Mort du roi René et
ses partages. — Torts de René II. — Les Turcs et Rhodes. — Mission du légat
de la Rovère. — L'évêque d'Elne cité en parlement. — Marguerite d'Yorck en
Angleterre. — Trêve marchande entre le roi et lé duc d'Autriche. — Le légat
et Maximilien. — Infructueuses conférences pour la paix. — Délivrance du sire
de Polhein. — Louis accorde à Maximilien la prolongation de la trêve. — Il
délivre Balue et d'Harancourt. — Ambassades à Rome. — Ladislas et Mathias
Corvin, alliés du roi. — Gouvernement des deux Bourgognes. — Prépondérance de
l'autorité royale sur le clergé. — Jean de La Vacquerie, premier président au
parlement. — Actes administratifs du roi, et institution de l'amirauté et des
bagnes.
Le
jeune duc René de Lorraine, à son retour d'Italie 'où il avait aidé les
Vénitiens à battre l'armée de Ferrare à Adria, se montra peu satisfait de ce
qui s'était fait en Lorraine en son absence. Le roi René, il est vrai,
suivant un usage alors trop fréquent, avait protesté par acte du 15 novembre
1476 contre tout arrangement qu'il pourrait faire au préjudice de sa fille
Yolande et de son petit-fils René de Vaudemont ; mais le roi s'était aussi
légalement prémuni contre cette protestation même. La mort
du roi René, survenue le 10 juillet 1480, ne termina point le différend. Ce
roi, ami des arts et sans couronne, avait passé paisiblement ses dernières
années en Provence. Il faisait ses délices de la peinture et même, de nos
jours, il existe encore de ses œuvres à Aix. On dit que, peignant une perdrix
lorsqu'on vint lui apprendre la perte de son royaume de Naples, cette
nouvelle ne put le distraire de son travail. Écoutons le portrait que nous a
laissé de lui un contemporain et chroniqueur d'Anjou[1] : « Combien qu'il fust
très-prudent et bien instruit aux armes, il y fut peu heureux. De ses mœurs
il était tenu pour juste et prud'homme, qui jamais ne feit tort à aucun. En
humanité, religion, libéralité et noblesse de courage, il outrepassoit tous
les rois qui paravant avoient régné en Sicile. » Disons toutefois qu'il eût
bien fait de mieux payer sa dette aux gens de Metz. L'ouverture
de cette succession n'allait-elle pas créer de nouvelles difficultés ? Le
testament de œ prince, fait d'abord à Marseille le 22 juillet 1474, dit-on,
avait été depuis plusieurs fois modifié. La Provence, ainsi que le titre de
roi de Sicile, échut à Charles, comte du Maine, neveu du défunt, et alors le
seul héritier en ligne masculine de cette maison. René de Vaudemont, qui
prétendait à tout le duché de Bar, n'en eut qu'une partie. Yolande, sa mère,
fille aînée du feu roi, avait hérité de la Lorraine à la mort du duc Nicolas.
Quant à Marguerite d'Anjou, elle était la plus délaissée en ces partages. Son
père ne lui léguait que trois mille écus, une fois donnés, et deux mille
livres de rente. Le roi René traita beaucoup mieux Jeanne de Laval, sa jeune
femme, qu'il avait épousée depuis peu, et lui assura des revenus fort bien
assis en ses pays. Il n'oublia ni Jean, son fils naturel, à qui il donna le
marquisat de Pont-à-Mousson et d'autres seigneuries, ni les églises qu'il
affectionnait particulièrement. Le roi
réunit alors à la couronne l'Anjou, qu'il administrait déjà depuis plusieurs
années ; par décision d'octobre suivant il y maintint la chambre des comptes
d'Angers, à cause des services qu'elle avait rendus et des grandes affaires
qui se traitaient en cette partie du royaume. Mais il ne pouvait voir sans
indifférence que René eût déshérité sa fille Marguerite. Celle-ci elle-même
s'en émut. Le testament du vieux roi avait été fait pendant qu'elle était
captive à Londres : il paraissait l'avoir mise en oubli, à ce point qu'il
avait cru pouvoir disposer des duchés de Lorraine et de Bar en faveur
d'Yolande, sa sœur aînée : les quelques sommes d'argent qu'on lui laissait en
échange étaient dérisoires. Elle réclama donc. Dès le 1er août elle écrit au
sire de du Bouchage, le conseiller le plus intime du roi : « Par lui elle
prie le roi de prendre son povre faict, en ce qui peut et doit lui
appartenir, en ses mains, pour du tout en faire son bon vouloir et plaisir.
Tout ce qu'elle souhaite, c'est d'être toujours conservée dans les bonnes
grâces du roi. » Retirée
en Anjou, où elle vivait d'une pension de six mille livres que lui faisait
Louis XI, Marguerite ne s'en tint pas à sa lettre. Six semaines après, le 49
octobre, elle renouvelle le transport de ses droits au roi : elle y retrace
l'explication de ses motifs ; elle énumère les provinces, terres et
seigneuries sur lesquelles sa naissance comme fille du roi René et
d'Isabelle, duchesse de Lorraine, lui donnait des droits. Furent présents à
cet acte Guillaume de Clugny, évêque de Poitiers ; Guyot Pot, comte de
Saint-Pol ; Jean de la Vignolle, doyen d'Angers ; Jean Vinet, juge d'Anjou ;
Jean Binet, procureur du roi ; Henri Regnault, président du conseil, et
d'autres très notables personnages. Ce
nouveau titre fortifiait le premier. Louis XI réitéra donc ses précédentes
réclamations auprès de la maison de Lorraine. Dès le mois de décembre il
envoya à Nancy l'archevêque de Bordeaux, Guyot Pot ; Pierre Framberge, maitre
des requêtes ; Philippe Baudot et Jean Henriet, conseillers au parlement,
ayant soin dans ses instructions écrites de ne donner à Yolande d'Anjou que
le titre de « comtesse de Vaudemont ». D'un
antre côté le roi s'était justement préoccupé de la légalité de la succession
en Provence. H avait écrit au président des états de ce pays, nommé
Margathani, le priant très-vivement de seconder de tout son pouvoir la prise
de possession si naturelle et si légitime de Charles d'Anjou, jeune comte du
Maine. Par une lettre d'Aix, 8 novembre, le président répond an roi : « Ledit
seigneur roi Charles d'Anjou, dit-il, avons reçu et reconnu notre souverain ;
et à lui comme il vous plaît de nous en exhorter, sommes tenus... Ainsi nous
lui avons fait hommage et serment de fidélité, comme il appartient à tous
loyaux sujets de faire, tant par le devoir que pour la grande prudente,
bénignité et bonnes vertus qui sont en lui..... Ainsi que toujours lui avez
été bon seigneur, père et utile directeur, ainsi vous plaise en toutes
affaires l'avoir en spéciale souvenance et pour recommandé. » Si René
de Lorraine n'eût craint l'indignation du roi, il aurait probablement essayé
une levée de boucliers en Provence. Mais l'attitude des états et du pays ne
lui laissa sur ce point ni doute ni espoir. D'ailleurs le roi connaissait les
obsessions du jeune prince lorrain ; il avait même entendu parler de 'ses
marchés avec les Vénitiens ; il veillait donc : épier s'il n'arrive pas en
Provence qui Igues navires de la seigneurie, donner ordre au bailli de Mâcon
de ne laisser passer vers le midi ni gens de Lorraine ni d'Allemagne, aucune
précaution n'est omise. Embarrassé
de sa situation, René II imagina de prendre pour interprète de ses plaintes
auprès du roi les Vénitiens, qu'il venait tout récemment d'obliger. Pour
répondre péremptoirement aux députés de la seigneurie, Louis fit rédiger un
mémoire d'après tous les titres recherchés et trouvés dans le trésor des
chartes et à la chambre des comptes, où les torts de René et les droits du
roi sont clairement exposés. Il retrace trop nettement cette période pour que
nous en puissions rien retrancher : « Le
roi a juste cause de n'être pas content. Il n'a donné à René que des
témoignages de sa générosité. Par sa mère il tient à la maison de France ;
c'est son insigne honneur, ce qui vaut mieux que tout ce qui lui vient de la
Lorraine. Malgré cela il a pris plusieurs alliances avec le feu duc Charles,
qui s'était déclaré ennemi du roi Le roi, néanmoins, lui a été secourable
quand il a fallu. « Parmi
les choses dont le roi a eu souvent occasion de s'offenser, il a plus d'une
fois donné passage aux gens de guerre du duc d'Autriche ; et par suite
ceux-ci ont causé au royaume de grands dommages. Cela était contre la
fidélité et l'obéissance dues au roi. Puis quand les gens du roi, venant de
faire la guerre aux ennemis de la France, ont voulu passer par son pays, il
s'y est op-Dosé, et il a envoyé au roi pour en empêcher, n'accordant pas aux
Français ce qu'il accordait aux Allemands. « De
plus, il a voulu empêcher le droit du roi sur le duché de Bar, lequel
appartient partie au roi de Sicile de son chef, partie au roi du chef de la
feue reine Marie d'Anjou, sa mère, sœur dudit René de Sicile. « Le
roi de Sicile a baillé au roi la jouissance de la ville, prévôté et
châtellenie de Bar ; et la plus grande part du duché est tenue du roi à
raison de la couronne : le duc de Lorraine n'y devait donc pas mettre
empêchement. « Il
faut ajouter que le duc tient tout le duché de Lorraine, dont la moitié
appartient au roi à juste titre. Il est certain, en effet, que la reine de
Sicile, dernière trépassée, était vraie duchesse de Lorraine, qu'elle a
laissé trois enfants, le feu duc Jean de Calabre, la comtesse de Vaudemont,
mère de René Il, et la reine Marguerite ; à sa mort sa succession vint au duc
Jean, et après lui au duc Nicolas, fils unique de celui-ci. « Nicolas
étant décédé sans hoirs légitimes, la Lorraine est échue par moitié à la
comtesse de Vaudemont et à la reine Marguerite, dont le roi représente tous
les droits. Attendu qu'il n'y a point de prélation entre les femmes, elles
ont donc hérité par moitié, et René ne peut prétendre à un plus grand
héritage que n'avait sa mère, puisque c'est à sa mère, non à lui, que la
succession est venue. « On
sait que Marguerite était abandonnée de sa famille ; que le roi a fait pour
elle tout ce qu'il a pu, et l'a délivrée de prison à ses dépens ; il n'est
alors pas étonnant qu'elle lui ait cédé ses droits : c'est donc au roi
qu'appartient la moitié qu'elle avait droit de réclamer. Le duc de Lorraine
tient et occupe cette moitié ; le roi a donc lieu de s'en émouvoir. « Allèguerait-on
que Marguerite, en épousant Henri VI, renonça aux successions de son père et
de sa mère ? On ne trouvera point qu'elle y ait renoncé. Elle a pu dire que
les enfants qui naîtraient de ce mariage n'hériteraient point de la Lorraine,
car on ne pouvait livrer ces pays aux Anglais ; mais il fut expressément dit
que si elle ne laissait pas d'enfants elle pourrait venir à toute succession
de père et de mère ; et là-dessus il y eut lettres authentiques. Or on sait
que le prince de Galles, son fils unique, a péri et qu'elle s'est retirée en
France. Son droit à succéder n'est donc pas douteux. « On
remarquera d'ailleurs que si elle renonça indirectement à la succession de
père et de mère, elle ne renonça point à la succession collatérale. Or c'est
par la mort de son neveu Nicolas que lui vient la moitié du duché de
Lorraine, et sa renonciation, quand même elle eût existé, ne s'adapterait
point à ce cas. « Au
surplus sa renonciation même ne serait pas valable, puisqu'elle l'eût faite
avant douze ans accomplis, c'est-à-dire en minorité. Mais, chose à remarquer,
c'est qu'à son mariage la comtesse de Vaudemont, mère de René H, renonça par
traité de mariage à la succession du duché de Lorraine, et que la reine
Marguerite n'y renonça jamais. « Si
l'on prétendait que le duché de Lorraine est fief de l'empire et que les
filles n'y peuvent succéder, il est un fait, c'est que les filles y succèdent
comme les autres ; s'il n'en était ainsi, ledit duché ne serait pas venu à la
reine de Sicile au préjudice du comte de Vaudemont. « Voici
d'ailleurs les autres vrais droits du roi sur le duché : il fut demandé
100.000 écus d'or, que le roi bailla comptant au feu duc Jean pour le premier
traité de mariage d'Anne de France avec Nicolas, ce qui n'empêcha point ledit
duc de s'unir en 1465 à la ligue du bien public. Après la paix, le duc Jean
ayant manifesté pour son fils le même projet d'union, le roi en fut
satisfait, et par un second traité il donna encore trois cents autres mille
écus. « En
outre il lui bailla 40.000 écus chaque année, qui furent payés aux ducs dix
années entières ; total, 400.000 écus sans les arrérages. Puisque par la
faute dudit Nicolas le mariage ne s'est point accompli, et qu'il a abandonné
Madame Anne pour aller auprès du duc Charles, ennemi de la France, au risque
d'être en guerre avec le roi, ces sommes doivent donc être restituées à Louis
XI. « Pour
se porter héritier des ducs Jean et Nicolas, René doit donc d'abord payer au
roi 700.000 livres et davantage. Toutefois le roi consent à le laisser jouir
de la moitié du duché, et à retrancher du compte la moitié de la somme due. ;
mais le duc ne peut refuser de laisser jouir le roi de la moitié qui lui
revient, de restituer les fruits qu'il a levés sur cette part, et de lui
payer la moitié des 700.000 écus reçus par les ducs Jean et Nicolas, savoir,
350.000 écus. « Le
roi, sans doute, pouvait se mettre en mesure de recouvrer ce qui lui revient
dudit duché ; il y a pensé : il a voulu attendre si le jeune duc se mettrait
en son devoir. « D'ailleurs,
à plusieurs époques, le roi, pour venir en aide aux ducs Jean et Nicolas, et
aussi à René II, leur a fait bailler plusieurs sommes montant à plus de
600.000 livres, dont à présent il ne fait point question. « Le
duc est encore tenu de rendre au roi la cité et seigneurie d'Épinal, qui est
le propre héritage du roi et de la couronne. « Si
on répliquait que le roi en a fait abandon par le traité de Confins, la
réponse est claire. Ce fut à l'époque où les Seigneurs par conspiration, et
tenant le roi assiégé dans Paris, le forcèrent à bailler à chacun d'eux
quelque portion du domaine de la couronne, le Ponthieu au duc de Bourgogne,
et aux autres d'autres terres. Ainsi la cession d'Épinal fut faite par
violence, non du libre consentement du roi. Aussi le roi, dans la ville même
de Paris, d'après mûre délibération de son conseil, fit-il protestation
solennelle devant notaires apostoliques et royaux, que ce qu'il transportait
auxdits seigneurs était contre sa volonté, et qu'il n'avait en vue que de
soustraire son peuple à tous les maux actuels de la guerre. « Alors,
en effet, le duc de Calabre et les autres commettaient le crime de
lèse-majesté contre leur souverain seigneur. Il serait donc bien
déraisonnable que de leur crime et trahison ils retirassent profit, et que
leurs transports fussent valables. « D'ailleurs,
par décision du parlement, cour souveraine du royaume, tous les susdits
traités et toutes les choses faites alors, durant ladite conspiration, ont
été déclarés nuls et de nulle valeur. « Ensuite,
quelque transport que le roi ait pu faire des terres de la couronne audit duc
Jean, aucun ne peut tenir et valoir, puisque le roi ne peut aliéner le
domaine. « Le
duc est donc tenu de rendre Épinal ; et quand il se l'approprie, le roi a le
droit de s'en émouvoir. « Le
roi a bien voulu faire des explications et remontrer ces choses au noble et
magnifique chevalier, messire Gabriel de Baravirs, orateur de l'ambassade, et
aux autres ambassadeurs de l'illustrissime seigneurie de Venise, pour qu'ils
connaissent les torts qu'a le duc de Lorraine envers lui. » Il
n'était pas sans intérêt de voir alors les Italiens, si divisés entre eux et
ne pouvant s'entendre pour repousser l'invasion musulmane, s'immiscer en des
affaires aussi litigieuses. Jean Mocenigo, doge de Venise depuis mars 1478,
s'était vu obligé, le 26 janvier suivant, de faire la paix avec les Turcs
après une lutte de seize années. Alors non-seulement les Vénitiens découragés
semblaient abandonner toute résistance, mais, en 1480, s'étant brouillés avec
Ferrare pour lors alliée de Ferdinand de Naples, ils eurent l'imprudence
d'appeler contre ce dernier les forces musulmanes. Le sultan n'eut garde de
laisser échapper l'occasion de voiler son échec de Rhodes, et le 21 août de
la même année un de ses pachas descendit dans la Pouille et s'empara
d'Otrante. C'était
le moment, en effet, où les chevaliers de Saint-Jean, commandés par leur grand’maître,
Pierre d'Aubusson, se défendaient héroïquement à Rhodes sur les ruines de
leurs remparts. Le 23 mai 1480, le renégat Misach Paléologue les enveloppait,
et les accablait d'une puissante armée. Mais après bien des assauts inutiles,
les Turcs se virent forcés, le 17 août suivant, de lever le siège. Ils
laissèrent là neuf mille morts et emportèrent quinze mille blessés.
D'Aubusson, un des héros de ce siècle, reçut cinq blessures en cette défense
mémorable, et s'y couvrit de gloire. Alors
tonte l'Italie, effrayée du danger qui la menaçait, sentit la nécessité d'une
ligue sainte. Le pape surtout souhaitait d'attirer contre l'ennemi commun las
forces des princes chrétiens, et désirait, dans ce but, leur pacification
mutuelle. Toutefois, après l'affaire récente des Médicis et le mécontentement
qu'en avait eu le roi, le Saint-Père ne voulait pas envoyer en France un
légat sans lui préparer un bon accueil. Hélie de Bourdeilles, archevêque de
Tours, avait été sondé à ce sujet. Avec l'approbation de Louis XI et de son
conseil il avait ainsi répondu[2] : « L'effusion du sang
est, en effet, chose déplorable. La guerre que soutient le roi n'est point de
son fait. Il a fait et ferait encore tout le possible pour l'empêcher ; mais
il est bien obligé de maintenir les droits de sa couronne. Il est évident que
le duc d'Autriche est dans le cas d'agression inique contre la France ; qu'il
fait une injuste guerre contre tout droit et toute raison... S'il convient à
Sa Sainteté d'envoyer un légat en vue du rétablissement de la paix, elle peut
voir dès à présent quelle devra être la direction de ses efforts. Elle peut
compter que le roi ne s'y opposera pas. Par
l'entremise de l'évêque de Mâcon, Philibert Hugonet, frère du malheureux
chancelier de Bourgogne, la politique du Saint-Père et celle de la France
s'étaient rapprochées. En cette conjoncture, le légat envoyé en France fut le
cardinal de Saint-Pierre aux Liens, Julien de la Rovère. Choisi par les
cardinaux d'accord avec le pape, son oncle, il en informe le sire du Bouchage
et annonce son départ immédiat pour le 15 niai. D'ailleurs il témoigne de sa
bonne volonté pour les affaires qui se pourront traiter et de son désir
d'être recommandé au roi. Déjà Louis XI avait connu le cardinal lors de son
séjour à Lyon, et croyait l'avoir rendu sympathique aux intérêts de la France
: désirant sincèrement la paix, cette mission lui convenait ; aussi, dès le
mois de juin, écrivit-il au cardinal de Saint-Pierre qu'il accomplira
librement son mandat, « pourvu toutefois qu'il ne soit dérogé en rien aux
prérogatives du royaume de France ». En
conséquence le roi fait annoncer, le 14 juin, que, par suite des dangers de
la chrétienté menacée par les Turcs, un légat du Saint-Siège venait en France
avec son autorisation, et muni des pouvoirs du pape en vue d'unir les peuples
chrétiens. Il recommande aux gouverneurs des provinces de le bien recevoir,
et il envoie des courriers à Grenoble, à Embrun et dans d'autres villes. A
Saint-Symphorien d'Ozon le président Dative vint délivrer au cardinal, par
ordre du roi, les pouvoirs de remplir sa mission, recevant en retour une
promesse écrite de ne point abuser de ces pouvoirs. Le légat ne fut point,
parait-il, aussi prompt dans sa marche qu'à son départ, puisqu'il ne fit son
entrée à Paris que le 4 septembre. Pendant ce temps il s'était passé de
grands événements. Charles
de Martigny, évêque d'Elne, était, comme on sait, retourné en Angleterre pour
que la dernière main fût mise au traité entre les deux puissances. Bientôt on
apprit que cet acte était signé du 12 mai 1480, que Maximilien et le duc de
Bretagne s'y trouvaient compris, ce qui était absolument contraire aux
intentions et instructions écrites de Louis XI. Quels avaient été les motifs
de l'ambassadeur français pour enfreindre de si pressantes injonctions ? Le
roi ne les devait pas ignorer ; mais, soit qu'il voulût ôter à jamais à ses
mandataires l'envie d'outrepasser ses ordres, soit que, goûtant peu au fond
l'idée de marier le dauphin avec la fille d'Édouard, il ne fut pas fâché
d'infirmer le traité en un point, ou qu'il crût devoir montrer par un exemple
notable que les prélats eux-mêmes, pour tout acte politique, étaient
justiciables de la cour souveraine de France, il chargea son procureur
général de citer l'évêque-ambassadeur devant le parlement. La
défense de l'évêque d'Elne était facile : elle résumait tout ce qu'il avait
fait dans ses trois ambassades successives en Angleterre, en août 1475, en
septembre 1476, et depuis pendant ses vingt-six mois de séjour à Londres,
époque où il a sans cesse travaillé aux affaires du roi avec Castelnau,
Thiboust et Baillet, qui l'y avaient accompagné, et avec ceux qu'il y trouva,
savoir : l'archevêque de Vienne, Olivier Leroux, Guillaume Cerisay, Uves
d'Illiers, Jean Vallein et autres ; ayant à lutter contre les envoyés des adversaires
du roi, tels que le marquis de Bade, l'abbé de Saint-Pierre-lès-Gand,
confesseur de Maximilien, le président de Flandre et Georges de Bar,
secrétaire du duc d'Autriche, tous appuyés des ambassadeurs d'Espagne. Il
ajoutait que les députés de l'Empereur et les autres, Marguerite d'Yorck
surtout, ne cessaient de pousser Édouard à s'allier aux Flamands ; qu'il
était seul contre tous ; que s'il empêcha cette alliance, ce ne fut pas sans
courir bien des dangers : sur ce point il rappelait que les Flamands avaient
envoyé un nominé Lancelot pour l'assassiner ; même pendant qu'il était allé à
Yorck avec le roi Édouard, des forcenés anglais, par haine de son influence,
vinrent piller sa maison ; lui et ses gens étaient constamment menacés ; enfin
des voies de fait avaient été commises contre un des siens, appelé Gaspard de
Villeneuve, lequel fut laissé pour mort sur la place ; or le coupable était
un archer du roi, et l'on n'avait pas osé le punir[3]. Sa mission,
il est vrai, était de prolonger la trêve ; mais le roi lui avait fait
entendre qu'il s'agissait surtout d'empêcher les Anglais de s'unir aux
Flamands. Certes, il eût bien voulu suivre de tous points les instructions du
roi ; mais quand il a vu le danger de plus près. il a pensé qu'il valait
mieux, au risque d'être désavoué, outrepasser les ordres reçus que de ne
point renouveler une trêve si utile à la France. D'ailleurs il n'a pas manqué
d'avertir le roi d'Angleterre que, dans le projet de trêve, les ducs
d'Autriche et de Bretagne n'étaient pas compris et qu'il n'avait nul pouvoir
de le faire. Mais Édouard, fort de ses appuis, avait même refusé d'admettre
une entière réciprocité entre le roi de France et lui ; car tandis que
l'ambassadeur consentait aux censures ecclésiastiques dans le cas où Louis Xl
ne payerait pas les 50.000 écus promis, Édouard ne se soumettait pas aux
mêmes censures s'il violait la trêve. L'évêque
ajouta qu'il avait eu soin de faire pressentir au roi toutes ces difficultés,
et qu'il l'avait même supplié d'envoyer quelqu'un, désirant n'être pas seul
chargé de si grands intérêts. Enfin vint un moment où il a cru voir que s'il
s'en tenait à ses instructions, « la guerre entre les deux couronnes était
indubitable ». Telle
fut la défense de l'évêque en ses interrogatoires, qui durèrent depuis le 31
juillet jusqu'au 2 septembre. On n'était point éloigné de penser que le
prélat avait sagement obéi à la nécessité, car on savait qu'en Angleterre, et
dans le parlement anglais surtout, l'opinion était favorable aux Flamands ;
on ne pouvait -donc s'étonner qu'Édouard se crût obligé de ménager ces
sympathies, toujours accrues par l'insistance de Marguerite d'Yorck.
L'affaire demeura indécise. Louis XI ne désavoua pas son ministre ; il se
contenta de le pouvoir faire s'il y avait lieu. Du reste, il fit exactement
payer la pension qu'il avait promise et traita fort bien les ambassadeurs
anglais. Rarement ils s'en retournaient à Londres les mains vides ; il en fut
encore de même alors. Ainsi, à la date du 7 octobre, on a d'un sieur Galand, orfèvre
à Tours, une quittance « de 2.049 livres douze sous pour argenterie et
dorures destinées au sieur Howard et autres députés d'Angleterre venus pour
l'entretien de la trêve. » Au surplus il y avait toujours quelques
affaires à suivre, et si Louis demeurait bien au-dessous de la somme demandée
pour la pension d'Élisabeth, future dauphine, il donnait toujours à espérer. Mais au
moment où l'on semble se rapprocher de la paix, une fatalité en éloigne. Ce
mauvais génie, c'était Marguerite d'Yorck. Quand l'évêque d'Elne était
rappelé en France, alors même la douairière, de Bourgogne passait en
Angleterre avec trois diplomates de l'archiduc. Son but n'était autre que de
substituer l'alliance flamande à celle de France. N'avait-elle pas aussi un
mariage à offrir ? Philippe, fils aîné de Maximilien, n'était certes pas,
pour Anne, troisième fille d'Édouard, un parti à dédaigner. N'avait-on pas
ainsi toute liberté de reconquérir tant de belles provinces ? C'était comme
une enchère. Ainsi,
à peine les enfants étaient-ils nés que déjà on mettait à profit des projets
de mariage, au risque peut-être de les voir échouer. Depuis le mariage de
Maximilien, source de tant de complications et de luttes, l'Autriche commença
à fonder sa grandeur sur l'union conjugale. Disons toutefois que ce ne fut
pas sans quelques déceptions. Cependant alors Marguerite n'y épargnait rien.
Elle fit plusieurs voyages ; l'on avoue même que pour atteindre son but « elle
donna de l'argent aux conseillers d'Angleterre[4] ». Ainsi Louis XI n'était pas
le seul qui cherchât à ce prix des appuis dans les cours étrangères. Mais
dans tous ces beaux projets le seul inconvénient était qu'au lieu de recevoir
de l'argent, Édouard en devait donner beaucoup, et que ces conquêtes dont on
parlait, c'était à lui de les faire. Les
choses se poursuivaient néanmoins. Le chevalier. Howard, qui revenait de
France, parle sans affectation en présence de la douairière des 50.000 écus
qu'il apporte par suite de la trêve ; et aussi du projet de mariage de la
princesse Élisabeth. Le sens de cette confidence était que, pour un
revirement acceptable, il fallait au moins remplacer une annuité si
fidèlement payée. Le 27 juillet, Marguerite mande ces choses à Maximilien,
tout en lui montrant les brillantes perspectives d'une pareille alliance, et,
sans attendre sa réponse ni une autorisation, dès le 4 août elle s'engage par
écrit, avec son frère, à remplacer les 50.000 écus annuels payables tous les
six mois a sitôt qu'il aura déclaré la « guerre à la France ». C'est le
lendemain, 5 août, que fut rédigé le contrat de mariage entre Philippe, comte
de Charolais, et la princesse Anne. Le 8 il est fait un traité qui détermine[5] le nombre de gens d'armes et
d'archers que Jean Milton et Thomas Evrigben conduiront en Flandre ; enfin,
le IO, une autre convention acquitte Édouard de la dot qu'il aurait due.
Aussi, par suite de ce traité, et le jour même qu'il fut signé, le roi d'Angleterre
déclarait se rendre arbitre entre Louis XI et d'autre part Maximilien et la
duchesse Marie. Tout
cela, heureusement, fut sans effet. Maximilien comprenait mieux que la
douairière ce qui lui manquait : il savait fort bien qu'il n'avait point
assez d'argent pour en envoyer en Angleterre autant que Louis XI ; aussi
pensa-t-il qu'il valait mieux traiter directement avec le roi que
d'entreprendre encore une fois quelque grand et hasardeux dessein. Peut-être
aussi préférait-il conserver l'initiative de sa conduite. Il était donc déjà
à peu près convenu d'une trêve, dont il avait indiqué ou accepté les bases,
et pour suivre cette idée il donna des pouvoirs au comte de Romont, à l'abbé
Grosserin-Hardouin, à messire Paul de Baeust, président de Flandre, à Gui de
Rochefort, son conseiller et chambellan, et à deux autres notables légistes.
Ils durent travailler avec le plénipotentiaire de France, le sire du Lude,
gouverneur du Dauphiné, pour conclure une convention qui pût conduire à la
paix. C'est
le 21 août, auprès de Douai, que la trêve fut conclue pour trois mois. Ce
traité que le duc et la duchesse d'Autriche laissèrent d'abord complétement
ignorer à la douairière, ils le ratifièrent à Namur le 2 septembre. On
l'appela trêve marchande, parce qu'elle put le devenir à partir du 22
septembre-suivant. Mais Marguerite d'Yorck ne pouvait tarder à être instruite
d'un tel mystère : par une lettre datée de Rochester, 14 septembre, elle se
plaint à Maximilien de la trêve qu'il a faite pendant qu'elle traitait
elle-même si avantageusement pour lui. Loin de se décourager elle donne
encore des conseils, puis repasse en Flandre, laissant à Londres l'abbé de
Saint-Bertin et trois autres diplomates. Quand on considère quelles
influences Louis avait à combattre à la cour de Londres, comment s'étonner
qu'il cherchât à y faire défendre par quelques-uns[6] les intérêts de sa politique ?
Ce n'eût pas été moins à propos en Bretagne où les serments faits au roi
étaient si aisément oubliés. Au reste en cette circonstance personne ne fut
fâché du dénouement : Édouard, en écrivant à Maximilien le 21 septembre,
approuva ce qu'il avait fait et inclina pour la paix. Quant au duc François,
il déclara, par une lettre du 28 septembre, qu'il acceptait d'être compris
dans la trêve conclue en Flandre. Toutes
ces choses se passaient pendant le long voyage du légat à travers la France.
Ayant reçu à Bourges une nouvelle députation conduite par le comte de Dunois
II, il vint rejoindre le roi à Vendôme ; puis il fit le 4 septembre une
entrée solennelle à Paris. Dès le lendemain il écrit à Maximilien, pour lui
annoncer sa venue et l'objet de sa mission. Ce fut le même jour aussi que,
pour plus de sûreté pour les coutumes de France, François Hailé, qui fut
également archevêque de Narbonne, et Guillaume de Ganay, avocats du roi, se
rendirent au palais pour protester contre le pouvoir donné par le saint-père
de contraindre par censures le roi et le duc à faire la paix, ou celui des
deux qui s'y refuserait, leur devoir étant de s'opposer à la publication d'un
tel acte. Cependant les fêtes en l'honneur du légat furent des plus belles
qu'on pût voir ; sans parler de celle où il assista le 12 chez le cardinal de
Bourbon, rien n'égala la réception que lui fit l'évêque de Lombez, abbé de
Saint-Denis. Il part ensuite pour Péronne, ville frontière des deux États.
Sûr des bonnes dispositions de Louis, il compte y recevoir la réponse de
l'archiduc. Elle
arrive le 17 septembre, mais, à la grande surprise du légat, cette réponse
peu gracieuse ne l'invitait point à venir en Flandre ; il écrit de nouveau,
remontrant l'urgence, les progrès des Turcs, parlant même de la dignité de
son caractère, qui ne lui permettait pas d'attendre. Pour lors Jean Dauffay,
maître des requêtes, reçut de Maximilien les lettres du cardinal, et aussi
l'ordre d'aller à Péronne, accompagné de plusieurs légistes ; d'entendre le
légat, et de rapporter ensuite ce qu'il aurait dit. Sur ces entrefaites vint
un bref du pape, daté du 16 septembre, qui, en affirmant l'impartialité du
cardinal légat, exhortait le duc à rejeter tous ses soupçons, et l'adjurait
de ne pas mettre obstacle à l'union des princes dans un si grand péril de la
chrétienté. Le 5 octobre le légat envoie ce bref à l'archiduc, comme
ultimatum. Mais, bien que les hommes sages et même Édouard lui conseillassent
d'accueillir et d'entendre le légat, Maximilien, qui était faible et vain,
n'en voulut rien faire. Ne se plaignait-il pas que le cardinal ne lui eût pas
donné le titre de duc de Bourgogne ! Or le vrai motif de cette froideur
marquée n'était autre que la bonne réception que le légat avait reçue en
France. Il restait encore à apprendre à celui-ci quelles intrigues s'agitaient
à cette cour de Flandre. Il y
avait alors auprès de Maximilien un nonce, l'évêque de Sébénigo, qui s'était
fort lié avec Thierry de Cluny, évêque de Tournay. Ces prélats ne voyaient
pas de bon œil la mission du cardinal de la Rovère et la traversaient plutôt
qu'ils ne la secondaient. On s'étonnera sans doute que la chancellerie de
Rome ne mît pas plus d'accord entre ses mandataires diplomatiques. D'autre
part le légat avait pour assistant l'archevêque de Rhodes : sa confiance en
lui était grande, l'ayant fait ce qu'il était. M'envoya auprès du nonce, dans
l'espoir qu'il finirait par connaître ainsi le terrain. Mais l'archevêque de
Rhodes se laissa gagner par les deux prélats qu'il venait consulter et finit
par confirmer Maximilien en ses défiances à l'égard du légat. Celui-ci ne fut
informé du vrai et désabusé que le 25 octobre, par une lettre confidentielle
que le roi lui fit écrire de la main de son secrétaire Jean de Doyat.
Parfaitement au courant de tout ce qui se passait à la cour de Maximilien, le
roi avait suivi de l'œil toutes ces menées. Par sa réponse du 29 octobre le
cardinal le remercia, reconnut, avoir été trompé, et, avec l'aide des
officiers du roi, ayant fait arrêter l'archevêque de Rhodes, il l'enferma à
Châteauneuf-du-Pape, près Avignon. Dès ce
moment le légat ne pouvait plus que bien peu de chose pour la paix : on lui
insinua même qu'il ne saurait sans danger se présenter à la cour de Flandre.
Cependant la trêve ne s'était faite que dans le but d'arriver à une solide
paix. Le duc ayant nommé pour ses plénipotentiaires le comte de Romont et
quatre de ses conseillers, le roi, de son côté, adjoignit au comte du Lude le
sire du Bouchage et Louis de Forbin, seigneur de Sollers. S'assembleront-ils
à Lille ou à Arras ? il fut d'abord assez difficile de convenir du lieu. Ce
fut bien autre chose quand il fallut aller jusqu'au fond des questions en
litige. Jamais négociations ne furent plus péniblement suivies. Le roi
désirait franchement la paix ; le duc voulait paraître moins pressé d'y
atteindre. Pour apprécier de quel côté était réellement l'obstacle à toute
pacification, il suffit de considérer les exigences de l'archiduc. Il lui
fallait l'Artois, la Franche-Comté, la vicomté d'Auxonne et le bailliage de
Saint-Laurent près Mâcon[7]. On avait même été jusqu'à
&mander, comme patrimoine de la comtesse Marie, tout ce que possédait feu
le duc Charles. Ainsi c'était le plus faible qui avait la prétention de faire
la loi. Selon
sa coutume le roi avait pourvu ses négociateurs de solides instructions. En
toute occasion il les seconde de ses lumières et de ses conseils. Touchant la
restitution de Lille, Douay et Orchies, « les députés d'Autriche conviennent
que la demande est juste et raisonnable, et dénient seulement pour le péril
de « la part des Flamands ». Mais était-ce au roi à sacrifier les droits
évidents de sa couronne aux prétendues convenances des gens de Flandre ? «
Messieurs, leur disait-il encore dans sa lettre du 9 octobre 1480, si nous
consentions que les filles héritassent, nous aurions fort à Lire ; car je
perdrois la couronne... Remontrez-leur que cela ne se peut faire afin qu'ils
ne parlent plus de choses impossibles. Item aussi, si les filles heritoient
ils perdroient tout ce qu'ils ont eu de la couronne, car le roi Jean et
Charles V qui le leur baillèrent n'eussent point été rois : ainsi leur
partage n'eût rien valu.... Remontrez- leur que les Anglois leur font
débattre cela pour en tirer avantage. » Avec le même soin il les informe de
tous les incidents politiques ; il avait eu l'attention de leur envoyer copie
de sa lettre au légat du 25 octobre, de leur expliquer tout cet épisode ; il
ne cesse de les mettre en garde contre tous les pièges qu'il soupçonne. Il
savait aussi toutes les entraves que Marguerite d'Yorck apportait au succès
de la négociation, et qu'alors même elle était à Lille. Cependant il ne
néglige rien de ce qui peut conduire à cette paix qu'il souhaite tant. « Messeigneurs,
écrit-il à ses diplomates, du Plessis, 3 novembre, dès l'aultre jour je vous
ai escript que ces grandes entreprises n'estoient point conduisables, vett
les personnaiges. Toutes fois vous y ferez ce que vous pourrez. Vous avez mal
fait à l'égard de maistre Jehan, d'avoir refusé le sauf-conduict ;
envoyez-le-luy si les choses ne sont changées. Je vous escrivois l'aultre
jour que vous ne délaissiez point à accepter les petites offres et à les
mettre en effect. Si le prince veut embler et amener quelqu'un de par deçà,
ne le refusez pas... le refus leur oste le couraige... J'écris à M. de Gento
la lettre que je vous ai mise ci-dedans toute ouverte ; lisez-la... C'est une
bien étrange chose qu'il vous ait amené la douairière et les Anglois : il
sait bien qu'ils aimeroient mieux veoir la chrétienté perdue que nous veoir
en paix... Puisque le prince et son conseil appellent les Anglois, c'est
signe qu'ils ne veulent point d'appointement ; les Anglois ne viendroient que
pour troubler tout, et je ne voudrois pas être pris au dépourvu. » On
avait fait grand bruit, en effet, de la réunion à Aire d'une nombreuse
assemblée. Louis ne crut point aux bons effets, même possibles, d'une grande
réunion en pareille matière Lorsqu'il s'agit de s'entendre, de discuter
librement, de peser, de régler de sang-froid les intérêts et les droits des
deux parties, d'aborder des questions ardues et personnelles, avec des
traditions à respecter et des compensations à calculer, au lieu d'exciter les
passions et les susceptibilités, il les faut calmer. C'est pourquoi le roi
pensait avec raison que de tels arrangements ne pouvaient être l'objet d'un
débat public. Parfois certaines vivacités d'expressions montrent à quel point
tant de résistances et de mauvaise foi mettaient sa patience à l'épreuve.
Apprenant que ses délégués avaient quelque crainte de pousser Maximilien à
rompre les pourparlers : « Que la crainte d'une rupture ne nous fasse
faire aucune concession, leur écrit-il le 8 novembre ; votre allée à Thérouenne
seroit dangereuse, car il faudroit que la garnison se délogeât pour vous
loger et vous y seriez en péril. Si M. de Baudricourt quittait Arras, ce
seroit de même. Quant à Aire, c'est trop proche de Calais. Vous êtes bien
bêtes si vous croyez qu'à cette grande assemblée d'Aire ils veulent conclure
quelque chose de raisonnable ; car la douairière y est, et pas pour autre
chose que troubler tout. D'ailleurs, là où il y a beaucoup de gens, on se
tient toujours en grande fierté et en grandes demandes... On ne confesse pas
sa nécessité devant tout le monde... Mon intention n'est que bonne. Si celle
de l'archiduc est bonne aussi, qu'il désigne un homme ou deux, et vous
besognerez ensemble. » Du reste Louis se fie à ses mandataires et leur
laisse la plus grande latitude. Deux fois en sa lettre il revient à cette
pensée : « Monsieur du Bouchage, faites comme vous verrez à l’œil. » Aussi,
lorsque Gui de Rochefort vient de la part de l'archiduc lui faire quelque
proposition, le roi répond-il simplement que les sires du Bouchage et de
Soliers connaissent ses volontés ; que si le duc veut nommer un ou deux de
ses intimes conseillers, ils pourront ensemble, même à l'insu de tous,
s'entendre et agir de concert. Il ajoute que, s'il venait vers eux un membre
de cette assemblée, le sire de Soliers pourrait aller vers elle, et voir ce
qu'on en pouvait espérer. Ainsi
le roi indique aux uns et aux autres tous les moyens d'arriver à quelque bon
accord ; c'est-à-dire, « de s'ouvrir franchement de ce qui semblera bon pour
parvenir au bien de la paix et à la bonne amitié ; comme s'ils étoient tous
les quatre au même maître ». Selon lui, maître Carondelet, chancelier de
Bourgogne, serait l'homme de qui l'on pourrait le mieux connaître leur
volonté. Longue trêve ou paix, voilà ce qu'il désire. Qui
observe attentivement la marche de ces négociations à bientôt vu de quel côté
est le vrai désir de la paix. Mais avec raison le roi se défiait des
surprises et des ruses de ses adversaires, et il ne cesse d'en prémunir ses
ambassadeurs. Le 10 il leur recommande encore de ne point aller à Thérouenne.
« Il vaut mieux que vous soyez libres à Arras qu'otages à Guines pour M. de
Roussi. » Qu'ils se tiennent donc sur leurs gardes. Ils semblent avoir
confiance en un gentilhomme savoisien, nommé le sire de Gento, qui se mêlait
fort en cette affaire et s'y donnait grande importance. Le roi, plus
clairvoyant, s'en dépite. « Si vous êtes si fous, leur écrit-il le 13
novembre, d'ajouter foi à choses que vous dit M. de Gento, parce qu'il est de
Savoie et se dit mon serviteur, je vous réponds que ce n'est qu'un allez y
voir. Remarquez qu'il ne vous dit jamais une même chose deux fois. Il laisse
nies besognes en arrière. Croyez quand vous « aurez vu, et pas autrement. II
ne doit être là que pour les affaires de M. de Romont. » Malgré
son désir d'arriver à une solide paix Louis XI ne chercha point à l'obtenir
par des moyens inavouables. Parmi les prisonniers de Guinegatte, il avait
encore sous la main le gentilhomme Wolfgang, sire de Polhein, qu'il savait
être cher à la cour de l'archiduc. Qui Petit empêché, s'il eût eu l'ombre du
caractère qu'on lui suppose, de s'en servir pour forcer Maximilien à la paix
? Il fit tout le contraire. On a vu déjà qu'il l'avait sauvé d'une terrible
exécution : il le tenait à Arras, et il n'y avait point d'échange possible.
Mais il demandait quelques lévriers qu'il voulait obtenir d'un sire de
Bossut. Il en écrit de nouveau le 20 novembre, au sire du Bouchage, et même
le 17 décembre[8] il lui dit : « Je donnerai à M.
de Bossut cent ou deux cents marcs d'argent, selon ce qu'il me fournira.
Donnez-lui à entendre que je ne veux pas ses levriers sans lui donner ce
qu'il voudra, ni pour la rançon de Polhein : mais c'est ma couverture pour marchander
et pour rallonger à Polhein un mois ou six semaines, si M. de Bossut ne vient
pas. » Ce dernier consentit enfin à se dessaisir d'un couple de ces animaux ;
toutefois on a encore, du 24 mai 1481, une lettre des parents du sire de
Polhein à M. du Bouchage, réclamant sa délivrance. Est-ce
bien le cas de sourire d'une pareille fantaisie ? Sans doute le roi était
trop affaibli pour se livrer, autant que par le passé, au plaisir de la
chasse. Mais s'il paraissait tant tenir à posséder des meutes de certaines
races, s'il chasse encore dans l'automne de cette année avec les envoyés du
roi d'Angleterre, c'était pour dissimuler à ses ennemis son état de faiblesse
dont ils espéraient bien profiter. Que voulait le parti flamand, sinon forcer
la main au roi, le contraindre à une paix ruineuse, humiliante, et à
l'abandon de ses droits ? Quelle audace ne prendront-ils pas s'ils
s'aperçoivent de la prostration de ses forces ! C'était là toute sa crainte.
Il ne perdait de vue ni le jeune âge de son fils, ni les rivalités que
l'attrait du pouvoir ferait naître après lui, ni surtout les rancunes de
l'aristocratie qu'il avait humiliée. Ainsi, quand alors on le voit faire de
longues courses sur les marches de Touraine, de Poitou et d'Anjou[9], c'était encore un effort
patriotique au-delà de ses forces en vue de voiler la gravité de sa
situation. Cependant,
toutes stériles qu'elles fussent, les négociations se continuaient. Que
pouvait-on répondre aux droits si évidents du roi ? Ses députés étaient munis
de toutes les pièces, et entre autres du vidimus des lettres de Philippe le
Hardi sur la Bourgogne, qui les établissaient d'une manière irréfutable. En
effet, « ledit Philippe promet, par foi et loyal serment, que si son
mariage s'accomplit avec Marguerite, fille de Louis, comte de Flandre, et
s'il advient que ledit comte trépasse sans hoirs mâles et que sa fille lui
succède en tous ses héritages, nous, dès lors, dit-il, sans délai nous
restituerons au seigneur roi ou à ses successeurs rois de France les villes
et châtellenies de l'Isle, Dotiay, avec toutes leurs appartenances A
l'avenir, par quelque voie que lesdites villes viennent en notre main, nous
les lui rendrons réellement franches et quittes de toute charge, sans rien
alléguer au contraire. Dans le cas dessus dit nous promettons de faire à ce
consentir notredite cousine : et sitôt que le comté de Flandre viendra en
notre main, nous le tiendrons de notredit seigneur roi et de ses successeurs,
et lui en ferons hommage, comme il est coutume de faire au roi de France.
Avec ce nous tiendrons ledit pays de Flandre en vraie obéissance devant
notredit seigneur roi et ses successeurs ; et en notredit pays aussi bien que
ès terres qui viendront en notre main par la cause dessus dite, nous lui
garderons les droits royaux, comme il les a ès autres terres des pairies de
France. Pour garantie de la promesse ci-dessus faite, nous obligeons envers
ledit seigneur nous, nos biens, nos hoirs et les biens de nos hoirs présents
et à venir ; et avec ce, nous nous soumettons à la juridiction et coercion de
notre saint-père le pape, et à la censure de l'Église, de sorte qu'en cas de
forfaiture, à la seule exhibition des présentes, lui ou un de ses
commissaires puisse donner sentences d'excommuniement et interdit sur nos
terres, ou sur celles de nos hoirs et successeurs ; lesquelles sentences nous
voulons encourir de fait, dès lors qu'aucune faute il y aura ès choses dessus
dites. Donné à Péronne, le 12 septembre 1368. » Malgré
des textes si formels, outre le refus même d'ouïr le légat, toutes sortes de
difficultés étaient élevées par Maximilien. Pour lui, il n'admettait que les
résultats des traités de Conflans et de Péronne. Tandis qu'avec raison Louis
XI voulait exclure de toute discussion le retour des apanages qui provenaient
de la couronne, l'archiduc prétendait que tout ce qui avait appartenu au duc
Charles devait lui revenir ; il n'en démordait pas. Mais est-ce que, par
exemple, le comté de Boulogne n'avait pas été usurpé par le duc.de Bourgogne
? N'était-il pas devenu la conquête du roi qui avait en outre acheté les
droits de la maison de la Tour ? On n'en voulait pas davantage entendre
parler. D'ailleurs quand les négociateurs flamands se trouvaient trop pressés
par les preuves et arguments de ceux de France, ils se contentaient
d'atermoyer ou de déclarer que sur tels ou tels points leurs pouvoirs étaient
insuffisants. C'est ainsi que rien n'avançait. Pendant ce temps Maximilien,
qui comptait sur l'appui de l'Angleterre et de la Bretagne, faisait des
traités secrets avec François II, et circonvenait de son mieux Édouard IV ;
mais ce qui pouvait le plus directement agir sur l'esprit de ce prince lui
faisait défaut, et rien n'y pouvait suppléer. Édouard ne partageait qu'à demi
les illusions de Maximilien ; au lieu de le pousser à la guerre, il lui
conseillait une longue trêve, Il lui parle de sa médiation, de l'affaiblissement
du roi, se promettant sans doute à soi-même une plus longue carrière ! De son
côté Louis XI faisait toutes les concessions possibles et n'y épargnait
aucune peine. Le ter décembre il envoie à ses délègues de nouvelles
instructions datées de Saint Bonaventure, près Chinon. « Messieurs, leur
dit-il, l'ouverture que vous pouvez faire, c'est de leur confesser que dans
le duché et aussi dans la comté d'Auxonne, ils ne peuvent rien demander de
droit, ni pareillement en Lille, Douai et Orchies. Pour cela ce serait bien
assez de leur bailler dix mille petites livres, comme on l'a dit, et l'argent
que le duc et sa fille ont levé ès pays divers sans me faire foi et hommage :
offrez-leur de leur bailler la jouissance d'Artois sous la main du roi et
sauf les droits de la couronne, pourvu qu'ils baillent bonne sûreté pour le
reste ; puis de s'en tenir à ce que la justice souveraine décidera : et s'ils
ne se veulent contenter de la cour du parlement qui est cour souveraine, que
tous les états ils fassent assembler. « Ils
voudroient que je laissasse la comté de Bourgogne ès mains des seigneurs et
de la noblesse du pays. Ils ne consentiront jamais à me bailler Lille, Douai
et Orchies : aussi ils ne sauraient trouver l'argent que le duc Charles en a
levé. Ils ne peuvent nier qu'ils ne me doivent les choses dessus dites, et
qu'ils ne s'en pourraient acquitter. Vous pourrez donc bien demander pour
compensation que les comtés d'Artois et de Bourgogne demeurent ; qu'à ce prix
j'abandonnerai la confiscation, aussi bien que Lille, Douai et Orchies, et la
somme levée là avant qu'ils m'aient rendu hommage. Ainsi ils ne pourront sans
nulle raison vous refuser ce qui est vôtre. » Enfin le désir du roi d'arriver
à la paix était tel que, ce même jour, il écrivait à son intime conseiller du
Bouchage : « Si les gens à qui vous avez affaire veulent faire le plus petit
service, n'attendez pas le grand. Prenez-les au mot.... S'ils ne veulent
entendre raison, essayez à avoir une longue trêve pour autant que le Turc sera
en Italie, et pour un an au-delà, afin que je puisse servir Dieu et
Notre-Dame contre les infidèles. » Les
circonstances étaient graves en effet. Déjà on commençait en Europe à parler
des Russes. Iwan III, leur grand maître, qui depuis 1472 avait conquis sur
tes Tartares la province de Novogorod, étendait de plus en plus son autorité.
On apprit alors (1480)
qu'il avait remporté une grande victoire sur les bords du Volga ; puissent
ces hordes nouvelles ne pas peser d'un trop lourd poids sur les régions
défendues par les sentinelles de l'Europe occidentale, c'est-à-dire par les.
Polonais de Casimir IV et par les chevaliers teutoniques ! Quant aux
autres royaumes du nord qui durent aussi leur civilisation au christianisme,
on ne parlait encore que vaguement de l'union de Calmar, du règne de
Marguerite, fille de Waldémar III, de Christiern Ier, de Canutson, et de
l'anarchie où ces peuples étaient restés plongés. Les
Turcs, il est vrai, avaient été repoussés de Rhodes par l'héroïsme des
chevaliers ; mais leur étendard ne flottait-il pas sur le dôme de
Sainte-Sophie ? Ne possédaient-ils pas toutes les grandes îles de la
Méditerranée ? Connaissait-on quelque limite aux entreprises de Mahomet II,
leur impitoyable chef ? Maîtres de l'Albanie, n'ont-ils pas depuis la fin
d'août un pied en Italie ? La Seigneurie de Venise elle-même ne
renonce-t-elle pas à les arrêter ? Ainsi menacés par des peuples barbares, il
est temps que les princes chrétiens cessent de se déchirer réciproquement,
qu'ils unissent leurs efforts contre l'ennemi commun. Au lieu de le combattre
en Asie, attendront-ils, comme du temps de Charles Martel, qu'il soit au cœur
de leur propre pays ? Paralyser la défense des chrétiens par une lutte
injuste et obstinée, n'est-ce pas se faire l'auxiliaire de l'ennemi ? Louis,
en effet, s'était promis de marcher au secours de la chrétienté dès que les
infidèles mettraient le pied en Italie. Mais si l'affaiblissement de sa santé
ne lui permettait pas de tenir parole comme il l'eût voulu, du moins en cette
vue, s'employait-il de tout son pouvoir pour la paix. Les officiers de
l'archiduc s'étaient encore permis des hostilités en Luxembourg avant
l'expiration de la trêve du 21 août. Le roi ne tire aucune conséquence de
cette imprudente rupture ; il lui suffit qu'ils aient été vigoureusement
repoussés. Toutefois, las de tous les refus d'entrer dans une voie de
conciliation, il écrivait au sire du Bouchage : « Ils n'ont pas voulu
signer la trêve marchande, ils n'auront pas de blé : » car l'hiver avait été
rude et la famine désolait tous les pays de Flandre. Enfin Maximilien,
désabusé sur les secours qu'il avait espérés, d'ailleurs en assez mauvais
termes avec les villes flamandes et ayant à soutenir une rude guerre contre
les gens de Gueldres et d’Utrecht, se voit réduit à solliciter le
prolongement de la trêve. Louis XI ne profite ni de la détresse de son
ennemi, ni de tous ses avantages stratégiques. Qu'on ne s'en étonne pas : à
ses yeux une bataille était une coupable effusion de sang. Il accorde donc le
prolongement de la trêve, qui fut renouvelée en décembre pour quatre mois. Le
légat avait dû se retirer du débat ; sa mission n'avait point eu de succès.
Le roi, reconnaissant de son zèle, voulut lui donner quelque satisfaction.
Déjà, peu avant, il avait libéré, par lettre du 25 juillet, l'évêque de
Saint-Flour, Jean Xaincoing, qui pour certain fait de monnoyage était resté,
par ordre du procureur du roi, prisonnier en la conciergerie du palais. Mais
Jean Balue, cardinal de Sainte-Suzanne, et Guillaume d'Harancourt, évêque de
Verdun, étaient depuis dix ans enfermés dans des cages de fer, lesquelles
avaient remplacé les chaînes et boulons dont les prisonniers étaient
auparavant chargés. Convaincus et reconnus coupables de haute trahison, ils
expiaient ainsi leur faute. Une aussi sévère justice fut rarement appliquée à
de hauts dignitaires du sacerdoce, mais il faut avouer qu'il s'en est
rencontré bien peu qui se soient compromis au même degré. On fit courir le
bruit que maître Balue était tombé fort malade ; le roi le fit visiter par
maître Coitier, son médecin, et par Comines. Sur leur affirmation qu'en effet
sa santé était altérée, l'archiprêtre de Loudun fut chargé de le tirer de
prison et de le remettre entre les mains du légat. Le cardinal de la Rovère
le reçut à Orléans, promettant qu'il serait jugé à Rome. Or on sait que la justice
romaine lui fut légère. En 1484, sitôt après la mort du roi, il eut la
hardiesse de se montrer en France comme légat ; mais le parlement lui
interdit l'entrée du royaume. Il mourut en 1491 évêque d'Albano. Jean
Balue libre, Guillaume d'Harancourt ne tarda pas à obtenir la même grâce. Ses
deux frères, Pierre et André d'Harancourt, par lettre de Metz au seigneur de
Soliers, sollicitaient avec instance son élargissement et la conservation de
son évêché, déclarant se rendre caution pour lui. Le gouverneur de la
Bastille eut ordre de prendre de lui et de ses frères, venus à Paris pour le
recevoir, toutes les sûretés promises, après quoi Louis de Lenoncourt,
vicomte de Meaux, le leur remit. Peut-être la présence du légat
contribua-t-elle aussi à la prompte délivrance de l'évêque de Coutances, qui
eut lieu vers le même temps. Alors
beaucoup d'ambassades prenaient le chemin de l'Italie. Pour rendre plus
directement au pape un témoignage de son dévouement, le roi y envoya en
février une députation conduite par Jean de Chassaigne, premier président du
parlement de Bordeaux. Cette ambassade fit solennellement son entrée à Rome
le premier jeudi de carême[10]. De l'union des princes
chrétiens, Louis n'en était pas le maître ; mais il envoyait offrir au
saint-père pour la défense de la foi 300.000 écus d'or, dont 200.000 seraient
levés sur le clergé et le reste sur le peuple. Les députés français y étaient
encore lorsque vinrent, de la part de Maximilien, plusieurs notables du
clergé et de la noblesse de Flandre. Ceux-ci, comme s'ils ignoraient ce qui
s'était passé aux conférences, eurent bien l'audace de se plaindre des refus
que le roi aurait opposés à leurs offres de paix. Charles d'Anjou, le jeune
comte de Provence, y envoya aussi ses mandataires, et à leur tête François de
Luxembourg. Ils réclamaient l'investiture du royaume de Naples et insistaient
pour être reçus comme ambassadeurs d'une tête couronnée. Les députés de
France les appuyaient ; mais les cardinaux et le saint-père ne voulaient pas
offenser Ferdinand, surtout en ce moment. Malgré ce défaut de solution, ils
quittèrent Rome satisfaits, et l'ambassade française en partit peu après eux
pour Venise. Faiblement
appuyé d'Édouard IV, médiocrement écouté à Rome, Maximilien réussira-t-il
mieux auprès des princes allemands, qu'il appelle à se réunir à Metz ?
En vain il leur expose sa situation. Lorsque l'avare, l'indolent Frédéric
III, son père, ne le seconde nullement, à quel titre compterait-il sur
l'appui des autres ? C'est Louis XI et la France qui trouveront au contraire
des auxiliaires de ce côté. Deux princes y rechercheront l'amitié de Louis
XI, qu'ils ont su apprécier. Ladislas, fils-de Casimir, roi de Pologne, a
aussi des droits sur le Luxembourg du chef de sa mère, et volontiers il en
entreprendrait en commun la conquête. Sa députation au roi, conduite par
Philippe de Sirck, prévôt de Trêves, renouvelle les anciens traités et en
fait un nouveau qui est signé le 15 janvier à Poitiers. Un autre allié, le
vainqueur des Turcs et de l'empereur Frédéric HI, Mathias Corvin, roi de
Hongrie, offre aussi son amitié à Louis XI. C'est assez pour sa gloire de
présenter aux musulmans un rempart infranchissable. Mais s'il n'a point de
secours à promettre, du moins son hommage est une preuve qu'il voit dans la
France et dans son roi les vrais soutiens de la civilisation chrétienne. Tant
d'affaires à l'étranger ne détournaient pas le roi des soins de
l'administration intérieure. Il pourvoit surtout au bon gouvernement de
Bourgogne. En l'absence du sire de Chaumont, occupé à la conduite des armées,
il y avait confié, dès le 12 juillet, toute autorité à Jean d'Amboise, son
frère, évêque de Maillezais, remarquable « par ses grand sens, prudence,
loyauté, « prudhommie et bonne diligence ». Bientôt il lui associa son autre
frère, l'évêque d'Alby, pour l'institution des parlements bourguignons.
Plusieurs villes de la Comté, en effet, prétendait aux sessions du parlement.
Chacune des demandes excluait les autres : comment ne mécontenter personne ?
Après donc avoir établi, par lettres du 17 juillet, Jean de Cambray, naguère
trésorier et receveur des finances dans le Roussillon, général maître des
monnoies royales en ses duché et comté de Bourgogne, le roi déclare, par
lettres royaux du 9 août, « que l'évêque d'Alby constituera le parlement de
Bourgogne à son gré et où il voudra ». On pouvait donc le faire siéger
alternativement à Besançon et à Salins. Cela
n'empêcha pas que les états tenus en cette dernière ville en octobre ne
présentassent de nombreuses doléances aux gouverneurs de Bourgogne. A cause
des différences de style, et pour n'être pas obligé de porter leurs appels à
Dijon, ils réitèrent leur demande d'un parlement spécial à Salins ; ils
désirent moins de lenteur dans la justice, plus de sévérité dans la
discipline de la part des capitaines dits des mortes payes ; que le laboureur
ne soit plus obligé de faire le guet ; que tout prévenu du crime de
lèse-majestés soit remis aux juges ordinaires ; que nul soldat ne prenne rien
sans payer, et qu'il leur soit sévèrement défendu de maltraiter personne ;
que les gens de Dôle ne soient plus obligés de travailler par corvées aux
murs des villes et châteaux du duché ; que les seigneuries de Champlite et
autres ne soient plus molestées, ni contraintes à fortifier Auxonne ; qu'on
ne démolisse plus les châteaux du pays ; que ceux qui obtiennent des
confiscations soient obligés de payer les dettes de ceux dont les biens sont
confisqués ; que le roi veuille faire écrire à Berne, à Orbe, à Neufchâtel et
autres lieux qui lui sont amis, afin que plusieurs obstinés rebelles ne
puissent plus, par lettres à leur famille, répandre de fausses nouvelles et
agiter le pays. Enfin, ils demandent la conservation de leurs libertés, comme
du temps du duc Philippe. Déjà le
roi avait déclaré que ceux qui recevraient des biens confisqués en
acquitteraient toutes les charges, sans pouvoir sous aucun prétexte s'en
exempter ; il avait également pourvu avec sagesse aux sessions du parlement
de Bourgogne, et le 29 décembre des mesures sont prises pour l'exact payement
des membres de cette cour. Louis XI ne négligea rien pour satisfaire ses
peuples de récente annexion : l'année suivante il octroya donc à tous ses
sujets de la Franche-Comté l'entière exemption du droit d'aubaine et la
liberté de trafiquer partout sans payer aucun droit d'entrée ou de sortie
puisqu'ils n'étaient plus étrangers. Malgré tant de preuves de bon vouloir,
toute trace d'agitation en ces pays de Bourgogne n'avait point disparu. Le
roi sut y appliquer à propos pardon et sévérité. C'est ainsi qu'ayant appris
que Jean Jacquelin, jeune audacieux qui avait introduit en 1477 les Allemands
à Beaune pour y résister aux troupes du roi, était alors en Flandre et qu'il
reviendrait volontiers sous son obéissance, Louis XI lui accorde en novembre
une rémission ainsi conçue : « Toutes choses considérées, préférant, à
l'égard du suppliant, miséricorde à rigueur de justice, et en considération
des services que notre féal conseiller le président de Dijon, Jean Jacquelin,
son père, nous a par ci-devant rendus, nous rend chaque jour, et nous rendra,
nous l'espérons encore à l'avenir, avons quitté, remis, aboli, etc. » En même
temps, par une lettre de Saint-Bonaventure près Chinon, 17 novembre, au maire
de Dijon, maître Étienne Barbisay, le roi marque son étonnement de la rentrée
en cette ville de plusieurs qui en avaient été chassés ; et Conclut à
demander « que tous ceux qui ne paraîtront ni sûrs ni féables soient écartés
sans délai ». Enfin, en février 1480(1), il gracie par lettres de Thouars, Hugues de
Thoisy, gouverneur de Semur, tenu pour coupable de félonie. Mais
alors même Louis perdait un de ses meilleurs lieutenants et celui qui le
mieux l'avait aidé en la pacification de ces provinces : Charles d'Amboise,
sire de Chaumont, et depuis 1475 comte de Brienne, mourut presque subitement,
le 22 février 1480(1), Comme celles des Rohan, des Croy, des Estouteville et tant
d'autres grandes familles, la maison d'Amboise fut féconde en hommes de
guerre et d'État. On y compte neuf fils, dont le célèbre Georges d'Amboise
fut un des plus jeunes, et huit filles, qui, malgré le droit d'aînesse,
firent de nobles alliances. Personne
ne convenait mieux que Charles d'Amboise au poste qu'il occupait. Il fut
regretté de tous. Il est utile cependant d'observer les bruits absurdes qui,
à cette occasion, se répandirent et trouvèrent de l'écho chez les
chroniqueurs de Flandre. On prétendit faussement qu'il était mort dans
d'atroces douleurs, privé des secours de la médecine et de la religion : on
alla jusqu'à dire que le démon s'étant saisi de sa personne, était apparu au prêtre
au moment de dire la messe de sépulture pour le lui révéler, et qu'ayant
ouvert le tombeau il fut trouvé vide[11]. Ces fables, avidement
recueillies, ne prouvent pas seulement la haine des Flamands contre lui et la
crédulité de ces temps ; elles montrent aussi combien il faut se défier des
récits dont les Bourguignons ont surchargé leurs chroniques, surtout à
l'égard de ceux qu'ils n'aimaient pas. Quelle
confiance donc ajouter à tant d'insinuations malveillantes dictées par
l'esprit de parti ? Telle est, par exemple, cette prétendue aventure du moine
et de l'officier picard citée comme un on dit du temps : Le roi, en dînant en
public, aurait désigné par un signe au prévôt Tristan un capitaine picard
auquel il voulait. Le prévôt se serait trompé ; il aurait saisi au bas de
l'escalier, au lieu du Picard, un très-honnête moine, et l'aurait fait jeter
à la rivière, cousu dans un sac ; ce qui, une fois la méprise découverte,
aurait fort contristé le roi et fort égayé la cour[12]. Comment croire à un tel mépris
de la vie humaine de la part de celui qui fit dire de lui-même, par ses
ennemis, qu'il eût mieux aimé perdre 10.000 écus qu'un seul de ses archers !
Sans doute il paya sa dette aux vices de cette époque, mais moins que ses
prédécesseurs, moins aussi que tous ses contemporains, tels que Charles le
Téméraire et Maximilien, et même que ses successeurs, à qui l'on peut
reprocher des sentences beaucoup trop expéditives. Comment donc s'en prendre
à Louis XI des torts de son temps et de ceux du siècle suivant ? En cette
année même 1480, on parle d'un procès intenté contre des séditieux qui, dans
le Poitou, s'étaient soulevés contre l'impôt du sel ; or cette affaire suivit
son cours sans éclat. Pour ce qui est du gouvernement des Bourgognes, le roi,
ayant nommé l'évêque d'Alby lieutenant général dans le Languedoc en l'absence
du duc de Bourbon, y appela dès le 16 mars le sire de Baudricourt aux gages
de deux mille livres. Tout en y maintenant Jean d'Amboise, évêque de
Maillezais, il fut ainsi également pourvu à la direction militaire et civile
de ces pays de nouvelle annexion, seul moyen d'en rendre l'administration
plus facile. En ce même mois de mars, outre les franchises octroyées aux gens
de la Comté, il accorda de nombreux privilèges à la ville de Besançon et y
transporta leur université. La
disposition des évêchés était, on le comprend, un point fort important pour
l'autorité royale : plusieurs faits de cette année même montrent que ce point
était à peu près obtenu. Maître Étienne Goupillon, sur de fausses lettres,
avait eu[13] l'évêché de Séez contre le
consentement du roi ; le pape déclare qu'il ne peut l'obtenir sans l'adhésion
de Louis XI. D'autre part, maître Laurens Lalleman n'ayant pas d'abord
accepté l'évêché d'Orange où il a été transféré par la volonté du roi, ce siège
est déclaré vacant. Le pape le donne alors à maître Goupillon ; mais, à la
prière du sire du Lude, maître Gilles de Laval obtient l'évêché de Séez. Le
cardinal légat est d'avis que, si le roi y consent, maître Goupillon ait
l'abbaye de Monterol du diocèse d'Amiens, et que maître Lalleman, parent du
sire du Bouchage, prenne Orange avec l'abbaye de Saint-Saturnin de Toulouse
pour n'être pas sans bénéfice ; ainsi quelquefois l'accession des bénéfices
suppléait à l'insuffisance d'un évêché. Au sein
même de l'épiscopat français les contestations étaient fréquentes. En
compulsant les registres du parlement on voit d'assez nombreux appels qui
mettent sur la voie de difficultés sans cesse renaissantes dans le clergé
pour des intérêts où le spirituel et le temporel n'étaient pas toujours
parfaitement définis. Telle était, en matière de compétence sur ces points,
la divergence des opinions, que les arrêts mêmes du parlement n'étaient pas
sûrs d'être exécutés. On cite les procès de l'évêque de Chartres,
non-seulement avec le chapitre et les archidiacres de son église, mais
surtout en 1477 avec l'abbé de la Trinité de Vendôme. Ces débats prirent un
caractère de haute gravité, et, dans le temps, firent beaucoup de bruit. Le
roi crut reconnaître que c'était l'abbé qui avait raison, et laissa même
entrevoir sa pensée aux membres de la cour du parlement. Mais la chose alla
plus loin ; le prélat ayant fait défense à ceux de son diocèse d'aller faire
leurs dévotions et ouïr le service divin en l'abbaye de la Trinité, le roi
écrivit incontinent au parlement que c'était une procédure inique, un grand
abus de la justice, et qu'on eût à mettre à néant lesdites défenses. Bien
d'autres procès du même genre intéressent également l'histoire de cette
époque : tel fut celui de l'évêque de Pamiers avec le prieur des carmes de
cette ville ; celui entre l'évêque de Nevers et le comte du même lieu, sur le
point de savoir si le prélat pouvait tenir juridiction en son hôtel épiscopal
; enfin celui surtout que l'évêque de Saintes, de la maison de Rochechouart,
intenta à son chapitre. En janvier 1472, ce prélat avait été ajourné à
comparoir en personne, sous peine d'une forte amende et d'être déclaré
rebelle envers le roi : comme en ce procès il s'agissait du possessoire des
bénéfices, question délicate que Horne et le parlement croyaient avoir le
droit de trancher, le saint-père, par un bref du 27 juillet 1473, lui avait
défendu, à peine de suspension de l'administration de son évêché, de
poursuivre son chapitre en cour laïque. Le cours de ces procédures eut
diverses péripéties. Ce qui en rendait la solution plus difficile, c'est que
les droits de chaque situation n'étaient point clairement déterminés. Enfin
l'évêque ayant été jusqu'à dire que la moitié du comté de Saintes lui
appartenait, il y eut, le 3 septembre 1479, un arrêt du parlement ordonnant
l'exécution des jugements déjà rendus à Paris et à Bordeaux sur cette affaire
au profit du chapitre ; déclarant nulles et abusives les censures prononcées
par ledit évêque contre le chapitre et contre les officiers qui exerçaient la
juridiction commune, lui enjoignant de révoquer lesdites censures, et lui
imposant en outre une assez forte amende au profit de l'hôtel-Dieu et
d'autres établissements pieux, avec l'obligation de subir ladite décision par
le séquestre de son temporel et la détention de sa personne dans la clôture
de son palais. Ces
résistances de l'épiscopat n'étaient d'ailleurs qu'une suite de tant de
luttes seigneuriales. Combien d'autres plaies restaient à cicatriser et
d'aspérités à adoucir Les rapports du roi avec le parlement étaient fréquents
et pleins de déférence : pour le fait de l'enregistrement cette cour devait
intervenir dans tous les actes royaux ; c'est toujours avec courtoisie que
Jouis XI l'en prie. Toutefois il retient son droit de nommer aux offices
vacants ; et lorsque la mort de Jean Le Boulanger l'oblige de chercher un
homme aussi capable que ce dernier et aussi digne de remplir sa charge, il
écrit de Thouars, 25 février, aux présidents et conseillers de sa cour du
parlement, qu'après mûre délibération avec les seigneurs de son lignage et
ceux de son conseil, il a pourvu Jean de La Vaquerie, alors quatrième
président, de cet office de premier président, par ce motif qu'en bien des
circonstances, ledit magistrat « lui a rendu beaucoup de louables et grands
services. Il leur mande donc et leur enjoint de le recevoir solennellement
dans ledit office avec tous les honneurs d'usage ». Tous
les actes du roi ne cessent de témoigner de son désir de rendre bonne justice
et d'améliorer le sort de tous. Pour le transport de l'artillerie, il y avait
eu une taille locale ; apprend-il, car il s'informe de tout, que cet impôt
ait donné lieu à des pilleries de la part des collecteurs ? il en écrit, de
Chaumont le 4 septembre, à Guillaume Dubois, correcteur des comptes. Partout,
on te sait, les corps de métiers, à l'imitation de ceux de Paris, s'étaient
créé des règlements spéciaux ; précieuse organisation qui contribuait si bien
à inspirer aux populations l'amour du travail et le respect du devoir !
Souvent ces corporations faisaient homologuer leurs statuts par le roi. Louis
XI sanctionna toujours ces lois du travail ; et il approuve cette année, en
septembre, les statuts des brasseurs de bière d'Eu, dont la charte avait été
brûlée dans l'incendie de 1470. Il n'oublie point non plus d'assurer les
droits de ceux qui, à son appel, ont apporté leur industrie en France, et
font ainsi la fortune des bonnes villes de Lyon et de Tours. Le roi écrit donc du Plessis, 23 décembre 1480, à ses féaux les
gens de ses comptes : « Nous avons, par lettres de Chartres, affranchi et
exempté nos ouvriers et faiseurs de draps de soie de plusieurs charges, et
donné à ceux qui sont étrangers congé de pouvoir tester et disposer de leurs
biens, ainsi que vous verrez. » Alors aussi on commence à voir, sur les
comptes du trésor, l'année financière s'ouvrir le ter janvier et finir le 31
décembre. Pour un
complet acquittement de ce qu'il doit et pour des causes toujours
impérieuses, le roi donne en juillet les terres de Beaugé au maréchal de
Rohan, en échange de la place de Vire. Lorsqu'il avait retiré à son service
Hugues de Chalon, lequel épousa, comme on sait, Loyse de Savoie, il promit de
lui rendre toutes les seigneuries ayant appartenu à son père Louis de
Chillon. Le roi, pour dédommager le comte de Dunois qui possédait une partie
de ces terres, lui cède en octobre les manoirs de Montaigne, de Mirebec et
autres. Vers le même temps Jean de Damas, seigneur de Clessi, qui l'avait si
fidèlement servi depuis dix ans, étant mort, il nomme capitaine, bailli et
gouverneur de Nikon Guyot d'Usie, son conseiller. En septembre il satisfait
aux réclamations de maître Cousinot, à qui était dû un sixième du revenu des
mines. Parmi
les gratifications accordées par le roi en cette année 1480, on cite
l'augmentation des privilèges de Saint-Denis ; une maison d'Angers donnée à
son secrétaire Jean Bourré ; la seigneurie de Montende octroyée à la famille
de La Rochefoucauld ; la prévôté de Meaux accordée au sire Étienne de Vesq,
commensal du dauphin, et l'échange de quatre prisonniers demandés pour huit
cents livres à M. de Saint-Benoît, gouverneur d'Arras. Si la médecine devait
être impuissante dans ses secours, elle était féconde en sollicitations ;
c'est ainsi que Louis XI se voit obligé d'écrire des lettres de jussion à
Messieurs des comptes en faveur de maître Coitier, lequel veut que son fils
Pierre soit légitimé et que les dons qu'ils a obtenus du roi ne lui fassent
pas défaut ; et encore le 4 mars 1481, il anoblit Thomas Guissarmé, son
médecin ordinaire. Ajoutons le don des seigneuries de Noyers et de Châtillon-sur-Seine
au sire de Hallwyl, commandant des Suisses, et plus tard, en mai 1481, celui
de la terre de Villaines à Philibert Hochberg, maréchal de Bourgogne, qu'il
nomme son neveu et cousin. On cite
alors plusieurs hommes de distinction qui échangèrent leur captivité pour le
service du roi. Ainsi Jean de Bruges, seigneur de la Gruthuse, pris à
Guinegatte, engagea sa parole à Louis XE, qui le fit son chambellan et le
maria à Renée de Bueil, fille du comte de Sancerre et de Jeanne, dite de
Valois, par Agnès Sorel ; Louis de Haliwin, seigneur de Piennes, qui, de
prisonnier qu'il était, devint aussi serviteur du roi, fut fait en 1480
capitaine de Montlhéry. De même le sire de Richebourg, frère du connétable,
pris en 1475, reçut du roi de grands honneurs, et une compagnie de gens
d'armes ; et aussi Pierre de Roquebertin, enfermé à Amboise dès 1473, fut
gratifié de la seigneurie de Sommières. Parmi
les nombreuses rémissions de cette année nous citerons celle accordée en
septembre à Arnauld Parent, coupable de malversations au sujet des deniers
par lui perçus pour la garde de l'artillerie, et qui avait fait une fausse
quittance ; et surtout celle que, par lettre de Forges, en janvier 1480, le
roi accorde à un nommé Hugues, coupable d'avoir tenu d'indignes propos contre
sa personne. Sur un
mémoire de l'amiral de Bourbon fait à sa demande, et à cause du développement
très-sensible de la marine, le roi avait fondé pour elle une juridiction
spéciale et toute nouvelle qui s'est appelée l'amirauté ; tribunal de guerre
et surtout de paix, que les Anglais ont eu le soin de nous emprunter. Il fit
cette institution « afin, dit-il dans sa lettre de Thouars, 20 octobre,
qu'il ne soit permis à aucune personne de connaître et de décider des causes
de mer, non -plus que des cas commis ès icelle, ni ès grèves d'icelle, tant
criminellement que civilement, pour faits de guerre ou pour marchandises,
pêcheries ou autrement ; ni aussi de donner sauf-conduits ni congés aux
adversaires ou sujets de France ; mais à notredit cousin seul, comme amiral
et notre lieutenant général ». Au même
temps doit être attribué un rapport de marine du vice-amiral Coulon en faveur
de Michel Gaillard, qui était fait général des finances, mais n'avait rien
touché pendant tout le temps que le roi l'avait tenu à l'office de maitre des
comptes, ce qui prouve que souvent alors l'expectative tenait lieu
d'émolument. Le rapport, constate qu'il faut pourvoir à l'artillerie qui
n'est pas en bonne sûreté, et aux fortifications qui ont besoin d'être
réparées. Il conseille de faire partir ledit Gaillard avec des galiaches et
quelques galères agiles pour le Levant, afin de tenir en respect les gens de
Barbarie qui chaque année viennent jusqu'en Languedoc emmener les sujets du
roi. Quand les galiaches seront faites « le roi pourra donner ses
malfaiteurs, qu'on forcera de les armer». Telle lut l'origine des bagnes, car
les condamnés servirent aussi à creuser et à assainir les ports. Alors l'institution des postes portait ses fruits : sur toutes les routes principales du midi, de Bourgogne et de Flandre, des relais de postes étaient établis de sept en sept lieues, et depuis le mois de septembre les courriers expédiés par le roi semblent se multiplier. Celui qu'il envoie le 11 octobre à Louis d'Amboise ne le trouva point à Dijon, ce prélat étant allé en pèlerinage à la Sainte-Baume, en Provence ; preuve que le goût de ces sortes de dévotions était alors fort général. Le prix qu'il donne pour de longues courses est le plus souvent de 9 livres 12 sous 6 deniers, sauf les variations dépendant de certaines circonstances. Ainsi le seigneur du Lude (5 décembre) donne 23 livres 10 sous 3 deniers à Colin Havare, pour un message porté du parlement de Grenoble à Tours et rapporté à Romans, tandis que le 6 le chevaucheur qui est envoyé de Tours en Poitou, puis au chapitre de Bordeaux, parce que, dans le but d'obtenir une canonisation, le roi désire avoir la Vie de l'archevêque Pierre de Berland, ne reçoit que 8 livres.5 sous. Enfin c'est au prix ordinaire que l'on va de Tours à Alençon, à Cotentin et à Caen, porter aux baillis les mandements pour le ban et l'arrière-ban. Tels étaient les innombrables soins de détail qui, avec la politique, se partageaient la vie du roi et l'épuisaient pour donner à la France les éléments d'une prospérité inconnue jusque-là. |