Saint François de
Paule vient en France. — Arrivée des reliques de Rome et de la sainte ampoule
de Reims. — Louis XI ne mérite aucun des reproches qu'on lui a faits. — Il
aimait sa famille. — Sa piété fut sincère. — Il ne fut point superstitieux. —
Ses rigueurs furent nécessaires. — Derniers actes du roi. — Son traité avec
la Hanse Teutonique. — Nouvelle attaque du 25 août. — Sa noble résignation. —
Mort de Louis XI. — Aveux de ses adversaires. — Ce qu'il laissait à son fils.
Cette
vie si désirée et si désirable pour tous ;' de qui donc l'attendre ? Sans
refuser les faibles secours de l'art médical, Louis XI se rappellera les
leçons et les exemples de sa sainte mère, Marie d'Anjou. Il n'espérera que
dans la puissance divine : N'est-ce pas à elle déjà qu'il doit le succès de
ses desseins ? Peut-être, non pour lui, mais pour la France, que Dieu protège
toujours cette, suprême consolation lui est-elle réservée ! Il
songe donc à faire encore quelques pieuses fondations. Surtout il semble
qu'il ne puisse rien refuser aux religieux ou clercs de tout ordre. Il cède à
l'abbaye de Saint-Denis le mesurage du blé à Paris ; il lui confirme le don
de l'hôtel de Saint-Ouen et exempte la ville de toutes charges. Dans son
palais même il fait élever une chapelle sous l'invocation de saint
Jean-Baptiste. Ceux de Saint-Germain manifestent-ils le désir d'avoir, comme
le couvent de Saint-Denis, des foires franches, ou au moins une. ? Louis la
leur accorde. Dans ses lettres de concession, en mars 148i, il rappelle que
cette abbaye fut fondée par le roi Childebert, son progéniteur, à cause de la
grande dévotion qu'il avait en ce saint ; mais que depuis elle a été
appauvrie par plusieurs guerres et qu'il désire lui rendre son ancien lustre.
Ils tiendront donc cette foire pendant huit jours de suite à partir du 1er
octobre ; ils jouiront, comme les religieux de Saint-Denis, de tous les
droits, greffes et émoluments qui appartiennent à cette concession, ainsi que
de toutes libertés et franchises. Or l'époque indiquée se trouvant coïncider
avec celle du Landit[1], il y eut procès devant le
parlement entre les deux abbayes ; pour tout concilier il fut convenu que la
foire de Saint-Germain se tiendrait non en octobre, mais le 3 février. En
mars encore ses libéralités s'adressent aux religieux de Saint-Claude pour fondation
de messes perpétuelles, allocation à prendre sur les terres du Dauphiné ; de
plus il cède à Saint-Jean de Latran plusieurs terres du Rouergue dites le
Commun de la paix, prises à des seigneurs qu'il indemnisa, tels que Josselin
Dubois et les sires de Dammartin et de Crussol. Même à Saint-Jean de
Compostelle en Espagne il envoie deux mille livres. Enfin il n'est point de
sanctuaire vénéré d'où il ne fasse prier pour obtenir le prolongement de son
existence. Le roi
attend cette grâce non-seulement de l'intercession des saints, mais aussi des
prières des hommes qui, dès ici-bas, se sont fait une réputation de sainteté.
Avec beaucoup de raison le christianisme loue leur abnégation et nous les
présente comme des modèles. Dans tous les siècles il a existé de tels hommes
: ils vivent le plus souvent dans la retraite, sans nulle ostentation ; le
monde les reconnaît aisément à leur humilité et à la sagesse de leurs
discours. On en citait plusieurs (au quinzième siècle), entre autres un moine
des environs de Sens, appelé frère Bernardin, et un cordelier de Lombardie,
nommé Jacques de Rosat. Surtout on disait des choses merveilleuses d'un
ermite de Paule en Calabre. Le roi eut la pensée de le faire venir. Le moine
Robert, dit François de Paule, eut beaucoup de peine à se décider. Le pape,
prié d'intervenir, fut obligé de lui écrire deux fois et d'insister. Enfin il
déféra aux désirs du roi et il se mit en route. A son passage à Rome, le pape
l'entretint longuement ; il fut si édifié de sa piété, de sa parfaite
humilité et du sens profond de ses discours, qu'il voulut lui conférer les
ordres. Mais l'humble religieux déclina un tel honneur, ne se croyant point
assez instruit[2]. Il partit donc, avec la
bénédiction du saint-père, et arriva bientôt en France. On croit que
Baudricourt, l'ambassadeur du roi, l'accompagna. Des mesures étaient prises
pour qu'il arrivât le plus promptement possible en Touraine. A Amboise le
dauphin lui fit un gracieux accueil ; circonstance qu'un artiste a retracée
avec bonheur dans un tableau qui figurait, au commencement du siècle actuel,
dans l'église de. Tours consacrée à ce saint. C'est
le 24 avril 1483 que François de Paule arriva au Plessis, sous l'escorte de
Guyot de Lainière, sénéchal de Quercy. Il y fut reçu avec le respect que
méritait sa grande renommée de vertu. Louis XI goûta singulièrement ses
paroles toujours si simples, si pleines d'onction et de sens, « qu'il
semblait que le Saint-Esprit parlât par sa bouche[3]. » Malgré ses souffrances le
roi n'omit rien pour lui rendre ce séjour agréable et conforme à ses goûts :
il lui avait fait préparer une résidence spéciale. Comme cet austère
religieux ne mangeait ni chair ni poisson, Louis eut encore l'attention
d'écrire le 29 juin à François Genas, général des finances en Languedoc, « de
lui envoyer pour le sainct homme — ainsi l'appelait-il — des oranges douces
et des poires muscadelles ». De
pieux souvenirs de ce saint ermite se sont conservés jusqu'à nous. On
rapporte que le roi lui ayant fait offrir par son aumônier une statuette de
la Vierge en argent ciselé, il s'excusa de l'accepter et répondit : « Mon
frère, vous savez que la vraie dévotion est dans la foi, non dans la matière.
Je porte la Vierge dans mon cœur et une simple image me suffit. » Son langage
respirait la charité la plus vive. « Je l'ay maintes fois oui parler, devant
le roy qui est de présent, où estoient tous les grands du royaume... Il
sembloit qu'il fût inspiré de Dieu des choses qu'il disoit et remontroit...
Plusieurs se moquoient de la venue de cet hermite, mais ils n'estoient point
informés des pensées de ce saige roy[4]. » François de Paule fut
le fondateur de l'ordre des Minimes. A sa sollicitation, Charles VIII, par
lettres de Montils-lès-Tours, fonda là pour ses religieux, sur l'emplacement
de la bergerie, le couvent dit de Jésus-Maria. Le saint y mourut en 1507, à
l'âge de quatre-vingt-onze ans. Tout en
s'occupant de ses intérêts spirituels Louis XI conservait toute la lucidité
de son esprit et sa force de caractère. En voici une preuve : ayant appris
qu'un passe-droit avait été fait en son nom par François Genas, cité plus
haut, il ne lui ménagea point les remontrances : « Monsieur le général, lui
écrivait-il, le sénéchal de Quercy, Guyot de Lauzière, qui m'a amené le bon
sainct homme, se plaint à moy que luy avez osté la moitié de sa pension, qui
monte à six cents livres tournois, et que lui avez dit que je l'avois faict.
Je vous assure que je n'en suis pas content de vous... Que incontinent ces
lettres vues, il en soit entièrement appointé... De cette heure, et jusqu'à
ce qu'il soit content, je arreste en mes mains les gaiges et pensions que avez
de moy. Escript au Plessis, le 15 mai 1483. » Cette ferme admonestation
montre toute l'énergie qu'il fallait pour faire plier certaines résistances ;
ainsi s'expliquent aussi bien des rancunes. Vers le même temps arrivaient
encore au Plessis des reliques apportées par les chanoines de Cologne et par
le doyen d'Aix-la-Chapelle ; le morceau de la vraie croix que les religieux
de Charroux venaient présenter aux hommages du roi, et aussi les objets
vénérés que le pape lui envoyait. Ceux-ci furent remis en juin, peu après les
fiançailles du dauphin, par Grimaldi, un des dignitaires du Saint-Siège. On y
remarquait le corporal 'dont on croyait que saint Pierre s'était servi. Enfin
Sixte IV semblait ne pouvoir rien refuser au roi : déjà, par une bulle du 27
mars 148-1, il avait approuvé la fondation d'une chapelle royale au Plessis
que deux ans avant, le 30 septembre 1480, l'archevêque Hélie de Bourdeilles
avait permis d'élever sous le vocable de Sainte-Catherine ; par une autre
bulle du 9 juin il autorise encore le déplacement de la sainte ampoule, sans
exemple jusque-là. Lorsque
le 17 avril, en effet, le roi avait écrit à Robert de Lenoncourt, abbé de
Saint-Remy, « qu'il voudroit bien, s'il se pouvoit faire, avoir une goutte de
la sainte ampoule », il lui avait été répondu qu'il fallait une permission du
saint-père. Muni donc du bref du pape, le roi mande, le 14 juillet, à l'abbé
et aux religieux de Saint-Remy de Reims, qu'il leur « envoie ses féaux
conseillers, l'évêque de Séez, Claude de Montfaucon, gouverneur d'Auvergne,
et Jean de Sandouville, seigneur de la Heuse, pour que ladite sainte ampoule,
envoyée des cieux par la grâce du Saint-Esprit à monsieur saint Remy, alors
archevêque de Reims, pour le sacre de Clovis, lui soit apportée le plus
convenablement qu'il se pourra. Il promet en parole de roi, et sur son
honneur, qu'après qu'il lui aura fait sa dévotion, il la fera conduire en
bref et rendre dignement à leur abbaye, sans nulle faute ». La lettre est
contre-signée comte de la Marche et de Clermont, et autres présents. Le 16
juillet, le roi écrit encore par ses envoyés, au même abbé, une lettre de
Créance constatant la commission, et il y ajoute : « Ne veuillez faire faute
que ne l'ayons. » En
conséquence, par son ordre, le sire de Lenoncourt, bailli de Vitry, envoie,
le 21 juillet, à messieurs les prieurs de Saint-Remy de Reims, son fils
Claude de Lenoncourt, avec mission d'aviser ensemble, eux et le gouverneur
d'Auvergne, ainsi que l'évêque de Séez, Étienne Goupillon, aux moyens de
transporter solennellement au Plessis la sainte ampoule, si vivement désirée
du roi. Il n'y eut aucun retard ; car le 31 juillet suivant on voit que les
cours du parlement et des comptes, le corps de ville, François Hailé,
archevêque de Narbonne, Louis de Beaumont, évêque de Paris, et celui de
Verceil, vont « pour recevoir la sainte ampoule contenue dans une petite
capse, couverte d'un drap d'or », jusqu'à l'abbaye de
Saint-Antoine-des-Champs. Tout le clergé de Paris, prêtres et religieux en
chape, le reçut à la porte Saint-Antoine. Autour de la sainte relique étaient
douze torches ardentes armoriées des armes de la ville. On marchait
processionnellement en récitant des prières où l'on invoque l'intercession de
la Vierge Marie, et aussi celle de saint Germain, évêque d'Auxerre, dont la
fête se solennisait ce jour-là. C'est ainsi qu'elle fut portée, au milieu
d'une foule pieusement recueillie, jusqu'à la Sainte-Chapelle. Elle y passa
la nuit. Le lendemain, avec le même cérémonial, on la transféra à
Notre-Daine-des-Champs, et elle continua son voyage « accompagnée des verges
de Moise et d'Aaron et de la croix de Victoire[5] qui, par grâce divine, fut
envoyée à Charlemagne contre les infidèles, et que, depuis lors on conservait
à Paris dans la Sainte-Chapelle du Palais-Royal. » Le roi,
qui l'avait tant souhaitée, la reçut avec une profonde vénération. Il désira
et obtint qu'on lui en fit une seconde onction. Il sembla même en sa présence
être réconforté, du moins pendant quelques moments, tant on aimait à se
flatter d'une légère apparence d'espoir. Notre
siècle un peu sceptique comprend mal ces manifestations. Examinons brièvement
les critiques qu'elles ont fait naître. La piété du roi, dit-on, sollicitait
surtout des biens temporels : on ajoute même que les prières qu'il désirait
il les voulait moins pour le salut de l'âme que pour la santé du corps[6]. Mais ce bienfait de la vie,
qui de nous ne le demande ? La résignation est une vertu, sans doute, mais
seulement dans les malheurs inévitables ou nécessaires. Chercher un remède
aux maux qui nous viennent assaillir, le chercher pour mieux remplir les devoirs
de la vie, loin d'être un acte pusillanime, est au contraire l'effort d'une
âme énergique et généreuse. Il a donc demandé le délai du moment suprême,
comme on demande l'éloignement d'un fléau. Il l'a espéré du ciel plus que de
la science humaine : qui pourrait encore l'en blâmer ? Les
moyens indiqués par l'art médical n'étaient point d'ailleurs repoussés par le
roi. Ne voit-on pas, à la date du 8 avril 1483, un Piémontais, Ferrault de
Bonnel, confesser avoir reçu la somme de cent quatre-vingt-douze livres
tournois, de Michel Teinturier, général des finances, pour un breuvage appelé
aurum potabile, ordonné au roi par le médecin ? Dans le compte de Jean
Lallemand, en l'année 1483, on trouve que Philippe Lourin, conseiller général
des finances, fut chargé de tenir compte de 10.000 livres « que le roy a
empruntées d'aucunes villes.de Normandie pour bailler à messire Georges Le
Grec, chargé de faire équiper deux navires que le roy enverra pour lors en
l'isle Vert quérir aucunes choses touchant très-fort la santé de sa personne[7] ». Si en s'aidant soi-même on
mérite l'aide d'en haut, n'avait-il pas fait tout ce que conseille la sagesse
humaine ? On dit
encore : « Que ne cherchait-il la faveur du ciel en se réformant lui-même ! »
C'est ici surtout que se déchaîne le dénigrement des chroniqueurs
bourguignons. Les pharisiens d'une autre époque ne connaissaient guère mieux
l'esprit de la loi. Où trouvent-ils donc, ces nouveaux docteurs de la loi, le
droit d'interpréter ainsi les intentions d'autrui ? Ils prétendront peut-être
que Charles VII, en faisant asseoir ses favorites plus près du trône que la
reine, et Louis d'Orléans, en violant tous ses serments, ont donné à leur
peuple des exemples plus édifiants 1 Quoique Charlotte de Savoie n'eût rien
de remarquable en sa personne ni en son esprit, et qu'elle inclinât même un
peu, dit-on, en faveur des Bourguignons, Louis XI lui garda sa foi ; elle fut
toujours seule reine. Dira-t-on
qu'il n'aimait pas sa famille Mais nous savons sa sollicitude pour elle et
surtout pour son fils, ses soins à l'entourer de ses officiers les plus
dévoués. S'étant imposé tout le fardeau du gouvernement, ce qui étonne peu
depuis que Balue et d'Harancourt avaient trahi sa confiance, il trouva
rarement le loisir de vivre au milieu des siens. Soit à la tête de ses
troupes, soit dans les soucis des combinaisons diplomatiques, ou en de longs
et pénibles voyages, tous ses instants sont consacrés aux intérêts de l'État.
On en convient, le travail seul des instructions qu'il donnait à ses
ministres et à ses ambassadeurs en pays étrangers devait occuper tout son
temps[8]. Bien
que le centre de ses occupations ne fût pas à Amboise, il est certain qu'il y
allait souvent. La date de ses ordonnances, dont beaucoup sont de là, en est
la preuve irréfragable. Conçoit-on que celui même[9] qui en a édicté la collection
ait affirmé le contraire ? D'autres, avant nous, ont déjà fait cette
remarque. Aussi Comines ayant écrit qu'à l'époque de sa dernière attaque,
« Louis n'avait pas vu son fils depuis plusieurs années »,
l'éditeur des mémoires relève cette contradiction. « Je ne m'étonne
plus, dit-il avec raison, si aux choses secrètes et importantes, les
historiens ne donnent pas toujours des assurances entières, puisqu'en celles
qui sont publiques ils se dispensent si librement de la certitude. » Non-seulement
Louis XI fut un bon père, mais sa famille fut digne de lui. L'aînée de ses
deux filles, Anne de Beaujeu, passa toujours pour fort avisée et remplie de
sagesse ; l'autre, Jeanne de France, fut une sainte. Ses malheurs ont été
grands ; ils n'ont jamais été au-dessus de sa vertu. Son fils Charles, frêle
et délicat enfant de treize ans, avait été l'objet de ses plus vives
sollicitudes. C'est avec raison qu'il ne voulut pas le trop exciter au
travail intellectuel. Toutefois, assure-t- on, il lisait déjà avec intérêt
les Commentaires de César. Il n'était donc pas aussi arriéré qu'on a bien
voulu le dire. Aux premiers rangs de ceux qui devaient instruire le dauphin
on cite Guillaume Cousinot et Gui Pot pour le droit, et pour les
belles-lettres Robert Gaguin, général des Mathurins, l'un des plus illustres
docteurs de ce temps[10]. Ainsi
tous les reproches faits à Louis XI d'avoir négligé l'éducation de son fils
sont évidemment erronés et doivent nous mettre en garde sur l'exactitude des
autres griefs. Ajoutons encore qu'au jugement de Comines, le dauphin était si
bon « qu'il n'est possible de voir meilleure créature ». Sans doute
Charles céda plus tard à l'entraînement irréfléchi de la jeunesse ; il manqua
d'expérience et des qualités qu'elle donne ; mais jamais ces défauts
n'altérèrent en rien la générosité de sa nature. Telle était la famille de
Louis XI, et l'on peut dire avec vérité : tels enfants, tel père. Dans
cet intérieur royal l'habitude des pratiques religieuses était en grand
honneur. A l'exemple du chef, qui le premier porta le titre de roi
très-chrétien et le justifia par sa dévotion à Marie, on y avait surtout
confiance à l'intercession de la Sainte Vierge. Aussi voyons-nous qu'on ne
pensa pouvoir mieux plaire à la reine Charlotte qu'en lui rappelant, par
l'hommage d'un beau et curieux manuscrit[11] fait en son honneur et en celui
du dauphin, les gloires du sanctuaire de Notre-Dame-du-Puy en Velay, et les
pèlerinages qu'elle et le roi y avaient faits. La
vraie foi ne saurait régner dans une famille sans y resserrer les liens de
l'affection. Anne de Beaujeu saura donc veiller avec tendresse et dévouement
sur ce jeune frère confié à ses soins par la prévoyance du roi, et elle
résistera de toutes ses forces aux ennemis de la mémoire aussi bien que de la
politique paternelle. Quant à la reine, elle survécut peu à la perte de son
époux ; le ter décembre de la même année elle mourut à Amboise et fut aussi
inhumée à Notre-Dame-de-Cléry. Qui
donc peut douter que la piété du roi ne fût vraie ? Lorsqu'un homme remplit
loyalement ses engagements, et qu'on peut dire de lui qu'il n'a conservé à
l'égard des ministres étrangers « la souvenance de leurs mauvais offices
qu'autant qu'il falloit a pour les obliger à lui en rendre de meilleurs[12] » ; quand il consacre
sa vie entière à l'accomplissement des plus pénibles devoirs de sa situation,
bravant, pour n'y pas manquer, même l'inimitié de ses plus notables
contemporains ; lorsque, en vue d'un glorieux avenir, que lui seul entrevoit,
il affronte les préjugés de son époque, écarte avec persévérance les
obstacles qui, par intérêt ou par routine, se dressent obstinément devant
lui, et cela sans recherche d'ambition personnelle, ne rapportant aucun de
ses succès à son propre mérite, mais au contraire ne cessant d'en remercier
Dieu de qui toujours il les attend, pour quel motif soupçonnerait-on la
sincérité de sa foi religieuse ? Ses
dons aux églises furent peut-être excessifs ; ils ne sauraient cependant être
ici un grief. D'ailleurs Louis n'oubliait pas plus les pauvres que les
églises. Par exemple, il avait fondé une rente de mille livres pour que la
ville de Tours fournît chaque jour, excepté le vendredi et le samedi, une
belle pièce de bœuf à sa maladrerie de Saint-Lazare. N'est-ce pas là le
véritable esprit de charité auquel se reconnaît la véritable piété ? On ne
saurait avec plus de raison attaquer sa dévotion aux images. Nous-mêmes nous
révérons les reliques de nos saints. « A quelque image ou église de Dieu
et des saints et même de Notre-Dame qu'il entendît raconter que le peuple eût
dévotion et qu'il se fit quelque miracle, il y allait faire ses offrandes, ou
y envoyoit homme exprès[13]. » Sied-il bien à un
évêque de lui faire un pareil reproche ? Louis
XI voulut rester fidèle aux enseignements de l'Église ; il protégea toujours
l'orthodoxie. On est même forcé d'avouer qu'en prenant part aux querelles
philosophiques de son temps il a un peu aventuré cette protection par son
décret contre les nominaux. La résistance qu'il sut faire au pape comme saint
Louis, quand ses droits de souverain et les intérêts de la France le
demandaient, montre qu'entre le spirituel et le temporel il savait tracer la
limite des pouvoirs et des juridictions. La cession au saint-père qu'on
obtint de lui dans ces derniers temps des comtés du Dauphiné, fut un fait
sans conséquence, dont on ne peut rien inférer, puisque, soit par délai
d'enregistrement ou autrement, elle n'eut pas de suite. Mais,
dit-on encore, Louis XI fut superstitieux ! On se demande d'abord comment il
se faisait qu'il fût alors si ordinaire de croire aux magiciens, aux
sorciers, au pacte avec le démon, au sort jeté sur autrui par des pratiques
plus ou moins mystiques, et surtout à l'influence des étoiles, c'est-à-dire
aux devins qui, à ces époques où l'on ignorait absolument les lois si
précises de la sphère céleste, prétendaient lire dans les cieux les secrets
de l'avenir ? De telles croyances sont difficiles à expliquer ; il est
certain toutefois qu'on y croyait encore au seizième et même au dix-septième
siècle. Nous ne
savons si depuis la mort de maître Arnould, arrivée pendant la peste de 1466,
il y eut d'autre astrologue en titre à la cour. On a parlé de Jean Callemann,
qui aurait instruit le roi sur la conjonction de Saturne et de Mars du 8
avril 1404, d'où l'on inféra les troubles de la ligue qui se formait ; de
Pierre de Graville, qu'il fit venir de Normandie ; de l'Allemand Conrad
Hermgarter, qui du service du duc de Bourbon était passé à celui du roi, et
surtout du Napolitain Angelo Catho, mathématicien et médecin à la fois. Dans
les derniers temps il était venu, comme on sait, du duc Charles au roi Louis,
qui le fit bientôt archevêque de Vienne. C'est celui même à qui Comines a
dédié ses Mémoires. Comment s'étonnerait-on que le roi eût consulté de tels
hommes ? Il
n'est pas moins vrai que Louis XI était sceptique à cet endroit. On constate
surtout la plaisanterie qu'il fit Sur la science d'un astrologue, « moins
bon connoisseur du temps qu'il fera, disait-il, que l'âne du meunier voisin ».
Ce seul mot prouve qu'il n'était point dupe de l'erreur vulgaire, sur ce
point. D'ailleurs, lorsqu'il se montre en tant de manières si au-dessus de
son siècle et de ceux qui suivirent, de quel droit exigerait-on qu'il n'eût
payé en rien son tribut à la faiblesse humaine ? A cela doivent être
attribuées quelques idées bizarres qu'il avait, comme celle par exemple de ne
vouloir plus se servir des vêtements qu'il portait ni du cheval qu'il montait
à la réception d'une mauvaise nouvelle. Mais,
chose étrange ! au premier rang de ceux qui l'accusent d'avoir été
superstitieux et crédule se trouve Boulainvilliers ; or parmi les ouvrages de
cet historien on remarque une pratique abrégée des jugements astronomiques
sur les nativités ! L'auteur va plus loin ; dans son histoire de l'apogée du
soleil il explique suivant les maximes astrologiques les vicissitudes des
États. Et c'est avec de pareilles idées qu'au dix-huitième siècle on vient
accuser Louis XI de superstition ! Lorsqu'on
parle en général de ses cruautés, il faudrait d'abord, ce nous semble,
examiner s'il était possible d'arriver aux résultats qu'il a obtenus sans
faire preuve d'une grande fermeté, sans être quelquefois sévère. Lorsque l'on
considère ce qui s'est passé avant et depuis son règne, il paraît de toute
évidence qu'il fallait une main de fer, plus encore en ce temps-là que sous
Louis XIII, pour faire plier l'aristocratie, pour la soumettre au roi,
c'est-à-dire à la loi commune, et lui faire accepter l'obéissance comme un
devoir. C'était là le seul moyen de préparer cette belle unité de la France,
qui devait être la source de notre grandeur. A-t-on
jamais bien réfléchi aux motifs qui servirent de prétextes aux adversaires du
roi pour lui faire la guerre ? A bout de ressources, on emprunte une forte
somme d'argent, pour laquelle en engage une province ; puis on y souffle la
révolte, et, après avoir donné main-forte aux rebelles, d'abord secrètement,
ensuite à découvert, on s'offre à traiter, sans tenir compte de la dette et
en reprenant le gage. Telle fut la tactique de Jean II d'Aragon à l'égard du
Roussillon et de la Cerdagne, tactique qui n'échoua que grâce à la fermeté et
à l'habileté de Louis XI. Une
autre fois, c'est un vassal qui profite des embarras de la royauté, pour
vendre la paix à son suzerain en se faisant céder par lui des villes. et
seigneuries inséparables de la couronne, sous la promesse de les restituer
pour une certaine somme. Mais l'argent reçu, et sitôt les villes et
seigneuries livrées, il déclare la guerre à son seigneur pour les reprendre
les armes à la main ; puis, s'étant ainsi mis avec lui sur le pied d'une
parfaite égalité, il traite sans qu'il soit question des sommes perçues ; et cela
sous le couvert du bien public ! Telle est la cause des sanglants démêlés de
Charles le Téméraire avec le roi. Enfin,
on ne pouvait révoquer en doute que la réversibilité des apanages, l'appel à
la justice royale, c'est-à-dire au parlement de Paris, et l'hommage au roi de
chacun des ducs, comtes et prélats ne fussent de droit et de toute justice. A
peine encore se soumet-on à l'hommage comme à une pure formalité ; mais dès
que les droits royaux contrarient quelque peu' certaines prétentions, on
refuse de les reconnaître, et c'est encore à la guerre à en décider. Telle
fut, vis-à-vis de Louis XI, la pratique constante du duc de Bretagne, de
Marie de Bourgogne et de Maximilien ; et non-seulement ils en appellent aux
armes contre le roi, mais ils sollicitent le secours de l'étranger, tantôt de
l'Espagne, tantôt de l'empereur, le plus souvent de l'Angleterre. Comprend-on
dès lors jusqu'à quel point ceux des seigneurs qui, engagés au roi par serment,
comme les ducs et comtes d'Alençon, de Nemours, d'Armagnac, de Saint-Pol, et
du Perche, trempaient néanmoins dans ces coalitions contre la France, se
rendirent coupables envers lui ? Il y
eut donc des rigueurs indispensables. Après les guerres et le relâchement des
règnes précédents, Louis XI n'avait que ce moyen de forcer au respect de ses
droits, et de ne pas léguer à son fils de nouvelles difficultés. Qui pourrait
dire ce qu'il serait advenu, s'il avait agi autrement qu'il n'a fait ? Y
a-t-il eu cruauté de sa part ? Nullement. Il est vrai que Charles d'Armagnac
et René comte du Perche étaient encore en prison ; mais le premier avait été
reconnu complice des actes de félonie et d'incroyable audace du comte Jean V,
son frère : qui jamais plus que celui-ci s'était joué de ses serments et de
l'autorité du roi ? Sans doute il aurait été préférable qu'il y eût eu une
sentence authentique ; mais alors on ne disputait pas au roi le droit d'emprisonnement
ou d'exil pour crime d'État. Richelieu, on le sait, alla bien plus loin, sans
parler des lettres de cachet encore en usage au dix-huitième siècle, malgré l'abus
qui en avait été fait. Quant au comte du Perche, il y avait eu contre lui en
1482 une procédure en règle et un jugement du parlement. Non-seulement
Louis XI ne fut pas cruel, il fut encore généreux. C'est ainsi que dans la
campagne de 1472, alors que Charles de Bourgogne, sans appui de l'Angleterre,
était en tout à sa merci, il n'hésite pas à lui accorder une trêve. Plus
tard, loin de songer à profiter du double désastre de son adversaire, il
maintient exactement la trêve de Soleure, malgré les raisons qu'il avait de
la rompre ; bien plus, après avoir averti le duc du danger qu'il courait à
provoquer ces rudes gens des montagnes, il le prévient encore des perfidies
du traître Campo-Basso. Ici même lui rendra-t-on justice ? Au contraire, on y
trouvera un nouveau sujet de blâme. « La trêve de Soleure ne fut qu'un piège...[14] » dit-on ; cela montre
jusqu'où les préjugés et la passion peuvent égarer les meilleurs esprits ! Lorsque
l'on voudra bien mieux observer et surtout ne pas prendre des assertions
dénuées de preuves pour des faits positifs, on reconnaîtra que rien dans la
conduite de Louis XI ne démentit sa foi religieuse. Jusqu'à la fin il sera
l'homme reconnaissant que Pou a toujours vu désireux de récompenser tous
services et fidèle à tenir ses promesses. On peut dire qu'il porta
quelquefois ce mérite jusqu'à l'excès. Il avait même à cet égard de
singulières réminiscences. S'étant souvenu qu'en 1442 il a failli être submergé
dans l'Adour, et qu'alors il fut sauvé à la suite d'un vœu qu'il fit à
Notre-Dame de Behuard près Angers, vœu qu'il avait laissé inaccompli,
aussitôt il fonde audit lieu, le 30 avril 1483, un chapitre en l'honneur de
la sainte Vierge et il donne aux chanoines le privilège tout royal de pouvoir
accorder des rémissions dans la province. Ce
droit de rémission est sans contredit celui dont il a le plus usé. Dans ses
derniers jours encore, au lieu de ces préoccupations égoïstes qu'on lui
prête, il songe à remettre les peines encourues pour crimes privés, dès qu'il
y peut trouver une excuse. Alors aussi, en juillet, il confirme le legs de
huit cents livres de rente fait par le testament de Charles d'Anjou, dernier
roi titulaire de Sicile, à Marguerite, fille naturelle de feu Nicolas duc de
Calabre ; rente à prendre sur le revenu de la vicomté de Châtellerault. En
août il confirme les statuts de la confrérie de la Madeleine établie à
Saint-Eustache en faveur de vingt-cinq pauvres. Apprend-il
que dans le midi les boulangers se sont coalisés pour vendre le pain trop
cher ? il s'en émeut ; il fait immédiatement écrire des lettres patentes où
il leur défend[15], sous les peines les plus
sévères, d'avoir ni confrérie ni jurés. Il mande auprès de lui pour en
conférer Bernard Lauret, premier président du parlement de Toulouse ; mais
celui-ci s'excuse sur son âge et ses infirmités de ne pouvoir entreprendre ce
voyage. Boffile de Judice, nouveau comte de Castres et de Roussillon, et
capitaine de Perpignan, est un de ses vieux serviteurs et amis : le 9 août il
lui fait don de tout ce qui lui était dû par les officiers de finance du
Roussillon. Dès son
début dans l'administration du royaume, soit comme lieutenant général dans le
Languedoc, soit dans le gouvernement de son apanage du Dauphiné ou pendant
son règne, la liberté commerciale trouva toujours en Louis XI un appui. H la
considérait comme une source de prospérité pour tous les États. Aussi a-t-il
eu soin de la stipuler dans tous les traités où il a mis la main. Ce fut là
encore une de ses dernières pensées. Par lettres patentes du mois d'août, il
renouvelle ses anciens traités avec les aldermen de la hanse Germanique.
Voici à peu près textuellement ses lettres : « Ses
ancêtres se sont occupés d'aplanir les différends qu'ils pouvaient avoir avec
les étrangers ou qui s'élevaient dans leur voisinage. En cela ils suivaient
un principe tout chrétien ; car le Seigneur n'a rien laissé de plus excellent
à ses disciples et à la terre que la paix. « Des
pourparlers se sont ouverts, pour l'examen des traités, trêves ou conventions
passés, entre les consuls de la hanse Teutonique ayant résidence à Bruges
d'une part, et les commissaires royaux délégués Antoine Delouf, licencié en
droit civil, et Guérard Bruys, bachelier en droit canonique ; et sur le
rapport qu'ils ont fait de l'utilité qu'il y aurait d'entretenir, d'augmenter
et de perpétuer, s'il est possible, les relations de bienveillance qui
existent déjà entre lui et lesdits consuls et négociants : « Nous
déclarons donc de notre pleine autorité, ajoute-t-il, que nous ratifions et
confirmons autant que de besoin les privilèges déjà accordés à la hanse
Teutonique : « Nous
voulons que ce qui aurait pu leur être enlevé de force, ou par un malentendu
quelconque, leur soit rendu en notre présence autant que possible, et qu'ils
en puissent poursuivre la restitution devant nous et devant nos juges : « Nous
accordons de plus auxdits négociants de résider où ils voudront en notre
royaume et d'y être quittes et exempts de toute imposition, gabelle et autre
tribut, comme l'ont été jusqu'ici et continueront de l'être ceux qui se sont
faits nos sujets. « Les
négociants de la hanse qui s'établiront en nos États seront libres de
disposer de leurs biens par testament, ou entre-vifs, ou de toute autre
façon, comme les naturels mêmes de notre royaume. « Si
à l'avenir, ce qu'à Dieu ne plaise, la guerre venait à éclater, nous voulons
que lesdits négociants puissent à leur gré aller et venir librement,
transporter leurs marchandises sans obstacle ni, dommage, comme ils auraient
fait en temps de paix ; et s'il arrive que quelques-uns des leurs décèdent en
nos États, nous mandons à nos archevêques et évêques de les inhumer en terre
sainte, comme nos sujets ; « De
plus, s'il nous arrive à l'avenir d'être forcé de faire la guerre à quelque
puissance, nous voulons que lesdits négociants avec leurs vaisseaux, leurs
marins et leurs marchandises, puissent aller et venir en nos États, y
séjourner, s'en aller et y revenir aussi souvent qu'ils voudront sans
rencontrer aucun obstacle ; « S'il
arrivait que quelque ville de ladite Hanse fit défection de l'alliance
commune, dite de la ville de Lubeck, nous prenons l'engagement par
cette paix de ne pas permettre que les villes séparées jouissent chez nous
desdits privilèges jusqu'à ce qu'elles se soient réconciliées avec Lubeck ; « Si
dans les articles ci-dessus il y avait quelque point douteux, nous promettons
dès aujourd'hui de l'interpréter en faveur desdits négociants ; « Enfin,
pour assurer la durée et la perpétuité de la présente paix, nous établissons
l'amiral de France, bailli de Rouen, les sénéchaux d'Aquitaine et de Lyon,
les gouverneurs d'Artois et de Boulogne ou leurs officiers, juges en ce qui
les concerne de tous les différends qui pourraient s'élever entre lesdits
négociants de la hanse et nos sujets, et nous leur recommandons d'accorder à
tous bonne justice. « Nous
promettons de bonne foi, et par le serment le plus sincère, nous et le
dauphin notre cher fils, d'observer inviolablement ce qui est ici proclamé
par lettres patentes ; « Ainsi
seront lesdites lettres notifiées à notre conseil, aux gens de notre
parlement de Paris, à tous les officiers, maréchaux, sénéchaux, gouverneurs
et baillis de nos provinces, pour être exécutées ponctuellement et de bonne
foi. Fait et donné aux Montils-lès-Tours. » Le dauphin a signé, en septembre,
comme roi. C'est
ainsi que Louis XI dirigeait tout, comme s'il eût été en parfaite santé,
oubliant ses souffrances dès qu'il s'agissait de l'intérêt du royaume.
Cependant la maladie faisait d'effrayants progrès. Le lundi, 25 août, il eut
une attaque plus violente que les autres, et après un complet évanouissement,
il resta quelque temps dans une telle faiblesse qu'on le crut mort ou
mourant. Le bruit même de sa mort se répandit dans tout le royaume. Pour lui,
il sentit toute la gravité de sa situation : « Il se jugea mort, et sur
l'heure il envoya quérir Mgr de Beaujeu, lui commanda d'aller au roy, son
fils, qui estoit à Amboise, le luy recommandant et ceux qui l'avoient servi ;
il lui donna toute la charge et gouvernement dudict roy. Si en général il
eust gardé lesdicts commandements, je croy que ce eust été le prouffit de ce
royaulme et le sien en particulier... La parole ne lui faillit depuis qu'elle
luy fut revene, ne le sens ; ne jamais ne l'eut si bon[16]. » Il pria encore son gendre de
surveiller avec une grande attention les personnes admises dans l'intimité de
son fils, lui disant de nouveau en qui il devait mettre sa confiance, de qui
il devait se défier. Il envoya aussi à Amboise sa vénerie et sa fauconnerie[17], recommandant à tous les
familiers du palais d'aller trouver le jeune roi et de le bien servir. Il
joignit à ses recommandations quelques paternelles paroles à l'adresse du
dauphin. Dès qu'il lui venait une bonne pensée il la confiait à ceux qui
l'entouraient, surtout « à Étienne de Vescq, lequel avoit servi Charles VIII
comme premier varlet de chambre, et qu'il avoit déjà fait bailly de Meaux[18] ». Ainsi
lorsque, le 28 août, sur son lit de douleur, il lui vient à l'esprit qu'il a
peut-être autrefois abusé de son influence auprès de Louis d'Amboise pour
attirer à lui l'héritage de ce seigneur au préjudice de sa famille ; que
peut-être aussi, lors des réclamations des La Trémoille, quelques titres qui
consacraient leurs droits avaient été brûlés sous ses yeux, aussitôt il fait
appeler Étienne de Vescq : il lui avoue qu'il reconnaît avoir injustement
possédé la vicomté de Thouars et la principauté de Talmont. « Dites à mon
fils, ajoute-t-il, que je lui prie de rendre la vicomté de Thouars aux
enfants de La Trémoille et aussi Talmont, que j'ai baillé au seigneur
d'Argenton... Il m'a bien servi ; je lui ai promis deux mille livres de
rentes ; dites à Monsieur le dauphin qu'il m'en acquitte, car je veux que
Talmont leur soit rendu. » Telles
furent ses paroles. Il poussa même le scrupule jusqu'à ordonner la
restitution de certains emprunts faits à Cambray et autres bonnes villes.
Cette délicatesse est trop conforme à ses habitudes pour qu'on ait lieu de
s'en étonner, ni de l'attribuer aux conseils de celui que l'on appelait le
saint homme, ainsi que le dit une chronique que nous avons sous nos yeux.
Nous la croyons plus véridique lorsqu'elle nous affirme que le toi fit venir
auprès de lui la reine, son épouse, ses plus proches parents, les princes du
sang et autres ; qu'il insista alors sur ses précédents conseils ; leur
recommanda la personne de son fils, et que, rappelant les promesses qu'ils
lui avaient faites, il les adjura de rester unis et d'avoir confiance en ce
qu'il avait établi. Ayant
ainsi pourvu à tout avec une merveilleuse lucidité d'esprit, se reposant en
cette pensée que, grâce aux mesures qu'il avait prises, la marche des choses
continuerait paisiblement après lui comme devant, il reprit courage et
espoir. Il y avait des intermittences d'un mieux si sensible qu'il se
rattachait à la vie ; et lorsque, après l'avoir cru à ses derniers moments,
on le voyait redevenir si calme et si maitre de lui-même, on se prenait à
espérer encore. Était-ce
donc trop que ce rayon d'espoir ? Jacques Coytier, ce médecin impitoyable
qu'il avait comblé de tant de biens, n'eut pas honte, au lieu de le
réconforter, de lui faire dire en sa présence que le mal était sans remède et
sa fin prochaine. Ce fut, dit-on, Olivier le Dain, autre ingrat, qui se
chargea de cette barbare mission, dont il s'acquitta même sans aucun
ménageaient. Mais si l'on crut ainsi l'impressionner profondément, on se
trompa. Cette révélation le trouva tranquille et plein de courage ; tant on
l'avait mal jugé ! Comines lui-même fait donc erreur lorsque, pour trouver
ici matière à une longue moralité, il nous retrace la douleur que dut
éprouver Louis XI des brèves et dures paroles d'Olivier et des autres. « Il
dut souffrir plus qu'un autre, ajoute-t-il, de voir approcher la mort, à
cause de sa nature, qui plus demandoit obéissance qu'une autre en son temps,
et qui plus l'avoit eue. » Comme s'il n'était pas évident que cette
obéissance que le roi avait su obtenir et quelquefois imposer était le seul
moyen d'établir le règne de la loi et d'y faire plier des vassaux devenus
trop puissants et souvent trop oublieux de tout devoir ! La
réponse du roi fut simple et digne. « J'espère, dit-il, que Dieu
m'aidera. » Avec plus d'attention encore il se livra au soin de ses
affaires spirituelles et temporelles. Un religieux de Saint-Martin, nommé
Philippe, fut appelé auprès de lui. Il demanda les sacrements et les reçut de
ses aumôniers avec la foi la plus vive, répondant souvent lui-même aux
prières de l'Église. D'ailleurs ne montrant nulle faiblesse : « Jamais
il ne se plaignit, comme font toutes sortes de gens[19]... » Dans l'intervalle des
prières et des psaumes qu'il récitait il parlait des affaires d'État, il se
préoccupait plus que jamais du dauphin et des intérêts du pays, devenus
désormais inséparables. Avisant aux plus sûrs moyens de conserver à la France
les avantages qu'il avait su lui procurer, il faisait adresser ses intentions
et volontés au sire de Querdes. Il lui recommanda de rester six mois auprès
du jeune roi ; de ne plus songer ni à Calais ni aux autres projets dont il
avait parlé pour le bien du royaume, laissant entrevoir les dangers qu'il y
aurait à de pareilles entreprises sous un si jeune roi. On a recueilli
quelques-unes des paroles qu'il prononçait alors : « Cinq ou six ans d'une
bonne paix sont bien nécessaires à la France... Le pauvre peuple a bien
souffert, disait-il en parlant de tous les maux qu'on avait endurés depuis un
siècle ; si Dieu m'eût voulu laisser quelques années de vie, j'y aurois mis
bon ordre ; c'étoit ma pensée et mon vouloir[20]. » Ainsi, après sa
conscience, il n'était occupé que de la France et de son devoir de roi. Manifesta-t-il
quelques regrets de la mort du duc de Nemours ? Même quand on y a été forcé
par les considérations les plus graves, on doit toujours déplorer d'avoir
fait couler le sang. Mais on sait que le duc avait été évidemment coupable,
et avec récidive, de conspiration contre la personne du roi et contre l'État.
Pourquoi donc demander à Louis XI un repentir que l'on n'a point exigé de
Richelieu et de tant d'autres ? On a vu
qu'il s'était d'avance occupé de ses funérailles à Notre-Dame de Cléry ; que
même quelques mois auparavant il avait tout réglé pour son mausolée. Il
réitéra encore ses intentions de la façon la plus précise. Pour quel motif
voulut-il reposer là plutôt qu'à Saint-Denis ? On n'en voit point d'autre que
sa singulière dévotion à la sainte Vierge. Encore en ses derniers jours ce
nom vénéré revenait souvent sur ses lèvres ; il manifesta le désir et
l'espoir de vivre jusqu'à la fin de la semaine, afin de mourir un samedi.
Ainsi sa résignation fut absolue, et il sut, quoiqu'on en ait dit, envisager
la mort avec constance et grandeur d'âme. Les
derniers moments de la vie, surtout lorsqu'ils viennent ainsi à pas lents et
mesurés, sont la grande épreuve de l'humanité. La mort montre l'homme tel
qu'il est. S'il s'est dissimulé, elle fait tomber le masque. Louis XI ne se
dément pas un seul instant. Il est toujours constant et ferme dans les mêmes
desseins[21], parce qu'il avait la
conviction d'avoir rempli sa mission telle qu'il la comprenait ; c'est-à-dire
d'avoir avancé l'unité politique, judiciaire et administrative de la France
aussi bien que la centralisation du pouvoir temporel et la mutuelle
indépendance des autorités civile et ecclésiastique, bases de nos
institutions actuelles. Toutefois, il le sentait, l'œuvre n'était pas achevée
; pour aplanir les derniers obstacles il fallait encore beaucoup de
persévérance et bien des luttes. Cependant
des bruits alarmants et souvent contradictoires s'étaient répandus sur la
santé du roi. On en parlait en tous lieux, surtout à Paris assez diversement.
On avait reçu du 26 une lettre de Briçonnet, alors auprès du roi : elle était
des plus inquiétantes. « Or maistre Jehan Briçonnet[22] estoit homme de bien et de
crédit ; et à cette cause les prévost et échevin de la ville de Paris, pour
pourvoir aux affaires d'icelle ville, firent mettre gardes aux portes, pour
garder que homme n'en issist, ne y entrast ; et à cette heure fut bruit commun
que le roy estoit mort, ce dont il n'estoit riens. » Le
samedi 30 août, au milieu de l'inquiétude générale et de ces fluctuations
d'opinion, le parlement s'assembla. Le chancelier Guillaume de Rochefort,
récemment installé le 9 de ce mois à la place de Pierre Doriole, remercia•
d'abord la cour de l'avoir accueilli ainsi qu'elle avait fait ; puis,
abordant la délicate question du moment, il déclara ne trop savoir à quoi
s'en tenir au milieu de tant de bruits divers. « Quelques-uns disaient
le roi mort ; mais les seigneurs de Grole et de Montréal, qui le 27 écrivaient
de Tours, faisaient entendre au contraire que le roi allait mieux et qu'il y
avait encore quelque espérance. » Dans cette incertitude il est prêt à partir
pour se rendre auprès dudit seigneur et l'assurer du bon vouloir de la cour.
Que s'il était trépassé, comme on l'a dit, il les engageait à continuer de
rendre la justice en toutes les chambres, et à faire aussi bien qu'il se
pourrait « en l'honneur de Dieu, de l'exaltation du roi nouveau, et pour le
profit de la chose publique ». Alors
le premier président Jean de La Vacquerie se rendit fort dignement l’interprète
des sentiments du parlement. Il répondit au chancelier « que la cour le
remerciait de ses offres si obligeantes ; que, pour elle, elle continuerait à
rendre à tous bonne justice, attendu que la justice ne meurt pas ». Ces
choses dites, le chancelier embrassa les présidents. Les circonstances
étaient graves : on dit même qu'à ces adieux il se méta quelques larmes. De
son côté la cour des comptes, présidée par Jean de Villiers, dit La
Groslaie, évêque de Lombez, était dans la même perplexité. Ils se
proposaient tous, si le cas était venu, d'aller vers le jeune souverain « lui
faire, de par lesdites cours, révérence, subjection et obéissance ». Déjà
même on désignait pour cette mission les présidents et plusieurs conseillers
; mais, le 2 septembre, trois jours après le départ du chancelier, la cour
reçut la nouvelle de la mort du roi. Après,
bien des souffrances, et suivant son vœu, le roi mourut, en effet, le samedi,
30 août, entre sept et huit heures du soir. La sainte ampoule était dans sa
chambre, sur son buffet, à l'heure où il expira. Comines, qui était présent,
affirme l'y avoir vue et aussi à ses obsèques. « Nostre Seigneur feit miracle
sur luy, nous dit-il encore ; car il l'osta de ce misérable monde en grant
santé de sens et d'entendement, en bonne mémoire, toujours parlant jusques à
une patenostre avant sa mort. » Il prononçait pieusement des versets du
psalmiste qui lui étaient familiers ; il témoignait son regret de ne plus
vivre pour la France. Il recommandait son âme à la sainte Vierge,
particulièrement à Notre-Dame d'Embrun, qui avait eu part à ses dons. Au
moment suprême on saisissait encore sur ses lèvres : « Seigneur, j'ai espéré
en vous, vous ne permettrez pas que je sois réprouvé. » Il fut
ouvert et embaumé, ainsi qu'il l'avait ordonné ; et huit, jours après, le
samedi 7 septembre, on le porta à Notre-Dame de Cléry, où il fut inhumé,
selon son intention, avec toutes les cérémonies d'usage. Voilà
quelle a été la mort de Louis XI, de l'aveu même des écrivains que lui ont
été le plus hostiles. On ne peut la lire dans un de ceux-ci[23] sans se convaincre que Louis XI
ne fut jamais l'homme insensible, cruel e perfide que presque tous ses récits
voudraient nous peindre, mais au contraire le roi le plus pénétré du
sentiment de sa mission, et qui sut non-seulement le mieux apprécier ses devoirs,
mais encore le mieux les remplir. Cette mort chrétienne est celle d'un roi
tout occupé jusqu'à son dernier soupir des destinées et de la prospérité de
la France. C'était là son idée fixe, une idée essentiellement d'avenir. On
peut donc dire de lui que si quelques rigueurs semblent devoir lui être
reprochées, comme par exemple le traitement qu'il infligea aux gens d'Arras,
ces fautes de détail sont effacées par la considération d'un ordre général
dont il embrassait l'ensemble. Jamais les rigueurs qu'on a reprochées à
Charlemagne n'ont empêché qu'on ne lui rendît justice. Ce
qu'il faut voir et apprécier dans un règne, c'est l'ensemble des vues, c'est
le but final où le souverain veut atteindre, c'est l'importance de ce
résultat pour l'honneur et le bien du pays ; c'est aussi le milieu dans
lequel il s'est trouvé placé pour accomplir son œuvre et les obstacles qu'il
a eu à surmonter. A ce point de vue on reconnaîtra qu'à tout prendre nul roi,
après Louis VI et Louis IX, n'a plus travaillé que Louis XI au bonheur et à
la gloire de la France. De nos
jours il semble que ce soit contre sa mémoire un concert de malédictions. Tel
auteur ne veut voir dans ses actes que des perfidies ; tel autre dit d'un
mot, « qu'on ne peut guère s'attendre à un sentiment honnête de la part de
celui qui sera un jour Louis XI » ; et plus d'une fois la palme académique a
sanctionné ces erreurs, qui se pourraient appeler d'un autre nom. Tel n'était
point le sentiment de ceux qui furent admis en son intimité. Écoutons
Philippe de Comines, lequel avait vu les princes de son temps et reconnu en
tous du bien et du mal, parce qu'ils étaient, hommes. Il ajoute : « Pour
vérité affranchie de toute flatterie, Dieu avoit créé Louis XI plus saige,
plus libéral, plus vertueux qu'eux, et en lui il y avoit plus de choses
appartenant à office de roi et de prince qu'en nul des aultres... Maintes
fois je l'ai oui parier devant le roi actuel (Charles VIII), tout récemment encores...
notre roi vit, et pour ce je m'en tais. » Il
parait même que longtemps après sa mort on avait gardé de Louis XI une
opinion bien différente de celle qui a surgi depuis. En effet, nous voyons
qu'outre son tombeau, qui était dans l'église de Cléry, à gauche, près de la
fenêtre, il était encore représenté sur le portail de l'église des Chartreux
de la rue d'Enfer, comme étant saint ; avec lui se voyaient là Louis IX, la
sainte Vierge et les armes de France[24]. Mais,
peu à peu, il s'est formé sur son caractère, sur sa personne et sur ses actes
des préjugés qui durent encore. Cependant il se retrouve parfois ;sous la
plume même de ses détracteurs de précieux aveux. Claude de Seyssel, le plus
emporté contre Louis XI, parce que peut-être sa tâche de panégyriste était
plus difficile, est forcé de convenir « qu'il estoit pourtant au surplus
moult saige et clairvoyant en ses affaires, et soudain à exécuter ses
entreprises. Difficilement il se laissoit tromper, car il avoit un
entendement aigu et cauteleux. » Il
avoue encore que « si le roi empéchoit l'argent de sortir de France, il
n'usoit guère d'habillements riches ni de fourrures précieuses ; que jamais
il n'envoya d'armée hors de son royaume a bien qu'il y fût excité par les
Italiens ; qu'enfin, par son sens et par sa puissance, il tint son royaume en
grande sécurité et réputation et ses voisins en grande crainte. » Un
historien d'Henri IV (I), tout en maltraitant Louis XI, résume ainsi le
résultat de sa dernière guerre. «Il se saisit des deux Bourgognes et d'une
partie de l'Artois, et il eût contraint l'archiduc Maximilien de quitter les
Pays-Bas et de mener la princesse sa femme en Allemagne, si la bataille de
Guinegatte n'eût changé les desseins de la guerre en des résolutions de
paix.... Louis laissera à son fils, dit-il encore, la couronne plus assurée a
qu'il ne la reçut de son père, l'ayant enrichie de plusieurs beaux fleurons,
Anjou, Bar, Provence, Bourgogne, du recouvrement des villes de Picardie et de
quelques autres en Artois. » La prudence le rendit victorieux de ses ennemis,
juge du différend de Castille et de Navarre, protecteur de la liberté des républiques
d'Italie, arbitre de la paix entre Rome et Florence, puis entre Rome et
Venise. » Nous ajouterons qu'il fut le médiateur pacifique et
désintéressé des troubles qui s'élevèrent à plusieurs reprises en Savoie. Mais,
dans le but de diminuer la part de gloire qui revenait à Louis XI dans ce
beau résultat, l'auteur apprécie ainsi sa politique : « C'est en faisant
mouvoir les ressorts de la guerre d'Allemagne, de Suisse et de Lorraine,
qu'il demeura en repos. » Or ceci est complétement inexact, puisqu'il est
certain que le roi fit conseiller à Charles de Bourgogne de ne pas
entreprendre cette lutte contre les Suisses, en même temps qu'il invitait
ceux-ci à la conciliation. Aussi immérités sont les reproches faits à Louis
XI de n'avoir pas profité des troubles d'Angleterre et d'avoir négligé de
marier la duchesse Marie au comte d'Angoulême. De ces deux politiques la
première était déloyale, car elle eût rendu Marguerite d'Anjou plus
impopulaire au-delà du détroit ; la seconde était mauvaise, puisqu'elle eût
reconstitué en sa famille un très-puissant apanage. Sans
parler de tant de nobles exemples et de sages avis, Louis laissa à son fils
quatre grands trésors[25] : d'abord une puissante et
belle armée de quatre mille cinq cents hommes d'armes, où servaient plus de
six mille Suisses et un bon nombre d'autres gens de guerre, estimés ensemble
à soixante mille combattants, à sa solde, tout prêts à le servir contre tous
; ensuite toute l'artillerie de siège et de campagne qu'il y fallait, mise
après bien des perfectionnements sur le meilleur pied, avec tout l'équipage
convenable, jointe à une marine capable dès lors de tenir tête aux Anglais et
aux Hollandais ; puis tontes les villes des frontières et autres très-bien
fortifiées et pourvues des choses nécessaires à leur défense ; enfin un
royaume en paix avec tous les rois et princes du voisinage. Pour résumer ses
conquêtes on nous montre le Roussillon, Perpignan et leurs appartenances, les
duchés et comté de Bourgogne, d'Artois et autres pays d'alentour conquis par
ses armes ; et en outre tout ce qui est de la Picardie sur la rivière de
Somme plusieurs fois racheté, regagné par la force et enfin réuni à la
couronne. De plus, il incorpora au royaume, par héritage ou par cession, la
Provence, l'Anjou et le Maine. ; il acquit de grands droits sur le Barrois et
la Lorraine, même sur la Bretagne, et à sa mort il possédait une bonne partie
du duché de Bar. La chronique citée ici, ajoute : « Si devez savoir
qu'il ne trouva jamais ennemi qu'il ne vînt au-dessus, de quoi il étoit
très-tenu (redevable)
à Dieu et à la fortune. » Sans doute, et peut-être aussi à son habileté. Malgré
tant de reproches qu'on ne lui a pas épargnés à tout propos et sous toutes
les formes, par induction et par fausse interprétation de ses actes, autant
que par malignité, mais dans tous les cas pour n'être pas remonté à la source
de ces calomnies et n'en avoir pas apprécié les causes ; malgré tant
d'insinuations et d'assertions hasardées contre son caractère et contre sa
mémoire, on est forcé de reconnaître cependant en lui « un savoir-faire, une
connaissance des hommes et des affaires, une prudence, un esprit dont tous
les autres princes étaient bien loin, un génie capable de comprendre toutes
choses[26]. » Ceux qui l'avaient vu à
l'œuvre, impuissants qu'ils étaient à se rendre compte du but utile et
glorieux qu'il poursuivait en maîtrisant les passions et l'esprit
d'indépendance qui se dressaient devant lui, étaient tentés parfois de le
trouver dur et même cruel ; cependant, avec la réflexion, « ils se
demandaient si ces rigueurs n'avaient pas été nécessaires. » La
tâche fut rude. Louis XI succomba à la peine. Aussi lorsque Comines,
considérant cette fin, porte sa pensée sur un objet vraiment profond et digne
des méditations du prélat, son ami, auquel il adresse ses mémoires, il passe
successivement en revue les souverains contemporains du roi, c'est-à-dire,
Édouard IV d'Angleterre, Charles de Bourgogne, Mahomet II et les autres qui,
à l'exception de Jean II d'Aragon, vécurent moins que Louis XI et n'eurent
guère, à son sens, ni paix ni satisfaction en cette vie ; et faisant
remarquer qu'ils sont morts presque tous en même temps et malheureusement, il
ajoute : « Vous voyez la mort de tant de grands hommes en si peu de
temps, qui tant ont travaillé pour s'accroître et pour avoir gloire, et tant
en ont souffert de passions et de peines et abrégé leur vie ! Et par aventure
leurs âmes en pourront souffrir... De nostre roy j'ai espérance que
Notre-Seigneur ait eu miséricorde de lui. Mais à parler comme homme qui a
quelque peu d'expérience, ne eust-il point mietix vallu, et à tous autres
princes, eslire le moyen chemin en ces choses, c'est-à-dire moins se soucier,
et moins se travailler et plus craindre à offenser Dieu[27] ? » Cela est juste à
certains égards. Il faut cependant reconnaître que, à ceux que la Providence
fait naître pour régner, la royauté avec toutes ses charges s'impose comme le
premier des devoirs : un homme de cœur n'a point le droit de s'y soustraire,
et en cela Louis XI est surtout remarquable, puisqu'il a su porter ce lourd
fardeau avec tant de courage et jusqu'à l'épuisement de ses forces. C'est Louis XI qu'il faut plaindre d'être venu en des circonstances telles que, pour la royauté et pour l'unité nationale, il s'agissait d'être ou de n'être pas ; mais, en un pareil moment, ce fut un immense bonheur pour la France de trouver précisément en son roi le caractère énergique et ferme qu'une pareille réformation exigeait. |
[1]
Félibien.
[2]
M. le comte de Croy, Louis XI et le Plessis.
[3]
Comines.
[4]
Comines, livre VI, chap. 6.
[5]
Chronique de Louis XI.
[6]
Barante.
[7]
Ms. fonds Gaignières, n° 772', folio 737.
[8]
Le comte Ferrand, Esprit de l'Histoire, t. III.
[9]
Pastoret.
[10]
Mémoires archéologiques de Tours.
[11]
Bibliothèque nationale, n° 8004.
[12]
Pierre Mathieu.
[13]
Claude de Seyssel.
[14]
Laurentie.
[15]
Legrand.
[16]
Comines, livre VI, ch. 10.
[17]
Legrand.
[18]
Comines.
[19]
Comines.
[20]
Legrand.
[21]
Propositi tenax (Horace).
[22]
Chronique de Jean de Troyes.
[23]
Barante, t. XII, p. 354-367.
[24]
Hennin, Recueil des anciens monuments français.
[25]
Legrand.
[26]
Barante, t. III, p. 358.
[27]
Livre VI, ch. 12.