HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE XIII.

 

 

Intrigues et négociations de l'abbé Dubois pour devenir cardinal, et sa promotion.

 

L'INFLUENCE de l'abbé Dubois avait été depuis trois années tellement décisive, qu'on se ferait une idée bien imparfaite de la politique de ce temps-là, si on négligeait d'en chercher le mobile dans les passions de ce ministre. A l'exemple de tous les ecclésiastiques qui ont eu part au gouvernement d'un état, il ambitionna la pourpre romaine. Ce fut à la fin de 1716 que la mission en Hollande, et le succès de la triple alliance lui donnèrent un espoir dont il ne laissa percer les premières lueurs qu'avec une sorte de honte[1]. Mais ce désir d'abord si timide se changea dans la suite en une véritable frénésie. Comme ses pareils, il vit dans le cardinalat une gloire où s'effaçait l'obscurité de sa naissance, un degré qui l'élevait à tout, une égide contre les dangers, un port pour le naufrage. Il ne serait pas juste, s'écriait-il, que je perdisse l'occasion de me mettre à l'abri des événements de ce pays-ci[2]. Quand une passion est si bien raisonnée, il faut s'attendre que tout lui sera sacrifié. C'est le jugement qu'en portait Alberoni, l'homme qui savait le mieux, par sa propre expérience, quel abîme est le cœur d'un prêtre ambitieux. Si l'abbé Dubois pense à être cardinal, écrivait-il au prince Cellamare, il ne fera plus rien qui ne soit dirigé vers ce but[3].

Dubois ne pouvait se dissimuler qu'on était fort Jas en France de l'influence des cardinaux, et que les grands du royaume travaillaient à introduire contre eux la doctrine des Vénitiens. Saint-Simon, le plus fougueux des ducs, la professait exactement[4], et d'Antin, le plus modéré, s'exprime ainsi dans ses mémoires : Je ne comprends pas comment on souffre des cardinaux dans un état bien policé. Ils sont à charge à tout le monde, soit par le rang ridicule qu'ils ont, soit par la quantité de bénéfices qu'ils absorbent, soit par la dévotion que la plupart ont pour le pape. Et ce n'est pas encore le plus grand mal ; mais le voici : comme beaucoup de prélats y aspirent, ils ont une complaisance aveugle pour la cour de Rome et oublient fort souvent ce qu'ils doivent au roi et à leur patrie, pour tout sacrifier à leur ambition[5]. Le maréchal de Tessé citait dans le même sens une autorité bien imposante : J'ai entendu dire au feu roi que la chose principale que le cardinal Mazarin lui avait recommandée en mourant, c'était de ne jamais mettre dans son conseil, ni princes du sang, ni princes étrangers, ni cardinaux[6]. Il était difficile que ces principes ne fussent pas goûtés du Régent. Aussi Dubois se garda-t-il bien de les attaquer directement dans son esprit ; sa marche fut plus adroite. Il s'attacha fortement à persuader aux ministres anglais qu'il était en France l'unique appui de l'alliance britannique ; que de sa propre fortune dépendait celle des traités qu'il avait conclus et qu'un chapeau de cardinal ferait la sûreté de tous deux. Ce détour eut un tel succès auprès des alliés que le roi Georges écrivit lui-même au Régent pour l'engager à demander la pourpre romaine en faveur de son ministre, et je vous prie, lui disait-il, de n'avoir aucun égard à la modestie de la personne mais aux services importants qu'il nous a rendus[7]. L'ambition de Dubois, ainsi déguisée sous des couleurs politiques, n'effaroucha point son maître, et ce prince docile adressa au pape sans se rebuter, trois lettres de sa main, remplies, sans doute, avec une égale sincérité d'éloges pour son précepteur et de promesses pour la cour de Rome[8].

Clément XI n'était pas aussi facile à séduire que Philippe d'Orléans ; la protection donnée aux jansénistes, et cette commission laïque nommée dans le conseil pour remédier au refus de l'institution des évêques, l'avaient fort ulcéré. Les efforts de Dubois contre cet obstacle, ses voies ténébreuses, ses moyens publics, et surtout les grands effets qui sortirent pour tous les cabinets de l'Europe d'un germe en apparence si futile, frappent l'esprit d'un long étonnement, et si le tableau en est exposé sans déguisement et sans passion, nul autre ne doit être plus piquant ni plus instructif. Le début de l'abbé Dubois fut heureux. Entré dans le ministère à son retour de Londres au moment où l'on était le plus animé contre la malveillance de Rome, il embarrassa la commission par des ruses et des délais, calma peu à peu les esprits, et d'une chaleur pétulante les fit passer à cette légère indifférence qui parmi nous en est ordinairement si voisine. Mais personne ne pouvait faire valoir au-delà des monts ce service signalé. Nos affaires y périssaient entre les mains du vieux cardinal de la Trémoïlle, qui, dans une maison au pillage et le cerveau ébranlé des suites d'une apoplexie, subsistait réellement des aumônes du pape. Dubois sentit la nécessité d'introduire dans cette ambassade dégradée un agent actif et dévoué. Son choix se reposa sur le père Lafitau, jeune aventurier gascon, qui amusait Clément XI par ses saillies, et revêtait de la robe d'un jésuite une figure charmante et un esprit effronté[9]. Adjoint à la légation française, il borna ses premières tentatives à d'obscures intrigues pour l'achat du chapeau, et se lia par des goûts communs avec Annibal Albani, neveu du pape, et cardinal aussi voluptueux que dissipateur. L'évêché de Sisteron étant devenu vacant, Dubois se hâta de l'en couvrir plus par intérêt que par reconnaissance. Il trouvait dans cette faveur l'avantage dé fortifier le caractère public de son agent, de le soustraire à la dépendance claustrale, et surtout de le détacher de cette milice jésuitique que les souverains pontifes traitaient un peu comme les janissaires du Saint-Siège, aimaient avec Crainte et n'employaient pas sans défiance.

La cour de Rome ne connaissait pas d'événement plus utile que la demandé du chapeau pour un ministre en crédit. De tous les ressorts employés autrefois par cette puissance pour asservir les états catholiques, l'institution des cardinaux était presque la seule qui lui restât ; et ce qui n'avait d'abord paru qu'un luxe de l'église moderne, était devenu le meilleur appui de sa fortune. Un art profond avait appris aux papes â tirer de cette chance tous les avantages possibles. Des règles établies pour ménager la jalousie des puissances, et que les pontifes opposaient ou éludaient à volonté, étaient dans leurs mains un moyen toujours sûr d'irriter les désirs, et de différer les faveurs. L'évêque de Sisteron, s'aperçut bientôt qu'aucun de ces artifices ne serait épargné à son patron. En général rien n'était facile aux Français dans le gouvernement romain. Le souvenir de nos conquêtes en Italie, et l'ambition invétérée de notre clergé y excitaient la défiance. Les insignifiantes libertés de notre église y étaient, au fond des cœurs, jugées presqu'aussi hérétiques que le schisme anglican. L'extrême dépit de devoir leur puissance aux bienfaits des rois Carlovingiens y poursuivait les Ultramontains, et leur fable de la donation de Constantin, si bien démentie par tous les témoignages de l'histoire, n'avait pas d'autre origine. J'aurais honte de rappeler ces vieilles puérilités si je n'avais sous les yeux la preuve[10] que dans le dix-huitième siècle elles dominaient encore à la chambre du pape ; et aux congrégations du sacré collège. Je me suis convaincu que les haines de Rome, aussi éternelles que ses fables, nourrissaient contre la France une antipathie, dont la mollesse trop ordinaire de notre politique encourageait les affronts. A ces levains de tous les temps, Clément XI joignait une aversion particulière pour le Régent et il se plaisait à le blesser dans les plus chétives rencontres[11].

Malgré une promesse de trois cent mille livres faite au cardinal Albani, l'année 1719 s'écoula sans progrès remarquables. Mais l'évêque de Sisteron conçut alors un dessein fort extraordinaire. On se souvient que la cour de Rome avait, par haine contre la Grande-Bretagne, recueilli l'héritier des Stuarts, et que Clément XI venait de marier à une princesse polonaise ce martyr vivant du papisme. Jacques III tenait l'ombre d'une cour, et même par une autre fiction, un cardinal portait le titre de Protecteur des églises d'Angleterre. C'était alors Gualterio, homme d'une parfaite habileté, qu'on avait vu nonce en France, où il conservait des correspondances et beaucoup d'amis. Pour l'entretien de cette royauté imaginaire, le pape payait en murmurant douze mille écus romains par année, et Stuart aussi mécontent n'en demandait pas moins de quatre mille par mois, pour le prix de son rôle. Ce fut par cette cour famélique que Lafitau imagina de procurer la pourpre à la créature du roi George, et il faut convenir que ce rapprochement était d'une rare audace.

La réponse de Dubois[12] à l'ouverture que lui en fit son agent serait digne des crayons de Molière. La première moitié de sa lettre était consacrée à des imprécations contre une telle impudence, et la seconde à adopter l'expédient, pourvu qu'on le déguisât sous des formes impénétrables. Il s'agissait en effet d'appliquer la nomination du roi Jacques à un neveu du pape, et de faire en échange nommer Dubois du propre mouvement de Sa Sainteté. Le Prétendant se jeta avec avidité dans cette intrigue, et il traita Dubois de père et de protecteur : il ne tiendra pas à moi, lui écrivait-il, que vous n'ayez au plus tôt la grâce qui vous est si justement due, par rapport à votre mérite personnel[13]. Dubois, ivre, dé louange et d'espoir, lui fait compter cinquante mille écus romains à l'insu du pape, et sans l'entremise du jeune évêque dont ses espions lui avaient dénoncé les prodigalités mondaines. Ce don prématuré dont le mystère s'ébruita, ne servit qu'à enflammer la cupidité romaine, et six mois après Lafitau gémissait encore de cette fatale imprudence[14].

Cependant Dubois n'avait point acheté la faveur du roi Jacques aux dépens du cardinal Albani. Il continuait à lui assurer ses trois cent mille livres sous la seule condition que Rome ne contrarierait pas les tempéraments de la paix janséniste ; et il lui promettait en outre un riche présent au moment de la promotion. Le pape, à qui l'évêque dé Sisteron fait lire cet engagement, en paraît satisfait ; et alléguant lui-même sa pauvreté ; il demande une somme considérable pour une de ces redevances bizarres qui dorment par milliers dans les greffes de Rome en attendant un réveil favorable. Celle-ci s'appelait droits de propine. Dubois, loin de rien contester, écrivait les lettres d'un amant passionné. Je ne vous répète rien de ce que je me ferai une gloire et un plaisir de faire, non-seulement à l'égard de Sa Sainteté, mais même de M. le cardinal Albani : soins, offices, gratifications, estampes, livres, bijoux, présents, toutes sortes de galanteries ; chaque jour verra quelque chose de nouveau et d'imprévu pour plaire et pour surprendre : c'est le fond de mon naturel ; c'est ainsi que je me suis conduit toute ma vie, les plus grandes puissances de l'Europe l'éprouvent. Si Sa Sain- jeté le veut, il n'y aura aucun jour de sa vie qu'elle en reçoive de, moi quelque consolation, et quelque amusement qui lui fera attendre chaque poste avec impatience ; ses désirs n'iront pas si loin que mon industrie[15].

On ne sera point surpris qu'une âme si tendre s'irrite des délais ; écoutons ses plaintes : il est indécent à un certain âge de voler le papillon, et je renoncerais plutôt à une grâce qu'il faudrait attendre longtemps[16]. Les courriers qui vont de Paris à Rome ne s'en vont pas les mains vides, comme ceux qui viennent de Rome à Paris. Je compte que j'ai planté la foi, et fait preuve de mes sentiments pour le Saint-Siège ; Son Altesse Royale demande cette grâce comme la seule dont elle veut que sa régence soit illustrée à perpétuité[17]. La cour de Rome est un labyrinthe dont nous ne sortirons peut-être jamais. On compte pour rien les services reçus, et on ne promet que pour eu obtenir de nouveaux, on consume la vie des aspirants ; il n'est ni d'un homme sensé ni d'un homme d'honneur de passer sa vie dans ce purgatoire[18]. Ce n'était là qu'un faible essai des tourments qui attendaient Dubois ; car il n'est pas douteux que Clément XI, vieillard fin et orgueilleux, encore outré de s'être vu le jouet d'Alberoni, avait intérieurement résolu de ne jamais courir le même danger avec le parvenu de Brive-la-Gaillarde.

Il allégua d'abord qu'il ne pouvait créer un cardinal français sans faire la même grâce aux Espagnols et aux Allemands, et qu'il fallait ainsi attendre le concours de trois vacances. Dubois, impatient et crédule, entreprit de faire renoncer à la compensation les cours de Vienne et de Madrid. La question du chapeau passa donc du cercle de l'intrigue dans la vaste arène de la politique, et le favori du Régent ne songea plus qu'a dédommager les couronnes rivales, dût-il jeter les trésors et les intérêts de la patrie dans cette frauduleuse balance. Stanhope et le roi George lui-même se chargèrent de négocier avec l'empereur[19], et la France paya leur complaisance par le honteux traité de Madrid. Dubois les seconda en réduisant notre cabinet à un rôle mécanique dont tous les fils furent tenus à Vienne. Cette servitude explique pourquoi on nous vit contre tout bon sens dédaigner les avances de la Porté ottomane, échapper aux empressements réitérés du czar, et rompre tous les liens avec l'état naissant de Frédéric-Guillaume. Le fruit de tant de bassesses fut enfin une déclaration publique où l'empereur consentit sans condition au cardinalat de Dubois, et le qualifia aux yeux de toute l'Europe de digne prélat, et de ministre zélé pour le bien public[20]. Une négociation plus légère occupa le même théâtre. Alexandre Albani, autre neveu du pape, et de colonel de dragons devenu abbé, résidait en qualité de nonce à la cour impériale. Cet homme, qui a dans la suite si bien mérité des lettres et des arts, n'était alors qu'un jeune libertin, capricieux, perdu de dettes, et encore incertain s'il épouserait la connétable Colonne, ou s'il poursuivrait les dignités ecclésiastiques. Ce dernier parti eût donné à Dubois un concurrent invincible. Le ministre français n'imagina pas de meilleur expédient contre ce danger que de maintenir par des flots d'or l'irrésolution du nonce entre le sacerdoce et l'amour, et d'attacher à ses pas un banquier chargé de l'exercice de cette étrange tutelle[21]. L'année suivante il écrivait au cardinal de Rohan : Quand je ne regarderais l'acquisition que vous avez faite de toute la famille Albani que comme une emplette de précieuses porcelaines, il faut considérer Don Alexandre comme un vase un peu fêlé.

Une marche plus tortueuse lui fut nécessaire à Madrid, où l'on méprisait sa personne et détestait sa politique. Enivrer d'espérances l'esprit chimérique du duc, de Parme, enchainer le confesseur en flattant sa tendresse pour les jésuites, séduire la famille royale par l'habile système des trois mariages, enfin subjuguer le cabinet en promettant de faire réformer dans Cambrai ce qui a été conclu dans Londres ; voilà bien ce qu'il se proposa. Mais qui maniera des ressorts si déliés, et que briseraient, en les touchant, les mains soldatesques de l'ambassadeur ordinaire Maulevrier ? Dubois donne sa confiance à l'abbé Mornai de Montchevreuil, nommé à l'archevêché de Besançon, mais miné par une maladie incurable. Plus le malheureux allègue l'insuffisance de ses forces, plus l'impétueux Dubois se montre avide d'en consommer les restes. L'archevêque est porté à Madrid Comme ministre extraordinaire, et dans un corps qui se détruit déploie un naturel caressant, un esprit fin et des idées nettes. Au milieu de la négociation il perd la vue et demande grave ; mais Dubois impitoyable exige qu'il achève aveugle ce qu'il a commencé mourant. L'infortuné se résigne, et réussit sous le joug des plus atroces douleurs à tirer de Philippe V une déclaration semblable à celle de l'empereur. Mornai, fuyant après cet exploit, fut atteint par la mort dans sa retraite des Pyrénées, et périt misérablement sur un brancard au milieu des neiges, exemple Mémorable de l'héroïque docilité d'un courtisan. On remplirait plusieurs volumes des négociations de tout genre où cette poursuite entraîna Dubois[22]. Pendant deux années il couvrit de ses courriers les grands chemins de l'Europe, distribuant à Londres, Vienne, Paris, Rome, Parme et Hanovre des paroles contradictoires et de lâches complaisances. Partout sa passion le condamna au triste rôle d'un ambitieux qui a besoin de tout le monde et dont le secret n'est ignoré de personne. Le fatal chapeau souilla tous les éléments de notre politique, de même que dans une épidémie les autres infirmités se compliquent du >fléau dominant.

L'archevêché de Cambrai consola Dubois dans le cours de ses épreuves. Il n'eut rien à inventer pour l'obtenir, et se laissa simplement aller au mouvement de ses premières manœuvres. A sa sollicitation, le roi d'Angleterre demanda ce siège au Régent, comme une préparation naturelle au cardinalat, et un égard pour l'empereur, qui promettait son concours à la promotion du ministre français. Il n'en fallait pas tant pour faire tomber un évêché des mains profanes du Régent. Dubois fut nommé, et son sacre célébré avec une magnificence extraordinaire ; le cardinal de Rohan, Tressan et Massillon officièrent, et la cour entière y assista. Le nouvel archevêque avait reçu en un jour sous les ordres du sacerdoce. Cette circonstance, et quelques autres que forgea la malignité, devaient peu scandaliser un siècle où l'épiscopat, converti en instrument politique, tempérait de plus en plus l'austérité de son institution. Dubois n'alla jamais dans son diocèse, mais il y fixa le congrès des puissances. Il publia un petit nombre de mandements, qui étaient de 'véritables discours sur les affaires publiques, rédigés avec autant de raison que d'élégance. Dans une de ces proclamations pastorales, il se compare à saint Bernard, qui habitait les cours pour l'intérêt du ciel[23].

Dubois se représentait donc au choix du pape sous la mitre de Fénelon, et avec le suffrage exclusif des trois grandes puissances catholiques. Mais cette auréole n'éblouit pas Clément XI, et le crédit du candidat parut baissé ; non que les satires envoyées de France contre lui eussent fait aucune impression, car à Rome rien ne fausse la paisible balance de l'intérêt, et les poisons de la calomnie y sont neutralisés par un long usage. Mais le système de Law s'écroulait : Pour comble de disgrâce, écrit l'évêque de Sisteron, parut l'édit du 21 mai, et voilà le coup de massue qui fut porté à l'affaire du chapeau. Le pape, entendant dire qu'il n'y avait plus d'argent en France, désespéra d'en recevoir aucun secours. Notre disette est cause d'un mépris, d'une défection générale. Toutes les victoires de Louis XIV ne l'ont jamais rendu si respectable à Rome que ses largesses, et s'il eût été pauvre, sa disette aurait flétri tous ses lauriers[24]. Cependant si le désastre de nos finances éloignait de nous le pontife, le besoin des siennes propres tendait à l'en rapprocher. Un des plus grands déterminatifs du pape, dit le même évêque, c'est la proposition que je lui ai faite, qui a consisté à lui dire que je le voyais dans l'embarras au sujet du présent qu'il doit faire à la reine d'Angleterre à l'occasion de ses couches, et que je m'offrais d'envoyer au prince son époux de la part de Sa Sainteté, et sans que j'y parusse le moins du monde, vingt mille écus romains, au moment même que Sa Sainteté délivrerait le billet en question, et que je m'engageais à lui en faire encore toucher de sa part trente mille autres le jour de la promotion. Le pape m'en a témoigné une satisfaction infinie[25]. Loin de désapprouver ces largesses, Dubois les étendit au cardinal Albani, jusqu'à concurrence de trente mille écus romains[26]. S'apercevant néanmoins que cette ignoble négociation, devenue encore plus vile par l'entremise de Lafitau, ne promettait qu'une issue lente et douteuse, il espéra que l'éclat d'une ambassade pourrait tout à la fois ennoblir la corruption, et relever à Rome l'honneur français, et il chercha un grand seigneur assez imposant et assez docile pour toucher à ces deux buts ensemble.

Entre toutes les favorites de Louis XIV, une femme née dans les galanteries de la Fronde, et aussi belle qu'artificieuse, la princesse de Soubise avait tout cédé au roi, hors sa réputation. Mise par le mystère à l'abri des caprices de l'amant et des hontes de la disgrâce, elle avait joui de la considération que les vices prudents obtiennent à la cour, et accumulé sur le pauvre gentillâtre son mari des dignités sans nombre et d'immenses release& Un de ses fils, Armand-Gaston de Rohan, s'était trouvé, par les intrigues de sa mère et par ta tendresse du monarque, cardinal, évêque de Strasbourg et grand-aumônier.

Les femmes et les prêtres du dernier règne lui avaient entremêlé deux réputations assez brillantes de courtisan et de controversiste. Tandis que le monde profane vantait dans son langage les soupers de la belle éminence, les jésuites, toujours stationnaires auprès de la faveur, érigeaient ce prélat efféminé en chef ostensible des constitutionnaires. Pour lui, il tâchait de suffire à ses deux renommées en couvrant d'un grand faste une âme peu élevée, des grâces séduisantes, un esprit commun et d'une élocution facile, une science superficielle. Héritier de la beauté de sa mère, il laissait volontiers croire que le sang de Louis XIV coulait dans ses veines ; et n'ayant pas su d'ailleurs proportionner son ambition à ses talents, il s'était voué aux complaisances. Dubois, si habile à connaître les hommes, jugea d'un coup-d'œil tout ce qu'il pouvait tirer de cette idole. Il eut peu de peine à le faire consentir par la dignité apparente de l'ambassade[27] à la bassesse du trafic qui en était le fond ; et voici dans quels termes il le recommanda au vigoureux Lafitau : Je vous prie d'inspirer au cardinal de Rohan le courage et la hauteur dignes de sa naissance et de sa place. Il est plus propre que personne à tout ce que la douceur et l'insinuation peuvent produire, mais peut-être pas autant de naturel pour les grands coups[28]. Le pape, depuis longtemps malade, témoigna par une plaisanterie fort ingénieuse qu'il attribuait cette ambassade à d'autres motifs. Vos cardinaux, dit-il à l'évêque de Sisteron, me croient déjà mort, et viennent préparer le conclave ; mais à leur arrivée, je leur prononcerai une homélie sur Marie Salomé et les autres femmes qui achetèrent des parfums, et vinrent de grand matin oindre le corps qu'elles ne trouvèrent plus.

Cependant l'auteur de l'intrigue, effrayé de partager avec un autre les honneurs du dénouement, hâta les derniers coups avant l'arrivée du grand-aumônier. L'épouse du chevalier de Saint-Georges venait de donner le jour à ce prince Edouard dont les aventures ne seront point étrangères à la suite de nos récits. Tandis que toutes les cloches de Rome le saluaient roi, sa naissance et sa misère occasionnaient une scène très-vive dans la chambre du pape. Le pontife était languissant dans son fauteuil ; deux de ses neveux, Annibal et don Carlo, le roi Jacques, le cardinal Gualterio et l'évêque de Sisteron l'environnaient. Ces cinq personnages, mus par les libéralités et surtout par les grandes promesses du ministre français, conjuraient le vieillard de faire leur bonheur à tous, d'assurer l'appui de la France à un malheureux enfant donné par le ciel pour venger un jour l'église romaine, en un mot, de consommer la nomination de Dubois, ou de lui promettre au moins par écrit le premier chapeau vacant[29]. L'évêque de Sisteron, entraîné par une subite inspiration, se précipite à genoux au milieu de la chambre, et tendant les bras vers le pape, lui crie avec véhémence, et les yeux en larmes : Sancte pater ! verbum vitæ ! verbum vitæ ![30] Clément XI a l'air de s'attendrir, prend une plume, et trace tout de suite la promesse désirée, dont il avait dès longtemps bien médité tous les termes, si on. en juge par son artificieuse rédaction. Lafitau, trop ébloui de sa conquête pour en voir les conditions, envoye à l'instant par un courrier la promesse du pape. Le style de sa lettre peint l'excès de sa joie, et les expressions lès plus grossières suffisent à peine au bouillonnement de ses sens. Qu'on se figure la surprise et la colère de Dubois à la lecture de cet écrit qui accordait à la sollicitation du fugitif d'Angleterre ce qui avait été demandé par le Régent de France. En vérité, répond-il ironiquement l'évêque de Sisteron, c'est un chef-d'œuvre de dextérité que l'engagement que vous avez tiré du pape, le 14 janvier. La discorde l'aurait fabriqué elle-même qu'elle n'aurait pu rien imaginer de pire. M. le Régent est outragé, le Prétendant compromis, et je suis couvert aux yeux de l'Europe de ridicule et de preuves de trahison. Je n'ai plus qu'à souhaiter que cet écrit ne soit vu de personne et qu'il tombe éternellement dans l'oubli[31]. Le pape survécut peu à cette supercherie et mourut le 19 mars, à soixante et douze ans, d'un abcès au-dessous de la poitrine, sans que ses neveux eussent pu surprendre aucune nomination au long délire de son agonie. Ses derniers mois avaient été fort troublés, non, comme on l'a dit en France, par les poursuites de Dubois, qui ne furent jusqu'à la fin qu'un jeu de comédie pour ce vieillard spirituel, mais par le cardinal Altham, ministre impérial, dont mille entreprises hautaines bravaient chaque jour dans Rome le gouvernement romain. Le peuple, qui déteste les longs pontificats, n'accorda point de regrets à ce souverain vertueux, aimable et instruit, qui, ne se sentant ni assez lâche pour céder, ni assez puissant pour résister, régna par tous les arts de la faiblesse.

Cet événement renversait d'un seul coup tout l'échafaudage que Dubois avait dressé à si grands frais pendant près de deux années ; mais il ouvrit aussi devant cet ambitieux une seconde carrière de fatigues et d'espérances. Avant de nous engager à sa suite dans ce nouveau dédale, il convient de lire tout ce qu'il avait exécuté en France pour satisfaire la cour de Rome dans les vicissitudes de la trop fameuse bulle Unigenitus. Les disciples de Quesnel s'étaient mal soutenus auprès de la régence. Deux faits que j'avais omis donneront une idée de leur caractère âpre et incommode. Un incendie consuma dans Paris le Petit-Pont, ainsi que plusieurs maisons voisines, et menaça d'une destruction totale l'Hôtel-Dieu et une partie de la ville[32]. Au lieu de consoler le peuple, aigri à cette époque par d'autres circonstances politiques, le cardinal de Noailles, ou plutôt son conseil janséniste, lança un mandement où, dans un style barbare, il annonçait aux Parisiens que l'incendie était l'ouvrage de Dieu, qui avait voulu leur montrer une image du feu éternel qui les attendait. Par un contraste non moins abusif, le Parlement, prenant le rôle paternel que répudiait l'archevêque, s'arrogea le droit de recueillir et de distribuer les aumônes que provoquait ce désastre. Une autre occasion manifesta la même raideur. Tandis que l'on se consumait en efforts pour relever le crédit des finances, le même cardinal laissa publier sous ses auspices des conférences relatives au prêt à intérêt entièrement contraires aux vues du gouvernement[33]. Ce livre très-perfide, sorti des plumes janséniennes, et propre à troubler les consciences, déclarait illicite la vente des effets publics, et n'omettait aucune des inconséquences auxquelles il faut s'attendre à toutes les fois que des casuistes entreront dans le domaine des lois, et prétendront régler par les préjugés du cloître les transactions de la vie civile. On n'a point au reste assez remarqué combien fut énorme la bévue de tous ces prêtres dans les matières d'usure, puisqu'en prohibant le simple prêt à intérêt, qui peut seul animer le travail et l'industrie du peuples ils ont consacré le contrat de constitution de rente, invention fatale des temps scolastiques, qui a peuplé le monde d'oisifs, a corrompu les mœurs et dégradé la vie agricole. Le Régent, las des jansénistes, ne leur accordait plus qu'une froide neutralité ; le pape exigeait, de son côté, leur défaite prompte et rigoureuse ; mais Dubois, préférant un accommodement, déploya de grandes ressources dans ce projet difficile.

Il s'agissait d'abord d'obtenir la neutralité ou le silence de Rome ; mais le pape les mettait à un prix impossible. On se souvient qu'en 1682 l'assemblée du clergé avait décrété quatre propositions pour assurer l'indépendance du temporel des rois et l'autorité des conciles généraux, et qu'un édit en avait ordonné l'enseignement dans les écoles. Mais, dix années après, Louis XIV, devenu serviteur des jésuites et persécuteur des protestants, avait promis à Innocent XII, par une lettre secrète, de modifier l'emploi de ces articles dont s'indignait la tyrannie pontificale.

Cependant, lorsqu'on en vint aux effets, il se trouva que le pape et le roi avaient interprété cette lettre tout différemment, soit que de part et d'autre on eût manqué de bonne foi, soit que dans de telles matières, ce qui a été le plus libéralement accordé aux hommes soit le don de ne pas s'entendre[34] ; cet écrit clandestin n'offrait d'ailleurs aucune des formes qui donnent en France un caractère légal aux intentions royales. Clément XI n'en affectait pas moins d'attacher une importance exagérée à ce monument déplorable de la faiblesse du roi ; il le gardait soigneusement dans son secrétaire, et il l'en tira avec une maligne satisfaction pour le lire à l'évêque de Sisteron, et lui déclarer que sans l'exécution prompte et littérale de l'engagement qu'il renfermait, la France n'obtiendrait rien de lui. Le duc d'Orléans fit répondre à Sa Sainteté qu'une pareille complaisance soulèverait tout le royaume, et qu'il était peu raisonnable de proposer à un régent temporaire ce que n'avait pas osé, dans la chaleur du zèle, le plus absolu des rois. Mais l'abbé Dubois, sans s'émouvoir d'une fausse attaque, trouva dans Rome même les expédients dont abonde cette ville simoniaque, où toute affaire est un secret, et tout secret une marchandise ; et de même que Louis XIV avait payé pour obtenir la bulle, de même il paya pour l'assoupir[35].

Mais ce qui peut passer pour un prodige de sa dextérité, fut d'avoir amené les deux partis à signer un corps de doctrine où ils crurent s'entendre. Le cardinal de Noailles, sensible à l'intérêt public et entraîné par les deux hommes les plus éloquents de leur siècle, d'Aguesseau et Massillon, accepta la bulle. Dubois, enhardi par ces premiers avantages, ne désespéra pas de convertir la bulle même en loi de l'état ; et, pour justifier une aussi folle présomption, il compta sur la frivolité d'un pays toujours prêt à se contenter de mots et d'illusions. Parmi les institutions ambiguës de la France, on apercevait à peine un tribunal équivoque appelé contre toute vérité le grand conseil, réputé utile non par ce qu'il faisait, mais par ce qu'on pouvait en faire, et cherchant dans quelques obscures attributions moins une tâche réelle qu'un prétexte pour exister. Quoique pétri du même limon que les parlements, il en avait toujours été rebuté, et ce n'était pas sans cause ; car la même politique qui avait préparé la ruine des états-généraux dans l'érection des parlements, s'était aussi ménagé le moyen de ruiner les parlej4 mens dans la superfétation du grand conseil. Celui-ci, considéré dès le principe comme le corps de réserve du despotisme, et l'auxiliaire éventuel des mauvais desseins, n'avait en aucun temps démenti son origine. Tous ses efforts pour introduire en France l'Inquisition, et pour maintenir à Paris un régent anglais, sa fidélité aux jésuites et aux doctrines ultramontaines, son empressement à recruter les chambres ardentes et les commissions arbitraires, déposaient de son infatigable docilité. Le cardinal de Richelieu l'avait employé sans peine à sanctionner ses oppressions financières, et Louis XIV, charmé de cette sorte de magistrature collatérale, d'une existence si humble et d'une conscience à si bas prix, avait accru le nombre de ses titulaires.

Dubois y fit donc accepter la bulle par une délibération qui ne fut pas exempte de supercherie, et comme, depuis le règne de Charles VIII, ce tribunal parasite portait le titre de cour souveraine, et qu'il procédait aussi par la formule de l'enregistrement, on espéra, non sans motifs, que ces apparences suffiraient pour tromper la multitude et imposer au parlement. Ce dernier était encore exilé à Pontoise, et menacé en outre d'être transféré à Blois, tandis qu'à Paris une chambre des vacations le remplaçait sans obstacle, et rendait la justice avec célérité. La peur et l'ennui le portèrent à un acte de complaisance dont le ministre affectait de vouloir se passer ; et la bulle, qu'il avait si longtemps foulée aux pieds, fut enregistrée par lui seulement avec quelques-unes de ces réserves vagues et générales qui ne valent que pour les temps où l'on n'a pas besoin de les réclamer. On se méprendrait pourtant sur la cause de ces difficultés, si l'on croyait que la magistrature française fut janséniste ; à peine en aucun temps y compta-t-on trois ou quatre particuliers infatués de ces chimères. Mais les parlements étaient le boulevard des libertés gallicanes, et les ultramontains avaient trop d'adresse pour ne pas confondre avec des opinions dogmatiques les principes et la fidélité de nos légistes. Les haines du Saint-Siège contre eux n'étaient pas nouvelles ; dès le treizième siècle, un pape avait osé interdire à Paris l'enseignement du droit civil, et, ce qui passe toute croyance, cette insolente décrétale y fut observée jusqu'en 1680 avec une lâcheté inexcusable. On doutera moins encore de cette partialité, si l'on veut bien remarquer que, depuis la fondation de la monarchie, lorsque tant de magistrats français se distinguèrent par une vie pure et sainte, Rome, d'ailleurs si prodigue de béatifications et d'apothéoses, ne daigna jamais en proposer un seul à la vénération des chrétiens. Quoi qu'il en soit, Dubois, satisfait de la soumission du parlement dans une affaire absolument étrangère à celle qui avait motivé son exil, le fit rappeler à Paris[36]. Ce corps, altéré de vengeance, et ne pouvant l'exercer sur Law, qu'on lui aurait probablement abandonné s'il n'eût pas pris la fuite, attaqua le duc de La Force, l'un des confidents du célèbre Écossais. Ce procès causa autant de bruit par la ridicule injustice du fond que par les obstacles dont les privilèges de la pairie embarrassèrent sa poursuite. On érigeait en crime de monopole la conversion faite très-légitimement par l'accusé de ses billets de banque en marchandises d'épiceries ; et le duc et pair fut réprimandé par arrêt pour avoir été sage au milieu des fous. La défection de l'archevêque et du parlement porta le trouble et la rage dans les rangs jansénistes. Les appels recommencèrent mais avec moins de concours. Car les listes qui avaient offert jusqu'à 7.000 noms n'en purent réunir plus de 1.400. Le lieutenant de police qui interrogea sur leurs opinions quelques-uns des signataires fut déconcerté par l'audace de leurs réponses, et des plaisants parodièrent cet acte de juridiction ecclésiastique pratiqué par un magistrat de police, en affichant une instruction pastorale de l'archevêque sur la propreté des rues. L'opiniâtreté de cette poignée d'hommes mérite un regard de l'historien. Ils possédaient une caisse commune qui avait traversé intacte le système de Law, et qui est arrivée fidèlement jusqu'au grand naufrage de la révolution, par une succession de désintéressément et de vertus, apanage ordinaire des sectes opprimées. Ils songèrent à se faire une patrie d'abord dans une petite île du Holstein qu'ils avaient achetée, ensuite sur le continent de l'Amérique. Les deux-mondes retentissaient alors de la renommée de Guillaume Penn, qui venait de mourir à Londres avec la gloire si rare et si pure d'un fondateur de nation. Mais la Hollande, qui leur offrit un asile et une église, les détourna de la trace des quakers. Utrecht devint leur métropole sous la direction d'un archevêque que Rome refusait de reconnaître, parce qu'elle prétendait gouverner les catholiques bataves par des nonces, comme une mission de sauvages. Il serait difficile de dire à quel degré Dubois contribuait à ces résolutions extrêmes, tant sa conduite flottait entre les intérêts du moment. Au fond, il n'avait rien d'un persécuteur. Une grande tolérance pour les écrits, et l'éloignement ordonné à regret de quelques têtes ardentes, formait sa politique modérée que la France approuvait, mais qu'il fallait justifier à Rome[37]. D'autres fois, ce besoin de plaire au Saint-Siège et d'en payer les faveurs le portait au dernier abus de la tyrannie. A l'occasion de quelques misérables estampes, il ne rougit pas d'épouvanter la France par la création d'une chambre ardente, et de demander avec menaces à ce tribunal monstrueux le sang d'un grand nombre de citoyens pour une faute si légère. Puis bientôt son caprice le ramenait à des mesures plus indulgentes. La police ayant saisi le Poème de la grâce par le fils du grand Racine, Dubois ne pensa pas que de mauvais vers rendissent la théologie plus dangereuse, et il se hâta de lever l'interdit[38]. Enfin, par ce mélange de douceur et de sévérité, il rétablit une seconde fois la paix de l'église, comme l'avait fait précédemment Harlay de Chanvallon. Deux prélats peu édifiants eurent aussi la gloire de suspendre des troubles que tant de mains pieuses avaient maladroitement augmentés. Rien ne fait mieux sentir combien les vaines disputes blessent l'intérêt de la religion, puisque l'habileté qui les apaise est elle-même un scandale de plus.

J'ai mis au jour les trois espèces de ressorts que l'abbé Dubois avait tendus pour escalader le sacré collège, c'est-à-dire ses négociations avec les cours étrangères, ses intrigues à Rome et ses opérations ultramontaines en France. Mais la mort de Clément XI concentrait désormais dans un seul lieu ces manœuvres diverses. L'évêque Lafitau, qui s'y trouvait placé, comprit fort bien l'avantage de sa position et la nécessité d'une tactique plus simple et plus tranchante. Il proposa hardiment d'acheter le conclave, et de donner la tiare à qui donnerait le chapeau. Dubois adopta ce plan et chargea de son exécution le cardinal de Rohan, qui n'était point encore parti comme ambassadeur ; mais il désira lui attacher le secours d'un agent propre aux corruptions subalternes et à l'intimité de la correspondance secrète. L'abbé de Tencin, catéchiste de Law, et qui, dans une audience du parlement, venait d'être convaincu d'imposture et de simonie, avait les qualités de ce rôle. Dubois força le cardinal de Bissy, malgré la vive opposition du maréchal de Villeroi, qui avait du crédit sur son esprit, à choisir pour son conclaviste ce prêtre déjà trop célèbre. M. de Rohan, nanti de sommes considérables, parut à Rome avec avantage et magnificence. Son urbanité sans mesure, sa table splendide et ses largesses ingénieuses séduisirent les Italiens. On lui pardonna facilement des mœurs efféminées, et jusqu'à ces bains de lait où, comme l'épouse de Néron, il avait coutume d'entretenir la fraîcheur de sa peau. Le seul cardinal Borgia[39], s'irritant de l'indulgence générale, envoyait exactement en Espagne un bulletin intitulé : Des fatuités de M. de Rohan, dont la cour de Balsain se réjouissait avec une dévote amertume. Cependant il est juste de dire que, quoique le cardinal de Rohan ne se piquât pas d'une extrême noblesse d'âme, il descendit avec répugnance à la manière dont se traitaient les affaires autour du Vatican ; il connut l'armée d'intrigants que chaque cour y soldait sous le nom de grands et de petits pensionnaires ; il vit que la corruption y occupait d'étage en étage toutes les classes de la société ; il entendit surtout avouer avec naïveté des pratiques dont ailleurs on eût rougi ; et. il s'exprima dans ses lettres avec étonnement et mépris sur cet engourdissement qui signale la décrépitude des nations.

Le conclave s'ouvrit avec d'heureux présages pour l'abbé Dubois. Les cardinaux de la maison de Bourbon lui obéissaient ; la faction allemande était faible et sans projet ; on distinguait à peine ceux qu'on appelle les zelanti, ainsi que les têtes légères et irrésolues qui forment d'ordinaire l'escadron volant. Le terrible Alberoni parut aussi à la faveur d'un sauf-conduit, mais tremblant et humilié. Il répondit en soupirant aux avances du cardinal de Rohan : Hélas ! je ne cherche que ma sûreté, et il resta pour le moment attaché à l'empereur, qui avait couvert sa tête proscrite. Durant un pontificat de vingt années, presque tous les membres du sacré collège avaient été renouvelés par Clément XI, et la reconnaissance les disposait à complaire au neveu de leur bienfaiteur. De son côté, le cardinal Albani n'avait jamais été si pressé de se vendre, parce qu'ayant dissipé pendant la vie de son oncle des deniers publics dont il avait l'administration, il se voyait menacé d'une poursuite infamante.

Décidé par la vue effective de la récompense[40], il entreprit la négociation qui avait pour but d'élire un pape engagé d'avance à faire cardinal l'abbé Dubois. L'écrit qui en garantissait le succès fut rédigé par lui en langue française, revu par les cardinaux de Rohan et Gualterio, et communiqué aux cardinaux Imperiali, Caraccioli et Conti. C'est sur ce dernier qu'on avait jeté les yeux pour la tiare, parce que sa profonde nullité ne devait pas lui susciter d'opposition. Il était vieux, d'une corpulence énorme et plongé dans un assoupissement presque habituel, dont on connut la cause après sa mort, lorsqu'on eut découvert qu'il avait la dure-mère adhérente au crâne. En lui soumettant la condition des suffrages, ses collègues lui rappelèrent que de tels marchés n'étaient point une nouveauté dans les conclaves, et que les élections d'Innocent XI, d'Alexandre VIII et d'Innocent XII furent aussi précédées de conventions que le Saint-Esprit daigna ratifier. Conti, qu'on nommait vulgairement le dormeur, et dont la vie s'écoulait comme un rêve plus ou moins lucide, signa sans beaucoup de difficulté, et fut élu dès le lendemain 8 mai, en sortant de sa cellule., Il fit présent de son crucifix à l'abbé de Tencin, qui avait été le courtier le plus actif de cette seconde rue Quincampoix, et il dit au cardinal de Rohan, lorsque celui-ci s'approcha pour la cérémonie de l'adoration : Ecce opus manuum tuarum[41], les mêmes paroles que, dans une occasion semblable, Alexandre VII avait autrefois adressées au cardinal de Retz.

Le cardinal Albani reçut fidèlement les trente mille écus romains qui étaient le prix de son entremise[42]. Le secret de cette capitulation ne fut pas si bien gardé que quelques écrivains n'en aient parlé sans l'avoir vue. Ils, ont supposé qu'Innocent XIII s'était lié par un engagement formel, dont la publicité l'eût compromis étrangement. Mais c'est mal connaître le génie circonspect des Italiens qui ne procède point par des voies aussi simples. Non seulement ce prétendu traité était une consultation ambiguë et tortueuse, qui énonçait un avis et non pas une promesse, mais encore il reproduisait, en faveur du roi Jacques, ces stipulations dont Clément XI mourant avait fait trembler l'ambitieux Dubois. Les cardinaux Albani et Gualterio s'étaient joués de l'inexpérience de Rohan et de Tencin[43]. L'évêque de Sisteron ; qui avait précédemment commis la même faute, les eût avertis du piège, si l'extrême jalousie de l'abbé de Tencin n'eût fait mystère à son rival de la rédaction de cet écrit. Lafitau en porta de vives plaintes à Dubois. J'ai habillé à mes dépens, écrit-il, les cardinaux Ottoboni et Corradini, pour les faire entrer au conclave. Un intrus a trompé le cardinal de Rohan, a mal fait stipuler l'écrit du pape, et s'est opposé à ce qu'on le réformât. Si je n'avais, deux jours auparavant donné du mien deux mille écus romains, nous n'avions ni la faction Albani, ni la maison Borromée en faveur du cardinal Conti, et nous demeurions réduits à nous seuls, sans figure, sans mérite et sans espérance[44]. Ne soyez pis surpris de m'entendre dire que je vais de huit au conclave, car j'ai trouvé le secret d'en avoir la clé, et j'y traverse constamment cinq à six corps-de-garde sans qu'ils puissent deviner qui je suis[45]. Ce qui caractérise éminemment la supériorité de ce jésuite dans les assauts d'intrigues, c'est qu'il s'était ménagé ces moyens furtifs de. violer le Conclave quatre mois avant la mort du pape.

Pour exiger du nouveau pontife l'exécution de sa parole, il fallait satisfaire le roi Jacques, non par un simple don pécuniaire, mais par l'assurance d'une pension qui soulageât la cour de Rome de l'entretien de ce prince. Ce n'était pas un médiocre embarras de proposer cette mesure délicate au Régent, à qui les conjurés voulaient cacher la transaction du conclave. Par un stratagème digne de valets de théâtre, ils imaginèrent de faire charger de ce soin un honnête homme, leur ennemi déclaré, le maréchal de Villeroi lui-même. Flatté en effet de se voir recherché par Jacques III, le maréchal fit la démarche auprès du duc d'Orléans ; Dubois affecta la surprise, l'attendrissement, et emporta le consentement de soit maitre[46]. Les complices de cette ruse effrontée purent rire entre eux de la vanité du vieillard crédule qui mettait sans le savoir le saint chapeau sur la tète du fourbe qu'il détestait. Ce point étant réglé, la nomination que le pape fit de son frère, sans parler de Dubois, fut un coup de foudre pour la cabale, qui se crut replongée dans le labyrinthe de Clément XI. On demanda des délais de la part du pontife ; on désira d'introduire au congrès le cardinal Passionnei, ou Alexandre Albani. Les agents français ne virent dans ces prétextes qu'un manège pour presser la dernière goutte de leurs finances ; mais Dubois, emporté par son imagination, se figura que la maison d'Autriche, mécontente des traités de Madrid, contrariait sa promotion, et, croyant perdre le fruit de deux années de souffrance, il versa des larmes de désespoir. Pour comble de disgrâce, ses ministres à Rome n'étaient pas d'accord ; et il tâchait par dès avis et par, des louanges de les animer à bien faire[47]. Tencin lui écrit un jour : J'ai prédit à Scaglione, secrétaire du pape, que le jour de votre promotion la Providence lui enverrait cinq cents pistoles pour se meubler. — Vous vous êtes trompé, répond Dubois, elle en enverra mille. Mais l'évêque de Sisteron, bouillant et prodigue, marchandait plus largement les avenues du trône pontifical, et ne dédaignait pas d'en sonder les bourbiers[48]. Tencin peint naïvement à Dubois les suites de cette indiscrétion : M. le cardinal de Rohan est obligé de répandre beaucoup d'argent ; il a été entraîné par la démarche téméraire de l'évêque de Sisteron, qui a eu l'imprudence d'offrir pour le pape une bibliothèque de quinze mille écus romains, et de faire espérer des gratifications considérables au duc de Poli, qui en même temps ont réveillé l'appétit d'une famille pauvre, glorieuse et affamée, de sorte que M. le cardinal de Rohan a été obligé de faire ses billets, et que nous avons engagé jusqu'à nos breloques. Faites vos efforts pour nous envoyer de nouveaux fonds, au moins dix mille pistoles. On ne fait rien ici sans argent[49]. A ces cris de détresse Dubois répond par des lamentations d'une singularité si énergique que nulle autre expression que les siennes ne saurait les rendre. Il s'adresse en ces termes au cardinal de Rohan : J'envoie à Votre Éminence une lettre de change de dix mille pistoles, c'est aujourd'hui comme cent mille. J'ai fait cet emprunt sur mon compte ; car j'aurais ouvert toutes les veines à Son Altesse Royale sans en tirer une goutte de sang. Nous sommes dans les temps affreux si prédits par les prophètes de la finance, et cependant M. Bernard a exigé une portion considérable des dix-neuf cent mille francs qu'il a fallu lui remettre pour ce qu'il a fait tenir à Rome[50]. L'aine de Dubois, un peu contrainte dans cette lettre, s'abandonne entièrement dans celle qu'il écrit à l'abbé de Tencin. Vos lettres m'ont mis dans une telle détresse que je ne puis me souffrir moi-même, et il n'y a point de coiffure qui me paraisse aujourd'hui plus extravagante qu'un chapeau de cardinal. Il semble que toutes les vertus et tous les vices des hommes se soient entendus pour m'accabler. La générosité et la persévérance de ceux qui m'honorent de leur amitié, me remplissent de confusion. La rage, la noirceur et l'infidélité de ceux qui nous traversent me mettent en fureur, et ce qui m'aurait touché le moins en toute autre occasion, qui est l'argent, dans celui-ci, est mon bourreau. Impossibilité de tirer rien du trésor royal, c'est-à-dire de la monnaie. Le prêt des troupes à manqué net. Cependant dès qu'il s'agit d'engagement pris par M. le cardinal de Rohan, je voudrais pouvoir me vendre moi-même, fussé-je acheté pour les galères. Pour envoyer à Rome dix mille pistoles, il faudrait en trouver trente mille à Paris, dans le temps que le plus accrédité n'y en trouverait pas cinquante. Cependant j'envoie à M. de Rohan une lettre de change de dix mille pistoles, et je me suis engagé en mon propre et privé nom pour deux cent quatre-vingt mille livres. J'ai fait pitié à M. Leblanc et à M. de Bellisle qui m'ont vu dans la peine de cette recherche, sans pouvoir me soulager. Enfin je ne suis pas mort, et c'est beaucoup[51].

Tandis que le misérable exhalait de si burlesques clameurs, il était à son insu cardinal depuis sept jours, et ses amis nageaient à Rome dans la joie. J'aime le pape à l'adoration, dit le cardinal de Rohan, et Scaglione, tout noir qu'il est, me parait un ange[52]. L'évêque de Sisteron, toujours l'aigle de l'intrigue, avait su la promotion cinq jours d'avance, et il s'exprimait ainsi : J'avoue n'avoir jamais été mieux servi en espions. Ma joie de votre promotion sera telle que je la regarde comme un avant-goût du paradis. C'est Dieu qui a conduit ici M. le cardinal de Rohan par la main[53]. Le Dieu de l'évêque de Sisteron faisait payer cher ses services. J'ai reconnu en compulsant divers états du trésor royal, que le chapeau de Dubois coûta environ huit millions à la France. Ce n'est pas la première fois qu'elle souffrait de cette sainte piraterie ; car déjà le président de Novion avait déclaré en plein parlement, le 22 septembre 1648, que nous avions déboursé douze millions pour acheter le cardinalat au frère de Mazarin. La pourpre de Dubois revenait à quatre millions de moins, et encore faut-il tenir compte de la perte du change qui en 1721 surhaussait de prix toutes les choses exotiques.

Après la promotion, le cardinal de Rohan rendit au pape l'écrit, sous forme de consultation, qu'il avait signé dans le conclave ; et Innocent XIII lui renouvela, par un acte séparé qu'il lui remit, la promesse de ne rien entreprendre relativement à la constitution Unigenitus, jusqu'à la majorité du roi. Cet échange ne se fit pas-sans qu'il n'y eût encore beaucoup d'or semé dans les consciences ultramontaines[54]. L'abus était si invétéré, que Dubois, qui en avait cruellement souffert, songea moins à le détruire des la suite qu'à s'y accommoder. Voici les conseils qu'il a légués aux corrupteurs qui viendront après lui : Il faut abolir peu à peu le pernicieux usage de M. de Sisteron, de jeter des promesses d'argent. Les libéralités vagues sont inutiles avec les Italiens. Ils font pour peu les mêmes efforts que pour beaucoup. Autrefois il n'y avait personne chez les Grisons qu'avec sept ou huit pistoles on ne gagnât ; mais le chevalier de Graville s'étant avisé de faire une gratification de douze mille francs à un particulier du conseil, leurs services devinrent si chers qu'il fallut y renoncer. Il faut ramener la cour de Rome à ce qui est nécessaire. Les pensions ordinaires sont de peu d'utilité. Dans chaque affaire ou peut conclure un marché particulier avec celui qui est maitre de la décision. Voilà ce que l'expérience m'a appris avec la cour de Rome[55]. En conséquence de ces principes, il rappela de Rome avec douceur le trop prodigue évêque de Sisteron, et y chargea l'abbé de Tencin des affaires de France sous la tutelle absolue du cardinal Gualterio. Tencin et Lafitau, ces deux émules si diversement récompensés, semblaient s'être partagé les qualités de leur commun patron ; l'évêque de Sisteron avait pris tout ce que le caractère de Dubois avait de fort et de prompt, et Tencin tout ce qu'on y trouvait de faux et de bas. Le premier, extrême, mais sincère, vit sa fortune avorter en peu d'instants, et passa d'une vie licencieuse aux puérilités de la dévotion mystique. Le second, personnel et rampant, porta dans les dignités je ne sais quelle abjection native dont Dubois lui-même avait senti la nécessité de le laver[56]. A la nouvelle de sa promotion, et dans les essais de la pourpre, Dubois montra une décence et une gravité qui étonnèrent ses ennemis. Au fond, loin d'imiter l'indépendance d'Alberoni, nul ne se regarda plus débiteur d'une grâce payée d'avance. Il vérifia strictement ces belles paroles de l'avocat général Talon : Les cardinaux ne se croient pas seulement les sénateurs et les coadjuteurs de la puissance pontificale, mais qui plus est, ils s'imaginent être une portion de sa substance. Dès lors les passions de la cour de Rome infestèrent la politique française. Dubois établit de dangereux rapports avec le Prétendant, et le qualifia de majesté britannique. Si même on peut l'en croire, il fit quatre fois avorter dans le conseil du roi George, et dans le parlement d'Angleterre, la résolution d'exiger par des moyens violeras l'expulsion de Rome du chevalier de Saint-George et du prétendu cardinal Protecteur. Il travailla surtout dans le gouvernement intérieur du royaume à saper les libertés gallicanes. Le temps seul lui manqua pour livrer l'autorité civile à l'action des ressorts religieux, respectables en eux-mêmes, mais susceptibles d'un emploi funeste, et d'autant plus à craindre que le vulgaire les croit plus affaiblis. Six semaines avant sa mort il avouait avec orgueil qu'il conspirait .le retour de ce barbare désordre. J'entreprends actuellement, écrivait-il au pape, de grandes choses pour l'autorité du Saint-Siège, et la juridiction épiscopale, qui paraîtront à la fin de l'assemblée, et pour lesquelles il faut un grand travail, et toute l'autorité de ma place, que je déploierai sans aucune crainte des parlements qui en seront le principal objet[57]. Ainsi finissait par la trahison ce drame singulier qui s'était noué par la fourberie, le péculat et la corruption ; ainsi se confirmait de plus en plus la sage prévoyance de Louis XIV lorsqu'il écarta de ses conseils les hommes en qui le sacerdoce romain ne laissait presque rien de français. Ecoutons encore sur ce point les aveux du nouveau cardinal ministre : Je crois que mon exemple peut-être avantageux à l'église, et donner occasion de remettre les ecclésiastiques dans les places du gouvernement qu'ils ont longtemps occupées presque seuls en France, et dont on les avait éloignés. C'est dans la vue de l'utilité que l'église peut trouver dans le gouvernement des ecclésiastiques, que, lorsque Paul IV proposa dans le consistoire la promotion au cardinalat de Jean-Bertrandi, garde-des-sceaux de France, demandé par Henri II, sur laquelle le pape avait quelque scrupule, tous les cardinaux lui représentèrent qu'il ne fallait pas perdre cette occasion, et le vœu unanime du sacré collège décida le pape à faire sur-le-champ cette promotion. On voit par le bref d'Urbain VIII au cardinal de Richelieu, lorsqu'il fut nommé ministre, combien ce pape croyait le gouvernement d'un ecclésiastique favorable à l'église[58].

Dans ce récit de la promotion de l'abbé Dubois, j'ai saisi les acteurs sur le fait, j'ai mis à découvert leurs pensées et leurs actions : j'ai emprunté le plus souvent leurs propres paroles ; et loin d'avoir dépassé la vérité dans le moindre détail, j'en ai quelquefois éteint les couleurs trop vives. On a pu suivre dans ce chapitre tous les symptômes de cette fièvre du chapeau qui brûle jusqu'à la moelle des os les prêtres en crédit, et dont la violence n'est égalée que par cette autre maladie du conclave, nommée par les Italiens la rabbia papale. On a pu y reconnaître, non sans effroi, qu'il n'est pas de merveille si monstrueuse que n'opère le génie de l'intrigue, puisqu'on le vit, pour vêtir un mauvais prêtre d'une soutane rouge, remuer l'Europe, et diriger au même but les plus mortels ennemis, le roi George et le Prétendant, la cour de Madrid et celle de Vienne, les disciples de Luther et ceux de Molina. Ce fut enfin à force de turpitudes mêlées d'audace, de fraude et de simonie, que le favori du Régent obtint ce bel éloge que lui adressa Fontenelle, d'avoir paru le prélat de tous les états catholiques, et le ministre de toutes les cours. Sans doute si la muse de l'épopée badine entreprenait un jour de chanter les travers de la Régence, elle ne saurait choisir de cadre plus heureux que la conquête du chapeau de Dubois, qui eut son, merveilleux, ses paladins, ses péripéties, et même ce pauvre archevêque de Besançon mort en héros comme Roland, entre les roches des Pyrénées. Mais des motifs plus graves ont présidé à ces recherches, où jamais la vérité n'avait mis sous les yeux des princes catholiques une leçon moins suspecte. L'exemple d'une promotion, dont la justice divine a voulu conserver les preuves, leur révèle l'esprit général qui détermine les promotions ; le criminel emploi fait si facilement par un prélat de la confiance de son maitre et des trésors de l'État, leur apprend le danger de ne pas laisser dans le sanctuaire les ministres du culte. Mais surtout, devant le tableau de la corruption romaine, les hommes pieux reconnaissent les énormes abus que doit enraciner dans un même lieu une trop longue familiarité des choses saintes ; ils sentent la nécessité de délivrer la religion des plaies profondes que perpétuerait une coupable dissimulation, et leur foi gémissante, s'il est permis de s'exprimer ainsi, demande au christianisme de redevenir chrétien.

 

 

 



[1] Il n'y a pas un ministre étranger qui ne croie que je vais avoir le chapeau de cardinal pour récompense, et vous seriez étonné par quelles têtes une si grande ridiculité passe. (Lettre de Dubois au comte de Nocé, du 11 décembre 1716.) Dans le même temps il écrivait : J'aspire à la retraite comme un religieux de la Trappe au paradis. Je demande au ciel de me rendre sourd et muet pour le reste de mes jours. (Lettre à Pecquet du 15 novembre 1816.) Mais quelques jours après il annonçait ainsi au Régent la signature du traité : Je vous suis plus redevable de m'avoir donné cette marque de votre confiance, que si vous m'eussiez fait cardinal. (Lettre au Régent du 4 janvier 1717.)

[2] Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron du 29 nov. 1719.

[3] Se abbate Dubois pensa ad essere cardinale, tutte le operazioni sue savanno ordinate a questa fine. (Lettre du 10 octobre 1718.)

[4] Voyez les mémoires de Saint-Simon, qui ont été publiés en entier.

[5] Mémoires manuscrits de d'Antin, tome VIII.

[6] Lettre de Tessé au duc de Bourbon, du 24 janvier 1725.

[7] Lettre du roi d'Angleterre au Régent du 14 nov. 1719.

[8] Les lettres du Régent au pape pour demander le chapeau de Dubois sont des 29 novembre 1719, 22 juin 1720, 21 février 1721.

[9] Lafitau avait aussi un frère jésuite, connu dans les lettres par un parallèle ingénieux des mœurs des sauvages et des anciens. Dubois se servit de lui pour accréditer le faux bruit que plusieurs prélats et amis du Saint-Siège étaient impliqués dans la conspiration espagnole et qu'il les épargnerait par égard pour la cour de Rome. Ce jésuite prétendait avoir retrouvé chez les Iroquois la mandragore des anciens, et il publia sur cet aphrodisiaque une dissertation dédiée au Régent.

[10] Lettres du père Conti, missionnaire, et du chevalier de la Chausse, consul de France à Rome.

[11] Je n'en citerai qu'un exemple ; le duc d'Orléans venait de faire acheter dans une vente publique le cabinet de tableaux de la feue reine Christine de Suède. Le pape en empêcha assez longtemps la délivrance par une série de chicanes, où la mauvaise foi brava jusqu'au ridicule. Je me souviens que le pape ayant objecté que quelques-unes de ces peintures blessaient la décence, Crozat, Je mandataire du Régent, fit demander à S. S. si c'était pour cela qu'elle voulait les garder à Rome. Pendant ce débat, une sainte famille de Raphaël, qui fut d'abord soustraite à l'inquisition papale, passa en France à côté d'une marmotte, sur le dos d'un savoyard. La destinée de ce fameux cabinet de tableaux était assez singulière : Gustave-Adolphe l'avait enlevé pour sa part du pillage de Prague. Sa fille l'emporta ensuite à Rome, où elle en fit mutiler plusieurs chefs-d'œuvre, pour les adapter à la boiserie de sa chambre. Cette folle barbare traitait ses tableaux comme ses amants.

[12] 7 février 1720.

[13] Lettre de Jacques III à Dubois du 4 mars 1720.

[14] J'avais promis au pape qu'au moment où il aurait fait ce que Son Altesse Royale attendait de lui, je lui ferais toucher une somme d'argent dont je lui spécifierais toute la valeur. Cette ouverture fut écoutée avec plaisir, et j'entrevis parfaitement que si elle était bien ménagée, elle allait infailliblement produire son effet. C'était aussi l'idée de M. le cardinal Albani. J'écrivis, le 4 avril, qu'on fit venir cet argent, afin que je pusse le montrer au pape, bien assuré que quand il se trouverait en état de s'en rendre maitre, la tentation serait si violente qu'il y succomberait, mais aussi qu'il ne fallait pas donner un sou jusqu'à ce que l'affaire fût finie. Qu'arriva-t-il ? l'argent vint en effet, et voici la faute essentielle qui se fit à Rome : au lieu de retenir cette somme pour la montrer au pape, et l'enflammer par là d'un désir ardent de nous satisfaire, on jura à propos de la donner à qui elle était déjà destinée, sans en dire un seul mot au pape, faute dont je pleurerais toute ma vie si je ne m'y étais opposé de toutes mes forces. (Lettre de l'évêque de Sisteron à M. Pecquet du 17 décembre 1720.)

[15] Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron, du 22 juin 1720.

[16] Lettre de Dubois au cardinal Gualterio, du 4 mars 1720.

[17] Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron, du 24 mars 1720. Il lui ordonne en même temps d'acheter les meubles du cardinal de la Trémoille, mort le 10 janvier, et d'en faire présent au cardinal Corradini.

[18] Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron, du 7 avril 1720.

[19] Lettre de Stanhope au comte de Stair, datée de Hanovre, du 27 juin.

[20] 21 décembre 1720.

[21] C'était un joaillier de Paris, appelé Levieux, au fils duquel Dubois s'engagea de donner un canonicat de l'église de Cambrai.

[22] Qu'on en juge par ce qui se passait seulement dans le petit état romain, où il s'agissait à la fois de la restitution de Commacchio, de celle de Castro et Ronciglione, de l'affaire de Ferrare, de la confirmation d'Avignon, de détacher Parme et Plaisance des fiefs de l'empire, du retour de D'Aguesseau, odieux au pape, du canal de la Durance, de l'admission du cardinal Neveu au congrès de Cambrai, etc., etc.

[23] Je n'ai connu qu'un seul acte de sa juridiction épiscopale. Ses vicaires généraux avaient refusé certaines dispenses de carême. Les ambassadeurs du congrès réclamèrent contre cette rigueur, sous le singulier prétexte qu'ils seraient accusés d'orgueil par leurs confrères, s'ils se piquaient à Cambrai d'une plus grande perfection chrétienne. L'archevêque cassa l'ordonnance, et les diplomates se dispensèrent du carême par humilité.

[24] Lettre de l'évêque de Sisteron à M. Pecquet, du 17 décembre 1720.

[25] Lettre de l'évêque de Sisteron à Dubois, du 31 décembre 1720.

[26] Notre Mécène vous permet de promettre, et vous mettra en état de donner, le jour que le pape consommera cette grâce vingt mille écus romains à M. le cardinal Albani, et dix mille autres aussitôt que le change sera moins onéreux. (Lettre de Pecquet à l'évêque de Sisteron, du 19 janvier 1721.)

[27] On envoie le cardinal de Rohan à Rome remettre un peu nos affaires en lustre et en vigueur, nos dérangements nous ayant fort avilis dans une nation et une cour très-mercenaires, et où l'on n'a des amis qu'à proportion qu'on est puissant. (Mémoires manuscrits du duc d'Antin.)

[28] Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron, du 20 janvier 1721.

[29] Ce n'était pas la première fois que Jacques III harcelait le pape pour ce chapeau. Dans une autre occasion, dit Lafitau, le chevalier de Saint-Georges employa jusqu'à la souplesse pour y réussir, et il en vint jusqu'à dire que le refus de Sa Sainteté était peut-être la cause qu'il était encore à Rome. (Lettre de l'évêque de Sisteron à Dubois, du 7 décembre 1720.)

[30] Saint-Père ! une parole de vie ! une parole de vie !

[31] Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron, du 29 mars.

[32] 27 avril 1718. L'incendie ne fut arrêté que par la tour du Châtelet, et fit connaître à quoi peuvent servir dans une ville ces masses gothiques. Le maréchal de Villars, qui ne cessait guère d'être ridicule que les jours de bataille, marcha au secours en se faisant précéder dans des rues étroites par des pièces de canon. Suivant don Félibien, on attribua ce malheur à la superstition d'une femme dont le fila venait de se noyer. Elle mit en l'honneur de saint Antoine de Padoue une chandelle allumée dans un vase de bois, et la livra au courant de l'eau, persuadée qu'elle s'arrêterait sur l'endroit où serait le corps de son fils. Mais l'offrande lumineuse rencontra des bateaux de foin qui, ayant pris feu, consumèrent leurs câbles, descendirent contre le pont et y furent arrêtés par les armatures qui en soutenaient les arches mal construites. Il y eut 22 maisons brûlées et 23 démolies ; les aumônes furent de 450.000 liv.

[33] Le fameux coadjuteur avait usé de la même manœuvre contre le gouvernement de Mazarin, et c'était choisir un mauvais modèle.

[34] Voici cette lettre qu'un historien n'a pas hésité à qualifier d'ignominieuse, et à regarder comme l'effet des terreurs qu'un nonce artificieux avait su inspirer au roi, touchant son salut éternel. Très-Saint-Père, j'ai toujours beaucoup espéré de l'exaltation de Votre Sainteté au pontificat, pour les avantages de l'Eglise et l'avancement de notre sainte religion. J'en éprouve maintenant les effets avec bien de la joie dans tout ce que V. S. fait de grand et d'avantageux pour le bien de l'une et de l'autre. Cela redouble mon respect filial envers Votre Sainteté, et comme je cherche à le lui faire connaître per les plus fortes preuves que j'en pais donner, je suis bien aise aussi de faire savoir à V. S. que j'ai donné les ordres nécessaires afin que les choses contenues dans mon édit du 2 mars 1622, touchant la déclaration faite par le clergé de France (à quoi les conjonctures passées m'avaient obligé) ne soient pas observées, désirant que non-seulement  Votre Sainteté soit informée de mes sentiments, mais aussi que tout le monde connaisse, par une marque particulière, la vénération que j'ai pour ses grandes et saintes qualités. Je ne doute pas que V. S. n'y réponde par toutes les preuves et démonstrations envers moi de son affection paternelle ; et je prie Dieu cependant qu'il conserve Votre Sainteté plusieurs années, et aussi heureuse que le souhaite. Très-Saint-Père, votre très-dévot fils, LOUIS. A Versailles, le 16 de septembre 1623.

Quant au débat qui s'éleva sur le sens de cette palinodie, j'eu tirerai le récit de la source la moins suspecte. Le cardinal Corsini ayant, dans une lettre hortatoire, au nom du pape Clément XII, son oncle, réclamé aven hauteur l'exécution de la promesse de Louis XIV, le cardinal de Fleuri lui répondit, le 13 avril 1733, dans les termes suivants : Votre Eminence me parle d'une lettre du feu roi de glorieuse mémoire à Innocent XII. Mais j'aurai l'honneur de lui dire qu'elle ne contient pas une promesse d'empêcher qu'on ne soutint à l'avenir les quatre propositions de l'assemblée de 1682. Il me semble que Louis XIV s'engagea seulement à révoquer l'ordre qu'il avait donné, en conséquence de cette assemblée, à tous les bacheliers de soutenir dans leurs thèses ces articles, et il tint parole, car on s'abstint pendant longtemps de les soutenir. Mais à l'occasion d'un évêque (l'abbé de Saints Aignan nommé à l'évêché de Beauvais en juillet 1713), auquel Clément XI refusa des bulles parce qu'il avait soutenu ces propositions dans sa thèse, ce prince fit écrire à M. le cardinal de la Trémoïlle qu'il ne pouvait consentir à un pareil refus, et que son intention n'avait jamais été de défendre que ces propositions fussent soutenues, mais d'ordonner seulement que les bacheliers ne seraient pas obligés à les mettre dans leurs thèses. C'est ce qui a toujours été observé depuis, et ils ont une liberté entière de les soutenir ou de n'en pas parler. Si on voulait le leur défendre, on trouverait dans toute la nation, et même dans le plus grand nombre des évêques, une opposition qui aurait des suites bien dangereuse.

[35] Ce que coûta l'achat de la bulle à Louis XIV ne m'est pas entièrement connu ; je sais seulement qu'une partie de ce prix était une pension de 12.000 liv. faite, en 1713, à dom Alexandre Albani, neveu du pape, et tous les arrérages furent payés peu exactement après la mort du roi. Quant à l'argent que Rome tira du Régent pour neutraliser quelque temps cette même bulle, il suffira des deux citations suivantes : A Rome tout se fait avec de l'argent, c'est par là que je viens de pacifier la bulle. (Lettre de l'évêque de Sisteron à Dubois.) Je suis ménager de l'argent du roi. M. de Sisteron, suivant vos ordres, m'en emporte plus de 30.000 liv. ; je ne les lui plains pas. J'en ai dépensé autant, et j'ai des engagements très-forts par rapport à l'affaire de la constitution ; ainsi, si nous avançons, je verrai bientôt la fin de mes trésors. (Lettre du cardinal de Rohan à Dubois, du 3 juin1721.)

[36] La déclaration qui érige la bulle en loi de l'état est du 4 août 1720 ; l'enregistrement au grand-conseil du 23 septembre ; l'acceptation par le cardinal de Noailles du 17 novembre ; l'enregistrement au parlement du 4 décembre ; et le retour de cette cour à Paris du 14 décembre.

[37] Il sort tous les jours quelque écrit extraordinaire de la part des réfractaires : si on prenait feu à chaque sottise qu'ils font, il en partirait tous les jours des volées, comme la girande de Saint-Pierre. (Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron, du 6 avril 1721.) L'armée des jansénistes est remplie de hussards qui font des courses et des embrasements. Mais l'armée des catholiques, toujours ensemble, avance, prend du terrain et la détruira. Nous avons reconnu par l'expérience que ce parti n'était ni affaibli ni mortifié par les exils ; parce que les docteurs qui s'attiraient ce châtiment, vivent dans une médiocrité qui leur rend tous les pays égaux, et que même leur exil leur procurait plus de considérations, de moyens et de subsistances, qu'ils n'en avaient auparavant. (Lettre du même à l'abbé de Tencin, du 20 janvier 1722.)

[38] Voici le remerciement de Louis Racine au cardinal Dubois : Marseille, 20 décembre 1722. Je viens d'apprendre que V. E. avait rendu la liberté au Poème de la grâce. Votre facilité à accorder des grâces, vous a fait sans doute accorder celle-ci. Je n'ose cependant en remercier V. E. Je crois qu'il eût été à souhaiter pour ma réputation que cet ouvrage n'eût jamais vu le jour. Heureusement pour moi, je suis loin de Paris, je n'entends pas tout le mal qu'on dit de mes vers, et ils seront apparemment oubliés quand je serai de retour. Ceux qui ont le talent d'en faire de beaux, ont présentement d'assez grands sujets que V. E. leur procure, et Votre ministère causera sans doute bien des veilles aux poètes. J'ai l'honneur d'être, etc. RACINE.

[39] Le cardinal Borgia est homme de grande maison, ignorant à l'excès, fort attaché à son maitre, homme de beaucoup de piété, qui cependant toutes les années se fait servir gras le vendredi saint, pour maintenir ce privilège impie que le pape Alexandre VII avait donné à sa maison. Lettre du commandeur de Castellane à M. de Chauvelin.

[40] Le cardinal de Rohan est entré au conclave les mains garnies ; il a montré au cardinal Albani les sûretés des paroles et la présence des objets infiniment opéré sur son esprit. (Lettre de l'évêque de Sisteron à Dubois, du 16 avril 1721.)

[41] Vous voyez l'ouvrage de vos mains.

[42] J'ai remis à monseigneur le cardinal Albani les lettres de protection dont Son Altesse Royale m'avait chargé pour lui et pour monsieur son frère, ainsi que les 30.000 écus qui lui avaient été promis. (Lettre du cardinal de Rohan à Dubois, du 15 mai 1721.)

[43] Il y a longtemps que le cardinal Lecamus m'a dit que tous nos cardinaux n'étaient auprès des Italiens que des crapauds en manège et en politique. (Lettre du maréchal de Tessé au comte de Morville, du 26 juin 1724.)

[44] Lettre du 23 juin.

[45] Lettre du 5 mai.

[46] Le Régent assura pour chaque trimestre une cédule de six mille écus romains, et s'engagea [d'élever la pension jusqu'à cent cinquante mille livres, qui par la perte dû change coûtaient alors au trésor royal trois cent soixante-quinze mille livres. (Lettre du Régent au cardinal de Rohan, du 26 mai 1721. Lettre du maréchal de Villeroi au Prétendant, du 12 juin.)

[47] Ne pressez point monseigneur le cardinal de Rohan ; attachez-vous à ce grand homme. Il vous rend justice, et il immortalisera ceux qui auront eu part à ses travaux. (Lettre de Dubois à l'évêque de Sisteron, du 10 juin.) Son Altesse Royale a été frappée de votre lettre du 17, qui peut servir de modèle pour l'art de bien écrire dans les affaires considérables. Le cardinal de Rohan rend de grands services, non seulement par ce qu'il fait, mais par les ouvriers qu'il forme. On s'est ressenti trente ans d'une volée qui s'était formée auprès du cardinal de Mazarin, tels que MM. de Lyonne, Joly, Verjus et autres. (Lettre de Dubois à Tencin, du 28 juin.)

[48] J'ai offert à monseigneur le cardinal de Rohan de gagner, pour mille écus, une certaine Marinade, qu'on dit mariée secrètement au duc de Poli, et qui a sur lui et sur le pape tout l'ascendant que peut donner l'esprit d'une courtisane achevée. (Lettre de l'évêque de Sisteron, du 23 juin.)

[49] Lettre de Tencin à Dubois, du 10 juin.

[50] Lettre de Dubois au cardinal de Rohan, du 23 juillet.

[51] Lettre de Dubois à l'abbé de Tencin, du 23 juillet.

[52] Lettre du cardinal de Rohan à Dubois, du 2 août.

[53] Lettre de Lafiteau à Dubois, du 11 juillet.

[54] L'évêque de Sisteron demandait, pour cet effet, vingt mille écus ; et Pecquet lui répond : Malgré notre misère, on donnera plus pour tout terminer. Je n'ai pas besoin de réfuter une fable dénuée de bon sens, où l'on a prétendu que l'abbé de Tencin retint l'écrit du pape, et voulut forcer Sa Sainteté à le faire lui-même cardinal. Je puis certifier que tout est faux dans cette historiette.

[55] Lettre de Dubois à Tencin, du 20 janvier 1722.

[56] Toutes réflexions faites, je veux vous faire prendre un chemin qui vous conduis à l'estime publique, et qui vous fasse connaisse tel que vous êtes. J'ai mon secret sur vous, comme sur la plupart des affaires que je négocie. Laissez agir ma tendresse pour vous. Je ne vous ai pas donné un mauvais conseil en vous invitant d'aller à Rome. Il m'en a déjà coûté la perte des bonnes tenues d'un seigneur qui a tous les jours les mains sur le trône (le Maréchal de Villeroi). Mais je perdrais l'amitié de tous les antres fantômes de grandeur, plutôt que de me départir de la reconnaissance que je vous dois. (Lettre de Dubois à Tencin du 6 novembre 1721.)

[57] Mémoire de Dubois pour le pape, adressé par lui à l'abbé de Tencin le 25 juin 1723. L'assemblée dont il parle est celle du clergé dont il s'était fait nommer président.

[58] Lettre confidentielle du cardinal Dubois au cardinal de Rohan du 21 août 1711.