HISTOIRE DE LOUIS XI

SON SIÈCLE, SES EXPLOITS COMME DAUPHIN - SES DIX ANS D'ADMINISTRATION EN DAUPHINÉ - SES CINQ ANS DE RÉSIDENCE EN BRABANT ET SON RÈGNE

TOME SECOND

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME.

 

 

Mort de Marie de Bourgogne. — Louis à Lyon règle les affaires de Savoie. — Relations avec Rome. — Retour du roi en Touraine. — Pacifique députation de Flandre. — Actes du roi en 1482. — Guillaume d'Aremberg. — Bonne de Savoie et Ludovic le More. — Affaire du Valentinois et du Diois. — Réplique aux remontrances d'Hélie de Bourdeilles. — Solennelles instructions de Louis XI à son fils. — Serment écrit du duc d'Orléans. On négocie enfin avec la Flandre. — Le roi s'efforce de protéger le chancelier Chauvin. — Politique française en Navarre. — Les chroniques de France et le Rozier des guerres. — Seconde paix d'Arras.

 

Tandis que Louis XI était à Beaujeu, il apprit la mort inattendue de Marie de Bourgogne. C'était assurément un grand événement politique. Le roi reçut-il vraiment cette nouvelle avec joie, ainsi que le rapporte le sire de Comines ? Celui-ci, fort mal vu de cette maison, a bien pu peut-être exagérer les moindres apparences. Le roi, qui se sentait mourir d'un mal inexpliqué, pouvait-il ne pas faire un retour sur lui-même ? Toutefois, dans son désir d'avoir la paix, il entrevit sans doute une chance de plus de l'obtenir.

Cette princesse, si jeune encore, était loin d'avoir eu un bonheur égal à sa fortune. Héritière des fautes paternelles, elle les avait aggravées par son inaptitude aux affaires et en prêtant l'oreille à de perfides conseils. Si depuis son mariage elle avait regagné quelque affection dans le cœur de ses sujets, ce n'était que par opposition aux sentiments de peu d'estime qu'on gardait à son époux. Le 2 septembre la duchesse avait eu un second fils qui ne vécut que peu de mois. Après ses relevailles, elle était allée à Mons auprès de la princesse de Hainaut ; puis, le 21 novembre, elle vint faire une entrée solennelle à Valenciennes[1] : là, près des frontières, elle put voir de ses yeux le désastre de la guerre. Étant revenue passer le carême à Bruges avec le duc, elle voulut se donner le plaisir de la chasse au vol : sa haquenée était mal sanglée ; elle tomba de cheval et se blessa très-grièvement, sans vouloir, dit-on, en rien dire à son époux. Elle en mourut trois semaines après, le 27 mars 1482, à deux heures dans la journée.

Maximilien en eut un profond chagrin. « C'était un grand dommage pour ses sujets et partisans, car les peuples l'avoient en plus grande révérence que son mari[2]. » L'archiduc le savait bien ; mais il allait bientôt en recevoir encore de nouvelles preuves. Il inspirait, en effet, si peu de confiance, que le 2 mai les états de Flandre, le jugeant incapable de se conduire, le privèrent de la tutelle de ses deux enfants, Philippe et Marguerite, et voulurent qu'ils fussent élevés sous les yeux des Gantois. Or, pour éviter une semblable décision de la part des états de Brabant, l'archiduc « fait prendre et mettre à mort quelques-uns des bourgeois les plus considérables qui lui étaient contraires, tous hommes sages et amis de leur pays[3] ». Cet acte d'horrible tyrannie acheva de le perdre dans l'esprit de ses peuples. Les états de Brabant lui confièrent la tutelle de leur propre autorité, se réservant de la lui retirer à leur bon plaisir. Touchant la garde des deux enfants, « les Gantois, dit-on, faisoient pratique de les avoir en leurs mains, (et pour cela s'adressèrent à aucuns d'entour le prince ; et tant pratiquèrent qu'il fut ordonné que chaque pays auroit les enfants en leurs mains chacun quatre mois, et furent menés les nobles enfants à Gand pour les quatre premiers mois ; mais quand on les demanda aux Gantois pour les mener en Brabant, ils refusèrent et dirent qu'ils avoient privilèges de gouverner les enfants du prince en leur jeunesse[4] ». Louis, ajoute la chronique de Flandre, qui connaissait les Gantois « enclins à nuire et à division contre cette maison de Bourgogne, vit avec plaisir qu'ils gardoient les deux enfants, et dès l'heure commença à les pratiquer par le sire de Querdes ». Parmi ceux qu'on désigne alors comme pensionnaires du roi et tenant son parti en cette ville étaient l'échevin Guillaume Rim et le chaussetier Jean Capenole, doyen des métiers, tous deux hommes fort judicieux. Ce fut à eux, dit-on, qu'il s'adressa.

Cependant le roi s'était rendu de Beaujeu à Lyon. Les affaires de Savoie l'y appelaient. A la nouvelle de la mort du jeune duc Philibert, il avait mandé auprès de lui les deux autres princes de Savoie que, pour plus de sûreté, il gardait à Châteaurenault sous la surveillance de Dunois II. Il fit reconnaître rainé, Charles, âgé de quatorze ans, pour duc de Savoie, se déclara son tuteur, et chargea Jean-Louis de Savoie, évêque de Genève, du gouvernement de ses États. Comme Philippe de Savoie, oncle aussi du jeune prince, paraissait tenir à l'administration du Piémont, le roi s'y opposa, par cette raison qu'il était trop rapproché de la ligne de succession ; circonstance remarquable qui devait bientôt se reproduire pour le trône de France. Selon quelques-uns, Philippe n'aurait renoncé à ses prétentions que sur la nouvelle que les troupes du roi s'avançaient pour faire respecter l'autorité du duc Charles dans tout le duché. On disait même que le sire de Baudricourt et du Lau, sénéchal de Beaucaire, étaient entrés en campagne. Toujours est-il que le comte de Bresse dut se résigner à ne conserver aucune autorité dans le duché ; ce qui le décida, dit-on, à voyager en Allemagne. Le roi ôtait ainsi aux deux oncles tout sujet de jalousie et de rivalité ; c'était assurer la tranquillité du pays.

A peu de temps de là, Charlotte, reine de Chypre et veuve de Louis de Savoie, bien que détrônée par son frère naturel, céda au jeune duc Charles et à ses successeurs, le 28 juillet 1482, sa royauté nominale de Chypre et de Jérusalem, titre que les ducs de Savoie ont porté jusqu'à nos jours. Bientôt après, cette reine, si éprouvée de la fortune, se retirait à Rome.

La Provence, quoique pacifiée, laissait percer parfois encore de légères velléités d'agitation. L'archevêque d'Arles, mécontent de quelque entreprise du viguier Boniface de Castellane, avait mis l'interdit sur la ville[5]. Sollicité par les habitants, le gouverneur Palamède de Forbin intervint et obtint du prélat que les censures fussent levées. Toutefois la population s'émut de ce que ledit interdit était suspendu, mais non pas supprimé. Il fut question aussi de réunir l'abbaye de Montmayor, voisine d'Arles, à celle de Saint-Antoine de Viennois. La première, dit-on, avait été fondée par Charlemagne ; mais la différence des ordres et des deux règles suscitait de nombreux obstacles. Malgré son désir le roi dut ajourner la solution de certaines difficultés.

A Lyon encore l'attention du roi se porta sur l'Italie. On sait déjà tous ses soins à complaire au saint-père, les honneurs rendus en France au cardinal Julien de la Rovère et la liberté accordée aux évêques Balue et d'Harancourt. Au sujet de ce dernier, comme le roi ne trouvait pas à propos qu'il revînt à Verdun, le pape le nomma évêque de Vintimille, puis archevêque d'Amalfi, dont le titulaire, de la maison des Nicollini de Florence, passa à Verdun. En quittant la France, maître d'Harancourt eut à prêter serment de ne jamais rien entreprendre contre la personne, la famille et les États du roi, serment qu'il dut renouveler entre les mains du pape.

Pour terminer enfin certaines affaires personnelles et autres, Louis envoya à Rome, vers ce temps, le sire de Rochechouart et maître Rabot. Le saint-père s'empressa de condescendre aux désirs du roi. Il chargea donc trois prélats et le doyen de Noyon d'absoudre Louis XI, s'il le demandait, d'avoir ainsi retenu un cardinal et des évêques. Il lui accorda la permission de ne plus faire maigre, lui recommanda de prendre grand soin de sa santé, et il décréta des indulgences pour ceux qui viendraient à Notre-Dame del Popolo unir pour lui leurs prières à celles qu'il y avait ordonnées.

En congédiant en mai les députés français, il manifeste encore son intention de nommer le dauphin gonfalonier, et de lui envoyer une épée bénite de sa main. Enfin rien n'est omis pour bien disposer le roi ; et ce n'était pas tout à fait sans motif : l'Italie ne cessait d'être en guerre ; alors même Ferdinand de Naples, uni à Ludovic-le-More, le tyran de Milan, venait de former une ligue contre Rome. Le pape espérait décider le roi à intervenir en cette affaire. Forcé bientôt de faire alliance avec les Vénitiens pour se défendre, il envoie à son tour en France un nonce, nommé Raymond Pérard, à l'effet de prier le roi de prendre la défense du Saint-Siège ou tout au moins d'écrire à Ferdinand de Naples. « Il insinue même que le midi de l'Italie, instruit des droits du roi, recevrait les Français avec enthousiasme. » Ainsi cette investiture, tant sollicitée par Louis XI, et refusée à vingt ans de là, on l'offrait maintenant. Mais c'en était fait des espérances de la maison d'Anjou et ce n'était pas à Louis XI qu'on pouvait persuader une telle politique. On se demande comment Sixte IV ne crut pas nuire à sa requête en faisant accompagner ses propositions d'une lettre écrite sous l'anneau du pêcheur[6] dans laquelle il faisait l'éloge de maître Balue et le proposait pour légat ! On ne se hasarda toutefois à l'envoyer qu'après la mort du roi.

Louis XI revint lentement : le 4 juin il arriva à Notre-Dame de Cléry et s'y reposa quelques jours. Pendant son absence était morte, au commencement de mai, sa sœur, Madame Jeanne de France, duchesse de Bourbon, femme remarquable, à laquelle on devait en grande partie la pacification qui précéda Montlhéry. Selon la chronique, « cette noble dame fut fort plorée et lamentée tant par son époux, par ses serviteurs et gens du pays que par tous autres du royaume qui l'avoient vue et connue, pour les grandes vertus et qualités qui étoient en elle ». Les registres du parlement nous apprennent que cette cour, pour certains motifs et surtout à cause de la mort de la duchesse, prolongea de trois jours d'abord le délai accordé au duc de Bourbon pour consigner au greffe les arrérages de ce qu'il devait, afin que lesdites sommes fussent distribuées à ses créanciers selon l'ordre de priorité, puis porta ce délai à trois semaines, avec cette clause « sans plus y revenir ». Ainsi ces grands seigneurs avaient des dettes, souvent énormes ; et même parfois les payaient mal.

De Cléry le roi alla à Meung-sur-Loire. Pendant quelque temps il partagea ses jours entre cette ville et un petit lieu assez voisin, nommé Saint-Laurent-des-Eaux. C'est là que vinrent le trouver, dans l'espoir de hâter la paix, les députés des états de Flandre et surtout des Gantois. Leur langage était des plus pacifiques. « Ils savaient, disaient-ils, l'inclination de Maximilien pour l'Angleterre ; mais ils voulaient bien donner la préférence au roi de France. Comme moyen de solution ils indiquaient le mariage de mademoiselle Marguerite d'Autriche et du dauphin. Plus tard, en effet, de grandes provinces pouvaient ainsi être réunies à la couronne. Il se pourrait d'ailleurs qu'en continuant la guerre le roi mécontentât les états de ses pays qui déjà avaient tant souffert. »

Par ses émissaires à Gand et en particulier par un gentilhomme dit Herman de Liesse ou Wliestedt, que Guillaume de Clugny, dès le mois de mai, avait réussi à faire passer en cette ville mal-. gré les difficultés de l'état de guerre, le roi savait ce qu'on y pensait et disait. Or les rapports reçus paraissant confirmer le langage tenu par les députés gantois, le roi n'hésita pas à exprimer à ceux-ci le vif désir qu'il avait aussi d'une bonne et solide paix. Dès lors il en conçut une ferme espérance. Il fit accompagner les ambassadeurs à Paris par Blosset, sire de Saint-Pierre, afin qu'ils y fussent très-honorablement traités. Toute facilité leur fut donnée de visiter l'armée du sire de Querdes. Ils durent être d'autant plus frappés de l'ordre et de la tranquillité dont ils étaient les témoins, qu'ils n'avaient rien de pareil chez eux, où tout allait au plus mal et où nulle armée n'eût pu se mettre en campagne.

Dans les derniers temps la trêve n'offrait plus aucune garantie de sécurité, tant elle avait été violée des deux côtés, et surtout par les Flamands. Des bandes d'aventuriers avaient reparu : plus de communications libres. Depuis longtemps les grandes villes industrielles de Flandre, surchargées d'impôts, languissaient faute de commerce. Elles souhaitaient donc vivement la paix et- n'avaient nul besoin que ce désir leur fût suggéré, comme on l'a dit[7], par de secrètes pratiques. Comment, d'ailleurs, reprocher à Louis XI d'avoir cherché à faire prévaloir l'idée de la paix ? A bien examiner les choses, lorsqu'au milieu des troubles le premier magistrat de la ville de Gand avait été assassiné sur le soupçon d'être favorable à la France, que Maximilien était hautement cru l'auteur du meurtre[8] et que l'empereur ne faisait rien, il semble que le roi eût rendu son ennemi moins exigeant si, au lieu de paraître tant désirer la paix, il eût fait avancer son armée.

La situation de l'archiduc empirait chaque jour. Tous les esprits les plus éminents, hommes de guerre, conseillers ou magistrats, abandonnaient son service et lui préféraient la France. On goûtait peu, avec raison, ces intérêts plus allemands que nationaux. A peine restait-il à Maximilien quelques fidèles serviteurs, tels que le sire de Beveren, de Sainte-Aldegonde, le commandant de Gravelines, le comte de Romont, les sires de Nassau et de Bréda. De plus des dissensions intestines déchiraient ses États de Hollande, de Frise et de Gueldres. Entre les Cabillauds, ses partisans, et les Roeks, ses ennemis, les haines n'étaient pas éteintes, et le duc de Clèves, ainsi que d'autres gentilshommes, pouvaient, à la moindre occasion, s'unir à ses adversaires.

La trêve était expirée le 30 juin. Le roi songea d'abord sinon à posséder, du moins à neutraliser les villes d'Aire et de Saint-Omer. Il avait donc chargé un mandataire, nommé Denis Giresmo, de traiter cette affaire[9], et celui-ci, agissant de concert avec un sieur Dumaigne, était en pourparlers avec les sires de Beuvres et de Coupigny qui défendaient les intérêts flamands, lorsque, selon Molinet, le marché fut conclu avec Jean de Cohen, commandant d'Aire, pour 30.000 écus comptant et une compagnie de cent lances. Toutefois, pour couvrir cette transaction, les maréchaux de Querdes et de Gié assiégèrent la ville le 21 juillet avec une forte armée, et au bout de huit jours elle se rendit lorsqu'elle semblait ne plus pouvoir tenir. Au surplus les hommes capitulaient aussi bien que les villes. La chronique ne cite-t-elle pas un nommé La Mouche qui, voulant passer au service du roi, demandait pour cela à l'archidiacre de Lyon 13.000 écus comptant, attendu qu'il avait par-delà une pension de douze cents livres et un honnête office rapportant chaque jour vingt écus d'or ! C'était ainsi au plus offrant.

Loin de se laisser abattre par la souffrance, le roi puisait dans le mal physique une plus grande énergie morale. Comme avant, chacun de ses jours est marqué de quelque action vraiment royale. De Cléry, 18 juin, il fait don des droits des francs fiefs au comte de Nevers. Trois jours après, à la place du sire de Forbin qu'il décharge de ses fonctions, il nomme gouverneur du Dauphiné Jacques de Miolans, « son féal conseiller, à cause de ses sens, noblesse et loyauté bien connus ». S'il les pardonne quelquefois il ne tolère aucun acte de désordre : ainsi, sers ce temps, les gouverneurs de Provence et de Bourgogne s'empressent de l'informer que, de- ces deux provinces, tous brigands ont fui et ont passé la frontière. Le sire de Baudricourt ajoute « qu'il livre à Georges de Coquilleray, prévôt des maréchaux, les prisonniers qui auront prêté serment à Arras ». Bientôt ce dernier lui-même mande au roi, de Châlons, que les soldats qui traversent la Champagne sont soumis à une sévère discipline ; que tout y est respecté, les propriétés aussi bien que les personnes. Le 26 juin, de Cléry encore, il recommande au parlement l'affaire de la duchesse de Sommerset : le 6 juillet l'évêque de Saint-Flour, qui a obtenu sa grâce et la restitution de ses biens, fait au roi un nouveau serment de fidélité. Lorsqu’enfin, le 27 de ce même mois, Olivier le Daim écrit au parlement afin d'obtenir que Nicolas Rousselin, nommé à l'office d'huissier près cette cour, soit agréé en cette qualité, en cela il se rend l'interprète du roi qui tient à ce choix ; s'il y parle d'argent reçu, ce qu'on a remarqué, ce ne peut être que la caution exigée pour ladite charge.

Cette année avait été des plus calamiteuses. Une épidémie s'était jointe à la famine, et la mortalité fut grande. Le vin et les céréales avaient également fait défaut. Le 15 août 1482, François Hailé avertit le sire du Bouchage que la disette des grains est bien près de faire naître une sédition des étudiants, et que le peuple murmure. A cette époque l'échevinage réglait le prix du blé. L'usage en était reçu et d'ancienne date. Les lois économiques et nécessaires de l'offre et de la demande sur la valeur des denrées étaient inconnues. Dans les temps ordinaires une mercuriale suffisait à faire baisser les prix. Le roi fit donc une ordonnance, non-seulement pour défendre l'exportation, mais aussi pour réglementer le mode de vente et le prix du blé. Cette mesure produisit un effet tout contraire à ce qu'on en espérait : le blé ne vint plus au marché. Il fut fait au roi de vives représentations. Le parlement, qui n'avait pas enregistré l'édit, ne ménagea pas ses remontrances. Le roi, qui toujours avait incliné pour la liberté commerciale la plus étendue, fut aisément persuadé, et retira son ordonnance, montrant ainsi qu'en toute chose il déférait à la raison.

Faut-il s'étonner de cette erreur commise au quinzième siècle ? N'a-t-on pas vu, à la fin du dix-huitième, le gouvernement d'alors, en dépit de l'expérience du passé et de cinquante ans d'études économiques, et après les leçons des Quesnay et des Adam Smith, décréter un maximum ? Il ne nous appartient donc point d'être sévères envers nos devanciers.

Par ces oppositions, la cour souveraine remplissait un devoir. Le roi le savait ; et s'il souffrait parfois de ces résistances, il savait en apprécier le bon côté. D'ailleurs les magistrats qui en donnaient le premier exemple, n'était-ce pas lui qui les avait nommés ? Depuis peu encore, lorsqu'il s'est agi de désigner un premier président à la place de feu Jean Le Boulanger, n'a-t-il pas appelé à ce haut office maître Jean de La Vacquerie, ce magistrat dont l'intégrité et les lumières sont restées proverbiales ? Louis XI avait donc choisi pour ces nobles fonctions des hommes de savoir et de conscience, non des complaisants toujours faciles à trouver ; et lorsque, dans l'intérêt de ses sujets, de la couronne et de sa personne, ils s'opposaient à une mesure, ils ne s'éloignaient point des intentions du roi, ils atteignaient le but formel de leur institution, car le roi voulait surtout justice pour tous.

Aux mauvaises récoltes s'étaient jointes de grandes inondations. La rivière de Bièvre avait débordé et presque détruit le faubourg Saint-Marceau. Les rives de la Loire offraient un aspect lamentable, tant il y avait eu de ravages faits par les eaux. Dès son arrivée Louis fut frappé de toutes ces misères, et par lettres patentes de Meung-sur-Loire, en juillet, il exempta de subsides pour un long temps les paroisses les plus éprouvées : même en août et en septembre il étendit cette exemption à un plus grand nombre de localités riveraines, telles que Langeais, l'île de la Bastide, Saint-Lambert et autres : toutefois il n'accorda ce privilège qu'à condition que les habitants relèveraient si bien leurs digues que désormais elles fussent à l'épreuve de toute rupture.

On ne le voit négliger aucunes demandes de quelque urgence, mais au contraire y donner une prompte satisfaction. En juillet, de Saint-Laurent-des-Eaux, répondant au sire de la Tour, vicomte de Turenne, il lui accorde, comme à tant d'autres, les foires qu'il désire pour Sainte-Espérie, et prononce le transfert du bailliage de Saint-Pierre le Moustier à Cusset ; en août, il trace une suite de règlements pour les notaires de Lyon, afin que dans les actes, les états des personnes, les noms et les lieux soient préservés de toute confusion. Plusieurs lettres sont écrites de sa main à messieurs des comptes, pour confirmation de concessions qu'il a cru devoir faire. Dans ce même temps il accorde les droits de haute, moyenne et basse justice sur Roissy à maître Raoul Juvénal des Ursins, « son arné et féal conseiller » ; il met cette seigneurie dans le ressort de la prévôté de Paris, et il presse l'exécution de cette mesure.

Jamais Louis XI ne laisse échapper l'occasion de manifester pour la religion et pour l'Église sa pieuse sollicitude. Le 20 juillet il écrit au parlement pour hâter l'entérinement de ses lettres aux religieux de Saint-Jean de Jérusalem ; le 30 encore, de Saint-Laurent-des-Eaux, pour la fondation d'une collégiale à Saint-Gilles en Cotentin, où repose le saint, et d'une autre aussi à Tarascon. Ce même mois on le voit instituer à Coutances une collégiale singulière, pourvoir à l'exercice à venir de cette communauté et y fonder des messes par reconnaissance des grâces obtenues pour lui et les siens. Le 31 août, il informe l'abbaye de Bénévent près Limoges que, suivant son désir, elle est exempte de l'ordinaire par concession de Sixte IV ; de Cléry, en septembre, il fait don au baron de Montréal, Jean de Doyat, d'un amortissement de deux cents livres pour l'église de Cusset. Enfin, se sentant trop faible pour entreprendre un nouveau voyage en Espagne, il obtient de la cour de Rome d'être relevé de son vœu d'aller en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.

Tant d'actes inspirés par des sentiments d'une si haute piété ne pouvaient manquer de frapper les esprits les plus éclairés de ce temps. Nous avons déjà cité ce que Robert Gaguin, celui même qui se fit l'adversaire du roi après sa mort, écrivait de lui à Ambroise de Cambray ; constatons encore ce qu'il en disait alors à un savant théologien, Carolus Saccas, lequel avait entrepris, paraît-il, d'écrire la vie de Charlemagne. L'encourageant à ne pas différer la publication de cette œuvre, Gaguin ajoute : « Il s'agit, en effet, d'un grand homme qui fut un saint. Vous le savez, Louis XI, notre souverain, a tenu compte de son zèle à propager l'instruction autant que la foi, et lui a dignement consacré un jour de fête. Il est utile et bien de profiter d'une pareille circonstance, et on ne saurait trop seconder et louer de semblables inspirations[10]. » Voilà ce qu'on pensait alors du roi.

Sans doute parce qu'on pressent que ses jours sont en danger, les habitants du comté de Boulogne et beaucoup d'autres donataires particuliers ou collectifs, tels que corporations, communes, chapitres, abbayes, villes, corps de métiers, demandent avec insistance la confirmation des dons que le roi leur a faits : tous s'empressent de lui rappeler les moindres services rendus, et cela à un tel point que le valet de chambre du comte de Nevers, assure-t-on, se fit très-ostensiblement un mérite d'avoir contribué à contenir les prétentions que pouvait avoir son maitre à l'héritage de Charles le Téméraire

Mais à quoi ne prétendait pas le premier médecin du roi, Jacques Coytier ! En septembre le roi le nomme à l'office de bailli ou concierge du palais. Que n'avait-il pas déjà accordé à cet insatiable Hippocrate franc-comtois ! On est réellement surpris de l'énumération de tant de seigneuries et de fonctions qui n'avaient de commun que d'être des sources de revenus. Que penser quand on le voit se faire attribuer, le 26 octobre 1482, même l'office de vice-président de la chambre des comptes, ayant obtenu, le 16 août précédent, l'évêché d'Amiens pour son neveu Jacques Versé ? Le roi, encore pour lui complaire et l'enrichir, se vit obligé, l'année suivante, d'ôter Rouvres à Philippe Pot et de priver le sire de Baissey, bailli de Dijon, du revenu de Saint-Jean de l'Asile et de Brazey. Enfin ne reçut-il pas 54.000 écus pour les cinq derniers mois de la maladie du roi ! Ces concessions sont des faiblesses du roi, sans doute ; mais, paraît-il, Coytier s'était fait craindre en lui disant avec un grand serment : « Je sais bien que « vous me renverrez comme les aultres ; mais vous ne vivrez pas huit jours après[11]. » Il faut plaindre le prince assez malheureux pour avoir eu à ses côtés l'aspect d'une aussi sordide avidité. Toutefois maitre Coytier n'était point sans quelque générosité. Ayant un grand crédit, il en 'usait parfois dignement. C'est ainsi que, le 30 octobre 1482, il invite ses collègues de la chambre des comptes à admettre sans retard maitre-de Ladriesche qu'ils hésitaient à recevoir parmi eux. « Si le roi le savait, leur dit-il, il serait mal content que ce qui est requis ne fût pas fait[12]. »

L'empressement de Louis XI à rémunérer ses médecins et serviteurs, et à se montrer reconnaissant de tout service, quelquefois jusqu'à l'excès, lui fit oublier des dettes qu'un tyran — puisqu'on a osé lui jeter ce nom — n'eût eu garde de laisser en souffrance. L'huissier de la Bastille, appelé Martin Leroy, à qui l'on demandait son compte touchant les dépenses du séjour de maître d'Harancourt, montant à deux livres par jour, profita de l'occasion pour réclamer ce qui lui était encore dû pour l'emprisonnement du connétable de Saint-Pol

Louis XI ne perdait de vue aucune des affaires extérieures, ni rien de ce qui pouvait conduire son adversaire à la paix. On le sait, les affaires de Flandre étaient dans le plus déplorable état. Abandonné de ses capitaines et des villes, Maximilien fut encore réduit à trembler devant un chef <de routiers, qui devait bientôt devenir célèbre par le crime.

Eberhard II, fils d'Eberhard Pr, comte d'Aremberg et de la Marck, acheta en 1424 la seigneurie de Sedan. Jean Pr, son successeur depuis 1454, fut chambellan de Charles VII ; lorsqu'il mourut, en 1480, il laissa trois fils : Eberhard III, comte d'Aremberg ; Robert, comte de Sedan, chef de la maison de Bouillon, et Guillaume de la Marck, dit le Sanglier des Ardennes. C'est ce dernier, assure-t-on, qui en 1468 avait fait révolter les Liégeois contre Charles le Téméraire. Attiré à Liège par l'évêque Louis de Bourbon, il s'était bientôt rendu redoutable, jusqu'à oser tuer le garde du sceau de l'évêque, nommé Richard. Banni alors par le prélat, il était passé en France.

Louis XI, qu'il sut circonvenir par toutes sortes de récits et de promesses, lui confia d'abord, dit-on, quelques forges ; mais bientôt, le connaissant mieux et mécontent de lui, non-seulement il lui retira sa confiance, mais il écrivit contre lui aux états et à l'évêque de Liège, et par une lettre fort vive lui enjoignit de sortir de France[13]. Ainsi on ne peut dire, comme on l'a fait, que c'est le roi qui le poussa contre le malheureux évêque. Avec quelques chevaux et un millier de vauriens attirés et enrôlés par l'espoir du pillage, Guillaume entra au mois d'août dans le pays de Liège, accompagné de son frère Robert et de Jean de Neufchâtel. Bientôt il vit grossir sa troupe : l'évêque, peu aimé des siens, fut à peu près abandonné. L'envahisseur massacra d'abord le prélat, puis, s'étant emparé de Liège, il essaya d'y faire nommer son fils évêque, et s'y conduisit en tyran. Tant de cruauté le rendit si odieux que le sire de Nassau et la noblesse du pays marchèrent contre lui.

Pendant ce temps Louis XI avait à protéger contre un autre usurpateur sa belle-sœur Bonne de Savoie, duchesse douairière de Milan. Persécutée par son beau-frère Ludovic le More, qui, non satisfait de lui avoir arraché la tutelle de ses enfants qu'il retenait prisonniers, l'avait chassée de Milan, elle avait imploré le secours du roi. Pendant son séjour à Lyon, Louis, sans s'immiscer trop avant dans la politique italienne, était intervenu, et par son influence Bonne de Savoie avait reçu de Ludovic, du sire de Pallevoisin, gouverneur du jeune duc, et de Philippe d'Eustache, gouverneur du château de Milan, des lettres qui lui assuraient la liberté de retour auprès de ses enfants. Le 12 mai 1482, la duchesse en remerciait le roi, tout en laissant apercevoir qu'elle n'était point sans appréhension pour l'avenir[14] ; mais en septembre, sous prétexte d'un mariage favorable au jeune duc, et en réalité pour sonder la cour de France, Ludovic le More osa envoyer à Tours des députés au roi. Louis XI, instruit de tout par sa belle-sœur et indigné de la conduite de Ludovic, ne voulut point recevoir ses députés. Le chancelier Doriole et François Hailé, avocat général, furent chargés de les ouïr et de leur répondre que l'on n'avait nul pouvoir touchant cette alliance. Le chancelier parla des craintes conçues à tort ou à raison, et dit que, selon l'opinion du roi, la meilleure sûreté pour la vie du fils aîné de Galéas-Marie serait qu'on lui confiât son jeune frère Hermès. Il ajouta que Louis voyait avec déplaisir l'alliance de Ludovic avec Ferdinand de Naples, qu'il le priait de la rompre. Enfin on stipula en faveur de la duchesse, qui raisonnablement ne pouvait rester éloignée de toute participation aux affaires. Les députés promirent d'envoyer le second fils de feu Marie-Galéas, et de travailler à une rupture avec Ferdinand. Surtout ils virent que le roi était loin d'être indifférent au sort de ses proches ; et Ludovic le comprit si bien, que, tant que Louis vécut, il n'osa attenter à la vie de ses neveux.

C'était ainsi que la France, par la sage politique du roi, exerçait en Italie une juste prépondérance à laquelle on eût dû toujours se tenir. Les luttes ne cessaient d'y être ardentes, et les coalitions, avec ou contre Venise, de s'y succéder. Le 21 août, à Vellétri, le comte Jérôme Riario, neveu du pape, et Robert Malatesta, capitaine vénitien, venaient de battre Alphonse de Calabre, chef des troupes de Ferdinand de Naples et allié de toutes les autres puissances italiennes ; juste châtiment d'avoir enrôlé dans son armée des mercenaires turcs. Cependant le pape qui, malgré son désir, pressentait bien la difficulté d'entraîner Louis XI à une intervention armée, cherchait du moins à obtenir quelque retour pour ses complaisances. La cour de Rome conservait encore certains ressouvenirs des anciens droits de la papauté sur le Valentinois et le Diois. SOUS prétexte que les conditions mises à la cession de ces seigneuries n'avaient pas été remplies, le saint-père en avait fait parler à M. de Narbonne, et celui-ci, dans ses lettres à la chancellerie de France, ne manqua pas d'en dire quelque chose. Le chancelier, par une lettre de Tours, 12 septembre 1482, y répondit ainsi : « Messieurs du conseil sont à Tours ; par chacun des articles qu'ils vous ont envoyés à l'égard du Valentinois et Diois, vous verrez bien que le roi y a fort bon droit et que le pape ne saurait y prétendre en quoi que ce a soit... » Puis il ajoute : « Vous tous, Messieurs de par de là, ferez bien de remontrer au roi lesdites choses en la manière la plus convenable, et surtout de tenir la main à ce que son plaisir ne soit pas de les aliéner. »

Vers le même temps Pierre Doriole rendit encore un autre service au roi. Maître Hélie de Bourdeilles, élevé d'abord chez les cordeliers, puis élu à vingt-quatre ans évêque de Périgueux, et enfin devenu archevêque de Tours[15], avait été un des premiers commissaires choisis par Louis XI pour le procès de l'abbé de Saint-Jean d'Angely. Dernièrement le roi l'avait prié de ne point l'oublier dans ses prières. Le prélat crut avoir trouvé là une occasion de remontrer au roi ce qu'il appelait « le malheur des peuples, le fardeau des tailles » ; de lui rappeler ensuite Balue, d'Harancourt, Geoffroy Herbert, les évêques de Laon, de Castres, de Pamiers, et plusieurs autres privés de leurs sièges et de leur temporel, ce qui n'appartenait pas, disait-il, au pouvoir laïque, même dans le cas de trahison bien prouvée. Or le roi, qui en toutes ces choses n'avait agi que par raison d'État, se contenta sur, le moment de lui faire savoir son mécontentement, de cette immixtion dans les affaires publiques. Peu après, par une lettre au chancelier datée de Meung-sur-Loire, 24 août, il lui fit sentir qu'il avait abordé des questions qu'il ne pouvait apprécier, et qu'il ne voyait pas les coups dirigés contre la couronne, ajoutant, d'a, près l'Écriture, que « lorsqu'on a mis la main à la charrue, on ne doit pas regarder en arrière ».

Le prélat s'aperçut vite qu'il avait été trop loin. De son côté le chancelier alla le trouver : il lui représenta « que sa piété ne le dispensait pas de respect et d'obéissance à l'égard du roi, dont il était sujet, même étant dignitaire de l'Église ». L'archevêque de Narbonne, François Hallé, ancien avocat du parlement, avait pris part à cette entrevue. Tout fut bientôt apaisé. Pierre Doriole put reporter au roi les déclarations du prélat. Après une longue maladie il était encore trop faible pour sortir, mais il ne tarderait pas à faire connaître lui-même au roi combien il regrettait d'avoir pu lui déplaire, n'ayant point oublié ce qu'il avait reçu de lui.

Toutefois, quoique Louis XI ne parût nullement admettre les représentations de l'archevêque, il est certain qu'il fit examiner les points que le prélat avait touchés. Ainsi ces observations, toutes déplacées et non accueillies qu'elles fussent, ne restèrent point sans résultat.

Malgré ses soins à le dissimuler, Louis sentait décroître ses forces et le terme de ses jours approcher. Dès ce moment il n'eut plus d'autre pensée que de pourvoir à l'avenir. Sans nul doute, il avait le pressentiment de tout le mal qu'on pourrait faire à la France, sous le manteau d'un si jeune roi et dépourvu de toute expérience. Né le 30 juin 1470, le dauphin n'avait encore que douze ans. Alors donc que rien n'était encore conclu touchant la paix, le 21 septembre Louis se rend à Amboise, où il avait convoqué grand nombre de princes, seigneurs et hommes notables du royaume ; et là, en leur présence, il donne à son fils des avis qui doivent plus tard lés diriger tous et régler leur conduite, ayant soin de les faire rédiger sous la forme d'un acte tout royal, dont voici la teneur : « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France, dauphin de Viennois, comte de Valentinois et Diois, à tous ceux qui les présentes verront, salut !

« Considérant l'origine et la fin de toute chose et aussi de l'humaine nature, qui est de si courte durée, et que Dieu notre créateur nous a fait de si grandes grâces, qu'il lui a plu nous faire chef, gouverneur et prince de la plus notable région et nation de dessus la terre, c'est-à-dire du royaume de France, dont plusieurs des rois nos prédécesseurs ont été si grands, vertueux et vaillants, qu'ils ont acquis le nom de rois chrétiens en réduisant à la bonne foi catholique plusieurs grands pays et diverses nations naguère infidèles, en extirpant les hérésies et vices de notre royaume, en entretenant le Saint-Siège apostolique et la sainte Église de Dieu en leurs droits, libertés et franchises, et par plusieurs autres beaux faits dignes de perpétuelle mémoire ; tellement qu'il y a un certain nombre d'entre eux tenus pour saints et vivant, éternellement en la sainte compagnie de Dieu en son paradis ;

« Lequel notre royaume — et autres nos pays — nous avons, grâce à Dieu et par l'intercession de la très-glorieuse Vierge Marie, sa mère, si bien entretenu, défendu et gouverné que nous l'avons augmenté de toutes parts par grande sollicitude et diligence, par l'aide aussi de nos bons et loyaux officiers, serviteurs et sujets ; jaçoit (quoique) qu'après notre avènement à la couronne les princes et seigneurs de notre sang et autres grands : de notre royaume, la plupart du moins, aient contre nous et contre la chose publique conspiré par trahisons et à force ouverte, au point qu'il s'en est suivi de grandes guerres et divisions, d'où sont résultées une étonnante effusion de sang humain, la destruction des pays et la désolation de beaucoup de peuples ; guerres qui ont duré depuis notre avènement jusqu'à présent, lesquelles ne sont encore du tout éteintes, et même après la fin de nos jours pourroient recommencer et longuement durer, si aucune bonne provision n'y étoit donnée ;

« Pour cela, et en considération de notre âge et de certaines maladies à nous survenues, pour lesquelles nous avons été en très-grande dévotion visiter le corps de monseigneur saint Claude, l'ami de Dieu, d'où nous sommes revenus amendé et en meilleure santé, à l'aide de notre créateur et de sa sainte Mère ; ruons avons, dès notre retour, décidé de voir notre très-cher amé fils dauphin de Viennois et de lui remontrer plusieurs notables choses pour l'édifiement de sa vie et sa bonne conduite au gouvernement de la France, s'il plaît à Dieu que la couronne lui advienne après nous. Pour l'accomplissement de ce dessein, nous nous sommes rendus au château d'Amboise, où toujours nous l'avons fait tenir et élever ; là, en présence de certain nombre de seigneurs et dames de notre lignage et autres grands personnages, gens de notre conseil, capitaines et officiers tant de nous que de notre fils, avons fait venir icelui notre fils par devers nous, et alors nous lui avons remontré les choses dessus dites et les suivantes :

« Premièrement, nous lui avons témoigné notre grand désir qu'après nous il parvienne, avec l'aide de Dieu, à la couronne de France, son vrai héritage ; et qu'il puisse si bien, si grandement gouverner le royaume, que ce soit à son honneur, aux profit et utilité des sujets et de la chose publique.

« Pour l'époque où il plaira à Dieu de disposer de nous d'après sa sainte volonté, comme il est dit, nous lui avons ordonné, commandé et enjoint, ainsi que père peut faire à son fils, qu'il se gouverne et maintienne au bon régime desdits royaume, Dauphiné et autres pays, par le conseil et gouvernement de nos parents, des seigneurs de notre sang, et autres barons, chevaliers, capitaines, gens sages et notables, et principalement de ceux qu'il saura et connoîtra avoir été bons et loyaux à feu notre très-cher seigneur et père — que Dieu absolve ! —, à nous et à notre couronne de France, et qui nous ont été bons officiers, serviteurs et sujets ;

« Nous lui avons aussi expressément enjoint, quand la volonté de Dieu l'appelleroit à la couronne, d'entretenir dans leurs charges et offices lesdits seigneurs, barons, gouverneurs, écuyers et capitaines, tous les chefs de guerre et tous autres, ayant charge, garde et conduite de gens, villes, places et forteresses, et les officiers ayant office tant de judicature qu'autres, de quelque nature que soient lesdits offices, sans aucunement les changer, décharger, ni désappointer, sinon toutefois qu'il fût trouvé, par juste déclaration faite en justice, qu'aucuns d'eux fussent autres que bons et loyaux.

a Afin que notre fils soit plus décidé à accomplir notre susdite ordonnance, nous lui avons remontré les grands maux et irréparables dommages qui nous advinrent peu après notre avènement, pour n'avoir pas maintenu lesdits seigneurs et officiers de notre royaume en leurs états, charges et offices ; ce qui a longuement duré au très-grand dommage de nos pays et sujets, et dure encore, sans qu'il y ait fin de paix ; quoique pourtant, grâce à ;Dieu, comme il a été dit, nous n'ayons rien perdu de la couronne, mais icelle augmentée et accrue de grandes terres et seigneuries, espérant de bref, au vouloir et plaisir de notre créateur, y faire mettre paix, tranquillité et union : si le roi notre fils n'entretenoit les officiers de tout ordre dans leurs charges, il lui pourroit arriver aussi mal et pis qu'à nous : qu'il aime donc le bien, honneur et augmentation de lui et du royaume, sans aller à l'encontre, quelque cas qui advienne ;

« Lesdites remontrances ainsi par nous faites à notre fils pour le bien de la couronne de France, et afin que lesdits commandements à lui faits sortissent effet, et qu'il en fût perpétuelle mémoire, nous avons demandé à notredit fils ce que lui en sembloit ; et s'il n'étoit pas bien décidé et en bons propos et intention de faire et accomplir les choses dessus dites et autres par nous recommandées, et spécialement touchant les charges et offices ; à quoi il nous a humblement fait répondre et dit de bouche que très-volontiers il obéiroit ; qu'il feroit et accompliroit de bon cœur et de tout son pouvoir les commandements, enseignements, ordonnances que lui faisions, et dont très-humblement il nous remercioit.

« Nous lui avons en outre recommandé de se retirer vers aucuns de ses gens et officiers qui là étoient, et qu'il s'entretînt avec eux des choses dessus dites, par nous remontrées, et qu'il avisât bien s'il ne vouloit pas entretenir tout ce que nous lui avons enjoint : après l'avoir fait, il nous a dit telles paroles qui suivent : « Monseigneur, à l'aide de Dieu, et quand son plaisir sera que les choses adviennent, je obéirai à vos commandements et plaisirs, et ferai, entretiendrai et accomplirai ce que m'avez enjoint, commandé et enchargé ; » et à cette cause lui avons dit que, puisque, pour l'amour de nous, il le vouloit, il levât la main, et nous promît d'ainsi le faire et tenir ; ce qu'il a fait.

« Après plusieurs autres avis dépendant des précédents, et après avoir parlé de plusieurs seigneurs nos adversaires, de qui étaient venus en partie les maux et inconvénients cités plus haut, afin qu'il y prît bien garde, nous lui avons recommandé aucuns de nos bons serviteurs et officiers dont les uns étoient présents et les autres absents, lui remontrant que bien et loyalement ils nous avoient servi tant à l'encontre de nos adversaires, à l'entour de notre personne, que autrement en plusieurs et diverses manières.

« Desquelles choses nous avons commandé à notre amé et féal notaire maître Pierre Parent, illec présent, de faire toutes lettres patentes et closes, comme déclarations de notre vouloir autant que besoin sera tant durant notre règne que sous le règne de notre fils ; et dans ce dernier cas par manière de confirmation à l'égard d'iceux officiers dans leurs charges et offices, ledit. Parent étant à la fois son secrétaire et le nôtre.

« Ainsi donnons en mandement par ces présentes à nos amés et féaux conseillers, gens de notre parlement et de celui de Grenoble, et de l'échiquier de Normandie, gens de nos comptes, généraux, conseillers de nos finances, de la justice, de nos aides, maîtres des requêtes de notre hôtel, prévôt de Paris, à taus baillis, sénéchaux, prévôts et autres nos justiciers et officiers, ou à leurs lieutenants, que de nos présentes ordonnances et déclarations et des dépendances d'icelles, ils accomplissent et fassent accomplir de, point en point tous les articles et qu'ils y contraignent quiconque y voudrait mettre obstacle ; qu'ils cassent et annulent toutes lettres, qui y contreviendroient, qu'ils procèdent même à la détention des contrevenants et de leurs biens, nonobstant oppositions, doléances et appellations de leur part, nonobstant même les restrictions qu'on tenteroit plus tard de leur apporter pour en retarder ou empêcher l'exécution en aucune manière : et comme il faudra appliquer les présentes en plusieurs lieux, nous voulons qu'au vidimus d'icelles, fait sous sceau royal ou signé par ledit Parent ou autre de nos secrétaires, pleine foi soit ajoutée comme à ce présent original.

« Donné au château d'Amboise, le 21 septembre, l'an de grâce 1482, de notre règne le vingt-deuxième ; contresigné par Mgr le dauphin, Mgr le comte de Beaujeu, le comte de Marie, maréchal de France ; l'archevêque de Narbonne, les seigneurs du Bouchage, de Précigny, du Plessis-Bourré, de Sollers, Jean de Doyat, gouverneur d'Auvergne, Olivier Guérin, maitre d'hôtel, et plusieurs autres présents. »

Ne parurent là ni Louis d'Orléans, ni Charles d'Angoulême, ni Jean II, duc de Bourbon, qui eussent certainement signé des premiers. Le jour même et aussi d'Amboise, lesdites lettres furent expédiées, malgré leur étendue, au parlement de Dauphiné, et les jours suivants à celui de Paris et aux autres de Dijon, de Toulouse et de Bordeaux, de sorte que le 12 novembre elles se trouvaient partout entérinées.

Elles étaient, en vérité, pleines de sagesse et d'opportunité, ces instructions si paternelles. D'un cœur bon et sensible, le dauphin en fut vivement ému. Il répondit, assure-t-on : « Je aimerois mieux mourir que avoir désobéi à Monseigneur mon père, et que plustôt me donnast Dieu la mort que avoir pensé à lui désobéir[16]. » Mais un faible enfant de douze ans pouvait-il seulement comprendre la substance de ces avis et l'étendue de ses promesses ? Louis XI ne l'ignorait pas. Cette solennité s'adressait surtout aux grands de l'État. Elle était un témoignage de plus de la tendresse du roi pour son fils. S'il est vrai qu'il ait dit familièrement, comme on le prétend, que a ne savoir rien taire, c'est « ne pas savoir régner, » vraie et profonde maxime en soi, on voit déjà, et la suite le montrera mieux encore, qu'il ne s'en tint pas à de si sèches sentences, et qu'il sut, pour l'avenir, grouper et recueillir les éléments les plus dignes de former le cœur d'un prince.

On le conçoit, par la parole le roi étendit ses instructions au-delà du cercle d'idées resté officiel. C'était certes donner à son fils un excellent conseil de lui dire d'écouter pour les faits de guerre le sage et vaillant Philippe de Crèvecœur, sire de Querdes. Que de fautes ce prince se serait épargnées s'il avait suivi de tels avis ! Lui recommander ses serviteurs, et en particulier Olivier le Daim et Jean de Doyat, c'était encore lire dans l'avenir les haines qui essayeraient de les atteindre et prémunir son fils contre le danger des réactions. Il lui apprenait ainsi que, sans méconnaître les services de la noblesse, il avait su trouver et faire sortir de leur obscurité des hommes de mérite, pleins de zèle et de dévouement. En cela il avait suivi la voie tracée par Philippe-Auguste, saint Louis et Charles V, ses plus illustres prédécesseurs. Enfin, désavouer ce qu'il avait fait au commencement de son règne par certains déplacements, c'était porter loin la franchise. On a vu des princes dire qu'ils avaient trop aimé la guerre ; mais plus rarement on en voit qui avouent leurs fautes, surtout après avoir tout fait pour les réparer.

Combien encore d'intérêts nationaux et d'actes judicieux pouvait-il rappeler en cette imposante circonstance 1 Il avait eu, en effet, grandement à cœur les franchises et l'honneur de ses peuples, de ses bonnes villes, et la sécurité que tous, nobles, clercs, bourgeois, industriels et laboureurs devaient trouver dans le commerce, dans la liberté du travail, dans la facilité des communications, et dans la discipline des gens de guerre qui assurait ainsi la sécurité des campagnes, désormais à l'abri du brigandage et des pilleries. Il pouvait montrer ces bienfaits, comme une atténuation, même une compensation aux impôts que la nécessité l'a forcé d'augmenter en une certaine mesure pour remplir ses engagements et réaliser les améliorations qu'il avait conçues. Et avec un budget qui de nos jours semblerait dérisoire, que de villes et de belles provinces n'a-t-il pas reliées à la couronne ! que d'améliorations et de progrès introduits dans le royaume !

Que n'avait-il pas à dire aussi pour justifier les principaux actes de son règne ! Lorsque les grands vassaux s'étaient réunis contre l'utile développement de la royauté ; lorsqu'ils avaient cherché leur point d'appui à l'étranger, et eu recours à des moyens inqualifiables, ils avaient évidemment mal compris leur mission et leur devoir. Sans doute une apologie de sa conduite n'entrait point dans les vues du roi ; surtout il ne voulait effleurer aucun des points délicats qui auraient pu exciter encore plusieurs susceptibilités ; mais il désirait prouver à ceux qui l'écoutaient combien il importait que sa politique fût continuée et que l'œuvre par lui amenée à de si beaux résultats fût achevée après lui par ceux qui lui survivraient. Telle était sa constante préoccupation.

Après les enfants de France, le premier prince du sang se trouvait être Louis, duc d'Orléans. Précisément à cause de cette situation, Louis XI pensa qu'il ne pouvait être désigné comme régent du royaume. Ce prince avait vingt et un ans. Le roi avait remarqué en lui de la légèreté et de l'ambition. Son dédain et ses infidélités envers sa bonne et vertueuse épouse, Jeanne de France, n'étaient point un mystère. Toujours il s'était montré peu sympathique aux mesures prises par le roi, et si celui-ci l'avait rarement employé aux grandes affaires, c'était à cause de son jeune âge sans doute, mais aussi parce qu'il ne croyait pas pouvoir compter sur lui. Il lui savait, en effet, des goûts d'opposition, moins par conviction que par jalousie et par ton. Dernièrement encore, le 16 avril 4 482 ou environ, on a de lui une lettre à Dammartin où, sous prétexte de remerciements, il cherche à le sonder et se montre en fort bons termes avec Maximilien. Le roi pensa donc, avec raison, que ce prince après lui donnerait carrière à son inconstance naturelle, et troublerait la régence d'Anne de France et, de Pierre de Beaujeu, qu'il cherchait à établir solidement.

Voulant obvier à ce malheur de tout son pouvoir, le 17 octobre, il fit venir au Plessis son gendre Louis d'Orléans ; et après lui avoir expliqué ses volontés auxquelles le prince parut se conformer, le roi lui demanda s'il s'engageait par écrit à accomplir les promesses qu'il venait de faire. Sur sa réponse affirmative, le duc prêta le serment dont la teneur suit[17] : « Nous Loys d'Orléans, de Valois, etc., avons promis et juré sur le canon de la messe et sur le livre des saints Évangiles que, tant que nous vivrons, nous servirons bien et loyauement notre très-redouté et souverain seigneur Loys, à présent régnant, envers et contre tous ceux qui peuvent vivre et mourir ; et s'il plaît à Dieu que nous lui survivions, que nous servirons notre très-redouté seigneur le dauphin son fils, comme notre roi et souverain seigneur envers et contre toute personne, sans prendre jamais contre lui, directement ou indirectement avec qui que ce soit, parti, pratique ou intelligence, soit avec notre cousin le duc de Bretagne, soit avec autres princes, seigneurs ou communautés, sous couleur de prochaineté de lignage ou autrement, et que nous n'entreprendrons aucune chose touchant la personne et le gouvernement de monseigneur le dauphin, de son royaume, de ses serviteurs ou sujets, autrement ni plus avant que son bon plaisir et l'avis de son conseil ; que si notre cousin le duc de Bretagne ou autres nous conseilloient de faire ou entreprendre quelque chose autrement que dessus est dit, nous ne les croirons ni ne suivrons leurs avis, et incontinent révélerons ce qui en sera à mondit seigneur le roi ou à monseigneur le dauphin après lui ; que nous nous déclarerons contre tous ceux qui voudroient entreprendre contre les droits de la couronne ; et qu'à la conservation d'iceux droits du dauphin nous nous emploierons jusqu'à la mort inclusivement ; que s'il vient à notre connoissance que l'époux de notre sœur, le vicomte de Narbonne, veuille quelque chose faire ou entreprendre contre monseigneur le roi ou monseigneur le dauphin, nous en informerons sans délai le roi ou le dauphin son fils, et que nous nous y opposerons de tout notre pouvoir. »

Tel fut le serment de Louis d'Orléans. Sans doute le roi savait ce que valait la parole de ce prince ; mais comment le lier davantage et mieux assurer l'avenir ? Peut-être le duc Jean II, chef de la maison de Bourbon, pourrait-il avoir quelque prétention à la régence ou conserver quelque souvenir d'avoir eu à se défendre contre messieurs du parlement ; mais il était âgé, fort tourmenté de la goutte, et le roi ne crut pas devoir le craindre. Il s'en tint donc à la promesse du duc d'Orléans, promesse que celui-ci viola comme les autres ; car c'est lui qui, sitôt après la mort du roi, troubla tout le royaume par son ambition, persécuta les enfants du roi autant que sa mémoire, et fut le premier à pousser Charles VIII aux folles entreprises d'Italie et de Naples, en attendant qu'il s'y précipitât pour son propre compte et pour le malheur de la France. Voilà ce que pressentait Louis XI et ce qu'il eût voulu empêcher à tout prix ; car, comme nous le dit Comines dans son vieux et naïf langage, « c'est ainsi que le roy voyoit les choses aussi clairement qu'en aucun temps de sa vie, et pensoit peut-être au bien du royaume plus qu'il ne avoit jamais fait » : ce qui veut dire, à n'en pas douter, que le roi, toujours préoccupé de la grandeur de la France, a semblé l'être encore davantage en ses dernières années, et n'implique nullement la critique, qu'en le prenant dans un sens restrictif, les adversaires du roi ont voulu y voir. Mieux avisé et plus prudent que ses successeurs ; il s'est tenu à l'abri de l'inconstance des Italiens, ne rêvant que de rendre la France forte et florissante, ou du moins, par des moyens nouveaux, de lui préparer les voies à une plus grande prospérité dans l'avenir. C'est ainsi qu'il comprenait son devoir de roi.

De son côté Maximilien commençait à se résigner à la paix. Ne voyant nul espoir, malgré la maladie du roi, d'arracher quelques concessions onéreuses à la France, connaissant d'ailleurs les dispositions des grandes villes de Flandre à cet égard, et en particulier la volonté fermente des Gantois[18], il se décida en novembre à autoriser les nombreux députés désignés par les états à traiter à Arras avec les députés de Louis XI de la paix et du mariage de sa fille Marguerite avec le dauphin, comme moyen de conciliation : dès ce moment aussi il se contenta de son titre d'archiduc. Pour Maximilien les négociateurs étaient Jean d'Auffay, maitre des requêtes de son hôtel ; Gort-Rolland, pensionnaire de Bruxelles ; Jacques d'Essenwerper, pensionnaire de Gand, auxquels il ajouta ensuite/ quatre autres députés. Les plénipotentiaires du roi furent Philippe de Crèvecœur, seigneur de Querdes[19], son lieutenant en Picardie ; Olivier de Coëtmen, chevalier de Saint-Michel et gouverneur d'Arras ; Jean de la Vacquerie, premier président du parlement de Paris, et Jean Guérin, son maître d'hôtel.

Les conférences furent alors très-ostensiblement ouvertes, ainsi que le prouve une lettre des députés français, écrite de Franchise au sire du Bouchage ; peur lui signaler les obstacles qui se présentent ; car c'était souvent par l'entremise de ce conseiller intime que les ambassadeurs s'adressaient au roi ; et lorsqu'il s'agit d'obtenir quelque faveur, on voit les ducs de Bretagne, de Bourbon et autres seigneurs, aussi bien que les princesses de Savoie, de Milan, la reine elle-même et madame Jeanne de France, lui demander parfois son bienveillant concours, tant on sait le roi occupé des grandes affaires d'État[20]. « Nous écrivons au roi, disent-ils donc le 16 novembre, ce que avons pu besoigner avec les ambassadeurs flamands. Nous y trouvons une seule difficulté, c'est touchant la dot. Ils entendent que ! mademoiselle Marguerite porte pour son partage et dot les comtés de Bourgogne et d'Artois, et aucuns (quelques) acquests. Si ce n'estoit cette difficulté, la paix et la délivrance de ladite demoiselle entre les mains du roy se feruient incontinent. C'est la conclusion des estats. On ajoute que lesdits comtés, en cas de retour, demeureront aux mains du roy, comme gages, jusqu'à ce qu'il ait été appointé touchant Lille, Douai et Orchies, On a dit encore que ceux de Flandre ne consentiroient point à abandonner lesdites villes. Si le roy dont nous attendons la réponse tombe d'accord sur les articles que nous lui envoyons, il nous le dira et nous enverra ses pouvoirs. »

Pendant que ces graves questions se débattent, Louis, malgré ses souffrances, n'oubliait point de protéger les faibles et les opprimés. Du côté de la Bretagne rien n'avait été pacifié. Toujours le duc François, aussi bien que Maximilien, espérait profiter de l'affaiblissement du roi. Mais c'était en vain ; on ne cédait pas. Le duc écrit-il de Nantes pour se plaindre de l'approche de l'armée française : « Qu'il fasse retirer ses troupes, lui est-il répondu, le roi fera de même. » Pour la solution de plusieurs difficultés survenues entre les officiers du fisc, de Bretagne et de France, des conférences, on le sait, s'étaient ouvertes à Angers. Là se trouvaient réunis, avec le sire de Coëtmen, Antoine de Chourses, Jean de la Buqualle, Bernard de la Ribère, pour le roi ; et pour le duc le sire de Coëtquen, l’évêque de Léon et Jean Blanchet. Ceux-ci commencèrent à se plaindre hautement des officiers de judicature ou autres, que le roi entretenait sur les confins de la Bretagne, des actes de violence.et d'agression qui s'y étaient commis par eux.

La réplique était facile : si les limites des deux pays étaient mieux tracées on trouverait peut-être que les agressions et les violences sont précisément venues de Bretagne. Il convient donc de s'occuper. avant tout de cette délimitation. Mais les points incontestables sont d'abord les, fréquentes désobéissances aux arrêts du parlement. On en avait, alors même un notable exemple. Jean Chauvin, ancien chancelier de Bretagne, était retenu très-injustement dans les prisons du duc. Il en avait appelé à la justice du roi. Louis XI avait reçu l'appel et pris l'appelant sous sa protection. Il a même ordonné au duc de mettre Chauvin en liberté, sous peine de mille marcs d'or. Le duc n'en a rien fait : de plus il donne retraite à des malfaiteurs, particulièrement aux faux saulniers, ce qui porte un grand préjudice aux fermiers des gabelles. Pour conclusion les commissaires de France firent signifier par huissier à ceux de Bretagne que le duc eût à rendre la liberté au chancelier Chauvin ou qu'il l'envoyât à Paris en la Conciergerie avec son dossier. Mais le sire de Coëtquen et les autres refusèrent de recevoir cette sommation, et l'on convint de se réunir de nouveau à la Saint-André, 30 novembre, après le règlement des limites. Ce fut, on le conçoit, une raison pour le duc d'entretenir plus soigneusement encore ses relations d'outre-mer. D'autre part, à cause des appréhensions qu'on a de ce côté, le sire du Fou, bailli de Touraine, soupçonné d'avoir des intelligences avec le duc de Bretagne, est remplacé, et, tout en protestant de son innocence, il se retire à Nantes.

C'est vers ce temps qu'on apprit l'arrivée en France de Djemm, ou Zizime, second fils de Mahomet II. Sous ce futile prétexte que Bajazet était né du vivant de l'empereur Amurat et lui d'un père empereur, il avait disputé le trône à son frère. Le pacha Achmet déconcerta ses desseins en accourant à Constantinople se prononcer pour Bajazet II. Djemm apprit à Pruse cette fâcheuse nouvelle : toutefois, et bien qu'avec des forces inférieures, il tenta une bataille. Ayant été battu, il s'enfuit en Égypte, puis à Rhodes. De là il fut amené en France, à Bourganeuf, de son gré, par le prieur des chevaliers de Saint-Jean. « Bajazet II ne put obtenir la rançon de son frère ; il se soumit à payer annuellement 45.000 ducats aux chevaliers[21]. » Djemm resta paisiblement en France quelque temps : le roi voulut demeurer entièrement étranger à cette querelle dynastique.

Y eut-il alors un projet de Jean II de Portugal de ranimer celle de la succession de Castille ? Depuis la mort d'Alphonse V, arrivée à Cintra, le 28 août 1481, la malheureuse Jeanne, dite la Bertrandeja, fille de Henri IV, ne voyant nul espoir de reconquérir son héritage, s'était réfugiée en un couvent. Il fut, dit-on, question de l'en tirer pour la marier à François Phœbus, roi de Navarre et neveu de Louis XI. Un pareil dessein pouvait inquiéter Isabelle et Ferdinand, dont la puissance devenait un danger pour la France, et menaçait sans cesse nos provinces de Roussillon et de Cerdagne. Il était donc conforme aux intérêts politiques du pays. Toutefois, dans l'état où était le roi, il est fort douteux qu'il se soit entremis en cette affaire. Son seul désir était de léguer à son fils son royaume pacifié, et l'on sait son peu d'inclination pour les lointaines interventions.

Cependant le roi n'avait point cessé, en Navarre comme en Savoie, de protéger ses sœurs et leurs enfants. Ainsi, tandis qu'il envoyait l'évêque de Lombez à la cour de Castille et d'Aragon, pour achever les négociations entamées et parvenir enfin à une conclusion bien nette sur la possession définitive du Roussillon, il continuait à gouverner la Navarre par Madeleine de France, sa sœur, veuve depuis 1470 de Gaston V, comte de Castelbon, et tutrice naturelle de ses enfants. Éléonore étant morte en 1479, François Phœbus succéda, sous la régence de sa mère, aux droits de son père et prit alors le titre de roi de Navarre. Cette régence fut pleine de troubles, à cause des factions de Beaumont et de Grammont ; mais Madeleine, toujours bien secondée par Louis XI, parvint enfin à faire couronner son fils à Pampelune, le 6 novembre 1482.

Rien n'arrêtait l'activité du roi ; « car, bien qu'il eût la mort peinte sur le visage[22], il était toujours occupé des soins de son royaume. » Si, pour la plus grande tranquillité de la reine, du dauphin et de leur maison, il a éloigné d'Amboise les marchands et étrangers, ce qui a pu être un dommage pour l'industrie du pays, il se croit pour cela redevable envers la ville. Pour s'acquitter, il proclame, par lettres patentes d'octobre, exemption de tailles pour les habitants d'Amboise, et insiste sur cette concession en avril 1483. Son principal motif, dit-il, « c'est que les gens d'Amboise ont été fort longtemps obligés de garder leur ville le jour et la nuit, et aussi qu'ils ont beaucoup souffert des inondations de la Loire. » Les fonds destinés à l'établissement des nouveaux habitants d'Arras ou de Franchise ayant été insuffisants, il fallut, pour subvenir à cette dépense et à quelques autres, imposer pour cinq ans un écu par muid de sel en Languedoc, en Normandie et le long des rivières de Seine et d'Yonne ; et Jacques Briçonnet fut chargé de la répartition du produit. La vicomté de Châtellerault faisait partie du legs de Charles du Maine au roi : à ce titre elle est réunie à la couronne, avec la mention qu'elle n'en sera plus séparée, et une justice royale y est établie. Enfin, par ordonnance du 17 décembre, le roi appelle à l'office de général conseiller des finances, en la place de Michel Gaillard, François Gens, qui depuis quatre ans était président, de la chambre des comptes en Dauphiné.

Mais parmi les actes de cette époque, il en est un surtout digne d'attention. Depuis longtemps il existait une corporation dite des secrétaires du roi. Ils avaient contribué à la fondation des Célestins de Paris, et y tenaient leurs assemblées. Louis XI d'abord n'avait pas cru devoir, comme ses prédécesseurs ; prendre parmi eux ses secrétaires pour contresigner ses lettres patentes ; mais après Montlhéry il en fut autrement, et le roi commença dès lors à avoir une haute idée de cette association. Aux membres qu'il y choisit pour son service il accorda de ne pouvoir être dé- posés que pour forfaiture ; il se déclara même chef de ce corps, ainsi que l'avaient fait les rois ses devanciers, rédigea en leur faveur un règlement portant exemption de tailles, de subsides et de logement des gens de guerre, et beaucoup d'autres privilèges. Leur nombre fut limité k cinquante-neuf, le roi devant être le soixantième. L'édit de, novembre 1482 est daté du Plessis, et. fut enregistré par les cours du parlement et des comptes. Les motifs de cette ordonnance font trop bien apercevoir l'intention du roi, pour qu'on les puisse passer sous silence ; les voici en partie :

« Loys, roi de France, à l'imitation de Notre-Seigneur, qui pour l'augmentation de notre foi élut quatre évangélistes, pour véritablement décrire les saints évangiles, en manifestant les divins secrets ; nous avons établi à perpétuité certaines féables personnes bien renommées pour leur justice et leurs lumières, appelées clercs, notaires et secrétaires de, la maison de France ; qui pour le bien, l'honneur et l'exaltation de ladite maison, et aussi en témoignage de justice et augmentation de la chose publique, rédigeroient et mettroient en perpétuelle mémoire par écrit en honnête langage et convenables formes, les hauts, 1nobles et louables faits, édits perpétuels et généraux, lois, chartres, constitutions, arrêts, établissement de justice, ordonnances et lettres royaux-- Les membres dudit collège ont si bien vaqué aux grandes affaires de ladite maison de France, et les ont mises en si grand ordre, qu'il a toujours été expédient à tous de recourir à leur rédaction et de s'y conformer. Toutefois, à cause de notre long éloignement de notre père, nous ignorions la vraie constitution dudit collège... Par importunité nous avons donc, sans vouloir lui porter préjudice, fait, plusieurs nominations — hors de son sein — ; mais considérant que les constitutions dudit collège sont raisonnables, désirant nous y conformer et les ramener à ce qu'elles étoient sous nos prédécesseurs, nous déclarons confirmer lesdites constitutions et les remettre en pleine vigueur. »

Par la comparaison ci-dessus mentionnée, et par ces recommandations d'exactitude et de bonne rédaction, il paraît évident que l'intention du roi était qu'en ces documents sortis des mains de ces notaires, fussent les vrais éléments de l'histoire de son règne. Il se préoccupe avec raison de ces annales. Les religieux de Saint-Denis, comme les pontifes de Rome, étaient, il est vrai, en possession du soin de les écrire ; mais y portaient-ils une attention bien soutenue ? Ne se contentaient-ils pas d'enregistrer les principaux faits recueillis en diverses chroniques d'alors, et cela longtemps après les événements ? Les souverains étrangers, les seigneurs' même de France, surtout les ducs de Bourgogne, ayant leurs indiciaires ou chroniqueurs particuliers, les rois de France avaient pris l'habitude d'avoir aussi leurs historiographes. C'est ainsi que la vie de Charles VI se trouve dans le religieux de Saint-Denis que Félibien croit être Benoît Gentien, mais également dans Jean Juvénal des Ursins, et surtout dans Froissard. Le poète Alain Chartier, et plus officiellement Jean Chartier, son frère, ont écrit celle de Charles VII. Alors l'historiographe suivait la cour : il était un des officiers royaux ; il « n'inscrivait rien que de l'agrément et avec la permission du roi, et souvent plusieurs années après les faits accomplis ».

Cela explique le point de vue où se place toujours l'auteur de la chronique sous le règne de Charles VII. Qu'on suive, en effet, Jean Chartier : ce qu'on y remarque surtout ce sont ses réticences ; ainsi donc silence sur les fautes et sur les faiblesses royales ; silence sur le supplice de Jeanne d'Arc que le roi ne chercha point à empêcher ; silence sur les vraies causes de l'éloignement du dauphin, et sur les intrigues qui, à la cour, mettaient tout au pouvoir des femmes ; silence sur les offres de service du dauphin pour les guerres de Normandie et de Gascogne, et en général sur tout ce qui serait à son avantage ; silence encore sur la déloyale condamnation de Jacques Cœur. D'ailleurs très-sobre de réflexions, il s'étend beaucoup sur les faits de guerre ; il n'oublie pas un des voyages du roi ; pas un des seigneurs qui l'accompagnent, au risque de citer quelquefois les absents, car il vit en 1429 à la cour de Charles VII un prince français, qu'il nomme duc de Bourbon ; or celui-ci, on le sait, est resté prisonnier en Angleterre depuis la bataille d'Azincourt jusqu'à 1434, époque de sa mort, quoiqu'il eût payé trois fois sa rançon, et il n'était alors représenté en France que par son fils Charles, comte de Clermont. Enfin l'historiographe enregistre les faits les plus insignifiants et ne trouve point de place pour mentionner les événements les plus graves lorsqu'ils ne sont pas à l'éloge de son héros.

Est-ce à dire, comme on l'a prétendu[23], que Jean Chartier manquât des qualités essentielles à l'historien ? Nullement. Mais, on l'a vu, il n'avait pas la libre expression de sa pensée et devait suivre l'impulsion d'un conseil de rédaction officiel. C'est ainsi qu'on ne pouvait écrire l'histoire sans autorisation : c'était un privilège réservé. Ce reproche d'insuffisance ne saurait d'ailleurs être adressé à son frère Alain Chartier, si renommé en ce temps-là pour son éloquence. Cependant les faits mêmes qu'il rapporte ne le sont presque jamais dans leur parfaite clarté. Veut-il, par exemple, nous raconter la présentation de Jeanne d'Arc devant Charles VII à Chinon, en 1428 ? « En cet an, dit-il, arriva devant le roi une jeune fille de l'âge de dix-huit à vingt ans, nommée Jeanne du Liz, la Pucelle, née auprès de Vaucouleurs... » Or qui ne sait que ce nom du Liz ne lui fut donné qu'à l'époque de l'anoblissement de sa famille et longtemps après sa mort si malheureuse !

Il est encore prouvé, par une déclaration expresse de Jean Chartier, que, du 21 octobre 1422 au 18 novembre 1437, la charge d'historiographe resta vacante ; qu'alors les annales n'ont été que peu ou point recueillies, ce qui explique bien des inexactitudes et des omissions. A partir de 1437 Jean Chartier continua de puiser dans les chroniques de Cousinot et du héraut de Berry ; on remarque même qu'après cette époque « sa chronique n'est guère moins négligée ni plus originale qu'avant son entrée en fonctions comme chroniqueur juré[24] ». Elle ne fut pas non plus sans lacunes ; ainsi l'on doit s'étonner que les actes des années 1445 et 1446 fassent entièrement défaut, et « qu'il manque tant de choses aux années 1459 et 1460, même à la campagne de Normandie où était l'auteur, » puisqu'il vivait encore en 1470.

Ces imperfections si notables furent sans doute observées par Louis XI ; s'il connut, en effet, les historiens de Rome, comme il est probable, il dut trouver notre histoire nationale bien arriérée et bien incomplète ; peut-être à cela faut-il attribuer son peu d'empressement à remplacer l'historiographe de la couronne et son idée singulière d'enlever cet office au monastère de Saint-Denis pour le conférer k un religieux de Cluny[25]. Quant aux Chroniques de Saint-Denis, elles furent continuées par Gaguin et d'autres, qui d'ailleurs ne sont guère plus dignes de confiance que les précédents.

Louis XI avait donc chargé de l'office de chroniqueur Jean Castel ou Chastel, abbé de Saint-Maur-des-Fossés, et lui fit allouer deux cents livres de pension. Il ne parait pas qu'à l'exemple de son père, le roi se soit fait rendre compte année par année de la manière dont le récit de ses actions était présenté. Il n'en aurait pas eu le temps. Aussi Jean Castel étant mort vers 1478, ses papiers avaient été mis dans un coffre à deux clefs différentes et porté à Saint-Denis. Louis voulut savoir ce que les papiers étaient devenus, et empêcher qu'ils ne fussent égarés. Il donna l'ordre à l'abbé de Saint-Denis, à Mathieu de Nanterre, président du parlement, et à Jacques Louët, garde du trésor des chartres, de procéder à l'ouverture du coffre, d'en tirer ce qui regarde les chroniques de France, et de le lui envoyer ; puis de refermer les autres papiers sous les deux clefs, dont l'abbé de Saint-Denis aurait l'une et le chancelier l'autre. Comme Mathieu de Nanterre était malade et Louët absent, le parlement, sur la demande de l'abbé de Saint-Denis, nomma à leur place Thibaut Baillet et Pierre Framberge, maitre des requêtes, assistés de maitre Germain, commis au greffe de la cour, pour être présents à l'ouverture du coffre ; l'inventaire en fut fait par Jean Chartelier, notaire du parlement.

Après des mesures si bien prises, l'histoire se tait et l'on ne voit nulle trace de l'œuvre de Jean Castel. Si le roi eût été mécontent de ce travail, nul doute qu'il ne l'eût fait remplacer par un autre. Molinet lui-même estimait cette chronique. Ces récits contemporains existent, assure-t-on, dans celle de Jean de Troyes, dite, pour la forme, Chronique scandaleuse. Toutefois on ne peut s'expliquer une si mystérieuse disparition. C'est ainsi qu'échouèrent tous les efforts du roi pour faire constater la vérité des faits de son règne. S'il crut qu'en rétablissant la corporation des notaires royaux l'avenir lui rendrait justice, en cela, comme en tant d'autres circonstances de sa vie, il fut encore trop confiant ; ses ennemis ont prévalu.

Le roi avait formé en outre, pour l'instruction de son fils, un très-beau plan d'histoire. D'un côté il comptait sur le soin de Jean Castel à composer ses chroniques, de l'autre il songeait à les accompagner d'un traité « sur l'art de bien gouverner, de se conduire selon la loi et la justice, et de rendre les peuples heureux ». Ce traité, il le nomma Rozier des guerres : il le fit rédiger « par de bons et notables hommes, non-seulement doctes, mais propres au gouvernement d'un royaume[26] ». On croit qu'il y travailla beaucoup lui-même. Ce devait être le couronnement d'une histoire générale abrégée que le roi faisait écrire sous ses yeux pour l'instruction de son fils, sous le nom : d'Épitome des grandes chroniques de France. Ce résumé, dit historiai, est divisé en trois parties : la première traite brièvement de l'histoire du monde, depuis la création jusqu'à Pharamond ; la seconde, qu'il surveilla, passe en revue tous les faits et gestes dignes de mémoire des divers peuples et surtout des Français ; et le Rozier des guerres en était la troisième partie : seule elle nous reste.

Arrêtons-nous sur ce précieux résumé des devoirs d'un chef d'empire. A ce jeune et faible enfant, qu'il regrette tant de laisser sous le poids d'un si lourd fardeau, et qui ne pouvait rien savoir encore, non-seulement des langues anciennes, de la littérature, du droit, de l'histoire ni de la diplomatie, mais aussi de la vie humaine et de la manière de s'y conduire, il n'essayera pas d'exposer, ni même d'effleurer toutes les connaissances qu'il lui faudrait avoir ; mais il lui donnera des notions sur la justice, sur la morale dont chacun porte la règle en sa conscience, et sur les principes impérissables d'où se déduit l'art de régner selon la loi de Dieu et pour le progrès de l'humanité. Voilà ce qu'il entreprend dans ce gracieux compendium ; et il le fait, non sèchement, ni dogmatiquement, comme l'aurait pu concevoir la sagesse antique, mais avec toute la douceur de la piété chrétienne.

Dès le premier chapitre se voit le but du roi. « Parce que, y est-il dit, des choses qui sont sues et connues par expérience on sait mieux et à plus vrai parler que de celles qu'on ne connoît pas, après que nous avons contemplé et ramené à notre mémoire aucunes choses qui en notre temps sont advenues en notre royaume de France touchant le gouvernement, garde et défense d'iceluy, tant du vivant de notre feu père de bonne mémoire, le roi Charles VII — que Dieu absolve ! — que du nôtre ; et de plus, après que nous avons visité et comparé les choses advenues au temps de nos prédécesseurs rois de France, ainsi que les causes et dépendances d'iceux faits, comme les chroniques les rapportent ; désirant que ceux qui après nous viendront et règneront, spécialement notre cher et très-amé fils Charles, dauphin de Viennois, puissent bien profiter, régner et triompher, et à la fin paradis avoir, nous avons conçu le travail qui suit. »

L'histoire, en effet, est la leçon la plus directe de tous, surtout des rois. Louis XI le savait si bien qu'on lit dans le Rozier ces remarquables paroles : « La recordation des choses passées est moult profitable, tant pour se consoler, conseiller et réconforter contre les adversités, que pour esquiver les inconvénients auxquels les autres ont trébuché ; et pour s'animer à bien faire comme les meilleurs... Car, ajoute-t-il, ce est grand plaisir et bon passe-temps de réciter les choses passées ; de savoir comment, de quelle manière et en quel temps, sont advenues pertes, conquêtes et réductions de villes et de pays. »

Viennent ensuite de hautes considérations sur la justice et sur ce que le roi appelle le bien commun de la France : c'est ici particulièrement qu'il trace d'une main sûre les devoirs de la royauté, et que dans une rapide exposition il s'élève à la hauteur de Montesquieu. « Le monde, dit-il, enseigne ceux qui y demeurent par ceux qui en partent ; la mort est légère à celui qui est certain que bien après lui en adviendra.... La chose publique est bien au-dessus de l'intérêt particulier par lequel souvent le bien commun est empêché... Quand les rois et les princes n'ont égard à la loi, ils ôtent au peuple ce qu'ils eussent dû lui laisser, et ne lui baillent pas ce qu'ils eussent dû lui donner. Ce fait, ils rendent le peuple serf, et perdent le nom de roi ; car nul ne doit être appelé roi que celui qui règne sur des Francs. »

Ces mots, qu'on a voulu tourner contre Louis XI[27], renferment au contraire l'idée fondamentale de son règne et l'explication de tous ses actes. Quelle loi était possible, en effet, avec une aristocratie présomptueuse et ignorante qui se croyait tout permis et ramenait la décision de toute chose à la force ? Il fallait donc, à cette noblesse hautaine et indomptée, faire sentir le joug de l'autorité, pour qu'il y eût enfin une loi à laquelle tous, grands et petits, fussent également soumis. C'était là son but, et si pour successeurs il avait eu des hommes dignes de comprendre ses vues, peut-être n'aurait-on pas eu besoin au dix-septième siècle des rigueurs de Richelieu. A l'occasion de ses maximes on a dit encore[28] que ses théories valaient mieux que ses actes ; mais à bien examiner cette époque, on repousse cette censure ; et de l'étude même de ces actes, dont nous ne pouvons citer qu'une faible partie, ressort la preuve irréfragable de son incessante préoccupation des intérêts et de la grandeur de la France.

Enfin, en dernier lieu, le roi entretient son fils des choses de la guerre. Pour être bien accueilli des jeunes seigneurs à une époque de chevalerie, il fallait bien traiter du métier des armes. Cet abrégé renferme, en effet, de très-sages préceptes sur la formation d'une armée, sur les qualités nécessaires à celui qui la commande, sur la discipline et sur l'esprit d'obéissance qui convient au soldat, sans oublier de dire comment on doit parler aux troupes.

Tel est ce livre du Rozier des guerres qui, réuni aux chroniques pour servir à l'éducation du dauphin, devait être par lui étudié et médité lorsqu'il serait en âge de le faire avec fruit. C'était l'intention formelle du roi. Comment, lorsqu'on avoue que « rien n'est plus digne d'un loyal et vertueux prince que cet écrit, » peut-on dire que « le dauphin n'avait rien autour de lui qui pût lui élever le cœur, ni lui donner goût à devenir docte et sage[29] ? » Ces quelques pages, en effet, semblèrent au président d'Espagnet, « si riches en belles sentences, si remplies d'utiles instructions, et un manuel si digne d'un monarque, » qu'il ne crut pouvoir mieux faire que de rééditer en 1616 cette œuvre de Louis XI pour l'instruction du fils de Henri IV, alors âgé de quinze ans. Malheureusement celui pour qui elles furent d'abord écrites ne sut que faiblement en profiter, et séduit, malgré les avertissements paternels, par les flatteurs et les ambitieux, il se laissa entraîner aux plus dommageables entreprises.

Outre celles déjà connues, la France fit en cette année 1482 plusieurs pertes notables. Alors moururent Nicolas Bataille, très-habile jurisconsulte ; Martin Magistri, qui, bien que fils d'un boucher de Tours, s'était élevé par sa science, était devenu régent au collège primitif de Sainte-Barbe[30], puis confesseur et aumônier du roi, et d'autres nobles personnages. Alors on perdit encore Charles de Gaucourt, ancien lieutenant du roi à Paris, les archevêques de Narbonne et de Bourges, et dans les premiers jours de janvier 1482(3), le cardinal Guillaume d'Estouteville, archevêque de Rouen. Ces deuils ramenaient toujours les esprits sur l'état du roi et semblaient d'un triste présage. Lui-même ne se faisait point illusion et croyait qu'un miracle seul lui pouvait rendre la santé. Sachant sa confiance aux moyens surnaturels, le sieur de Moreul lui écrit de Soissons touchant un homme de sainte vie, nommé frère Bernardin, qui priera Dieu pour la prolongation de ses jours. Les religieux de Charroux offrent de lui porter le morceau de la vraie croix qu'ils gardent précieusement : l'abbé du Mont Saint-Michel envoie, avec l'acte de la fondation de son monastère, une mention des faits miraculeux qui s'y sont opérés. Le 22 décembre le roi fonde une messe pour chaque semaine devant Notre-Dame de Cléry. Dans le même mois on le voit accorder de nouveaux revenus à l'église de Saint-Denis, et l'exemption de taille aux habitants de la ville ; puis, le 27, par une mesure générale, confirmer les privilèges octroyés à diverses cités.

Cependant, à Arras, les plénipotentiaires finissaient par s'entendre après de longs débats. Le 4 décembre, le roi avait donné des instructions définitives et ses pleins pouvoirs aux quatre délégués français. Il aurait bien désiré la conservation de l'Artois et de la Franche-Comté par droit de dévolution et de conquête ; mais les Flamands ne voulurent laisser ces pays au roi, aussi bien que les seigneuries de Mâcon, d'Auxerre, de Salins, de Bar-sur-Seine et de Noyers, que comme dot de Marguerite, en sorte que, si le mariage n'avait pas lieu, ou si mademoiselle Marguerite mourait sans enfants, il y eût retour de toute cette dot à l'archiduc Maximilien ou à son fils Philippe. La France réclamait à bon droit Lille, Douay et Orchies, cédées par Charles V sous condition de retour. Il n'y fut point non plus consenti. Sans doute une nouvelle et vigoureuse campagne eût assuré ces provinces au roi ; peut-être le pensait-il ainsi lui-même ; mais, dans l'état où il était, il ne pouvait léguer à son fils enfant les embarras d'une pareille guerre ni compromettre les annexions déjà faites. Voilà pourquoi le roi céda. La seconde paix d'Arras fut donc enfin conclue la veille de Noël.

Édouard IV devait-il bien compter sur la promesse d'alliance avancée à Pecquigny ? Lui-même n'avait-il pas plus d'une fois rompu ce pacte par ses traités avec François II et avec Maximilien ? Le projet actuel de mariage ne pouvait donc beaucoup le surprendre ni le blesser profondément. Il semble même qu'il eût un peu perdu le droit d'être très-susceptible ; car, excepté quelques rares exceptions, lorsqu'il désire la paix par exemple, où il appelle le roi son très-cher parent et son confrère, toujours il le qualifie d'adversaire Louis de France et prend pour lui-même le titre de roi d'Angleterre et de France. Quoiqu'on ait année par année les quittances de l'annuité que Louis XI lui avait promis à Pecquigny, il ne se gênait guère d'envoyer de temps à autre des secours à ses alliés, comme on l'a vu à Guinegatte. Enfin, bien qu'à Londres la princesse Élisabeth se fit appeler dauphine, on savait que Louis agréait peu ce mariage anglais, et qu’il n'y avait pas encore en d'engagement bien formel. D'ailleurs cette nouvelle paix d'Arras n'était point obtenue sans quelques sacrifices. En voici la teneur :

« Le dauphin épousera mademoiselle Marguerite, qui sera immédiatement conduite à Franchise et remise au sire de Beaujeu, ou à tout autre délégué du roi, pour être élevée à la cour de France comme dauphine, comtesse d'Artois et de Bourgogne ; le roi jurera sur la vraie croix que, l'âge venu, le dauphin l'épousera ; la dot de la princesse sera l'Artois, la comté de. Bourgogne, les seigneuries de Mâconnais, Auxerrois, Salins, Bar-sur-Seine et Noyers ; faute d'enfants de ce mariage, ces terres retourneront.au duc Philippe et à ses hoirs ; le roi, qui est en possession de ces pays, admet qu'ils soient patrimoine de la princesse ; il pourra retenir les comtés d'Artois et de Bourgogne jusqu'à ce que les villes de Lille, Douai et Orchies lui aient été rendues ; ces pays seront gouvernés au nom du dauphin et de la princesse ; le château et le bailliage de Saint-Omer ne seront remis au dauphin qu'après la consommation du mariage ; pendant la minorité les officiers de Saint-Omer seront nommés par l'archiduc et institués par le dauphin ; si la princesse décède avant le dauphin, cette contrée passera sous l'obéissance de l'archiduc et de son fils.

« Le remboursement des emprunts qui ont été faits et des pensions inscrites et dues est assuré. Le roi promet à cet égard de tout faire pour le mieux. Moyennant ce partage fait à la princesse, le roi et le dauphin renoncent pour elle à tout ce qu'elle pourrait prétendre des biens de la duchesse sa mère ; son douaire sera de 50.000 livres de rente assignées sur le bois de Vincennes.. A cause de ce mariage, le roi ni le dauphin ne pourront, pendant la minorité du duc Philippe, prétendre au gouvernement de la Flandre et du Brabant, Si le duc Philippe meurt sans enfants, les droits de Marguerite sur les pays de son héritage sont reconnus. Dans le cas où le dauphin hériterait de ces États, le roi et le dauphin jureront de les entretenir dans leurs anciens droits, coutumes, libertés et franchises ; de ne point assujettir au parlement de Paris les pays qui n'y sont pas sujets actuellement ; ces pays promettent aussi de s'entr'aider, de reconnaître la souveraineté du roi et le ressort en la comté de Flandre, et que le duc, dès qu'il sera en âge, en fera foi et hommage au roi ; enfin le roi confirme les privilèges anciens et nouveaux accordés aux trois membres de Flandre.

« A l'égard du transit des marchandises et des trois villes de Lille, Douai et Orchies, il en sera comme du temps du duc Philippe le Bon. Leurs appellations seront portées en la chambre de Flandre et de là au parlement. La duchesse douairière rentrera dans les biens de son douaire et dans ses pensions. Elle recevra 20.000 écus pour rachat de ce qu'elle possédait en Bourgogne. Il sera accordé de part et d'autre une abolition pour tous ceux qui auront tenu le parti contraire. Ceux dont les biens auront été vendus pour dettes y rentreront en payant ce qu'ils devaient. Les héritiers rentreront dans les biens de leurs parents, ceux-ci fussent-ils morts dans le parti contraire, mais ne réclameront point pour dommages ni intérêts. Les héritiers du connétable et de Philippe de Croy jouiront du bénéfice de la paix : mais pour rentrer dans leurs biens, ils se pourvoiront devant le roi. Le roi se réserve de prononcer sur les grandes donations faites en dernier lieu en Bourgogne par la duchesse Marie. On sollicite en faveur du comte de Romont ; le roi emploiera tous ses bons offices pour qu'il retourne en ses terres, Les princes d'Orange, le comte de Joigny, Liépard de Châlon, Guillaume de Beaune, Claude de Toulongeon, l'abbé et les religieux d'Anchin, et ceux de Saint-Waast rentreront dans leurs biens en quelques lieux qu'ils soient situés. — Il n'est fait, on le voit, nulle mention du sire de Comines, tandis qu'aucun des anciens fauteurs du parti bourguignon n'est omis. —

« Les gens d'Arras, retirés dans les pays de l'archiduc, pourront retourner chez eux sans crainte d'être inquiétés. Les parents et héritiers de ceux qui ont été exécutés comme étant du parti contraire, pourvu que ces exécutions ne proviennent pas de causes particulières et n'aient pas été prononcées par les juges ordinaires, succéderont et jouiront de leurs droits sans être tenus de résider dans leurs terres.

« Les villes de Bapaume, Arras, Aire, Lens et Béthune, qui ont tant souffert, seront exemptes de toute aide pour six ans ; on remet aux villages de l'Artois ce qu'ils doivent d'arrérages ; le roi confirme les privilèges donnés à Douai par la duchesse douairière. Les sentences du grand conseil des ducs Philippe et Charles, de la duchesse et de Maximilien à la cour de Malines, seront exécutées, pourvu que les droits du roi n'y soient point intéressés ou que l'affaire ne soit déjà devant le parlement : mais tous les procès concernant le pays d'Artois et les villes de la Somme, qui ont été portés au grand conseil de Flandre ou à la cour de Malines, seront renvoyés au parlement pour y être définitivement jugés ; les amortissements, compositions, anoblissements accordés par les ducs et duchesses sortiront leur effet en prenant nouvelles lettres du roi, lesquelles seront accordées sans finance ; il en sera de même des abolitions et rémissions, et aussi pour les communautés et pour les particuliers des pays de Flandre et des comtés d'Artois et de Bourgogne ; les bénéfices en possession paisible ne pourront être troublés sous prétexte des privilèges des universités ni autrement ; les villes et bailliages de Tournay, Saint-Amand, Mortagne, seront compris en cette paix et traités comme sujets du roi ; ce que le roi possède ou a donné dans le Luxembourg sera rendu au duc d'Autriche, et aussi les maisons de Flandre et de Conflans[31] situées à Paris ; la maison d'Artois demeurera à la princesse Marguerite : quant à Château-Belin et Orgelet, donnés à Jean de Châlon par la duchesse Marie, les princes et princesses de la maison de Châlon auront à s'adresser au roi.

« Pour la facilité du commerce, le roi retirera ses troupes de Lens et de l'Écluse ; il diminuera les garnisons d'Arras, Béthune, Hesdin et autres lieux considérables. Accordera-t-on aux députés flamands qu'Édouard IV et François II soient compris dans ce traité ? Cela ne se peut, puisqu'avec l'Angleterre et la Bretagne on a des trêves qu'on veut entretenir. Le roi ayant été prié d'abandonner Guillaume de la Marck, qui faisait la guerre au Brabant, il fut nettement répondu que, la paix étant faite, le roi assisterait le duc et ses États contre quiconque les voudrait attaquer. Des deux parts on travaillera à rendre la mer libre. Il y aura garantie réciproque de sûre navigation dans les ports et fleuves des deux pays. On se donnera une mutuelle assistance. Il y aura extradition des malfaiteurs dès qu'elle sera demandée. Si de part ou d'autre on contrevient à cette paix, les torts seront immédiatement réparés. On n'en viendra point aux voies de fait ; on tentera d'abord toutes les voies d'accommodement. Le roi et le duc réservent tous les droits dont il n'est point fait mention. Ils pourront les poursuivre par justice, non autrement. »

On alla de bonne foi, en effet, au-devant des difficultés. Le ressort et le service militaire étaient deux grands embarras de la féodalité. Les juridictions des seigneurs se trouvaient rarement d'accord avec celles des évêchés, abbayes ou chapitres, ou des villes ou communautés. Il naissait de là beaucoup de complications, de conflits et de retards, d'où résultait souvent l'évasion ou l'impunité du coupable. Ces points furent soigneusement réglés. Qu'un vassal possédât plusieurs fiefs en des lieux éloignés l'un de l'autre, il devait le service à ses seigneurs ; mais ces seigneurs mêmes pouvaient être en guerre l'un avec l'autre : alors à qui obéir ? Il fut donc dit que ceux qui avaient des fiefs à la fois en France et dans les États des ducs ne devaient pas à ceux-ci le service personnel. On convint également que, si le mariage ne s'accomplissait pas, le roi ou le dauphin ferait conduire honorablement la princesse jusqu'à une ville de Flandre, et que toutes les terres constituant sa dot seraient rendues au duc, la souveraineté seule de ces pays étant réservée au roi.

A ce traité, outre le sceau du roi, durent être apposés les scellés des ducs d'Orléans et de Bourbon, du cardinal son frère, des comtes d'Angoulême, de Nevers et de Vendôme, du sire de Beaujeu, des comtes princes du sang subrogés au lieu des pairs, du duc-archevêque de Reims, des évêques ducs de Laon et de Langres, des évêques-comtes de Noyon, de Châlons et de Beauvais, pairs ecclésiastiques, de l'université de Paris, des villes et communautés de la capitale, de Rouen, Orléans, Lyon, Troyes, Poitiers, Toulouse, Reims, Amiens et autres cités ; des prélats et nobles des comtés d'Artois et de Bourgogne. Il était dit aussi que les trois états du royaume s'obligeraient à entretenir le traité, engagement qui fut pris en effet par les pays du nord, de l'ouest, du centre, du midi, et par les pays d'élection[32]. On croit voir là une preuve que « les états provinciaux avaient alors un caractère de permanence et de régularité[33] ». Ces princes, pairs, villes et seigneurs s'engageaient à appuyer le traité, à en soutenir l'exécution, à ne former jamais d'autres prétentions, promettant que si, faute d'hoirs issus du duc Philippe, les pays de Brabant, Flandre, Hainaut, Hollande, Zélande, venaient à la princesse ou à ses descendants, ils seraient tenus dans leurs anciens droits et coutumes. D'autre part l'archiduc et les états de ses pays promettent de donner les mêmes sûretés.

Quand on considère les troubles qui suivirent la mort du roi, dès lors facile à prévoir, il est certain que ce traité fut de sa part une œuvre de haute prévoyance. Il se résigne à la perte possible de quelques provinces, il est vrai ; mais il fait en sorte que l'esprit français y pénètre de plus en plus ; il indique à ses successeurs le légitime agrandissement qu'ils doivent poursuivre. Après avoir fixé notre frontière du sud aux Pyrénées, il leur montre à l'est notre limite naturelle du Rhin et des Alpes. Sans doute, les adversaires du roi trouvaient dans les conditions de ce traité tous les avantages qu'ils pouvaient espérer ; mais la France n'avait point à s'en plaindre. Elle respirait enfin ; et après une si longue lutté, malgré tant de sacrifices qu'elle jugea utiles lorsqu'ils lui furent demandés, elle se voyait plus grande, plus respectée, plus forte que jamais, et dans la sûre voie pour atteindre encore à une plus grande prospérité. C'était à cela qu'aboutissaient les incessantes sollicitudes du roi. Là était sa suprême consolation.

 

 

 



[1] Une chronique citée par Legrand.

[2] Comines.

[3] Barante.

[4] Olivier de la Marche.

[5] Legrand.

[6] Ms. Béthune, n° 2907, p. 28.

[7] Barante.

[8] Garnier.

[9] Legrand.

[10] Épître XVIIe, p. 12.

[11] Comines.

[12] Pièces de Legrand.

[13] Legrand.

[14] Ms. de Béthune, n° 2097.

[15] Legrand.

[16] De Cherrier, Histoire de Charles VIII.

[17] Pièces historiques de Legrand.

[18] Comines.

[19] Legrand.

[20] Ms. n° 2907.

[21] Cherrier.

[22] Legrand.

[23] Chronique de Charles VII par Jean Chartier, publiée par M. Vallet de Viriville,1858, Bibliothèque elzévirienne, t. III, p. 30.

[24] M. Vallet de Viriville

[25] M. Vallet de Viriville

[26] Barante.

[27] Barante.

[28] Barante.

[29] Barante.

[30] Félibien.

[31] Legrand.

[32] Comines.

[33] M. Laferrière.