HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE VI.

 

 

Jansénisme. — Ducs et pairs. — Princes légitimés. — Parlement.

 

L'ESPRIT de discorde, que les Français ont reçu de leurs ancêtres, manque rarement d'éclater aussitôt que les ressorts de l'autorité se détendent. Ce sont des orages que l'époque des régences ramène fidèlement sur l'ancienne terre des Gaulois. L'administration du duc d'Orléans n'en fut pas exempte. Le schisme allumé par la constitution unigenitus, la querelle entre les ducs et la magistrature, la dégradation des enfuis naturels de Louis XIV, et l'insurrection parlementaire l'agitèrent assez dangereusement, pour qu'on désire prendre au moins nue notion rapide de ces divers sujets de nos troubles domestiques.

C'est aux historiens du dix-septième siècle qu'il appartient d'écrire l'origine du jansénisme. Ils diront comment, après avoir été l'amusement des sophistes d'Athènes, et l'un des exercices de la moderne scolastique, quelques subtilités inintelligibles sur la liberté des actions humaines sortirent tout à coup de la poussière des, écoles, et devinrent, par l'ambition de quelques prêtres, une querelle religieuse, et, par l'imprudence de Louis XIV, une espèce de guerre politique. En France, où l'amour de la dispute supplée au fanatisme, cette épidémie avait gagné toutes les classes de la société, et répandu à la fois le goût des études graves et solides, et l'amertume du zèle théologique. L'ancien jansénisme, où il s'agissait des cinq propositions de l'évêque d'Ypres, révéla au géomètre Pascal le secret de sa vive éloquence, et produisit ces fameuses Lettres Provinciales, qui firent encore plus de mal à la religion que d'honneur à la langue française. La secte vit sous ses drapeaux et les grands hommes du Port-Royal, et cette duchesse de Longueville, l'héroïne de la Fronde, et cette belle Hamilton, que le chevalier de Grammont avait dérobée à l'Angleterre. Mais dans le second jansénisme, sorti de la condamnation du livre des Réflexions morales du père Quesnel, tout était dégénéré, et l'on ne trouvait que des noms inconnus, et de l'opiniâtreté sans talent. De son côté, le camp moliniste n'offrait plus à cette époque que le tombeau de deux grandes réputations. Louis XIV y prostituait son autorité aux vengeances de son confesseur, et Fénelon, qui, contre toute convenance, s'était jeté parmi les oppresseurs, noyait la gloire du Télémaque dans les volumes sans cesse renaissants d'une théologie verbeuse et superficielle[1]. Les esprits .délicats cherchèrent alors une guerre moins fastidieuse dans l'interminable procès sur la prééminence entre les anciens et les modernes. Homère et le père Quesnel suffirent quelque temps aux agitations de la France.

On a vu comment le nouveau règne avait tout à coup changé la fortune des deux sectes, et placé à la tête du conseil de conscience ce même archevêque de Paris, dont l'implacable Tellier préparait la ruine. Les jésuites se conduisirent, dans cette crise, en hommes accoutumés aux orages. Ils dissimulèrent avec patience les injustices de détail qu'ils eurent à essuyer, et attendirent un meilleur sort du temps, des fautes de leurs adversaires, et du besoin qu'une régence corrompue ne manquerait pas d'avoir de leur flexible doctrine. Gardant néanmoins la prudence pour eux seuls ils ne laissèrent pas d'exciter en secret à de vives résolutions la cour de Rome et les évêques partisans de la bulle. Mais ce qui peint admirablement la politique vivace de ces religieux, c'est qu'ils tentèrent alors une entreprise si hardie et si profonde, qu'ils n'avaient osé la concevoir au temps de leur plus haute prospérité ; ils imaginèrent de fonder dans les villes de garnison des congrégations de soldats, et les jésuites auraient eu leur armée, si le gouvernement ne se fût hâté de prévenir ce pieux embauchage et de soustraire la discipline militaire à une si habile corruption[2].

Le Régent, plus qu'indifférent sur le fond de la querelle, voulut à la fois ménager les molinistes, qui pouvaient troubler son gouvernement, et récompenser les services des jansénistes sans permettre leur domination ; il travailla donc sincèrement à la paix de l'Église. Le duc de La Feuillade fut envoyé à Rome pour obtenir du pape des explications conciliatrices. De longues et fréquentes conférences s'ouvrirent au Palais-Royal entre les chefs des deux partis. Le duc d'Orléans y assistait sans jamais se lasser, soit qu'il espérât user en vains débats la violence des factions, soit que ces controverses, où l'on parlait beaucoup sans rien résoudre, eussent tout ce qu'il fallait pour plaire à sa brillante loquacité, à son esprit subtil et indécis. D'Aguesseau partageait ses soins, son assiduité ; plus honnête qu'impartial, il souhaitait aussi la pacification ; mais il n'eût pas été fâché de la voir un peu janséniste. On appela aussi d'Argenson à ce congrès hétérogène ; mais je vis clairement, nous dit Saint-Simon dans son langage inimitable, qu'il ne se dépouillerait pas de cette vieille peau jésuitique que la fortune lui avait fait revêtir sous le feu roi, et que ses fonctions de la police avaient de plus en plus collée et encuirassée en lui. Une lettre circulaire aux évêques pour leur recommander la paix, deux déclarations[3] pour ordonner le silence sur les matières religieuses furent les seuls fruits de tant d'efforts. Mais la paix et le silence étaient deux mots pleins d'horreur pour une foule d'ambitieux, dont le bruit et la discorde faisaient toute l'importance, et que le retour de la raison eût replongés dans les ténèbres de l'école. Aussi chaque exhortation à la tranquillité provoquait un redoublement de rage ; des écrits turbulents pullulaient de toute part ; le parlement se déchaînait contre ces pitoyables productions, et, livrant les mandements des prélats à la torche du bourreau, ne rappelait que trop, par cette puérile parodie, le souvenir de plus cruelles exécutions. Cependant il faut avouer que les théologiens étaient plus conséquents dans leur opiniâtreté que le gouvernement dans ses temporisations. Il y a peu de sens à vouloir les causes et à répudier les effets. J'ai pitié du prince qui demande le repos et qui prescrit le silence à une église dont le prosélytisme est le premier devoir, dont l'intolérance a fait la fortune, et dont le nom d'église universelle ou catholique est une hostilité permanente.

Les jansénistes, qui goûtaient de la victoire pour la première fois, brûlaient d'en abuser, et s'indignaient des tempéraments de la régence. Il existait malheureusement, sous le nom de Sorbonne, une arène toujours ouverte pour juger les combats théologiques. Les jansénistes s'y jetèrent avec audace, anéantirent l'acceptation de la bulle et forcèrent leurs adversaires à la retraite. Ces murs si catholiques retentirent de harangues où Rome était traitée comme au temps de la réforme. On vit un jour ces docteurs, au nombre de plus de deux cents, traverser Paris en soutane et en long manteau, et venir, par cette noire parade des forces jansénistes, rassurer dans son palais l'archevêque incertain. En effet, le cardinal de Noailles, d'un esprit borné et d'un caractère faible, mais livré par cette faiblesse même à une opiniâtreté d'emprunt, était le chef apparent et le jouet réel de la secte. L'estime que personne ne refusait à la candeur de son âme et à la sainteté de ses mœurs, rendait seule ses démarches importantes. L'audace de quatre évêques lui fraya la route à la résistance ; ceux-ci vinrent en Sorbonne accompagnés d'un notaire, et déposèrent solennellement l'acte par lequel ils appelaient de la bulle au futur concile[4]. A ces mots d'appel au futur concile, les moines présents, tout jansénistes qu'ils étaient, se précipitèrent hors de la salle, comme si la foudre y fût tombée ; mais les autres docteurs reçurent l'appel, et y adhérèrent avec enthousiasme. Le Régent punit un éclat qui détruisait ses espérances ; le notaire fut mis à la Bastille ; on renvoya les quatre évêques dans leurs diocèses ; et le syndic de la faculté alla mourir sur le chemin de son exil. Mais l'exemple avait opéré : le cardinal de Noailles publia son appel, et la bannière de Quesnel parut rallier un instant seize évêques, les parlements, la plupart des universités, et un grand nombre de curés et de monastères.

Rome, à la vérité, n'agissait pas avec plus de mesure. Le nonce Cornelio Bentivoglio, ancien soldat autrichien, qui ne s'était fait connaître à Paris que comme une espèce de satyre obscène et pétulant, était peu propre à éclairer le pape sur la véritable situation de l'église de France. Aussi, après avoir refusé toute explication, Clément XI prit le dangereux parti de suspendre les expéditions de la Daterie. Douze sièges furent vacants à la fois ; parmi les sujets nommés pour les remplir, on distinguait les neveux de Bossuet et de Fénelon, et le premier des prédicateurs chrétiens, l'éloquent Massillon, que Louis XIV avait, par la peur des jésuites, privé de récompense. Le pape, sans exprimer les motifs de son refus, ou plutôt n'en ayant aucun qu'il pût avouer, ne consacra point par ses bulles des choix qui honoraient le Régent et l'église de France. Ce déni des institutions canoniques était une invention assez récente de la politique romaine ; elle se flattait qu'en laissant ainsi les diocèses sans pasteurs, elle alarmerait les consciences, provoquerait des soulèvements, et forcerait l'autorité civile à lui céder. Par ce stratagème nouveau se ravivait le droit de dominer le temporel des rois et de dénouer le serment des peuples ; car c'est le caractère distinctif de la cour de Rome de varier quelquefois au besoin dans les formes, mais jamais dans le fond, de ses plus étranges prétentions. Sous le dernier règne, dans l'affaire de la régale et dans celle des franchises, elle avait réussi deux fois par ce moyen impie qui consiste à faire servir la religion à des intérêts politiques, et à sacrifier le salut des âmes à l'ambition d'un prêtre. Mais pour le succès d'une entreprise de ce genre, il faut le concours de deux conditions ; c'est-à-dire que si d'un côté se trouvent l'audace et l'adresse, de l'autre côté soient en mesure égale la duperie et la crédulité. Or, il n'était pas bien certain que le conseil de régence fût dans cette dernière disposition.

Le duc d'Orléans y dénonça tout à coup l'inaction silencieuse du pape. Moins effrayé qu'encouragé par les murmures des douze diocèses privés de leurs évêques, il demanda si les Français ne pouvaient être chrétiens malgré la cour de Rome. On se souvint que, dans un cas semblable, le roi de Portugal Jean IV ayant consulté les universités de son pays, ainsi que l'assemblée du clergé de France, il lui fut répondu d'une et d'autre part que des bulles refusées sans motifs cessaient d'être nécessaires ; on avait d'ailleurs sous les yeux le réquisitoire donné en 1688 par l'avocat-général Talon, où ce grand magistrat prouve que, selon les maximes anciennes et révérées de l'église, le métropolitain possède en lui-même les pouvoirs suffisants pour l'institution des évêques et l'imposition des mains. Un roi fasciné dans sa vieillesse par les jésuites et corrompu dès l'enfance par un cardinal italien n'imposait plus à la raison publique le joug de ses préjugés personnels. Le conseil de régence n'hésita donc pas à charger une commission de déterminer promptement le mode par lequel les églises de France seraient affranchies de l'abus intolérable qui subordonnait le culte à un caprice humain. Les commissaires dont elle se composa furent les maréchaux de Villeroy et d'Uxelles, les ducs d'Antin et de Saint-Simon, et le marquis de Torcy. A cette nouvelle, le Vatican est bouleversé ; il remarque, non sans effroi, qu'il n'est entré dans la commission ni prêtres, ni magistrats, et que la question, sevrée du jargon des écoles et des lenteurs de l'intrigue, y sera traitée par les simples lumières du bon sens, et peut-être tranchée avec une vivacité militaire. La terreur s'accroit encore par le bruit sinistre que des conférences ont eu lieu à Paris entre l'ambassadeur d'Angleterre et les membres les plus suspects de la Sorbonne, et que l'archevêque de Cantorbéry entretient une correspondance avec le docteur Dupin, le plus digne émule de notre savant historien l'abbé Fleury[5]. Le pape, épouvanté, croit déjà voir le moment tant prédit où l'église gallicane doit, comme sa sœur l'anglicane, recouvrer son antique indépendance. En moins de quarante-huit heures, il expédie non-seulement les douze bulles épiscopales, non-seulement d'autres grâces qui étaient en instance, mais jusqu'à d'anciennes affaires oubliées dans la poudre des greffes ; pour plus de sûreté, il envoie lui-même un courrier chargé de tant de faveurs, et ce malheureux, pressé par les recommandations du pape, fit une si grande diligence qu'il expira en arrivant à Paris. Telle est Rome : tyrannique avec les faibles, et servile avec les forts.

Furieux d'avoir ainsi révélé sa faute, sa peur et son impuissance, Clément XI ne songea plus qu'à continuer la guerre sur un terrain mieux choisi, en se retranchant dans les ténèbres du dogme. D'abord un décret de l'inquisition condamne les appelants comme hérétiques et schismatiques ; le Régent se contente de renvoyer froidement au pape cet acte d'un tribunal que la France abhorre ; mais le parlement, qui en a connaissance, se hâte de le flétrir par un arrêt où l'appel au concile est placé parmi les droits imprescriptibles de l'église gallicane. Le pape réplique en fulminant l'excommunication contre les rebelles[6] ; à ce signal, les appels redoublent, les parlements décrètent, les mandements se combattent, et déjà les villes d'Orléans et du Mans sont ensanglantées par des scènes de violence. Le Régent admire cette frénésie que son hésitation n'a que trop animée ; froissé également par les molinistes et les jansénistes, il regrette de n'avoir pas su prendre un parti décisif lorsque, dans la séance du conseil de régence du 15 mai 1718, Torcy, d'Estrées, Noailles, Saint-Simon, d'Antin et le comte de Toulouse, opinèrent pour que le roi lui-même, au nom de son peuple, appelât de la bulle au futur concile, et pour qu'on ne s'occupât plus de cette paperasse italienne.

L'orgueil, qui avait tant de part à l'hérésie jansénienne, excitait seul la querelle entre les ducs et le parlement. Les pairs peuvent-ils opiner sans se découvrir ? Le président doit-il les saluer du bonnet en demandant leur avis ? Dans les affaires publiques, le préambule des arrêts fera-t-il mention de leur présence ? Telles étaient les graves questions laissées indécises par Louis XIV, et que le duc d'Orléans n'avait pas écartées sans peine de la délibération qui lui conféra la régence. Mais bientôt les ducs le sommèrent de rendre la justice qu'alors il leur avait promise et que maintenant il s'efforçait d'éluder. Les esprits s'enflammèrent dans de fréquentes assemblées tenues chez l'archevêque de Reims, chez ce cardinal de Mailly qui avait un fanatisme prêt pour toutes les jongleries de la terre. La conduite de cette guerre y fut confiée à douze des plus violents. Il semblait que par le fracas des formes on voulût couvrir la misère du fond, si pourtant, aux yeux de la vanité, il est quelque chose de plus considérable que les distinctions et la pantomime de l'étiquette. Le parlement regardait en pitié ces bouillonnements de l'amour-propre, et ne daignait pas répondre aux requêtes des pairs. Dans le même temps la curiosité publique dévorait un écrit anonyme, universellement attribué au président de Novion[7], et où l'on expliquait l'origine de presque toutes les familles ducales, avec des circonstances outrageantes dont plusieurs étaient vraies et quelques-unes fabuleuses. Les pairs, outrés des mépris de ce qu'ils appelaient une compagnie de bourgeois, ne gardèrent plus de mesure. Ils convinrent secrètement de se transporter au palais et d'y arracher par la force de leurs bras ce qu'on refusait à la dialectique de leur plume[8]. Le Régent fut informé d'un projet dont l'issue ne pouvait manquer d'être ou tragique ou burlesque ; il savait combien en des temps orageux les matières les plus légères sont propres à allumer de grands incendies, et il se hâta de consacrer par un arrêt du conseil toutes les prétentions des pairs[9]. Mais cet expédient ne fit que déplacer la tempête et redoubler sa fureur. L'explosion fut terrible dans l'assemblée des chambres, et la résolution d'en venir aux dernières extrémités parut si ferme, que le régent, suivant sa coutume, céda au danger le plus voisin. Il anéantit sa décision avec la même promptitude et la même faiblesse qu'il l'avait portée, aimant mieux s'exposer aux cris importuns de trente courtisans qu'aux chocs méthodiques des armes parlementaires.

Le procès des princes légitimés eut un dénouement plus sérieux. Le Régent, le moins vindicatif des hommes, ne songeait point à disputer aux enfants naturels de Louis XIV les honneurs excessifs dont ce père asservi les avait accablés. Puisque j'ai gardé le silence pendant la vie du roi,  disait-il, je n'aurai pas la bassesse de le rompre après sa mort. Mais cette générosité touchait peu le duc de Bourbon. Le bel héritage de gloire laissé par le grand Condé à sa famille n'y avait pas encore été recueilli. A deux princes affligés de manie succédait un jeune homme farouche, d'une intelligence grossièrement ébauchée, d'un aspect hideux depuis qu'il avait perdu un œil, et brutal dans ses haines comme dans ses amours. C'est lui qui voulait forcer le maréchal de Montesquiou à quitter un nom qu'avait porté l'assassin du premier prince de Condé. Le Régent, qui lui était supérieur en tout, excepté dans l'art important d'avoir une volonté, s'éclipsait devant ce naturel fougueux, et respectait M. le duc comme une de ces machines meurtrières qui parcourent sans se détourner la ligne sur laquelle on les a lancées. Tel fut l'ennemi qui, entraînant le comte de Charolais son frère et le prince de Conti, poursuivit la dégradation des légitimés, moins peut-être par orgueil que par une cruelle antipathie contre sa. propre tante la duchesse du Maine.

Au bruit de l'attaque, les Muses de Sceaux se dispersèrent. Bénédicte de Condé, duchesse du Maine, régnait dans cette cour dont les nuits ingénieuses ne sont pas encore oubliées. Conservant à quarante ans la stature d'un enfant qui en compte à peine dix, perdue de mollesse et de flatteries, assez semblable, au milieu de sa magnificence, de ses fêtes et de ses théâtres, à ces fées petites et fantasques qui font le charme de nos premières lectures, elle pétillait d'esprit, de caprices et de vanité, désolait son mari par ses mépris et ses dépenses, et cherchait dans de plaisirs singuliers à émouvoir une imagination éteinte. Son esprit avait, au reste, une telle activité et une tournure si particulière, qu'elle fut peut-être moins indignée de l'outrage dont sa maison était menacée, que flattée des rôles extraordinaires qu'elle allait jouer pour la défendre. Sa première métamorphose fut de devenir le principal avocat de ce grand procès. Dès ce moment les poètes et les comédiens firent place, dans son palais, aux jurisconsultes et aux érudits. On vit la princesse elle-même, cachée dans son lit sous des amas d'in-folios, compulser de poudreuses chroniques et mettre en ordre les innombrables citations dont les jésuites lui envoyaient le tribut. Ce qui peut frapper aujourd'hui dans les volumineux écrits que les deux parties mirent au jour, c'est la nouveauté du langage dans lequel, pour capter la faveur publique, elles s'exprimaient sur la puissance souveraine. L'autorité royale y était représentée comme un dépôt et un mandat, la monarchie comme un simple contrat civil, et la nation comme la maîtresse et l'arbitre de ses droits. Mais ce qui étonne davantage, c'est que le jugement du conseil de régence- fut froidement déduit en forme de conclusion de cette analyse philosophique. On eût dit que les princes français sans exception, animés d'un commun vertige contre cette royauté d'où émanait toute leur grandeur, se disputaient à qui la dépouillerait le mieux de l'origine sainte et des voiles mystérieux dont Louis XIV et Bossuet avaient passé leur vie à la décorer.

La gravité de cette cause s'accrut beaucoup par les incidents qui s'y mêlèrent. Les ducs, toujours prêts à se jeter dans les bras de quiconque voudrait les compter pour quelque chose, intervinrent en faveur des princes du sang, et demandèrent que les légitimés fussent réduits au rang de leur pairie. Mais cette agression intempestive donna lieu à d'âpres représailles. La duchesse du Maine souleva la plupart des grandes familles qui n'étaient pas décorées de la pairie. On se réunit tumultuairement ; on rédigea un mémoire où la prétention des pairs à former un corps séparé de la noblesse et à représenter exclusivement les anciens pairs au sacre des rois était vivement attaquée. Alarmé avec raison d'une entreprise qui ne tendait rien moins qu'à faire de la noblesse française un corps délibérant, le Régent réprimanda les six députés qui lui présentèrent cet écrit, et un arrêt du conseil défendit aux nobles de s'assembler de nouveau. Les chevaliers de Malte obéirent, quoique le grand-prieur les eût convoqués au Temple. Mais l'esprit de faction entraîna les gentilshommes chez M. de Châtillon, l'un d'eux. En vain le maréchal de Bezons y vint, de la part du Régent, les engager à se dissoudre ; une protestation fut signée par trente-neuf et signifiée au parlement, qui la supprima et interdit l'huissier. On y soutenait que le jugement des princes n'appartenait qu'au roi majeur ou aux états-généraux. Dans le même temps, les légitimés firent une protestation semblable, et la portèrent au parlement le jour où le czar y assistait. Mais les magistrats la reportèrent humblement aux pieds du roi, sans oser la transcrire dans leurs registres.

Ce que produit sur un pape l'appel au futur concile, un roi de France, et surtout un Régent, doivent l'éprouver au seul nom d'états-généraux. Le duc d'Orléans s'irrita d'un système qui blessait son autorité. Six des principaux gentilshommes fuirent enfermés pendant un mois à Vincennes et à la Bastille. Le conseil de régence, après trois séances secrètes, dépouilla les légitimés du droit de succéder au trône et de la qualité de princes du 'sang, mais leur conserva, durant leur vie, les honneurs du parlement, c'est-à-dire la prérogative d'y prendre leur place en traversant la petite enceinte de bois qu'on nomme le parquet. L'édit fut enregistré au parlement le 8 juillet 1717, à la pluralité de cent voix contre soixante qui désiraient un examen préalable par des commissaires. Cette décision, précédée de onze mois d'intrigues, fut suivie de manœuvres plus dangereuses. L'impulsion donnée à la noblesse de la capitale se propageait dans les provinces. On continuait d'y colporter et d'y signer des protestations. Les intendants reçurent l'ordre de surveiller avec soin cette race oisive de petits nobles que la richesse et la misère, l'orgueil et la jalousie disposent également à être mécontente.

Il ne faut pas juger les intentions du parlement par la neutralité qu'il affecta dans l'affaire des princes. L'accord entre le Régent et cette compagnie n'avait eu qu'une bien courte durée. On assure même que les députés des cours souveraines qui vinrent complimenter le nouveau roi puisèrent dans la société des magistrats de la capitale des idées fort étrangères à leur mission, et reportèrent dans les provinces des plans de résistance en échange des vains hommages qu'ils avaient déposés aux pieds d'un enfant. Qu'attendre, en effet, de ces grands corps, dont les pouvoirs sont des problèmes, dont toutes les entreprises ont le charme des conquêtes, qui sans cesse aspirent à rompre, par te fracas des affaires publiques, la monotonie des fonctions judiciaires ; qui, privés d'une part active dans l'administration, n'y peuvent influer que comme obstacles, et sont réduits à remplacer l'honneur de faire le bien par le plaisir de faire du bruit ? Cette dernière jouissance est d'ailleurs si propre au caractère national, qu'on a constamment vu dans nos guerres civiles le prix des offices du parlement croître avec les périls, et les provisions d'un juge tripler de valeur, toutes les fois qu'un brevet de factieux y était implicitement renfermé. L'ingratitude de la magistrature pour le prince qui venait de l'émanciper fut toute naturelle, et l'admission de quelques-uns de ses membres dans les conseils n'eut bientôt d'autre effet que d'enflammer la jalousie de leurs collègues, et de donner à ceux-ci l'espérance de pouvoir à leur tour se faire préférer en se faisant craindre. On présume bien qu'entre une cour étourdie et prodigue et des magistrats ainsi disposés, les occasions de discorde ne manquèrent pas.

Les parlements de Bordeaux, de Toulouse et de Rouen commencèrent quelques querelles assez frivoles ; celui de Rennes en soutint de plus sérieuses ; mais dans les guerres de ce genre les coups décisifs ne se portent qu'au parlement de Paris. L'inutile création des deux charges de surintendants des postes et des bâtiments, en faveur du marquis de Torcy et du duc d'Antin, y fut disputée pendant six mois. L'édit pour la recherche des financiers y excita de grandes clameurs qui ne percèrent point au-dehors, parce que la menace d'un lit de justice, proférée par le Régent dans le premier accès de colère auquel on l'eût vu se livrer depuis qu'il gouvernait, porta l'effroi sur les bancs des enquêtes, presque tout couverts par les fils de ces traitants qu'on allait sacrifier. La suppression du dixième n'obtint l'enregistrement que par une espèce de transaction dont les préliminaires furent lents, pénibles et hérissés de remontrances. Quatorze députés du parlement furent appelés au Palais-Royal, et le duc de Noailles leur rendit compte de la situation des finances. Le Régent entretint en particulier, dans son cabinet, le président de Blamon, la tète la plus échauffée de l'opposition. Mais cette complaisance, qui entr'ouvrit aux gens de robe le sanctuaire du gouvernement, déchaina leur ambition et força le Régent, comme on l'a dit précédemment, à renvoyer le chancelier D'Aguesseau, trop faible ou trop prévenu pour les contenir. La vigueur du nouveau garde des sceaux et la haine qui le suivait changèrent le caractère de la lutte entre la cour et le parlement. Au lieu de deux pouvoirs attentifs à se balancer, on ne vit plus que deux ennemis impatiens de se heurter.

La refonte des espèces[10] donna le signal des hostilités. L'édit conçu par d'Argenson, masqué par les artifices de Law, et aussi désastreux que toutes les pirateries de ce genre, fut enregistré à la cour des monnaies. Le parlement, attaqué dans sa compétence, et ayant à venger à la fois la cause publique et la sienne propre, ajourna ses discussions intérieures[11], et remua avec violence toutes les machines réservées pour les temps les plus critiques. Il appela d'abord à son secours le grand conseil, la cour des aides et la chambre des comptes ; mais l'union fut refusée. Il harcela le jeune roi par des remontrances vives et solides trois fois renouvelées et trois fois repoussées par des réponses sévères. Enfin il osa défendre d'exécuter l'édit, et son arrêt[12] fut à l'instant cassé. Variant ensuite ses attaques, il s'efforça d'ameuter les rentiers en interrogeant le prévôt des marchands sur les paiements de l'Hôtel-de-Ville ; il ébranla tout l'édifice du gouvernement par un arrêt[13] qui réduisait la banque à son institution primitive et prohibait l'administration des finances aux étrangers même naturalisés. Law courut chercher un asile au Palais-Royal, en s'écriant que le parlement avait résolu de le faire enlever, juger et exécuter en trois heures de temps, supposition extravagante dont on n'a jamais connu ni preuves ni traces, mais que l'Ecossais était assez politique pour imaginer, ou assez poltron pour croire. Après que la cour moqueuse du Régent se fut amusée des frayeurs de cet homme qui alliait, en effet, rame la plus faible au génie le plus téméraire, on l'arma d'un sauf-conduit du roi et on le donna en garde à une femme[14]. Cependant des cartouches étaient distribuées aux troupes ; le balancier de la Monnaie frappait au milieu des baïonnettes ; des patrouilles protégeaient, dans les marchés, la circulation des nouvelles espèces, et des mousquetaires bloquaient l'imprimerie du parlement. Depuis trois mois le cours de la justice était interrompu ; chaque jour voyait au palais les assemblées succéder aux assemblées, l'aigreur et la déraison croître par l'effet naturel de ces cohues, et les magistrats les plus sages s'enivrer de cette contagion. Le roi Georges eut l'oreille frappée de ces débats ; et, leur prêtant la gravité que les idées anglaises attachent au nom de parlement, il crut son allié dans un grand péril, et se hâta de lui offrir[15] tous les secours d'hommes et d'argent qui seraient nécessaires pour dompter la rébellion. Alberoni, au contraire, n'attendait rien de ces folles bourrasques. Ce sont, écrivait-il à Cellamare, des feux de théâtre qui s'évaporeront sans effet. La maxime cedant arma togœ — que l'épée cède à la robe — date du temps où les princes avaient de petits bataillons.

Les succès du parlement dépendent toujours de l'appui qu'il trouve dans l'opinion publique. On ne peut se dissimuler qu'à cette époque la régence n'eût déjà beaucoup perdu devant ce tribunal capricieux. Tant de promesses vaines, tant d'essais infructueux avaient altéré la confiance et affaibli l'autorité. Les trésors prodigués, les grâces répandues sans choix, les survivances des charges les plus importantes jetées jusqu'à des enfuis au berceau, accusaient trop l'impatience d'un pouvoir passager. Quel homme de bien voyait sans murmure fouler aux pieds les règles établies par le feu roi pour la décence de sa cour, et le Régent sans pudeur et sa fille effrénée se mettre à la tète de tous les vices ? Je sais que des accusations terribles pèsent sur la mémoire de la duchesse de Berry, de cette jeune insensée qui se montra aussi despotique dans son faste que populaire dans ses amours. Mais, chez une nation légère, l'esprit, les grâces, et surtout la mort prématurée de cette princesse, ont presque désarmé ses juges, et je ne serai pas plus sévère que les contemporains qui, conteras de chanter ses folies, oublièrent d'approfondir ses crimes[16]. Mais qui excusera son père dont l'âge et les devoirs les plus saints n'arrêtaient pas les dissolutions ? On savait que chaque soir ramenait à sa cour l'heure des saturnales. Les portes se fermaient jusqu'au lendemain sur le régent de la France et sur ses conseillers de débauche avec un tel soin que le salut de l'état n'aurait pu en faire violer la clôture. L'imagination du peuple, irritée par le mystère, exagérait la licence de ces orgies ; de là sont venus tant de contes fabuleux sur les convives du Régent, hommes vicieux sans doute, mais qu'un âge mûr, une naissance illustre, un esprit distingué, et des goûts élégants, rendaient bien incapables des grossières turpitudes qu'on leur attribuait généralement. Le Palais-Royal, sourd et impénétrable, apparaissait comme une île infâme, retranchée au milieu des misères publiques : véritable Caprée où cependant manquait un Tibère.

Ces obscènes tableaux remplissaient les satires dont Paris et surtout les provinces étaient inondés. Le duc d'Orléans souriait à ces assauts de la malignité et semblait la défier. Mais il fut vaincu dans cette, lutte par un obscur ennemi, nommé La Grange Chancel, auteur froid et dur de quelques mauvaises tragédies. Le Régent força le duc de Saint-Simon à lui montrer ces odes trop fameuses, qu'on ne peut lire aujourd'hui sans dégoût, et où je ne consentirai à reconnaître un talent poétique que lorsque les furies auront un Parnasse. Mais quand il rencontra ce passage où on le représente méditant le meurtre du jeune roi, son aine succomba sous une telle horreur ; il fut prêt à s'évanouir, et des larmes amères coulèrent de ses yeux. Cette noble faiblesse justifiait bien le mot le plus profond qui fût sorti de la bouche de Louis XIV, lorsqu'il avait dit du duc d'Orléans : Mon neveu n'est qu'un fanfaron de crime. Aucun tribunal n'eût osé épargner la tête de l'auteur des Philippique[17]. L'admirable clémence du Régent le relégua aux îles Sainte-Marguerite, d'où la même douceur lui facilita bientôt les moyens de s'échapper.

Comme la crainte pour les jours du roi était l'idée la plus propre à émouvoir le peuple, les ennemis du Régent la nourrissaient avec une noire perfidie. La reine d'Espagne l'exprimait dans sa fougue ordinaire. Les dévots, la vieille cour et les habitués de Sceaux en étaient à Paris les échos plus timides, tandis que le maréchal de Villeroy l'accréditait autant par malice que par vaine gloire, en affectant d'étaler autour de l'enfant royal des précautions absurdes et outrageantes. Le fruit de ces manœuvres perçait par intervalle. Le duc d'Orléans paraît-il à une procession dans l'appareil de la souveraineté[18], parce que le parlement a osé lui refuser la préséance, comme régent ; voilà, s'écrie-t-on, l'usurpateur qui essaie le trône. L'abbé Dubois devient-il secrétaire du cabinet du roi[19] ; voilà l'esclave qui préparera le poison. Le Régent, inspiré par un goût supérieur, veut-il arracher à un juste dédain le chef-d'œuvre d'Athalie[20], et venger la cendre du grand poète, qui peut-être est mort en doutant de son génie ; voilà, voilà notre roi Joas que poursuit un tyran impie ; et aussitôt la calomnie lit notre histoire dans une pièce juive, et en applique les rôles avec injure, comme autrefois Louis et Maintenon, Montespan et Louvois furent reconnus dans Esther par la maligne sagacité des courtisans.

L'orage ne s'annonçait pas toujours par des nuages aussi sombres. Un hasard singulier fit paraître à cette époque[21] les Mémoires du cardinal de Retz, du conseiller Joly et de madame de Motteville, trois tableaux fort différents, où les acteurs ont retracé l'histoire de cette Fronde qui fut certainement trop burlesque pour une guerre ou trop sanglante pour un divertissement. Ce mélange de bravoure, d'inconséquence et de gaieté, qui, pendant un siècle et demi, a fondé la réputation du caractère français chez l'étranger, ne devait pas déplaire aux esprits de la régence. Les témoins oculaires peignent la vive sensation que produisirent ces écrits. La presse les multipliait trop lentement, on les rencontrait sur la toilette des femmes et sur le comptoir des marchands. C'était le roman de toutes les tètes, le rêve de toutes les nuits. Chacun les adaptait aux circonstances du moment, prenait ou assignait les rôles, et déjà prédisait les événements, Les bourgeois, leur lever, s'étonnaient toujours, et peut-être avec chagrin, de ne pas trouver des barricades. Une légère victoire anima encore cette crise de l'opinion publique. Caumont, duc de La Force, déconcerté par le torrent d'épigrammes et de chansons qui roulait sur lui[22], quitta le département qu'il s'était fait dans le conseil des finances. L'arme du ridicule ne tue qu'en France, et s'émousse contre les hommes assez grands pour la mépriser, ou assez grossiers pour ne pas la sentir. Mise à l'écart pendant le gouvernement austère de Louis XIV, elle ne pouvait signaler son retour sur un sujet plus vulnérable que le duc de La Force. Il avait été protestant, abbé, poète, financier et fondateur d'une académie de province. C'est le même que le parlement réprimanda quelques années après pour un accaparement d'épiceries. J'ai remarqué sa chute comme l'époque où commence le règne des petites choses :

On ne pouvait prévoir jusqu'où les irrésolutions du Régent laisseraient le parlement et l'opinion publique se corrompre mutuellement. Le caractère de ce prince, qui méprisait les dangers et redoutait les embarras, était la première cause des progrès du désordre. Avec peu de suite dans l'esprit, peu de constance dans la volonté, et peu de franchise dans les promesses, il ne connaissait, à vrai dire, ni amis ni ennemis ; il lui fallait un maître[23]. Noailles aurait pu le devenir, s'il n'eût été si mobile dans ses projets ; Saint-Simon, si désordonné dans son fanatisme nobiliaire ; D'Argenson, si nouveau dans l'intimité de la nouvelle cour. La place restait donc vacante, et la crise exigeait qu'elle fût remplie, lorsque l'abbé Dubois arriva le 20 août, fier d'apporter le traité de la quadruple alliance, et disposé à terrasser, dans Paris, les agents d'Alberoni, comme il venait d'en triompher à Londres. Cet ambitieux confident n'avait cessé, durant son absence, de suivre les mouvements intérieurs du royaume[24]. Également vif et ferme, il fit passer la résolution de châtier l'audace parlementaire et d'abattre les restes de la puissance du duc du Maine. A la vérité, le Régent, par tendresse pour sa femme, agitait d'une main plus indulgente le sort de son beau-frère ; mais il se vit entraîné par la fougue commune du duc de Bourbon et du duc de Saint-Simon, lorsque ceux-ci se furent accordés sur le partage des dépouilles. On convint donc que le 26 août au matin un conseil de régence serait convoqué pour huit heures dans le cabinet du roi, et un lit de justice pour dix heures dans la chambre du dais, afin que, sans intervalle de temps ni de lieu, les coups fussent portés dans l'un et dans l'autre. Dubois et D'Argenson tracèrent la marche publique de l'opération, et les ressources secrètes pour tous les accidents possibles ; tous deux firent preuve de l'étendue d'esprit et de l'amour des détails qu'ils possédaient éminemment. Précautions superflues ! car le seul silence de la cour pendant ces apprêts avait développé des signes d'inquiétude et de faiblesse dans le parlement, dans le duc du Maine, et même dans le maréchal de Villeroy, qui se flattait et s'effrayait toujours de l'honneur d'être dangereux.

Le 26, à la pointe du jour, tous les corps armés occupent leurs postes. Le duc du Maine, à peine revenu d'une fête que sa femme lui a donnée à l'Arsenal, dort sans s'apercevoir qu'au-dessus de sa tête on dresse l'appareil du lit de justice avec silence et rapidité. Éveillé par Contades, major des Suisses, qui lui fait part de l'ordre relatif à son régiment, il s'habille aussitôt, et se rend près du roi, sa sauvegarde naturelle. Lorsque le Régent entre dans la chambre de l'enfant, il voit le duc sans se déconcerter, et lui dit avec la politesse la plus affectueuse : Je sais que depuis le dernier édit vous n'aimez point assister aux cérémonies ; on va tenir un lit de justice ; vous pouvez vous en absenter. — Cela ne me fait aucune peine, répond le duc du Maine, quand le roi est présent. D'ailleurs, dans votre lit de justice il ne sera pas question de nous. — Peut-être, répliqua le Régent ; et il entre dans le cabinet où s'assemblait le conseil. Le duc du Maine, atterré par ce dernier mot, engage le comte de Toulouse, son frère, à faire expliquer le Régent. Tous deux se présentent au conseil ; le duc du Maine interroge le maréchal de Villars, qui n'est pas plus instruit que lui. Enfin, le comte de Toulouse tire le Régent auprès d'une fenêtre[25], et lui dit : Est-il vrai qu'il va se passer quelque chose de fâcheux contre nous ?Rien contre vous, répond le Régent. — Mais si c'est contre mon frère, repart le comte, il vaudrait mieux qu'il se retirât que d'entendre des choses désagréables. — Je le pense ainsi, réplique le Régent ; il fera bien de n'y pas être. — Mais en ce cas, ajoute le comte, il ne me convient pas davantage d'y assister. — Vous avez raison, dit le Régent ; et je vous laisse sortir parce que je vous connais bien. Alors le comte de Toulouse rejoint son frère, qui, pâle et dans de mortelles angoisses, descend chez la duchesse du Maine.

Le Régent, ainsi, débarrassé des seuls témoins qu'il eût à craindre, expose au conseil les mesures que le salut de l'autorité royale a rendues nécessaires. Ce sont d'abord' des lettres-patentes qui cassent les derniers arrêts du parlement et le rejettent dans le même état où l'ordonnance de 1667 l'avait mis sous le feu roi ; viennent ensuite un édit qui réduit les princes légitimés au simple rang de leur pairie, et une déclaration qui en excepte le comte de Toulouse et lui conserve ses prérogatives pendant sa vie. Enfin, sous prétexte que le duc du Maine se trouve désormais, par le rang de sa pairie, inférieur au maréchal de Villeroy, un arrêt défère au duc de Bourbon, devenu majeur, la surintendance de l'éducation du roi. Tous ces actes sont accueillis avec un silence respectueux. Le seul maréchal de Villeroy pousse un soupir et laisse échapper ces mots presque étouffés par la crainte : Voilà toutes les dispositions du feu roi renversées. Je ne puis le voir sans douleur. M. du Maine est bien malheureux !Je dois eu être fâché plus qu'un autre, répond le Régent avec vivacité, puisque M. du Maine est mon beau-frère ; mais j'aime mieux un ennemi découvert qu'un ennemi caché. On passa immédiatement de cette séance à celle du lit de justice. Le seul duc d'Antin obtint de rester, sur sa parole, dans le cabinet du roi. Le Régent avait un singulier motif de confiance en la docilité de ce beau-frère ; c'est lui qu'il avait un jour indiqué comme le type du parfait courtisan, sans honneur et sans humeur.

Le parlement, au nombre de cent soixante-dix magistrats, s'était rendu aux Tuileries en robes rouges, à pied sur deux files, parce que c'est l'usage toutes les fois que dans l'enceinte de la même ville la compagnie est mandée par le roi. Le peuple, qui ne s'intéresse sérieusement qu'aux édits bursaux, et que les jeux de l'agiotage commençaient à distraire, le vit passer avec indifférence. On répéta au lit de justice ce qui s'était fait au conseil de régence. Le premier président ayant seulement demandé à examiner l'édit qui concernait le parlement, le garde des sceaux répondit : Le roi veut être obéi et obéi sur-le-champ. Mais ce roi si terrible riait alors, et voyait sans la moindre sensibilité changer le chef de son éducation. Sa gaieté était provoquée par la triste figure du duc de Louvigny, qui étouffait, au mois d'août, sous le poids d'un habit de velours. Par une de ces métamorphoses plus fréquentes dans les pays despotiques, l'ancien lieutenant de police, qui avait si souvent essuyé les hauteurs du parlement, les lui rendait en maître dédaigneux, et jouissait avec sérénité des regards furieux dont les magistrats le couvraient. Cependant la terreur, la colère, le désespoir régnaient chez la duchesse du Maine et redoublaient à mesure que de jeunes laquais, suspendus par les mains en dehors des fenêtres de la chambre du dais, transmettaient dans leur langage les décrets de la redoutable assemblée.

La régence ne fut pourtant pas satisfaite d'une solennité dont l'intrigue avait eu quelque chose de furtif et de timide. Elle voulut constater sa victoire par une violence mieux caractérisée. Dans la nuit du 28 au 29 elle fit enlever de leurs maisons et conduire dans des prisons d'état les présidents de Blamont et Faydeau, et le conseiller Saint-Martin. Ce défi porté au parlement n'excita qu'une supplication douloureuse. Le Régent laissa entrevoir la grâce des prisonniers comme le prix de la soumission de leur compagnie. Les magistrats acceptèrent humblement cette espérance et reprirent le cours de la justice. Après divers temps d'épreuves les captifs furent rendus. La faiblesse du président de Blamont ne justifia que trop ces rigueurs, et prouva combien l'exaltation diffère de la vertu. Ce téméraire tribun qui avait comparé son roi à Philippe-le-Bel le faux monnayeur, revint esclave de la cour, avide de ses dons, enfin ce que le mordant Saint-Simon appelle l'un des pigeons privés de M. le Régent.

Délivrée de l'opposition parlementaire, la régence voulut aussi secouer ses propres entraves. Les conseils n'avaient point répondu, dans la pratique, à l'éclat de la spéculation. Ce furent bientôt des foyers de querelles, de jalousies, de sottes prétentions, où l'intrigue et la haine eurent seules de l'activité, tandis que les affaires languirent par l'incapacité des chefs, par la mutinerie des maîtres des requêtes, qui refusèrent, pendant dix-huit mois, de rapporter debout au conseil de régence, par la nécessité où le public se trouva de poursuivre soixante-dix ministres dispersés dans la capitale. Le Régent, qui en était las plus que personne, ne différait leur suppression que pour ne point paraître céder au parlement qui la demandait[26]. Ce fut dans ces circonstances que l'abbé de Saint-Pierre, esprit chimérique, écrivain rebutant, et le plus maladroit des bons citoyens, publia son livre de la Polysynodie pour prouver l'excellence du gouvernement par la pluralité des conseils. Le cardinal de Polignac et Fleury, ancien évêque de Fréjus, exigèrent son expulsion de l'Académie française, en menaçant de se retirer eux-mêmes si l'auteur n'était exclu ; et l'Académie, entraînée par cette sorte de violence, consentit à bannir l'honnête homme à qui elle devait le plus beau mot de son Dictionnaire[27]. Les deux prélats avaient accusé la Polysynodie comme une satire indirecte de la politique du feu roi ; mais le véritable crime de l'abbé de Saint-Pierre était d'avoir vivement blâmé, dans ce livre, la participation des femmes au gouvernement de l'État. Madame de Maintenon en fut très-blessée, et fit entrer dans sa vengeance les deux courtisans qui, naturellement doux et timides, ne se seraient pas portés d'eux-mêmes à cet étrange éclat. Le Régent fit assez connaître le dégoût que lui inspirait l'institution des conseils en laissant consommer une injustice si ridicule contre l'apologiste de son gouvernement et l'aumônier de sa mère.

Tandis que le bon abbé de Saint-Pierre défendait en public les conseils expirants, un autre abbé les attaquait dans l'ombre. Dubois avait envoyé de Londres son confident Chavigny pour presser leur chute, et rien n'était plus adroit que les arguments dont il l'avait armé. Je n'examine pas, disait-il au Régent, la théorie des conseils. Elle fut, vous le savez, l'objet idolâtré des esprits creux de la vieille cour. Humiliés de leur nullité dans les fins du dernier règne, ils engendrèrent ce système sur les rêveries de M. de Cambrai. Mais je songe à vous, je songe à votre intérêt. Le roi deviendra majeur ; ne doutez pas qu'on ne l'engage à faire revivre la manière de gouverner du feu roi, si commode, si absolue, et que les nouveaux établissements ont fait regretter. Vous aurez l'affront de voir détruire votre ouvrage. Mais ce n'est pas tout : les grands du royaume approchent le monarque par le privilège de leur naissance ; si à cet avantage ils joignent celui d'être alors à la tête des affaires, craignez qu'ils ne vous surpassent en complaisances et en flatteries, qu'ils ne vous représentent comme un simulacre inutile et ne s'établissent sur votre ruine. Supprimez donc les conseils si voulez être toujours nécessaire, et hâtez-vous de remplacer des grands seigneurs qui deviendraient vos rivaux, par de simples secrétaires d'état qui, sans crédit et sans famille, resteront forcément vos créatures[28]. La présence de Dubois et les insinuations de Stanhope étant venues à l'appui d'un langage si séduisant, le Régent congédia les conseils le 24 septembre et rétablit l'ancienne forme d'administration. Les conseillers furent traités avec magnificence, et chacun emporta quelques débris du vaisseau naufragé. Ainsi finit un essai mémorable dans notre histoire[29]. La noblesse, dit le duc d'Antin, ne s'en relèvera pas ; il en a faut convenir, à mon grand regret. Les rois qui régneront dans la suite verront que Louis XIV, un des plus grands rois du monde, ne voulait jamais employer les gens de qualité dans aucune de ses affaires ; que M. le Régent, prince très-éclairé, avait commencé à les mettre à la tête de toutes les affaires, et avait été obligé de les ôter tous au bout de trois ans. Que pourront et que devront-ils conclure ? Que les gens de cette condition ne soient point propres aux affaires, et qu'ils ne sont bons qu'à se faire tuer à la guerre. Je souhaite me tromper ; mais il y a bien de l'apparence que les maîtres penseront comme cela, et ils ne manqueront pas de gens qui les confirmeront dans cette opinion.

Je ne quitterai pas ce récit sans m'arrêter un moment sur l'intention que l'abbé Dubois annonçait de rétablir le gouvernement de Louis XIV. Je dols prévenir les lecteurs que dans le cours de cette histoire ils rencontreront plusieurs fois le même projet, conçu par divers administrateurs et presque toujours par ceux qui étaient le moins capables de le réaliser. Pour des hommes que la naissance ou l'intérêt accoutumait à ne juger d'un état que par ses sommités, des victoires, des monuments, du luxe et de l'obéissance passive devaient paraître le dernier terme de la sagesse et l'Age d'or de la classe qui gouverne. Aussi, dans leur malaise, les entendit-on invoquer le sceptre de Louis XIV et la forme expéditive de ses méthodes. Mais ce vœu dut rester impuissant, parce qu'il reposait sur une erreur. Le gouvernement absolu de Louis XIV n'existait ni en principes ni en droit. C'était un gouvernement de fait, dépendant de circonstances qui ne se reproduisent jamais les mêmes ; ou plutôt ce gouvernement n'était qu'un homme, et un homme mort, qu'aucune force n'a le pouvoir de rendre à la vie, qu'aucun art ne saurait complètement imiter, et qu'on peut seulement, comme les Romains le pratiquaient dans leurs funérailles, laisser contrefaire par des mimes et des baladins.

Quoique la régence eût, par la révolution dont je viens de parler, assuré la liberté de ses mouvements, un pas difficile lui restait à faire. La guerre contre le petit-fils de Louis XIV révoltait tous les esprits : cependant la rupture était inévitable ; les nouveaux traités l'exigeaient, le ministère anglais la pressait ; Dubois devenait suspect aux alliés par ses délais, par le ton mystérieux et prophétique de ses dépêches. Mais tout à coup l'énigme se dévoile, et le rusé politique subjugue l'opinion, et remplit ses promesses en tournant contre l'Espagne les intrigues de son ambassadeur, et produisant au grand jour ces trames futiles qu'on n'a pas sans dessein honorées du nom de conspiration[30].

 

 

 



[1] Fénelon, dans sa vieillesse, avait eu l'idée aussi fausse que dangereuse de mettre à la portée du peuple les questions théologiques sur la grâce ; et pour ce but chimérique, il enfanta coup sur coup une multitude de livres, aujourd'hui complètement oubliés. Cet homme, si admirable sous tant d'autres rapports, a pour l'ordinaire manqué de mesure dans les matières religieuses. Dès son jeune âge il porta un zèle outré dans ses missions ; chargé ensuite de l'emploi périlleux d'affermir de jeunes filles dans leur conversion, il abandonna son cœur à de trop tendres mysticités. Dans une de ses lettres sur madame Guyon, il dit que, s'il croyait que cette dame ne fût pas orthodoxe, il la brûlerait de ses propres mains, et il revient plusieurs fois à cette expression révoltante. Les erreurs que produit un excès de sensibilité, n'en sont pas moins des erreurs, et quoique je vénère l'âme et le génie de Fénelon, je ne saurais sacrifier, ni à lui ni à personne autre, les droits de la vérité.

[2] Registres du conseil de la guerre, séance du 19 juillet 1716.

[3] Du 5 octobre 1717 et du 5 juin 1719.

[4] Cette démarche eut lieu le 5 mars 1717. Les quatre appelants étaient MM. de La Broue, évêque de Mirepoix ; Scanen, de Senez ; Colbert, de Montpellier ; de l'Angle, de Boulogne. Un huissier au Châtelet, sans doute vigoureux janséniste, eut la témérité d'aller afficher cet acte dans plusieurs places publiques de Rome, et d'en remettre l'exploit au pape lui même, qui crut recevoir un placet.

[5] Le docteur Dupin convint qu'en effet il avait entretenu avec l'archevêque de Cantorbéry une correspondance, dans la vue de réunir les deux églises de France et d'Angleterre ; mais il soutint qu'il l'avait communiquée au procureur-général, et que d'ailleurs il n'avait cédé aucun de nos dogmes. Lettre de Dupin, du 10 janvier 1719.

[6] Ces prétendues foudres pontificales sont tombées dans un tel discrédit, que celle-ci passerait pour anonyme si je ne disais qu'elle s'appelait Pastoralis officii, et qu'elle est datée du 28 août 1718.

[7] Manuscrits de la bibliothèque de l'Arsenal.

[8] D'Antin.

[9] Arrêt du 22 mai 1716, signifié le 27 au parlement, rapporte au Régent peu de jours après, et définitivement annulé par une déclaration du 10 mai.

[10] Édit du 1er juin 1758. En portant à la monnaie quatre cinquièmes en espèces courantes, et un cinquième en billets d'état, on recevait une somme égale en nouvelles espèces, mais tellement affaiblies, qu'un marc d'argent, qui représentait quarante livres des anciennes pièces, en représentait soixante des nouvelles. Par ce prestige de mots on dérobait à peu près un quart du numéraire de la France.

[11] Il s'agissait de l'insurrection des enquêtes contre la grand' chambre, qui avait enregistré, sans le concours des autres chambres, la déclaration qui rétablissait les quatre sous pour livre, et le traité conclu avec le duc de Lorraine, beau-frère du Régent. Ce traité, signé au milieu des fêtes, et rédigé par le conseil des finances, dans un style étranger aux formes diplomatiques, accordait au duc une extension de limites du côté de la Champagne, et le titre d'altesse royale, en considération de son royaume de Jérusalem.

[12] 20 juin 1718.

[13] Le 12 août suivant.

[14] La marquise de Nancré.

[15] Dans une lettre de sa main, apportée le 29 juin par milord Stanhope.

[16] Le Régent n'ignorait probablement pas les bruits répandus auras maison. Voici quatre vers qu'il raya lui-même dans un opéra.

Le soleil autrefois m'unit avec sa fille.

Quel hymen ! Sous quels maux je me vis abattu !

Le crime a trop longtemps régné dont ma famille ;

Faites-y régner, la vertu.

[17] Ce fut le duc de La Force qui découvrit l'auteur des Philippique. Le maréchal de Berwick envoya un prévôt pour l'arrêter ; mais il s'échappa par une maison voisine. Son frère, officier de marine, eut l'indignité d'écrire au Régent pour exprimer sa douleur de l'évasion de son frère, et témoigner combien sa mère et lui regrettaient qu'il ne fût pas mort depuis vingt ans. Des émissaires étant parvenus à attirer La Grange Chancel hors d'Avignon, où il s'était réfugié, l'emmenèrent prisonnier aux îles Sainte-Marguerite. Aussitôt le satirique se mit à composer des odes à la louange du duc d'Orléans. Sa captivité fut fort adoucie. Il composa plusieurs pièces de théâtre, et profita d'une tempête pour s'enfuir dans les états du prince de Piémont.

[18] Août 1717.

[19] Mars 1717, après la mort de Caillières.

[20] Tragédie jouée la première fois sur le Théâtre-Français, par ordre du Régent, le 5 mars 1716 et le 30 du même mois, dans l'antichambre du roi aux Tuileries. Esther ne fut jouée qu'en 172x, une seule fois et sans succès.

[21] Les Mémoires du cardinal de Retz sortirent d'un cloître de Lorraine. D'Argenson crut en détruire l'effet en publiant ceux de Joly qui existaient à la Bibliothèque Caumartin, et où le coadjuteur était fort maltraité par son propre secrétaire. D'Argenson se trompa, et le public, sans prendre parti pour le maître brouillon ou le Serviteur mécontent, suça avidement ce qu'il y avait de dangereux dans les deux ouvrages. Le livre du cardinal, étincelant d'esprit et d'originalité, plaît aux littérateurs et aux gens du monde. Celui de Joly, plein de naïveté, de courage et de ce dévouement inflexible qui est la probité des conspirations, parait bien plus propre à former des factieux.

[22] D'Antin.

[23] Le Régent passa sa vie à filer des cordes pour être emmailloté. Lettre de Dubois au vicomte de Nocé, du 26 octobre 1716.

[24] Voici ce qu'il écrivait à D'Argenson après le renvoi de Noailles et de D'Aguesseau : Mes deux bras franchissent les mers pour vous embrasser. J'avais besoin de cette nouvelle qui a été reçue avec les applaudissements qu'on donnait à Hercule après la défaite des monstres. Je dormirai dorénavant en repos, et je travaillerai sans distraction. Voilà le plus mauvais grain séparé ; il faudra encore quelques coups de crible ; mais ces héros méritaient la distinction de n'être pas confondus dans une réforme générale.

[25] Saint-Simon raconte que ce fut le Régent qui prévint le conne de Toulouse et le tira à part. Ce récit n'est point inconciliable avec celui du duc d'Antin, que j'ai préféré, parce que ce dernier, frère des princes légitimés et de madame d'Orléans, par madame de Montespan, leur mère commune, savait des particularités que l'autre ne pouvait connaitre.

[26] Remontrances du 26 janvier 1718. Représentations du 7 février.

[27] L'abbé de Saint-Pierre a le premier employé le mot de bienfaisance. J'aurais quelque honte à rapporter les arguments dont se servirent les deux prélats pour colorer l'acharnement de leur persécution. Le confrère qu'ils avaient fait exclure continua rie rêver en homme de bien, et ne fut remplacé qu'après sa mort ; mais on lui refusa l'éloge et la messe, ce qui peut être regardé comme la jurisprudence des excommunications académiques. On a oublié que l'abbé de Saint-Pierre est parmi nous le fondateur d'une petite école philosophique, dont le ralliement est la perfectibilité indéfinie de l'espèce humaine ; noble erreur, à qui il n'a manqué, pour être d'une utilité générale, que la sanction de quelque croyance religieuse.

[28] Extrait des instructions de Dubois à Chavigny, du mois de mars 1718, et d'une note écrite de sa main, du mois d'août.

[29] A son retour en Russie, Pierre Ier y avait établi des conseils sur le modèle de ceux qu'il avait vus en France. Mais tandis que les nôtres n'ont fait que passer, ceux du czar subsistent encore chez son peuple docile et imitateur.

[30] Le 14 décembre, Dubois écrit à Destouches : Je vous prie d'assurer M. Craggs et milord Stanhope que tous les soupçons qu'ils ont eus sur le délai de la déclaration de guerre n'ont point eu d'autres raisons que celles que je leur ai écrites, et particulièrement pour pouvoir faire, avant la déclaration de guerre, la découverte que nous avons faite ces jours-ci de la trame et des intrigues de l'ambassadeur d'Espagne, que nous espérions, avec raison, de découvrir bientôt, et après quoi on osera moins s'opposer à la guerre.