Texte numérisé par Marc Szwajcer
§ 1. — LE PAYS ET SON FLEUVE L’Égypte est cette contrée, allongée du sud au nord, qui occupe l’angle nord-est de l’Afrique, ou, comme disaient les anciens, de la Libye, là où elle communique avec l’Asie par l’isthme de Suez. L’Égypte est bornée au nord par la Méditerranée, à l’est par l’isthme et la mer Rouge, au sud par la Nubie, que le Nil traverse avant d’entrer en Égypte aux cataractes de Syène, à l’ouest enfin par des déserts parsemés de quelques oasis, ou terres habitables fertilisées par des fontaines. Le désert s’étend jusqu’auprès de la mer, au nord-ouest de l’Égypte, comme dans les parages de la mer Rouge. Mais de plus il pénètre dans l’intérieur de l’Égypte elle-même. Tout ce qui n’est pas arrosé par les inondations annuelles du Nil est inhabitable et ne produit ni moissons, ni légumes, ni arbres, ni herbe même. L’eau ne s’y rencontre point : tout au plus trouve-t-on, de loin en loin, quelques puits, plus ou moins exposés à tarir sous une atmosphère constamment embrasée. Dans la Haute-Égypte ou Égypte méridionale, la pluie est un phénomène extrêmement rare ; des sables ou des rochers occupent tout le sol, excepté la vallée du Nil, vallée qui, jusqu’à là bifurcation du fleuve, c’est-à-dire dans plus des trois-quarts de la longueur de l’Égypte, ne dépasse pas une largeur moyenne de quatre ou cinq lieues, Et en certains cantons, elle est bien loin d’atteindre cette largeur. L’Égypte n’est donc en réalité qu’une longue oasis traversant le désert africain, une étroite bande de terre végétale allongée sur les deux rives du fleuve, qui la pourvoit de l’humidité nécessaire à la végétation. C’est avec toute raison qu’Hérodote a dit : L’Égypte entière est un présent du Nil. Si le fleuve était supprimé, rien ne viendrait rompre l’aride uniformité du désert ; en détournant le cours supérieur du Nil, on anéantirait l’Égypte. L’idée en est venue à un empereur d’Abyssinie, qui vivait au XIIIe siècle, et plus tard au Portugais Albuquerque. En effet, le Nil, dans toute la partie inférieure dé son cours, offre cette particularité remarquable qu’il ne reçoit aucun affluent, et qu’à rencontre de tous les fleuves, au lieu d’augmenter en avançant, il diminue, car il alimente les canaux de dérivation, et rien ne lui rend ce qu’il perd ainsi. Descendu du bassin des grands lacs équatoriaux où se rassemblent les eaux provenant des hautes chaînes de montagnes neigeuses qui bordent, au sud et à l’est, le plateau de l’Afrique centrale, le Nil court d’abord dans la direction du nord au travers d’immenses savanes entrecoupées de bois et de marais, où il reçoit sur sa rive gauche le tribut de nombreuses rivières. Il en sort pour tourner vers l’est et prendre un moment son cours comme s’il voulait se jeter dans la mer Rouge ; mais un massif de montagnes infranchissables l’arrête bientôt, et il se redresse vers le nord. Il longe alors le pied occidental des montagnes de l’Abyssinie, dont le Bahr-el-Azràq ou Fleuve Bleu et le Takazzé, s’unissant successivement à lui sur sa droite, lui apportent les eaux. C’est à dater de ce point qu’il n’a plus un seul affluent. En rencontrant l’extrémité est du plateau du Sahara, le cours qu’il s’y creuse péniblement devient tortueux. Quatre fois des rapides l’interrompent et le ralentissent en l’étageant. C’est en sortant de la dernière de ces cataractes (que l’on qualifie ordinairement de première, parce qu’on les compte en remontant à partir de la mer), qu’il entre dans l’Égypte proprement dite. Sur toute l’étendue de cette contrée fameuse, la vallée du Nil est resserrée entre deux chaînes de montagnes, nommées Arabique à l’est et Libyque à l’ouest. Ces montagnes, surtout dans le sud, se rapprochent quelquefois jusqu’à former de véritables défilés. Le plus remarquable est celui de la Khennou des temps pharaoniques, la Silsilis des Grecs et des Romains, aujourd’hui Gebel-Selseleh, où, jusqu’à une époque postérieure aux premiers établissements humains dans la contrée, il y eut un puissant barrage naturel, graduellement usé et renversé par le fleuve, qui formait primitivement, dans toute la partie delà vallée qui s’étend de là jusqu’à Syène, un bassin où les eaux étaient maintenues à un niveau beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui. Sur des points qui appartiennent aujourd’hui au désert, on a reconnu des terrasses d’alluvions fluviales de cette époque, maintenant recouvertes par les sables, et on y a recueilli des débris de l’âge de la pierre. Dans l’Égypte moyenne, à quelque distance au-dessus de l’emplacement de Memphis, la chaîne Libyque s’interrompt et laisse place à un district fertile d’une certaine étendue, arrosé par les dérivations du fleuve et par un lac, que l’on appelle aujourd’hui le Fayoum et qui constitue comme une sorte d’oasis occidentale, s’ouvrant sur la vallée principale. L’Égypte commence donc à prendre sur ce point une certaine largeur. Un peu au-dessous de la ville du Caire, capitale actuelle du pays, située non loin des restes de Memphis, le Nil se partage en deux branches, dont l’une, celle de Rosette, se dirige au nord-ouest, et l’autre, celle de Damiette, au nord, puis au nord-ouest. C’est ce qu’on appelait autrefois les branches Bolbitine et Phatnitique ou Bucolique. Dans l’antiquité, elles n’avaient pas la même importance qu’aujourd’hui. Les trois bras principaux du fleuve dans son cours inférieur, qui se séparaient au village de Cercasore et divergeaient jusqu’à ce qu’ils atteignissent la mer, étaient : la branche Canopique, la plus occidentale de toutes, qui longeait les derniers versants du désert de Libye ; la Pélusiaque, qui tournait au nord-est et se terminait sur les confins du désert de Syrie ; enfin la Sébennytique, branche centrale, tracée dans le prolongement de la vallée supérieure, qui courait presque droit vers le nord. Un grand nombre de canaux secondaires découpaient le pays compris entre ces trois branches principales du fleuve ; les uns étaient naturels, les autres artificiels. Quelques-uns tombaient directement dans la nier et portaient le nombre des bouches du Nil à sept et même à quatorze, suivant les époques. Car dans toute cette région, dont le terrain est très peu solide et profondément détrempé, le cours naturel ou artificiel des eaux a beaucoup changé dans la durée des âges et change encore souvent. En dehors des trois principales que nous avons indiquées tout à l’heure, les branches les plus importantes du Nil inférieur étaient aux temps classiques : la Bolbiline (aujourd’hui branche de Rosette) détachée à l’est de la Canopique, et qu’Hérodote tient pour être de création artificielle ; la Phatnitique, la Mendésienne et la Tanitique, que nous énumérons dans l’ordre de leur situation d’ouest en est ; elles étaient entre le bras Sébennytique et le bras Pélusiaque du fleuve, et s’embranchaient sur le premier. Tous ces canaux, entre lesquels le fleuve se divisait, avaient reçu leurs noms de villes situées auprès de leurs embouchures. Le Nil forme, près de la mer, plusieurs grandes lagunes, fermées par des langues de terre ou de sable, et communiquant avec la Méditerranée par des coupures. Les principales sont actuellement : le lac Menzaleh, à l’est, qui ne s’est formé que depuis l’antiquité, à l’issue des branches Tanitique et Mendésienne ; le lac Bourlos, contenant l’ancien lac de Bouto, dans la partie centrale de la côte, et tenant à la mer par un reste de l’ancienne branche Sébennytique ; enfin à l’ouest, près de la fameuse Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand au lieu déjà, plus anciennement habité qui portait le nom de Rakoti, le lac appelé par les anciens Maréotis. De très grands changements se sont, du reste, opérés dans ces lagunes du bord de la mer depuis les temps classiques et bien plus encore depuis les temps pharaoniques. En général les terrains envahis par les eaux y sont aujourd’hui notablement plus étendus qu’ils n’étaient à l’époque de la civilisation indigène de l’Égypte. Ceci tient à un mouvement d’affaissement du sol, lent et presque insensible, mais pourtant incontestable dans ses effets, qui se produit sur tout le littoral égyptien de la Méditerranée, tandis que, par contre, le terrain se relève graduellement dans la partie de l’isthme de Suez qui touche à la mer Rouge. Le plafond du canal ptolémaïque qui mettait les Lacs Amers en communication avec cette dernière mer, est désormais remonté au-dessus du niveau des eaux de celle-ci. En revanche, sur le rivage d’Alexandrie on voit, assez descendus vers la Méditerranée pour être, envahis par ses flots, des tombeaux de l’époque hellénique, qui la dominaient à l’époque où ils ont été taillés dans le roc. L’espace compris entre les branches les plus éloignées du Nil inférieur constitué ce que les Grecs ont appelé le, Delta, par suite de sa forme presque exactement triangulaire, qui le leur avait fait comparer à une des lettres de leur alphabet. C’est une plaine de 23.000 kilomètres carrés de superficie, dont la fertilité est inouïe. Primitivement, avant l’aurore des temps historiques, tout l’emplacement de ce delta était occupé par les eaux de la mer. Les vagues de la Méditerranée venaient baigner le pied du plateau couvert de sable sur le bord duquel s’élèvent les Pyramides, et le Nil terminait son cours un peu au nord de ce qui fut plus tard le site de Memphis. Graduellement et à la longue, les massés de matières terreuses réduites en limon que le fleuve apporte avec lui, surtout clans certaines saisons, des montagnes de l’Abyssinie, n’étant pas dispersées, comme aux estuaires des fleuves de l’Océan, par le mouvement des marées, encombrèrent de bancs de vase tout le fond du golfe, qui pénétrait ainsi jusqu’à Memphis. A la ligne de rencontre de ces bancs de vase fluviale avec les sables apportés par les vagues de la mer, il se forma un premier cordon littoral de dunes, dont on peut suivre encore aujourd’hui les traces au travers du Delta actuel, vers la hauteur de l’antique Ha-to-her-ab, l’Athribis des Grecs. Ce cordon littoral délimita le premier terrain que remplirent les alluvions du fleuve et qui se consolida par un progrès successif. Une fois qu’il l’eut conquis sur la mer, le Nil poussa plus loin ses entreprises, dont la nature faisait seule tous les frais. De nouveaux envasements se produisirent, s’étendirent et s’élevèrent avec le cours des siècles en avant du premier cordon littoral, qui se trouva désormais compris dans l’intérieur des terres. Une nouvelle chaîne de dunes se forma bien plus loin dans le nord, là où elle est encore aujourd’hui, déterminant un nouvel espace où devait se continuer librement et sans obstacle le remplissage des bas-fonds par les apports de limon du fleuve. Tout le golfe fut ainsi comblé peu h peu, par un travail incessant, qui progressait d’année en année et de siècle-en siècle. Où il n’y avait eu d’abord que la mer, on vit sortir des eaux de grandes plaines marécageuses, entrecoupées d’étangs, à travers lesquelles les divers bras du Nil se frayaient un passage. Toujours enrichi de nouveaux dépôts, le sol se consolida d’époque en époque ; les étangs se comblèrent et se restreignirent à leur tour, jusqu’au jour où la civilisation put s’asseoir sur ce sol créé par le fleuve et où la main de l’homme acheva d’affermir l’œuvre de la nature en la régularisant. Les prêtres, qui connaissaient par tradition l’état primitif du pays, dit M. Maspero, croyaient pouvoir déterminer avec certitude l’espace de temps qui avait suffi au fleuve pour accomplir ce travail. Ils racontaient à Hérodote que Menés (Mena), le premier des rois de race humaine, avait trouvé l’Égypte presque entière plongée sous les eaux : la mer pénétrait jusqu’au delà de l’emplacement de Memphis, en pleine Heptanomide, et le reste du pays, moins le nome de Thèbes, n’était qu’un marais malsain. Ils se trompaient étrangement dans leur appréciation, Le Nil, soumis à des débordements annuels, abandonne la plus- grande partie des matières qu’il charrie sur les campagnes riveraines, et s’appauvrit de plus en plus à mesure qu’il avarice ; il n’arrive à la mer que dépouillé du gros de ses alluvions. C’est à peine si les plages basses qui sont en voie de formation au débouché des branches Canopique et Sébennytique s’accroissent, bon an mal an, l’une de quatorze hectares, l’autre de seize ; c’est une moyenne d’un mètre de progrès annuel pour tout le front du Delta. En s’appuyant sur ces données, on a pu calculer que, dans les conditions actuelles, il aurait fallu environ 740 siècles au Nil pour combler son estuaire. Sans accepter aucunement ce chiffre dont l’exagération paraît évidente, car la marche progressive des boues était plus rapide autrefois qu’elle ne l’est aujourd’hui dans ces contrées[1], on n’en sera pas moins forcé de conclure que les prêtres ne soupçonnaient guère l’âge réel de leur pays. Le Delta existait depuis longtemps déjà à l’avènement de Mena ; peut-être même était-il entièrement terminé à l’époque où la race égyptienne mit pour la première fois le pied dans la vallée qui devint sa demeure. La nature toute particulière du sol de l’Égypte, formé exclusivement parles alluvions du fleuve et chaque année envahi pendant plusieurs mois par ses eaux, détermine une végétation spéciale, qui ne ressemble à celle d’aucun autre des pays touchant à la Méditerranée. Les arbres y sont singulièrement rares et surtout se réduisent à un très petit nombre d’espèces spontanées, comme le sycomore et plusieurs sortes d’acacias et de mimosas. Deux espèces de palmiers, le dattier et le doum (Cucifera thebaica), ce dernier spécial à la haute Égypte, prospèrent aussi dans le pays presque sans culture. Quelques arbres fruitiers, apportés de l’extérieur, ont été aussi acclimatés dans les jardins de l’Égypte dès une très haute antiquité : le grenadier, le tamarinier, l’abricotier, le figuier et le perséa. Mais aucune des grandes essences forestières de l’Europe ou de l’Asie antérieure n’y pousse spontanément et n’a pu, à aucune époque, y être naturalisée. En revanche, la végétation herbacée annuelle y prend une vigueur et un développement inconnus partout ailleurs. Le millet ou dourah, par exemple, la canne à sucre, le ricin, y parviennent en une seule saison à une hauteur de 3 et 4 mètres. Toutes les espèces de céréales y réussissent et y produisent avec une abondance inouïe ; mais le manque absolu de phosphate de chaux dans le sol y donne au grain un goût désagréable, qui maintient le blé d’Égypte à un prix très inférieur sur les marchés étrangers. Par contre, les graines des légumineuses comestibles, presque toutes indigènes dans la contrée, vesce, lupin, fève, pois chiche, lentille, y sont d’une qualité exquise. La vigne était cultivée antiquement dans quelques cantons de l’Égypte, mais son territoire demeurait des plus restreints, et encore plus celui où l’on était parvenu, à planter l’olivier avec succès. Quant à la végétation aquatique, elle est exubérante et contribue à donner à l’aspect du pays son caractère propre. Les plantes d’eau ne se voient guère le long des berges du Nil, où la profondeur du fleuve et la force de son courant ne leur permettraient pas de croître en paix ; mais les canaux secondaires et dormants, les étangs et les mares que l’inondation périodique laisse derrière elle en se retirant, en sont partout encombrés. Les noms de deux de ces plantes, le papyrus et le lotus, sont surtout connus en Europe, à cause du rôle qu’elles jouent dans la religion, l’histoire, la littérature sacrée et profane de l’Égypte. Le papyrus, dit M. Maspero, se plaisait dans les eaux paresseuses du Delta et devint l’emblème mystique de cette région ; le lotus, au contraire, fut choisi pour symbole de la Thébaïde. Il y avait plusieurs espèces de lotus : le blanc et le bleu, comme leurs proches congénères les nénuphars de nos eaux, développent après leur fleur des capsules ressemblant par leur forme à des têtes de pavots et remplies d’une multitude de petites graines de la grosseur de celles du millet. Le lotus rosé, Nelumbium speciosum des botanistes, ne se rencontre plus aujourd’hui en Égypte, mais seulement dans l’Inde. Hérodote, qui l’observa dans la vallée du Nil, le décrit fort exactement. Il produit, dit-il, un fruit porté sur une tige différente de celle qui porte la fleur (mâle) : il est semblable pour la forme aux gâteaux de cire des abeilles. En effet, ce fruit est percé, à sa partie, supérieure, de vingt ou trente alvéoles, dont chacune contient une graine de la grosseur d’un noyau d’olive, bonne à manger aussi bien fraîche que sèche. C’est ce que les anciens appelaient la fève d’Égypte. On cueille également, ajoute l’historien grec, les pousses annuelles du papyrus. Après les avoir arrachées dans les marais, on en coupe la tête, qu’on rejette, et ce qui reste est à peu près de la longueur d’une coudée. On s’en nourrit et on le vend publiquement ; cependant les délicats ne le mangent qu’après l’avoir fait cuire au four. Le fleuve ne donnait donc pas seulement la fécondité aux champs arrosés par ses eaux ; il fournissait lui-même à la population une large part de sa nourriture végétale. Et c’est aussi de son sein que les habitants tiraient en majeure partie leur nourriture animale. Le lit du fleuve et ses canaux de dérivation pullulent de poissons, pour la plupart bons à manger ; les embouchures du Nil sont fréquentées par des bancs serrés d’espèces maritimes qui vont frayer en eau douce, alternant avec ceux d’espèces fluviatiles qui vont, au contraire, frayer dans la mer. Aussi par tout le pays les pêcheries donnaient-elles d’abondants produits ; et le poisson, frais, séché ou salé, tenait une très large place dans l’alimentation des anciens Egyptiens. Encore aujourd’hui, les habitants de certains cantons du Delta, comme celui de Damiette, ne se nourrissent presque pas d’autre chose. Il faut avoir vu les lacs de la Basse-Égypte pour se faire une idée de ce qu’y est la multiplication des oiseaux d’eau. Au lac Menzaléh, par exemple, la surface entière qu’embrasse le regard est par moments comme noire à force d’être couverte de milliers et de milliers d’oies, de canards, de grues et de hérons de diverses espèces. Ces bandes d’oiseaux aquatiques donnaient lieu à des chasses extraordinairement fructueuses qui alimentaient abondamment les marchés du voisinage et même donnaient matière à des salaisons sur une grande échelle. Eu outre, les Égyptiens étaient parvenus à domestiquer plus ou moins complètement celles de ces espèces d’oiseaux aquatiques qui peuvent entrer dans la consommation de la table, surtout les oies et les canards. Us les élevaient dans toutes les parties du pays en quantités innombrables. Dès l’époque où s’ouvre l’histoire d’Égypte, c’est la volaille que nous voyons peuplant les basses-cours en abondance et fournissant à l’alimentation générale un élément beaucoup plus considérable que celui de la viande de boucherie ; Le poulet ne vint s’y joindre que bien plus tard. Il resta toujours étranger à l’Égypte pharaonique, et il ne fut introduit dans la vallée du Nil que sous la domination des Perses, et peut-être même sous celle des Grecs. Les Égyptiens avaient divinisé, sous le nom de Hâpi, le fleuve auquel ils devaient tant de bienfaits, sans lequel leur pays eut été inhabitable, et qui seul y faisait vivre une nombreuse et florissante population. J’emprunte à M. Maspero la traduction d’un hymne adressé à ce dieu Nil, qui se lit dans le Papyrus Sallier, numéro II, au Musée Britannique. Nous y avons la vive expression des sentiments de reconnaissance du peuple d’Égypte envers son fleuve nourricier. Salut,
ô Nil, ô
toi qui t’es manifesté sur cette terre, et
qui viens en paix pour
donner la vie à l’Égypte ! Dieu
caché, qui
amènes les ténèbres au jour où il te plaît de les amener, irrigateur
des vergers qu’a créés le Soleil pour
donner la vie à tous les bestiaux. Tu abreuves
la terre en tous lieux, voie du ciel qui descend. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Seigneur
des poissons, quand tu remontes sur les terres inondées, aucun
oiseau n’envahit plus les biens utiles. Créateur
du blé, producteur de l’orge, il
perpétue la durée des temples ; repos
des doigts est son travail pour
les millions de malheureux. S’il
décroît, dans le ciel les dieux tombent
sur la face, les hommes dépérissent. Il a
fait ouvrir par les bestiaux la terre entière, et
grands et petits se reposent. Les
hommes l’invoquent lorsqu’il s’arrête, et alors il devient semblable a Khnoum[2]. Se
lève-t-il, la terre est remplie d’allégresse, tout
ventre se réjouit, tout
être organisé a reçu sa nourriture, toute
dent broie. Il
apporte les provisions délicieuses ; il
crée toutes les bonnes choses, le
Seigneur des nourritures agréables, choisies ; s’il
y a des offrandes, c’est grâce à lui. Il
fait pousser l’herbe pour les bestiaux, il
prépare les sacrifices pour chaque dieu. L’encens
est excellent, qui vient par lui. Il se saisit des deux contrées[3] pour
remplir les entrepôts, pour combler les greniers, pour
préparer les biens des pauvres. Il
germe pour combler tous les vœux, sans
s’épuiser par là ; il
fait de sa vaillance un bouclier pour les malheureux. On
ne le taille point dans la pierre ; les
statues sur lesquelles on place la double couronne, on
ne le voit point en elles ; nul
service, nulle offrande n’arrive jusqu’à lui. On
ne peut l’attirer dans les sanctuaires ; on
ne sait le lieu où il est. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Point
de demeure qui le contienne, point
de guide qui pénètre en son cœur. Tu
as réjoui les générations de tes enfants ; on
te rend hommage au Sud, stables
sont tes décrets quand ils se manifestent par
devant tes serviteurs du Nord. Il boit les pleurs de tous les yeux et prodigue l’abondance de ses biens. § 2. — LES INONDATIONS PÉRIODIQUES DU NIL. C’est le débordement annuel du Nil, régularisé par les travaux de l’industrie humaine et étendant en certains endroits les bienfaits de son développement naturel par le moyen d’un arrosage artificiel, qui fait toute la fertilité de l’Égypte, qui y permet la culture et la production des végétaux. Que l’inondation, par suite d’une circonstance ou d’une autre, n’atteigne pas son niveau normal, c’est pour l’année où ce phénomène désastreux s’est produit, la stérilité et la famine. Le fleuve commence à se gonfler à un moment fixe, au solstice d’été, c’est-à-dire vers les derniers jours du mois de juin. Cette merveille d’un fleuve sortant de son lit à époques déterminées pour fertiliser la terre, avait beaucoup frappé les anciens, qui ne savaient pas que toutes^les rivières dont les sources sont dans la zone torride, sont soumises, à un régime pareil. Ils avaient recours, pour s’en rendre compte, à mille suppositions bizarres, qu’on peut voir dans Hérodote et Diodore de Sicile. La véritable cause de ces débordements, soupçonnée par quelques géographes de l’antiquité, comme Eratosthène et Agatharchide, est dans les pluies périodiques qui inondent la haute Abyssinie et viennent de là se déverser dans le Nil. J’emprunte à un voyageur anglais, M. Osburn[4], une description détaillée et très vivante des principales phases de l’inondation, description dont j’ai pu constater sur les lieux l’exactitude, ayant assisté moi-même à ce phénomène, dont peu de voyageurs sont les témoins, car il se produit à une saison où tous les touristes ont généralement quitté l’Égypte. Au moment où il atteint son plus bas niveau, un mois avant le solstice d’été, le Nil s’est resserré entre ses rives au point d’être réduit à la moitié de sa largeur habituelle, et ses eaux troublées, limoneuses, stagnantes, semblent à peine couler dans une direction quelconque. Des bancs plats ou des masses abruptes d’une boue noire, cuite et recuite au soleil, forment les deux berges de la rivière. Au delà, tout n’est que sable et stérilité, car c’est à peine si le khamsin, ou vent chargé de sable qui- dure quarante jours, a cessé de souffler. Le tronc et les branches des arbres apparaissent çà et là à travers l’atmosphère poudreuse, aveuglante, enflammée, mais les feuilles sont tellement revêtues dépoussière, qu’à distance on ne peut les distinguer du sable du désert qui les environne. C’est seulement au moyen d’arrosages pénibles et laborieux qu’on parvient à entretenir quelques semblants de verdure dans les jardins du Pacha. Enfin — et c’est le premier indice qui annonce la fin de cette terrible saison — le vent du nord, l’Étésien des Grecs, se lève et se met à souffler avec force, parfois même avec furie, pendant tout le jour. Grâce à lui le feuillage des bosquets qui recouvrent la Basse-Égypte, est bientôt débarrassé de la poussière et reprend sa couleur verte. Les ardeurs dévorantes du soleil, alors au plus haut de sa course, sont aussi fort à propos amoindries par le vent qui règne ce mois-là et les trois suivants sur tout le pays d’Égypte. Bientôt un changement se produit dans le fleuve. On signale au nilomètre du Caire une hausse d’un pouce ou deux ; les eaux perdent le peu de la limpidité et de la fraîcheur qui en faisaient la veille encore une boisson délicieuse. Elles prennent la teinte verte, gluante et terne de l’eau saumâtre entre les tropiques, sans qu’aucun filtre au monde ait réussi jusqu’à ce jour à les séparer de la substance nauséabonde et malsaine qui cause ce changement. Le phénomène du Nil vert provient, à ce qu’on dit, des vastes nappes d’eau stagnante que le débordement annuel laisse sur les larges plaines sablonneuses du Darfour, au sud de la Nubie. Après avoir croupi six mois et plus sous le soleil des tropiques, ces eaux sont balayées par l’inondation nouvelle et rentrent dans le lit du fleuve. Il est heureux que ce phénomène dure rarement plus de trois ou quatre jours, car, si court que soit ce temps, les malheureux contraints de s’abreuver au Nil, lorsqu’il est dans, cet état, éprouvent des douleurs de vessie insupportables. Aussi les habitants des villes ont-ils la prévoyance d’approvisionner d’eau leurs réservoirs et leurs citernes. Dès lors la rivière augmente rapidement de volume et devient trouble par degrés. Il s’écoule pourtant dix ou douze jours avant l’apparition du dernier et du plus extraordinaire phénomène que présente le Nil. J’essaierai de décrire les premières impressions qu’il me fit éprouver. C’était à la fin d’une nuit longue et accablante, à mon juger du moins : au moment où je me levai du sofa sur lequel j’avais tenté vainement de dormira bord de notre bateau, que le calme avait surpris au large de Beni-Souef, ville de la Haute-Égypte, le soleil montrait tout juste le bord supérieur de son disque au-dessus de la chaîne Arabique. Je fus surpris de voir qu’à l’instant où ses rayons vinrent frapper l’eau, un reflet d’un rouge profond se produisit sur-le-champ. L’intensité de la teinte ne cessa d’augmenter avec l’intensité de la lumière : avant même que le disque ne se fût dégagé complètement des collines, le Nil offrait l’aspect d’une rivière de sang. Soupçonnant quelque illusion, je me levai à la hâte, et, me penchant par-dessus le bordage, ce que je vis me confirma dans ma première impression. La masse entière des eaux était opaque, d’un rouge sombre et plus semblable à du sang qu’à toute autre matière avec laquelle j’aurais pu la comparer. En même temps, je m’aperçus que la rivière avait haussé de plusieurs pouces pendant la nuit, et les Arabes vinrent m’expliquer que c’était là le Nil rouge. La rougeur et l’opacité de l’eau sont soumises à de constantes variations, tant qu’elle reste dans cette condition extraordinaire. A de certains jours, quand la crue n’a pas dépassé un pouce ou deux, les eaux redeviennent à demi transparentes, sans perdre toutefois cette teinte d’un rouge sombre dont j’ai parlé. Il n’y a point là de mélange nuisible, comme au temps du Nil vert : l’eau n’est jamais plus saine, plus délicieuse, plus rafraîchissante que pendant l’inondation. Il y a des jours où la crue rapide, et, par suite, où la quantité de limon charrié dépasse, dans la Haute-Égypte, la quantité entraînée par toute autre rivière à moi connue ; même, en plus d’une occasion, j’ai pu m’apercevoir que cette masse opposait un obstacle sensible à la rapidité du courant. Un verre d’eau que je pris alors, et que je laissai reposer pour un peu de temps, fournit les résultats suivants : la partie supérieure du liquide resta parfaitement opaque et couleur de sang, tandis qu’un précipité de boue noire remplissait environ le quart du verre. Une portion considérable de ce limon est déposée avant que la crue atteigne la moyenne et la basse Égypte, où je n’ai jamais vu l’eau du Nil en cet état. Il n’y a peut-être pas, dans tout le domaine de la nature, un spectacle plus gai que le spectacle présenté par la crue du Nil. Jour après jour et nuit après nuit, son courant troublé roule et s’avance majestueusement par-delà les sables altérés des immenses solitudes. Presque d’heure en heure, tandis que nous remontions lentement poussés par le vent du nord, nous entendions le fracas produit parla chute de quelque digue de boue ; nous voyions, au mouvement de toute la nature animée vers le lieu où le bruit venait de retentir, que le Nil avait franchi un nouvel obstacle, et que ses eaux bondissantes allaient répandre la vie et la joie au milieu d’un autre désert. Des impressions que j’ai reçues, il yen a peu dont le souvenir me laisse autant de plaisir que l’impression causée par la vue du Nil, à sa première invasion dans l’un des grands canaux de son débordement annuel. Toute la nature en crie de joie. Hommes, enfants, troupes de bœufs sauvages, gambadent dans ses eaux rafraîchissantes, les larges vagues entraînent des bancs de poissons dont l’écaillé lance des éclairs d’argent, tandis que des oiseaux de tout plumage s’assemblent en nuées, au-dessus. Et cette fête de la nature n’est pas restreinte aux ordres les plus élevés de la création. Au moment où le sable devient humide à l’approche des eaux fécondantes, il s’anime littéralement et grouille de millions d’insectes. L’inondation gagne Memphis et le Caire quelques jours avant le solstice d’été : elle atteint sa plus grande hauteur et commence à décliner aux environs de l’équinoxe d’automne. A peu près au moment du solstice d’hiver, le Nil est de nouveau rentré dans ses rives et a repris sa teinte bleu clair. Les semailles ont été faites durant cet intervalle et se terminent en même temps que finit l’inondation. Le printemps est suivi sur-le-champ par le temps de la moisson, et la récolte est rentrée d’ordinaire avant le lever du khamsin ou vent de sable. L’année d’Égypte se partage donc naturellement en trois saisons : quatre mois de semailles et de croissance, qui correspondent approximativement à nos mois de novembre, décembre, janvier et février ; quatre mois de récolte, qu’on peut de même indiquer d’une manière vague en les comparant aux mois de notre calendrier qui sont compris entre mars et juin inclusivement ; les quatre mois ou lunes de l’inondation complètent le cycle de l’année égyptienne. Laissée à elle-même, à la liberté du caprice de ses effets naturels, l’inondation périodique du Nil serait pour l’Égypte un fléau presque autant qu’un bienfait. Les eaux débordées du fleuve bouleverseraient incessamment le sol de sa vallée, déplaçant une année les dépôts qu’il a laissés l’année précédente, changeant incessamment son cours et laissant après sa retraite sur bien des points, comme il le fait encore dans les hautes régions du pays de Dongolah, des flaques d’eau stagnante destinées à croupir ensuite au soleil, des marécages d’Une insalubrité meurtrière. Tel fut l’état de choses que les premiers occupants de la vallée égyptienne durent trouver devant eux lorsqu’ils vinrent s’y établir. Il a fallu que le travail de l’homme, aiguillonné par la nécessité, intervînt pour régulariser l’œuvre de la nature et lui faire donner tous ses bienfaits. Dès qu’il y eut en Égypte une civilisation et une agriculture, le régime des eaux y devint nécessairement la première des préoccupations, l’intérêt vital par excellence. Maintenir au fleuve un lit fixe ; répandre par des canaux secondaires s’embranchant sur son cours, le suivant parallèlement et s’y reliant par un réseau d’autres coupures transversales, le contact fertilisateur des irrigations sur la plus grande surface possible ; obliger, par une série de digues transversales à la vallée, les eaux de l’inondation à séjourner quelque temps sur les terres en y déposant paisiblement leur limon, de manière à les colmater au lieu de les dénuder ; assurer et protéger les sites choisis pour les centres d’habitation, afin de les empêcher d’être, eux aussi, envahis et emportés par le flot démesurément grossi ; organiser des machines d’une conception simple, faciles à construire et à manœuvrer, qui permettent d’élever l’eau de façon à lui faire arroser des terrains dont l’inondation n’atteint pas le niveau ; enfin, lorsque le fleuve commence abaisser, faciliter la retraite régulière de la nappe liquide qu’il a répandue sur les campagnes, de manière à ce que tout rentre graduellement dans son lit et qu’il ne reste pas de ces mares dont les exhalaisons corrompraient l’air ; voilà le programme complet des travaux indispensables que les Égyptiens durent exécuter pour profiter complètement du bienfait naturel dont la Providence avait gratifié le pays où il avaient établi leur demeure et pour lui faire rendre tous ses fruits. C’est par là qu’ils furent amenés tout d’abord à achever, en l’assurant, la prise de possession et la colonisation du sol. La nécessité et l’expérience leur révélèrent avant tout autre peuple les lois pratiques de la science hydraulique. La création du système des irrigations du Nil, la régularisation artificielle de l’inondation sont en Égypte des faits antérieurs à la période historique ; celle-ci n’a fait qu’y ajouter quelques perfectionnements locaux, quelques améliorations de détail. Mais dès l’époque si reculée à laquelle elle s’ouvre pour ce pays, nous trouvons les principes de ces travaux d’irrigation déjà fixés, leur système déjà constitué dans son ensemble. Nous voyons aussi à la même époque les Égyptiens en possession de temps immémorial de ces deux machines d’élévation des eaux, si simples et si ingénieuses, qui se sont perpétuées sans modification jusqu’à nos jours dans l’usage des riverains du Nil, le schadouf qu’un homme seul suffit à manœuvrer et la noriah ou roue mise en mouvement par un manège de bœufs. Les nécessités résultant des conditions physiques du régime des irrigations, qui seules donnent la fertilité à l’Égypte, ont exercé sur l’histoire de ce pays une influence décisive et qu’on ne saurait méconnaître. Le système des travaux qui régularisent et étendent les effets favorables de l’inondation forme un ensemble dont toutes les parties se tiennent par un lien nécessaire et dont l’action doit se combiner des cataractes de Syène à la mer. Qu’une seule partie soit négligée, tout le reste périclite. Qu’une des provinces du cours supérieur laisse encombrer ses canaux et cesse de les entretenir, le régime des eaux se trouve modifié pour les autres provinces, et sur une vaste étendue de territoire, sinon sur le pays tout entier, la fertilité du sol, le succès de la culture sont compromis. Il est donc indispensable qu’une surveillance uniforme, qu’une direction commune s’étende à tout l’ensemble du système et y préside avec une active vigilance. Le préjugé populaire, si ridicule partout ailleurs, qui rend le gouvernement responsable de la bonne et de la mauvaise récolte, a sa légitime raison d’être en Égypte. L’administration y exerce une influence énorme sur la fertilité du pays, par le soin plus ou moins attentif et plus ou moins intelligent qu’elle y prend des irrigations. Il faut, sous peine de voir se restreindre et s’arrêter presque la productivité de la terre, qu’une direction unique préside à ces irrigations. Un tel besoin a imposé de bonne heure au pays l’unité politique et la monarchie absolue. Avant qu’il n’y eût encore nulle part ailleurs dans le monde de vastes unités nationales, de royautés faisant sentir l’action de leur sceptre sur un territoire considérable, la nation égyptienne a été conduite, par les nécessités que lui imposait ainsi la nature, à mettre fin au morcellement local par lequel avait commencé son existence, et à se soumettre à l’autorité d’un monarque unique. Et c’a été toujours sa condition de vie, la seule qui lui permit, non seulement de prospérer, mais d’exister d’une façon tolérable. Toutes les fois que, dans la longue suite du développement des annales de l’Égypte, l’unité monarchique a été rompue, toutes les fois qu’il s’est élevé des compétitions au trône, des rivalités dynastiques qui ont brisé le pays en plusieurs tronçons et y ont produit l’anarchie, il est bientôt tombé dans la misère et la stérilité, parce que les irrigations n’avaient plus cette unique direction qui seule les rend complètement efficaces. Après de cruelles convulsions, l’Égypte a toujours dû reconstituer l’unité du pouvoir au prix des plus énergiques efforts ; et le premier soin du restaurateur de la monarchie n’a jamais manqué d’y être le rétablissement de ce système dont l’ensemble, savamment combiné, double la fertilité de la terre, en empêchant l’invasion des sables du désert, auxquels, sans une lutte incessante, il suffirait de bien peu de temps pour ensevelir l’Égypte entière sous son linceul. Et ces conditions physiques d’une nature toute particulière n’ont pas seulement imposé l’unité à l’Égypte. Elles semblent l’avoir nécessairement condamnée au despotisme. L’idéal politique des anciens Égyptiens était le règne d’un dieu sur là terre, comme on racontait qu’avaient été à l’origine des choses celui de Râ ou celui d’Osiris, exerçant une autorité absolue à laquelle tous se soumettent docilement, et ne l’exerçant que pour le bien des hommes. Aucun peuple n’a porté aussi loin le respect du pouvoir royal, n’en a exalté la conception à une pareille hauteur, ne l’a aussi complètement regardé comme divin. C’est que nulle part le peuple, dans ce qui faisait la condition même de sa vie matérielle, dans la production de ce qui était indispensable à sa nourriture, ne dépendait autant du bon et du mauvais exercice de ce pouvoir tutélaire, n’en sentait autant l’action et la nécessité. Aussi depuis la date la plus reculée a laquelle nous fasse remonter l’histoire jusqu’à nos jours, le peuple égyptien a toujours été un troupeau docile sous la houlette du berger. Quelque grande, quelque admirable qu’ait été à certaines époques la civilisation dans cette Égypte, qui apparaît au milieu des brouillards de la haute antiquité comme l’aînée des nations, jamais l’idée delà liberté ne s’y est éveillée même à l’état de rudiment embryonnaire, tandis que d’autres peuples en ont apporté l’instinct pour ainsi dire en naissant et ont pu la concevoir avant même d’être sortis de la barbarie. L’école déterministe en histoire peut ici se donner carrière pour soutenir qu’il est des fatalités inéluctables dé la nature qui pèsent sur l’homme sans qu’il puisse en secouer le fardeau, ne permettant la liberté qu’aux habitants de certains pays et de certains climats, et imposant à d’autres peuples de rester à jamais courbés sous le bâton d’un despote. Il-y a dans ses théories une certaine part de vrai. Oui, il existe une sorte de fatalité de nature qui exerce son" action sur les habitants de tel ou tel pays, et qui résulte de la combinaison d’une infinité de circonstances extérieures, de même que chaque race a des aptitudes géniales. Mais l’effort de la liberté morale de l’homme et de son intelligence peut réussir à vaincre cette apparente fatalité, et nulle part il ne doit désespérer d’y réussir. § 3. — SOURCES PRINCIPALES DE L’HISTOIRE D’ÉGYPTE[5]. Pendant bien longtemps, pour écrire l’histoire de l’Égypte, on a dû se contenter des récits des écrivains grecs, nul n’ayant encore pénétré les profonds mystères du système graphique des anciens Égyptiens. Mais les témoignages grecs relatifs à la terre des Pharaons et à ses annales sont en complet désaccord entre eux. Au milieu de leurs contradictions, on croyait devoir attribuer la préférence aux données fournies par Hérodote et par Diodore de Sicile. Aujourd’hui les conditions de la science sont tout autres, grâce à l’immortelle découverte de Champollion, qui a permis de lire avec certitude ces hiéroglyphes dont le déchiffrement paraissait un problème insoluble. C’est aux écrits tracés par les Égyptiens eux-mêmes, à leurs inscriptions monumentales et à leurs papyrus, que nous demandons maintenant de nous révéler les annales de cette antique contrée. Depuis que l’histoire est ainsi entrée en possession des documents originaux des rives du Nil, l’autorité des deux auteurs classiques que l’on suivait jadis presque exclusivement pour guides s’est entièrement évanouie. Hérodote est un voyageur d’une exactitude merveilleuse, qui raconte à la fois avec une charmante naïveté et une rare intelligence ce qu’il a vu par lui-même. Pour tout ce qui est de la description des mœurs et des usages égyptiens, dont il. a été témoin, oculaire, son livre est infiniment précieux, et chaque jour les monuments viennent en confirmer le témoignage. Mais en ce qui touche à l’histoire, ne connaissant pas la langue de l’Égypte, il n’a pas pu recourir directement aux sources, et il a dû se contenter des récits que lui faisaient ses guides et les prêtres des temples qu’il visitait. Aussi ne donne-t-il pas en réalité, et lui-même l’avoue le premier, même un essai d’histoire complète et sérieuse des dynasties pharaoniques, mais seulement une série d’anecdotes de ciceroni sur un certain nombre de princes, quelques-uns de ces contes qui dans la bouche du peuple avaient fini par prendre la place de la véritable histoire, et dont nous avons aussi des exemples dans la littérature romanesque indigène des bas temps. Encore ces anecdotes et ces contes ne se suivent-ils pas dans leur ordre chronologique véritable ; il est facile de voir que l’ingénieux voyageur d’Halicarnasse a brouillé les feuillets des notes qu’il avait prises à Memphis sur ce sujet, et il en résulte chez lui des interversions d’époques qui seraient autrement inexplicables. Quanta Diodore de Sicile, fort précieux sur le chapitre des moeurs, qu’il avait observées par lui-même, en histoire c’est un simple compilateur, qui a confusément et indigestement rassemblé des données puisées de toutes mains. Ses récits sur les annales de l’Égypte n’ont vraiment aucune valeur, et c’est à peine si l’on peut, du moins, en extraire quelques-unes de ces anecdotes d’origine en réalité égyptienne, comme Hérodote nous en fournit un grand nombre. De tous les écrivains grecs qui ont traité de l’histoire des Pharaons, il n’en est qu’un dont le témoignage ait, depuis le déchiffrement des hiéroglyphes, conservé une très grande valeur, une valeur qui grandit même toujours davantage, à mesure qu’on peut le confronter avec les monuments originaux, c’est Manéthon. Jadis on le traitait avec mépris, on contestait sa véracité, on regardait comme fabuleuse la longue suite de dynasties qu’il déroule devant nos regards ; aujourd’hui ce qui reste de son ouvrage est la première de toutes les sources pour la reconstitution de l’histoire ancienne de l’Égypte. Manéthon (nous ignorons la forme indigène de son nom) prêtre de la ville de Theb-noutri dans le Delta, Sébennytus de la géographie classique, écrivit en grec, sous le règne de Ptolémée Philadelphe, une histoire d’Égypte d’après les archives officielles conservées dans les temples. Comme tant d’autres livres de l’antiquité, cette histoire a disparu ; nous n’en possédons aujourd’hui qu’un petit nombre de fragments et la liste de tous les rois, que Manéthon avait placée à la fin de son ouvrage, liste heureusement conservée dans les écrits de quelques chronographes de l’époque chrétienne. Cette liste partage en dynasties ou familles royales tous les souverains qui ont successivement régné sur l’Égypte jusqu’à Alexandre. Pour la plupart des dynasties, Manéthon fait connaître le nom des rois, la durée de leur règne, la durée de la dynastie. Pour d’autres (et les moins nombreuses), il se contente de brefs renseignements sur l’origine de la famille royale, le nombre de ses rois et les chiffres des années pendant lesquelles cette famille régna. Nous ne saurions donner ici les listes complètes, dans lesquelles les noms des rois ont été, d’ailleurs, très souvent altérés parles copistes grecs, absolument ignorants de la langue égyptienne, et ne peuvent se rétablir que par l’étude des monuments directement égyptiens. Mais nous en résumons du moins les traits principaux dans le tableau suivant. TABLEAU DES DYNASTIES ÉGYPTIENNESD’après MANETHON.
Il n’y a personne, dit A. Mariette, qui ne soit frappé de l’énorme total de temps auquel l’addition des dynasties de Manéthon fait arriver. Par la liste du prêtre égyptien, nous remontons en effet jusqu’aux temps qui passent pour mythiques chez tous les autres peuples, et qui, en Égypte, sont certainement déjà de l’histoire. Embarrassés par ce fait, et, d’ailleurs, ne trouvant en aucune façon à mettre en doute l’authenticité et la véracité de Manéthon, quelques auteurs modernes ont supposé que l’Égypte avait été, à diverses périodes de son histoire, partagée en plusieurs royaumes, et que Manéthon nous donne comme successives des familles royales dont le règne aurait été simultané. Selon eux, la Ve dynastie, par exemple, aurait régné à Éléphantine en même temps que la VIe gouvernait à Memphis. La commodité de ce système, pour certaines combinaisons arrêtées à loisir et en vue d’idées préconçues, n’a pas besoin d’être démontrée. En rapprochant certains chiffres, en en corrigeant d’autres, on peut, avec un arrangement ingénieux, et même savant des dynasties, raccourcir presque à volonté les listes de Manéthon, et c’est ainsi que là où, dans le tableau ci-contre, nous arrivons à l’année 5004 avant notre ère pour la fondation de la monarchie égyptienne ; d’autres auteurs, comme M. Bunsen, ne font remonter le même événement qu’à l’année 3623. De quel côté est la vérité ? Plus on étudie cette question, plus on s’aperçoit qu’il est difficile d’y répondre. Le plus grand de tous les obstacles à l’établissement d’une chronologie égyptienne régulière, c’est que les Égyptiens eux-mêmes n’ont jamais eu de chronologie. L’usage d’une ère fixe leur était inconnu, et jusqu’ici on ne saurait prouver qu’ils aient jamais compté autrement que par les années du roi régnant. Or, ces années étaient loin d’avoir elles-mêmes un point initial fixe, puisque tantôt elles partaient du commencement de l’année dans laquelle était mort le roi précédent, tantôt du jour des cérémonies du couronnement du roi. Quelle que soit la précision apparente de ses calculs, là science moderne échouera toujours dans ses tentatives pour restituer ce que les Égyptiens ne possédaient pas. Au milieu de ces doutes, ce qui paraît encore à une science sérieuse et prudente éloigner le moins de la vérité est l’adoption pure et simple des listes de Manéthon. Il serait aujourd’hui contraire aux faits les mieux constatés de prétendre que, de Mena à la conquête grecque, l’Égypte a toujours formé un royaume unique, et peut-être des découvertes inattendues prouveront-elles un jour que, pendant presque toute la durée de ce vaste empire, il y eut encore plus de dynasties collatérales que les, partisans de ce système n’en admettent aujourd’hui. Maïs tout montre que le travail d’élimination était déjà fait dans les listes de Manéthon, telles qu’elles nous sont parvenues. Si en effet ces listes contenaient les dynasties collatérales, nous y trouverions, avant ou après la XXIe, la dynastie de grands prêtres qui régna à Thèbes pendant que cette XXIe occupait Tanis ; nous aurions de même à compter, avant ou après la XXIIIe, les sept ou huit rois indépendants qui furent ses contemporains, et qui devraient, si Manéthon ne les avait pas écartés, ajouter autant de familles royales successives à la liste du prêtre égyptien ; de même la dodécarchie compterait au moins pour une dynastie, qui se placerait entre la XXVe et la XXVIe, et enfin les rois thébains, rivaux des Pasteurs, prendraient leur rang avant ou après la XVIIe. Il y eut donc incontestablement en Égypte des dynasties simultanées ; mais Manéthon les a rejetées pour n’admettre que celles qui furent réputées légitimes, et elles ne sont plus dans ses listes. Autrement ce n’est pas 34 dynasties que nous aurions à compter dans la série des familles royales antérieures à Alexandre, c’est jusqu’à 60 peut-être qu’il faudrait monter. Jamais aucun des savants qui se sont efforcés de raccourcir les chiffres donnés par Manéthon n’est encore parvenu à produire un seul monument d’où il résultât que deux dynasties données comme successives dans ces listes aient été contemporaines. Au contraire, les preuves monumentales surabondent et ont été recueillies en grand nombre par les égyptologues, qui démontrent que toutes les races royales énumérées par le prêtre de Sébennytus ont occupé le trône les unes après les autres. Il n’est pas en effet de pays, en dehors de l’Égypte, dont l’histoire puisse être écrite sur le témoignage d’un plus grand nombre de preuves vraiment originales. On trouve des monuments égyptiens, non seulement en Égypte, mais encore en Nubie, au Soudan et jusqu’en Syrie. A cette série déjà si nombreuse il faut ajouter la quantité considérable d’objets antiques qui depuis cinquante ans ont formé les musées que toutes les grandes capitales possèdent et parmi lesquels le musée du Caire tient maintenant un des premiers rangs, grâce aux grandes fouilles de notre illustre compatriote, Auguste Mariette, dont la mort toute récente est un deuil pour la science. Les monuments historiques de l’Égypte peuvent être distingués en deux séries : ceux qui touchent à l’ensemble de l’histoire et ceux qui se rattachent plus spécialement à une dynastie déterminée, nous la révèlent et servent, pour ainsi dire, à en certifier l’existence. Nous dirons d’abord, en empruntant les propres expressions de A. Mariette à leur égard, quelques mots des plus importants monuments qui fournissent des lumières générales sur l’ensemble des annales de l’Égypte antique. Le premier est un papyrus conservé au musée de Turin, auquel il a été vendu par Drovetti, consul général de France. Si ce papyrus était intact, la science des antiquités égyptiennes ne posséderait pas un monument plus précieux. On y trouve en effet une liste de tous les personnages mythiques ou historiques qui étaient regardés comme ayant régné sur l’Égypte depuis les temps fabuleux jusqu’à une époque que nous ne pouvons apprécier, puisque nous ne possédons pas la fin du papyrus. Rédigée sous Râ-mes-sou II (XIXe dynastie), c’est-à-dire à l’une des époques les plus florissantes de l’histoire d’Égypte, cette liste a tous les ‘caractères d’un document officiel, et nous serait d’un secours d’autant plus efficace que chaque nom de roi y est suivi de la durée du règne, et qu’après chaque dynastie intervient le total des années pendant lesquelles elle a gouverné les affaires de l’Égypte. Malheureusement cet inappréciable trésor n’existe plus qu’en minimes fragments (au nombre de 164) qu’il est le plus souvent impossible de rapprocher. Un autre monument précieux a été enlevé du temple de Karnak et rapporté à la Bibliothèque nationale de Paris. C’est une petite chambre sur les parois de laquelle est représenté Tahout-mès III (XVIIIe dynastie) faisant des offrandes devant les images de soixante et un de ses prédécesseurs ; on l’appelle la Salle des Ancêtres. Ici nous n’avons plus affaire à une série régulière et non interrompue ; un choix a été fait par Tahout-mès III parmi ses prédécesseurs, et à ceux-là seuls il adresse ses hommages. A première vue, la Salle des Ancêtres ne peut donc être traitée que comme un extrait des listes royales de l’Égypte. Le rédacteur, guidé par des motifs qui nous échappent, a pris ça et là quelques noms de rois, tantôt acceptant une dynastie entière, tantôt écartant absolument de longues périodes. Notons, en outre, que l’artiste chargé de l’ornementation de la salle en a conçu le plan au point de vue de la décoration, sans se soucier de donner partout aux figures qu’il employait un ordre strictement chronologique. Enfin de regrettables mutilation (douze noms royaux manquent) font perdre à la liste conservée à Paris une partie de son importance. Il s’ensuit que la Salle des Ancêtres n’apporte pas à la science tout le secours qu’on semblait en droit d’attendre d’elle. Elle a cependant rendu le service de préciser mieux qu’aucune autre liste les noms portés par les rois de la XIIIe dynastie. C’est encore un choix du même genre, et fait sous l’inspiration de motifs que nous ne connaissons pas, qui nous est offert par la Table d’Abydos, tirée des ruines de cette ville célèbre et conservée au Musée Britannique. L’hommage aux ancêtres est fait cette fois par Râ-mes-sou II. Originairement les noms cités étaient au nombre de cinquante ; il n’en reste plus que trente, plus ou moins complets. Cet état déplorable de mutilation enlevait à la Table d’Abydos presque toute valeur historique réelle, lorsque A. Mariette en a, dans un autre temple de la même ville, découvert un nouvel exemplaire, beaucoup plus complet et remplissant presque toutes les lacunes du premier exemplaire, datant du règne de Séti Ier, prédécesseur de Râ-mes-sou II. Cette nouvelle Table d’Abydos a fourni à la science une liste des rois des six premières dynasties, presque aussi complète que celle de Manéthon, qu’elle contrôle de la manière la plus heureuse. Elle a en même temps révélé que les noms royaux, au classement jusqu’alors impossible, par lesquels commençait le monument conservé à Londres dans son état de mutilation, devaient désormais servir à combler une partie du vide monumental que l’on observe entre la VIe et la XIe dynastie. Le témoignage de la nouvelle Table d’Abydos, en ce qui regarde les dynasties primitives, est confirmé par la Table de Saqqarah, découverte aussi par A. Mariette et maintenant déposée au musée du Caire. Ce monument n’a pas, comme les autres, une origine royale. Il a été trouvé dans la tombe d’un simple prêtre qui vivait sous Râ-mes-sou Il et se nommait Tounar-i. Dans les croyances égyptiennes, un des biens réservés aux défunts qui avaient mérité la vie éternelle était d’être admis dans la société des rois. Tounar-i est représenté pénétrant dans l’auguste assemblée : cinquante-huit rois y sont présents ; ce sont sans doute ceux dont Memphis honorait le plus la mémoire. Le choix en ressemble beaucoup à celui qui avait été fait à Abydos. Cependant il y a quelques différences intéressantes à noter. Une ou deux fois, un prince omis dans une liste a été enregistré par l’autre ; même quelquefois, de deux princes dont le règne a été incontestablement simultané, l’un figure à Saqqarah et l’autre à Abydos. Ainsi, du temps de la XIXe dynastie, parmi les compétiteurs qu’avaient présentés les annales égyptiennes, on ne s’accordait pas d’une manière absolue sur ceux qui devaient être tenus pour souverains légitimes, et la liste en variait suivant les villes, sans doute suivant que leur pouvoir s’y était ou non exercé. Quant aux documents qui se rapportent seulement à l’histoire d’une dynastie ou d’un règne, ils sont en si grand nombre que l’on comprendra facilement que nous ne puissions pas même en tenter ici l’énumération. Nous serons, du reste, tout naturellement amenés à en signaler les plus importants dans le cours de notre récit. Il y en a de deux genres : les manuscrits sur papyrus, poèmes sur les exploits des princes, compositions littéraires, correspondances ou registres de comptes des administrations publiques, et les inscriptions monumentales. Dans ces dernières il faut encore distinguer deux catégories principales, les monuments publics et les monuments privés. Les inscriptions officielles, gravées sur des stèles détachées ou sur les murailles des temples, où elles sont souvent accompagnées de grands bas-reliefs coloriés, racontent surtout les événements saillants et les exploits militaires ; il en est qui longues comme des poèmes, rapportent dans un style tout biblique les incidents d’une ou de plusieurs campagnes jusque dans leurs moindres détails. Les inscriptions des particuliers nous font pénétrer dans la vie intime de la société égyptienne et nous initient au mécanisme de son organisation ; elles fournissent aussi les bases les plus solides et les plus précieuses de la chronologie, car il n’est pas rare d’y rencontrer des épitaphes relatant que tel personnage est né tel jour de tel mois de telle année de tel roi, mort tel jour de tel mois de telle année de tel autre, et a vécu tant d’années, tant de mois et tant de jours. |
[1] Cette observation de M. Maspero est d’autant plus juste qu’il faut tenir compte ici de deux faits capitaux, qui établissent une différence profonde entre la marche des1 alluvions actuelles et de celles qui jadis formèrent le Delta. Il ne s’agit plus aujourd’hui du remplissage d’un estuaire, facilité par le dessin même de la côte : les atterrissements présents du Nil à ses embouchures se forment en saillie sur la ligne de tout le littoral voisin et sont contrariées par un courant maritime, qui disperse au loin une forte partie des matières terreuses apportées par le fleuve. En outre, depuis un bon nombre de siècles, ce qui serait le développement graduel de ces atterrissements est compensé en partie par l’affaissement graduel de la côte et des bas-fonds littoraux sur lesquels le limon se dépose.
[2] Le dieu créateur, qui a modelé l’œuf du monde sur son tour à potier.
[3] La Haute et la Basse-Égypte.
[4] The monumental history of Egypt, t. I, p. 9-14.
[5] BIBLIOGRAPHIE DES PRINCIPALES SOURCES DE L’HISTOIRE D’ÉGYPTE.
Ecrivains classiques : Les fragments des dynasties de Manéthon, insérés dans le tome II des Fragmenta historicorum græcorum de la collection Didot. — Hérodote, livre II — Diodore de Sicile, livre Ier. — Le canon royal d’Ératosthène, rapporté par le chronographe byzantin George le Syncelle. —Josèphe, Contre Apion, livre Ier.
Collections de textes égyptiens originaux : Young, Hieroglyphics, Londres, 1823. — Burton, Excerpta hieroglyphica, Le Caire, 1828. — Champollion, Monuments de l’Égypte et de la Nubie. Paris, 1833-1845. — Rosellini, Monumenti dell’ Egitto e délia Nuhia, Monumenti storici, Florence, 1833-1838. — Sharpe, Egyptian inscriptions from the British Muséum, Londres, 1837. — Leemans, Monuments égyptiens du Musée des antiquités des Pays-Bas, à Leyde, Leyde, 1839-1876. — Lepsius. Auswahl der wischstigsten Urkunden der Ægyptischen Alterthums, Leipzig, 1842. — Ungarelli, Interpretatio obeliscorum Urbis, Rome, 1842. — Champollion, Notices descriptives, Paris, 1844-1874. — Prisse d’Avennes, Monuments égyptiens, Paris, 1847. — Select papyri of the British Muséum, Londres, 1844 et 1860. — Prisse d’Avennes, Papyrus de la Bibliothèque Royale, Paris, 1847. — Lepsius, Denkmxler aus Ægypten und Æthiopien, Berlin, 1850-1858. — Brugsch, Monuments de l’Égypte, Berlin, 1857 ; Recueil de monuments égyptiens, Leipzig, 1862-1866 ; Matériaux pour servir à la reconstruction du calendrier des anciens Égyptiens, Leipzig. 1864. — Dümichen, Geographischen Inschr’ften Altægyptischer Denkmæler, Leipzig, 1865 ; Kalenderinschriften, Leipzig, 1866 ; Historische Insthriften, Leipzig, 1867 ; Die Flotte einer Ægyptischen Kœnigin aus dem XVII Jahrhundert von unserce Zeitreichnung, Leipzig. 18d8. — E. de Rougé, Album photographique de la mission d’Égypte, Paris, 1865. — A. Mariette, Choix de monuments et de dessins découverts ou exécutés pendant le déblaiement du Serapeum de Memphis, Paris, 1856 ; Le Serapeum de Memphis, ouvrage commencé en 1868 et resté inachevé. — Inscriptions in the hieratic and demotic character from the collections of the British Muséum, Londres, 1868. — Pleyte, Les Papyrus Rollin, Leyde, 1868 ; Papyrus de Turin, Leyde, 1869-1876. — Dumichen, Photographische Resultate einer auf Befehl S. M. des K. Wilhelms von Preussen nach Ægypten entsend. Archæol. Expédition, Berlin, 1871. — A. Mariette, Abydos, Paris, 1869-1880 ; Dendérah, 1870-1880 ; Album du Musée de Boulaq, Le Caire, 1872 ; Les Papyrus égyptiens du Musée de Boulaq, Paris, 1871 ; Monuments divers recueillis en Égypte et en Nubie, Paris, 1872 ; Karnah, Leipzig, 1875 ; Deir-el-Bahari, Leipzig, 1877 ; Catalogue général des monuments découverts à Abydos, Paris, 1880. — P. Pierret, Recueil d’inscriptions inédites du Musée égyptien du Louvre, Paris, 1874. — L. Reinisch, Ægyptische Chrestomathie, Vienne, 1874. — Fac-similé of an egyptian hieratic papyrus of the reign of Rameses III, noio in the British Muséum, Londres, 1876. — Dumichen, Die Oasen des Libyschen Wüste, Strasbourg, 1877. — Brugsch, Reise nach der grossen Oase el Khargeh, Leipzig, 1878. — E. de Rougé, Inscriptions hiéroglyphiques copiées en Égypte, Paris, 1877-1879. — A. Lincke, Correspondenzen aus der Zeit der Ramessiden, Leipzig, 1878 — E. von Bergmann, Hieroglyphische Inschriften, Vienne, 1878-1879. — A. Wiederaann, Hieralische Texte aus den Museen su Berlin und Paris, Leipzig, 1879. — J. de Rougé, Inscriptions et notices recueillies à Edfou, Paris, 1880.
Ouvrages d’égyptologues modernes (nous suivons ici l’ordre alphabétique des noms d’auteurs) : Barucchi, Discorsi critici sopra la cronologia egizia, Turin, 1844. — E. von Bergmann, Uebersicht der œgyptischen Alterthümer des KK. Mùnz-und Antiken-Cabinets, Vienne, 1876. — Biot, Recherches de quelques dates absolues sur les monuments égyptiens, Paris, 1853 ; Sur un calendrier astronomique, Paris, 1852. — Birch, Nombreux et capitaux mémoires publiés dans l’Archæologia, dans les Transactions of the Royal Society of Literature, dans la Zeitschrift für Ægyptische Sprache und Allerthumskande et dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology ; A guide to the Egyptian galleries in the British Muséum, Londres, 1874 ; Ancient history from the monuments, Egypt, Londres, 1875 ; The monumental history of Egypt, Londres. 1816 ; Archaic classics, Egyptian texts, Londres, 1877. — Brugsch, Reisebeschte aus Ægypten, Leipzig, 1855 ; Geographische Inschriften altægyptischer Denkmæler, Leipzig, 1857-1860 ; Histoire d’Égypte, Leipzig, 1859 (2e édition, 1875) : Die ægyptische Græberwelt, Leipzig, 1868 ; Wanderung nach den Türhis-Minen und der Sinai-Halbinsel, Leipzig, 1868 ; La sortie des Hébreux d’Égypte et les monuments égyptiens, Alexandrie, 1874 ; L’Exode et les monuments égyptiens, Leipzig, 1875 : Die Siegensinschrift Kœnigs Pianchi von Æthiopien, Guettingue, 1876 ; Kœnigs Darius Lobgesang in Tempel der grossen Oase, Gœttingue, 1877 ; Geschichte Ægyptens unter den Pharaonen, Leipzig, 1877 ; Egypt under the Pharaohs, Londres, 1880 ; Dictionnaire géographique de l’ancienne .Égypte, Leipzig, 1879-1881. —Brunet de Presles, Examen critique de la succession des dynasties égyptiennes, Paris, 1850. — Bunsen, Ægyptens Stelle in der Weltgeschichte, Gœttingue, 1845-1857 ; il faut surtout en consulter la traduction anglaise, enrichie des excellentes additions de M. Birch. — Chabas, Inscription historique du règne de Séti Ier, Paris, 18b6 ; Les inscriptions des mines d’or, Chalon-sur-Saône, 1862 ; Mélanges égyptologiques, Chalon, 1862, 1864 et 1873 ; Les Papyrus hiératiques de Berlin. Chalon, 1803 ; Voyage d’un Égyptien en Syrie, en Phénicie, en Palestine, etc. au XIVe siècle avant notre ère, Chalon, 1866 ; Les Pasteurs en Égypte, Amsterdam, 1868 ; Etudes sur l’antiquité historique d’après les sources égyptiennes et les monuments réputés préhistoriques, Chalon, 1872 ; Recherches pour servir à l’histoire de la XIXe dynastie et spécialement à celle du temps de l’Exode, Chalon, 1873 ; L’Égyptologia, recueil périodique, 1874-1877 ; Recherches sur les poids, mesures et monnaies des anciens Egyptiens, Paris, 1876 ; Détermination d’une, date certaine dans le règne d’un roi de l’Ancien Empire en Égypte, Paris, 1878. — Champollion, L’Égypte sous les Pharaons, Paris. 1814 ; Lettres à M. le duc de Blacas, Paris, 1827 ; Aperçu des résultats historiques de la découverte de l’alphabet hiéroglyphique, Paris, 1827 ; Lettres écrites d’Égypte Paris, 1833’ ; 2e édition, 1868. — Champollion-Figeac, L’Égypte ancienne, Paris, 1840. — Th. Devéria, Le papyrus judiciaire de Turin, Paris, 1866 ; Catalogue des manuscrits égyptiens du Musée du Louvre, Paris, 1872, — Dümichen, Bauurkunde der Tempelunlagen von Dendera, Leipzig, 1865 ; Ueber die Tempel und Græber in Allen Ægypten, Strasbourg, 1872 ; Baugeschichte des Dendera-Tempds, Strasbourg, 1876 ; Geschichte des alten Ægyptens, dans l’Allgemeine Geschichte in Einzeldarstellungen de Wilhelm Oncken, Berlin, en cours de publication. — Ebers, Die Biographie des Amen-em-heb, Leipzig, 1877 ; L’Égypte, traduction par Maspero, Paris, 1880 et 1881. — Eisenlohr, Der grosse Papyrus Harris, Leipzig, 1872. — Gensler, Die thebanische Tafeln stündlicher Sternaufgsenge aus den Crœbern der Kœnige Ramses VI und Ramses IX, Leipzig, 1872. — Lauth, Papyrus Prisse, Munich, 1869-1870 ; Die geschichtliche Ergebnisse der Ægyplolochen Munich, 1870 ; Die Pianchi-Stèle, Munich, 1870 ; Ein neuer Kambyses-Text, Munich, 1875 ; Princessin Bentrosch und Sesoslris II, Munich, 1875 ; Kœnig Nechepsos, Pelosiris und die Triakon-taëteris, 1875 ; Der grosse Sesostris-Text von Abydos, Leipzig, 1875 ; Ægyptische Chronologie, Strasbourg, 1877 ; Moses-Hosarsiphos-Salïhus, Strasbourg, 1879 ; Aus Ægyptens Vorzeit, 1880-1881. — Ch. Lenormant, Eclaircissements sur le cercueil du roi Mycérinus, Paris. 1837 ; Musée des antiquités égyptiennes, Paris, 1841. — Fr. Lenormant, L’antiquité à l’Exposition universelle, L’Égypte, Paris, 1867 ; Les premières civilisations, Paris, 1873 ; Frammento di statua di uno dei l’astori, Rome, 1877. — Lepsius, Chronologie der Ægypter, Berlin. 1849 ; Briefe aus Ægypten und Æthiopien, Berlin, 1852 ; Ueber die XIIte ægyptische Kœnigsdijnastie, Berlin. 1853 ; Kœnigsbuch der alten Ægypter, Berlin, 1858 ; Ueber den chronologischen Werth der assyrischen Eponymen und einige Berührungspunkte mit der ægyptischen Chronologie, Berlin, 1869 ; Ueber einige ægyptischi Kunstformen und ihre Entwickelung, Berlin, 1871 ; Les métaux dans les inscriptions égyptiennes, traduction par Berend, Paris, 1877. — Lieblein, Deux papyrus hiératiques du Musée de Turin, Christiania, 1868 ; Die ægyptischen Denkæxler in St-Petersburg, Helsingfors, Upsala und Copenhagen, Christiania, 1873 ; Recherches sur la chronologie égyptienne, Christiania, 1873 ; En Papyrus i Turin, Christiania, 1873 ; Det gamla Égypten i dess Shrift, Stockholm, 1877. — Linant de Bellefonds, Mémoires sur les principaux travaux d’utilité publique exécutés en Égypte depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours, Paris, 1872. — A. Lincke, Beitræge zur Kenntniss der altægyplischen Brief-Litteratur, Leipzig, 1879. — A. Mariette, Renseignements sur les soixante-quatre Apis trouvés au Serapeum, -Paris, 1855 ; Description des fouilles exécutées en Égypte, Paris, 1863 ; Abrégé de l’histoire d’Égypte, Paris ; 1867 ; Description du parc égyptien à l’Exposition universelle, Paris, 1867 ; Notice des principaux monuments du Musée de Boulaq, 2e édition, Le Caire, 1868 ; Sur les lombes de l’Ancien Empire, Paris, 1869 ; Les lûtes géographiques des Pylônes de Karnak, Leipzig, 1875, Voyage dans la Haute-Égypte, Alexandrie, 1878. — Maspero, Essai sur l’inscription d’Abydos, Paris, 1868 ; Sur un décret d’excommunication trouvé au Djebel-Birkàl, Paris, 1871 ; Du genre épistolaire chez les anciens Egyptiens, Paris, 1872 ; De Carchemis oppidi situ et historia antiquissima, Paris, 1872 ; Une enquête judiciaire à Thèbes au temps de la XXe dynastie. Paris, 1872 ; Sur la stèle de l’intronisation trouvée au Djebel-Barkal, Paris, 1873 ; Mémoire sur quelques papyrus du Loutre, Paris, 1875 ; Histoire ancienne des peuples de l’Orient, Paris, 1875 ; Deux monuments nouveaux du règne de Ramsès II, Paris, 1877 ; Fragments d’un commentaire sur le second livre d’Hérodote, publiés à partir de 1877 dans les Annuaires de la Société pour l’encouragement des études grecques ; Le conte des deux frères, Paris, 1878 ; Les peintures des tombeaux égyptiens et la mosaïque de Palestrine, Paris, 1878 ; De quelques navigations des Égyptiens sur la côte de la mer Erythrée, Paris, 1878 ; Les monuments égyptiens de la vallée de Hamamât, Paris, 1879 ; Études égyptologiques, Paris, 1880 et 1881. — E. Naville, Les Israélites en Égypte, Paris, 1878. — Oppert, Mémoire sur les rapports de l’Égypte et de l’Assyrie, Paris, 1869. — P. Pierret, Dictionnaire d’archéologie égyptienne, Paris, 1875 ; Notice des monuments de la salle historique au Musée du Louvre. — Pleyte, Études égyptologiques, Leyde, 1866. — R. St. Poole, Egypt, dans l’Encyclopædia Britannica ; Ancient Egypt, dans la Contemporary review, de 1879. — E. Révillout, Une chronique égyptienne contemporaine de Manéthon, Paris, 1877. — A. Rhoné, Résumé chronologique de l’histoire d’Égypte, Paris, 1877. — C. Riel, Das Sonnen und Siriusjahr der Ramessiden ; Leipzig, 1874 ; Der Doppelkalander des Papyrus Ebers, Leipzig, 1876. — E. de Rougé, Examen critique de l’ouvrage de M. de Bunsan, Paris, 1847 ; Mémoire sur l’inscription du tomheau d’Ahmés, Paris, 1851 ; Mémoire sur la statuette naophore du Vatican, Paris, 1851 ; Le poème de Pentaour, Paris, 1856 ; Notice sur quelques textes pub liés par M. Greene, Paris, 1856 ; Études sur une stèle de la Bibliothèque Impériale, Paris, 1858 ; Note sur les principaux résultats des fouilles exécutées en Égypte, Paris, 1860 ; Étude sur divers monuments du règne de Thoutmès III, Paris, 1861 ; Notice des monuments égyptiens du Musée du Louvre, trois éditions successives, dont la dernière publiée en 1872 ; Mémoire sur une inscription historique de Piankhi Meriamoun, Paris, 1863 ; Mémoire sur les monuments des six premières dynasties, Paris, 1866 ; Moïse et les Hébreux d’après les monuments égyptiens, Paris, 1869 ; La stèle du roi Pianchi-Mériamen, Paris, 1876. — Valdemar Schmidt, Assyriens og Ægyptens gammle historic, Copenhague, 1872. — A. Wiedemann, Geschichteder achtzehnton ægyptischen Dynastie bis zum Tode Tutmes III, Leipzig, 1878.
Revues et collections : Revue archéologique, nouvelle série, nombreuses dissertations sur les antiquités égyptiennes, principalement par MM. Birch, Devéria, Mariette, Maspero, E. et J. de Rongé ; Zeitschrift fur Ægyptiche Sprache und Alterthumskunde, publié à Berlin depuis 1863 sous la direction de MM. Brugsch et Lepsius ; Mélanges d’archéologie égyptienne, et assyrienne, Paris, 1872-1878 ; Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l’archéologie égyptiennes et assyriennes, publié à Paris depuis 1879 ; Revue égyptologique, sous la direction de MM. Brugsch, Chabas et E. Révillout, paraissant à Paris depuis 1880 ; Transactions of the Society of Biblical Archæology, publiées à Londres depuis 1872 ; Records of the past, Londres, tomes II, IV, VI, VIII et X.