ; on les y place généralement de manière à ce que la disposition forme un carré ou un rectangle peu allongé. Notre keleh se composa ainsi rte vingt rangs d’outres de quinze chacun. Quand on les a disposées de cette manière, et qu’on les ajoute au moyen d’une natte quadrangulaire, on les charge de pièces de bois posées eu travers, que l’on recouvre de poutres, rangées en sens opposé, et qui forment le pont du radeau. Notre keleh avait dix mètres de longueur sur sept de large. Au milieu, se trouvait un carré de deux mètres de côté ; sur chacun des côtés, il y avait un de nos quatre lits eu bois, et couverts d’un feutre très épais et imperméable à la pluie. Le feutre était bombé comme pour former un berceau, et fermé du côté extérieur, mais ouvert vers l’intérieur, c’est-à-dire vers l’espace carré, pour qu’on y pût entrer. Tout ce qui était autour de ces quatre berceaux, qui formaient un carré de quatre mètres de côté environ, était à la disposition de nos gens, et on y mettait nos bagages. Ainsi, dans le sens de la largeur, il y avait de chaque côté un rebord d’un mètre et demi, où couchaient les hommes qui devaient nous protéger contre les attaques que nous pouvions redouter de la part des Arabes. A chaque extrémité du radeau, où restait de chaque côté un emplacement de trois mètres de largeur sur sept de longueur, étaient installés nos bagages, la cuisine, la place des deux kelekdjis, ou rameurs, et les couches de nos gens. Les rameurs ne dirigent pas, car le kelek tourne continuellement, et on le laisse dériver à la grâce de Dieu et du fleuve ; tantôt on est tourné vers la droite et tantôt, sans qu’on ait besoin de changer de place, on regarde la gauche, en avant, en arrière. Le devoir du rameur est donc de veiller à la conservation du véhicule, ainsi que de le, préserver des chocs, et de prévenir immédiatement toute avarie qui pourrait résulter de la rupture ou du dégonflement des outres. Le radeau irait bien seul, s’il n’était pas aussi chargé ; mais les outres ont, comme cela s’entend de soi-même, pour but de pouvoir décupler le poids de l’embarcation. Pourtant, la rupture de quelques peaux pourrait déterminer la perte du radeau, surtout si celles-ci étaient endommagées plus fortement d’un côté. Pour prévenir un tel désastre, on a des outres de rechange, et les kelekdjis se chargent même de les placer immédiatement en faisant amarrer le radeau pendant quelque temps. On s’expose à un danger sérieux en s’approchant trop du bord du fleuve, car les cailloux et surtout les arbrisseaux crèvent parfois une rangée d’outres, et le péril est d’autant plus redoutable que les eaux du Tigre ont une rapidité très grande en plusieurs endroits. A la hauteur de Mossoul, il est déjà très impétueux[80].

Un autre voyageur, M. Guillaume Lejean, fournit des détails non moins intéressants sur la navigation des bateaux appelés kéleks, sur le Tigre. Un marchand qui va de Diarbekr à Mossoul ou même jusqu’à Bagdad, fabrique un radeau dont les madriers reposent sur une série d’outres gonflées, en nombre proportionné au poids que le radeau doit supporter. Sur le plancher du bateau, il entasse ses marchandises, et dresse, au milieu des ballots, un abri en planches ou une simple tente pour lui-même ou pour quelque passager de distinction : puis, il part en se laissant aller an fil de l’eau, et ne s’arrêtant ordinairement que la nuit, à l’endroit où le coucher du soleil le surprend. Il n’y a guère que les voyageurs pressés qui naviguent la nuit. Arrivé à destination, le kelek est dépecé, les peaux dégonflées sont reprises par le batelier arménien qui retourne chez lui, par terre, à dos de chameau, non sans avoir vendu le bois de son radeau fort avantageusement, car si le bois est bon marché dans le haut du fleuve, il est cher à Mossoul et plus encore à Bagdad[81]. Ainsi devait-il en être exactement, aussi bien du temps des rois d’Agadé, et d’Ellassar qu’à l’époque d’Assurbanipal et de Nabuchodonosor, et de très anciens bas-reliefs nous offrent l’image de radeaux construits par le même procédé.

Il faut dire pourtant que toutes les barques babyloniennes n’avaient pas la simplicité primitive de celles qu’avait observées Hérodote. Plusieurs bas-reliefs assyriens représentent des scènes de navigation où les embarcations sont sculptées avec titi soin qui lève toute incertitude sur leur forme et leur grandeur. Celles qu’on voit sur une sculpture du palais de Sargon[82], particulièrement, sont toutes de mêmes proportions et de même aspect, sauf quelques-unes qui se distinguent des autres en ce qu’elles sont surmontées d’un mât portant une hune. L’avant et l’arrière, vigoureusement arrondis, se terminent à la proue par une tête de cheval marin à écaille imbriquée et élégamment sculptée, et à la poupe par un élargissement en forme d’éventail qui, d’après Botta, simule une queue de poisson. Le mât, quand il y en a un, est soutenu par deux étais attachés d’une part à la queue de poisson, de l’autre à la tête de cheval ; les hunes sont ou arrondies ou carrées. Il n’y a pas plus de quatre ou cinq rameurs sur chaque embarcation ; l’extrémité de leurs avirons, qui plonge dans l’eau, est recourbée et aplatie ; on n’aperçoit pas le gouvernail qui, cependant, devait exister.

Il est vrai que les barques que nous venons de décrire sont peut-être des embarcations phéniciennes, dont Sargon s’était emparé lors de son expédition contre Tyr ou dans l’île de Chypre. Cependant, on les voit pour la plupart, chargées de poutres équarries qui doivent servir à installer des machines de guerre sous les murs d’une citadelle qu’on va assiéger ; ces poutres sont en grande partie amoncelées sur l’embarcation ; le surplus, attaché à l’étambot au moyen d’une corde, flotte à la traîne. Toutes, sans exception, sont percées, à l’une de leurs extrémités, d’un trou par lequel passe la corde qui les rattache au bateau. Or, chose singulière, fait remarquer Botta, les pièces de bois qui arrivent aujourd’hui à Mossoul des montagnes du Kurdistan, sont percées de la même manière à l’une de leurs extrémités, d’un trou dans lequel on passe une corde pour les traîner à travers les forêts, jusqu’au lieu où l’on en forme des radeaux qui descendent le Tigre.

 

 

 



[1] Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, séance du 12 septembre 1881.

[2] Itinéraire de Paris à Jérusalem, t. I, p. 421.

[3] Isaïe, XXXIII, 19.

[4] Layard, Monuments of Nineveh, 2e série, pl. 12.

[5] Perrot et Chipiez, l’Art dans l’antiquité, t. II, p. 571.

[6] Menant, La Bibliothèque du palais de Ninive, p. 73-74.

[7] Traduction de M. Ch. Boscawen, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. I, p. 107.

[8] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 130 et suiv., cf. Les origines de l’Histoire, t. I, p. 519.

[9] Perrot et Chipiez, Hist. de l’art dans l’Antiquité, t. II, p. 440.

[10] Daniel, V, 29.

[11] Daniel, II, 2.

[12] Voyez la liste des limmu, dans l’Hist. anc. de l’Orient, t. IV, appendice 5. Cf. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, t. IV, p. 41 (4e édit. 1885).

[13] V. Fr. Delitzsch, Assyrische Studien, p. 434.

[14] Isaïe, XX, 1.

[15] Voyez Butta, Le Monument de Ninive, texte, p. 127.

[16] W. A. I., II, pl. 31, n° 5.

[17] Isaïe, V, 26-30.

[18] Piètrement, Les chevaux dans les temps préhistoriques et historiques, p. 11 et p. 408.

[19] Layard, Monuments of Nineveh, Deuxième série, pl. 20.

[20] Botta, Le Monument de Ninive, texte, p. 124.

[21] Botta, Le Monument de Ninive, texte, p. 120.

[22] Dureau de la Malle, Mémoire sur la poliorcétique assyrienne, dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, t. XVIII, 1849, p. 400.

[23] Isaïe, XXXVI, 1, et XXXVII, 33.

[24] Antiq. jud., lib. X, ch. VIII, 1.

[25] Ézéchiel, IV, 2 ; XXI, 22 ; XXVI, 9.

[26] Cf. Baumgartner, Le prophète Habakuk (Leipzig, 1885), p. 73.

[27] Le Koran, trad. Kasimirski, Surates, II, 59 ; V, 73 ; XXII, 17.

[28] N. Siouffi, Études sur la religion des Soubbas, p. 158.

[29] N. Siouffi, Notice sur le cheich ‘Adi et les Yezidis, dans le Journal asiatique, août-sept. 1882 et janvier 1885. CF. Layard, Niveneh and Babylon, passim.

[30] G. Lejean, Voyage dans la Babylonie, dans le Tour du Monde, 2e semestre de 1867, p. 94.

[31] L’abbé Martin, Discours de Jacques de Saroug, dans le t. XXIX de la Zeitschrift der deutschen Morgenl. Gesellschaft.

[32] Voir à ce sujet l’important ouvrage de Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabismus (Saint-Pétersbourg, 2 vol. in-8°), t. I, p. 142.

[33] Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabismus (Saint-Pétersbourg, 2 vol. in-8°), t. I, p. 403.

[34] Chwolsohn, Die Ssabier und der Ssabismus (Saint-Pétersbourg, 2 vol. in-8°), t. I, p. 436.

[35] Strabon, XVI, 3, 10.

[36] Strabon, XVI, 1, 5.

[37] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p, 17.

[38] Cf. J. Menant, La Bibliothèque du palais de Ninive, p. 68.

[39] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 18

[40] Oppert et Ménant, Documents juridiques de l’Assyrie et de la Chaldée, p. 122.

[41] Zeitschrift zur Keitschriftforschung, 1884, p. 45 et suiv.

[42] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 24.

[43] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 167.

[44] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 70.

[45] Isaïe, XXXVI, 16, 17 ; II Rois, XXXI, 32.

[46] II Rois, XVII, 24 et suiv.

[47] Jérémie, XXIX, 4-7.

[48] Layard, Monuments, 2e série, pl. 14.

[49] Layard, Monuments, 2e série, pl. 12.

[50] Layard, Monuments, 2e série, pl. 19.

[51] Layard, Monuments, 2e série, pl. 10, 11, 12, 15, 18 et 19.

[52] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 61.

[53] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 169.

[54] WAI., III, pl. 46, n° 1. Cf. Oppert et Ménant, Documents juridiques, p. 201.

[55] Oppert et Ménant, Documents juridiques, p. 182.

[56] Oppert et Ménant, Documents juridiques, p. 223.

[57] Oppert et Ménant, Documents juridiques, p. 212.

[58] H. Thiercelin, dans la Revue archéologique, 1870, t. XXI.

[59] Esther, I, 6.

[60] Eug. Müntz, La tapisserie, p. 22.

[61] Botta, Le Monument de Ninive, texte, p. 91.

[62] Oppert, Expédition scientifique de Mésopotamie, t. I, p. 130.

[63] Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 5.

[64] J. Menant, La Bibliothèque du palais de Ninive, p. 68 et suiv. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 6.

[65] Voir Fr. Lenormant, La monnaie dans l’antiquité, t. I, p. 110 et suiv.

[66] Histoire de l’art dans l’antiquité, t. II, p. 487-488.

[67] Genèse, XIX, 4.

[68] Genèse, XXIII, 10.

[69] Ruth, IV, 1 et 2.

[70] Fr. Lenormant, Études accadiennes, t. III, p. 19.

[71] H. Layard, Monuments, 1re série, pl. 30.

[72] Layard, Monuments, 1re série, pl. 76.

[73] Layard, Monuments, 1re série, pl. 30

[74] Layard, Monuments, 1re série, pl. 58, 66, 71.

[75] Catalogue des terres cuites du musée du Louvre, cf. Revue archéologique, 1880, t. XXXIX, p. 1 et suiv.

[76] Layard, Monuments, 1re série, pl. 8 et 9.

[77] N. Siouffi, Études sur la religion des Soubbas, p. 105 et suiv.

[78] Oppert, Expédition scientifique en Mésopotamie, t. I, p. 81.

[79] G. Lejean, dans le Tour du Monde, 2e semestre, 1867, p. 50.

[80] Oppert, Expédition scientifique en Mésopotamie, t. I, p. 80-81.

[81] Tour du monde, 2e semestre de 1867, p. 49.

[82] Botta, Le monument de Ninive, texte, p. 99.