Suite du système de Law. — Sa décadence et sa chute. — Le visa. L'IVRESSE du système avait été si générale et ses bienfaits si merveilleux, qu'il fallait craindre l'instant où la simple vérité viendrait frapper des esprits nourris de prodiges. L'intrigue des hommes autant que la force des choses hâta ce retour inévitable. La fortune apportait aux pieds de Law les hommages de l'Europe. Le chevalier de Saint-Georges, sollicitant sa pitié, ne refusa pas d'abaisser le sang des Stuarts devant leur ancien sujet[1], et celui-ci, le plus généreux des hommes, remplaça de ses propres deniers les pensions qu'on ne payait plus aux fugitifs de Saint-Germain. Le vigilant Stairs ne pardonna pas ce noble procédé, et d'ailleurs, il souffrait impatiemment que la banque française enlevât l'or de l'Angleterre aux spéculations rivales du chevalier Blunt et de la compagnie du Sud. L'aigreur sépara les deux Ecossais ; l'injure et la menace furent réciproques. Mais Law, aussi timide que son adversaire était violent, se ressouvint du mousquet brisé de Nonancourt, et se regardant comme une victime dévouée aux assassins, prit brusquement le parti de se retirer à Rome. Le Régent, effrayé de sa résolution, lui offrit aussitôt de le mettre, par une grande dignité, au-dessus de l'atteinte de ses ennemis. Stanhope accourut de Londres et lui promit au nom du roi que Stairs lui serait sacrifié après la session du parlement. Il se laissa faire, à ce prix, contrôleur-général. Comme les ordonnances du royaume exigeaient, pour un tel emploi, des preuves de catholicité, il abjura entre les mains de l'abbé Guerin de Tencin, l'un des aumôniers de la rue Quincampoix ; aimant mieux, par cet acte précipité, se jouer de la religion que de la loi civile. Son triomphe ne servit qu'à lui mieux cacher le précipice où le poussaient, par des motifs différents, Dubois et d'Argenson, Canillac et Villeroy. Mais les plus dangereux de ses adversaires furent ses amis et lui-même. Les partisans du système avaient entraîné Law au-delà de ses mesures. Un observateur de ce temps-là, faisant allusion à la quantité des actions émises, disait de lui avec justesse : On l'a forcé d'élever sept étages sur des fondements qu'il avait posés pour trois. Les grands actionnaires intimidés par l'excès même de leur fortune pensèrent à réaliser quelques-uns de ces capitaux dont la masse eût englouti toutes les propriétés de la France. Les premiers symptômes de cette défection, d'abord inaperçus du vulgaire, remontent à la fin de 1719. Il était temps encore de prévenir une catastrophe. Deux sortes de papiers existaient : les billets de banque, monnaie invariable, garantie par le prince, remplissant les mains de tous les sujets ; et les actions des Indes, titres éventuels, assis sur les bénéfices d'un commerce privilégié et appartenant surtout à la classe des spéculateurs. On pouvait assurer, par de sages mesures, le remboursement des premiers et laisser les seconds prendre naturellement leur niveau. Ébloui par l'espérance ou mu par la générosité, Law préféra le salut du petit nombre à celui du peuple, unit la banque à la compagnie, et fit à volonté l'échange de papiers si divers[2]. Par cette faute, qui en nécessita tant d'autres, Law se coupa toute retraite et tailla pour ainsi dire à pic l'écueil sur lequel il était retranché. Dès lors il essaya de soutenir le commerce des actions par des lois ingénieuses, et il se montra lui-même dans l'arène des agioteurs, dans la rue Quincampoix, entouré des grands du, royaume ; folle entreprise ! Comment recruter une troupe où la désertion a commencé par les chefs ? Tant que le commerce des actions fut progressif, on ne s'aperçut pas de la masse des billets ; mais dès qu'il se ralentit, ce qui devait nécessairement arriver par l'excès même où il était monté, elle excéda les besoins. Or, le superflu de tout signe monétaire tend, par une force pour ainsi dire mécanique, à se convertir en argent, en mobilier, en fonds de terres. Law entrevoyait confusément cette théorie aujourd'hui si bien connue ; mais il en sentait vivement les effets qui l'assiègent et la froissent de toutes parts ; il se déconcerte et s'irrite ; la contagion de la peur lui parait un complot de la malveillance. Déposant pour cette guerre son caractère humain et ses nobles principes, il arrive à des violences dont un amer souvenir a longtemps subsisté. On proscrit l'usage des diamants et des perles ; on renverse le creuset de l'orfèvre ; le jeu des primes, ce contrat fugitif que l'espérance et la crainte suspendent aux chances du crédit public, est interdit aux particuliers, et, par un injuste monopole, réservé à la compagnie ; enfin la possession d'une parcelle d'or ou d'argent devient un crime puni par la confiscation des biens. Il faut le dire à la honte des mœurs, ce dernier acte, qui ressemble au délire de la tyrannie, eut un plein succès. L'avarice menacée apporta dans un seul mois, à la caisse de la banque, quarante millions d'espèces ; tant elle compta sur le nombre et l'effronterie des délateurs. Un fils dénonça son père. Une action si noire trouva encore des urnes qui s'indignèrent, et le Régent la fit punir, comme s'il lui eût été permis d'être moins intaille que ses lois. Malgré ces cruels efforts, la décadence du papier continuait. L'agiotage, devenu impuissant, fut chassé par une ordonnance de police de la rue dont il a immortalisé le nom[3]. Un attentat aussi monstrueux par la turpitude du complot que par le rang des coupables, ferma tristement cette bacchanale. Le jeune comte de Horn, allié à la plupart des maisons souveraines, et deux officiers, de ses amis, attirèrent dans une taverne voisine un garçon tapissier, et, l'ayant égorgé, volèrent son portefeuille. Quatre jours après, le comte de Horn et un de ses complices saisis avec lui, furent rompus vifs sur la place de Grève, malgré les sollicitations de tout ce que la cour contenait de plus grand et de plus corrompu. La faiblesse du Régent était si connue, que les honnêtes gens le louèrent beaucoup d'avoir laissé faire justice de ce noble scélérat[4]. Cependant Law, accablé sous le poids du fardeau qu'il avait doublé par une première faute, méditait le projet, de s'en soulager par une seconde. Il publia l'arrêt du 21 mai, qui réduisait à moitié de leur valeur les billets et les actions. A cette nouvelle, le soulèvement fut général, et le charme rompu pour les plus crédules. Law prétendit vainement, dans le conseil privé, qu'on avait tort de s'alarmer d'une réduction qui n'était qu'apparente, puisqu'il diminuait le taux des monnaies dans la même proportion. La meilleure preuve que son opération blessait le peuple, c'est qu'il avait besoin de la justifier par une subtilité métaphysique que les hommes d'affaires étaient seuls en état de comprendre et de mettre à profit. Il eut donc le chagrin de voir son arrêt révoqué sur la proposition du duc d'Antin, et l'échec lui fut d'autant plus sensible qu'il avait seul conçu la mesure avortée, et ne l'avait confiée au Régent que sous la promesse du secret. La Vrillière courut annoncer le résultat du conseil au parlement assemblé. Ce palliatif calma la douleur en creusant la plaie ; car, si l'arrêt du 21 compromettait la bonne foi, la révocation du 27 enlevait cette réputation d'habileté et ce beau nom de système, que le public avait donné lui-même aux idées de Law pour en louer l'admirable enchaînement. Le duc d'Orléans affecta, dans cette crise, beaucoup de modération, et se contenta de dire : Depuis que Law est contrôleur-général, la tête lui a tourné. Mais le soir même, ce ministre fut arrêté par le major des Suisses, et sommé de rendre ses comptes. Amis et ennemis le crurent perdu ; tous se trompèrent[5]. Les commissaires envoyés pour vérifier la situation de la banque s'attendaient à plonger dans un chaos sans bornes. Quelle fut donc leur surprise de trouver partout un ordre clair, les comptes à jour, des divisions faciles, et les résultats palpables des affaires les plus compliquées ! C'était le fruit des écritures en parties doubles, méthode italienne, alors inconnue en France, et obstinément repoussée par l'intérêt des financiers. Law, de son côté, traça en quarante-huit heures les expédients qui convenaient à la nouveauté des circonstances, et jamais son génie ne parut plus élevé ni plus fécond en ressources : aussi, dans le conseil suivant, quand les commissaires dirent ce qu'ils avaient vu, quand le captif exposa ce qui restait à faire, le cri d'admiration fut général. Law garda la direction de la banque et de la compagnie ; mais il refusa de reprendre le contrôle-général, en proposant lui-même d'y substituer une commission à l'exemple de l'Angleterre lorsque le grand-trésorier vient à manquer. Dans ce premier mouvement, il demanda au Régent le rappel du chancelier d'Aguesseau. Le prince, étonné un moment, comprit aussitôt combien cette démarche imprévue était propre à regagner la faveur du peuple. Law courut à Fresne, et ne négligea aucun de ses moyens pour séduire le chancelier ; il alla jusqu'à lui offrir cent millions de sa propre fortune pour le soulagement des malheureux. L'illustre exilé ne témoigna ni empressement ni répugnance ; il exigea seulement la promesse qu'on ne frapperait plus de ces coups d'état qui désolent les familles, et sur une aussi frêle garantie il consentit à se rembarquer au sein de la tempête, sans avoir ni la vigueur ni l'expérience qui auraient pu la conjurer[6]. La joie publique célébra son inutile retour : Le Régent crut lui devoir une réparation que sa grande aine était loin de désirer. D'Argenson et ses deux fils, l'intendant et le lieutenant-général de police, furent destitués à la fois. Après tant de services et tant de rêves ambitieux, le vieux garde des sceaux ; atterré du désastre de Sa maison, demanda pour toute grâce qu'on le laissât mourir en paix, sans livrer ses derniers jours aux tourments de l'exil. Il se retira volontairement dans l'intérieur d'un monastère de filles, où sa succession fut une proie[7], et sa présence un scandale ; bizarre dénouement d'une vie extraordinaire qui n'avait été ni sans tache ni sans éclat. Une triste fatalité étouffa promptement -les espérances qui renaissaient. La peste, qui éclata en Provence et ferma tous les ports du, monde à nos vaisseaux, accabla la compagnie de pertes énormes et d'un discrédit plus funeste encore[8]. Le parlement, jusqu'alors immobile ; aperçut à peine-la régence se débattant sur le bord de l'abîme, que, fidèle à la politique vindicative des Corps, il s'avança pour l'y précipiter. Les sages édits qui pouvaient sans secousses opérer la liquidation de la banque furent froidement renvoyés, sans qu'on daignât même les discuter dans des-remontrances. Cette lutte intempestive sapa les derniers étais de la confiance publique. Alors Dubois, quoiqu'il travaillât à la ruine de Law, comme tous les auteurs de la quadruple alliance[9], ne vit pas sans indignation l'autorité royale-flétrie entre les mains du Régent, et jeta dans la querelle l'influence de son hardi caractère. Le parlement souffrit une atteinte qu'il n'avait pas essuyée depuis son établissement ; il fut exilé en corps, et Dubois exécuta ce que n'avait pu Louis XIV ; car on se souvient que, dans une circonstance pareille, Mathieu Molé, quoique dévoué à la cour, répondit fièrement : Je suis le premier président du parlement de Paris, et non du parlement de Montargis[10]. Chaque magistrat reçut à son domicile l'ordre de se rendre dans la petite ville de Pantoise, tandis que des mousquetaires s'emparèrent du palais, et que, maîtres des sièges et des greffes, ils s'amusèrent à instruire avec solennité le procès criminel d'un chat[11]. Mais dans ces temps de licence les magistrats ne se montraient guère plus graves que les jeunes fous qui les parodiaient, et l'exil de Pontoise était un enchaînement continuel de fêtes et de plaisirs[12]. Cependant Dubois soupçonna que, sous ces jeux frivoles, le parlement projetait de déclarer sa translation illégale, et de rentrer à Paris en corps et en robes rouges ; il fit en conséquence des dispositions militaires assez singulières, et sema la route d'embuscades pour prévenir un éclat si dangereux[13]. Cette inquiétude tomba d'elle-même. Je dirai ailleurs par quelle adresse Dubois détourna vers ses propres intérêts le châtiment de la magistrature. Voyons quels accidents avaient signalé dans le public l'écroulement de la banque. C'est un inconvénient du papier-monnaie que, malgré tous les projets contraires, on est à la fin réduit à en donner des coupures de petites sommes et à se mettre ainsi à la discrétion de la multitude. En suspendant l'échange de ses billets contre de l'argent, la banque avait excepté ceux de dix francs. Mais ce faible ruisseau, au lieu de soulager les besoins du peuple, fut épuisé par une troupe barbare. Il se forma une nouvelle espèce d'agioteurs d'hommes les plus méchants et les plus robustes des halles et des ports. Ils achetaient à vil prix les billets de la pauvre bourgeoisie, passaient la nuit aux portes de la banque et à l'ouverture de la caisse, ils s'y précipitaient avec des cris et une fureur extraordinaires. Trois hommes succombèrent ; le 17 juillet, dans ce pugilat. La foule porta leurs cadavres au Palais-Royal, et l'on entendit quelques voix proférer dans les rues cet étrange appel : S'il y a des gens las de vivre qu'ils nous suivent. A leur approche, le Régent fit ouvrir toutes les portes. Leblanc, ministre de la guerre, décida, par quelques écus, ces misérables à transporter les trois corps à l'église de Saint-Roch. Ce mouvement, qui n'avait an fond rien de populaire, se fût dissipé sans autre accident, si le cocher de Law, qui était dans la cour sur son siège, n'eût provoqué les mutins par des injures, et n'eût été forcé de s'enfuir avec sa voiture vide, qu'ils assaillirent de coups de pierre. L'intérieur du Palais-Royal ne fut point troublé. Les frayeurs de Law, et les bouffonneries du premier président[14] réjouirent le Régent et le petit nombre d'amis qui se trouvait auprès de lui ; car la plupart des roués n'étaient pas encore revenus d'une orgie où ils avaient passé la nuit, au faubourg Saint-Antoine, et joué des sommes incroyables. L'amour effréné des plaisirs se mêlait à tous les désastres de cette époque. Lorsque la fameuse rue fut fermée au commerce des actions, une foule de gens pour qui ce jeu était devenu une profession, continuèrent de s'attrouper dans des lieux voisins. Des pelotons de cavalerie furent vainement lancés contre eux. On agiota avec intrépidité sous le sabre des archers. Le gouvernement sentit combien il était inconséquent de maintenir un papier négociable et d'empêcher le mouvement qui en conserve la valeur, et il assigna une lice nouvelle à ce trafic nécessaire. Ce fut la place de Louis-le-Grand, que le public s'obstinait à nommer place Vendôme, malgré l'inscription, et malgré la statue du monarque[15]. Elle parut couverte de tentes. La malignité parisienne l'appela le camp de Condé, pour se venger du prince qui, maitre des secrets du conseil, ruinait ses rivaux en agiotage avec sécurité[16]. Mais ce camp n'avait rien de terrible. A travers le bourdonnement de l'agiot, on étalait des bijoux et des étoffes précieuses ; des rafraichissements s'offraient de toutes parts. Jour et nuit des bandes de musiciens, de courtisanes et de bateleurs entretenaient la joie. Des femmes de la cour jouaient au quadrille sous les tentes ; et cependant le système était en pleine décadence et la fortune de la France expirait dans ce bazar voluptueux, Mais un autre tombeau lui était destiné. Le prince de Carignan, aussi avide que le duc de Bourbon, obtint que le marché de la place Vendôme serait transporté dans son jardin de l'hôtel.de Soissons, où fit construire plus de six cents baraques qui lui rapportaient trois cent mille livres par mois. Elles étaient alignées, élégantes et ombragées par les arbres, ce qui donnait à leur réunion l'aspect d'une ville indienne où l'on circulait par des rues pavées et où les grands mouvements se réglaient au son de la trompette, au lieu de la cloche monacale de la rue Quincampoix. C'est là que le papier perdit la qualité de monnaie, et que dès le mois de septembre on acheta pour un marc d'or dix-huit mille livres de billets ou neuf actions qui, dix mois auparavant, se fussent vendues cent soixante mille livres en argent. C'est de là que des milliers de joueurs revinrent dans leurs provinces aussi pauvres qu'ils en étaient sortis. L'enchantement rompu mit fin aux métamorphoses, Parmi les naufragés, un jeune homme, jeté nu sur le rivage, trouva une ressource dans sa plume, et créa un genre de comédie qui porte son nom ; c'était Marivaux. Au milieu du trouble général, deux philosophes-qui habitaient la maison de Law, Dumarsais Terrasson, apprirent sans surprise et sans regrets qu'ils avaient été riches et qu'ils ne l'étaient, plus. Cependant quelques calculateurs âpres et rusés fourrageaient encore sur ce champ de bataille, achevaient les victimes, et par la rapidité de leurs spéculations échappaient à la chute des ruines. Ce sinistre agiotage fut connu sous le nom de Mississipi renversé. Law, idolâtre du crédit public, tâchait au moins d'en conserver quelque ombre. Mais les membres de la commission des finances, impatiens de rentrer dans les vieilles routines, se hâtaient de le détruire par d'impitoyables rigueurs. Désespéré d'une opposition qui depuis six mois ne produisait que des mesures incohérentes, Law offrit aux Régent de quitter la France et de lui abandonner tous ses biens à la réserve des cinq cent mille écus qu'il avait apportés. Le prince, sans approuver sa sortie du royaume, ne fit rien pour le retenir ; car, s'il aimait son ministre, il craignait davantage le public. Le duc de Bourbon, plus passionné dans ses affections, le défendit jusqu'à l'extrémité ;mais tout ce qu'il obtint, c'est qu'on ne lui donnerait pour successeur au contrôle-général ni Fagon, ni Desforts, hommes à talent ennemis de l'Ecossais, mais Pelletier de La Houssaye, dont l'universelle médiocrité ne causait point d'ombrage. Law se retira, le 14 décembre, dans sa terre de Germande en Brie, où il ne passa que cinq jours. Ses adversaires le croyaient encore trop près, et il pensa comme eux lorsqu'il apprit le rappel du parlement. Ses instances arrachèrent enfin un passeport au Régent. Le duc de Bourbon lui envoya une de ses voitures et Sarrober, son capitaine des chasses, qui l'accompagna jusqu'à Bruxelles. Il fut atteint dans cette ville par un envoyé de Russie qui, ne le trouvant plus à Paris, l'avait suivi dans son évasion, et lui remit des dépêches où le czar le conjurait de venir prendre la direction de ses finances[17]. L'Ecossais, encore étourdi de sa chute, reçut froidement ce dernier sourire de la fortune, et ne voulut point aller bâtir des systèmes si près de la Sibérie. Ainsi s'évada, chargé des imprécations publiques, le célèbre étranger, adoré dix mois comme un dieu et, dix mois, maudit comme un fléau. Law eût été remarqué partout, et s'il fut un aventurier, il eut de quoi anoblir ce rôle. Sa taille était haute, sa figure belle, ses manières distinguées et pleines d'attraits. Ceux même qui accusèrent la légèreté de ses théories, reconnurent dans lui l'homme d'honneur et l'ami généreux. Quoique plus riche et plus libéral qu'aucun souverain, son âme ne changea pas ; sa maison resta simple, décente, hospitalière ; le caractère élevé de sa femme devint seul arrogant par le dégoût des bassesses dont elle se vit l'objet[18]. Law parlait facilement notre langue et la modulait avec grâce dans son accent étranger. Son discours vif, précis, n'admettait ni recherche ni ornement. Si un sophisme était nécessaire à la chaîne de ses raisonnements, il le traversait avec art et vous reportait aussitôt au sein d'idées justes, lumineuses et profondes. Sa dialectique remplissait l'esprit de germes si féconds que la confiance de ceux qui l'avaient écouté se fortifiait ordinairement par la réflexion, et que même après sa chute il laissa des enthousiastes que ne glaça point la prévention populaire. Aussi faut-il avouer que ses connaissances neuves, variées et bien fondues, lui donnaient dans beaucoup de parties une grande supériorité sur tout ce qui l'entourait. Quelques principes républicains qu'il avait apportés se dissipèrent naturellement sur le sol français. Deux choses lui ont manqué : la nature, qui lui accorda l'élan du génie, lui en refusa la patience[19] ; et la fortune, qui lui prépara un beau théâtre, ne lui laissa pas toujours le choix des acteurs[20]. Il préféra pour retraite Venise, où son indigence fit taire la calomnie et désarma l'espion[21] que Dubois avait attaché à ses pas pour découvrir les trésors qu'on lui supposait dans l'étranger. Il eut le courage de présenter aux chefs de sa nouvelle patrie des projets économiques ; mais il n'obtint qu'un froid silence de ce gouvernement immobile. Réduit, pour subsister, à la profession de joueur, presque honorée dans cette ville sans modèle, il mourut en 1729[22], également oublié des malheureux et des ingrats qu'il avait faits. L'homme qui donnait cent millions d'aumônes, qui transportait un peuple dans son duché de la Louisiane, laissa pour toute succession quelques tableaux et un diamant de quarante mille livres qui servait de gage aux emprunts dont sa mauvaise fortune lui imposait souvent la nécessité. La fuite de Law fut à peine aperçue au milieu de la confusion qui couvrait la France. Six milliards de papier[23] jetés dans le commerce par des voies inusitées, empêchaient toute circulation, et semblaient menacer l'état d'une dissolution anarchique. On commença par retirer de dessous les ruines les parties du revenu public qui avaient été aliénés à la compagnie. Personne ne se plaignit de cette mesure aussi juste que nécessaire. Mais le parti qui avait chassé Law voulut aussi détruire son ouvrage en obligeant la compagnie à rendre compte de la banque, sous prétexte de la réunion qu'on avait opérée entre les deux établissements. C'était en d'autres termes jeter les papiers dans un gouffre, au lieu de leur ouvrir des canaux d'écoulement, et confondre avec la foule des parvenus bien des familles innocentes qui avaient employé, sur la foi publique, des remboursements involontaires. Cette lutte cachait sous les formes d'un procès la virulence des troubles civils. Les actionnaires, qu'on aimait à flétrir par la qualification d'hommes-nouveaux, démentaient cette injure en montrant à leur tête des défenseurs décorés[24]. Deux petits-fils d'Henri IV et de Condé se signalaient dans cette guerre de finances. Le grand-prieur, arrachant un moment sa vieillesse à ces débauches du Temple que n'enchantait plus la muse de Chaulieu, vint remplir le Palais-Royal de ses emportements[25], tandis que le duc de Bourbon, s'attachant à La Houssaye, força ce faible ministre par de brutales menaces à- promettre sa neutralité. Cependant la compagnie succomba ; mais, par un retour singulier qui n'étonnera point les habitants des cours, sa défaite lui fut plus utile qu'une victoire, et pendant qu'on la condamnait publiquement à rendre les comptes de la banque, on lui fournissait en secret un milliard cent sept millions pour les solder[26]. Ainsi fut préservée par l'intrigue et non par aucune vue de commerce ou d'utilité publique cette compagnie des Indes qui s'attacha aux destinées de l'État, et trop souvent se ressentit des vices de son enfance. Cinquante-six mille nouvelles actions absorbèrent les anciennes. On implora pour les mettre en valeur ce même agiotage qui avait aussi été chassé du campement de l'hôtel de Soissons, mais qu'on essaya de réhabiliter dans l'opinion des hommes. Des agents de change furent créés pour l'épurer et lui servir de guides. Un édifice public fut assigné à ses exercices, et au moment où j'écris on lui élève un palais d'architecture grecque. De cette manière se naturalisa en France le commerce des effets publics. Le caractère national et les soins de l'administration se compliquèrent de cet élément capricieux, dont nous aurons plus d'une fois à observer les phénomènes. Pour régler le sort de la compagnie, il fallut conduire de front une autre opération ; ce fut le visa du système, confié aux frères Paris, comme l'avait été celui de 1716. Mais quelle différence dans cette entreprise gigantesque ! On conçoit qu'avec du fer et des arpenteurs une loi agraire soit exécutée, et qu'une opulence désordonnée fasse place à une équitable misère ; mais comment recomposer les fortunes d'un grand du royaume, en jugeant la conduite morale de chaque citoyen et l'origine de chaque partie de ses biens ? Ce que n'eût osé un patriarche dans sa bourgade, comment le croire possible après une subversion sans exemple, au milieu des vices, des fraudes et des subtilités d'une époque si corrompue ? J'avoue que l'équité et le plus rare talent présidèrent au plan tracé par les frères Paris, et à ce mécanisme où tous les effets du système devaient être triturés avec des pertes proportionnelles, depuis un sixième jusqu'aux dix-neuf vingtièmes. Ce fut au Louvre même, dans l'appartement d'Anne d'Autriche, que siégea le visa et qu'il dépensa neuf millions à l'entretien d'une armée de commis ; je n'emploie pas cette expression sans motif ; car plusieurs étaient des spadassins qu'on payait moins pour leur plume que pour leur épée, et dont la présence devait imposer aux mutins qui répugnaient à leur spoliation. Cette politique l'appelle un peu les mœurs de la Fronde et des anciennes régences. Quoi qu'il en soit, plu, de cinq cent onze mille chefs de familles firent leurs déclarations et déposèrent deux milliard deux cent vingt-deux millions de papiers[27] dont environ un tiers fut annulé et le reste converti en rente d'un taux désavantageux. Le hasard, la faveur ou la vengeance dictèrent bien des décisions. Mais on avait mis tant d'art à dégrader le papier et à effrayer les porteurs, que tout fut reçu comme une grâce. L'impatience française applaudit surtout à la construction d'une énorme cage le fer où furent brûlées les archives du visa et 5 6ries comptes de la banque, comme si avec leur fumée eussent dû s'envoler les songes, les craintes et les regrets. Deux épisodes de cette œuvre si hardie, réclament une mention particulière. En soumettant biles déclarations à la sainteté du serment, on avait multiplié les parjures sans découvrir la vérité. On pensa, non sans raison, que le plus sûr moyen de l'atteindre était de consulter les actes reçus par des notaires depuis dix-huit mois[28]. Une ressource si naturelle, et si propre à épargner de cruelles erreurs, alluma pourtant d'étranges débats. Ce que pouvait le moindre agent du fisc, sembla un attentat de la part des commissaires du conseil. Le chancelier, rompant le timide silence qu'il d avait gardé depuis son retour, défendit ce paradoxe avec une chaleur qui eût triomphé sans la fermeté de Dubois. Le secret de cette résistance était tout entier dans un préjugé national. La, classe que sa naissance éloigne du travail craignait autant de paraître pauvre que de paraître s'enrichir, et le mystère des fortunes était pour elle un droit précieux. Aussi la voyait-on communément plus disposée à rougir de l'indigence que de l'industrie à surprendre des créanciers. Ce misérable caprice de la vanité avait toujours empêché en France l'établissement d'une bonne loi sur les hypothèques, et, comme nous l'avons dit précédemment, força Colbert, après deux années d'essais infructueux, de révoquer celle qu'il avait portée. Le même esprit que n'avait pu dompter ce grand ministre, dicta les arguments de d'Aguesseau[29], ou plutôt du duc de Noailles, dont ce chancelier irrésolu recevait les inspirations. Le second événement dont j'ai à parler ne choque pas moins les idées communes. Parmi les cinquante délégués du conseil pour le visa, des magistrats se souillèrent de vols, et leur crime ne disparut pas dans le chaos des désordres publics. Talhouët, maître des requêtes, et l'abbé Clément, conseiller au grand conseil, furent condamnés à être décapités, et deux principaux commis, Daudé et Gailli, à être pendus. Le roi d'Espagne demanda la grâce de l'abbé Clément, et comme on ne voulut ni offenser Philippe par un refus, ni favoriser le criminel que sa qualité d'ecclésiastique rendait moins excusable, on commua la peine de tous les quatre[30]. La classe la plus odieuse des joueurs, ceux qui avaient réalisé leurs bénéfices, virent à leur tour s'approcher l'orage. Dubois, que l'expérience avait éclairé sur la lenteur des chambres de justice, dirigea contre eux des armes plus tranchantes. On choisit cent quatre-vingts de ces sangsues les plus gorgées de richesses et on les comprit dans un rôle de capitation extraordinaire arrêté clandestinement an conseil, sans les entendre et sans les flétrir[31]. On en tira ainsi près de deux cents millions, soit en les dépouillant des terres et des hôtels qu'ils avaient acquis, soit en les forçant, par une cruauté ironique, à racheter du gouvernement à très-haut prix ces mêmes actions dont ils s'étaient si habilement défaits. Ces avanies tendaient au fond à rétablir l'ancien équilibre des fortunes, mais par des violences qui semaient la terreur et rendaient plus pénible le passage du papier-monnaie à l'espèce métallique. L'État en profitait si peu lui-même, qu'il se trouva, en 1723, endetté de six cent quatre-vingt-cinq millions de plus qu'à la mort de Louis XIV[32]. Le bruit de ces rigueurs allait irriter Law au fond de sa retraite. Hélas ! écrivait-il au Régent, quand le Seigneur demanda au paralytique s'il voulait guérir, vis sanus fieri ? sa question ne fut point extraordinaire, car il est des gens qui ne le veulent pas. Rien n'est pourtant désespéré. Dans la lutte que nous avons soutenue, l'Angleterre a beaucoup souffert, les autres états un peu et la France a gagné. Mais l'action a été si vive que le Français, peu accoutumé à ces sortes d'affaires, a eu peur le premier. Il a battu l'ennemi, il a enlevé le butin ; mais l'Anglais demeure maitre de champ de bataille, parce qu'il sait se servir de son crédit, tandis que la France s'acharne à déraciner le sien. N'oubliez pas que l'introduction du crédit a plus apporté de changements entre les puissances de l'Europe que la découverte des Indes, que c'est au souverain à le donner et non à le recevoir, et que les peuplés en ont un besoin si absolu qu'ils y reviennent malgré eux et quelque défiance qu'ils en aient[33]. Je ne terminerai pas ce récit sans remarquer l'injustice qu'on a de reprocher au caractère national les fautes du système. Il suffira, pour l'absoudre, de comparer ce qui se passait en même temps chez nos voisins réputés plus sages dans la conduite de ces sortes d'affaires. Au début de la régence, la France était privée de commerce et rongée d'usure ; l'Angleterre et la Hollande avaient des banques et un négoce florissants. Law séduisait par un génie varié ; on avoue que le notaire Jean Blunt était un imitateur sans culture. Le plan du premier était unique et appuyé sur les plus solides revenus de l'État ; les Anglais et les Hollandais se précipitèrent dans une foule de projets sans base et sans garantie[34]. Nous leur cédâmes en impétuosité puisque les actions du Sud s'élevèrent de cinquante livres sterling à mille livres sterling en moitié moins de temps que les nôtres, et la même progression fut incalculable en Hollande. L'agiotage n'eut à vaincre parmi nous que la vanité des rangs, tandis qu'il confondit les partis politiques et les sectes religieuses dans l'attroupement grotesque qui remplissait alors les jardins de la bourse de Londres. Pour dire vrai, l'étincelle partie du cerveau de Law frappa l'Europe d'un délire épidémique ; des étrangers apportèrent des fonds à notre banque, des Français en envoyèrent aux banques étrangères, et de part et d'autre on s'estima fort habile d'avoir tiré son argent d'un lac pour le jeter dans un fleuve[35]. Mais si toutes les nations parurent assez égales dans les succès de la cupidité, la disparité des caractères éclata dans la déroute. Eu Angleterre, le coup fut terrible et le trône ébranlé ; on proscrivit, on chassa des membres du parlement. Le célèbre Stanhope expira de la véhémence d'une de ses harangues ; la rage de plusieurs n'eut de terme que clans le suicide. On reconnut la double fureur d'un peuple avare et fier, aussi blessé des pertes qu'il essuie qu'humilié des ruses qu'il n'a pas prévues. L'aspect de la Hollande fut tout contraire. Honteux d'un moment de faiblesse, ses sages commerçants s'empressèrent d'en assoupir le scandale et d'en effacer les vestiges par le travail et l'économie, comme on voit une république de fourmis réparer sans bruit et sans relâche son habitation qu'un accident a bouleversée. La physionomie de la France eut des traits particuliers. Le luxe et les plaisirs, nés du système, ornèrent sa décadence et survécurent à sa chute. Il y eut du bruit et point d'action, de l'embarras pour plusieurs et nul danger pour l'état. Les chansonniers établis sur le Pont-Neuf ne cessèrent pas un jour d'exercer leur justice distributive contre chaque espèce de dupes ou de fripons que la crise des finances mettait en spectacle. Le Français parut être un jeune dissipateur qui sort ruiné d'une maison de jeu en exhalant une colère équivoque où l'on entrevoit moins la douleur de sa perte que le regret de ne plus jouer et la vague espérance de recommencer un jour. Aussi la vie d'un homme ne se passa pas sans le retour d'un papier-monnaie, et quelques vieillards ont touché aux cieux catastrophes[36]. Les effets immédiats du système n'ont pu nous être transmis avec assez de fidélité. En quittant cette grande partie, les joueurs heureux eurent trop d'intérêt à dissimuler leur profit, et les malheureux à exagérer leur perte ; les appréciateurs de cette crise compliquée furent exposés à confondre la violence du remède avec celle du mal, et ce qui n'était que déplacé, avec ce qui était détruit. On n'en saurait douter, s'il est vrai qu'à la refonte il se trouva plus d'or dans la seule généralité de Paris que dans toute la Grande-Bretagne. Mais d'autres effets plus éloignés et plus sûrs sortirent de cette première source. Car il ne s'agissait pas de ces secousses extérieures qui se bornent A changer le titulaire d'un trône ou la ligne d'une frontière, mais d'une crise profonde qui pénétra jusqu'aux entrailles de la nation. Les provinces centrales, où la civilisation était plus retardée, en éprouvèrent surtout un ébranlement salutaire. Ces pays pauvres et indolents, où l'on avait vu le commerce et l'argent presque ignorés, les fruits de la terre sans valeur et la perception des impôts aussi pénible qu'improductive, s'animèrent d'une vie nouvelle, et entrèrent dans la rotation commune. L'irrésistible activité du système y rompit l'antique torpeur, et la population inerte, remuée par des besoins, des plaisirs, de l'émulation et de l'industrie, n'a plus voulu rétrograder. Cette époque n'est point si éloignée que je n'aie pu en recueillir les souvenirs par la bouche de vieillards, habitants des contrées montagneuses qui s'élèvent entre le Rhône et l'Océan. Sous le rapport de la richesse, du pris des denrées, de la somme des, contributions, de la vie sociale, et de l'importance politique, la renaissance de ce vaste territoire date du cataclysme de Law, et sa civilisation progressive depuis 1720 en est un meilleur monument que les billets de banque qu'on y conserve encore dans quelques chaumières. Outre cette métamorphose, pour ainsi dire, économique et matérielle de la face du pays, dans une portion considérable de la France, je me réserve de montrer dans la suite l'influence du système sur la morale publique, sur la distribution des richesses, sur la situation respective des classes de l'État. Qu'il nie suffise d'observer à présent que, si ce fut une égale leçon pour le gouvernement et pour le peuple, ils en tirèrent chacun des fruits bien contraires. Le peuple y puisa la banque, le commerce, l'industrie, la soif de jouir, la hardiesse entreprendre. Le gouvernement en retint la défiance de tout système, la haine du mieux, la soumission aux traitants, l'indifférence à l'opinion publique. L'histoire doit signaler cette époque comme un point de partage mémorable d'où les Français s'avançant toujours en lumières et en fortune, et leurs chefs rétrogradant sans cesse avec leurs préventions et leur timidité, les uns et les autres préparèrent à l'envi un affreux déchirement. |
[1] Dans une lettre du Prétendant à Law, du 5 août, il lui écrivait : Je m'adresse à vous comme à un bon Ecossais et à un fidèle serviteur de M. le Régent..... L'alliance actuelle entre la France et l'Angleterre n'est qu'un frein à charge à l'une et à l'autre.
[2] Arrêts des 23 février et 5 mars 1720.
[3] 22 mars 1720.
[4] Une prétendue lettre adressée au Régent par le frère de l'assassin est apocryphe.
[5] Law écrivit au Régent une lettre qui fut remise par milord Peterborough. Le duc de La Force le conduisit ensuite dans la petite galerie du prince, qui refusa de le recevoir ; mais le soir il le vit eu secret et le traita bien.
[6] Law fut, sur sa demande, accompagné à Fresne par le chevalier de Conflans qui portait la lettre du Régent. Le chancelier, par une faiblesse assez ordinaire aux hommes publics, qui ont, des mœurs très-pures, était un peu dominé par sa femme, ce que les anciens appelaient vir uxorius. Madame D'Aguesseau, d'ailleurs très-respectable, commençait à se lasser de la solitude, et contribua à décider le retour de son mari. Le Régent s'était enfermé dans son cabinet, fort inquiet de l'issue du voyage. Dubois, ignorant ce qui se passait, attendait son audience depuis plusieurs heures dans une vive agitation. Aussitôt que Law et Conflans arrivèrent, le duc d'Orléans fit repartir ce dernier pour amener le chancelier, et, appelant Dubois, il lui ordonna d'aller redemander les sceaux à d'Argenson.
[7] J'ai vu la plainte des enfants d'Argenson contre la prieure du couvent de la Madelaine du Tresnel, où leur père était mort.
[8] On afficha les vers suivants :
Que la peste soit en Provence.
Ce n'est pas notre plus grand mal ;
Ce serait un bien pour le France
Qu'elle fût au Palais-Royal.
[9] Milord Stanhope a été tenté plus d'une fois d'aller vous féliciter du coup de maitre par lequel vous avez fini l'année en vous défaisant d'un concurrent également dangereux à vous et à nous, et concerter avec vous la besogne de cette nouvelle année tout au sud qu'au nord. Lettre de Schareb à Dubois, du 15 janvier 1721.
[10] 7 janvier 1649. Mémoires de Joly.
[11] Histoire du parlement.
[12] Le premier président maria sa fille au duc de Lorges ; tout le parlement assista en robes rouges à la cérémonie et signa l'acte de célébration. Ce qui passa pour une grande nouveauté.
[13] Note manuscrite de Dubois.
[14] De Mesme, qui avait vu dans la cour l'aventure du cocher de Law, rentra en débitant ces deux vers d'un ton tragique digne du Crispin de Sceaux.
Messieurs, messieurs grande nouvelle !
Le carrosse de Law est réduit en cannelle.
Fragments des Lettres de la princesse de Bavière.
[15] Les mêmes circonstances ne purent ôter son nom à la place Bellecour de Lyon. Ce fut là, comme à Paris, une sorte de jugement populaire contre la mémoire du feu roi.
[16] On afficha le placard suivant, qui a été conservé dans les manuscrits historiques de la bibliothèque de l'Arsenal, n° 220 :
Camp de Condé à la place Vendôme.
M. Le Duc, généralissime ; M. le maréchal d'Estrées, général ; M. le duc de Guiche, commandant le corps de réserve et les troupes auxiliaires.
MM. De Chaulnes et Mézières, lieutenants-généraux ; Belile, maréchal-de-camp ; le marquis de Pons, maréchal-des-logis ; Caumont, major-général ; Chattes et Vilaines, aides-de-camp.
Le duc d'Antin, intendant ; le duc de La Force, trésorier ; Lassé, grand-prévôt ; le prince Léon, greffier ; Fimarcon et Dampierre, archers ; Lafaye, bourreau ; Coëtlogon, aumônier ; Tencin, à la tête des récollets ; Jean Law, médecin empirique directeur des hôpitaux ; d'Argenson, chirurgien-major ; le duc de Louvigny et le comte de Guiche, fraters ; les directeurs de la banque, maraudeurs et piqueurs ; les officiers des gardes, tireurs d'estaffe.
Vivandières et blanchisseuses.
Madame de Verrüe, à la suite du régiment de Lassé ;
Madame de Prie, du régiment de Condé ;
Madame de Lornaria, du régiment de Lambert ;
Madame Parabère, du régiment d'Orléans ;
Madame de Sabran, du régiment de Livry ;
Madame Chaumont, à la suite du camp volant ;
Filles de joie, mesdames de Monasteral, de Gié, de Nesle, de Polignac, de Saint-Pierre.
[17] Cet envoyé s'appelait Baguerel de Pressy. Il était originaire de Chambéry et homme à projets lui-même. Il communiqua, en 1735, à M. le garde des sceaux Chauvelin, la mission qu'il avait eue de Pierre-le-Grand pour amener Law en Russie. Il parait, par les termes de cette mission, que Law avait promis au czar, en 1717, d'aller enrichir ses États, après qu'il aurait fait la fortune de la France.
[18] Elle s'appelait Catherine Knowel, sœur du comte de Banbury. Law l'aima toujours tendrement, et l'institua héritière par son testament fait à Venise, le 19 mars 1759. Elle aurait pu passer pour belle, si un côté de son visage n'eût été gâté par une tache de vin sur l'œil et le haut de la joue.
[19] Je ne prétends pas que je n'aie point fait de fautes ; j'avoue que j'en ai fait, et que si j'avais à recommencer j'agirais autrement. J'irais plus lentement, mais plus sûrement, et je n'exposerais pas l'état et ma personne aux dangers qui doivent accompagner le dérangement d'un système général. Manuscrits de Law.
[20] Il y a une observation à faire. Tant qu'il n'a été employé à l'entreprise de Law que de simples commis, elle a eu un succès prodigieux. L'ordre, la clarté et la simplicité y ont régné. Aussitôt que des gens importants, habiles, savarts dans la forme, préposés pour la conservation des règles, y sont entrés, les inconvénients, les soupçons, les opérations composées y sont entrés avec une eux. L'ordre, la clarté, la simplicité se sont retirés peu à peu. Mémoires du comte de La Marck.
[21] C'était un abbé La Rivière, qui commençait toutes ses lettres à Dubois par lui demander à genoux sa sainte bénédiction. Il raconte que les Vénitiens accueillaient fort bien Law, mais disaient derrière lui : Barbarus qui bene loquitur, sed nihil probat. Ce barbare parle bien, mais il ne prouve rien.
[22] Gergy, ambassadeur de France, qui avait fui Law bien portant, s'empara d'autorité de ses derniers moments pour en faire sonneur à l'abbé de Tencin. L'agioteur écossais, voyant le fond perdu, ne disputa pas sur le mode, et se laissa mourir dans les formes catholiques. Lettre du comte de Gergy au cardinal de Polignac.
[23] Les billets de banque se montaient à trois milliards soixante-dix millions neuf cent trente mille quatre cents livres. Les autres effets étaient évalués à trois milliards deux cents millions. Ces calculs, tirés des manuscrits des frères Paris, sont les seuls véritables. Il y eut six cent vingt-quatre mille actions de créées ; mais jamais la moitié ne fut mise en circulation ; et, au moyen des rachats faits par la compagnie, il n'en restait, au mois de mai 1720, que cent quatre-vingt-quatorze mille dans le commerce. Le dividende de deux cents livres que Law avait promis n'était point au-dessus des bénéfices présumés de la compagnie, comme on l'en accuse trop légèrement.
[24] Sous-gouverneur, le duc de Bourbon. Directeurs, le maréchal de Grammont, le duc de Chaulnes, le duc d'Antin, M. de Vendôme, le maréchal d'Estrées, le marquis de Lassé et le marquis de Mézières. La liaison du duc d'Antin avec Law était si connue, que la clameur publique le força de se démettre. Il y avait une seconde ligue de directeurs plébéiens qu'on poussait dans les escarmouches. Deux de ces derniers, ayant osé récuser MM. Trudaine et Machault, furent envoyés prisonniers à la Bastille.
[25] A la mort de Louis XIV, Vendôme, le grand-prieur, était à Lyon dans une sorte d'exil. Il revint à Paris, mais sans avoir part au gouvernement. Depuis quarante années il ne s'était pas couché une fois sans être ivre. Cette supériorité de crapule avait inspiré au Régent, dit Saint-Simon, une vénération égale à celle d'un évêque pour un père de l'église. Il songea dans la suite à sortir, par un mariage, de ces turpitudes ; mais le pape ayant voulu vendre sa dispense vingt mille écus romains, ce prince épicurien refusa de payer si cher un plaisir légitime. Lettre du cardinal de Rohan à Dubois, du 9 août 1721.
[26] Savoir cinq cent vingt-deux millions en billets de banque retenus au visa, et cinq cent quatre-vingt-cinq millions en or donnances.sur le trésor royal pour retirer une égale somme de billets visés et convertis en rentes par les porteurs.
[27] On ne présenta au visa que cent vingt-cinq mille vingt-quatre actions au lieu de cent quatre-vingt-quatorze mille qui étain : émises, parce que précédemment la compagnie en avait elle-même supprimé une sur trois et retiré plusieurs, sous le nom de dépôt, des mains des actionnaires crédules. Je ne parle pas de celle, qu'offrirent les membres du conseil de régence ; car, à l'exception du duc d'Antin qui assure en avoir rapporté deux cent soixante-dix, le reste se contenta d'une vaine démonstration. Suivant les déclarations, ces cent vingt-cinq mille vingt-quatre actions avaient coûté neuf cents millions. Le visa les réduisit au nombre de cinquante-cinq mille quatre cent quatre-vingt-un, dont le prix moyen fut de huit cents livres. La chute de nos assignats a été plus complète, puisque, dans le dernier mois de leur existence, le cours d'un billet de cent francs fut de six sous six deniers ; et cet avilissement s'accrut encore lorsque, les assignats ayant été convertis en mandats territoriaux, à raison de trente capitaux pour un, cent francs de ces mandats ne valurent que quarante sous quatre deniers ; c'est-à-dire que cent francs d'assignats furent représenté par un sou quatre deniers d'espèces, et qu'un débiteur de cent mille francs put s'acquitter moyennant soixante-six livres quatre sous.
[28] Arrêt du conseil du 14 septembre 1721, qui ordonna aux notaires de fournir des extraits des actes opérant translation de propriété, emprunt on quittance. Les contrats de mariage, testaments, inventaires, partages, etc., en sont formellement exceptés.
[29] Œuvres de D'Aguesseau, tome XIII.
[30] Philippe V fut engagé à cette démarche par un frère de l'abbé Clément qui était accoucheur des reines d'Espagne. Sous le ministère de M. le Duc, ce monarque vint de nouveau demander la liberté du coupable enfermé à Pierre-Encise ; mais elle lei fut refusée avec sécheresse.
[31] Ils furent divisés en quatre classes, savoir :
1° 42 individus taxés à 117.650.211 liv. ; 2° 79 à 58.642.576 ; 3° 20 à 7.109.336 ; 4° 39 à 4.491.538 ; Total : 187.893.661 livres.
On trouve dans la première classe des particuliers dont la fortune est évaluée à quatre-vingts, soixante et cinquante millions. Dans le même temps on taxait en Angleterre, tout aussi arbitrairement, trente-deux anciens directeurs de la compagnie du Sud à 1.648.791 liv. sterling. Mais si Dubois avait eu besoin d'exemples pour s'encourager à de telles violences, l'histoire de nos propres finances lui en aurait fourni de nombreux et de récents. Emeri, le maréchal de La Meilleraye, Mazarin et Chamillard avaient aussi capturé les biens d'une foule de particuliers par de simples taxes du conseil et sans le moindre appareil de justice. Bah, disait Mazarin, ce sont des gens de rien et trop riches.
[32] Mémoires de Paris-Duperney, 1725.
[33] Manuscrit de Law.
[34] Entre cent exemples je ne citerai que le suivant. Un aventurier annonce que dans un mois il proposerait un projet avantageux et que chacun pouvait, dès à présent, y retenir pour deux guinées une souscription de cent livres. Avant la fin du jour te fripon avait reçu deux mille guinées et s'était évadé. Les Anglais, dans leur démence, abandonnaient toutes les professions pour courir après des bubbles (bouteilles de savons). Smollet, Histoire d'Angleterre.
[35] Ordonnance du 20 juin 1720 qui défend aux Français de s'intéresser dans les compagnies étrangères, et leur enjoint, sous peine de confiscation, de faire rentrer leurs fonds ; loi que rendait ridicule l'impossibilité de son exécution.
[36] On m'a cité un conseiller du parlement de Toulouse qui a été remboursé en assignats de sa charge qu'il avait achetée en billets de banque. Forbonnais, écrivant sur le système en 1758, a fait cette prédiction : Vraisemblablement un demi-siècle ne se passera pas encore sans quelque grand événement de ce genre. Recherches sur les finances, in-4°, tom. II, p. 425.