Mort de Marie de
Bourgogne. — Louis à Lyon règle les affaires de Savoie. — Relations avec
Rome. — Retour du roi en Touraine. — Pacifique députation de Flandre. — Actes
du roi en 1482. — Guillaume d'Aremberg. — Bonne de Savoie et Ludovic le More.
— Affaire du Valentinois et du Diois. — Réplique aux remontrances d'Hélie de
Bourdeilles. — Solennelles instructions de Louis XI à son fils. — Serment
écrit du duc d'Orléans. On négocie enfin avec la Flandre. — Le roi s'efforce
de protéger le chancelier Chauvin. — Politique française en Navarre. — Les
chroniques de France et le Rozier des guerres. — Seconde paix d'Arras.
Tandis
que Louis XI était à Beaujeu, il apprit la mort inattendue de Marie de
Bourgogne. C'était assurément un grand événement politique. Le roi reçut-il
vraiment cette nouvelle avec joie, ainsi que le rapporte le sire de Comines ?
Celui-ci, fort mal vu de cette maison, a bien pu peut-être exagérer les
moindres apparences. Le roi, qui se sentait mourir d'un mal inexpliqué,
pouvait-il ne pas faire un retour sur lui-même ? Toutefois, dans son désir
d'avoir la paix, il entrevit sans doute une chance de plus de l'obtenir. Cette
princesse, si jeune encore, était loin d'avoir eu un bonheur égal à sa
fortune. Héritière des fautes paternelles, elle les avait aggravées par son
inaptitude aux affaires et en prêtant l'oreille à de perfides conseils. Si
depuis son mariage elle avait regagné quelque affection dans le cœur de ses
sujets, ce n'était que par opposition aux sentiments de peu d'estime qu'on
gardait à son époux. Le 2 septembre la duchesse avait eu un second fils qui
ne vécut que peu de mois. Après ses relevailles, elle était allée à Mons
auprès de la princesse de Hainaut ; puis, le 21 novembre, elle vint faire une
entrée solennelle à Valenciennes[1] : là, près des frontières, elle
put voir de ses yeux le désastre de la guerre. Étant revenue passer le carême
à Bruges avec le duc, elle voulut se donner le plaisir de la chasse au vol :
sa haquenée était mal sanglée ; elle tomba de cheval et se blessa très-grièvement,
sans vouloir, dit-on, en rien dire à son époux. Elle en mourut trois semaines
après, le 27 mars 1482, à deux heures dans la journée. Maximilien
en eut un profond chagrin. « C'était un grand dommage pour ses sujets et
partisans, car les peuples l'avoient en plus grande révérence que son mari[2]. » L'archiduc le savait
bien ; mais il allait bientôt en recevoir encore de nouvelles preuves. Il
inspirait, en effet, si peu de confiance, que le 2 mai les états de Flandre,
le jugeant incapable de se conduire, le privèrent de la tutelle de ses deux
enfants, Philippe et Marguerite, et voulurent qu'ils fussent élevés sous les
yeux des Gantois. Or, pour éviter une semblable décision de la part des états
de Brabant, l'archiduc « fait prendre et mettre à mort quelques-uns des
bourgeois les plus considérables qui lui étaient contraires, tous hommes
sages et amis de leur pays[3] ». Cet acte d'horrible tyrannie
acheva de le perdre dans l'esprit de ses peuples. Les états de Brabant lui
confièrent la tutelle de leur propre autorité, se réservant de la lui retirer
à leur bon plaisir. Touchant la garde des deux enfants, « les Gantois,
dit-on, faisoient pratique de les avoir en leurs mains, (et pour cela
s'adressèrent à aucuns d'entour le prince ; et tant pratiquèrent qu'il fut
ordonné que chaque pays auroit les enfants en leurs mains chacun quatre mois,
et furent menés les nobles enfants à Gand pour les quatre premiers mois ;
mais quand on les demanda aux Gantois pour les mener en Brabant, ils
refusèrent et dirent qu'ils avoient privilèges de gouverner les enfants du
prince en leur jeunesse[4] ». Louis, ajoute la
chronique de Flandre, qui connaissait les Gantois « enclins à nuire et à
division contre cette maison de Bourgogne, vit avec plaisir qu'ils gardoient
les deux enfants, et dès l'heure commença à les pratiquer par le sire de Querdes ».
Parmi ceux qu'on désigne alors comme pensionnaires du roi et tenant son parti
en cette ville étaient l'échevin Guillaume Rim et le chaussetier Jean
Capenole, doyen des métiers, tous deux hommes fort judicieux. Ce fut à eux,
dit-on, qu'il s'adressa. Cependant
le roi s'était rendu de Beaujeu à Lyon. Les affaires de Savoie l'y
appelaient. A la nouvelle de la mort du jeune duc Philibert, il avait mandé
auprès de lui les deux autres princes de Savoie que, pour plus de sûreté, il
gardait à Châteaurenault sous la surveillance de Dunois II. Il fit
reconnaître rainé, Charles, âgé de quatorze ans, pour duc de Savoie, se
déclara son tuteur, et chargea Jean-Louis de Savoie, évêque de Genève, du
gouvernement de ses États. Comme Philippe de Savoie, oncle aussi du jeune
prince, paraissait tenir à l'administration du Piémont, le roi s'y opposa,
par cette raison qu'il était trop rapproché de la ligne de succession ;
circonstance remarquable qui devait bientôt se reproduire pour le trône de
France. Selon quelques-uns, Philippe n'aurait renoncé à ses prétentions que
sur la nouvelle que les troupes du roi s'avançaient pour faire respecter
l'autorité du duc Charles dans tout le duché. On disait même que le sire de
Baudricourt et du Lau, sénéchal de Beaucaire, étaient entrés en campagne.
Toujours est-il que le comte de Bresse dut se résigner à ne conserver aucune
autorité dans le duché ; ce qui le décida, dit-on, à voyager en Allemagne. Le
roi ôtait ainsi aux deux oncles tout sujet de jalousie et de rivalité ;
c'était assurer la tranquillité du pays. A peu
de temps de là, Charlotte, reine de Chypre et veuve de Louis de Savoie, bien
que détrônée par son frère naturel, céda au jeune duc Charles et à ses
successeurs, le 28 juillet 1482, sa royauté nominale de Chypre et de
Jérusalem, titre que les ducs de Savoie ont porté jusqu'à nos jours. Bientôt
après, cette reine, si éprouvée de la fortune, se retirait à Rome. La
Provence, quoique pacifiée, laissait percer parfois encore de légères
velléités d'agitation. L'archevêque d'Arles, mécontent de quelque entreprise
du viguier Boniface de Castellane, avait mis l'interdit sur la ville[5]. Sollicité par les habitants,
le gouverneur Palamède de Forbin intervint et obtint du prélat que les
censures fussent levées. Toutefois la population s'émut de ce que ledit
interdit était suspendu, mais non pas supprimé. Il fut question aussi de
réunir l'abbaye de Montmayor, voisine d'Arles, à celle de Saint-Antoine de
Viennois. La première, dit-on, avait été fondée par Charlemagne ; mais la
différence des ordres et des deux règles suscitait de nombreux obstacles.
Malgré son désir le roi dut ajourner la solution de certaines difficultés. A Lyon
encore l'attention du roi se porta sur l'Italie. On sait déjà tous ses soins
à complaire au saint-père, les honneurs rendus en France au cardinal Julien
de la Rovère et la liberté accordée aux évêques Balue et d'Harancourt. Au
sujet de ce dernier, comme le roi ne trouvait pas à propos qu'il revînt à
Verdun, le pape le nomma évêque de Vintimille, puis archevêque d'Amalfi, dont
le titulaire, de la maison des Nicollini de Florence, passa à Verdun. En
quittant la France, maître d'Harancourt eut à prêter serment de ne jamais
rien entreprendre contre la personne, la famille et les États du roi, serment
qu'il dut renouveler entre les mains du pape. Pour
terminer enfin certaines affaires personnelles et autres, Louis envoya à
Rome, vers ce temps, le sire de Rochechouart et maître Rabot. Le saint-père
s'empressa de condescendre aux désirs du roi. Il chargea donc trois prélats
et le doyen de Noyon d'absoudre Louis XI, s'il le demandait, d'avoir ainsi
retenu un cardinal et des évêques. Il lui accorda la permission de ne plus
faire maigre, lui recommanda de prendre grand soin de sa santé, et il décréta
des indulgences pour ceux qui viendraient à Notre-Dame del Popolo unir pour
lui leurs prières à celles qu'il y avait ordonnées. En
congédiant en mai les députés français, il manifeste encore son intention de
nommer le dauphin gonfalonier, et de lui envoyer une épée bénite de sa main.
Enfin rien n'est omis pour bien disposer le roi ; et ce n'était pas tout à
fait sans motif : l'Italie ne cessait d'être en guerre ; alors même Ferdinand
de Naples, uni à Ludovic-le-More, le tyran de Milan, venait de former une
ligue contre Rome. Le pape espérait décider le roi à intervenir en cette
affaire. Forcé bientôt de faire alliance avec les Vénitiens pour se défendre,
il envoie à son tour en France un nonce, nommé Raymond Pérard, à l'effet de
prier le roi de prendre la défense du Saint-Siège ou tout au moins d'écrire à
Ferdinand de Naples. « Il insinue même que le midi de l'Italie, instruit des droits
du roi, recevrait les Français avec enthousiasme. » Ainsi cette investiture,
tant sollicitée par Louis XI, et refusée à vingt ans de là, on l'offrait
maintenant. Mais c'en était fait des espérances de la maison d'Anjou et ce
n'était pas à Louis XI qu'on pouvait persuader une telle politique. On se
demande comment Sixte IV ne crut pas nuire à sa requête en faisant
accompagner ses propositions d'une lettre écrite sous l'anneau du pêcheur[6] dans laquelle il faisait
l'éloge de maître Balue et le proposait pour légat ! On ne se hasarda
toutefois à l'envoyer qu'après la mort du roi. Louis
XI revint lentement : le 4 juin il arriva à Notre-Dame de Cléry et s'y reposa
quelques jours. Pendant son absence était morte, au commencement de mai, sa
sœur, Madame Jeanne de France, duchesse de Bourbon, femme remarquable, à
laquelle on devait en grande partie la pacification qui précéda Montlhéry.
Selon la chronique, « cette noble dame fut fort plorée et lamentée tant
par son époux, par ses serviteurs et gens du pays que par tous autres du
royaume qui l'avoient vue et connue, pour les grandes vertus et qualités qui
étoient en elle ». Les registres du parlement nous apprennent que cette
cour, pour certains motifs et surtout à cause de la mort de la duchesse,
prolongea de trois jours d'abord le délai accordé au duc de Bourbon pour
consigner au greffe les arrérages de ce qu'il devait, afin que lesdites
sommes fussent distribuées à ses créanciers selon l'ordre de priorité, puis
porta ce délai à trois semaines, avec cette clause « sans plus y revenir ».
Ainsi ces grands seigneurs avaient des dettes, souvent énormes ; et même
parfois les payaient mal. De
Cléry le roi alla à Meung-sur-Loire. Pendant quelque temps il partagea ses
jours entre cette ville et un petit lieu assez voisin, nommé
Saint-Laurent-des-Eaux. C'est là que vinrent le trouver, dans l'espoir de
hâter la paix, les députés des états de Flandre et surtout des Gantois. Leur
langage était des plus pacifiques. « Ils savaient, disaient-ils,
l'inclination de Maximilien pour l'Angleterre ; mais ils voulaient bien
donner la préférence au roi de France. Comme moyen de solution ils indiquaient
le mariage de mademoiselle Marguerite d'Autriche et du dauphin. Plus tard, en
effet, de grandes provinces pouvaient ainsi être réunies à la couronne. Il se
pourrait d'ailleurs qu'en continuant la guerre le roi mécontentât les états
de ses pays qui déjà avaient tant souffert. » Par ses
émissaires à Gand et en particulier par un gentilhomme dit Herman de Liesse
ou Wliestedt, que Guillaume de Clugny, dès le mois de mai, avait réussi à
faire passer en cette ville mal-. gré les difficultés de l'état de guerre, le
roi savait ce qu'on y pensait et disait. Or les rapports reçus paraissant
confirmer le langage tenu par les députés gantois, le roi n'hésita pas à
exprimer à ceux-ci le vif désir qu'il avait aussi d'une bonne et solide paix.
Dès lors il en conçut une ferme espérance. Il fit accompagner les
ambassadeurs à Paris par Blosset, sire de Saint-Pierre, afin qu'ils y fussent
très-honorablement traités. Toute facilité leur fut donnée de visiter l'armée
du sire de Querdes. Ils durent être d'autant plus frappés de l'ordre et de la
tranquillité dont ils étaient les témoins, qu'ils n'avaient rien de pareil
chez eux, où tout allait au plus mal et où nulle armée n'eût pu se mettre en
campagne. Dans
les derniers temps la trêve n'offrait plus aucune garantie de sécurité, tant
elle avait été violée des deux côtés, et surtout par les Flamands. Des bandes
d'aventuriers avaient reparu : plus de communications libres. Depuis
longtemps les grandes villes industrielles de Flandre, surchargées d'impôts,
languissaient faute de commerce. Elles souhaitaient donc vivement la paix et-
n'avaient nul besoin que ce désir leur fût suggéré, comme on l'a dit[7], par de secrètes pratiques.
Comment, d'ailleurs, reprocher à Louis XI d'avoir cherché à faire prévaloir
l'idée de la paix ? A bien examiner les choses, lorsqu'au milieu des troubles
le premier magistrat de la ville de Gand avait été assassiné sur le soupçon
d'être favorable à la France, que Maximilien était hautement cru l'auteur du
meurtre[8] et que l'empereur ne faisait
rien, il semble que le roi eût rendu son ennemi moins exigeant si, au lieu de
paraître tant désirer la paix, il eût fait avancer son armée. La
situation de l'archiduc empirait chaque jour. Tous les esprits les plus
éminents, hommes de guerre, conseillers ou magistrats, abandonnaient son
service et lui préféraient la France. On goûtait peu, avec raison, ces
intérêts plus allemands que nationaux. A peine restait-il à Maximilien
quelques fidèles serviteurs, tels que le sire de Beveren, de
Sainte-Aldegonde, le commandant de Gravelines, le comte de Romont, les sires
de Nassau et de Bréda. De plus des dissensions intestines déchiraient ses
États de Hollande, de Frise et de Gueldres. Entre les Cabillauds, ses
partisans, et les Roeks, ses ennemis, les haines n'étaient pas éteintes, et
le duc de Clèves, ainsi que d'autres gentilshommes, pouvaient, à la moindre
occasion, s'unir à ses adversaires. La
trêve était expirée le 30 juin. Le roi songea d'abord sinon à posséder, du
moins à neutraliser les villes d'Aire et de Saint-Omer. Il avait donc chargé
un mandataire, nommé Denis Giresmo, de traiter cette affaire[9], et celui-ci, agissant de
concert avec un sieur Dumaigne, était en pourparlers avec les sires de
Beuvres et de Coupigny qui défendaient les intérêts flamands, lorsque, selon
Molinet, le marché fut conclu avec Jean de Cohen, commandant d'Aire, pour
30.000 écus comptant et une compagnie de cent lances. Toutefois, pour couvrir
cette transaction, les maréchaux de Querdes et de Gié assiégèrent la ville le
21 juillet avec une forte armée, et au bout de huit jours elle se rendit
lorsqu'elle semblait ne plus pouvoir tenir. Au surplus les hommes
capitulaient aussi bien que les villes. La chronique ne cite-t-elle pas un
nommé La Mouche qui, voulant passer au service du roi, demandait pour cela à
l'archidiacre de Lyon 13.000 écus comptant, attendu qu'il avait par-delà une
pension de douze cents livres et un honnête office rapportant chaque jour
vingt écus d'or ! C'était ainsi au plus offrant. Loin de
se laisser abattre par la souffrance, le roi puisait dans le mal physique une
plus grande énergie morale. Comme avant, chacun de ses jours est marqué de
quelque action vraiment royale. De Cléry, 18 juin, il fait don des droits des
francs fiefs au comte de Nevers. Trois jours après, à la place du sire de
Forbin qu'il décharge de ses fonctions, il nomme gouverneur du Dauphiné
Jacques de Miolans, « son féal conseiller, à cause de ses sens, noblesse
et loyauté bien connus ». S'il les pardonne quelquefois il ne tolère aucun
acte de désordre : ainsi, sers ce temps, les gouverneurs de Provence et de
Bourgogne s'empressent de l'informer que, de- ces deux provinces, tous
brigands ont fui et ont passé la frontière. Le sire de Baudricourt ajoute « qu'il
livre à Georges de Coquilleray, prévôt des maréchaux, les prisonniers qui
auront prêté serment à Arras ». Bientôt ce dernier lui-même mande au
roi, de Châlons, que les soldats qui traversent la Champagne sont soumis à
une sévère discipline ; que tout y est respecté, les propriétés aussi bien
que les personnes. Le 26 juin, de Cléry encore, il recommande au parlement
l'affaire de la duchesse de Sommerset : le 6 juillet l'évêque de Saint-Flour,
qui a obtenu sa grâce et la restitution de ses biens, fait au roi un nouveau
serment de fidélité. Lorsqu’enfin, le 27 de ce même mois, Olivier le Daim
écrit au parlement afin d'obtenir que Nicolas Rousselin, nommé à l'office
d'huissier près cette cour, soit agréé en cette qualité, en cela il se rend
l'interprète du roi qui tient à ce choix ; s'il y parle d'argent reçu, ce
qu'on a remarqué, ce ne peut être que la caution exigée pour ladite charge. Cette
année avait été des plus calamiteuses. Une épidémie s'était jointe à la
famine, et la mortalité fut grande. Le vin et les céréales avaient également
fait défaut. Le 15 août 1482, François Hailé avertit le sire du Bouchage que
la disette des grains est bien près de faire naître une sédition des
étudiants, et que le peuple murmure. A cette époque l'échevinage réglait le
prix du blé. L'usage en était reçu et d'ancienne date. Les lois économiques
et nécessaires de l'offre et de la demande sur la valeur des denrées étaient
inconnues. Dans les temps ordinaires une mercuriale suffisait à faire baisser
les prix. Le roi fit donc une ordonnance, non-seulement pour défendre
l'exportation, mais aussi pour réglementer le mode de vente et le prix du
blé. Cette mesure produisit un effet tout contraire à ce qu'on en espérait :
le blé ne vint plus au marché. Il fut fait au roi de vives représentations.
Le parlement, qui n'avait pas enregistré l'édit, ne ménagea pas ses
remontrances. Le roi, qui toujours avait incliné pour la liberté commerciale
la plus étendue, fut aisément persuadé, et retira son ordonnance, montrant
ainsi qu'en toute chose il déférait à la raison. Faut-il
s'étonner de cette erreur commise au quinzième siècle ? N'a-t-on pas vu, à la
fin du dix-huitième, le gouvernement d'alors, en dépit de l'expérience du
passé et de cinquante ans d'études économiques, et après les leçons des
Quesnay et des Adam Smith, décréter un maximum ? Il ne nous appartient donc
point d'être sévères envers nos devanciers. Par ces
oppositions, la cour souveraine remplissait un devoir. Le roi le savait ; et
s'il souffrait parfois de ces résistances, il savait en apprécier le bon
côté. D'ailleurs les magistrats qui en donnaient le premier exemple,
n'était-ce pas lui qui les avait nommés ? Depuis peu encore, lorsqu'il s'est
agi de désigner un premier président à la place de feu Jean Le Boulanger,
n'a-t-il pas appelé à ce haut office maître Jean de La Vacquerie, ce
magistrat dont l'intégrité et les lumières sont restées proverbiales ? Louis
XI avait donc choisi pour ces nobles fonctions des hommes de savoir et de
conscience, non des complaisants toujours faciles à trouver ; et lorsque,
dans l'intérêt de ses sujets, de la couronne et de sa personne, ils
s'opposaient à une mesure, ils ne s'éloignaient point des intentions du roi,
ils atteignaient le but formel de leur institution, car le roi voulait
surtout justice pour tous. Aux
mauvaises récoltes s'étaient jointes de grandes inondations. La rivière de
Bièvre avait débordé et presque détruit le faubourg Saint-Marceau. Les rives
de la Loire offraient un aspect lamentable, tant il y avait eu de ravages
faits par les eaux. Dès son arrivée Louis fut frappé de toutes ces misères,
et par lettres patentes de Meung-sur-Loire, en juillet, il exempta de
subsides pour un long temps les paroisses les plus éprouvées : même en août
et en septembre il étendit cette exemption à un plus grand nombre de
localités riveraines, telles que Langeais, l'île de la Bastide, Saint-Lambert
et autres : toutefois il n'accorda ce privilège qu'à condition que les
habitants relèveraient si bien leurs digues que désormais elles fussent à
l'épreuve de toute rupture. On ne
le voit négliger aucunes demandes de quelque urgence, mais au contraire y
donner une prompte satisfaction. En juillet, de Saint-Laurent-des-Eaux,
répondant au sire de la Tour, vicomte de Turenne, il lui accorde, comme à
tant d'autres, les foires qu'il désire pour Sainte-Espérie, et prononce le
transfert du bailliage de Saint-Pierre le Moustier à Cusset ; en août, il
trace une suite de règlements pour les notaires de Lyon, afin que dans les
actes, les états des personnes, les noms et les lieux soient préservés de
toute confusion. Plusieurs lettres sont écrites de sa main à messieurs des
comptes, pour confirmation de concessions qu'il a cru devoir faire. Dans ce
même temps il accorde les droits de haute, moyenne et basse justice sur
Roissy à maître Raoul Juvénal des Ursins, « son arné et féal conseiller »
; il met cette seigneurie dans le ressort de la prévôté de Paris, et il
presse l'exécution de cette mesure. Jamais
Louis XI ne laisse échapper l'occasion de manifester pour la religion et pour
l'Église sa pieuse sollicitude. Le 20 juillet il écrit au parlement pour
hâter l'entérinement de ses lettres aux religieux de Saint-Jean de Jérusalem
; le 30 encore, de Saint-Laurent-des-Eaux, pour la fondation d'une collégiale
à Saint-Gilles en Cotentin, où repose le saint, et d'une autre aussi à
Tarascon. Ce même mois on le voit instituer à Coutances une collégiale
singulière, pourvoir à l'exercice à venir de cette communauté et y fonder des
messes par reconnaissance des grâces obtenues pour lui et les siens. Le 31
août, il informe l'abbaye de Bénévent près Limoges que, suivant son désir,
elle est exempte de l'ordinaire par concession de Sixte IV ; de Cléry, en
septembre, il fait don au baron de Montréal, Jean de Doyat, d'un
amortissement de deux cents livres pour l'église de Cusset. Enfin, se sentant
trop faible pour entreprendre un nouveau voyage en Espagne, il obtient de la
cour de Rome d'être relevé de son vœu d'aller en pèlerinage à Saint-Jacques
de Compostelle. Tant
d'actes inspirés par des sentiments d'une si haute piété ne pouvaient manquer
de frapper les esprits les plus éclairés de ce temps. Nous avons déjà cité ce
que Robert Gaguin, celui même qui se fit l'adversaire du roi après sa mort,
écrivait de lui à Ambroise de Cambray ; constatons encore ce qu'il en disait
alors à un savant théologien, Carolus Saccas, lequel avait entrepris,
paraît-il, d'écrire la vie de Charlemagne. L'encourageant à ne pas différer
la publication de cette œuvre, Gaguin ajoute : « Il s'agit, en effet, d'un
grand homme qui fut un saint. Vous le savez, Louis XI, notre souverain, a
tenu compte de son zèle à propager l'instruction autant que la foi, et lui a
dignement consacré un jour de fête. Il est utile et bien de profiter d'une
pareille circonstance, et on ne saurait trop seconder et louer de semblables
inspirations[10]. » Voilà ce qu'on pensait
alors du roi. Sans
doute parce qu'on pressent que ses jours sont en danger, les habitants du
comté de Boulogne et beaucoup d'autres donataires particuliers ou collectifs,
tels que corporations, communes, chapitres, abbayes, villes, corps de
métiers, demandent avec insistance la confirmation des dons que le roi leur a
faits : tous s'empressent de lui rappeler les moindres services rendus, et
cela à un tel point que le valet de chambre du comte de Nevers, assure-t-on,
se fit très-ostensiblement un mérite d'avoir contribué à contenir les
prétentions que pouvait avoir son maitre à l'héritage de Charles le Téméraire Mais à
quoi ne prétendait pas le premier médecin du roi, Jacques Coytier ! En
septembre le roi le nomme à l'office de bailli ou concierge du palais. Que
n'avait-il pas déjà accordé à cet insatiable Hippocrate franc-comtois ! On
est réellement surpris de l'énumération de tant de seigneuries et de
fonctions qui n'avaient de commun que d'être des sources de revenus. Que
penser quand on le voit se faire attribuer, le 26 octobre 1482, même l'office
de vice-président de la chambre des comptes, ayant obtenu, le 16 août
précédent, l'évêché d'Amiens pour son neveu Jacques Versé ? Le roi, encore
pour lui complaire et l'enrichir, se vit obligé, l'année suivante, d'ôter
Rouvres à Philippe Pot et de priver le sire de Baissey, bailli de Dijon, du
revenu de Saint-Jean de l'Asile et de Brazey. Enfin ne reçut-il pas 54.000
écus pour les cinq derniers mois de la maladie du roi ! Ces concessions
sont des faiblesses du roi, sans doute ; mais, paraît-il, Coytier s'était
fait craindre en lui disant avec un grand serment : « Je sais bien que « vous
me renverrez comme les aultres ; mais vous ne vivrez pas huit jours après[11]. » Il faut plaindre le prince
assez malheureux pour avoir eu à ses côtés l'aspect d'une aussi sordide
avidité. Toutefois maitre Coytier n'était point sans quelque générosité.
Ayant un grand crédit, il en 'usait parfois dignement. C'est ainsi que, le 30
octobre 1482, il invite ses collègues de la chambre des comptes à admettre
sans retard maitre-de Ladriesche qu'ils hésitaient à recevoir parmi eux. « Si
le roi le savait, leur dit-il, il serait mal content que ce qui est requis ne
fût pas fait[12]. » L'empressement
de Louis XI à rémunérer ses médecins et serviteurs, et à se montrer
reconnaissant de tout service, quelquefois jusqu'à l'excès, lui fit oublier
des dettes qu'un tyran — puisqu'on a osé lui jeter ce nom — n'eût eu garde de
laisser en souffrance. L'huissier de la Bastille, appelé Martin Leroy, à qui
l'on demandait son compte touchant les dépenses du séjour de maître
d'Harancourt, montant à deux livres par jour, profita de l'occasion pour
réclamer ce qui lui était encore dû pour l'emprisonnement du connétable de
Saint-Pol Louis
XI ne perdait de vue aucune des affaires extérieures, ni rien de ce qui
pouvait conduire son adversaire à la paix. On le sait, les affaires de
Flandre étaient dans le plus déplorable état. Abandonné de ses capitaines et
des villes, Maximilien fut encore réduit à trembler devant un chef <de
routiers, qui devait bientôt devenir célèbre par le crime. Eberhard
II, fils d'Eberhard Pr, comte d'Aremberg et de la Marck, acheta en 1424 la
seigneurie de Sedan. Jean Pr, son successeur depuis 1454, fut chambellan de
Charles VII ; lorsqu'il mourut, en 1480, il laissa trois fils : Eberhard III,
comte d'Aremberg ; Robert, comte de Sedan, chef de la maison de Bouillon, et
Guillaume de la Marck, dit le Sanglier des Ardennes. C'est ce dernier,
assure-t-on, qui en 1468 avait fait révolter les Liégeois contre Charles le
Téméraire. Attiré à Liège par l'évêque Louis de Bourbon, il s'était bientôt
rendu redoutable, jusqu'à oser tuer le garde du sceau de l'évêque, nommé
Richard. Banni alors par le prélat, il était passé en France. Louis
XI, qu'il sut circonvenir par toutes sortes de récits et de promesses, lui
confia d'abord, dit-on, quelques forges ; mais bientôt, le connaissant mieux
et mécontent de lui, non-seulement il lui retira sa confiance, mais il
écrivit contre lui aux états et à l'évêque de Liège, et par une lettre fort
vive lui enjoignit de sortir de France[13]. Ainsi on ne peut dire, comme
on l'a fait, que c'est le roi qui le poussa contre le malheureux évêque. Avec
quelques chevaux et un millier de vauriens attirés et enrôlés par l'espoir du
pillage, Guillaume entra au mois d'août dans le pays de Liège, accompagné de
son frère Robert et de Jean de Neufchâtel. Bientôt il vit grossir sa troupe :
l'évêque, peu aimé des siens, fut à peu près abandonné. L'envahisseur
massacra d'abord le prélat, puis, s'étant emparé de Liège, il essaya d'y
faire nommer son fils évêque, et s'y conduisit en tyran. Tant de cruauté le
rendit si odieux que le sire de Nassau et la noblesse du pays marchèrent
contre lui. Pendant
ce temps Louis XI avait à protéger contre un autre usurpateur sa belle-sœur
Bonne de Savoie, duchesse douairière de Milan. Persécutée par son beau-frère
Ludovic le More, qui, non satisfait de lui avoir arraché la tutelle de ses
enfants qu'il retenait prisonniers, l'avait chassée de Milan, elle avait
imploré le secours du roi. Pendant son séjour à Lyon, Louis, sans s'immiscer
trop avant dans la politique italienne, était intervenu, et par son influence
Bonne de Savoie avait reçu de Ludovic, du sire de Pallevoisin, gouverneur du
jeune duc, et de Philippe d'Eustache, gouverneur du château de Milan, des
lettres qui lui assuraient la liberté de retour auprès de ses enfants. Le 12
mai 1482, la duchesse en remerciait le roi, tout en laissant apercevoir qu'elle
n'était point sans appréhension pour l'avenir[14] ; mais en septembre, sous
prétexte d'un mariage favorable au jeune duc, et en réalité pour sonder la
cour de France, Ludovic le More osa envoyer à Tours des députés au roi. Louis
XI, instruit de tout par sa belle-sœur et indigné de la conduite de Ludovic,
ne voulut point recevoir ses députés. Le chancelier Doriole et François
Hailé, avocat général, furent chargés de les ouïr et de leur répondre que
l'on n'avait nul pouvoir touchant cette alliance. Le chancelier parla des
craintes conçues à tort ou à raison, et dit que, selon l'opinion du roi, la
meilleure sûreté pour la vie du fils aîné de Galéas-Marie serait qu'on lui
confiât son jeune frère Hermès. Il ajouta que Louis voyait avec déplaisir
l'alliance de Ludovic avec Ferdinand de Naples, qu'il le priait de la rompre.
Enfin on stipula en faveur de la duchesse, qui raisonnablement ne pouvait
rester éloignée de toute participation aux affaires. Les députés promirent
d'envoyer le second fils de feu Marie-Galéas, et de travailler à une rupture
avec Ferdinand. Surtout ils virent que le roi était loin d'être indifférent
au sort de ses proches ; et Ludovic le comprit si bien, que, tant que Louis
vécut, il n'osa attenter à la vie de ses neveux. C'était
ainsi que la France, par la sage politique du roi, exerçait en Italie une
juste prépondérance à laquelle on eût dû toujours se tenir. Les luttes ne
cessaient d'y être ardentes, et les coalitions, avec ou contre Venise, de s'y
succéder. Le 21 août, à Vellétri, le comte Jérôme Riario, neveu du pape, et
Robert Malatesta, capitaine vénitien, venaient de battre Alphonse de Calabre,
chef des troupes de Ferdinand de Naples et allié de toutes les autres
puissances italiennes ; juste châtiment d'avoir enrôlé dans son armée des
mercenaires turcs. Cependant le pape qui, malgré son désir, pressentait bien
la difficulté d'entraîner Louis XI à une intervention armée, cherchait du
moins à obtenir quelque retour pour ses complaisances. La cour de Rome
conservait encore certains ressouvenirs des anciens droits de la papauté sur
le Valentinois et le Diois. SOUS prétexte que les conditions mises à la
cession de ces seigneuries n'avaient pas été remplies, le saint-père en avait
fait parler à M. de Narbonne, et celui-ci, dans ses lettres à la chancellerie
de France, ne manqua pas d'en dire quelque chose. Le chancelier, par une
lettre de Tours, 12 septembre 1482, y répondit ainsi : « Messieurs du conseil
sont à Tours ; par chacun des articles qu'ils vous ont envoyés à l'égard du
Valentinois et Diois, vous verrez bien que le roi y a fort bon droit et que
le pape ne saurait y prétendre en quoi que ce a soit... » Puis il ajoute : «
Vous tous, Messieurs de par de là, ferez bien de remontrer au roi lesdites
choses en la manière la plus convenable, et surtout de tenir la main à ce que
son plaisir ne soit pas de les aliéner. » Vers le
même temps Pierre Doriole rendit encore un autre service au roi. Maître Hélie
de Bourdeilles, élevé d'abord chez les cordeliers, puis élu à vingt-quatre
ans évêque de Périgueux, et enfin devenu archevêque de Tours[15], avait été un des premiers
commissaires choisis par Louis XI pour le procès de l'abbé de Saint-Jean
d'Angely. Dernièrement le roi l'avait prié de ne point l'oublier dans ses
prières. Le prélat crut avoir trouvé là une occasion de remontrer au roi ce
qu'il appelait « le malheur des peuples, le fardeau des tailles » ; de
lui rappeler ensuite Balue, d'Harancourt, Geoffroy Herbert, les évêques de
Laon, de Castres, de Pamiers, et plusieurs autres privés de leurs sièges et
de leur temporel, ce qui n'appartenait pas, disait-il, au pouvoir laïque, même
dans le cas de trahison bien prouvée. Or le roi, qui en toutes ces choses
n'avait agi que par raison d'État, se contenta sur, le moment de lui faire
savoir son mécontentement, de cette immixtion dans les affaires publiques.
Peu après, par une lettre au chancelier datée de Meung-sur-Loire, 24 août, il
lui fit sentir qu'il avait abordé des questions qu'il ne pouvait apprécier,
et qu'il ne voyait pas les coups dirigés contre la couronne, ajoutant, d'a,
près l'Écriture, que « lorsqu'on a mis la main à la charrue, on ne doit pas
regarder en arrière ». Le
prélat s'aperçut vite qu'il avait été trop loin. De son côté le chancelier
alla le trouver : il lui représenta « que sa piété ne le dispensait pas
de respect et d'obéissance à l'égard du roi, dont il était sujet, même étant
dignitaire de l'Église ». L'archevêque de Narbonne, François Hallé,
ancien avocat du parlement, avait pris part à cette entrevue. Tout fut
bientôt apaisé. Pierre Doriole put reporter au roi les déclarations du
prélat. Après une longue maladie il était encore trop faible pour sortir, mais
il ne tarderait pas à faire connaître lui-même au roi combien il regrettait
d'avoir pu lui déplaire, n'ayant point oublié ce qu'il avait reçu de lui. Toutefois,
quoique Louis XI ne parût nullement admettre les représentations de
l'archevêque, il est certain qu'il fit examiner les points que le prélat
avait touchés. Ainsi ces observations, toutes déplacées et non accueillies
qu'elles fussent, ne restèrent point sans résultat. Malgré
ses soins à le dissimuler, Louis sentait décroître ses forces et le terme de
ses jours approcher. Dès ce moment il n'eut plus d'autre pensée que de
pourvoir à l'avenir. Sans nul doute, il avait le pressentiment de tout le mal
qu'on pourrait faire à la France, sous le manteau d'un si jeune roi et
dépourvu de toute expérience. Né le 30 juin 1470, le dauphin n'avait encore
que douze ans. Alors donc que rien n'était encore conclu touchant la paix, le
21 septembre Louis se rend à Amboise, où il avait convoqué grand nombre de
princes, seigneurs et hommes notables du royaume ; et là, en leur présence,
il donne à son fils des avis qui doivent plus tard lés diriger tous et régler
leur conduite, ayant soin de les faire rédiger sous la forme d'un acte tout
royal, dont voici la teneur : « Louis, par la grâce de Dieu, roi de
France, dauphin de Viennois, comte de Valentinois et Diois, à tous ceux qui
les présentes verront, salut ! « Considérant
l'origine et la fin de toute chose et aussi de l'humaine nature, qui est de
si courte durée, et que Dieu notre créateur nous a fait de si grandes grâces,
qu'il lui a plu nous faire chef, gouverneur et prince de la plus notable
région et nation de dessus la terre, c'est-à-dire du royaume de France, dont
plusieurs des rois nos prédécesseurs ont été si grands, vertueux et
vaillants, qu'ils ont acquis le nom de rois chrétiens en réduisant à la bonne
foi catholique plusieurs grands pays et diverses nations naguère infidèles,
en extirpant les hérésies et vices de notre royaume, en entretenant le
Saint-Siège apostolique et la sainte Église de Dieu en leurs droits, libertés
et franchises, et par plusieurs autres beaux faits dignes de perpétuelle mémoire
; tellement qu'il y a un certain nombre d'entre eux tenus pour saints et
vivant, éternellement en la sainte compagnie de Dieu en son paradis ; «
Lequel notre royaume — et autres nos pays — nous avons, grâce à Dieu et par
l'intercession de la très-glorieuse Vierge Marie, sa mère, si bien entretenu,
défendu et gouverné que nous l'avons augmenté de toutes parts par grande
sollicitude et diligence, par l'aide aussi de nos bons et loyaux officiers,
serviteurs et sujets ; jaçoit (quoique) qu'après notre avènement à la couronne les
princes et seigneurs de notre sang et autres grands : de notre royaume, la
plupart du moins, aient contre nous et contre la chose publique conspiré par
trahisons et à force ouverte, au point qu'il s'en est suivi de grandes
guerres et divisions, d'où sont résultées une étonnante effusion de sang
humain, la destruction des pays et la désolation de beaucoup de peuples ;
guerres qui ont duré depuis notre avènement jusqu'à présent, lesquelles ne
sont encore du tout éteintes, et même après la fin de nos jours pourroient
recommencer et longuement durer, si aucune bonne provision n'y étoit donnée ; « Pour
cela, et en considération de notre âge et de certaines maladies à nous
survenues, pour lesquelles nous avons été en très-grande dévotion visiter le
corps de monseigneur saint Claude, l'ami de Dieu, d'où nous sommes revenus
amendé et en meilleure santé, à l'aide de notre créateur et de sa sainte Mère
; ruons avons, dès notre retour, décidé de voir notre très-cher amé fils
dauphin de Viennois et de lui remontrer plusieurs notables choses pour l'édifiement
de sa vie et sa bonne conduite au gouvernement de la France, s'il plaît à
Dieu que la couronne lui advienne après nous. Pour l'accomplissement de ce
dessein, nous nous sommes rendus au château d'Amboise, où toujours nous
l'avons fait tenir et élever ; là, en présence de certain nombre de seigneurs
et dames de notre lignage et autres grands personnages, gens de notre
conseil, capitaines et officiers tant de nous que de notre fils, avons fait
venir icelui notre fils par devers nous, et alors nous lui avons remontré les
choses dessus dites et les suivantes : « Premièrement,
nous lui avons témoigné notre grand désir qu'après nous il parvienne, avec
l'aide de Dieu, à la couronne de France, son vrai héritage ; et qu'il puisse
si bien, si grandement gouverner le royaume, que ce soit à son honneur, aux
profit et utilité des sujets et de la chose publique. « Pour
l'époque où il plaira à Dieu de disposer de nous d'après sa sainte volonté,
comme il est dit, nous lui avons ordonné, commandé et enjoint, ainsi que père
peut faire à son fils, qu'il se gouverne et maintienne au bon régime desdits
royaume, Dauphiné et autres pays, par le conseil et gouvernement de nos
parents, des seigneurs de notre sang, et autres barons, chevaliers,
capitaines, gens sages et notables, et principalement de ceux qu'il saura et
connoîtra avoir été bons et loyaux à feu notre très-cher seigneur et père — que
Dieu absolve ! —, à nous et à notre couronne de France, et qui nous ont été
bons officiers, serviteurs et sujets ; « Nous
lui avons aussi expressément enjoint, quand la volonté de Dieu l'appelleroit
à la couronne, d'entretenir dans leurs charges et offices lesdits seigneurs,
barons, gouverneurs, écuyers et capitaines, tous les chefs de guerre et tous
autres, ayant charge, garde et conduite de gens, villes, places et
forteresses, et les officiers ayant office tant de judicature qu'autres, de
quelque nature que soient lesdits offices, sans aucunement les changer,
décharger, ni désappointer, sinon toutefois qu'il fût trouvé, par juste
déclaration faite en justice, qu'aucuns d'eux fussent autres que bons et
loyaux. a Afin
que notre fils soit plus décidé à accomplir notre susdite ordonnance, nous
lui avons remontré les grands maux et irréparables dommages qui nous
advinrent peu après notre avènement, pour n'avoir pas maintenu lesdits
seigneurs et officiers de notre royaume en leurs états, charges et offices ;
ce qui a longuement duré au très-grand dommage de nos pays et sujets, et dure
encore, sans qu'il y ait fin de paix ; quoique pourtant, grâce à ;Dieu, comme
il a été dit, nous n'ayons rien perdu de la couronne, mais icelle augmentée
et accrue de grandes terres et seigneuries, espérant de bref, au vouloir et
plaisir de notre créateur, y faire mettre paix, tranquillité et union : si le
roi notre fils n'entretenoit les officiers de tout ordre dans leurs charges,
il lui pourroit arriver aussi mal et pis qu'à nous : qu'il aime donc le bien,
honneur et augmentation de lui et du royaume, sans aller à l'encontre,
quelque cas qui advienne ; « Lesdites
remontrances ainsi par nous faites à notre fils pour le bien de la couronne
de France, et afin que lesdits commandements à lui faits sortissent effet, et
qu'il en fût perpétuelle mémoire, nous avons demandé à notredit fils ce que
lui en sembloit ; et s'il n'étoit pas bien décidé et en bons propos et
intention de faire et accomplir les choses dessus dites et autres par nous
recommandées, et spécialement touchant les charges et offices ; à quoi il
nous a humblement fait répondre et dit de bouche que très-volontiers il
obéiroit ; qu'il feroit et accompliroit de bon cœur et de tout son pouvoir
les commandements, enseignements, ordonnances que lui faisions, et dont
très-humblement il nous remercioit. « Nous
lui avons en outre recommandé de se retirer vers aucuns de ses gens et
officiers qui là étoient, et qu'il s'entretînt avec eux des choses dessus
dites, par nous remontrées, et qu'il avisât bien s'il ne vouloit pas
entretenir tout ce que nous lui avons enjoint : après l'avoir fait, il nous a
dit telles paroles qui suivent : « Monseigneur, à l'aide de Dieu, et
quand son plaisir sera que les choses adviennent, je obéirai à vos
commandements et plaisirs, et ferai, entretiendrai et accomplirai ce que m'avez
enjoint, commandé et enchargé ; » et à cette cause lui avons dit que,
puisque, pour l'amour de nous, il le vouloit, il levât la main, et nous
promît d'ainsi le faire et tenir ; ce qu'il a fait. « Après
plusieurs autres avis dépendant des précédents, et après avoir parlé de
plusieurs seigneurs nos adversaires, de qui étaient venus en partie les maux
et inconvénients cités plus haut, afin qu'il y prît bien garde, nous lui
avons recommandé aucuns de nos bons serviteurs et officiers dont les uns
étoient présents et les autres absents, lui remontrant que bien et loyalement
ils nous avoient servi tant à l'encontre de nos adversaires, à l'entour de
notre personne, que autrement en plusieurs et diverses manières. « Desquelles
choses nous avons commandé à notre amé et féal notaire maître Pierre Parent,
illec présent, de faire toutes lettres patentes et closes, comme déclarations
de notre vouloir autant que besoin sera tant durant notre règne que sous le
règne de notre fils ; et dans ce dernier cas par manière de confirmation à
l'égard d'iceux officiers dans leurs charges et offices, ledit. Parent étant
à la fois son secrétaire et le nôtre. « Ainsi
donnons en mandement par ces présentes à nos amés et féaux conseillers, gens
de notre parlement et de celui de Grenoble, et de l'échiquier de Normandie,
gens de nos comptes, généraux, conseillers de nos finances, de la justice, de
nos aides, maîtres des requêtes de notre hôtel, prévôt de Paris, à taus
baillis, sénéchaux, prévôts et autres nos justiciers et officiers, ou à leurs
lieutenants, que de nos présentes ordonnances et déclarations et des
dépendances d'icelles, ils accomplissent et fassent accomplir de, point en
point tous les articles et qu'ils y contraignent quiconque y voudrait mettre
obstacle ; qu'ils cassent et annulent toutes lettres, qui y
contreviendroient, qu'ils procèdent même à la détention des contrevenants et
de leurs biens, nonobstant oppositions, doléances et appellations de leur
part, nonobstant même les restrictions qu'on tenteroit plus tard de leur
apporter pour en retarder ou empêcher l'exécution en aucune manière : et
comme il faudra appliquer les présentes en plusieurs lieux, nous voulons
qu'au vidimus d'icelles, fait sous sceau royal ou signé par ledit Parent ou
autre de nos secrétaires, pleine foi soit ajoutée comme à ce présent
original. « Donné
au château d'Amboise, le 21 septembre, l'an de grâce 1482, de notre règne le
vingt-deuxième ; contresigné par Mgr le dauphin, Mgr le comte de Beaujeu, le
comte de Marie, maréchal de France ; l'archevêque de Narbonne, les seigneurs
du Bouchage, de Précigny, du Plessis-Bourré, de Sollers, Jean de Doyat, gouverneur
d'Auvergne, Olivier Guérin, maitre d'hôtel, et plusieurs autres présents. » Ne
parurent là ni Louis d'Orléans, ni Charles d'Angoulême, ni Jean II, duc de
Bourbon, qui eussent certainement signé des premiers. Le jour même et aussi
d'Amboise, lesdites lettres furent expédiées, malgré leur étendue, au
parlement de Dauphiné, et les jours suivants à celui de Paris et aux autres
de Dijon, de Toulouse et de Bordeaux, de sorte que le 12 novembre elles se
trouvaient partout entérinées. Elles
étaient, en vérité, pleines de sagesse et d'opportunité, ces instructions si
paternelles. D'un cœur bon et sensible, le dauphin en fut vivement ému. Il
répondit, assure-t-on : « Je aimerois mieux mourir que avoir désobéi à
Monseigneur mon père, et que plustôt me donnast Dieu la mort que avoir pensé
à lui désobéir[16]. » Mais un faible enfant de
douze ans pouvait-il seulement comprendre la substance de ces avis et
l'étendue de ses promesses ? Louis XI ne l'ignorait pas. Cette solennité
s'adressait surtout aux grands de l'État. Elle était un témoignage de plus de
la tendresse du roi pour son fils. S'il est vrai qu'il ait dit familièrement,
comme on le prétend, que a ne savoir rien taire, c'est « ne pas savoir
régner, » vraie et profonde maxime en soi, on voit déjà, et la suite le
montrera mieux encore, qu'il ne s'en tint pas à de si sèches sentences, et
qu'il sut, pour l'avenir, grouper et recueillir les éléments les plus dignes
de former le cœur d'un prince. On le
conçoit, par la parole le roi étendit ses instructions au-delà du cercle
d'idées resté officiel. C'était certes donner à son fils un excellent conseil
de lui dire d'écouter pour les faits de guerre le sage et vaillant Philippe
de Crèvecœur, sire de Querdes. Que de fautes ce prince se serait épargnées
s'il avait suivi de tels avis ! Lui recommander ses serviteurs, et en
particulier Olivier le Daim et Jean de Doyat, c'était encore lire dans
l'avenir les haines qui essayeraient de les atteindre et prémunir son fils
contre le danger des réactions. Il lui apprenait ainsi que, sans méconnaître
les services de la noblesse, il avait su trouver et faire sortir de leur
obscurité des hommes de mérite, pleins de zèle et de dévouement. En cela il
avait suivi la voie tracée par Philippe-Auguste, saint Louis et Charles V,
ses plus illustres prédécesseurs. Enfin, désavouer ce qu'il avait fait au
commencement de son règne par certains déplacements, c'était porter loin la
franchise. On a vu des princes dire qu'ils avaient trop aimé la guerre ; mais
plus rarement on en voit qui avouent leurs fautes, surtout après avoir tout
fait pour les réparer. Combien
encore d'intérêts nationaux et d'actes judicieux pouvait-il rappeler en cette
imposante circonstance 1 Il avait eu, en effet, grandement à cœur les
franchises et l'honneur de ses peuples, de ses bonnes villes, et la sécurité
que tous, nobles, clercs, bourgeois, industriels et laboureurs devaient
trouver dans le commerce, dans la liberté du travail, dans la facilité des
communications, et dans la discipline des gens de guerre qui assurait ainsi
la sécurité des campagnes, désormais à l'abri du brigandage et des pilleries.
Il pouvait montrer ces bienfaits, comme une atténuation, même une
compensation aux impôts que la nécessité l'a forcé d'augmenter en une
certaine mesure pour remplir ses engagements et réaliser les améliorations
qu'il avait conçues. Et avec un budget qui de nos jours semblerait dérisoire,
que de villes et de belles provinces n'a-t-il pas reliées à la couronne !
que d'améliorations et de progrès introduits dans le royaume ! Que
n'avait-il pas à dire aussi pour justifier les principaux actes de son règne
! Lorsque les grands vassaux s'étaient réunis contre l'utile développement de
la royauté ; lorsqu'ils avaient cherché leur point d'appui à l'étranger, et
eu recours à des moyens inqualifiables, ils avaient évidemment mal compris
leur mission et leur devoir. Sans doute une apologie de sa conduite n'entrait
point dans les vues du roi ; surtout il ne voulait effleurer aucun des points
délicats qui auraient pu exciter encore plusieurs susceptibilités ; mais il
désirait prouver à ceux qui l'écoutaient combien il importait que sa
politique fût continuée et que l'œuvre par lui amenée à de si beaux résultats
fût achevée après lui par ceux qui lui survivraient. Telle était sa constante
préoccupation. Après
les enfants de France, le premier prince du sang se trouvait être Louis, duc
d'Orléans. Précisément à cause de cette situation, Louis XI pensa qu'il ne
pouvait être désigné comme régent du royaume. Ce prince avait vingt et un
ans. Le roi avait remarqué en lui de la légèreté et de l'ambition. Son dédain
et ses infidélités envers sa bonne et vertueuse épouse, Jeanne de France,
n'étaient point un mystère. Toujours il s'était montré peu sympathique aux
mesures prises par le roi, et si celui-ci l'avait rarement employé aux
grandes affaires, c'était à cause de son jeune âge sans doute, mais aussi
parce qu'il ne croyait pas pouvoir compter sur lui. Il lui savait, en effet,
des goûts d'opposition, moins par conviction que par jalousie et par ton.
Dernièrement encore, le 16 avril 4 482 ou environ, on a de lui une lettre à
Dammartin où, sous prétexte de remerciements, il cherche à le sonder et se
montre en fort bons termes avec Maximilien. Le roi pensa donc, avec raison,
que ce prince après lui donnerait carrière à son inconstance naturelle, et
troublerait la régence d'Anne de France et, de Pierre de Beaujeu, qu'il
cherchait à établir solidement. Voulant
obvier à ce malheur de tout son pouvoir, le 17 octobre, il fit venir au
Plessis son gendre Louis d'Orléans ; et après lui avoir expliqué ses volontés
auxquelles le prince parut se conformer, le roi lui demanda s'il s'engageait
par écrit à accomplir les promesses qu'il venait de faire. Sur sa réponse
affirmative, le duc prêta le serment dont la teneur suit[17] : « Nous Loys d'Orléans, de
Valois, etc., avons promis et juré sur le canon de la messe et sur le livre
des saints Évangiles que, tant que nous vivrons, nous servirons bien et
loyauement notre très-redouté et souverain seigneur Loys, à présent régnant, envers
et contre tous ceux qui peuvent vivre et mourir ; et s'il plaît à Dieu que
nous lui survivions, que nous servirons notre très-redouté seigneur le
dauphin son fils, comme notre roi et souverain seigneur envers et contre
toute personne, sans prendre jamais contre lui, directement ou indirectement
avec qui que ce soit, parti, pratique ou intelligence, soit avec notre cousin
le duc de Bretagne, soit avec autres princes, seigneurs ou communautés, sous
couleur de prochaineté de lignage ou autrement, et que nous n'entreprendrons
aucune chose touchant la personne et le gouvernement de monseigneur le
dauphin, de son royaume, de ses serviteurs ou sujets, autrement ni plus avant
que son bon plaisir et l'avis de son conseil ; que si notre cousin le duc de
Bretagne ou autres nous conseilloient de faire ou entreprendre quelque chose
autrement que dessus est dit, nous ne les croirons ni ne suivrons leurs avis,
et incontinent révélerons ce qui en sera à mondit seigneur le roi ou à
monseigneur le dauphin après lui ; que nous nous déclarerons contre tous ceux
qui voudroient entreprendre contre les droits de la couronne ; et qu'à la
conservation d'iceux droits du dauphin nous nous emploierons jusqu'à la mort
inclusivement ; que s'il vient à notre connoissance que l'époux de notre
sœur, le vicomte de Narbonne, veuille quelque chose faire ou entreprendre
contre monseigneur le roi ou monseigneur le dauphin, nous en informerons sans
délai le roi ou le dauphin son fils, et que nous nous y opposerons de tout
notre pouvoir. » Tel fut
le serment de Louis d'Orléans. Sans doute le roi savait ce que valait la
parole de ce prince ; mais comment le lier davantage et mieux assurer
l'avenir ? Peut-être le duc Jean II, chef de la maison de Bourbon,
pourrait-il avoir quelque prétention à la régence ou conserver quelque
souvenir d'avoir eu à se défendre contre messieurs du parlement ; mais il
était âgé, fort tourmenté de la goutte, et le roi ne crut pas devoir le
craindre. Il s'en tint donc à la promesse du duc d'Orléans, promesse que celui-ci
viola comme les autres ; car c'est lui qui, sitôt après la mort du roi,
troubla tout le royaume par son ambition, persécuta les enfants du roi autant
que sa mémoire, et fut le premier à pousser Charles VIII aux folles
entreprises d'Italie et de Naples, en attendant qu'il s'y précipitât pour son
propre compte et pour le malheur de la France. Voilà ce que pressentait Louis
XI et ce qu'il eût voulu empêcher à tout prix ; car, comme nous le dit
Comines dans son vieux et naïf langage, « c'est ainsi que le roy voyoit
les choses aussi clairement qu'en aucun temps de sa vie, et pensoit peut-être
au bien du royaume plus qu'il ne avoit jamais fait » : ce qui veut dire, à
n'en pas douter, que le roi, toujours préoccupé de la grandeur de la France, a semblé l'être encore davantage en ses
dernières
années, et
n'implique nullement la critique, qu'en le prenant dans un sens restrictif,
les adversaires du roi ont voulu y voir. Mieux avisé et plus prudent que ses
successeurs ; il s'est tenu à l'abri de l'inconstance des Italiens, ne rêvant
que de rendre la France forte et florissante, ou du moins, par des moyens
nouveaux, de lui préparer les voies à une plus grande prospérité dans
l'avenir. C'est ainsi qu'il comprenait son devoir de roi. De son
côté Maximilien commençait à se résigner à la paix. Ne voyant nul espoir,
malgré la maladie du roi, d'arracher quelques concessions onéreuses à la
France, connaissant d'ailleurs les dispositions des grandes villes de Flandre
à cet égard, et en particulier la volonté fermente des Gantois[18], il se décida en novembre à
autoriser les nombreux députés désignés par les états à traiter à Arras avec
les députés de Louis XI de la paix et du mariage de sa fille Marguerite avec
le dauphin, comme moyen de conciliation : dès ce moment aussi il se contenta
de son titre d'archiduc. Pour Maximilien les négociateurs étaient Jean
d'Auffay, maitre des requêtes de son hôtel ; Gort-Rolland, pensionnaire de
Bruxelles ; Jacques d'Essenwerper, pensionnaire de Gand, auxquels il ajouta
ensuite/ quatre autres députés. Les plénipotentiaires du roi furent Philippe
de Crèvecœur, seigneur de Querdes[19], son lieutenant en Picardie ;
Olivier de Coëtmen, chevalier de Saint-Michel et gouverneur d'Arras ; Jean de
la Vacquerie, premier président du parlement de Paris, et Jean Guérin, son maître
d'hôtel. Les
conférences furent alors très-ostensiblement ouvertes, ainsi que le prouve
une lettre des députés français, écrite de Franchise au sire du
Bouchage ; peur lui signaler les obstacles qui se présentent ; car c'était
souvent par l'entremise de ce conseiller intime que les ambassadeurs
s'adressaient au roi ; et lorsqu'il s'agit d'obtenir quelque faveur, on voit
les ducs de Bretagne, de Bourbon et autres seigneurs, aussi bien que les
princesses de Savoie, de Milan, la reine elle-même et madame Jeanne de France,
lui demander parfois son bienveillant concours, tant on sait le roi occupé
des grandes affaires d'État[20]. « Nous écrivons au roi,
disent-ils donc le 16 novembre, ce que avons pu besoigner avec les
ambassadeurs flamands. Nous y trouvons une seule difficulté, c'est touchant
la dot. Ils entendent que ! mademoiselle Marguerite porte pour son partage et
dot les comtés de Bourgogne et d'Artois, et aucuns (quelques) acquests. Si ce n'estoit cette
difficulté, la paix et la délivrance de ladite demoiselle entre les mains du
roy se feruient incontinent. C'est la conclusion des estats. On ajoute que
lesdits comtés, en cas de retour, demeureront aux mains du roy, comme gages,
jusqu'à ce qu'il ait été appointé touchant Lille, Douai et Orchies, On a dit
encore que ceux de Flandre ne consentiroient point à abandonner lesdites
villes. Si le roy dont nous attendons la réponse tombe d'accord sur les articles
que nous lui envoyons, il nous le dira et nous enverra ses pouvoirs. » Pendant
que ces graves questions se débattent, Louis, malgré ses souffrances,
n'oubliait point de protéger les faibles et les opprimés. Du côté de la
Bretagne rien n'avait été pacifié. Toujours le duc François, aussi bien que
Maximilien, espérait profiter de l'affaiblissement du roi. Mais c'était en
vain ; on ne cédait pas. Le duc écrit-il de Nantes pour se plaindre de
l'approche de l'armée française : « Qu'il fasse retirer ses
troupes, lui est-il répondu, le roi fera de même. » Pour la solution de
plusieurs difficultés survenues entre les officiers du fisc, de Bretagne et
de France, des conférences, on le sait, s'étaient ouvertes à Angers. Là se
trouvaient réunis, avec le sire de Coëtmen, Antoine de Chourses, Jean de la
Buqualle, Bernard de la Ribère, pour le roi ; et pour le duc le sire de Coëtquen,
l’évêque de Léon et Jean Blanchet. Ceux-ci commencèrent à se plaindre
hautement des officiers de judicature ou autres, que le roi entretenait sur
les confins de la Bretagne, des actes de violence.et d'agression qui s'y étaient
commis par eux. La
réplique était facile : si les limites des deux pays étaient mieux tracées on
trouverait peut-être que les agressions et les violences sont précisément
venues de Bretagne. Il convient donc de s'occuper. avant tout de cette
délimitation. Mais les points incontestables sont d'abord les, fréquentes
désobéissances aux arrêts du parlement. On en avait, alors même un notable
exemple. Jean Chauvin, ancien chancelier de Bretagne, était retenu
très-injustement dans les prisons du duc. Il en avait appelé à la justice du
roi. Louis XI avait reçu l'appel et pris l'appelant sous sa protection. Il a
même ordonné au duc de mettre Chauvin en liberté, sous peine de mille marcs
d'or. Le duc n'en a rien fait : de plus il donne retraite à des malfaiteurs,
particulièrement aux faux saulniers, ce qui porte un grand préjudice aux
fermiers des gabelles. Pour conclusion les commissaires de France firent
signifier par huissier à ceux de Bretagne que le duc eût à rendre la liberté
au chancelier Chauvin ou qu'il l'envoyât à Paris en la Conciergerie avec son
dossier. Mais le sire de Coëtquen et les autres refusèrent de recevoir cette
sommation, et l'on convint de se réunir de nouveau à la Saint-André, 30
novembre, après le règlement des limites. Ce fut, on le conçoit, une raison
pour le duc d'entretenir plus soigneusement encore ses relations d'outre-mer.
D'autre part, à cause des appréhensions qu'on a de ce côté, le sire du Fou,
bailli de Touraine, soupçonné d'avoir des intelligences avec le duc de
Bretagne, est remplacé, et, tout en protestant de son innocence, il se retire
à Nantes. C'est
vers ce temps qu'on apprit l'arrivée en France de Djemm, ou Zizime, second
fils de Mahomet II. Sous ce futile prétexte que Bajazet était né du vivant de
l'empereur Amurat et lui d'un père empereur, il avait disputé le trône à son
frère. Le pacha Achmet déconcerta ses desseins en accourant à Constantinople
se prononcer pour Bajazet II. Djemm apprit à Pruse cette fâcheuse nouvelle :
toutefois, et bien qu'avec des forces inférieures, il tenta une bataille.
Ayant été battu, il s'enfuit en Égypte, puis à Rhodes. De là il fut amené en
France, à Bourganeuf, de son gré, par le prieur des chevaliers de Saint-Jean.
« Bajazet II ne put obtenir la rançon de son frère ; il se soumit à payer
annuellement 45.000 ducats aux chevaliers[21]. » Djemm resta paisiblement en
France quelque temps : le roi voulut demeurer entièrement étranger à cette
querelle dynastique. Y
eut-il alors un projet de Jean II de Portugal de ranimer celle de la
succession de Castille ? Depuis la mort d'Alphonse V, arrivée à Cintra, le 28
août 1481, la malheureuse Jeanne, dite la Bertrandeja, fille de Henri
IV, ne voyant nul espoir de reconquérir son héritage, s'était réfugiée en un
couvent. Il fut, dit-on, question de l'en tirer pour la marier à François
Phœbus, roi de Navarre et neveu de Louis XI. Un pareil dessein pouvait
inquiéter Isabelle et Ferdinand, dont la puissance devenait un danger pour la
France, et menaçait sans cesse nos provinces de Roussillon et de Cerdagne. Il
était donc conforme aux intérêts politiques du pays. Toutefois, dans l'état
où était le roi, il est fort douteux qu'il se soit entremis en cette affaire.
Son seul désir était de léguer à son fils son royaume pacifié, et l'on sait
son peu d'inclination pour les lointaines interventions. Cependant
le roi n'avait point cessé, en Navarre comme en Savoie, de protéger ses sœurs
et leurs enfants. Ainsi, tandis qu'il envoyait l'évêque de Lombez à la cour
de Castille et d'Aragon, pour achever les négociations entamées et parvenir
enfin à une conclusion bien nette sur la possession définitive du Roussillon,
il continuait à gouverner la Navarre par Madeleine de France, sa sœur, veuve
depuis 1470 de Gaston V, comte de Castelbon, et tutrice naturelle de ses
enfants. Éléonore étant morte en 1479, François Phœbus succéda, sous la
régence de sa mère, aux droits de son père et prit alors le titre de roi de
Navarre. Cette régence fut pleine de troubles, à cause des factions de
Beaumont et de Grammont ; mais Madeleine, toujours bien secondée par Louis
XI, parvint enfin à faire couronner son fils à Pampelune, le 6 novembre 1482. Rien
n'arrêtait l'activité du roi ; « car, bien qu'il eût la mort peinte sur le
visage[22], il était toujours occupé des
soins de son royaume. » Si, pour la plus grande tranquillité de la reine, du
dauphin et de leur maison, il a éloigné d'Amboise les marchands et étrangers,
ce qui a pu être un dommage pour l'industrie du pays, il se croit pour cela
redevable envers la ville. Pour s'acquitter, il proclame, par lettres
patentes d'octobre, exemption de tailles pour les habitants d'Amboise, et
insiste sur cette concession en avril 1483. Son principal motif, dit-il, «
c'est que les gens d'Amboise ont été fort longtemps obligés de garder leur
ville le jour et la nuit, et aussi qu'ils ont beaucoup souffert des
inondations de la Loire. » Les fonds destinés à l'établissement des
nouveaux habitants d'Arras ou de Franchise ayant été insuffisants, il fallut,
pour subvenir à cette dépense et à quelques autres, imposer pour cinq ans un
écu par muid de sel en Languedoc, en Normandie et le long des rivières de
Seine et d'Yonne ; et Jacques Briçonnet fut chargé de la répartition du
produit. La vicomté de Châtellerault faisait partie du legs de Charles du
Maine au roi : à ce titre elle est réunie à la couronne, avec la mention
qu'elle n'en sera plus séparée, et une justice royale y est établie. Enfin,
par ordonnance du 17 décembre, le roi appelle à l'office de général
conseiller des finances, en la place de Michel Gaillard, François Gens, qui
depuis quatre ans était président, de la chambre des comptes en Dauphiné. Mais
parmi les actes de cette époque, il en est un surtout digne d'attention.
Depuis longtemps il existait une corporation dite des secrétaires du roi. Ils
avaient contribué à la fondation des Célestins de Paris, et y tenaient leurs
assemblées. Louis XI d'abord n'avait pas cru devoir, comme ses prédécesseurs
; prendre parmi eux ses secrétaires pour contresigner ses lettres patentes ;
mais après Montlhéry il en fut autrement, et le roi commença dès lors à avoir
une haute idée de cette association. Aux membres qu'il y choisit pour son
service il accorda de ne pouvoir être dé- posés que pour forfaiture ; il se
déclara même chef de ce corps, ainsi que l'avaient fait les rois ses
devanciers, rédigea en leur faveur un règlement portant exemption de tailles,
de subsides et de logement des gens de guerre, et beaucoup d'autres privilèges.
Leur nombre fut limité k cinquante-neuf, le roi devant être le soixantième.
L'édit de, novembre 1482 est daté du Plessis, et. fut enregistré par les
cours du parlement et des comptes. Les motifs de cette ordonnance font trop
bien apercevoir l'intention du roi, pour qu'on les puisse passer sous silence
; les voici en partie : « Loys,
roi de France, à l'imitation de Notre-Seigneur, qui pour l'augmentation de
notre foi élut quatre évangélistes, pour véritablement décrire les saints
évangiles, en manifestant les divins secrets ; nous avons établi à perpétuité
certaines féables personnes bien renommées pour leur justice et leurs
lumières, appelées clercs, notaires et secrétaires de, la maison de France ;
qui pour le bien, l'honneur et l'exaltation de ladite maison, et aussi en
témoignage de justice et augmentation de la chose publique, rédigeroient et
mettroient en perpétuelle mémoire par écrit en honnête langage et convenables
formes, les hauts, 1nobles et louables faits, édits perpétuels et généraux,
lois, chartres, constitutions, arrêts, établissement de justice, ordonnances
et lettres royaux-- Les membres dudit collège ont si bien vaqué aux grandes
affaires de ladite maison de France, et les ont mises en si grand ordre,
qu'il a toujours été expédient à tous de recourir à leur rédaction et de s'y
conformer. Toutefois, à cause de notre long éloignement de notre père, nous
ignorions la vraie constitution dudit collège... Par importunité nous avons
donc, sans vouloir lui porter préjudice, fait, plusieurs nominations — hors
de son sein — ; mais considérant que les constitutions dudit collège sont
raisonnables, désirant nous y conformer et les ramener à ce qu'elles étoient
sous nos prédécesseurs, nous déclarons confirmer lesdites constitutions et
les remettre en pleine vigueur. » Par la
comparaison ci-dessus mentionnée, et par ces recommandations d'exactitude et
de bonne rédaction, il paraît évident que l'intention du roi était qu'en ces
documents sortis des mains de ces notaires, fussent les vrais éléments de
l'histoire de son règne. Il se préoccupe avec raison de ces annales. Les
religieux de Saint-Denis, comme les pontifes de Rome, étaient, il est vrai,
en possession du soin de les écrire ; mais y portaient-ils une attention bien
soutenue ? Ne se contentaient-ils pas d'enregistrer les principaux faits
recueillis en diverses chroniques d'alors, et cela longtemps après les
événements ? Les souverains étrangers, les seigneurs' même de France, surtout
les ducs de Bourgogne, ayant leurs indiciaires ou chroniqueurs particuliers,
les rois de France avaient pris l'habitude d'avoir aussi leurs
historiographes. C'est ainsi que la vie de Charles VI se trouve dans le
religieux de Saint-Denis que Félibien croit être Benoît Gentien, mais
également dans Jean Juvénal des Ursins, et surtout dans Froissard. Le poète
Alain Chartier, et plus officiellement Jean Chartier, son frère, ont écrit
celle de Charles VII. Alors l'historiographe suivait la cour : il était un
des officiers royaux ; il « n'inscrivait rien que de l'agrément et avec la
permission du roi, et souvent plusieurs années après les faits accomplis ». Cela
explique le point de vue où se place toujours l'auteur de la chronique sous
le règne de Charles VII. Qu'on suive, en effet, Jean Chartier : ce qu'on y
remarque surtout ce sont ses réticences ; ainsi donc silence sur les fautes
et sur les faiblesses royales ; silence sur le supplice de Jeanne d'Arc que
le roi ne chercha point à empêcher ; silence sur les vraies causes de
l'éloignement du dauphin, et sur les intrigues qui, à la cour, mettaient tout
au pouvoir des femmes ; silence sur les offres de service du dauphin pour les
guerres de Normandie et de Gascogne, et en général sur tout ce qui serait à
son avantage ; silence encore sur la déloyale condamnation de Jacques Cœur.
D'ailleurs très-sobre de réflexions, il s'étend beaucoup sur les faits de
guerre ; il n'oublie pas un des voyages du roi ; pas un des seigneurs qui
l'accompagnent, au risque de citer quelquefois les absents, car il vit en
1429 à la cour de Charles VII un prince français, qu'il nomme duc de Bourbon
; or celui-ci, on le sait, est resté prisonnier en Angleterre depuis la
bataille d'Azincourt jusqu'à 1434, époque de sa mort, quoiqu'il eût payé
trois fois sa rançon, et il n'était alors représenté en France que par son
fils Charles, comte de Clermont. Enfin l'historiographe enregistre les faits
les plus insignifiants et ne trouve point de place pour mentionner les
événements les plus graves lorsqu'ils ne sont pas à l'éloge de son héros. Est-ce
à dire, comme on l'a prétendu[23], que Jean Chartier manquât des
qualités essentielles à l'historien ? Nullement. Mais, on l'a vu, il n'avait
pas la libre expression de sa pensée et devait suivre l'impulsion d'un
conseil de rédaction officiel. C'est ainsi qu'on ne pouvait écrire l'histoire
sans autorisation : c'était un privilège réservé. Ce reproche d'insuffisance
ne saurait d'ailleurs être adressé à son frère Alain Chartier, si renommé en
ce temps-là pour son éloquence. Cependant les faits mêmes qu'il rapporte ne
le sont presque jamais dans leur parfaite clarté. Veut-il, par exemple, nous
raconter la présentation de Jeanne d'Arc devant Charles VII à Chinon, en 1428
? « En cet an, dit-il, arriva devant le roi une jeune fille de l'âge de
dix-huit à vingt ans, nommée Jeanne du Liz, la Pucelle, née auprès de
Vaucouleurs... » Or qui ne sait que ce nom du Liz ne lui fut donné qu'à
l'époque de l'anoblissement de sa famille et longtemps après sa mort si
malheureuse ! Il est
encore prouvé, par une déclaration expresse de Jean Chartier, que, du 21
octobre 1422 au 18 novembre 1437, la charge d'historiographe resta vacante ;
qu'alors les annales n'ont été que peu ou point recueillies, ce qui explique
bien des inexactitudes et des omissions. A partir de 1437 Jean Chartier
continua de puiser dans les chroniques de Cousinot et du héraut de Berry ; on
remarque même qu'après cette époque « sa chronique n'est guère moins négligée
ni plus originale qu'avant son entrée en fonctions comme chroniqueur juré[24] ». Elle ne fut pas non plus
sans lacunes ; ainsi l'on doit s'étonner que les actes des années 1445 et
1446 fassent entièrement défaut, et « qu'il manque tant de choses aux
années 1459 et 1460, même à la campagne de Normandie où était l'auteur, »
puisqu'il vivait encore en 1470. Ces
imperfections si notables furent sans doute observées par Louis XI ; s'il
connut, en effet, les historiens de Rome, comme il est probable, il dut
trouver notre histoire nationale bien arriérée et bien incomplète ; peut-être
à cela faut-il attribuer son peu d'empressement à remplacer l'historiographe
de la couronne et son idée singulière d'enlever cet office au monastère de
Saint-Denis pour le conférer k un religieux de Cluny[25]. Quant aux Chroniques de
Saint-Denis, elles furent continuées par Gaguin et d'autres, qui d'ailleurs
ne sont guère plus dignes de confiance que les précédents. Louis
XI avait donc chargé de l'office de chroniqueur Jean Castel ou Chastel, abbé
de Saint-Maur-des-Fossés, et lui fit allouer deux cents livres de pension. Il
ne parait pas qu'à l'exemple de son père, le roi se soit fait rendre compte
année par année de la manière dont le récit de ses actions était présenté. Il
n'en aurait pas eu le temps. Aussi Jean Castel étant mort vers 1478, ses
papiers avaient été mis dans un coffre à deux clefs différentes et porté à
Saint-Denis. Louis voulut savoir ce que les papiers étaient devenus, et
empêcher qu'ils ne fussent égarés. Il donna l'ordre à l'abbé de Saint-Denis,
à Mathieu de Nanterre, président du parlement, et à Jacques Louët, garde du
trésor des chartres, de procéder à l'ouverture du coffre, d'en tirer ce qui
regarde les chroniques de France, et de le lui envoyer ; puis de refermer les
autres papiers sous les deux clefs, dont l'abbé de Saint-Denis aurait l'une
et le chancelier l'autre. Comme Mathieu de Nanterre était malade et Louët
absent, le parlement, sur la demande de l'abbé de Saint-Denis, nomma à leur
place Thibaut Baillet et Pierre Framberge, maitre des requêtes, assistés de
maitre Germain, commis au greffe de la cour, pour être présents à l'ouverture
du coffre ; l'inventaire en fut fait par Jean Chartelier, notaire du
parlement. Après
des mesures si bien prises, l'histoire se tait et l'on ne voit nulle trace de
l'œuvre de Jean Castel. Si le roi eût été mécontent de ce travail, nul doute
qu'il ne l'eût fait remplacer par un autre. Molinet lui-même estimait cette
chronique. Ces récits contemporains existent, assure-t-on, dans celle de Jean
de Troyes, dite, pour la forme, Chronique scandaleuse. Toutefois on ne peut
s'expliquer une si mystérieuse disparition. C'est ainsi qu'échouèrent tous
les efforts du roi pour faire constater la vérité des faits de son règne.
S'il crut qu'en rétablissant la corporation des notaires royaux l'avenir lui
rendrait justice, en cela, comme en tant d'autres circonstances de sa vie, il
fut encore trop confiant ; ses ennemis ont prévalu. Le roi
avait formé en outre, pour l'instruction de son fils, un très-beau plan
d'histoire. D'un côté il comptait sur le soin de Jean Castel à composer ses
chroniques, de l'autre il songeait à les accompagner d'un traité « sur
l'art de bien gouverner, de se conduire selon la loi et la justice, et de
rendre les peuples heureux ». Ce traité, il le nomma Rozier des guerres : il
le fit rédiger « par de bons et notables hommes, non-seulement doctes, mais
propres au gouvernement d'un royaume[26] ». On croit qu'il y travailla
beaucoup lui-même. Ce devait être le couronnement d'une histoire générale
abrégée que le roi faisait écrire sous ses yeux pour l'instruction de son
fils, sous le nom : d'Épitome des grandes chroniques de France. Ce
résumé, dit historiai, est divisé en trois parties : la première traite
brièvement de l'histoire du monde, depuis la création jusqu'à Pharamond ; la
seconde, qu'il surveilla, passe en revue tous les faits et gestes dignes de
mémoire des divers peuples et surtout des Français ; et le Rozier des guerres
en était la troisième partie : seule elle nous reste. Arrêtons-nous
sur ce précieux résumé des devoirs d'un chef d'empire. A ce jeune et faible
enfant, qu'il regrette tant de laisser sous le poids d'un si lourd fardeau,
et qui ne pouvait rien savoir encore, non-seulement des langues anciennes, de
la littérature, du droit, de l'histoire ni de la diplomatie, mais aussi de la
vie humaine et de la manière de s'y conduire, il n'essayera pas d'exposer, ni
même d'effleurer toutes les connaissances qu'il lui faudrait avoir ; mais il
lui donnera des notions sur la justice, sur la morale dont chacun porte la
règle en sa conscience, et sur les principes impérissables d'où se déduit
l'art de régner selon la loi de Dieu et pour le progrès de l'humanité. Voilà
ce qu'il entreprend dans ce gracieux compendium ; et il le fait, non
sèchement, ni dogmatiquement, comme l'aurait pu concevoir la sagesse antique,
mais avec toute la douceur de la piété chrétienne. Dès le
premier chapitre se voit le but du roi. « Parce que, y est-il dit, des choses
qui sont sues et connues par expérience on sait mieux et à plus vrai parler
que de celles qu'on ne connoît pas, après que nous avons contemplé et ramené
à notre mémoire aucunes choses qui en notre temps sont advenues en notre
royaume de France touchant le gouvernement, garde et défense d'iceluy, tant
du vivant de notre feu père de bonne mémoire, le roi Charles VII — que Dieu
absolve ! — que du nôtre ; et de plus, après que nous avons visité et comparé
les choses advenues au temps de nos prédécesseurs rois de France, ainsi que
les causes et dépendances d'iceux faits, comme les chroniques les rapportent
; désirant que ceux qui après nous viendront et règneront, spécialement notre
cher et très-amé fils Charles, dauphin de Viennois, puissent bien profiter,
régner et triompher, et à la fin paradis avoir, nous avons conçu le travail
qui suit. » L'histoire,
en effet, est la leçon la plus directe de tous, surtout des rois. Louis XI le
savait si bien qu'on lit dans le Rozier ces remarquables paroles : « La
recordation des choses passées est moult profitable, tant pour se consoler,
conseiller et réconforter contre les adversités, que pour esquiver les
inconvénients auxquels les autres ont trébuché ; et pour s'animer à bien
faire comme les meilleurs... Car, ajoute-t-il, ce est grand plaisir et bon
passe-temps de réciter les choses passées ; de savoir comment, de quelle
manière et en quel temps, sont advenues pertes, conquêtes et réductions de
villes et de pays. » Viennent
ensuite de hautes considérations sur la justice et sur ce que le roi appelle
le bien commun de la France : c'est ici particulièrement qu'il trace d'une
main sûre les devoirs de la royauté, et que dans une rapide exposition il
s'élève à la hauteur de Montesquieu. « Le monde, dit-il, enseigne ceux qui y
demeurent par ceux qui en partent ; la mort est légère à celui qui est
certain que bien après lui en adviendra.... La chose publique est bien
au-dessus de l'intérêt particulier par lequel souvent le bien commun est
empêché... Quand les rois et les princes n'ont égard à la loi, ils ôtent au
peuple ce qu'ils eussent dû lui laisser, et ne lui baillent pas ce qu'ils
eussent dû lui donner. Ce fait, ils rendent le peuple serf, et perdent le nom
de roi ; car nul ne doit être appelé roi que celui qui règne sur des Francs.
» Ces
mots, qu'on a voulu tourner contre Louis XI[27], renferment au contraire l'idée
fondamentale de son règne et l'explication de tous ses actes. Quelle loi
était possible, en effet, avec une aristocratie présomptueuse et ignorante
qui se croyait tout permis et ramenait la décision de toute chose à la force
? Il fallait donc, à cette noblesse hautaine et indomptée, faire sentir le
joug de l'autorité, pour qu'il y eût enfin une loi à laquelle tous, grands et
petits, fussent également soumis. C'était là son but, et si pour successeurs
il avait eu des hommes dignes de comprendre ses vues, peut-être n'aurait-on
pas eu besoin au dix-septième siècle des rigueurs de Richelieu. A l'occasion
de ses maximes on a dit encore[28] que ses théories valaient mieux
que ses actes ; mais à bien examiner cette époque, on repousse cette censure
; et de l'étude même de ces actes, dont nous ne pouvons citer qu'une faible
partie, ressort la preuve irréfragable de son incessante préoccupation des
intérêts et de la grandeur de la France. Enfin,
en dernier lieu, le roi entretient son fils des choses de la guerre. Pour
être bien accueilli des jeunes seigneurs à une époque de chevalerie, il
fallait bien traiter du métier des armes. Cet abrégé renferme, en effet, de
très-sages préceptes sur la formation d'une armée, sur les qualités
nécessaires à celui qui la commande, sur la discipline et sur l'esprit
d'obéissance qui convient au soldat, sans oublier de dire comment on doit
parler aux troupes. Tel est
ce livre du Rozier des guerres qui, réuni aux chroniques pour servir à
l'éducation du dauphin, devait être par lui étudié et médité lorsqu'il serait
en âge de le faire avec fruit. C'était l'intention formelle du roi. Comment,
lorsqu'on avoue que « rien n'est plus digne d'un loyal et vertueux prince que
cet écrit, » peut-on dire que « le dauphin n'avait rien autour de lui qui pût
lui élever le cœur, ni lui donner goût à devenir docte et sage[29] ? » Ces quelques
pages, en effet, semblèrent au président d'Espagnet, « si riches en
belles sentences, si remplies d'utiles instructions, et un manuel si digne
d'un monarque, » qu'il ne crut pouvoir mieux faire que de rééditer en 1616
cette œuvre de Louis XI pour l'instruction du fils de Henri IV, alors âgé de
quinze ans. Malheureusement celui pour qui elles furent d'abord écrites ne
sut que faiblement en profiter, et séduit, malgré les avertissements
paternels, par les flatteurs et les ambitieux, il se laissa entraîner aux
plus dommageables entreprises. Outre
celles déjà connues, la France fit en cette année 1482 plusieurs pertes
notables. Alors moururent Nicolas Bataille, très-habile jurisconsulte ;
Martin Magistri, qui, bien que fils d'un boucher de Tours, s'était élevé par
sa science, était devenu régent au collège primitif de Sainte-Barbe[30], puis confesseur et aumônier du
roi, et d'autres nobles personnages. Alors on perdit encore Charles de
Gaucourt, ancien lieutenant du roi à Paris, les archevêques de Narbonne et de
Bourges, et dans les premiers jours de janvier 1482(3), le cardinal Guillaume
d'Estouteville, archevêque de Rouen. Ces deuils ramenaient toujours les
esprits sur l'état du roi et semblaient d'un triste présage. Lui-même ne se
faisait point illusion et croyait qu'un miracle seul lui pouvait rendre la
santé. Sachant sa confiance aux moyens surnaturels, le sieur de Moreul lui
écrit de Soissons touchant un homme de sainte vie, nommé frère Bernardin, qui
priera Dieu pour la prolongation de ses jours. Les religieux de Charroux
offrent de lui porter le morceau de la vraie croix qu'ils gardent
précieusement : l'abbé du Mont Saint-Michel envoie, avec l'acte de la
fondation de son monastère, une mention des faits miraculeux qui s'y sont
opérés. Le 22 décembre le roi fonde une messe pour chaque semaine devant
Notre-Dame de Cléry. Dans le même mois on le voit accorder de nouveaux
revenus à l'église de Saint-Denis, et l'exemption de taille aux habitants de
la ville ; puis, le 27, par une mesure générale, confirmer les privilèges
octroyés à diverses cités. Cependant,
à Arras, les plénipotentiaires finissaient par s'entendre après de longs
débats. Le 4 décembre, le roi avait donné des instructions définitives et ses
pleins pouvoirs aux quatre délégués français. Il aurait bien désiré la
conservation de l'Artois et de la Franche-Comté par droit de dévolution et de
conquête ; mais les Flamands ne voulurent laisser ces pays au roi, aussi bien
que les seigneuries de Mâcon, d'Auxerre, de Salins, de Bar-sur-Seine et de
Noyers, que comme dot de Marguerite, en sorte que, si le mariage n'avait pas
lieu, ou si mademoiselle Marguerite mourait sans enfants, il y eût retour de
toute cette dot à l'archiduc Maximilien ou à son fils Philippe. La France
réclamait à bon droit Lille, Douay et Orchies, cédées par Charles V sous condition
de retour. Il n'y fut point non plus consenti. Sans doute une nouvelle et
vigoureuse campagne eût assuré ces provinces au roi ; peut-être le pensait-il
ainsi lui-même ; mais, dans l'état où il était, il ne pouvait léguer à son
fils enfant les embarras d'une pareille guerre ni compromettre les annexions
déjà faites. Voilà pourquoi le roi céda. La seconde paix d'Arras fut donc
enfin conclue la veille de Noël. Édouard
IV devait-il bien compter sur la promesse d'alliance avancée à Pecquigny ?
Lui-même n'avait-il pas plus d'une fois rompu ce pacte par ses traités avec
François II et avec Maximilien ? Le projet actuel de mariage ne pouvait donc
beaucoup le surprendre ni le blesser profondément. Il semble même qu'il eût
un peu perdu le droit d'être très-susceptible ; car, excepté quelques rares
exceptions, lorsqu'il désire la paix par exemple, où il appelle le roi son
très-cher parent et son confrère, toujours il le qualifie d'adversaire
Louis de France et prend pour lui-même le titre de roi d'Angleterre et
de France. Quoiqu'on ait année par année les quittances de l'annuité que
Louis XI lui avait promis à Pecquigny, il ne se gênait guère d'envoyer de
temps à autre des secours à ses alliés, comme on l'a vu à Guinegatte. Enfin,
bien qu'à Londres la princesse Élisabeth se fit appeler dauphine, on
savait que Louis agréait peu ce mariage anglais, et qu’il n'y avait pas
encore en d'engagement bien formel. D'ailleurs cette nouvelle paix d'Arras
n'était point obtenue sans quelques sacrifices. En voici la teneur : « Le
dauphin épousera mademoiselle Marguerite, qui sera immédiatement conduite à
Franchise et remise au sire de Beaujeu, ou à tout autre délégué du roi, pour
être élevée à la cour de France comme dauphine, comtesse d'Artois et de
Bourgogne ; le roi jurera sur la vraie croix que, l'âge venu, le dauphin
l'épousera ; la dot de la princesse sera l'Artois, la comté de. Bourgogne,
les seigneuries de Mâconnais, Auxerrois, Salins, Bar-sur-Seine et Noyers ;
faute d'enfants de ce mariage, ces terres retourneront.au duc Philippe et à
ses hoirs ; le roi, qui est en possession de ces pays, admet qu'ils soient
patrimoine de la princesse ; il pourra retenir les comtés d'Artois et de
Bourgogne jusqu'à ce que les villes de Lille, Douai et Orchies lui aient été
rendues ; ces pays seront gouvernés au nom du dauphin et de la princesse ; le
château et le bailliage de Saint-Omer ne seront remis au dauphin qu'après la
consommation du mariage ; pendant la minorité les officiers de Saint-Omer
seront nommés par l'archiduc et institués par le dauphin ; si la princesse
décède avant le dauphin, cette contrée passera sous l'obéissance de
l'archiduc et de son fils. « Le
remboursement des emprunts qui ont été faits et des pensions inscrites et
dues est assuré. Le roi promet à cet égard de tout faire pour le mieux.
Moyennant ce partage fait à la princesse, le roi et le dauphin renoncent pour
elle à tout ce qu'elle pourrait prétendre des biens de la duchesse sa mère ;
son douaire sera de 50.000 livres de rente assignées sur le bois de
Vincennes.. A cause de ce mariage, le roi ni le dauphin ne pourront, pendant
la minorité du duc Philippe, prétendre au gouvernement de la Flandre et du
Brabant, Si le duc Philippe meurt sans enfants, les droits de Marguerite sur
les pays de son héritage sont reconnus. Dans le cas où le dauphin hériterait
de ces États, le roi et le dauphin jureront de les entretenir dans leurs
anciens droits, coutumes, libertés et franchises ; de ne point assujettir au
parlement de Paris les pays qui n'y sont pas sujets actuellement ; ces pays
promettent aussi de s'entr'aider, de reconnaître la souveraineté du roi et le
ressort en la comté de Flandre, et que le duc, dès qu'il sera en âge, en fera
foi et hommage au roi ; enfin le roi confirme les privilèges anciens et
nouveaux accordés aux trois membres de Flandre. « A
l'égard du transit des marchandises et des trois villes de Lille, Douai et
Orchies, il en sera comme du temps du duc Philippe le Bon. Leurs appellations
seront portées en la chambre de Flandre et de là au parlement. La duchesse
douairière rentrera dans les biens de son douaire et dans ses pensions. Elle
recevra 20.000 écus pour rachat de ce qu'elle possédait en Bourgogne. Il sera
accordé de part et d'autre une abolition pour tous ceux qui auront tenu le
parti contraire. Ceux dont les biens auront été vendus pour dettes y
rentreront en payant ce qu'ils devaient. Les héritiers rentreront dans les
biens de leurs parents, ceux-ci fussent-ils morts dans le parti contraire,
mais ne réclameront point pour dommages ni intérêts. Les héritiers du
connétable et de Philippe de Croy jouiront du bénéfice de la paix : mais pour
rentrer dans leurs biens, ils se pourvoiront devant le roi. Le roi se réserve
de prononcer sur les grandes donations faites en dernier lieu en Bourgogne
par la duchesse Marie. On sollicite en faveur du comte de Romont ; le roi
emploiera tous ses bons offices pour qu'il retourne en ses terres, Les
princes d'Orange, le comte de Joigny, Liépard de Châlon, Guillaume de Beaune,
Claude de Toulongeon, l'abbé et les religieux d'Anchin, et ceux de
Saint-Waast rentreront dans leurs biens en quelques lieux qu'ils soient
situés. — Il n'est fait, on le voit, nulle mention du sire de Comines, tandis
qu'aucun des anciens fauteurs du parti bourguignon n'est omis. — « Les
gens d'Arras, retirés dans les pays de l'archiduc, pourront retourner chez
eux sans crainte d'être inquiétés. Les parents et héritiers de ceux qui ont
été exécutés comme étant du parti contraire, pourvu que ces exécutions ne
proviennent pas de causes particulières et n'aient pas été prononcées par les
juges ordinaires, succéderont et jouiront de leurs droits sans être tenus de
résider dans leurs terres. « Les
villes de Bapaume, Arras, Aire, Lens et Béthune, qui ont tant souffert,
seront exemptes de toute aide pour six ans ; on remet aux villages de
l'Artois ce qu'ils doivent d'arrérages ; le roi confirme les privilèges
donnés à Douai par la duchesse douairière. Les sentences du grand conseil des
ducs Philippe et Charles, de la duchesse et de Maximilien à la cour de
Malines, seront exécutées, pourvu que les droits du roi n'y soient point
intéressés ou que l'affaire ne soit déjà devant le parlement : mais tous les
procès concernant le pays d'Artois et les villes de la Somme, qui ont été
portés au grand conseil de Flandre ou à la cour de Malines, seront renvoyés
au parlement pour y être définitivement jugés ; les amortissements,
compositions, anoblissements accordés par les ducs et duchesses sortiront
leur effet en prenant nouvelles lettres du roi, lesquelles seront accordées
sans finance ; il en sera de même des abolitions et rémissions, et aussi pour
les communautés et pour les particuliers des pays de Flandre et des comtés
d'Artois et de Bourgogne ; les bénéfices en possession paisible ne pourront
être troublés sous prétexte des privilèges des universités ni autrement ; les
villes et bailliages de Tournay, Saint-Amand, Mortagne, seront compris en
cette paix et traités comme sujets du roi ; ce que le roi possède ou a donné
dans le Luxembourg sera rendu au duc d'Autriche, et aussi les maisons de
Flandre et de Conflans[31] situées à Paris ; la maison
d'Artois demeurera à la princesse Marguerite : quant à Château-Belin et
Orgelet, donnés à Jean de Châlon par la duchesse Marie, les princes et
princesses de la maison de Châlon auront à s'adresser au roi. « Pour
la facilité du commerce, le roi retirera ses troupes de Lens et de l'Écluse ;
il diminuera les garnisons d'Arras, Béthune, Hesdin et autres lieux
considérables. Accordera-t-on aux députés flamands qu'Édouard IV et François
II soient compris dans ce traité ? Cela ne se peut, puisqu'avec l'Angleterre
et la Bretagne on a des trêves qu'on veut entretenir. Le roi ayant été prié
d'abandonner Guillaume de la Marck, qui faisait la guerre au Brabant, il fut
nettement répondu que, la paix étant faite, le roi assisterait le duc et ses
États contre quiconque les voudrait attaquer. Des deux parts on travaillera à
rendre la mer libre. Il y aura garantie réciproque de sûre navigation dans
les ports et fleuves des deux pays. On se donnera une mutuelle assistance. Il
y aura extradition des malfaiteurs dès qu'elle sera demandée. Si de part ou
d'autre on contrevient à cette paix, les torts seront immédiatement réparés.
On n'en viendra point aux voies de fait ; on tentera d'abord toutes les voies
d'accommodement. Le roi et le duc réservent tous les droits dont il n'est
point fait mention. Ils pourront les poursuivre par justice, non autrement. » On alla
de bonne foi, en effet, au-devant des difficultés. Le ressort et le service
militaire étaient deux grands embarras de la féodalité. Les juridictions des
seigneurs se trouvaient rarement d'accord avec celles des évêchés, abbayes ou
chapitres, ou des villes ou communautés. Il naissait de là beaucoup de
complications, de conflits et de retards, d'où résultait souvent l'évasion ou
l'impunité du coupable. Ces points furent soigneusement réglés. Qu'un vassal
possédât plusieurs fiefs en des lieux éloignés l'un de l'autre, il devait le
service à ses seigneurs ; mais ces seigneurs mêmes pouvaient être en guerre
l'un avec l'autre : alors à qui obéir ? Il fut donc dit que ceux qui avaient
des fiefs à la fois en France et dans les États des ducs ne devaient pas à
ceux-ci le service personnel. On convint également que, si le mariage ne
s'accomplissait pas, le roi ou le dauphin ferait conduire honorablement la
princesse jusqu'à une ville de Flandre, et que toutes les terres constituant
sa dot seraient rendues au duc, la souveraineté seule de ces pays étant
réservée au roi. A ce
traité, outre le sceau du roi, durent être apposés les scellés des ducs
d'Orléans et de Bourbon, du cardinal son frère, des comtes d'Angoulême, de
Nevers et de Vendôme, du sire de Beaujeu, des comtes princes du sang subrogés
au lieu des pairs, du duc-archevêque de Reims, des évêques ducs de Laon et de
Langres, des évêques-comtes de Noyon, de Châlons et de Beauvais, pairs
ecclésiastiques, de l'université de Paris, des villes et communautés de la
capitale, de Rouen, Orléans, Lyon, Troyes, Poitiers, Toulouse, Reims, Amiens
et autres cités ; des prélats et nobles des comtés d'Artois et de Bourgogne. Il
était dit aussi que les trois états du royaume s'obligeraient à entretenir le
traité, engagement qui fut pris en effet par les pays du nord, de l'ouest, du
centre, du midi, et par les pays d'élection[32]. On croit voir là une preuve
que « les états provinciaux avaient alors un caractère de permanence et
de régularité[33] ». Ces princes, pairs, villes
et seigneurs s'engageaient à appuyer le traité, à en soutenir l'exécution, à
ne former jamais d'autres prétentions, promettant que si, faute d'hoirs issus
du duc Philippe, les pays de Brabant, Flandre, Hainaut, Hollande, Zélande,
venaient à la princesse ou à ses descendants, ils seraient tenus dans leurs
anciens droits et coutumes. D'autre part l'archiduc et les états de ses pays
promettent de donner les mêmes sûretés. Quand on considère les troubles qui suivirent la mort du roi, dès lors facile à prévoir, il est certain que ce traité fut de sa part une œuvre de haute prévoyance. Il se résigne à la perte possible de quelques provinces, il est vrai ; mais il fait en sorte que l'esprit français y pénètre de plus en plus ; il indique à ses successeurs le légitime agrandissement qu'ils doivent poursuivre. Après avoir fixé notre frontière du sud aux Pyrénées, il leur montre à l'est notre limite naturelle du Rhin et des Alpes. Sans doute, les adversaires du roi trouvaient dans les conditions de ce traité tous les avantages qu'ils pouvaient espérer ; mais la France n'avait point à s'en plaindre. Elle respirait enfin ; et après une si longue lutté, malgré tant de sacrifices qu'elle jugea utiles lorsqu'ils lui furent demandés, elle se voyait plus grande, plus respectée, plus forte que jamais, et dans la sûre voie pour atteindre encore à une plus grande prospérité. C'était à cela qu'aboutissaient les incessantes sollicitudes du roi. Là était sa suprême consolation. |
[1]
Une chronique citée par Legrand.
[2]
Comines.
[3]
Barante.
[4]
Olivier de la Marche.
[5]
Legrand.
[6]
Ms. Béthune, n° 2907, p. 28.
[7]
Barante.
[8]
Garnier.
[9]
Legrand.
[10]
Épître XVIIe, p. 12.
[11]
Comines.
[12]
Pièces de Legrand.
[13]
Legrand.
[14]
Ms. de Béthune, n° 2097.
[15]
Legrand.
[16]
De Cherrier, Histoire de Charles VIII.
[17]
Pièces historiques de Legrand.
[18]
Comines.
[19]
Legrand.
[20]
Ms. n° 2907.
[21]
Cherrier.
[22]
Legrand.
[23]
Chronique de Charles VII par Jean Chartier, publiée par M. Vallet de
Viriville,1858, Bibliothèque elzévirienne, t. III, p. 30.
[24]
M. Vallet de Viriville
[25]
M. Vallet de Viriville
[26]
Barante.
[27]
Barante.
[28]
Barante.
[29]
Barante.
[30]
Félibien.
[31]
Legrand.
[32]
Comines.
[33]
M. Laferrière.