Première attaque du
roi. — Sa réponse à la bulle du pape. — Stérile agitation de Maximilien. —
Mort de Mahomet II. — Le camp du Pont-de-l'Arche. Actes du roi en 1481. —
Procès et condamnation de René, duc d'Alençon. — Ambassade de Bretagne et
arrogante intervention de Maximilien. — Infraction à la trêve. Dévotion et
clémence du roi. — La Provence léguée au roi. — Palamède de Forbin. —
Intervention du roi en Savoie. — Il prépare son tombeau. — Son pèlerinage à
Saint-Claude. — Au retour il s'arrête à Beaujeu.
Au
milieu de ces vicissitudes et de ces travaux la santé du roi allait toujours
s'affaiblissant ; ses forces ne répondaient plus que difficilement à
l'activité de son esprit et de sa volonté. Son courage et l'ardeur qu'il
apportait à ses devoirs de roi ne lui permettaient pas de prendre le repos
qui lui eût été nécessaire. Ses ennemis n'ignoraient point la gravité de cet
état de langueur et ne songeaient qu'à en profiter. Aussi, dès le 9 février,
Maximilien donnait-il à ses députés auprès du roi Édouard et de François II,
des pouvoirs pour les armer contre la France ! Mais plus le mal intérieur
faisait de progrès, plus le roi, de son côté, s'efforçait de le dissimuler.
Il était sans cesse en mouvement ; s'il ne va pas aux chasses du Gâtinais,
selon sa coutume, il circule en son voisinage, n'omettant point, lorsqu'il
fait écrire pour affaires courantes, du Plessis, 5 novembre, et le 27
décembre 1480 par le sire de Beauvau et par Boffile de Judice à la chambre
des comptes, de dire à ces messieurs que sa santé s'améliore, et qu'il a tel
rendez-vous de chasse. En vain
il avait envoyé un message à Girard Cochet, célèbre médecin de Reims ; on ne
lé voit pas se décourager un seul instant par l’inefficacité des remèdes
humains, et les comptes de son argentier nous montrent qu'il payait par mois
à son premier médecin, Angelo Catho, qu'il fit ensuite archevêque de Vienne,
la somme de 100 écus d'or (environ 1.600. francs) à raison de 1.925 livres
tournois pour l'année. Le printemps, loin d'améliorer sa situation, ne fit
encore que l'empirer. Dans le courant de mars, et pendant son repas aux
Forges, près Chinon, il eut une attaque qu'on crut être d'apoplexie. Il fut
quelque temps à recouvrer la parole. C'est Angelo Catho qui dirigea les soins
qu'on lui donna. « Sur l'heure, dit Comines, vous y arrivâtes,
Monseigneur de Vienne, qui pour lors estiez son médecin ; vous feites ouvrir
les fenestres, et incontinent quelque peu de parole lui revint... Il me feit
signe que je couchasse dans sa chambre. Il ne formoit guère de mots : je le
servis pendant l'espacb de quarante jours à la,table et à l'entour de sa
personne, comme varlet de chambre, ce que je tenois à grant honneur. » Un peu
rétabli, il s'informa aussitôt de ceux qui l'avaient tenu par force auprès du
feu, et les exclut du palais, pour ne plus les revoir. Parmi eux était
Jacques d'Espinay, seigneur de Sègre, et le sire Gilbert de Grassay. C'était
les punir d'une ignorance bien excusable, car il n'y avait eu de leur part
nulle mauvaise intention. On ne saurait voir ici qu'une boutade, un caprice,
que la souffrance seule explique. Louis XI ne pouvait soutenir la pensée
qu'on eût osé le retenir malgré lui, surtout quand on n'était sûr de bien
faire. Pendant
les douze jours qu'il resta absolument empêché, Louis d'Amboise, évêque
d'Alby, du Lude, gouverneur du Dauphiné, le maréchal de Gié, comte de Mole,
et les sires du Bouchage et de Beauvau, dont Comines ne parle pas,
expédièrent les affaires les plus urgentes, ayant soin de réserver celles qui
pouvaient attendre. « Nous faisions peu d'expéditions en attendant la fin de
cette maladie, nous dit Comines, car il estoit maigre avec lequel il falloit
charrier droit... Il revint en son premier estat ; mais il demoura très
foible et en grant suspension de retourner en cet inconvenient... » Sitôt
qu'il put, il monta à cheval pour calmer par sa présence les inquiétudes et
les mauvais bruits. Quoique bien faible encore, il reprend la direction des
affaires ; il se faisait lire ses dépêches par Comines et indiquait d'un
signe ce qu'il fallait répondre. Mais, à
cette occasion, il y eut grande agitation et contentement chez tous les
adversaires du roi. On parle de coalition en Bretagne, en Angleterre et en
Flandre. Édouard ne venait-il pas de demander au duc François la main de sa
fille Anne pour le prince de Galles ? C'était une riche héritière, et réunir
la Bretagne à l'Angleterre eût été un coup de maitre, Ce dessein ne
déplaisait-nullement au duc, parfois inquiet de son isolement. Or toute cette
affaire se conduisait par le prince d'Orange et le comte de Chimay, envoyés à
Londres et à Nantes par le duc Maximilien pour arriver, s'ils peuvent, à un
traité qui fut en effet secrètement signé à Londres le 16 avril. Le 10 mai on
signe encore le contrat du mariage projeté, lequel devait, comme tant
d'autres, si peu se réaliser ! Cependant
force fut à Maximilien de demander au roi de nouveau la prolongation de la
trêve, laquelle fut prolongée pour un an. Sitôt qu'elle fut signée « le roi
fit rendre exactement aux nobles ce qu'ils avaient payé pour être dispensés
de marcher, et aux communes ce qu'elles avaient soldé pour le service de
l'infanterie et de l'artillerie[1] ». La trêve, il est vrai,
ne se maintenait pas sans qu'il y eût de part et d'autre, surtout e la part
des Flamands, et Molinet en convient, des courses et des pillages. On y était
accoutumé en Bourgogne et en Flandre, aussi était-on en mesure d'y mettre
ordre. A peine
un peu remis, le roi poursuit le cours de ses rémissions et de ses dons.
N'espérant que faiblement en la science humaine, il persiste en ses pieuses
largesses. Déjà le 9 mars il avait pressé l'enregistrement de ses lettres en
faveur de l'église de Notre-Dame la Riche, à Tours. Pari 'entremise des
Vénitiens, il adresse, le 19, une belle offrande à Sainte-Catherine du
Mont-Sinaï en Arabie ; plus tard il en envoie une autre à Notre-Dame du Puy
en Anjou, et fait passer à un orfèvre de Lyon une forte somme pour enchâsser
un bras de saint Charlemagne, suivant un vœu qu'il avait fait. Le 22 avril,
jour de Pâques, il donne les seigneuries de Menehoud et autres à sire André
de Laval, et plusieurs terres au sire de Vergy ; il prononce une abolition
pour Marc Desquarts, prêtre de Saint-Junien, cité pour avoir mal parlé de
lui, et aussi peu après en faveur d'un archidiacre d'Autun, prévenu de
félonie. Au mois de mai, à la demande de Jean d'Estouteville, seigneur de
Torcy, « qui désire faire construire à Rouen une église et un monastère
de religieuses de l'ordre de Sainte-Claire, et veut acheter le terrain
nécessaire, » le roi consent à l'amortissement de cette place. Il
commençait à recevoir quelques personnes lorsque l'évêque de Sessa, porteur
d'une bulle du saint-père, arriva le 29 avril au Plessis. L'audience fut
solennelle. La bulle disait qu'en raison des dangers qui menaçaient l'Italie
et la chrétienté, les princes, sous peine de censures ecclésiastiques,
devaient, pour trois ans, suspendre leurs différends et toute guerre entre
eux. Certes, les sentiments du roi n'étaient pas douteux. Ne venait-il pas de
recevoir les remercîments du grand maitre des chevaliers de Saint-Jean pour
les quatre canons qu'il leur avait envoyés par Galiot de Genouillac, et,
selon Albini, de faire parvenir 40.000 écus d'or à Ferdinand de Naples pour
le recouvrement d'Otrante ? A cette
bulle le roi répondit qu'il ferait son possible en faveur de l'Italie ; qu'il
désarmera si les autres désarment, mais que la trêve était déjà assez mal
observée par ses adversaires, et que, sous prétexte de paix, il ne pouvait se
laisser piller et dépouiller. Puis au cardinal de Saint-Pierre, 'qui était
resté à Tours, il envoie immédiatement le sire de Beaujeu, le chancelier, et
avec eux les sires de Saint-Pierre, de Curton, de Forbin et -le seigneur de
Château-Guyon, récemment admis à son service. Il leur fut facile d'établir
que Louis XI n'était point agresseur ; qu'il fallait surtout écrire aux
nonces des autres puissances ; « qu'à « chaque trêve 15nitiativé des ruptures
n'était jamais venue du e roi ». En effet, qu'était le traité de Londres du
16 avril, sinon encore une sorte de coalition contre la France ? car ce
traité tout récent, et fait en violation de tant de promesses, n'avait pas
été si secret que le roi n'en eût été immédiatement informé. En réalité on
était menacé de plusieurs guerres, et l'empereur fomentait celle-ci au lieu
de l'apaiser. Maximilien,
qui n'avait point d'armée à mettre en campagne, voulut du moins satisfaire
ses rancunes. Pendant que ses députés intriguent à l'étranger contre le roi,
il réunit un chapitre de la Toison d'or. C'est le 5 mai qu'on s'assemble à
Bois-le-Duc. Le 8 mai Philippe de Brabant, fils encore enfant de Maximilien,
est fait chevalier par le comte de Ravestein, comme s'il n'eût pas mieux valu
dire qu'il avait trouvé son haubert de chevalier, comme son blason, dans son
berceau ! Là se 'voit déjà la décadence de la chevalerie ; mais là surtout on
saisit l'occasion de faire le procès à ceux des officiers de Flandre et de
Bourgogne, membres de l'ordre, qui avaient pris du service dans l'armée du
roi. Cette censure atteignit successivement Jean de Neufchâtel, sire de
Montaigu ; Philippe Pot, seigneur de la Roche-Nolay ; Jacques de Luxembourg,
et très-sévèrement Jean de Damas, seigneur de Clessi, mort depuis peu. On
voulut bien surseoir au jugement du grand bâtard, qui avait aussi donné sa
parole au roi ; mais les plus grandes rigueurs de cette assemblée furent
réservées au sire de Querdes. Son écusson ne fut pas seulement retiré de sa
place, on l'appendit renversé à la porte de l'église[2]. On se souvenait que la dame de
Crèvecœur, sa mère, avait dirigé les premières années de la duchesse Marie. On
n'avait vu d'abord dans l'établissement de ces ordres de chevalerie par les
grands vassaux que l'émulation qui devait en résulter pour le service du
seigneur. C'était là le bon côté. Mais comment ne songea-t-on point à ce
qu'il adviendrait si le seigneur osait jamais faire la guerre à son suzerain
? Ces institutions attaquaient indirectement le roi : elles supprimaient son
'droit incontestable de chercher les serviteurs autour de lui dans toutes les
terres de sa mouvance. Là encore Maximilien s'arrogeait un droit qui ne lui
appartenait pas. Les
députés de l'empereur, qui arrivèrent alors, ne purent qu'ajouter à la
mauvaise humeur de l’archiduc. Ils venaient, en effet, d'auprès du roi, et
n'avaient pu lui arracher aucun des sacrifices qu'ils se promettaient.
Maximilien se trouvait pour lors en fort triste situation. A bout de
ressources, ne s'imagina-t-il pas de poursuivre les plus riches bourgeois du
Brabant qui lui étaient hostiles, pour s'en défaire, sans doute, mais aussi
pour confisquer leurs biens ? Les historiens de Bourgogne nous le disent[3], rien n'égalait le désordre et
la rapacité de ce prince et des seigneurs qui l'entouraient. Ajoutons que le
pays était constamment dévasté par les gens de guerre, lesquels, ne recevant
point de solde, n'observaient aucune discipline. Ainsi
malgré la trêve, que d'ailleurs il ne fit publier en Flandre qu'à la
Saint-Jean, l'hostilité de Maximilien se manifestait dans ses discours et
dans ses actes, dans ses négociations à Londres, en Bretagne, et surtout par
son traité de coalition du 16 avril. Cela, du reste, n'empêchait point le duc
François, écrivant, le 9 juin 1481, au sire du Bouchage une lettre fort
obséquieuse pour le roi, de se plaindre d'avoir été mal jugé et de dire même « que
s'il n'avait pas été desservi par ses malveillants, il aurait été reconnu,
lui et l'archiduc, comme très-loyal prince[4] ». Cependant
une grande nouvelle arrivait en Europe. Mahomet II, celui qui la veille
encore faisait trembler le monde, venait de s'éteindre, le 4 mai, dans une
pauvre bourgade de l'Asie. Il laissait deux fils, Bajazet II et Djemm ou
Zizimi. Ils allaient se disputer son empire et pendant ce temps, du moins,
les chrétiens respireront. De son
côté Louis ne répondait aux provocations de ses ennemis que par de sages et
prudentes mesures. Afin de tenir en haleine les troupes qu'il gardait sous
les armes, de maintenir - parmi elles une exacte discipline, et surtout dans
le but de mieux juger les transformations récentes de l'armée, les nouveaux
règlements qu'il avait établis, les progrès de l'artillerie et l'introduction
d'un corps de Suisses dans son infanterie, il décida l'installation d'un camp
retranché. Tel avait été l'avis du sire de Querdes, qui semblait avoir
succédé, dans toute la confiance du roi, au grand maître sire de Dammartin.
Ce camp, qui rappelait un peu les anciens camps d'été des Romains, fut établi
dans une belle vallée de Normandie, entre le Pont-de-l'Arche et le Pont-Saint-Pierre.
C'était un champ de manœuvres, une école pratique pour tous les exercices de
l'art militaire et le premier exemple d'un excellent système d'observation et
de défense. Par sa position, il surveillait à la fois et tenait en respect la
Flandre, l'Angleterre et la Bretagne. Le sire de Crèvecœur eut le
commandement des plus grandes forces ; le bailli de Rouen, Guillaume Picard,
y commandait quatre mille hommes. Là se réunirent pour vivre sous la tente
hommes d'armes, pionniers, artillerie, équipages et environ quinze mille
hommes de pied, parmi lesquels se faisaient remarquer, par leur habileté et
par leur bonne tenue, une grande partie des six mille Suisses que Louis XI
retenait à sa solde. De
nombreux détails nous ont été conservés sur la composition du camp[5]. Les comptes du trésorier Raoul
de Hacqueville montrent par la somme des dépenses de l'année 1481 et de la
suivante, de combien d'hommes se composait chaque bande d'infanterie, car le
nom de régiment n'existait point encore ; chacune d'elles avait un commandant
d'un nom distingué par son mérite ou par sa naissance, et se subdivisait en
compagnies ayant elles-mêmes leurs capitaines. On voit ce que recevait alors
chaque officier. Les gages du trésorier Raoul étaient de 3.000 livres ; ceux
de Colinet, maître des œuvres de charpenterie et de maçonnerie, de 400 livres
; celui de Charles Fornie, prévôt des maréchaux, de 180 livres, ou de 15
livres par mois. Les frais furent fort considérables ; on paya tout ; même la
jouissance du sol où le camp était assis. Outre les deux mille cinq cents
pionniers, il y avait pour le service un fort nombreux équipage de charrettes
attelées de trois chevaux. On y encouragea les inventeurs d'engins nouveaux,
et nous remarquons cent livres données à un canonnier pour découverte d'une
machine destinée à ouvrir secrètement les portes des villes. A cela
se joignaient d'autres dettes à solder. Les comptes enregistrent 1,600 livres
payées pour réparations de Thérouenne et de Béthune, et à un nommé Jean
Guibert une somme de 29,200 livres pour remboursement de partie des 100.000
écus prêtés au roi par les villes de Cambray et de Franchise. En sorte que
Comines, qui porte la dépense annuelle du camp à la somme énorme de 1,500.000
livres, ne se trompe guère. Malgré
l'exacte discipline qu'on y observait, la sécurité laissa cependant à
désirer. Une bande de quatre cent soixante-deux hommes se révolta : c'était
celle de Robinet-Lecoq. Ils enlevèrent l'enseigne du capitaine et portèrent
le ravage dans le Beauvaisis. Le prévôt se mit à leur poursuite : il reçut,
dit-on, soixante livres de gratification pour y avoir rétabli l'ordre. On signale
encore à Bapaume la sédition de la bande d'Olivier de Hautemer ; mais, moins
nombreuse, elle fut plus aisément calmée. Restait
à faire face à de si lourdes charges. Déjà les états du Languedoc, réunis le
6 juin à Montpellier sous la présidence de Pierre d'Absac de la Douze, évêque
de Rieux, qui remplaçait l'évêque d'Alby, accordaient au roi 187,975 livres,
y compris l'équivalent, à condition que l'imposition en serait faite sur
toutes personnes privilégiées ou non. En étaient seuls exceptés les gens d'église
vivant cléricalement, et les gentilshommes vivant noblement, ou exemptés du
service soit par leur âge, soit par leurs infirmités : excepté encore les
écoliers de l'université, ou les commensaux de la maison du roi. Toutefois,
alors comme pour le rachat des villes de Picardie, les impôts ne suffisant
plus, Louis fut forcé d'emprunter. Le camp
n'en était pas moins une des meilleures innovations de ce temps. On conçoit
que le roi désirât le visiter. Il était au Plessis, dissimulant sa faiblesse,
accordant plusieurs privilèges aux gens de Lectoure comme dédommagement de ce
qu'ils avaient souffert, confirmant les statuts des tisserands de Tours et
des pourpointiers d'Amboise ; là encore il faisait don de plusieurs
seigneuries en Guienne au baron Amauri de Plumaugat, sans parler de plusieurs
autres généreuses concessions ! Il part donc de Tours à la fin de mai, ayant
soin, par une lettre au seigneur Hastings, de rassurer complétement le roi
d'Angleterre sur ses intentions très-pacifiques et contre les bruits
d'hostilités qu'on s'était plu à faire courir. Il veut la paix ; mais avec
des troupes permanentes, il est toujours prêt. C'était là une situation fort
enviée de ses rivaux. Le 10
juin, jour de la Pentecôte, il est à Chartres De là, ce même jour, il mande à
Paris ; aux maîtres des monnaies, de prendre des mesures à l'égard des
monnaies étrangères ; il ratifie la convention passée avec les gens de
Saint-Flour par l'écuyer Jean de Beauharnais, prévôt des maréchaux et nommé à
cet effet par Louis de -Joyeuse, comte de Chartres, pour l'entière libération
de l'évêque. De Dreux il écrit à ses féaux conseillers de Paris sur le nombre
des examinateurs ordinaires du Châtelet. Le 15 juin il arrive au camp : il y
passe ses troupes en revue. Pendant les dix jours qu'il y reste il s'informe
minutieusement de l'ordre et de l'organisation de tous les services. Aucun
détail ne lui échappe. Il en part le 27 juin. De Chartres, à son retour, il accorde
au pays de Caux les foires et marchés qu'on y demandait, et à l'évêque de
Poitiers ceux qu'il réclame pour son bourg d'Angle ; enfin aux habitants de
Franchise ou d'Arras les privilèges qu'ils sollicitaient. Dès le
lendemain de son arrivée à Tours il alla, le samedi 44 juillet, avec la
reine, faire une neuvaine au tombeau' de saint Martin. Cette dévotion était
héréditaire. Charles VI et Charles VII avaient comblé cette collégiale de
royales prérogatives. Chaque jour Louis y fut assidu : suivant sa coutume,
lorsqu'il visitait un sanctuaire, ou entendait la messe avec la reine, il y
déposait une offrande de trente et un écus d'or. Le jour de l'Assomption il
en donna trois fois autant qu'il avait d'années[6]. Toutefois sa piété ne se
bornait pas à ces actes de munificence, et le cœur y avait aussi sa part. On
raconte que, vers ce temps, comme il était en prière dans l'église de
Notre-Dame de la Pitié, un pauvre clerc, dit Guillaume de Culant, débiteur
d'un impitoyable créancier nommé Denis Bidault, vint se jeter à ses pieds et
lui représenta que, pour 1,515 livres qu'il ne pouvait solder, il avait été
un an en prison. Le roi paya la somme : « Puisque, dit-il, je prie Dieu a
qu'il ait pitié de moi, il est bien juste que j'aie aussi pitié des a
malheureux. » Le
temps, qui adoucit toute chose, change souvent les opinions des hommes, même
à l'égard de ce qui les a le plus vivement émus[7]. On sait que Louis XI avait
naguère pris parti contre les nominaux. Jean Boucard, évêque d'Avranches et
confesseur du roi, était réaliste ; on avait mis cette circonstance à profit
et les nominaux avaient été persécutés. Peu à peu les passions s'étant
calmées, les idées se modifièrent. Le roi ordonna donc, en cette année 1481,
que les livres des nominaux fussent décloués, et qu'on eût toute liberté de
les consulter. Alors aussi on le voit en juillet gratifier son valet de
chambre, Humbert Boisselier, de deux cents arpents de terre dans la forêt de
Chinon, moyennant une redevance d'une maille d'or payable à la recette de
Touraine ; et par lettres de Laferrière donner à l'église de Notre-Dame de
Loches l'amortissement de tout ce qu'elle possède. Toutes
ces concessions, si elles ne sont pas dictées par sa piété, sont des actes de
gratitude et d'équité. Quoi de plus juste, par exemple, que d'accorder aux
Suisses qui venaient servir en France le droit d'y acquérir des immeubles, de
les transmettre par testament, d'être exempts de tailles, et aux habitants de
Saint-Jean d'Angely, qui toujours avaient aidé la France contre l'Angleterre,
plusieurs nouveaux privilèges ! Les gens de Poitiers demandent-ils que
les condamnés conduits au supplice ne passent plus par la grande rue de
Saint-Hilaire ? Louis XI, membre du chapitre de Saint-Hilaire comme de celui
de Saint-Martin, voit dans cette requête même un progrès des mœurs publiques,
et la chose est octroyée. Si le camp était une utile précaution contre toute
agression armée de la part des étrangers, il en fut pris encore une autre
contre les intrigues qu'ils ne cessaient de fomenter à l'intérieur. Le roi
fit donc publier, dans les provinces frontières, ses lettres du 18 juillet
1481, lesquelles défendaient expressément à tous religieux mendiants
d'entretenir aucun commerce avec les ennemis de l'État. Surtout l'idée
d'unifier toutes les coutumes françaises semblait se fortifier en' son
esprit. Les 27, 28 et 29 août on le voit expédier des courriers à cet effet,
d'abord aux baillis de Meaux, de Vitry et de Troyes, même vers M. de
Neufchâtel à Bar-le-Duc, afin d'obtenir que les coutumes de leurs ressorts
lui fussent envoyées ; puis aussi, il requiert celles des bailliages de
Chartres, d'Évreux, de Gisors, de Rouen et de Caux. C'était une étude à faire
sur la Champagne et la Normandie. Toutefois
parmi tant d'actes, tous empreints de prudence et de justice, il en est un
que nous ne saurions approuver. Depuis longues années, le procureur général
du roi près le parlemente maître Jean de Saint-Romain, s'était acquis, ; dans
ses fonctions une grande réputation d'intégrité. On sait qu'il avait refusé
de demander l'enregistrement des lettres portant abolition de la pragmatique
sanction ; et depuis aussi, la publication de plusieurs bulles : sans doute
ce ne fut pas sans s'attirer quelques ennemis. Mais alors le roi ne crut pas,
sur un point grave, devoir céder à son opposition ; il le remplaça donc dans
son office par Michel de Pons. Peut-être
cette mesure si regrettable fut-elle une suite du rapprochement de Louis XI
et de Sixte IV, et cette concession au saint-père était-elle un moyen d'en
éviter d'autres plus onéreuses encore. C'était d'ailleurs le droit rigoureux
du roi. L'usage voulait, cependant, qu'il obtînt l'approbation du parlement.
Or la cour ne s'en tint pas dans ses remontrances à retracer le sincère dévouement
de Jean de Saint-Romain aux intérêts de la royauté et de la France, son
savoir profond, sa parfaite loyauté et l'honorabilité de son caractère ; mais
elle insista sur les difficultés de ces hautes fonctions destinées à
préserver le domaine royal de toute atteinte. Le lendemain encore, jour de
leur réponse sur ce sujet, les membres de l'illustre compagnie rappelèrent
les propres ordonnances du roi contre les surprises dont il pourrait être
victime et les nécessités où les graves devoirs du procureur général
pouvaient conduire ce haut magistrat. Au surplus, la cour ne considéra
l'office comme vacant que lorsque maitre de Saint-Romain fût venu lui-même
déclarer qu'il avait cessé de le remplir ; et alors Michel de Pons dut
obtenir de nouvelles lettres d'institution. Est-ce
à dire, comme on s'est plu à le reprocher à sa mémoire, que Louis XI eut de
l'aversion pour la justice ordinaire ? Pas plus alors qu'en 441, lorsqu'il
intima l'ordre au chancelier Doriole de sceller ses lettres sans délai, le
roi n'usait d'un pouvoir nouveau. Aussi bien, quand un nommé Husson, qui se
disait commissaire du roi, et auquel on reprochait certains méfaits, fut mis
en cause, si Louis demande qu'on lui envoie l'homme, son dossier, et les
informations déjà faites contre lui, afin de les examiner et de le punir s'il
y a lieu, c'est un droit qu'on reconnaissait encore à la couronne. Alors
aussi, tandis que tout se préparait pour l'ouverture des grands jours
d'Auvergne, un autre procès allait atteindre un vassal récalcitrant. Le roi
se 'crut dans la nécessité de poursuivre René, comte du Perche, fils et
héritier de Jean, duc d'Alençon. Célibataire, il menait une vie des plus
scandaleuses[8]. Excités par son exemple,
plusieurs de ses serviteurs s'étaient compromis jusqu'à commettre des
enlèvements et d'autres crimes ; et pour les juger, il avait fallu les aller
saisir dans la maison et sous les yeux mêmes de leur maître. Dans la guerre
du bien public, tandis que son père suivait le parti des princes, René était
resté fidèle au roi, qui s'en souvenait. Aussi Louis avait-il essayé de le rappeler
à la bienséance par des avis d'abord, et ensuite soit en diminuant ses
pensions, soit en donnant à d'autres quelques-uns des biens confisqués sur
son père[9]. Le prince, mécontent, se
laisse aller à des propos, peut-être à des menaces. Le roi, qui en est
informé, fait épier ses démarches, puis finit, lorsqu'il apprend que le jeune
duc cherche à sortir de France, par charger le comte du Lude de l'arrêter ;
ce qui fut fait le jour de la Saint-Laurent, à la Roche-Talbot. René,
qui n'était pas en très-bons termes avec Jean de Daillon, sire du Lude,
l'accusa de l'avoir desservi auprès du roi. Cet officier, en qui Louis XI
avait tant de confiance, mérite-t-il le reproche de rapacité que Comines ne
lui épargne point ? Eut-il part aux pilleries que Marafin fit à Cambray,
comme le prétend Gaguin ? Ce sont choses difficiles à éclaircir aujourd'hui.
Mais est-ce au sire du Lude que René d'Alençon pouvait s'en prendre des
scandales de sa conduite ? Il paraît même certain que le sire du Lude le fit
prévenir indirectement de prendre garde à lui. D'ailleurs, par lettres du 14
août, le roi reconnaît avoir donné verbalement à Jean de Daillon un mandat
d'arrêt contre le duc, et il en expose les motifs. Par une autre lettre de
Laferrière, 29 août, adressée à Messieurs du parlement, il déclare qu'il ne
veut pas que les terres du susdit prince soient mises en sa main et
gouvernées par lui, « ce qui serait trop grand'crierie », mais qu'on y
mette des régisseurs tant que le procès durera. D'abord
conduit à la Flèche, puis à Chinon, René y fut étroitement enfermé. Le
garda-t-on réellement douze semaines dans une cage de fer ? Du moins il n'y
resta que six jours entiers ; et ensuite, par égard pour sa santé, on l'en
fit sortir pour prendre ses repas. Ce fut là d'ailleurs sa principale
punition. L'instruction
de l'affaire fut d'abord faite à Chinon par Jean de Blanchefort, maire de
Bordeaux ; Hervé de Chaulnay, capitaine de la garde du roi, bailli de
Chartres ; maître Jean Vallée, solliciteur général du roi ; Gaspard Bureau et
plusieurs autres. Ceux qui durent prononcer furent le chancelier, le sire du
Lude, Philippe Boudot, conseiller du parlement de Paris ; Jean des Ponteaux,
président du parlement de Dijon, et Jean Falaiseau, lieutenant du bailli de
Touraine[10]. Son premier interrogatoire eut
lieu le mardi 21 août. Il fit l'aveu de son dessein de quitter la France, à
cause des craintes qu'il avait. Mais ce ne fut pas tout. D'après les
dépositions des gens de sa maison qu'on mit à la question, il aurait tenu certains
discours compromettants ; disant, par exemple, que si le roi mourait il y
aurait bien des troubles dans le royaume, « mais que pour lui il suivrait le
parti des ducs d'Orléans et de Bretagne » ; cela déjà était grave.
L'affaire se compliqua : on arrêta encore à cette occasion Jean, bâtard
d'Alençon ; Jean de Sahu, et Macé de la Bessière. Avec ce dernier fut
confrontée Jeanne d'Alençon, sœur naturelle de René, mariée au sire de
Saint-Quentin, ce qui donna lieu à la révélation de propos analogues aux précédents. Comme
les juges paraissaient incliner à l'abandon de l'affaire, le roi leur écrit
du Plessis, 4 septembre. Il leur rappelle des lettres de François II où il
est dit qu'en passant en -Bretagne « M. du Perche ne fût pas allé en un lieu
où il eût pu lui faire dommage. » Le roi ajoute : « Vous voyez donc bien, si
vous n'êtes bien bêtes, que le duc déclare par là les péchés de M. du Perche
afin de s'excuser soi-même. Aussi bien est-il en complète forfaiture pour
s'en aller en Bretagne comme en Angleterre. » Il paraissait 'certain, en
effet, que René d'Alençon voulait passer à Londres, et ce n'était pour y
servir la France. En
réclamant, comme il le fit, les privilèges de la pairie, René semblait
oublier qu'il y avait formellement renoncé lorsqu'il obtint son abolition. On
lui accorda d'être jugé par le parlement : il fut donc transféré à Vincennes.
Le procès dura plus d'une année : la sentence, du 22 mars 1488, porte, «
qu'avec juste raison, il a été pris et constitué prisonnier ; que pour les
fautes et désobéissances par lui commises envers le roi, il lui requerra
merci et pardon ; qu'il promettra et jurera solennellement de bien et
loyalement désormais servir le roi ; de lui obéir envers et contre tous, sans
nul excepter, jusqu'à la mort inclusivement ; et de ne rien pourchasser ni
directement ni indirectement qui soit préjudiciable au roi ni au royaume,
sous peine d'être privé de ses honneurs et prérogatives ». Il fut encore
ajouté qu'il donnerait bonne sûreté au roi et qu'il tiendrait prison jusqu'au
plein accomplissement des choses dessus dites. Si l'on compare encore ce
procès à ceux intentés deux siècles plus tard par Richelieu, peut-être
trouvera-t-on que la justice de Louis XI fut moins dure que celle du
cardinal. De leur
côté, à quels expédients les ennemis du roi ne recouraient-ils pas ? Depuis
quelque temps déjà l'on croyait avoir la certitude que Maximilien
contrefaisait la signature de Louis XI. Dès le 13 avril 1480 le conseil avait
été appelé à en délibérer. Le roi pensait alors à changer sa signature ; mais
son conseil lui représenta tout l'inconvénient d'une telle mesure et fut
d'avis qu'en matière de finances le roi ne signât rien sans y faire ajouter
le contreseing de deux secrétaires commis à cet effet. De Bressuire, 31
octobre, le roi mande donc à Messieurs des comptes de ne recevoir à l'avenir
ses lettres patentes et ses acquits que signés de maître Thomas Barbizey,
qu'il autorise. En ce
même mois d'octobre il fut frappé à Tours d'une nouvelle attaque de son mal,
qui parut plus dangereuse que la première. Pendant deux heures on le crut
mort. En ce moment critique, ses plus intimes, Comines et du Bouchage, le
vouèrent à saint Claude. Bientôt la parole lui revint, mais il resta
très-faible. « Le roy,, dit Comines, alloit par pays comme devant. Il
vint chez moy à Argenton, où il fut ung mois fort malade, et le fut pareillement
à Thouars. » Ses
ennemis, on le conçoit, n'en devinrent que plus audacieux. Le 26 octobre, le
roi ayant à reprocher au duc de Bretagne d'avoir fait arrêter le sire de
Rohan, chevalier de Saint-Michel, et d'avoir promis sa fille au prince de
Galles sans lui en rien dire, lui avait envoyé maître Jean Brides, avec ordre
d'expliquer la lettre dont il était porteur et aussi d'informer le duc que
l'on avait levé la saisie mise sur la seigneurie de Chantocé à l'occasion de
certains démêlés. Mais celui-ci, qui venait d'apprendre la rechute du roi,
excité d'ailleurs par Landais devenu son ministre, mit tout en œuvre afin de
pousser Édouard et Maximilien à la guerre. Toutefois il se calma bientôt, et
se décida vers la fin de novembre à envoyer au roi une ambassade conduite par
le grand maître de Bretagne. Ainsi arrivèrent à Argenton, où pour lors était
le roi, les sires de Coëtquen, Jean Blanchet, procureur de Nantes, et Étienne
Colinet, un des secrétaires du duc. Leur mission semblait conciliante. Tout
en remerciant le roi d'avoir sursis à la saisie de Chantocé, ils venaient
demander un délai de deux ans pour l'hommage de cette ville et dire quelque
chose de la vaisselle du duc prise au Pont-de-Cé par les officiers royaux.
Mais surtout, croit-on, ils voulaient voir de leurs yeux en quel état était
le roi. Ils
furent d'abord reçus par l'évêque d'Alby, le sire de Bressuire et
l'archevêque de Vienne[11] : on causa, en attendant, sur
la détention du chancelier Chauvin. Le roi leur ayant donné audience dans sa
chambre, avant dîner, lut leurs lettres et les communiqua aux seigneurs de
son conseil : on s'entretint des affaires de judicature. La cause relative à
l'enlèvement d'un nommé Jean de La Lande étant encore pendante, Coëtquen
demanda qu'on fit cesser le procès : on s'accorda à nommer pour cela de part
et d'autre des commissaires. Enfin on sollicitait encore pour le duc le
grenier à sel de Montfort et le libre passage du vin. « Nous en
reparlerons », dit le roi ; puis, ayant rappelé les torts qu'on lui
avait faits, notamment à Ingrande, il les congédia. Bientôt
après le bailli de Rouen, Guillaume Picard, vint apporter la réponse du roi. « Il
a été pris l'an passé, dit-il, au même lieu du Pont-de-Cé, un ballot de
tissus de soie ; bien qu'ils appartiennent au roi pour plusieurs raisons, le
roi veut bien rendre ledit paquet de tissus, l'argenterie qu'on réclame, et
encore d'autres objets légitimement saisis ; le tout pour être porté au duc,
comme dit alors M. de Gié présent. » Lesdits objets furent livrés aux
ambassadeurs par maître Guillaume Geoffroy, procureur du roi au bailliage de
Saint-Pierre ; et le chef de l'ambassade lui en donna récépissé. On convint
que du côté de Chantocé il serait tracé des limites précises par les
officiers du lieu. L'évêque d'Alby ajouta, « que le roi ferait faire
bonne justice des sujets du duc ; mais qu'il comptait que le duc fit de même
des siens ; que de part et d'autre il serait établi des officiers chargés de
faire les informations et punir quiconque aurait failli ». Le lendemain le roi
accorda encore aux députés bretons le grenier à sel de Montfort et le passage
du vin qui lui était demandé. Ils auraient bien désiré voir de nouveau le roi
; mais Louis fit répondre qu'il était trop occupé pour le fait de ses
finances. Ils prirent donc congé et allèrent, par Montreuil, s'embarquer à
Saumur. Maximilien
ne fut point aussi bien avisé. Lorsqu'il apprit la seconde attaque du roi, il
se crut tout permis, si bien qu'à la première nouvelle des réclamations si
justement faites par Louis XI au duc François, il osa, le 27 novembre 1481,
adresser au roi une sorte de sommation, sous la forme d'un ordre intimé au héraut
dit Franche-Comté, conçue en ces termes : « Il est venu à notre
connaissance que, quoique dans la trêve dernièrement prise entre le roi et
nous, le duc de Bretagne et ses sujets soient compris, ledit roi y
contrevenant s'efforce de lui faire la guerre, ou du moins s'y prépare ; nous
vous mandons de vous transporter en toute diligence vers ledit roi ; de telle
sorte que s'il se prépare à ladite guerre, vous le sommiez, de par nous, de
cesser ladite guerre au duc de Bretagne. S'il veut conserver la trêve avec
nous, qu'il répare le préjudice qui aura été fait, et qu'il laisse ledit duc
jouir aussi de la trêve ; autrement, nous serions obligé de faire ce à quoi
nous sommes tenus envers le duc[12]. » En même
temps, on le conçoit, la trêve commençait à être, de la part des Flamands,
plus mal observée que jamais. Il y eut des courses que les Français ne
laissèrent point sans revanche, et bientôt les garnisons des places
frontières se tendirent des pièges, à peu près comme en temps de guerre.
Après l'incendie de Bouchain on cite les attaques contre le château
d'Olincourt. Il y eut même des partisans qui vendaient leur service
alternativement à l'un et à l'autre drapeau. Parmi eux, un nommé Rudelet surprit
Beaurevoir pour le compte des Bourguignons ; mais la garnison de
Saint-Quentin y étant accourue, il fut pris et eut la tête tranchée. Le roi
venait d'envoyer parmi ses négociateurs à Angers, où se devaient traiter les
affaires de Bretagne, le sire Olivier de Coëtmen ou Coëman, gouverneur
d'Arras. La sommation si étrange de l'archiduc lui étant arrivée au moment où
les conférences s'ouvraient, Olivier l'envoya de suite au roi. Louis
l'adressa sur-le-champ au parlement avec cette lettre : « Monsieur le
président, je vous envoie une sommation du duc d'Autriche, que mon lieutenant
à Franchise, Olivier de Coëman, m'a envoyée : et pour (par) cela, vous pourrez voir comment
le duc de Bretagne est allié du duc d'Autriche ; et parce que j'ai ordonné
d'envoyer l'original ci-joint en l'église de Saint-Lo-lès-Angers, où, sur la
vraie croix étant en ladite église, le duc de Bretagne a fait son serment, je
vous prie que, incontinent après ces lettres lues, vous fassiez enregistrer
en la cour du parlement ladite sommation mot à mot, pour m'en servir quand
besoin sera ; et que, ceci fait, vous me la renvoyiez par le porteur : et
qu'il n'y ait point de faute. Écrit à Argenton, le 9 décembre. » Ainsi,
malgré le mal profond dont il se sentait atteint, le roi conservait, on le
voit, toute son énergie et sa présence d'esprit. Il languissait, mais il
travaillait toujours, et par crainte de voir diminuer son autorité, il
s'appliquait bien au-delà de ses forces[13]. » Sa pensée se porta d'abord
vers la religion ; et quel autre secours eût-il, en effet, espéré, lorsque
l'art médical se montrait impuissant ? Il envoya donc cent écus d'or à
l'abbaye de Saint-Claude, étant encore trop faible pour s'y rendre, et il demanda
au pape d'unir à cette abbaye l'hospice de Salins. Toutefois il ne néglige
aucune répression. Apprend-il que les sires de Blanc-Fossé, Hallaye et de
Layer, de la garnison de Saint-Michel, sont accusés d'exactions ? il écrit,
le 29 décembre, à M. du Bouchage, le priant de lui envoyer les informations
sur cette affaire. Enfin, pour couper court à tant de prétentions qui avaient
pour but de le priver des hommes de guerre à sa convenance, i »édicta
par ordonnance qu'on ne devait point servir d'autre prince que le roi. «
L'ost n'appartient à nuls des capitaines de l'ordonnance du roi, y est-il
dit. Cela se déduit du serment même qu'ils font de le servir contre tous., et
de se tenir prêts à son service. C'est donc l'obéissance au roi pour la
défense du royaume. Ils promettent pour cela de tenir leurs compagnies prêtes
et entières ; ils doivent même remplacer ceux qui viennent à mourir. »
Louis rappelle ici que feu le sire de Culant fut jadis privé de son office de
maitre d'hôtel pour avoir contrevenu à ce devoir. « Quand les capitaines,
ajoute-t-il, veulent avoir gens pour les servir et pour les accompagner en
leurs maisons, ils doivent avoir un congé du roi pour six gentilshommes et
douze archers ; jamais davantage... Tous les exemples prouvent que 'les
gentilshommes et archers servent non les seigneurs qui obtiennent de les
avoir avec eux, mais a le roy. » Puisque
la sévérité dont il fut usé à l'égard du maréchal de Culant est ici
mentionnée, disons aussi que c'est précisément envers la veuve de celui-ci
que Louis montra le plus de bienveillance, au point que le parlement l'accusa
indirectement de s'être parfois trop immiscé dans les affaires privées.
Marguerite de Culant, issue du sire Louis de Belleville et tutrice de trois
enfants, ayant eu à plaider contre ses- frères, le sire de la Forêt et Jean
Mérichon, le roi, qui s'intéresse à sa situation, adresse alors à son
chancelier, de la Victoire, près Senlis, 30 mai 1475, les paroles suivantes :
« Je vous ai écrit de faire faire à MM. de la Forêt et Mérichon l'offre de
les dédommager pour mettre Mme de Belleville hors de tout procès. Vous n'en
avez rien fait. Faites-le incontinent en toute diligence, tellement que je
n'en oye plus parler. Gardez qu'il n'y ait faute. » Et encore, presqu'à
la même date, le voit-on réitérer ces ordres à ce sujet en une longue lettre
expédiée à maîtres François Hailé et Guillaume de Gonnay, ses conseillers, et
à son procureur général de Saint-Romain. Rappelant les services que lui a
rendus feu le sire de Belleville et ce qu'il lui a promis, pour ces causes et
autres, « il leur mande expressément, s'ils ne veulent ni lui désobéir ni lui
déplaire, de prendre incontinent la garantie et défense de la dame de
Belleville contre ses susdits frères, et de les faire mettre du tout hors de
procès, sans y faire difficulté. Autrement, ajoute-t-il, connaissez que nous
ne sommes pas content que vous vouliez ainsi tenir contre nos traités et
promesses, puisqu'il s'agit du recouvrement de Saintes et de Montaigu. » C'est
par le même désir d'adoucir tout acte de sévérité qu'en octobre 1481, le roi
donne la confiscation encourue en 1476 par Jacques de Brezé pour le meurtre
de son épouse Charlotte de France, à son fils aîné, Louis de Brezé, lequel
épousa plus tard Diane de Poitiers. Enfin
ce fut en cette même année que, pour mieux affermir l'établissement des
courriers qui tous les jours prenait plus d'extension, Louis institua deux
charges de contrôleur des postes. Jusque-là les chevaucheurs ou courriers
étaient sous la direction du grand écuyer ; ils commencèrent dès lors à
former une administration spéciale. L'un de ces offices fut donné à Odille,
fils de Jean de Doyat ; celui-ci les réunit bientôt tous les deux ; mais, peu
de temps après, le roi confia cet emploi à Jean de La Grange, bailli
d'Auxonne. Tels
étaient les soins du roi pour l'ordre et le bon gouvernement du royaume, que
les princes, sans légitime successeur, ne croyaient pouvoir mieux faire que
d'abriter leurs peuples sous son autorité mie et respectée. Charles d'Anjou,
jeune comte de Provence, traînait une vie languissante. De Jeanne de
Lorraine, son épouse, il n'avait point eu de lignée. Se sentant près de sa
fin, il voulut assurer du moins la paix à ses sujets, à cette belle Provence
dont il avait si peu joui. C'est ce qu'il fit en la cédant au roi, son cousin
germain. Tel était aussi le vœu des populations, qui avaient bien plus
d'avantage à être unies à la France qu'à la Lorraine. Le 10 décembre, Charles
d'Anjou fit verbalement son testament, en présence du notaire Jacques
Godefroy. Ayant exprimé sa volonté d'être enterré dans la cathédrale d'Aix,
il lègue 2.000 écus d'or à cette église ; aussi 100 écus de rente aux
dominicains d'Aix, ses livres aux religieux de Saint-Maximin, la vicomté de
Martigues à François de Luxembourg, et à la suite de ces dons particuliers et
de quelques autres, il institue pour son héritier universel le roi Louis de
France, et après lui le dauphin. Ainsi il lui légua la Provence ; puis un
instant après il ajouta : « et la couronne[14] ». Enfin « il supplia le
roi et ses successeurs de traiter avec bonté son pays de Provence et de le
maintenir dans ses privilèges, franchises, prérogatives, lois et coutumes ».
Le lendemain, 11 décembre, avant de mourir, il ratifia l'acte de la veille ;
il ajouta deux codicilles à son testament et augmenta le legs qu'il avait
fait à Louis d'Anjou, son frère naturel. Charles
d'Anjou étant mort, des trois branches formées par les trois frères de
Charles V il ne restait que le comte de Nevers, alors fort âgé et n'ayant
lui-même que des filles. Y avait-il eu dans l'acte de mariage de l'héritière
de Provence une condition de retour à la couronne, ou cette annexion fut-elle
due à l'habileté du sire de Forbin ? Qu'importe ! Elle était bien plutôt le
résultat des sympathies et des mutuels intérêts des peuples. D'ailleurs la
donation était manifeste, et lorsque, sous le règne suivant, René de Lorraine
essaya de protester, le parlement la déclara régulière. Ainsi là, comme du
temps du roi René et du jeune duc d'Anjou auprès duquel il avait fait tout le
possible pour obtenir un testament en sa faveur, ses démarches furent sans succès. Dès le
19 décembre, lorsque le roi est informé de la mort et des dispositions
finales de Charles d'Anjou, il réunit à la couronne, par lettres patentes de
Thouars contresignées du maréchal de Rohan, les comtés de Provence et de
Forcalquier, et en nomme gouverneur maître Palamède de Forbin ; seigneur de
Soliers. Il le charge de prendre, en son nom, possession de la province, et
maintient chacun dans sa charge. Le même jour encore, pour mieux assurer la
sécurité de ces contrées contre tout projet ambitieux, il ajoute à ce
gouvernement celui du Dauphiné « que tenait par ci-devant feu Jean de Daillon ».
Sûr de l'intégrité de son ministre, le roi lui donne tout pouvoir de recevoir
des prélats, seigneurs, ecclésiastiques, nobles et bourgeois, tous hommages
et serments de fidélité, de pardonner et de punir tous crimes de rébellion et
de désertion, de disposer des finances et de pourvoir à tous les offices
vacants : enfin il promet de ratifier tous ses actes. Qui eut
jamais de son roi des droits plus étendus ! Mais, loin d'en abuser, le sire
de Forbin administra avec une extrême prudence. Il y eut bien du côté de
Martigues quelque apparence de sédition : François de Luxembourg et le sire
de Pontevez, sénéchal de Lorraine, parurent même parmi les mécontents. Le
gouverneur dissipa très-promptement cet orage, et dès lors la soumission fut
complète. Le sire de Luxembourg remit lui-même au ministre sa vicomté de
Martigues, en déclarant que puisque la Provence était toute au roi, il ne
voulait rien tenir que de sa main. Louis donna aussitôt cette terre au sire
de Forbin, laquelle retourna plus tard à la maison de Luxembourg. C'est ainsi
que cette belle province, toute pénétrée de l'antique civilisation romaine,
d'abord conquise sur les Visigoths par Clovis et sur les Sarrazins par
Charlemagne, devenue ensuite un royaume détaché du grand empire, puis annexée
au système féodal pour être le berceau des lettres romanes, fut enfin réunie
de nouveau et définitivement à la grande famille de France. Le roi
se soucia peu de faire valoir son titre à la couronne de Naples : des
prétentions si lointaines n'eurent jamais d'attraits pour lui. Mais, à la
suite des actes d'hostilité de la maison de Lorraine, Louis XI, n'ayant plus
de ménagements à garder à l'égard d'un prince qui se posait en adversaire
obstiné, dirigea les villes du duché de Bar avec une plus complète autorité. La
sagesse et la vigueur dont il fit preuve, surtout dans l'affaire de Savoie,
montrent assez à quel point, même dans ses moments de souffrance, il
conservait sa force de caractère. Ce pays ne se calmait point. On sait que le
roi, pendant la minorité de son neveu Philibert, avait partagé les
attributions de la régence, en vue d'éviter toute usurpation trop absolue, et
de pondérer les influences. Mais le comte de la Chambre ne voulait souffrir
ni l'autorité de l'évêque de Genève dans le gouvernement du duché, ni celle
du sire de Groslée sur le jeune duc. Le comte s'était formé un parti nombreux
et avait fini par attirer à lui tous les pouvoirs ; même il croyait avoir mis
Philippe de Bresse dans ses intérêts : de la part de celui-ci, c'était pure
feinte. L'attitude
de la France entretint le ministre de Savoie dans cette illusion. Comines eut
ordre, au mois de janvier, d'aller en apparence mettre Philippe de Bresse à
la raison. Antoine de Montillon s'unit à lui. Arrivés à Lyon et d'accord avec
Guyot d'Usie, bailli de Mâcon, ils convoquent le ban et l'arrière-ban, tandis
que le gouverneur de Bourgogne leur envoyait toute l'artillerie qui était à
Dijon et à Auxonne. On eut bientôt lieu de contremander ces préparatifs : en
effet, Philippe de Bresse était venu à Turin surprendre un matin dans son lit
le comte de la Chambre, et l'arrêter au nom du roi ; puis, en attendant plus
ample explication ; il l'avait fait enfermer à Veillane. Ainsi délivré de sa
captivité, le duc Philibert fut remis au sire de Comines et au sénéchal de
Bourgogne venus à Grenoble pour le recevoir. De là il se rendit à Lyon pour y
attendre le roi. C'était,
en effet, le désir de Louis XI d'accomplit ; le vœu que l'on avait fait pour
lui dans une de ses défaillances. Aller à Saint-Claude n'était point
d'ailleurs un voyage inutile : il visiterait de nouveau ses pays de Bourgogne
et de Franche-Comté, tout en se rapprochant de la Savoie et de ses sujets de
Provence si récemment soumis. Avant de partir, il mit ordre' à ses affaires.
Préoccupé de sa dernière heure, il commanda son tombeau à l'orfèvre Conrard
et au fondeur Laurent Wrine, habitant de Tours. Ils durent le représenter sur
sa tombe, en bronze doré, à genoux sur un carreau et les mains jointes devant
l'image de Notre Dame. Il veut être tel qu'il était dans la vigueur de son
âge, la figure ressemblante, le nez un peu long et aquilin, ayant au cou le
collier de Saint-Michel, son épée à la ceinture et son chien à ses côtés.
Moyennant mille écus d'or, on promettait de livrer ce groupe au plus tard
dans un an. C'est le 24 janvier 1484- que ce marché fut conclu et signé de
Jean Bourré, seigneur du Plessis, conseiller du roi et trésorier de France. Dans ce
même temps on le voit accorder des droits et privilèges à plusieurs chapitres
et églises et donner aux chapelains de Saint-Pol l'hôtel voisin de ce nom. De
Thouars en février il érige la baronnie de Laval en comté, et à ce sujet il
écrit à la chambre des comptes. Il assure un douaire à la veuve du duc
d'Orléans, fait don à Jacques de Luxembourg, sire de Richebourg, des terres
et seigneuries de Nogent-le-Rotrou et de la Bazoche, et commet le sire
d'Aubigny à la garde du comte du Perche. Mais
surtout ses scrupules se portent sur les fonctions si graves de ceux qui
jugent en son nom ; il croit de son devoir de leur signaler la dignité de
leurs attributions ; et tout en leur rappelant les serments qu'il a lui-même
faits et tenus, il leur remet sous les yeux leurs plus étroites obligations.
Il semble, toutefois, qu'une sorte d'épidémie d'opposition s'était
communiquée de la grande aristocratie à la haute magistrature. Les exemples
en sont nombreux. Après la mort du sire de Craon, le roi ayant donné le comté
de Ligny à l'amiral de Bourbon, le parlement, comme on sait, avait fort
longtemps refusé d'enregistrer ce don et ne le fit à la fin qu'avec cette
déclaration que c'était « de l'exprès commandement du roi ». Or ce comté
était cependant une confiscation sur le comte de Saint-Pol, dont le roi avait
déjà disposé. Louis, encore, ayant accordé une augmentation de gages à Martin
Berthelot, maître de la chambre aux deniers, la cour des comptes n'enregistra
cet acte que sur une lettre de jussion. Telle était la répugnance de cette-
chambre à s'associer à certaines faveurs et gratifications, que la reine
Charlotte, toujours si discrète en ce qui regardait la politique, crut devoir
solliciter elle-même du président de Ladriesche (Montrichard, 6
décembre 1481)
l'entérinement des lettres du roi qui accordaient une confiscation à
Abbeville à Jean Lassau, son secrétaire. Enfin,
au milieu de mars, le roi, qui se trouvait un peu mieux, écrit aux états de
Bourgogne de s'assembler et de résumer leurs requêtes afin qu'il en puisse
conférer avec eux ; puis, ayant la certitude que ses frontières du nord sont
en sûreté sous la garde du sire de Querdes et de son armée, il part de Tours,
suivi d'une forte escorte et voyageant à petites journées. Il va d'abord à
Amboise. Là, il donne pour gouverneur au dauphin, son fils, le sire de
Beaujeu, avec recommandation de lui obéir comme à lui-même. C'était une
grande sagesse du roi, de préférer pour cet enfant cette belle et calme
résidence au séjour de la cour. Si, trop occupé des affaires publiques, il a
dû s'en éloigner, du moins les dates de ses ordonnances prouvent qu'il y
allait souvent. Pendant son absence Pierre de Bourbon dut faire office de
lieutenant général du royaume. Après
avoir passé les 17 et 18 mars à Cléry, le roi continue sa route jusqu'à Mâcon.
De là, le 13 avril, il écrit à Messieurs des comptes, les priant d'examiner
la gestion de Jean Raguier touchant la recette de Normandie. Il veut qu'on le
mette hors de cause : « Je l'ai nourri (élevé), dit-il, il m'a longtemps
servi, lui et ses prédécesseurs ; je veux qu'il soit bien traité. »
C'est toujours la même volonté de rémunérer ses serviteurs, et de faire
rendre bonne justice. Ainsi, deux jours avant, de Belleville, 11 avril, il
recommandait expressément à Messieurs du parlement de se conformer de point
en point aux ordonnances de son père. De Mâcon il se dirige vers Tournus, se
proposant de ne passer à Lyon qu'à son retour. En
traversant ces beaux pays de Bourgogne, il put apprécier avec quelle sagesse
ses deux lieutenants Charles d'Amboise et Baudricourt les avaient
administrés. Jean et Louis d'Amboise, ayant réuni les états, avaient
recueilli leurs vœux, et le roi s'empressa de faire droit à la plupart de
leurs demandes. A tous il faisait bon accueil, et l'on peut dire que, le
premier, il sut répandre en ces contrées les premiers germes de leur vif
attachement pour la France. De Paray-le-Monial il accorde la rémission de plusieurs
récidives de félonie. Enfin de Tournus, passant par Louhans,
Saint-Laurent-des-Roches, Orgelet et Moirans, il arrive à Saint-Claude, le 20
avril, et y confirme aussitôt l'abolition déjà octroyée aux habitants de
Salins. Louis y
resta plusieurs jours et y accomplit pieusement son pèlerinage. Ses dons à
l'église furent considérables, et pour les prières qu'il y fonda il porta ses
largesses, assure-t-on, jusqu'à deux mille écus d'or, ajoutant encore
d'autres concessions fort importantes. Cette année ses dons pieux furent en
effet sans mesure : tantôt c'est l'érection au Plessis d'une chapelle sous le
vocable de Saint-Jean, tantôt une rente de quatre mille livres assurée à
l'abbaye de Saint-Antoine-de-Viennois, ou la fondation de plusieurs chapitres
; offrandes qui, sur le compte de Denis Bidault, un des généraux des
finances, montent pour cette seule année à 38.849 livres : ce qui explique
peut-être l'opposition des hautes cours du parlement et des comptes à tant de
libéralités. C'est à
Arban, le 23 avril, que le roi apprit la mort prématurée du duc Philibert de
Savoie ; il venait de succomber à Lyon, par suite d'excès de fatigues à la
chasse ; Louis XI en fut fort affligé. Sur-le-champ il écrit de ce petit lieu
au comte de Dunois et au chancelier Doriole « de le faire transporter avec la
pompe convenable à l'abbaye de la Haute-Combe, où reposent ses pères ; qu'il
faut avertir M. Philippe de Savoie et le comte de Genève, et remercier de sa
part Monsieur de Versoy, qui a veut bien avancer l'argent nécessaire aux
funérailles, » remettant à régler cette grave affaire de Savoie à son
arrivée à Lyon. De Saint-Claude le roi reprit sa route de retour par Louhans, Tournus et Mâcon, et alla se reposer quelques jours à Beaujeu, dans le château de son gendre, où il ne put arriver que vers la fin d'avril et très-souffrant. Le sire de Cc mines, qui l'y vint rejoindre, le trouva fort défait et ajoute : « Il se vestoit plus richement que jamais, mais à le voir il sembloit mieux homme mort que vif, tant estoit maigre. » Voilà où l'excès du travail l'avait conduit. Toutefois, même en cet état, il savait encore maintenir l'ordre et la paix à l'intérieur et au besoin les imposer à l'étranger. |
[1]
Garnier.
[2]
Barante, t. XII, p. 204.
[3]
Barante, t. XII, p. 240.
[4]
Manuscrit de Béthune, n° 2907.
[5]
Fontanieu, Portefeuilles, n° 140-141.
[6]
Legrand.
[7]
Lenit albescena animos capillus. (Horace.)
[8]
Legrand.
[9]
Barante.
[10]
Legrand.
[11]
Pièces de Legrand.
[12]
Pièces de Legrand.
[13]
Legrand.
[14]
Gauffredi, Histoire de Provence.