Conférences et trêve
de Lens. — Traités avec François II et avec Édouard IV. — Autres alliances. —
Activité du roi ; ses soins administratifs. — Plaintes de Frédéric III ;
réponse du roi. — Situation réciproque. — Le roi prend Condé. — Refus d'un
arbitrage et procès posthume. — Le roi vise à l'unité de la loi. — Le roi se
replie ; Maximilien hésite. — Le Quesnoy. — Succès en Bourgogne. — Trêve de
Bouvines. — Les Médicis et les Pazzi. — Ferme politique du roi en Italie. —
Le roi avise aux plaintes de Marguerite d'York. Conférences de Boulogne. —
Traité de Saint-Jean de Luz. — Intervention de Louis en Savoie. — Réformes
dans l'armée.'— Rupture de la trêve. — Punition d'Arras. — La Franche-Comté
est soumise au roi. — Louis XI à Dijon. - Bonté du roi pour ses serviteurs. —
Son siècle et son équité. — Ses relations avec le parlement. — Ses dons
pieux, et ses ordonnances. — Ce qu'on pensait de lui alors.
Toutes
ces vaines espérances d'alliance n'avaient point empêché les maux de se
multiplier en Flandre, et la guerre d'y sévir cruellement. Villes et
campagnes étaient tour à tour désolées. Un parti de Bourguignons ayant mis le
feu à Orchies, les Français y revinrent le 2 juillet et achevèrent l'incendie
de la ville. Au commencement d'août plusieurs petites places, Turcoing,
Fresne, Saint-Sauveur, Marchiennes et autres, furent prises, brûlées et
pillées. Ces agressions étaient d'ailleurs réciproques. La garnison de
Valenciennes alla mettre le feu à Saint-Amand : Mouy arriva trop tard pour
secourir la place ; du moins il délivra les religieux de l'abbaye qui se
sauvèrent à Tournay avec leurs reliques. Pendant ce temps le siège de
Saint-Omer se continuait fort vivement. Cette
alliance de la Bourgogne et de la maison d'Autriche, si redoutée du roi,
s'était conclue malgré la diplomatie de maître Gaguin. II n'y avait fait
preuve d'aucune habileté, ni obtenu aucun succès. Parti de Cologne en même
temps que l'archiduc, il vint rendre compte au roi de sa mission. Il en reçut
un froid accueil ; son amour-propre en fut blessé, et son ressentiment s'est
ensuite manifesté dans sa chronique, abrégé fort sec, intitulée les Annales
de France. Plus subtil que lui aurait bien pu échouer aussi en cette affaire,
mais il eût mieux fait de s'abstenir de suppositions aussi gratuites que son
royaume d'Yvetot, par exemple, Maintenant,
qu'allait être ce nouvel adversaire ? « Maximilien a été, dit Brantôme, le
plus legier, variable et inconstant a prince qui fust jamais, et d'aussi peu
de tenue en sa foi et sa parolle. J'ai oui dire que ces défaux luy
provenoient de pauvreté, si que la plupart du temps il ne savoit ce qu'il
vouloit. » Son premier acte politique fut d'écrire, le r août, au roi. Il se
plaint des faits de guerre, de ce qu'il nomme l'invasion des États de
Bourgogne, et rappelle la trêve de Soleure. Tout en paraissant disposé à un
accommodement, il insinue que, si on ne pouvait s'entendre, il le
regretterait ; mais qu'au besoin il ne serait pas sans appui. Cette lettre,
sans être une menace trop directe, était du moins un appel à une explication. Le roi
ne se faisait pas illusion sur la disposition des esprits. Ses affaires
allaient médiocrement en Bourgogne, quoique l’annexion y fût assurée ; en
Flandre les plus fortes places résistaient toujours. Il ne brusqua donc point
les choses, mais répondit simplement qu'il avait dû se souvenir du serment
fait à son sacre. Il s'étonne qu'on veuille retenir des provinces réversibles
à la couronne et que pour d'autres il ne lui ait pas encore été rendu le
moindre hommage. Ses observations n'ayant point été écoutées, il lui a bien
fallu recourir aux armes. Peut-on se prévaloir de la trêve de Soleure ?
évidemment non, puisque le feu duc l'a méconnue lui-même en attaquant en
Lorraine un allié du roi, et surtout par l'enlèvement de la duchesse de
Savoie. La résistance seule à l'exécution des conditions de retour à la
couronne, écrites dans la constitution même de la royauté de France, était un
acte positif d'hostilité. On ne pouvait donc rien lui reprocher. Mais pour
donner encore une preuve de son désir de conciliation, il consent, pour
quelques jours, à suspendre les hostilités, excepté dans les Bourgognes : ces
pays étant incontestablement du domaine royal, le roi ne peut permettre que
personne prenne le titre de duc ou de comte de Bourgogne. Le roi veut la. paix,
pourvu qu'elle se puisse faire avec le maintien de ses droits. On
convint donc d'ouvrir des conférences pour s'entendre, s'il était possible ;
c'est à Lens qu'on dut se réunir. Le roi nomma plusieurs hommes d'État et
d'épée : Philippe Pot, sire de la Roche-Nolay, Gui Pot, bailli de Vermandois,
de Querdes, le chancelier Doriole qui dut les présider, Guillaume de Bitche,
Philibert Boutillat et Thomas Taquin. Les députés de l'archiduc furent Jean
de Lannoy, Gontard de Staremberg, Pierre Bougeard, Jean d'Auffray et Josse
Chape. On décida d'abord une trêve de dix jours : elle fut ensuite prolongée
sans limite ; seulement, si on voulait la rompre, on devait se prévenir
quatre jours à l'avance. Cette
trêve du 18 septembre 1477 ne fut guère qu'un demi-repos, même en Flandre,
malgré le dire de certains historiens[1] ; car de part et d'autre il y
eut des courses et plus d'une surprise. Le roi, laissant alors l'armée sous
les ordres du comte de Dammartin, grand'maître des armes, et de son gendre,
l'amiral de Bourbon, les deux hommes les plus dignes de sa confiance, vint se
reposer quelque temps à l'abbaye de Notre-Dame de la Victoire ; puis après
être allé passer les premiers jours d'octobre à Paris, il s'en retourna en
novembre au Plessis-lez-Tours. Louis
XI, qui se voyait aux prises avec un nouvel adversaire, songea d'abord à
s'assurer la paix avec ses plus proches voisins. Jusque-là le caractère
mobile du duc de Bretagne ne lui avait laissé aucune sécurité. Les
difficultés que rencontrait la politique française et ses liens de famille
n'allaient-ils pas pousser ce prince à la lutte ? Catherine de Bretagne, mère
du prince d'Orange, était la sœur de François II, puisque l'un et l'autre
étaient issus de Richard, comte d'Étampes, quatrième fils du duc de Bretagne,
Jean 1V. Depuis la défection de Jean de Chalon, on pouvait donc appréhender
que le duc ne prît la défense de son neveu. Or il venait de se montrer au
contraire tout disposé à complaire au roi. Comment s'était-il si subitement
adouci ? François
II, malgré toutes ses protestations, n'avait cessé d'écrire à Édouard contre
Louis XI, à l'insu même de son chancelier. Son trésorier Landais était seul
confident de cette correspondance. Cet homme, sorti de très-petit lieu, ce
qui ne l'eût pas empêché d'être honnête, avait passé de la direction des
plaisirs du duc à l'administration du duché, et s'était emparé de toute la
confiance de son maître. Dans cette affaire il fut la dupe de son
commissionnaire Maurice Gourami, qui, pour de l'argent, s'était laissé gagner
à Cherbourg par plus fin que lui ; en sorte que ses dépêches avaient été
copiées et substituées. Quand
le chancelier Chauvin était venu en ambassade auprès du roi avec des
instructions du 15 juin 1476, Louis l'avait fait arrêter ; et dans
l'explication qui s'ensuivit, il se plaignit vivement à lui des relations du
duc avec Édouard. Comme Chauvin niait tout, le roi lui montra les lettres
mêmes écrites de la main du duc et celles de son allié d'outre-mer. R n'y eut
plus à douter. François II, qui avait dissimulé à ses députés ses perfides
pratiques, craignit les conséquences d'une pareille découverte. Déjà, en
effet, le roi avait fait poursuivre l'appel, par son procureur général,
touchant le comté d'Étampes ; le parlement l'ayant déclaré réuni à la
couronne, Louis l'avait donné au vicomte de Narbonne, beau-frère du duc de
Bretagne. Dès lors la confusion de François II fut cause de sa soumission. Il
ne conteste plus sur les articles du traité de Sentis, et, au lieu de
demander à éclaircir certains termes, il le convertit tout simplement à
Doulens en alliance offensive et défensive. « Le roi, y est-il dit, protégera
le duc en sa personne et en ses Etats ; mais si un prince, quel qu'il soit,
envahit la France, et fait la guerre au roi par terre ou par mer, le duc
considérera cette déclaration comme faite à lui-même. Il n'aura donc ni paix,
ni trêve, ni entrecours de marchandises avec ceux qui se seront ainsi faits
mes ennemis. Tout ce qui dans les traités antérieurs serait contraire à cette
convention d'assistance réciproque est et demeure annulé. Le serment en sera
fait sur les plus saintes reliques ; toutefois ni le roi ni le duc ne seront
tenus de jurer sur le corps de Notre-Seigneur, ni sur la croix de Saint-Laud.
» Par un
traité secret annexé à celui-ci, il est dit « que si le roi était conduit à
faire la guerre hors du royaume, le duc s'engageait seulement à ne prêter nul
secours à ses ennemis sans être tenu, lui et ses sujets, à cesser tout
commerce avec eux : mais qu'il ne leur ferait la guerre que s'ils entraient
en France ». Pourquoi
le duc voulut-il jurer plus solennellement que le roi n'avait fait, lequel
s'était conformé à la lettre du traité ? On ne sait trop. Louis, alors occupé
de sa guerre de Hainaut, envoya à Nantes son conseiller du Bouchage, le
protonotaire Jean de Montaigu et le maître des requêtes, Jean Chambon, avec
mission de recevoir le serment du duc. C'est en l'église Sainte-Radegonde que
quatre jours après leur arrivée, à l'élévation d'une messe solennelle, le duc
s'approcha de l'autel ; et à genoux, levant la main droite vers la sainte
hostie, il prononça à haute voix le serment dont la copie est datée de
Nantes, 22 août 1477. Après la messe célébrée par Jean Brette, trésorier de
l'église de Tours, et l'un des ambassadeurs du roi, les chanoines de
Saint-Laud remirent aux mains du célébrant la vraie croix de Saint-Laud,
après avoir affirmé par serment que c'était celle gardée en leur église, de
temps immémorial. Alors le duc, tête nue et à genoux, mit les deux mains sur
ladite croix et réitéra son serment. Sur la demande des ambassadeurs, le
procès-verbal de cette cérémonie ayant été dressé, il en fut donné une copie
à chacun d'eux. Louis XI n'oublia pas d'envoyer un présent à ceux qui
conduisirent cette affaire. Mais
l'important pour le roi était de s'assurer de l'alliance anglaise : c'était
celle, à coup sûr, qui lui coûtait le plus d'argent. Sitôt qu'il entrevit la
chance d'une rivalité allemande, il fit passer en Angleterre Guy, archevêque
de Vienne ; Olivier Guérin, son maître d'hôtel ;' Olivier Leroux, maître des
comptes ; Jean Lebreton, trésorier des guerres, et François Texier, son
secrétaire. Le 20 juillet Édouard nomma, pour travailler avec eux à la
continuation de la trêve, Robert, évêque de Bath ; Guillaume, évêque de
Durham, les comtes d'Arondel et d'Essex, Jean Dudley, Jean Morton, garde des
rôles ; Jean Gantorp, doyen de la chapelle, et plusieurs autres ; le
lendemain on convint des articles. - Louis
XI savait comment faciliter les négociations. A cette époque où le tarif dit
de composition était encore en vigueur[2], où pour de l'argent on
trafiquait de la liberté et même de la vie, il n'était nul besoin d'avoir lu
dans Plutarque la vie de Philippe de Macédoine pour connaître le pouvoir de
l'or en politique. Comment reprocherait-on à Louis XI de s'en être servi pour
épargner le sang des hommes et en faveur de l'unité de la France ! Aussi
avait-il soin de faire exactement payer les annuités promises à Édouard IV,
et de gratifier généreusement les lords Howard en Picardie et Hastings à
Calais. Rien de tout cela n'était de trop et ne nuisit au succès de
l'ambassade ; la trêve, qui était de sept ans, fut donc prolongée pour la vie
des deux rois, même pour un an au-delà, et Édouard donna enfin à Louis XI le
titre de roi de France, toutefois sans y renoncer lui-même. Ce traité est du
15 octobre 1477. Le 30
novembre suivant, le roi Édouard, en vue de transformer la trêve en une
solide paix, envoya en France une ambassade conduite par Jean Howard, Richard
Tunstall, et le docteur Langton. Le roi chargea Boffile de Judice de voir en
particulier ce dernier et de le sonder adroitement sur les secrètes
intentions d'Édouard. C'est ainsi qu'il apprit le grand désir qu'avait le roi
du mariage de la princesse Élisabeth et du dauphin. On murmurait un peu des
délais mis au payement de la rançon de Marguerite ; mais on n'approuvait
point non plus que les troupes anglaises destinées contre la Gueldre eussent
été employées contre la France, en sorte que le prince d'Orange, alors
attendu à Londres, était peu à redouter ; d'ailleurs la France pouvait
compter sur le bon vouloir de lord Hastings, chambellan du roi Édouard. Ainsi
informé, Louis envoya à ses ambassadeurs tout pouvoir pour la paix, et fit
passer en Angleterre un nouvel à-compte de 10.000 écus sur la rançon de sa
cousine, que d'ailleurs il acheva de payer intégralement[3]. Pendant
que se traitaient ces importantes affaires diplomatiques, Louis n'oubliait
aucune de ses alliances secondaires. Ainsi il avait expédié à Nancy son
maître d'hôtel Jean Rapine pour renouveler avec René II leurs anciens
traités. Ayant eu à se plaindre des Vénitiens à cause de leurs relations avec
le duc Charles, il y avait eu ordre de la part du roi de courir sus à leurs
vaisseaux. Sollicité par eux, il ne rejeta point leurs excuses, et donna
pouvoir au chancelier et à Boffile de Judice d'écouter Dominique Gradenigo
ambassadeur de la seigneurie. Ils signèrent donc avec lui le 23 août à
Thérouenne une suspension d'armes ; et dès que les pouvoirs suffisants furent
arrivés, le traité se fit le 9 janvier 1477(8), aux conditions proposées par
le roi, la seigneurie s'engageant à l'aider au besoin de tous ses moyens, à
ne donner aucuns secours, même indirects, à la duchesse Marie, et à ne
troubler en rien la république de Florence. Du côté
des Pyrénées le roi sut également réduire ses adversaires à l'impuissance. Le
temps n'était pas encore venu où l'Espagne allait être attirée vers
l'Autriche pour nous étreindre de toutes parts. Toutefois elle semblait déjà
le pressentir, lorsque, dès le 3 août, la reine Isabelle envoyait à la
duchesse Marie ses félicitations sur son futur mariage avec Maximilien. La
trêve espagnole, on le sait, n'expirait qu'en septembre. Mais Louis ne voyait
pas sans inquiétude, bien qu'il n'eût pas hésité à les reconnaitre, et ne se
fût mêlé en rien de leur querelle dynastique avec Alphonse de Portugal,
qu'Isabelle de Castille et son époux Ferdinand d'Aragon semblassent prêter
l'oreille à l'invitation de la duchesse Marie de rompre avec la France. Ce
fut Jean Ramirès de Lucena qui fut chargé de ces ouvertures ; une lettre de
lui montre quelles étaient à notre égard, le 25 juillet, les dispositions des
souverains espagnols, et un autre message de Médina del-Campo, 11 août,
révèle leur politique avec l'Angleterre. Or Ramirès se trouvait être gagné à
Louis XI, lequel, étant ainsi informé de toutes ces intrigues, eut soin de
les traverser par le prolongement de la trêve : nouvelle preuve de la
nécessité des générosités politiques du roi. Nulle crainte encore de ce côté. Le roi
ne désespérait même pas de se créer des sympathies allemandes. Les premiers
jours de mars, le sire Thierry de Lenoncourt, bailli de Vitry, reçut mission,
avec deux autres conseillers, d'aller traiter à Mézières avec les Liégeois et
aussi à Langres avec les maisons souveraines d'Allemagne qui ne s'étaient
point encore prononcées pour Maximilien. A la rigueur il se pouvait faire
remplacer en cette dernière négociation, mais le roi tenait fort à la
première. Malheureusement les Liégeois ne purent rien promettre ; ils
représentèrent leurs souffrances passées et demandèrent en grâce de rester
neutres. Les conférences de Langres réussirent mieux. Dès l'origine des
grands démêlés du duc Charles avec la Suisse, la maison de Wurtemberg avait
eu gravement à se plaindre des procédés du feu duc ; celui-ci en effet,
uniquement parce que Montbéliard était à sa convenance, avait longtemps, on
s'en souvient, retenu prisonnier Henri fils du comte Ulrich, se servant de
lui et des plus horribles menaces pour se faire ouvrir les portes de cette
ville ; moyen qui échoua devant la fermeté du gouverneur, le sire de Stein.
Ces faits étaient récents ; Louis XI trouva donc là des alliés tout préparés
; il n'eut garde de les négliger. Il fit alliance avec Everard, duc de Wurtemberg,
et avec Ulrich, comte de Montbéliard, dont le bon voisinage lui importait
beaucoup : le roi s'engageait à payer à Henri, fils du comte, une pension de
six mille livres ; en retour celui-ci promettait de le servir et de lui
ouvrir ses places. Sigismond
va-t-il se souvenir de l'assistance qu'il a reçue de Louis XI pour la
conservation de ses terres d'Alsace Il y en a peu d'apparence : avant tout il
est prince d'Autriche, oncle de Maximilien, et, comme il arrive trop souvent,
ses intérêts ont changé ses sympathies. Après avoir vendu à réméré son comté
de Ferette, il l'avait repris sans rendre l'argent, dit Comines[4], qui ajoute : « En lui il n'y
eut jamais grand sens ni grand honneur Il estoit de ces princes qui ne
veulent rien savoir de leurs affaires, sinon ce qu'il plaît à leurs
serviteurs de leur en dire. » En cette occasion Sigismond parut viser au rôle
de médiateur, tout en gardant, bien entendu, la pension du roi. Mais Louis
XI, qui n'entendait donner qu'à bon escient et se doutait bien où en étaient
les choses, écrivait : « S'il veut se déclarer pour moi et tenir mon parti,
je le ferai payer de ce qui lui est dû de sa pension, et la lui ferai
continuer ; mais, avant de mettre le mien, je veux savoir s'il sera mon ami.
» Les Suisses n'avaient non plus point été oubliés, et là encore la parole
devait rester à celui qui promettrait le plus et payerait le mieux. Leur
annuité avait été augmentée ; le roi s'honorait de son titre de premier allié
des cantons et de Bourgeois de Berne, et le 27 octobre par le chevalier Albin
de Silnion, Zurich, Berne, Fribourg, Lucerne et Soleure, étaient venus
l'assurer de leur fidélité. En
Savoie où, comme régente, gouvernait paisiblement, grâce à lui, la duchesse
Yolande, Louis avait alors toute sécurité. Philippe de Bresse, soumis enfin à
la raison, avait envoyé à la cour de France pour traiter de sa paix le comte
Hugues de Chaudes, gouverneur de Bresse, Pierre Bolomier et Jean de Bussy.
Ils y furent très-bien accueillis. Encore une fois, le roi rendit au comte
toute son amitié. Il lui accorda l'entier oubli du passé et même une pension
de douze mille livres outre les six mille comptant qu'il donnait, et une
seigneurie de quatre mille livres de rente qu'il promettait. Sur ces bases,
se firent à Amiens le 23 mars 1478 un traité où le comte s'engagea à servir
le roi envers et contre tous, même contre Maximilien et Marie de Bourgogne,
ne réservant que la maison de Savoie. Après ce traité[5] Philippe demeura en
l'obéissance de Philibert, son neveu. Aussi
bien par les dates de ses ordonnances, que par la diversité des objets dont
il s'occupe, on peut apprécier le travail et l'activité du roi. On le voit à
Bapaume, le 18 mai de cette année 1477, écrivant au parlement pour
l'enregistrement d'un don par lui fait au maréchal de Rohan ; à la fin de mai
à Notre-Dame de. la Victoire, faisant droit à une demande des états de
Bourgogne ; au mois de juin il est dans le Hainaut ; le 21 juillet il signe à
Amiens la confirmation de la trêve anglaise conclue en 1475 et les pouvoirs
des députés pour sa prolongation ; à Arras, le 27 juillet, il affermit son
traité avec le duc de Bretagne ; le 31 août, à Béthune, il confirme
l'établissement d'une chambre des comptes à Dijon ; le 7 septembre, d'Arras
encore, il accorde à Charles, comte d'Angoulême, le droit presque royal de
délivrer les prisonniers à sa première venue dans une ville du domaine de
France ; le 18 en cette même ville il ratifie la trêve faite avec l'archiduc
; puis le jour de la Saint-Denis, 9 octobre, il met en liberté, à Paris, les
prisonniers du Châtelet[6]. Les
instructions si développées à ses délégués et ses lettres explicatives
témoignent de l'attention avec laquelle il entrait dans les moindres détails
et savait tout prévoir. On ne peut mentionner ici tant de grâces accordées en
ces deux années 1476 et 1477 par dons, anoblissements ou rémissions. En tout
il s'y montre fidèle à ses premières traditions. S'il défend, en septembre
1476, aux religieux de sortir du royaume, c'est de l'avis de son conseil, qui
se plaint de ce que trop souvent ils se sont faits porteurs de numéraire et
de messages à l'étranger : en mai 1477 il transporte les foires franches de
Caen, devenues fort importantes, à Rouen, comme point plus central ; en
novembre il crée une sénéchaussée à Arras, et réunit le comté d'Artois à la
couronne ; le 1er janvier 1477i, par lettres du Plessis, il exempte les
seigneurs de Rohan, de Rieux, de Guéménée, de Derval et autres commensaux du
duc de Bretagne, de servir en ses armées ; il donne, le 3 janvier, la
seigneurie du Lauragais et une somme de 5.457 livres tournois à Bertrand de
la Tour, en échange du comté de Boulogne ; le 3 février il prononce une
abolition en faveur des gens de Picardie et une décharge mutuelle de toute
restitution. Avec
raison le roi mettait tous ses soins à la bonne administration de la justice.
Au mois de mars, on le sait, il y avait pourvu en son duché de Bourgogne par
plusieurs ordonnances, portant création d'un parlement et d'une cour des
comptes, dont tous les sujets dudit duché devaient ressortir sans exception.
Il.1e fit encore bien voir dans l'affaire de l'évêque de Beauvais. Voici ce
qui était arrivé : le 27 juin 1472, au premier assaut du duc de
Bourgogne contre Beauvais, l'évêque Jean de Bar avait été effrayé, et pour
s'enfuir courait vers la porte de la ville, dite porte de Paris, lorsque la
femme de maître Jean de Bréquigny, le voyant près de sortir ; l'arrêta en
saisissant les rênes de son cheval et l'obligea de retourner sur ses pas, lui
disant qu'il vivrait ou mourrait avec les habitants. Peu après il s'était
esquivé par une autre porte. Or étant revenu après la levée du siège, il
avait assisté le 27 juin de l'année suivante à la procession commémorative
instituée à perpétuité par Louis XI. Le roi, dans une lettre qui confirma les
privilèges de Beauvais, avait depuis lors fait quelque allusion à la fuite du
prélat. Celui-ci, ayant attribué cette note à ceux qu'il croyait être dis
ennemis, en cita plusieurs devant le parlement ; mais, pour lever toute
incertitude, Louis XI, par nouvelles lettres du 2 mars 1477(8), déclara avoir fait insérer
ladite note de sa propre volonté, étant certain du fait. Il
avait également l'œil ouvert sur les finances. Pour les annexions, comme à
une autre époque pour le rachat des villes engagées, surtout pour mener à
bien les guerres successives où la France se trouvait engagée, il lui fallait
beaucoup d'argent : c'était alors d'où dépendaient notre indépendance, notre
unité et nos frontières. On n'avait point encore imaginé de grever l'avenir ;
de sorte qu'un peu d'accroissement dans les impôts, une grande économie en
ses dépenses et beaucoup d'ordre dans les revenus publics durent pourvoir à
tant de frais. Ainsi du Plessis-lez-Tours, 3 mars 1477(8), il écrit à ses officiers du
Languedoc pour le rétablissement de la cour des aides et des généraux des
finances à Montpellier, et dès le commencement de cette année on ne doit pas
s'étonner s'il demande aux états du midi, réunis en cette ville, une avance
de neuf vingts, comme on. disait alors, ou de cent soixante-quinze livres
tournois, sur les subsides qu'ils devaient. C'était justice ; un grand effort
des provinces de France était nécessaire ; or moins que les autres celles du
midi avaient souffert de la guerre : c'est donc à elles d'abord que le roi
s'adresse. Bien
différent des autres princes, lesquels ont coutume de s'en rapporter
exclusivement aux rapports qui leur sont faits, Louis XI voyait tout par
lui-même, ou vérifiait du moins ce, que les autres avaient vu pour lui.
Aucuns détails de ce service des finances si important et si délicat
n'étaient négligés par lui. Dès que l'annexion de la Bourgogne parut être
assurée il avait nommé, le 25 juin 1477, Pierre Symart au gouvernement des
deniers dans le duché et la comté de Bourgogne. Le 20 avril suivant, après dix
mois d'exercice, celui-ci fut remplacé par maître André Brinon, qui reçut en
même temps la mission d'inspecter les greniers à sel et tous les agents des
finances, afin de corriger les abus, délits ou maléfices qu'il y trouverait.
Lui-même, Louis XI, veillait à faire rendre compte à ses comptables arriérés,
comme par exemple, il arrivera en 1478, à Jean Riboteau. C'est ainsi qu'il
pourvoyait à tant de dons pieux, à tant de dépenses devenues indispensables
pour réorganiser l'armée, pour réparer les places ruinées par la guerre, afin
d'être toujours prêt à une lutte nouvelle. Cette
trêve de Lens, en effet, si indéterminée et si peu respectée qu'elle fût,
était employée des deux parts à se fortifier à l'intérieur, à négocier, et se
faire des appuis à l'étranger. Des plus grands aux plus petits, Louis XI, on
l'a vu, n'avait négligé aucun de ses voisins. L'empereur Frédéric III ouvrit
le feu par une lettre d'admonestation écrite de Gratz, 7 février 147g. Prince
apathique et avare, il était homme à engager une bataille diplomatique avec
Louis XI. Aux
plaintes déjà formulées par Maximilien il en ajoute qui, plus directement,
semblaient toucher aux droits de l'empire. Ici donc est le début des
contestations politiques entre les deux maisons de France et d'Autriche. «
Selon lui, Cambray, le Hainaut et la Comté étaient des fiefs de l'empire : on
n'eut donc point dû les occuper. » Passant
ensuite sous silence les droits de retour à la couronne déniés par le conseil
de Bourgogne, il prétend « que la trêve de neuf ans faite à Soleure
ayant toujours été respectée par le feu duc, devait l'être aussi par le roi :
il reproche à celui-ci d'avoir rejeté des offres raisonnables, et proteste de
son désir et de celui de son fils de vivre en bonne intelligence avec lui.
Mais, si le roi préféré la guerre à la paix, il prend Dieu et les hommes à
témoin que l'archiduc n'y a donné nul sujet ; il se verra donc contraint à
lui prêter un secours qui, avec l'aide de Dieu, ne faillira pas. » Les
expressions insultantes même n'étaient point épargnées en cette lettre et
devaient rendre impossible toute conciliation. On y lisait : « Les
aigles romaines ayant été foulées aux pieds par vous à Cambray, vous n'avez
pas rougi de les remplacer par votre écusson ! » Ces
formules hautaines étaient certes bien différentes du langage tenu naguère
par ce même Frédéric à Louis encore dauphin, alors qu'il le pressait de
marcher au secours des princes de l'empire contre les Suisses à Zurich ! bien
différentes aussi du ton dont il parlait à Charles le Téméraire en ses
proclamations publiées devant Neuss quand il déclarait tout haut que ledit
duc n'avait rendu hommage à l'empereur pour aucun des fiefs dont il est ici
question ! A ces
remontrances Louis XI répondit également par des plaintes. « Jamais il n'a
songé à attaquer l'empire. La bonne intelligence entre les deux pays date de
Charlemagne, fondateur de la puissance impériale, et il ne se souvient pas
que depuis lors il y ait eu de graves démêlés entre les deux peuples ni entre
les maisons de France et d'Autriche. Comment celle-ci, après une si longue
paix, après une digne confraternité d'armes lorsqu'il s'est agi de combattre
pour la foi, après des services réclamés avec instances à une époque encore
récente et si aisément obtenus, quoiqu'il dût en coûter, viendrait-elle
aujourd'hui sans motif déclarer la guerre à la France ? A-t-elle oublié les
progrès que font les Sarrasins à l'est et au sud de ses plus riches
provinces, et ne serait-il pas plus sage à elle de tourner ses armes contre
les ennemis du nom chrétien et de toute civilisation ? Pourquoi l'empereur ne
prendrait-il pas ce parti généreux plutôt que de soutenir avec tant de
chaleur les intérêts de cette succession de Bourgogne, et cela lorsqu'il a
lui-même formellement déclaré devant Neuss que le feu duc avait encouru la
confiscation de ses domaines tant en France que dans l'empire ? « Répondant
au reproche d'avoir rompu la trêve, Louis avoue qu'elle était faite pour neuf
ans. Mais le duc Charles ne l'avait-il pas lui-même violée ouvertement en
attaquant René de Lorraine, allié du roi ? Si de son côté il a bien voulu
l'observer, c'est une preuve de sa longanimité dont on n'a point droit de se
prévaloir. D'ailleurs une trêve est un acte transitoire qui, à moins de
stipulation 'contraire, est annulé par le décès de l'un des contractants et
ne peut préjudicier aux droits ouverts par sa succession. Or, tout acte
tendant à empêcher le retour à la couronne des provinces évidemment
réversibles est un acte d'hostilité. « Pour
Cambray, on eût pu en parler un peu moins haut. L'autorité de l'empire n'y
était guère que nominale, et le roi n'a fait que céder au désir des habitants
d'être ainsi gouvernés. Au surplus, cela ne serait pas une difficulté ;
Cambray peut être rendu, et les insignes impériaux rétablis car ils ont été
abattus sans l'ordre du roi. S'il a envahi le Hainaut, c'est que, attaqué, il
a bien été obligé de se défendre. Puisque sans nul doute le duché de
Bourgogne lui revenait, pourquoi y avoir soufflé la révolte au lieu de le
livrer simplement ? Quant à la Comté, on doit savoir que dans l'apanage de
Philippe le Hardi, le roi Jean avait compris ses droits sur cette province ;
que d'ailleurs les ducs de Bourgogne n'en ont jamais fait hommage à l'empire,
qui ne l'a pas même réclamé. Pour toutes ces causes et d'autres encore, il ne
peut y avoir pour l'empire que perte et dommage à s'immiscer dans cette
affaire. » Telle
fut, en résumé, la réponse du roi. Les deux mois de délai qu'il mit à
l'envoyer ne furent point temps perdu. Non-seulement il resserrait ses
alliances, mais mieux encore il augmenta ses forces et les mit sur le
meilleur pied. De nouvelles recrues s'ajoutèrent aux levées d'hommes de
l'année précédente et complétèrent les divers corps. On manda le ban et
l'arrière-ban des provinces les plus éloignées, ceux même du Languedoc :
l'activité redoublait dans tous les arsenaux, on fortifiait la marine ; dans
les ports, on réparait les galères et on en construisait de nouvelles.
L'artillerie surtout fut mise en un meilleur état. A Paris, à Orléans, 'à
Tours, on coule douze grosses bombardes ; à Péronne on taille des boulets de
pierre ; à Creil il s'en fond de fer ; à Amiens se fabriquent des échelles de
siège ; tous les engins de guerre se multiplient, et les armées se complètent
sur les frontières du Nord et de l'est. C'était pour le roi la meilleure
façon d'accentuer sa réponse, et il était loin de penser que sa lettre dût le
dispenser de tirer l'épée. A
peine, en effet, était-elle rentrée dans le fourreau. Malgré la trêve de Lens
il y avait eu bon nombre de faits de guerre ; sous les murs des places
fortes, assiégeants et assiégés avaient de part et d'autre tenté quelques
coups de main, et plus ou moins pillé leur voisinage. Mais Louis avait alors
en Flandre d'excellents capitaines : le grand maître, comte de Dammartin,
notamment, s'était maintenu au Quesnoy tout l'hiver sans se laisser ni
surprendre ni entamer par les ruses du sire Ricard de Genouillac, dit le
Galiot, qui commandait à Valenciennes. II sut même si bien le gagner que ce
gentilhomme flamand passa deux mois après au service du roi. Louis XI avait
félicité le comte de sa défense par une lettre datée du Plessis, 26 janvier
14'77i, lui donnant toute licence de s'absenter pour ses affaires
personnelles : « Je vous ai toujours dit, y lisait-on, qu'il ne faut pas que
vous me demandiez de congé pour faire vos besognes ; car je suis sûr que vous
n'abandonneriez pas les miennes sans avoir pourvu à tout : je m'en remets à
vous... » Comment dire à ce sujet[7] que Louis, XI n'avait en
Chabannes ni confiance ni amitié ! Sous ce
chef était le maréchal de Gié, Pierre de Rohan, homme résolu et fort en
faveur auprès du roi, surtout depuis sa parfaite diligence dans la sédition
fiscale de Bourges en 1474. Maréchal depuis deux ans, il s'était distingué
devant Arras dans la campagne précédente et était devenu comte de Marte par
lettres du roi. Il désira l'épée de Chabannes et l'obtint, avec une lettre
pleine d'abandon où le grand maître laisse entrevoir le désir d'être déchargé
du commandement. Le sire de Mouy se tenait en observation et avait repoussé
les courses de la garnison de Condé : enfin le comte du Lude continuait à
tenir tête au sire de Beveren, défenseur intrépide de Saint-Omer. Dans le
camp opposé l'unité de commandement avait augmenté la force dont on disposait
et rassuré les esprits. Maximilien n'était pas un homme de guerre ; mais,
sans être un esprit supérieur, il valait mieux que son père Frédéric III. Sa
jeunesse intéressait : on le voyait plein de zèle à remplir ses nouveaux
devoirs. Parcourir ses provinces, fortifier ses villes, encourager ses
garnisons, porter partout confiance et bon espoir, ce fut là son premier
soin. De
retour, il tient à Bruges, le 30 avril 1478, un chapitre de la Toison d'Or.
Son chambellan, le sire de la Marche, en avait préparé la solennité, et la
religion rehaussa la cérémonie en l'église de Saint-Laurent. Il ne s'y trouva
que cinq chevaliers, les sires de Ravestein, de Nassau, de Chimay, Antoine de
Lannoy, sire de Mingoval, et le seigneur de la Gruthuse : Ferry de Clugny,
évêque de Tournay et chancelier de l'ordre, fit en latin un discours de
circonstance à l'adresse du duc. Maximilien chargea le chef de son conseil,
Jean de la Bouverie, d'y répondre. Cela fait, il présenta son épée au sire de
Ravestein, qui le fit chevalier ; ce fut le doyen de l'ordre, le sire de
Lannoy, qui lui passa le collier. Après l'accolade le duc reçut huit nouveaux
chevaliers parmi lesquels étaient Philippe de Bourgogne, fils du grand
bâtard, et Jacques de Savoie, comte de Romont[8]. Rien n'invitait aux fêtes ; on
se sentait comme environné de dangers ; le roi faisait tonner son artillerie
contre Condé, et l'Italie était la proie des factions. Louis,
en effet, provoqué par les messages menaçants, surtout par les tentatives
réitérées du lieutenant-gouverneur de Valenciennes, considérait la trêve
comme rompue. Il partit du Quesnoy avec des forces considérables, appuyées
d'une bonne artillerie, et marcha au nord vers Condé, s'emparant de gré ou de
force sur son passage de plusieurs châteaux. Ainsi faisant, il dégageait
Tournay, interceptait le cours de l'Escaut et isolait Valenciennes, dont il
eût bien voulu être maitre pour assurer ses conquêtes du Hainaut. Tel était
son but. La garnison de Condé était forte et commandée par le sire de
Mingoval. La dame de Condé, ses deux fils et le bâtard de ce nom s'étaient
aussi enfermés dans la place, tous fort résolus de se bien défendre.
L'arrivée des Français le 28 avril fut marquée par une audacieuse sortie des assiégés
conduits par Baudoin, bâtard de Condé. Toutefois, le vendredi ter mai, le
fossé étant comblé, le rempart abattu et la porte brisée, la ville se
trouvait à la merci du roi. Elle se
rendit ; la garnison eut la permission de sortir vie et bagues sauves ; déjà
la dame de Condé avait stipulé pour elle et les siens. Afin de prévenir tout
désordre, le roi passa la nuit sous la tente et n'entra dans la ville avec
ses troupes que le lendemain. Son premier soin fut d'assister à l'office et
de rendre grâce à Dieu. Les habitants n'eurent à se plaindre d'aucun mauvais
traitement. Tel était le progrès de la discipline militaire. De là le roi
revint à Arras, tandis que l'armée poursuivit sa marche jusqu'à Oudenarde,
ville du domaine de la duchesse douairière ; si elle s'y arrêta, ce fut moins
à cause de la résistance qu'elle rencontra que par crainte d'entreprendre,
même indirectement, une lutte avec les Anglais. De son
côté Maximilien réunissait à Mons les éléments d'une armée. Outre les forces
qu'il avait tirées de l'Allemagne avec l'appui de son père, il faisait appel
à tous les dévouements. Auprès de lui accoururent du Hainaut, des Flandres,
de la Hollande et d'autres pays, beaucoup de seigneurs qui ne désespéraient
pas de cette maison de Bourgogne naguère si puissante. Parmi les plus
notables on remarque les sires de Ligne, de Nassau, de Croy, de Lannoy, de
Rubempré, de Genouillac, de Salazart jeune, les princes étrangers de Romont
et de Bade. Autour de ces hommes se groupaient une noble jeunesse et bon
nombre d'hommes de guerre amenés par le goût des hasards, par le zèle, par
l'habitude, ou par l'intérêt. Ainsi l'archiduc se voyait à la tête de vingt
mille hommes prêts à tenir la campagne, et il allait marcher dans la
direction de Lens. Cependant
il était loin de la pensée du roi d'attendre toute solution du sort des
armes. Il avait donc fait offrir au duc d'Autriche et à la duchesse Marie[9] de s'en rapporter de leur
différend au jugement des pairs et autres nobles du royaume, ecclésiastiques
ou laïques, juges naturels en cette matière, comme il était facile de le
démontrer par beaucoup d'exemples. Le duc et la duchesse auraient toute liberté
de venir en France assister à l'assemblée et y soutenir leur droit à leur
volonté. On prierait. le pape d'y envoyer deux légats ; le roi des Romains et
les électeurs de l'empire pourraient aussi y avoir leurs représentants, à
cette seule condition que cette affaire serait jugée en France, soit à Paris,
à Orléans, à Tours, ou en n'importe quelle autre ville, puisqu'il s'agissait
des droits de la couronne que le roi avait juré à son sacre de maintenir. Or
ces offres n'avaient point été acceptées, soit que l'on ne se fiât pas à la
justice de sa cause ou qu'ou préférât s'en remettre au hasard des événements. Puisqu'on
déclinait ainsi la compétence des pairs du royaume, aussi bien que
l'explication et la décision qui eût pu s'en suivre, Louis imagina de donner
à cette enquête la forme judiciaire, et de faire juger la question par le
parlement, en portant contre Charles le Téméraire une action rétrospective de
félonie où serait même compromise la duchesse Marie. Ce procès en présence de
nos mœurs actuelles nous semble d'abord étrange. Accuser un mort de
lèse-majesté pour arriver à la confiscation de sa fortune n'est plus de notre
siècle : or ceux qui blâment Louis XI de cet acte ne se reportent pas assez à
l'époque dont il s'agit. Ils oublient qu'un exemple notable et récent
l'autorisait. En effet, après la mort de Charles le Mauvais, qui ne
ressemblait que trop au Téméraire on lui avait fait son procès en 1386. Dans
l'affaire de l'apanage du Dauphiné en 1462, n'y eut-il pas aussi des
condamnations posthumes suivies de confiscations prononcées par le parlement
de Grenoble ? Enfin trois ans plus tard, le 5 mai 1481, Maximilien lui-même
n'en usa-t-il pas ainsi à Bois-le-Duc lorsque, pour se venger de ceux qui
avaient quitté son service, et pour les rayer juridiquement de l'ordre de la
Toison d'Or, il intenta un procès non-seulement aux absents, Jean de
Neufchâtel, Philippe Pot, Jacques de Luxembourg et le sire de Querdes ; mais
aussi à Jean de Damas, seigneur de Clessi, qui était mort[10] ? Il est
à croire d'ailleurs que Louis. XI ne s'engagea point en cette affaire sans
prendre conseil de ses légistes, surtout de Guillaume Cousinot, qu'il gardait
presque toujours auprès de lui. Cette action judiciaire était, en effet, une
réplique à la diplomatie de Flandre et d'Allemagne et aux protestations
réitérées de la princesse Marie contre ce qu'elle appelait « l'injuste
occupation de ses États », principalement en Bourgogne. Elle ne manquait
donc ni de sens ni de base, comme on l'a dit[11] ; le but en est clairement
indiqué dans le préambule des lettres patentes d'Arras, 11 mars 1472, où on
lit : « Bien qu'à raison des crimes manifestement perpétrés par le duc
Charles de Bourgogne, notre droit a de confiscation fut acquis sur tout ce
qu'il possédait en notre royaume ; cependant, afin que la chose fût plus
manifeste, nous avons voulu qu'elle fût discutée et jugée en notre parlement
de Paris, qui est la cour de justice souveraine où doivent se juger les
matières touchant les pairs de France, et aussi les grands droits appartenant
à notre couronne. » Voilà
donc la compétence du parlement de Paris nettement définie, et de façon que
dans tous les cas elle s'élève au-dessus de toute juridiction, sans en
excepter celle des pairs. Ainsi Louis XI constituait l'unité dans
l'administration de la justice ; et, malgré la guerre, il marchait sans
dévier à cette grande unité monarchique qui devait tant concourir à relever
le populaire et à l'affranchir complétement de toute sujétion féodale. En un
fort long mémoire le chancelier Pierre Doriole développa l'accusation. Le roi
lui-même en avait désigné les points principaux. On reprit de fort loin ; on
remonta au temps de Charles VI, à l'assassinat du duc d'Orléans, aux
mouvements révolutionnaires de Paris, au massacre du connétable d'Armagnac et
de tant d'autres en 1418, à l'usurpation de la régence contre le droit du
dauphin alors lieutenant général, et surtout à l'introduction des Anglais
dans le royaume. Passant aux griefs du règne actuel, on rappela la guerre
publiquement faite au roi, au mépris du traité d'Arras ; l'appel de
l'étranger de qui la France avait eu tant à souffrir ; les sièges de Beauvais
et d'autres villes, la révolte contre la juridiction du parlement de Paris,
l'institution illégale du parlement de Beaune et de Malines, la spoliation de
tout l'or qui devait racheter les villes de la Somme, l'incendie du pays de Caux,
les cruautés de Nesle, les engagements contre le roi signés avec le
connétable et avec d'autres, et par-dessus tout la surprise et la prison de
Péronne, malgré la garantie écrite de la main même du duc, cédule qui était
sous les yeux de la cour. A ce dernier crime se joignaient les plus graves
inculpations que de nombreux témoins appuyaient. Enfin on trouvait encore
dans les procès du marchand Ithier, de Hardi, du connétable et du duc de
Nemours, de nouvelles charges contre la mémoire du duc. Une seule chose
pouvait, ce nous semble, être répliquée. Le traité de Soleure, fait depuis,
ne couvrait-il pas ces griefs ? On
n'avait point oublié de citer les lettres de la princesse Marie aux états de
Bourgogne et aux Suisses, non plus que son déni de la tutelle du roi, chef de
sa famille. Encore mineure, elle s'était mariée, malgré lui, à un prince
étranger, tout en prétendant qu'elle était aussi bien héritière des
Bourgognes que des pays de Flandre. Il y avait là une sorte de forfaiture.
L'instruction mit tous ces faits en lumière ; mais un semblable procès
demandait du temps ; la première trêve devait en arrêter le cours. C'est ce
qui arriva. Il n'en resta que le droit de suprême juridiction conféré
désormais au parlement de Paris. Ce goût
d'unité, ce grand principe de hiérarchie et d'ordre, ne s'attachait pas
seulement dans l'esprit du roi à l'autorité judiciaire et à la royauté, il
eût voulu le réaliser dans les lois et coutumes de toutes les provinces de
France. Il lui déplaisait de voir régner ici tels usages, là tels autres ;
ici le droit coutumier, là le droit écrit, et même, dans ces coutumes et dans
ces lois, de grandes différences qui empêchaient les populations de
s'éclairer sur leurs vrais intérêts et d'établir entre elles des relations
utiles à tous. Aucune de ces considérations n'échappait à son génie. Nous qui
jouissons de ces avantages nous ne nous figurons pas assez quel fut le mérite
de ceux qui en eurent la première idée. Louis n'eût voulu voir dans le
royaume qu'une coutume générale formée de ce qu'il y avait de meilleur dans
les usages particuliers. A cet égard, il n'eût pas craint d'introduire, en
France ce que l'on connaissait de plus excellent chez les peuples les plus
cultivés. « Il désirait fort, dit Comines, que toutes ces coutumes fussent
mises en français en un beau livre, pour éviter la cautelle et pillerie des
avocats. » Quel progrès, en effet, si chacun eût ainsi pu s'instruire de ses
devoirs et de ses droits ! Aussi
fit-il continuer avec sollicitude la rédaction des coutumes, œuvre commencée
et avancée par Charles VII, son père ; et une de ses lettres à son intime
conseiller du Bouchage nous apprend que sur ce point il avait déjà fait faire
des recherches à Venise, à Florence et dans les principales villes d'Italie.
Il eût voulu que ce précieux principe d'unité s'appliquât partout aux poids
et aux mesures qui d'une province à l'autre différaient non-seulement de
nature, mais de nom. Ce vœu devait se généraliser et s'étendre à l'idiome
national, qui était partout distinct et attendait une forme précise. Cette
unification pouvait être préparée par la guerre, mais elle devait être
surtout l'œuvre de la paix : or on était de part et d'autre en campagne. Le
duc Maximilien et son armée semblaient alors menacer Condé. Vivement pressé
par ses officiers de porter secours à cette place, le roi, au contraire,
donna d'Arras l'ordre de l'évacuer. Il considérait, sans doute, que les
Français étaient là bien éloignés en un pays où l'on ne retrouvait ni les
mœurs ni le langage de France ; que cette Flandre wallonne serait une
conquête difficile, et que pour le moment c'était assez de s'en être
approché. Ainsi, quoiqu'il fût à la tête d'une belle armée et à peu près sûr
de la victoire, il résista aux instances de ses lieutenants qui le
sollicitaient à une grande lutte. Son courage bien connu ne l'empêchait pas
de les redouter. Il se souciait peu de tout hasarder à la fois, et il fut
toujours l'homme que l'on pensa tourner en ridicule en disant « qu'il aimeroit
mieux perdre dix mille écus qu'un seul archer[12] ». Peut-être même une défaite des
Flamands eût-elle encore gâté ses affaires. L'armée
française se replia donc. S'il est vrai, comme l'affirme une chronique
bourguignonne, que le sire de Mouy, avant d'évacuer Condé, ait réuni sous un
prétexte les habitants dans l'église et pendant ce temps fait piller leurs
maisons, ce ne fut certes pas sur les ordres du roi, qui avait eu si grand
soin en y entrant de ne point fouler la ville. On a peine à croire une telle
lâcheté, si peu conforme au caractère français. L'archiduc
s'était mis en campagne. Le conte de Romont, qui marchait en avant avec
quelques serpentines et quatre ou cinq cents hommes, vint assiéger la place
de Bossu. Le seigneur de Saint-Marcel s'y défendit quatre jours, fut fait
prisonnier et emmené à Mons. Mais l'armée du roi, dispersée dans les places
fortes, semblait avoir disparu devant l'ennemi, tandis que de son côté,
resserré en tous sens par des forces imposantes et bien retranchées,
Maximilien ne savait comment se mouvoir. Il chercha son point d'appui à
Valenciennes et se dirigea de ce côté. De là il détacha sept ou huit mille
hommes qui, sous la conduite de Galiot, s'avisèrent d'aller escarmoucher le 6
juin jusque sous les murs du Quesnoy. Dammartin, qui y était, ne put souffrir
cette bravade ; n'écoutant que son courage, il se met à la tête d'un bon
nombre de lances de sa compagnie et de celles des sires de Gié et de Curton ;
il charge vigoureusement les Flamands et leur donne la chasse jusqu'à la vue
de l'armée de Maximilien. Les pertes furent grandes du côté de l'ennemi et
très-minimes de l'autre. « Ce fait d'armes[13] eut de grands résultats sur
l'esprit de « l'archiduc. » Cependant, à en croire la chronique de Molinet,
il aurait été sans importance. Les Français auraient perdu huit cents hommes
et ceux de Flandre seulement treize ou quatorze. Ce récit s'accorde avec les
exagérations de l'auteur sur l'engagement d'Oudenarde ; mais il fallait bien
raconter ainsi la chose, pour attribuer la conduite pacifique de Louis XI à
la crainte que lui aurait inspirée la présence miraculeuse d'un ciboire sur
l'autel le.20 niai, jour anniversaire de son sacre. En
Bourgogne les succès étaient plus décisifs encore. Le nouveau gouverneur
Charles d'Amboise, secondé de l'administration civile et judiciaire, y avait
rétabli les affaires du roi. Toujours muni d'argent, il attira à son service
bon nombre d'Allemands. Les Suisses, ces volontaires aguerris, qui l'année
précédente s'engageaient aux orangistes, vinrent avec empressement s'enrôler
sous ses drapeaux et remplacèrent dès lors avec avantage les francs-archers.
Au printemps il ouvrit donc la campagne avec une belle armée. Outre le prince
d'Orange, ses principaux adversaires étaient les sires de Vauldrey, Simon de
Quingey et de Cottebrune. Il enveloppa dans Verdun, au confluent du Doubs et
de la Saône, les deux derniers, et les fit prisonniers en prenant la ville ;
puis, après s'être emparé de plusieurs châteaux, tels que Semur et
Montsaugeon, il mit le siège devant Beaune. Cette
ville, la seconde du duché, s'était soulevée à l'instigation de Jean
Jacquelin, fils du président de Dijon. Le sire de Vauldrey se tenait à
Seurre, prêt à porter secours aux siens. Charles d'Amboise marcha contre lui
et le prit ; puis il revint devant Beaune. La ville, alors considérable, ne
put tenir : elle fut obligée de se rendre à de fort dures conditions. Elle
paya 40.000 écus pour les frais du siège ; le vin qu'on y trouva fut saisi et
confisqué, même celui qui, ayant été vendu à divers marchands, n'avait p0
être livré. Enfin les habitants perdirent leurs privilèges, que le roi leur rendit
d'ailleurs trois mois après. Semur et Châlon eurent aussi à payer rançon, et
avant le 20 juin tout le duché se trouvait pacifié. Ces
nouvelles, jointes à l'échec essuyé le 6 juin sous ses yeux, firent réfléchir
l'archiduc. Le blé commençait à être rare : il était à désirer qu'il ne fût
pas saccagé comme l'année précédente. Dès le 7 juin il se décide à faire des
propositions pacifiques ; il charge donc de cette mission Philippe de Croy,
comte de Chimay et Olivier de la Marche, et les envoie sans délai à Cambray
auprès du roi. Une trêve de dix jours fut d'abord signée le 10 juins ; puis
le 20, à Bouvines, elle fut prolongée jusqu'au 11 juillet de l'année suivante
1479. C'est le 20 juillet 1478 qu'on la publia à Dijon. Par ce traité le roi
abandonnait Cambray, Tournay, tout ce qu'il avait pris dans le Hainaut et
dans la Franche-Comté ; le duché restant seul à la France dit assez en détail
à quoi s'engagea le roi. Mais en retour le duc Maximilien ne dut-il rien
promettre ? Il fut dit que le commerce serait rétabli entre les deux pays ;
que les gentilshommes jouiraient de leur revenu ; qu'ils pourraient aller
dans le pays de leurs adversaires, excepté dans les places fortes, pourvu
qu'ils ne fussent pas plus de douze hommes armés à la fois. Le clergé
conservait ses privilèges. Chacun
en ce traité comprenait ses alliés. Ce furent à peu près toutes les
puissances. Le duc d'Autriche ajouta de son côté les rois d'Aragon et de
Naples, les ducs de Bretagne, de Bavière, de Juliers et de Clèves, le comte
Palatin du Rhin, le marquis de Bade et le comte de Romont. Les conservateurs
de la trêve étaient, de la part du roi, le sire de Baudricourt pour les
frontières de Flandre et de Luxembourg, l'amiral pour le Bourbonnais et les :
côtes de la mer, Charles d'Amboise pour les deux Bourgognes ; le duc nomma
pour les siens les sires de Fiennes, du Fay, Josse de Lalain et Claude de
Toulongeon. Pour décider sur les plaintes ils durent s'assembler tous les
quinze jours alternativement sur les deux territoires, et l'on travailla sans
délai à une paix finale. A cet
effet on stipula que chaque partie nommerait six arbitres pour l'examen des
prétentions qu'on avait des deux côtés, lesquels s'assembleraient à Cambray
le jet septembre 1478. Les commissaires du roi furent Louis d'Amboise,
archevêque d'Alby ; Jean de Montchenu, évêque de Viviers ; Odet d'Aydie,
comte de Cominges ; Boffile de Judice, Jean Chambon, maître des requêtes, et
Raoul Pichon, conseiller au parlement ; ils reçurent par lettres d'Arras, 11
juillet, les pouvoirs les plus larges pour arriver à une solution pacifique,
les autorisant à commencer leur discussion par où lesdits seigneurs et dame
d'Autriche voudraient, et s'ils ne se pouvaient accorder, à nommer un sur
arbitre dont ils conviendraient avec les commissaires du duc, lesquels
devaient être le sire de Ligne, le prévôt de Saint-Donat de Bruges, Jean
d'Auffay et plusieurs autres. Mais
quand on considère la situation du roi, ses avantages bien réels et les
forces dont il disposait, on ne peut que s'étonner des singuliers abandons
consentis par lui dans le traité de 1478. On a cru l'expliquer par
l'affaiblissement de la santé du roi, par la lassitude de cet état de guerre.
Mais un passage de Jean de Troyes pourrait] bien nous dévoiler ce mystère. «
Pendant que le roi étoit à Cambray et à Arras, dit-il, vinrent à lui, de la
part du duc d'Autriche, ambassadeurs qui pourparlèrent de lui bailler
paisiblement les comtés d'Artois, de Boulogne, Lille, Douai, Orchies,
Saint-Omer et autres villes, avec le duché de Bourgogne entier ; et sous
ombre desdites promesses le roi leur bailla jouissance de Cambray,
Quesnoy-le-Comte, Bouchain et autres villes. Et afin d'être plus près du roi
pour communiquer des choses susdites, s'en vint loger et camper ledit duc
d'Autriche, lui et son ost que l'on disoit être de vingt mille combattants,
entre Douai et Arras ; et là ses députés tinrent le roi en belles paroles,
sous ombre desdites promesses, jusqu'à la fin du mois de juin, époque à
laquelle le roi n'eut aucune chose de ce qui lui avait été promis. Ainsi
ledit Maximilien avait eu libéralement lesdites villes, laissant espérer que
de son côté il tiendrait parole, ce dont il ne fit rien. » Louis
XI, qu'on se plaît à dire si soupçonneux, aurait donc encore une fois été
dupe de son trop de confiance ! Peut-être le fidèle comte de Dammartin
entrevit-il ces ruses grossières lorsqu'il refusa d'obéir sur-le-champ aux
ordres d'évacuer le Quesnoy, comme dix ans auparavant de licencier l'armée
sur la lettre de Péronne ! Mais si le roi fut désappointé il eut le tact de
n'en rien laisser paraître. Il fit rendre le Quesnoy par le sire du Lude,
lequel fut remplacé par le sire de Mingoval avec trois cents Allemands.
Tournay redevint ville neutre sous la juridiction française, au grand
désappointement des gens de la ville, qui, de l'aveu des chroniques de
Bourgogne[14], regrettèrent fort de ne plus
être sous l'autorité royale. Le roi remit lui-même Cambray. Il fit rétablir
l'aigle impériale sur les portes de la ville, et déclara aux habitants qu'il
leur rendait leur liberté, à condition qu'ils resteraient neutres ; concession
faite à l'empereur. Il ajouta toutefois : « Nous sommes vicomte de votre cité
; nous voulons y garder notre juridiction et le droit que nous y avons. » Là le
sire de Marafin, lieutenant du roi, ayant abusé de ses pouvoirs, et commis,
envers les églises surtout, quelques actes de rapine, Louis XI lui enjoignit
de les réparer ; et à ces satisfactions il ajouta lui-même une somme de douze
cents écus d'or pour l'église de Notre-Dame, demandant en retour d'avoir part
aux prières du chapitre. Un historien de Bourgogne[15], en constatant ces faits, nous
dit : « Louis XI, en sortant de Cambray, y laissa la plus haute idée de sa
modération et de son équité. Le clergé le compta parmi ses bienfaiteurs, et
le peuple ne rentra sous l'empire qu'avec un extrême regret. » Partout
ailleurs la trêve fut aussi loyalement exécutée ; le château fort d'Anthoin
passa aux ordres de Jean de Luxembourg, Bouchain au sire de Bossu, et il en
fut de même des autres places. Ainsi le roi abandonne tout ce qu'il tient des
comtés de Hainaut et de Bourgogne, n'en donnant pour toute raison à son
confident le sire de Comines que celle-ci : « c'est qu'un roy a plus de force
en son royaulme où il est oint et sacré que dehors ; et ensuite, qu'il y a
entre les rois de France et les empereurs grands serments de n'entreprendre
rien l'un contre l'autre. » Quels
qu'aient été les vrais motifs du roi, tout n'était pas malheur en ces
conventions. Si l'on perdait au nord des conquêtes difficiles à conserver, on
s'assurait du moins du duché de Bourgogne, magnifique fleuron de la couronne.
Alors au succès de ses ruses politiques venait s'ajouter pour le duc la
naissance de son fils Philippe, dit le Beau, qui, né le 22 juin 1478, devait
être l'époux de Jeanne de Castille et le père de Charles-Quint. En
France on se ressentait des incertitudes de la politique extérieure et les
esprits s'y agitaient aisément. On signalait alors les prédications d'un
cordelier du Beaujolais[16], nommé Fradin, qui, sous
prétexte de remonter aux causes du mal, mêlait la politique à la parole de
Dieu. Il s'en prenait hardiment aux plus hauts dépositaires de l'autorité et
ses satires s'attaquaient sans scrupules aux personnes : « Le roi,
disait-il, avait de mauvais serviteurs » ; puis du gouvernement de
l'État, il passait à celui des familles. Ce langage sans mesure rappelait les
discours passionnés du commencement de ce quinzième siècle au profit de la
faction bourguignonne. On allait en foule aux sermons du cordelier. Les
esprits s'exaltant de plus en plus, on s'en émut. Le parlement délégua
d'abord quelques conseillers pour l'interroger ; puis, après plusieurs avis
inutiles, lui interdit la prédication, et finalement le ter juin lui signifia
de partir, ce qu'il fit le lendemain, suivi d'une grande foule de populaire.
Dès lors le calme revint dans les esprits. Mais à
Bourges les projets de révolte avaient été plus manifestes. Le roi avait dû y
envoyer d'Arras le sire du Bouchage avec de grands pouvoirs. Les baillis de
Touraine, de Berry et de Saint - Pierre-le-Moustier lui étaient soumis ; il
pouvait appeler aux armes le ban et l'arrière-ban, disposer des finances, et
pourvoir en tout à la sûreté du pays. Après s'être informé si la noblesse du
Bourbonnais ne forme aucune assemblée et s'est rendue à l'arrière-ban en
Bourgogne, le roi rappela son conseiller, désignant pour le remplacer le sire
Olivier Guérin. Or,
pendant son séjour à Bourges le sire du Bouchage avait reçu la confidence
d'un singulier complot. La race des Locuste n'était pas éteinte, et telle
semblait être en ce temps-là la perversion des idées, que c'est dans le
sanctuaire même qu'on méditait de commettre les plus odieux forfaits. Jean de
Chalon, irrité de sa récente condamnation et de l'insuccès de son parti en
Bourgogne, prémédita pour se venger d'attenter à la vie du roi. On savait que
souvent après avoir entendu la messe, celui-ci baisait la terre et les coins
de l'autel : croyant avoir un poison assez violent et assez subtil pour tuer
par le seul contact des lèvres, il s'agissait d'en faire imprégner, avec un
cierge ou autrement, les parties du sol que le roi baiserait. La
première proposition en fut faite à un homme résolu, dit Renauld de
Saint-Chamond, lequel, pour de l'argent, se chargea de la chose ; mais un des
officiers de Jean de Châlon lui ayant présenté un autre agent, nommé
Catherin, le prince songea à se défaire du premier confident ; et, sur son
ordre, Renauld fut arrêté et conduit à Salins. Toutefois il réussit à
s'évader de la tour où on le gardait, et évitant les chemins de Bourgogne et,
de Bresse, il vint trouver à Bourges le sire du Bouchage. Celui-ci entendit
sa déposition, puis l'adressa au roi, qui l'envoya immédiatement au parlement
avec cette lettre : « Nos amés et féaux, le prince de trente-deniers
nous a voulu faire empoisonner ; mais Dieu, Notre-Dame et M. saint Martin
nous en ont préservé et gardé, comme verrez par le double des informations
que nous vous envoyons, afin que vous les fassiez lire, la salle ouverte,
devant tout le monde ; en sorte que chacun connoisse la grande et manifeste
trahison dudit prince. Donné à Cambray, le 6e jour de juin 1478. » Autant
pour rendre grâce à Dieu d'avoir échappé à ce danger que comme expression de
ses vœux pour la paix, ses pieuses largesses furent alors considérables.
Ainsi il fit couvrir de lames d'argent la châsse de saint Fiacre, et ordonna
à Michel Gaillard de réunir deux mille marcs d'argent pour entourer d'un
riche treillis les reliques de saint Martin. Ses lettres à ce sujet sont
d'Arras, 11 juillet 1478. Cette grille fut l'œuvre de Jean Galand, orfèvre du
roi, et placée par les soins de Jean Bonsire, maître de la monnoie à Tours,
de décembre 1478 à juillet 1479. Louis commanda encore une châsse d'argent
doré-pour le chef de sainte Marthe à Tarascon, et fit rebâtir l'église de
Notre-Dame de la Victoire, où il aimait tant à prier. Déjà en février il
avait fondé un obituaire à Notre-Dame de Cléry, moyennant une rente de quatre
mille livres tournois, et fait d'autres dons pieux. Cette
grande et sincère dévotion ne l'empêchait pas de réprimer certains abus.
Ainsi est-il averti que les religieux mendiants, dits inquisiteurs, alarment
et mettent à contribution en Dauphiné les gens des montagnes, il mande au
gouverneur de la province de mettre en liberté ceux de ses sujets qui
auraient été arrêtés et de faire cesser toutes les procédures ; il évoque à
son conseil ces sortes d'affaires et défend aux prétendus inquisiteurs
d'inquiéter personne. Mais c'était en Italie surtout que, par sa fermeté et
sa prudence à la fois, la politique du roi devait aider à calmer de profonds
orages. Depuis
1472 Laurent et Julien de Médicis, successeurs de Pierre, leur père,
gouvernaient à Florence comme princes de la république. Ils suivaient non
sans gloire les traditions paternelles et restaient amis de la France. Les
Pazzi, famille devenue puissante aussi par le commerce, leur portèrent envie,
et, malgré les liens qui les unissaient, conspirèrent leur perte. Ce fut à
Florence comme à Milan : il se forma un vaste complot. Le dimanche 26 avril
1478, les conjurés, sous prétexte d'appeler le peuple à la liberté, osèrent
dans l'église même de Santa-Reparata — ou de Santa-Maria del Fiore —
et au moment de l'élévation, se jeter le poignard à la main sur les deux
frères. Julien fut tué sur le coup ; mais Laurent, seulement blessé,
s'échappa, grâce au dévouement de ses deux écuyers, André et Laurent
Cavalcanti, dont le second même fut atteint[17]. Les assassins étaient
Francisque Pazzi, Bernard Bandini, et Antoine de Volterra, qui frappa Laurent
de Médicis[18]. Le
peuple, au lieu d'entrer dans la voie révolutionnaire où on le conviait à
grands cris, fut indigné d'un si lâche attentat et d'une telle profanation.
Il se déclara sur-le-champ contre les conjurés ; il poursuivit partout sans
rémission les Pazzi et leurs complices. Dans leur palais même, où
l'archevêque de Pise, François Salviati, et d'autres nobles florentins du
même parti furent trouvés, on les pendit aux fenêtres dans ce premier moment
de fureur. Jacques et Francisque Pazzi furent au nombre des quinze ou seize
victimes. Plusieurs de leurs partisans périrent également dans la ville.
Alors les Florentins, frappés du danger où ils s'étaient mis, s'adressèrent à
Louis XI pour en obtenir quelque secours. Cet
assassinat avait ému toute l'Europe. Louis XI s'empressa de témoigner à
Laurent de Médicis et aux Florentins toute sa sympathie par lettres d'Arras,
12 mai ; mais il fit plus. Alors le sire de Comines servait dans l'armée de
Bourgogne ; le roi le charge d'une mission en Italie. Par ses instructions du
13 juillet 1478 il doit exciter la Savoie et Milan à porter secours à leurs
alliés de Florence. « Je obéis, comme raison estoit, » dit Comines
; qui toutefois avoue s'être cru disgracié, « je partis dès que j'eus les
lettres. » Passant d'abord par Turin, il en repart bientôt avec un secours de
trois cents hommes d'armes qu'il obtient de la duchesse de Savoie ; puis,
chargé par délégation du roi du 18 juillet de recevoir l'hommage du jeune duc
de Milan, il y remplit sa mission, et là encore persuade à la duchesse
douairière Bonne de Savoie d'envoyer aux Florentins un renfort de quelques
centaines de soldats. Ce traité d'Albano, fait au nom de Galéas, est du 18
août et fut ratifié le 7 septembre. C'était ainsi que Louis savait soutenir
ses alliés sans s'immiscer trop avant dans leurs querelles, et sans
compromettre l'intervention de la France. Aussi, quand Antoine Vespucci, le
député de Florence, lui remontrait combien l'occasion semblait favorable pour
faire de grandes conquêtes en Italie : « Il en coûterait trop à la France !
répondit-il ; je ne veux pas acheter si cher bien des inquiétudes et un long
repentir. » On se
préoccupait, alors beaucoup à Rome, parait-il, de l'intervention du roi en
cette affaire, comme le prouve une lettre du cardinal de Pavie. Le
saint-père, sans doute, n'était point favorable aux Médicis ; mais c'est
aller trop loin, nous le croyons, de dire qu'il tua Julien par la main des
Pazzi. Alors que les progrès des Turcs menaçaient toute la chrétienté, on
regrette, dans ces luttes exclusivement italiennes, de voir ainsi figurer la
politique du Vatican. Il faut s'en prendre au défaut de limite précise entre
le spirituel et le temporel et à la confusion des juridictions qui en était
la suite. S'il y avait ingérence du souverain pontife dans les matières
civiles, on voyait aussi le roi intervenir dans les affaires ecclésiastiques
; comme, par exemple, lorsqu'en 1462 un édit traite de réformer les abus dans
l'abbaye de Cluny. Pour faire cesser cette confusion, nul, après saint Louis,
n'a plus fait que Louis XI, qui devait aussi à sa pieuse mère sa solide
piété. Après la disparition du monde romain, ne l'oublions pas,
l'intervention de l'Église dans le civil fut, sans contredit, à l'origine des
sociétés nouvelles, un grand bienfait. Du temps seul on devait attendre la
séparation de ces deux pouvoirs, et l'on en était encore loin. La
guerre s'était promptement allumée en Italie. Non-seulement Sixte IV n'avait
nullement sévi contre les assassins des Médicis, mais, après avoir déclaré
les Florentins hérétiques et excommuniés, il avait, d'accord avec Ferdinand
Ier, roi de Naples, fait envahir la Toscane. « Les Florentins avoient peu de
chefs ; leur armée estoit petite... Pour le roi Ferrand estoit chef le duc
d'Urbin, saige et bon capitaine[19]. » Réuni à Robert
d'Arimini dit Malatesta, seigneur vénitien, et au seigneur Constanzio, ils
s'emparaient de toutes les places qu'ils assiégeaient. Les secours amenés par
Comines venaient donc fort à propos ; aussi reçut-il à Florence le plus
sympathique accueil, et, dans une lettre au roi, Laurent de Médicis fait de
lui un éloge qui témoigne de son succès en cette affaire. En
France Louis XI suivait la même politique : de Selomme, 46 août, il déclare
Jérôme Riario, seigneur de Forli et d'Imola, François Pazzi, Jacques son
frère, Jean-Baptiste Montesecco et leurs complices, bannis du royaume ; il
renouvelle sa défense d'envoyer de l'argent de France ou du Dauphiné en cour
de Rome et d'y aller pour solliciter ce qu'on appelle des grâces
expectatives. Enfin il écrit aux souverains ses alliés, particulièrement au
duc de Bavière, pour leur remontrer ce que l'exemple de ces faits avait de
funeste. Il les prie de s'unir à lui en vue d'arriver par la convocation d'un
concile à une pacification ; il espère qu'ils coopéreront à un acte également
politique et religieux, duquel peut dépendre le salut de la chrétienté. Soit,
en effet, pour préparer les travaux de cette grande assemblée qu'il médite,
soit pour montrer au saint-père quelle était sur ce point l'opinion du clergé
de France, dans le but aussi d'examiner subsidiairement certains points de
discipline, Louis XI convoque une assemblée à Orléans. A cette
assemblée vinrent en septembre bon nombre des grands clercs[20] et docteurs des universités et
surtout de celle de Paris. Le sire de Beaujeu la présida : le chancelier et
d'autres membres du conseil du roi y assistèrent. On y parla fort gravement
des intérêts de la chrétienté, de l'État, et aussi de ceux de l'Église. Dans
les diverses discussions qui s'élevèrent on remarqua le doyen d'Angers,
l'official d'Orléans Antoine de Bessetis, Jean Masselin, doyen de l'église de
Rouen, qui s'illustrera aux états de 1484, et d'autres docteurs dont la
compétence n'était pas douteuse. Ils résumèrent les griefs et les vœux de
l'Église de France. Les opinions inclinèrent vers l'humble demande au
saint-père de convoquer un concile général. L'assemblée ne prit point d'autre
résolution ; étant simplement préparatoire, elle n'avait en réalité rien à
décider. Seulement elle s'ajourna à Lyon pour le 1er mai suivant, époque où
les intentions du pape seraient connues. Telles étaient les propositions qui
durent être faites à Sixte IV par Tristan Guilhem, seigneur de
Clermont-Lodève, et Gabriel Vivier, docteur ès droit canonique et civil' de
Montpellier, envoyés à Rome en septembre par le roi afin de préparer les
voies au futur concile. Mais la
politique romaine fut, comme toujours, d'atermoyer et de ne se point
prononcer sur les plus délicates questions. Pendant ce temps elle suscitait
des ennemis aux Milanais, faisait révolter Gênes, envoyait en Allemagne des
délégués chargés d'y soutenir ses actes, et à Louis XI l'évêque de Fréjus,
Urbain de Fiesque, avec mission de l'adoucir par de bonnes paroles. Tandis
que le roi donnait un si utile appui à ses alliés d'Italie, il avait encore à
faire face à d'autres difficultés. L'influence hostile de Marguerite d'Yorck,
duchesse douairière de Bourgogne, se faisait déjà sentir au delà du détroit.
La France et Louis XI avaient en elle une ennemie perfide et redoutable avec
laquelle nulle trêve n'était assurée, nulle paix ne se pouvait conclure. Elle
était bien de cette famille d'Yorck qui, après tant de crimes, devait finir
par Richard III. Alors la division y avait déjà pénétré. Le duc de Clarence,
rival des Woodwill et surtout haï du duc de Glocester, son frère et l'homme
le plus pervers de ce temps, fut arrêté et mis en cause pour quelques vives
paroles à l'adresse du roi. Enfermé dans la Tour, il comparut le 16 janvier
devant la chambre des lords sous l'inculpation de haute trahison, et le 7
février il fut condamné en plein parlement à la peine capitale. C'est la
chambre des communes qui demanda sa prompte exécution et non pas Louis XI,
qui, malgré l'assertion de l'historien des ducs de Bourgogne, n'y fut pour
rien. Abandonné du- roi son frère, on ne lui laissa que le choix de son
supplice ; il mourut le 11 mars 147Z., asphyxié, dit-on, dans un tonneau de
vin de Malvoisie, en vrai épicurien qu'il était. Pour
suivre des affaires si importantes et si délicates à la fois, Louis XI avait
alors à Londres Charles de Martigny, évêque d'Elne, homme fort habile, qui
s'acquit une grande gloire en ces négociations. Il s'agissait de prolonger la
trêve jusqu'à cent ans après la mort des deux rois moyennant une annuité
française de 50.000 écus. Louis y avait aplani les voies par son exactitude à
solder les redevances convenues ; mais Édouard saisissait avidement tout
prétexte de faire acheter son inaction : aussi se faisait-il complaisamment
l'écho des doléances de sa sœur. Cette
princesse se plaignait amèrement de quelques dégâts faits par les troupes
françaises dans ses seigneuries, surtout à Cassel. D'abord Louis XI n'y prit
pas garde ; mais la duchesse douairière sut trouver une oreille plus
favorable à ses récriminations. « Qu'il vous plaise, écrit-elle à son frère
le 29 mars 1478, avoir pitié de moi, votre pauvre sœur. Là où vous m'avez
faite une des grandes du monde, je suis maintenant une pauvre veuve éloignée
de son lignage, et surtout de vous, mon seul seigneur, père, mari et frère.
Vous ne voudrez pas me laisser ainsi misérablement détruire, comme je suis
journellement, par le roi Louis de France, lequel fait son possible pour
totalement me réduire à être mendiante... Hélas ! sire, je vous requiers que
de votre grâce ayez pitié de moi, en vous ressouvenant que de votre
commandement je suis ici pauvre et désolée. Que du moins je puisse, à mes
dépens, avoir incontinent un millier d'archers anglais. Si j'avais plus
grande puissance, Dieu sait ce que je vous requerrais de plus, ainsi que vous
le dira mon féal secrétaire, maître Fernand de Lisbonne, auquel vous plaise
ajouter foi et crédence. » Édouard
n'ignorait rien des démarches et hostilités ouvertes de sa sœur contre Louis
XI : l'exagération de ces plaintes était manifeste ; mais tout moyen lui
semblait bon d'inquiéter son voisin et de le mettre à contribution. Il envoya
donc au roi Thomas Danet avec une lettre et des instructions où, sous une
demande d'explication, se cachait assez visiblement une admonition, même une
menace. Restait à y répondre. Le 24 juin Louis envoie à son tour une
députation à Londres ; elle est conduite par Ives de la Tillaye, son avocat
au Châtelet. Après s'être entendu avec l'évêque d'Elne qui est là, il fera
observer ceci : « 1°
La fille du feu duc Charles a voulu indument usurper et retenir de force les
terres et seigneuries qui par droit et par raison devaient obvenir et sont
obvenues au roi, tant comme apanage de France qu'autrement ; et ladite fille
de Bourgogne pour icelles terres détenir violemment s'est déclarée et demeure
en guerre ouverte avec le roi, son souverain seigneur ; elle a même fait le
duc d'Autriche son mari. « 2°
Il y a donc eu pour lui nécessité d'en venir à la guerre, afin de réduire en
son obéissance ce qui, raisonnablement, appartient à la couronne, et aussi de
soumettre tout ce qui pouvait nuire à la conduite de la guerre. « 3°
Il est avéré que les places, terres et seigneuries dont se plaint la duchesse
sont toutes de l'obéissance de la fille du feu duc et de son mari, et
tiennent parti contre le roi. Ainsi il est manifeste que la ville et
châtellenie d'Oudenarde ont eu des garnisons hostiles à la France ; que les
principales assemblées de guerre y ont été tenues. Il en est de même de la
ville du Quesnoy et de plusieurs autres places. Or tout prince qui a voulu
sagement conduire la guerre n'a jamais laissé derrière soi des places et des
garnisons ennemies, qui eussent pu compromettre tout succès. « 4°
En cas d'insuffisance des villes de Malines, Oudenarde, Terremonde et
Rupelmonde, il devait être pourvu au douaire par le revenu des pays de
Flandre où n'est point le Quesnoy, laquelle ville, d'ailleurs, était déjà au
pouvoir du roi lorsqu'elle fut assignée en supplément de douaire. Au surplus
ladite assignation ne peut supprimer l'obéissance due au roi, comme souverain
seigneur ès terres de son royaume. A l'égard de Cassel et de Lamotte-au-Bois,
c'est non le duc, mais la duchesse sa fille qui les ont attribuées au douaire
depuis qu'elles sont sujettes à la couronne. N'y a-t-on même pas ajouté des
villes du duché de Bourgogne, lequel est vrai apanage de France ? » Ces
instructions se terminaient par le désir de bien et favorablement traiter la
sœur du roi. Louis autorisa donc Ives de la Tillaye et l'évêque d'Elne à
accorder « tout ce que la duchesse Marguerite pouvait raisonnablement
prétendre », même la restitution du Quesnoy, aussi bien que le revenu des
villes du duché de Bourgogne qui lui avaient été attribuées depuis la réversion !
Le roi ajoutait que non-seulement il était prêt à lui faire bon accueil en
ses États, mais au besoin à la prendre sous sa protection. Tant de
condescendance pouvait peut-être augmenter les exigences d'Édouard ; il
insistait alors sur le mariage de sa fille Élisabeth, enfant de douze ans,
avec le dauphin. Le 26 août, le docteur Langton, son ambassadeur, vint à
Calais pour les fiançailles. Il devait demander qu'il y fût stipulé que si
Élisabeth mourait elle serait remplacée par sa sœur Marie, et qu'elle
entrerait surtout en jouissance immédiate de son douaire, fixé à 60.000
livres. A cet égard Louis dépêcha en Angleterre Jean de Hangest, seigneur de
Genlis, avec trois autres députés ; et d'accord avec l'évêque d'Elne ils
durent assurer Édouard que le roi désire ce mariage ; qu'il y veut, pour
tous, toutes les sûretés possibles. Sans doute il est d'avis qu'on s'adresse
au Saint-Père pour avoir les dispenses nécessaires ; mais, ajoutait le roi,
le douaire n'était et ne pouvait être payable qu'après la consommation du
mariage : tel était l'avis de son conseil, et l'on sait qu'à l'époque où fut
fait le contrat rien de contraire à cet usage n'avait été stipulé. Mais
tout s'enchaîne en politique. Pour parler haut à l'étranger il faut la paix à
l'intérieur. Fatigué plus qu'il ne le voulait paraître, Louis la désirait
vivement ; dans le conseil de Flandre en était-il ainsi ? Les conférences,
qui d'abord avaient dû se tenir à Cambrai, le lei septembre, avaient été
remises pour le 22 septembre à Boulogne. Au jour dit les commissaires du roi
s'y trouvèrent seuls. Ne recevant aucune nouvelle de ceux de Flandre, Louis
d'Amboise, chef de l'ambassade française, se vit obligé d'écrire à Olivier de
la Marche, chambellan du duc : « Dès le 20 de ce mois, dit-il, jour où je
vous écrivis de Saint-Quentin, nous sommes partis de cette ville, et dès le
lundi au soir 21 sommes arrivés à Boulogne, attendant les députés qu'il
plairait à Monseigneur d'Autriche d'envoyer. Toutefois, Monsieur, nous
n'avons aucune nouvelle de l'envoyé Clerevoie[21], qui se devait rendre à nous
dès le mardi 22 de ce mois, ni aussi des députés de mondit seigneur
d'Autriche. J'en suis étonné, et à cette cause je vous envoie ce porteur pour
savoir l'intention de mondit seigneur, et si c'est son plaisir de tenir la
journée ; et jusqu'à ce que j'aie de vos nouvelles, nous ne bougerons d'ici.
Écrit à Boulogne, le 26 septembre. » Afin que rien ne manquât, le sire
Olivier et autres délégués reçurent du sire de Querdes, lieutenant général de
Picardie, toute garantie et sûreté pour venir ès pays de France ; ce qui
d'ailleurs semblait superflu d'après la trêve. Or ce n'est que le 7 octobre
que Maximilien donne leurs pouvoirs à ses députés. Comment a-t-on pu dire et
répéter que les ambassadeurs français étaient restés à Saint-Quentin et que
ceux de Flandre les attendirent deux mois à Cambrai[22] ? Mais si
le duc Maximilien atermoie, il est loin de rester inactif. Il ébauche des
traités avec l'Angleterre, avec l'Espagne, et cherche par ses alliés à
exercer une pression morale sur le roi. Alors, en effet, Sigismond offrait au
roi sa médiation officieuse en vue d'une bonne paix, lui insinuant que, par
suite d'une alliance entre le roi de Hongrie et l'empereur, de nouveaux
auxiliaires pourraient intervenir en faveur du duc. Louis méprisa ces
ouvertures et renvoya l'ambassadeur, lequel s'en fut faire ses confidences à
Jean de Bourbon, ce dont le roi fut très-mécontent. De part
et d'autre chacun en ces conférences formulait ses droits et appuyait ses
prétentions de l'autorité et de la science de ses meilleurs légistes. Si
maitre d'Auffray prétend que la princesse Marie a droit à tout l'héritage de
son père, Guillaume Cousinot établit positivement le contraire. Le premier
rappelle les anciennes filiations féminines des ducs de Bourgogne de la
première race éteinte en 1361 par la mort de Philippe de Rouvre. C'est alors
que ce duché, premier fief de la couronne, revint au roi Jean : il en prit
possession et le garda jusqu'en 1363, époque où, par lettres de
Germiny-sur-Marne, le 6 septembre, il en fit don à son quatrième fils
Philippe, pour le tenir en pairie, avec la clause de réversion à la couronne
faute d'hoirs mâles, ce qui fut confirmé par lettres de Charles V datées du
Louvre, 2 juin 1364. Toutefois, le ter septembre 1378, ce souverain accorde
au même Philippe dit le Hardi, duc de Bourgogne, tout le droit que feu
Philippe de France, duc d'Orléans, leur oncle paternel, avait prétendu avoir
sur ce duché par Jeanne de Bourgogne, sa mère, et grand'tante de Philippe de
Rouvre. Le roi, qui fit cette concession pour couper court à tout débat, eût
mieux fait, nous le croyons, d'en référer au jugement des pairs ; tant il est
vrai que nulle faiblesse n'est permise à un chef d'État ! Mais
Guillaume Cousinot, consulté sur ce point, soutint, par un mémoire daté du 12
août 1478, le droit du roi[23]. Par la nature des apanages, et
par le droit écrit, d'après les lois impériales, les arrêts du parlement, les
usages notoires et d'une application encore récente, enfin par la teneur des
lettres mêmes du don de cet apanage, maitre Cousinot prouve le droit de réversion
touchant le duché de Bourgogne. Le roi Jean, en effet, y désigne son fils et
ses hoirs ducs de Bourgogne ; il ne dit pas ducs et duchesses, mais seulement
ducs[24], pour marquer que les filles ne
succèdent pas. Madame invoquerait-elle le droit des filles ? ce serait encore
en vain ; car alors Philippe le Hardi n'eût point eu le duché de Bourgogne en
apanage, puisque ni Jean ni Philippe de Valois son père n'eussent été rois. « Au
regard de la comté de Bourgogne, le comte Ottelin la donna à Philippe le Bel,
ainsi que la seigneurie de Salins, et l'en mit en possession. Philippe le Bel
ne renonça jamais à ce comté, même en faveur de ses deux fils Philippe V et
Char- les IV, qui épousèrent les deux filles d'Ottelin. Si Philippe IV avait
des droits sur la Franche-Comté, Louis XI en a donc aussi. «
Madame prétend-elle tirer son droit des ducs Robert et Eudes de la première
race ? Or, soit par droit de fief ou de seigneurie, soit par acquêt et
forfaiture, la comté est dévolue au roi Jean que Louis XI représente. « Tire-t-elle
son droit de Philippe, son trisaïeul ? Elle doit considérer qu'elle n'aurait
ce droit que par apanage dont les filles n'héritent point. « La
comté de Bourgogne est tenue en plein fief du duché, et le duc Robert l'a
saisie faute de reconnaissance d'hommage. Ainsi le droit vient au roi soit
comme héritier du duc Robert pour le roi Jean, soit comme roi de France par
la cession du comte Ottelin à Philippe le Bel. « Madame
ne peut prétendre au comté de Mâcon que par le traité d'Arras. Ce comté fut
uni à la couronne dès Philippe III. Philippe IV le donna comme portion
d'apanage à Philippe, comte de Poitiers, son second fils, qui fut Philippe V
; depuis il est resté à la couronne jusqu'en 1436. Mais si, à l'occasion de
ce traité, on envisage les félonies et crimes commis par le duc Jean contre
le roi et le royaume, on verra que ni lui ni le duc son fils ne peuvent
demander ni obtenir aucun dédommagement, puisque, coupables envers le roi par
une guerre ouverte de plus de quinze années, le duc Philippe eût dû obtenir
des lettres d'abolition. « D'ailleurs
le comté de Mâcon ayant été incorporé à la couronne, il ne peut être possédé
par aucune femme. » Les
discussions furent longues et opiniâtres. Les Flamands ne voulurent
reconnaître en ce congrès ni les coutumes de France, ni la loi salique, ni le
texte si clair de l'ordonnance du roi Jean. C'était un parti pris : car
comment expliquer leur obstination touchant Lille, Douai et Orchies, villes
et châtellenies que le duc Philippe le Hardi n'avait reçues qu'à titre viager
? Au bout de trois mois on "se sépara sans rien résoudre. Plus
heureux du côté des Pyrénées, Louis s'y était assuré de la paix. La trêve
allait expirer et les sourdes pratiques de Maximilien nous y menaçaient. Le
roi avait donc envoyé au roi de Castille l'évêque de Lombez, le sire de
Lescun comte de Cominges, Guillaume
de Souplainville, Jean de Chassaigne et un de ses secrétaires, pour y
conclure un traité. Il fut signé à Saint-Jean-de- Lui, le
9 octobre 1478, avec les ministres de Ferdinand et d'Isabelle. Louis y
promettait de n'appuyer en rien les prétentions d'Alphonse V de Portugal sur
la Castille, mais obtenait aussi que Ferdinand renonçât à toute alliance avec
les ennemis du royaume, et surtout avec Maximilien. Cet acte fut ratifié le
26 novembre. Le roi
en éprouva une vive satisfaction ; il l'annonça par lettres closes aux
bourgeois de Paris, les priant d'en rendre grâce à Dieu par des processions
générales, lesquelles eurent lieu de Notre-Dame à Sainte-Geneviève. Jean
d'Aragon étant mort à Barcelone le 19 janvier suivant, à quatre-vingt-deux
ans, la paix reçut de ce côté une nouvelle solidité. « Jusqu'à son dernier
jour, dit-on, il fut plein d'honneur et de témérité[25]. » Il est vrai que ses
perpétuelles attaques contre la France venaient en aide à la politique
bourguignonne ; mais n'est-ce pas lui qui, redevable de la couronne de
Navarre à son épouse, persécuta ensuite ses deux aînés, don Carlos et
Blanche, et les dépouilla de leur héritage maternel au profit de la comtesse
de Foix, sa fille cadette ? Il s'ensuivit, on le sait, de longs malheurs, qui
ont fait dire au même historien « que tous ces crimes ne firent qu'exciter
plus vivement à la révolte la Catalogne et le Roussillon ». Pour une
très-grosse somme ayant engagé la Cerdagne et le Roussillon, il ne fit tant
la guerre à la France que pour retirer ses deux provinces sans payer sa
dette. « Il
s'est obstiné quinze ans à vouloir arracher le gage : il est mort à la peine[26]. » Il est beau de mourir
pauvre, mais on n'est homme d'honneur qu'à la condition de tenir ses
engagements. C'est
ce que fit Louis XI, et les témoignages de confiance que souvent il reçut en
sont une preuve. Dans ce moment même il avait à pourvoir à la sécurité de la
Savoie. Sa sœur Yolande, duchesse douairière, était morte le 29 août ; alors
Philibert, son fils, n'avait que douze ans : la régence était difficile à
régler. Les trois oncles du jeune duc, Louis évêque de Genève, le sire de
Romont et Philippe de Bresse, désiraient chacun pour soi la tutelle ; ils
s'accordèrent cependant à s'en rapporter au roi[27]. C'était un juste hommage rendu
à la sagesse de Louis XI, qui déjà avait assuré, avec un si complet
désintéressement, la tranquillité du pays, hommage qui rappelle si bien celui
des barons anglais devant Louis IX. Cette fois encore il prévint bien des maux. Ayant
confié le jeune prince à Humbert de Groslée, bailli de Lyon, qui déjà en
avait été précédemment chargé, il nomme gouverneur de la Savoie et du Piémont
le comte de Chambre, lequel devait s'aider des conseils de l'évêque de
Genève. Mais, faute d'unité de vues et aussi d'une autorité bien précisée,
ces deux hommes ne purent s'entendre. La discorde se mit entre eux. Pour
concilier leurs pouvoirs le roi envoya successivement le comte de Dunois II,
oncle du jeune duc par sa femme, déjà si connu en ces contrées, puis Frédéric
de Tarente, et enfin Philippe de Comines, qui à son retour d'Italie dut
remplir là une mission de conciliation. Comme
les conflits de juridiction ne se calmaient pas, le roi se fit amener le duc
Philibert, lequel passa quelque temps à Bourges et à Tours ; puis il chargea
l'évêque d'Alby, Louis d'Amboise, dont il s'était déjà servi dans plusieurs
négociations délicates, notamment en Roussillon, et récemment en Bourgogne,
de le reconduire à Chambéry et de ry bien établir. On ne dit pas qu'en cela
il y ait eu de la part de Louis œuvre de séduction ou d'intérêt, mais on fait
observer « que le sire de Groslée était le pensionnaire du roi[28] ». Il fallait dire aussi
le digne serviteur de la France. Yolande
de France laissait trois filles : l'aînée venait d'épouser le prince de
Tarente ; les deux autres furent amenées en France par l'évêque de Genève,
leur oncle. Marie épousa Philippe de Neufchâtel et n'en eut qu'une fille, qui
transporta cette principauté dans la maison d'Orléans de Longueville. Loyse
fut mariée en 1479 à Hugues de Châlon, prince d'Orange : après la mort de
celui-ci, elle se fit religieuse et mourut en odeur de sainteté en 1503[29]. Elle ne saurait être confondue
avec la fille du duc dit Philippe sans Terre, qui épousa le comte d'Angoulême
et fut la mère de François Ier. Louis reçut ses nièces avec la même
générosité qu'il avait eue jadis pour ses belles-sœurs, ainsi que le prouve
une quittance de François Raguenau, commis par le roi pour payer la dépense
de Mademoiselle Loyse de Savoie et des siens. Il reconnaît avoir reçu à cet
effet, le 13 février, du trésorier général des finances, la somme de trois mille
livres tournois, environ cent vingt mille francs de nos jours. Cependant
rien ne se décidait en Italie au gré du roi ; il trace donc, le 28 novembre
1478, d'antres instructions encore plus précises pour une ambassade nouvelle,
qu'il adresse à Rome sous la conduite d'Antoine de Morlhon, président de
Toulouse. Figuraient là aussi Gui d'Arpajon, vicomte de Lautrec ; Jean
Barbier, professeur ès droits civil et canon ; Jean de Morlhon, avocat, frère
du président ; Jean de Voisin, chambellan du roi ; Jean de Corn-pain,
notaire, et d'autres. Comme il y avait guerre entre le roi de Naples uni à
Sixte IV, et les Florentins, d'une part, et de l'autre la seigneurie de
Venise, les ducs de Milan et de Ferrare, ils devaient proposer la médiation
de la France dans l'intérêt de la paix. Leurs instructions portaient qu'ils
eussent à se présenter comme interprètes du roi Très-Chrétien, pour concilier
et réunir les forces de la chrétienté contre l'invasion turque. « Ainsi
que ses progéniteurs se sont illustrés en protégeant la sainte Église, de
même le roi s'y veut employer de son corps et de ses biens, et avec ses
sujets travailler à la pacification de tous. » Ils insisteront sur
l'opportunité d'un concile dans les conjonctures actuelles, et indiqueront de
préférence Lyon pour lieu de convocation. Après avoir effleuré les affaires
d'Italie, ils arriveront à celles du clergé de France. Enfin toute
éventualité de guerre ou de paix étant prévue et discutée en cette note
diplomatique, il leur était enjoint, en cas de résistance, de se concerter
avec les ambassadeurs d'Angleterre dès leur arrivée à Rome. Passant
d'abord à Milan vers le 27 décembre 1478, les députés français y exposèrent
leur mission devant la duchesse et son conseil ; le 11 janvier ils sont à
Florence : là, en présence des Médicis et des grands de la Seigneurie, ils
tiennent le même langage et repartent le 16, accompagnés des vœux de tous.
Arrivés à Rome le 24 janvier 1470, Antoine de Morillon y remplit avec honneur
et dignité son importante mission. Mais, malgré son éloquence et la fermeté
de ses paroles, la réponse du pape sembla médiocrement pacifique. En cette
audience les ambassadeurs de l'empereur et de Maximilien témoignèrent de leur
constante hostilité contre la France. Toutefois le président Morihon sut
alors, avec une remarquable fermeté, protester contre le titre de duc de
Bourgogne par la grâce de Dieu, que les députés de l'archiduc osèrent, sous
ses yeux, donner à leur maître. Il en fit autant, fin d'avril, contre l'acte
d'indépendance temporelle que le Génois Campo Frégose unissait à l'obéissance
spirituelle envoyée par des ambassadeurs au Vatican ; acte évidemment
contraire à l'autorité du roi. Enfin, après de longs débats, que la
libéralité du roi envers le cardinal de la Rovère récemment pourvu de
l'évêché de Mende et envers Galéas, autre neveu du pape, gratifié de celui
d'Agen, ne semble guère avoir adoucis, le pape convint, le 2 juin 1479, de
s'en remettre à l'arbitrage des rois de France et d'Angleterre. L'assemblée
de Lyon eut réellement lieu, non en mai, mais au mois de septembre suivant,
sans avoir toutefois la solennité d'un concile. Le soin
de tant de négociations diverses, tout en altérant peut-être la santé du roi,
ne l'empêchait point de veiller au progrès de l'administration intérieure.
L'organisation militaire surtout l'occupait sans cesse. Par l'usage des armes
à feu, qu'on dirige bien mieux à pied qu'à cheval, l'infanterie et
l'artillerie devaient devenir le nerf de l'armée. Un des premiers Louis s'en
était aperçu à Bottelen ; les grandes luttes de Granson, de Morat et de Nancy
l'avaient confirmé en cette pensée. On sait déjà tout ce qu'il avait fait
pour améliorer l'artillerie, cette force nouvelle. On ne peut voir sans
étonnement la hardiesse des épreuves qu'il tenta. Cette année même 1478, il
fit fondre à Tours une énorme bombarde. « Pour l'éprouver, dit la
chronique, elle fut acculée aux champs devant la Bastille, la gueule dirigée
vers la campagne, le lundi avant les Rois ; et ayant été chargée, la pierre
d'icelle porta de volée jusqu'au pont de Charenton. » On voulut tenter
un second coup ; déjà elle était chargée et on y introduisait un gros boulet
de fer de cinq cents livres, lorsqu'au moment où le fondeur, nommé Maugué,
aidait à l'opération et était devant la gueule, elle partit subitement. Le
malheureux fondeur fut mis en pièces et plusieurs autres moururent de leurs
blessures. On fit à Maugué d'honorables funérailles à Saint-Méry, et on cria
dans les carrefours de Paris « de prier pour lui, parce qu'il était mort
dignement au service du roi ». Ainsi le dévouement d'un humble artisan était
alors honoré comme il le méritait. Pour
compléter le service de l'artillerie Louis XI voulut qu'il y eût dans son
armée deux mille cinq cents pionniers, et qu'en outre quinze cents hommes,
prêts à combattre à pied ou montés, fussent attachés au camp et aux bagages.
Telle est l'origine du génie militaire. Mais l'infanterie surtout demandait
de sérieuses réformes. Tout en indiquant ce que pouvait et devait être
l'armée française, le roi tenait en même temps à supprimer tout à fait ce que
les campagnes avaient encore à souffrir du retour annuel des soldats dans leur
pays. Son ordonnance du 30 mars 1475 avait incomplètement réussi à
discipliner les francs-archers. Il existait parmi eux des traditions de
pillerie et de désordre qu'on n'avait pu entièrement extirper. S'ils furent
victorieux à Formigny et à Castillon, c'est qu'à cette époque, il faut le
dire, l'Angleterre était déchirée et affaiblie par une cruelle guerre civile.
Depuis il y avait eu décadence, et leur indiscipline s'en était accrue. «
Bientôt on allait en avoir un fatal exemple. Alors, dit Monstrelet, que
pouvaient les pauvres laboureurs contre les maux qu'ils souffraient, sinon
crier misérablement vengeance à Dieu, leur créateur ? » Quand on prétend[30] que, par l'ordonnance de
Charles VII, justice était faite des désordres des campagnes, c'est une
erreur. Les compagnies armées échappaient presque toujours à la justice
locale ; c'est pourquoi Louis avait remis cette juridiction au prévôt des
maréchaux et à ses commis, comme affaire de discipline. Ainsi, 'au lieu
d'assurer aux pillards l'impunité, comme on a osé le dire[31], il attira ces crimes odieux
sous le coup d'une vraie et très-efficace répression. Cependant
les abus persistaient. ; Louis XI supprima donc peu à peu les francs-archers
qui n'existaient que depuis trente-cinq ans, et y substitua des Suisses, dont
il connaissait la vigueur, l'adresse et la solidité. Ce fut là le noyau de
notre véritable armée. D'abord nos émules, ils furent bientôt surpassés. Le
roi incorpora donc à ses vingt mille hommes d'infanterie sept ou huit mille
Suisses qu'il tenait de messieurs des ligues, et en outre beaucoup de
volontaires de leur pays. Il leur donnait par mois et par homme quatre
florins et demi d'Allemagne. Le roi était de parole ; il payait bien, et on
le savait. Il avait cet avantage sur Maximilien et sur le prince d'Orange. On
venait donc à lui. Vétérans pour la plupart, les Suisses lui donnaient
d'excellents cadres pour composer une bonne infanterie. Non pas qu'il crût
que pour un tel service on dût se fier exclusivement à des étrangers ; mais
c'était une arme à créer, et il y réussit par ce moyen. Cela n'empêchera pas
de dire qu'il « désarma la France[32] », tant on s'est égaré sur
l'interprétation de ses actes Pour
chaque homme appelé à remplacer les francs-archers, les communes chargées de
leur équipement furent taxées de quatre livres dix sous par mois et par
cinquante feux. C'est avec cet argent que le roi transforma son armée ; mais
il fallut du temps. D'ailleurs « Louis XI ne se contenta pas d'établir
la discipline ; il voulut assurer le sort des soldats devenus vieux et
infirmes : il ordonna de les placer dans des garnisons et de leur assurer le
quart de la solde dont ils jouissaient lors de leur retraite. Ces soldats
au-quinzième siècle s'appelaient de petite paie[33]. » Mais affirmer, comme
l'avance l'auteur déjà cité, que « les roturiers seuls contribuaient à
la levée des gens de guerre, » c'est risquer d'être inexact. Si Louis XI
avait contre lui la haute aristocratie, la petite noblesse était pour lui. A
chaque levée d'hommes on publiait en cri public que « tous ceux en état
de porter les armes, nobles ou non nobles », eussent à se trouver en un
lieu déterminé. Les nobles dauphinois qui avaient succombé à la bataille de
Montlhéry, on s'en souvient, furent longtemps honorés pour ce fait d'armes.
Les nobles concouraient donc au recrutement. Ce qu'il y avait de meilleur en
cette institution des francs-archers, c'est que, pour cette espèce de
landwehr, le seigneur n'y était pour rien : le sort même n'en décidait pas. Les
officiers du roi choisissaient entre les hommes valides et tous libres. Qu'on
ne dise pas, non plus, quo les soldats se battaient alors pour des motifs
personnels aux rois[34]. Les rois n'avaient d'intérêts
que ceux de la nation dont ils étaient la personnification. Louis XI surtout
n'eut jamais d'autres vues que la grandeur et la prospérité de la France ;
ici même il en donnait une nouvelle preuve. Aussi le même auteur ne peut
s'empêcher d'ajouter : « Il ne faut pas le blâmer à la légère ; il lui
fallait une armée prête à marcher au premier signal, pour prévenir tant
d'ennemis dont il était entouré et qui guettaient le moment opportun de
l'attaquer... A cause de l'influence de la féodalité, plus d'un siècle
s'écoulera avant qu'une armée nationale puisse exister. » Par le
fait des progrès de l'artillerie et de la transformation des troupes à pied,
la tactique allait être profondément modifiée. La cavalerie dut à son tour
présenter une force plus homogène et se rapprocher ainsi de la cavalerie
romaine. Déjà, en 1464, le roi avait réglementé la gendarmerie[35]. Jusque-là il y avait eu des
règlements officiels, mais rien ou presque rien de plus. En 1478, Louis
supprima dix des compagnies d'hommes d'armes que Charles VII avait formées ;
et non-seulement il maintint l'ordonnance de Creil (1473) qui réduisait à six le nombre
des chevaux de chaque lance, mais il autorisa les gentilshommes de
l'arrière-ban à se dispenser du service pour une certaine somme ; mesure un
peu fiscale peut-être, mais encore d'une bien plus haute portée. Le
service militaire, en effet, cessant ainsi d'être obligatoire pour les
nobles, la noblesse cessa dès lors d'être un privilège pour servir dans la
cavalerie, et pour prétendre au commandement. Les gentilshommes seront
toujours les bienvenus dans l'armée, mais les roturiers aussi, et pour y
servir avec distinction le titre ne sera plus un droit exclusif. Qui ne sera
pas noble de race pourra y trouver la noblesse personnelle et même héréditaire.
C'est ainsi que Louis XI préparait les idées d'émulation, de justice et
d'égalité qui ne devaient se promulguer hautement que trois siècles après
lui. Mais
cette réforme de dix compagnies de cent lances amenait autant de suppressions
de commandements. Plusieurs des meilleurs officiers se trouvèrent ainsi
privés de leur emploi. Le grand maître Dammartin fut atteint un des premiers
par cette mesure. On a soupçonné qu'il avait été alors desservi par le sire
du Lude, avec lequel il n'était pas en très-bonne intelligence. La chose est
peu croyable. Dammartin avait soixante-huit ans, et voici en quels termes le
roi lui écrit : « Monsieur le grand maistre, pour ce que je sais la peine et
service qu'avez toujours portés tant envers feu mon père que moi, j'ai avisé,
pour vous soulager, de ne plus vous faire homme de guerre, nonobstant que je
sais bien que je n'ai homme en mon royaume qui entende mieux le fait de la
guerre que vous, et où gist plus ma confiance. S'il me venoit quelque grande
affaire je aurois recours à vous, et aussi l'ai-je dit à Pierre Clairet pour
vous le dire. Et touchant votre état, je ne vous l'ôterai jamais, ou plutôt
vous le croîtrai. Et aussi n'oublierai jamais les grands services que m'avez
faits, avec quelque homme qui en veuille parler. — Tours, 1er novembre 1478[36]. » La
réponse de Dammartin, datée de Sainte-Morise, 42 novembre, tout en exprimant
un vif regret, est un acte de profonde obéissance. Le roi, satisfait, lui
conserva en effet ses charges et pensions qui se montaient à vingt mille
livres, somme énorme alors. Plus tard Louis le fit encore lieutenant général
pour Paris et l'Ile-de-France[37]. Les sires de Craon et de
Poisieu, aussi compris dans la réforme, ne firent non plus entendre aucune
plainte ; mais d'autres capitaines furent moins discrets. On cite parmi eux
de Mouy, de Balzac et d'Oriole, gentilhomme gascon. Quelques-uns allèrent jusqu'à
dire qu'ils allaient prendre du service auprès de Maximilien. On vit là une
grave atteinte à la discipline militaire. Ils furent enfermés : Mouy, s'étant
justifié, recouvra sa liberté ; Balzac aussi et d'autres encore. Toutefois
Pierre d'Oriole et son lieutenant furent jugés à Tours ; reconnus coupables
de lèse-majesté, ils y sont exécutés le 48 mars 1478(9). L'exécuteur Denis Cousin eut
l'ordre, regrettable à tous égards, d'exposer leurs têtes et leurs membres
aux portes d'Arras et de Béthune. Déjà, six mois avant, on avait exécuté
Simon Courtois : cet homme, que Louis XI avait fait son procureur général
dans l'Artois, profita de la trêve pour aller, au mépris de ses serments,
offrir ses services au duc et à la duchesse Marie. A son retour il avait été saisi,
mené à Tours, convaincu par ses propres aveux, et décapité en novembre 1478. Bien
que la mauvaise foi du duc Maximilien pût en quelque sorte justifier ces
rigueurs, nous ne saurions les approuver ; mais elles ne peuvent être
imputées à la défiance, comme on s'est plu à le redire. Comment accuser Louis
XI d'être soupçonneux et méfiant, lui qui confia les plus hautes dignités à
ses anciens adversaires ? Plus souvent, au contraire, on le voit trompé pour
s'être fié trop aisément, comme à Péronne, à Pecquigny et tout récemment à
Bouvines. Même pour la garde de sa personne on ne le trouve pas plus
circonspect ; et lorsqu'en 1480 il formera outre les Écossais une autre
compagnie de gardes, il en donnera le commandement à Claude, sire de la
Châtre. C'était un ancien serviteur de son frère, le duc de Guienne, et il
avait même été enfermé par son ordre lorsqu'on fit une enquête. « Voulez-vous
me servir « aussi bien que vous avez servi mon frère ? » lui dit le roi ; et
sur sa réponse affirmative, il le nomma capitaine de ses gardes. En ce
moment même les habitants de Tournay, qui avaient consenti à pactiser avec
Maximilien, n'éprouvèrent aucunes sévérités ; comme ils reconnaissaient leur
faute et que leur présence au milieu de pays ennemis leur était une excuse,
ils obtinrent le 29 janvier des lettres d'abolition fondées sur les pertes et
violences qu'ils avaient indûment souffertes, malgré la trêve qui les
couvrait. D'ailleurs
des deux côtés on songeait à la reprise des hostilités : en Flandre les
préparatifs de guerre se faisaient ouvertement. La question fut même,
parait-il, publiquement agitée aux états de Termonde. A peine y écouta-t-on
ceux qui parlèrent d'accommodement avec la France. Les hommes et l'argent
demandés par l'archiduc lui furent accordés. Tant de sacrifices depuis si
longtemps imposés aux Flamands pour de folles entreprises avaient vidé les
coffres. Il fallut créer de nouveaux impôts. On établit donc la gabelle sur
la petite bière. Cette
mesure provoqua le soulèvement des corporations. Les gouverneurs et les
doyens des métiers durent recourir à la force armée. A Gand on se battit avec
acharnement et il resta plusieurs morts sur la place. Les mutins s'étant
réfugiés dans une chapelle y furent pris. Là étaient surtout les forgerons,
les tisserands et les tapissiers. Une dizaine des plus coupables furent
décapités, d'autres emprisonnés ou bannis. En résumé, force resta au fisc, et
la gabelle fut maintenue. Mais on ne résiste pas ainsi aux moyens de faire la
guerre lorsqu'elle est populaire nu entreprise pour un juste motif. La
trêve, qui devait durer jusqu'au II juillet, fut rompue bien avant, par
surprise : serait-ce par Louis XI,' qui avait tout cédé en vue de la paix ?
Nullement. Dès le 20 avril, dans le château de Selles, voisin de Cambray,
château que les Français et les Flamands étaient convenus de garder ensemble,
les nôtres, qui ne se doutaient de rien, furent surpris et jetés en un cachot
souterrain par le sire de Fouqueroles, chef des Bourguignons, rentré
clandestinement avec des hommes d'armes de renfort. Aux représentations que
lui firent les gens de Cambray le sire de Fouqueroles ne prit même pas garde
; il leur dit qu'il n'avait agi que par l'ordre de l'archiduc et que dès le
lendemain ils auraient eux-mêmes une garnison bourguignonne, ce qui, en
effet, arriva. Cependant les Français furent renvoyés en leur pays. Déjà
d'autres infractions avaient été arrangées par les conservateurs de la trêve
; mais celle-ci devint un signal de guerre sur toute la ligne. Philippe
de Ravestein et d'autres seigneurs, qui dirigeaient les forces de Flandre,
s'emparèrent à l'improviste d'un petit nombre de châteaux dont les garnisons,
trop faibles et prises au dépourvu, ne pouvaient tenter de résister. Voici
cependant ce qui se passa à Bohain. Dix-huit soldats français, cernés dans la
place, essayèrent de se défendre : sept périrent les armes à la main ; les
autres furent pris et pendus pour avoir refusé de se rendre ! Alors le
frère du connétable, Jacques de Saint-Pol, qui servait Louis XI, se vit
obligé de remettre Beaurevoir à son neveu Jean de Luxembourg, lieutenant de
Maximilien. Étrange guerre, où les plus nobles maisons luttaient
simultanément des deux parts. Ainsi Philippe de Bresse suivait le parti du
roi ; le comte de Romont, son frère, celui de Flandre. Il en était de même du
vieux Salazart et de son fils. Louis,
toujours attentif à mettre le bon droit de son côté, envoya sur-le-champ un
héraut à Maximilien pour se plaindre hautement de la violation de la trêve.
Il remontra toutes les infractions qui y avaient été faites malgré ses soins
à l'observer lui-même : juste protestation qui pouvait encore ouvrir la voie
à une conciliation et à laquelle il ne fut rien répondu. Les
Flamands avaient fait de rapides progrès : bientôt ce torrent trouva une
digue. L'armée française de Flandre, prise ainsi à l'improviste, n'était plus
conduite par le comte de Dammartin : on dut alors le regretter. A sa tête
était Pierre de Rohan, maréchal de Gié, et Philippe de Crèvecœur, sire de
Querdes. Ceux-ci ayant réuni à la hâte huit cents lances et quelques hommes
de pied, marchèrent aux Flamands, les forcèrent à reculer. Cette armée du
nord, un peu affaiblie pour renforcer celle de Bourgogne, n'était point en
état de reprendre l'offensive. Toutefois elle attaqua Douai. Là commandaient
les sires de Fiennes, de Romont et de Chantereine. Garnison, murailles et
artillerie, tout y était en fort bon état. Douai resta donc aux Flamands.
Essaya-t-on de la prendre par surprise[38] et le projet échoua-t-il par le
fait d'un message des gens d'Arras, révélant à la garnison l'approche des
Français ? Cela se pourrait, bien que le voisinage de Lille et l'importance
de la place rendissent cette supposition peu vraisemblable. Mais
Louis XI, à n'en pas douter, était fatigué de l'opposition systématique de
cette ville d'Arras à son gouvernement. Depuis leur annexion à la couronne
comme apanage en 1477, jamais les habitants d'Arras n'avaient cessé de
protester, même de conspirer contre leur annexion à la France. Après avoir en
vain essayé la douceur et la force, après la violation de tant de promesses
et de serments de fidélité, Louis, irrité d'une telle obstination, s'arrêta
au plus mauvais parti. Il répara les anciennes fortifications ; il fit élever
deux châteaux, l'un dans la cité, l'autre dans la ville, et ayant issue vers
Douai ; puis, pour éviter à l'avenir toute sédition, « il fit chasser les
manants et habitants de la ville et la repopula de la nation de Normandie,
étrangers et autres, qui s'y amassèrent pour en user comme si ce fût leur
propre héritage[39]. » Il crut ainsi y appeler
un esprit nouveau. Il substitua même au nom d'Arras celui de Franchise. Mais
les mots sont plus vivaces que les murs : Arras a gardé son nom, comme plus
tard Lyon est resté Lyon. Nous ne
déplorerons jamais assez ces exécutions en masses, où les plus paisibles
citoyens sont toujours le plus punis. Une peine collective est nécessairement
injuste. Celui qui fortifiait partout les franchises municipales, et se
montrait en tout si supérieur à son siècle, aurait dû résister à ces maximes
vulgaires d'intimidation et ne point imiter, même de loin, la cruauté des
ducs de Bourgogne envers Dinant, Liège et Nesle. Le roi crut faire un
exemple, il commit une faute. Nous désirons trop que justice lui soit rendue,
pour ne pas reconnaître un tort, fût-il dû à son siècle. Ainsi,
le 19 mai 1479, le roi prononça comme expédient militaire le bannissement des
archers et arbalétriers d'Arras ; et le 3 juillet suivant il fit congédier,
assure-t-on, tous les religieux de Saint-Waast, lesquels ne rentrèrent qu'à
la paix de 1482. Tous les anciens habitants furent dispersés aux quatre vents
du ciel et leurs biens confisqués. Mais la ruche restait ; l'amour du sol
natal y fit revenir beaucoup de ces malheureux fugitifs. Ce fut certes une
des tristesses de cette époque. Les nouveaux venus devaient recevoir cinq
cents écus avancés par les villes d'où ils venaient, et trouver en arrivant
une installation convenable. Un semblable édit, dont Comines cherche
d'ailleurs à imputer « la coulpe » au sire du Lude, ne s'exécuta pas sur
l'heure. En vain on soutint cette colonie en y établissant une manufacture de
draps, au moyen d'un impôt d'un écu sur le muid de sel mis en divers pays ;
la ville restait déserte, et le 10 juillet 1480 on enjoignait encore au
sénéchal de Toulouse « de faire incessamment- partir ceux de cette
sénéchaussée qui avaient été nommés pour la population de Franchise, et en
particulier six ménages de gens de métiers et deux de gros marchands, que la
ville de Toulouse devait encore fournir[40]. » Enfin le roi, mettant
en cela la ténacité qu'il avait aux choses justes, fit un long règlement, en
soixante-deux articles[41], contenant toutes sortes de
privilèges en faveur de cette nouvelle ville, règlement qui fut contresigné à
Chartres, en juillet 1481, des sires de Beaujeu, du Lude et de Querdes. De tous
côtés la guerre était rallumée : sur les confins de la Lorraine, Virton étant
occupé par les Français, Maximilien le fit attaquer par les sires de Chimay,
de Luxembourg et Guillaume de la Mark, dit le Sanglier, à la tête de dix
mille hommes. La garnison peu nombreuse capitula le 27 juin. Mais en
Bourgogne il en était tout autrement. Dès le retour de son héraut mal
accueilli par l'archiduc, Louis XI avait fait marcher en avant Charles
d'Amboise, son lieutenant en Bourgogne, à la tête d'une belle armée :
celui-ci entra donc en Franche-Comté au commencement de mai ; il y fit preuve
de prudence et d'énergie. S'étant d'abord emparé de tous les châteaux autour
de Dôle, il n'investit cette place qu'après plusieurs faits d'armes, et
quelques embuscades qui avaient fort bien réussi. Avec le
temps les résistances s'étaient affaiblies et découragées. On commençait à
sentir le désavantage de relever d'une puissance lointaine et lente à
soutenir le pays ; si bien que cette répulsion, inspirée par les chefs
bourguignons, diminuait insensiblement. Le prince d'Orange ne pouvait tenir
ses promesses et son influence s'en trouvait amoindrie. Chaque jour aussi ce
parti comptait moins de Suisses dans ses rangs, tandis qu'ils venaient en
foule grossir l'armée française. A Dôle, la défense ayant voulu remplacer les
Suisses par des Alsaciens, ceux-ci, secrètement gagnés, ne furent pas plutôt
entrés dans la ville, qu'ils crièrent : « Vive la France ! » Les plus
ardents Bourguignons, trahis par leurs défenseurs, se battirent sur la place
publique même. A la faveur de ce désordre assiégeants et assiégés entrèrent pêle-mêle
dans la place, en sorte qu'elle parut avoir été prise d'assaut. Il s'ensuivit
un affreux carnage ; l'incendie se joignit au pillage : les habitants
s'enfuirent ou cherchèrent un refuge dans les églises. On rançonna les
prisonniers et les plus notables furent conduits au roi. Une fois la capitale
prise, car Besançon était ville libre sous l'administration de son
archevêque, la soumission de la Comté fut bientôt complète. Toutes les villes
se rendirent successivement. Le prince d'Orange se trouva abandonné de tous.
Le sire de Château-Guyon, son oncle, offrit même au roi de le servir, et fut
un des premiers à rendre Poligny. Après quelques velléités de se défendre,
Auxonne capitula à de bonnes conditions. Les habitants durent conserver leurs
franchises ; il fut dit notamment qu'Antoine de Roussille, seigneur de
Savigny, posséderait paisiblement ses terres, pourvu qu'il demeurât au
service du roi, et que les veuves de Chaumergis et Thierry de Charmes
jouiraient-de leurs biens dans le duché et dans la Comté. Le sire de Chaumont
jura ces conditions le 4 juin, et le 6 Ferry de Clugny prêtait, au nom de la
ville, serment de fidélité au roi envers et contre tous, y compris le duc
Maximilien. Le château de Joux fut même vendu au roi 14.000 écus par le
seigneur d'Arban[42]. Besançon,
ancienne ville impériale, avait ses privilèges particuliers et un
gouvernement à part. On usa des plus grands Ménagements envers elle et envers
son archevêque. Le 3 juillet 1479 il fut convenu avec le gouverneur général
que le roi entrerait en pariage avec le prélat ; que la ville conserverait
tous ses privilèges et serait gardée par le roi au même titre qu'elle l'était
sous les ducs. Les articles ayant été soumis à l'examen du chancelier et du
sire du Lude, Louis XI ratifia à Nemours, le 8 juillet, cette convention que
lui apportèrent les notables présidés par Henri de Neufchâtel,
prêtre-chanoine de la cathédrale. Il fit ensuite bien davantage. Il augmenta
les immunités du clergé ; institua en cette ville l'université qui était
auparavant à Dôle et donna aux habitants, dans les marchés et dans les
foires, tous les avantages assurés aux Parisiens. Ses lettres de mars 1480
les autorisent à tenir tous fiefs et toutes dignités en tous pays de France,
à n'être point assujettis au droit d'aubaine : nobles ou non nobles, la
naturalité française leur est accordée, et ils n'auront point à plaider hors
de chez eux. Louis porta la délicatesse jusqu'à excuser l'archevêque, Charles
de Neufchâtel, dans l'ordonnance même de mars tin qui accordait à ce prélat
entière abolition pour plusieurs voyages qu'il avait faits en Suisse et en
Allemagne pour la défense de la Comté ; le déclarant non coupable envers lui,
puisqu'il ne lui avait point juré féauté. Le
duché et la Comté étant enfin soumis, Louis désira visiter ses nouvelles
provinces. Passant d'abord par Notre-Dame de la Victoire, il traverse la
Champagne, Langres, et entre à Dijon. Le 31 juillet il y eut en l'église de
Sainte-Bénigne une imposante cérémonie. Là, le roi reçut solennellement le
serment de fidélité des Bourguignons ; et lui-même, la main sur les
Évangiles, jura de respecter leurs droits et leurs franchises. Pendant le peu
de jours qu'il resta dans cette capitale du duché, il régla les plus
importantes affaires du pays, s'appliqua à y fonder solidement son autorité,
et n'y promulgua que des édits confirmatifs des libertés acquises en faveur
de Mâcon et autres villes. Que
dire des prétendues relations de Louis XI avec la dame de Chaumergis à Dijon
? insinuations ridicules et évidemment inspirées par la jalousie, à cause des
concessions faites à cette dame dans la capitulation d'Auxonne par le
gouverneur Charles d'Amboise. Il en est de cette fable comme de celles de
Perette à Péronne, des deux Lyonnaises que le roi aurait si fort pris en gré
lors de son séjour à Lyon, et de l'emprunt équivoque fait à Arras. Ce ne sont
que de méchants propos dont les conteurs bourguignons exclusivement se sont
plu à égayer leurs chroniques, et que la voix sévère de l'histoire ne
relèverait pas s'ils n'avaient été répétés si souvent comme authentiques. Ne
pouvant l'atteindre en son intérieur irréprochable, ses adversaires l'ont
accusé en ses absences ; mais les hommes graves qui ont vécu dans l'intimité
royale[43] affirment positivement que
Louis XI, depuis son second mariage et surtout depuis la mort de son premier
fils Joachim, a été fidèle à sa parole conjugale. Jamais il n'imposa à son
épouse les humiliations que souffrit sa vertueuse mère Marie d'Anjou. Les
soins continuels qu'il ne cessait d'apporter aux affaires du royaume
suffiraient à le justifier de ces grossières impostures. Un esprit si
exclusivement passionné pour l'accomplissement de ses devoirs d'état ne sera
jamais livré à de honteuses frivolités. C'est par là surtout qu'il se
distingua de son père et d'un grand nombre de ses successeurs, et qu'il
mérita de gagner à sa cause de si nombreux serviteurs. Non-seulement le roi
accueillait ceux qui consentaient à le servir, mais il engageait ses adversaires
à venir à lui par ses bons offices envers leurs devanciers. Claude de
Vauldrey était mort de ses blessures ; Guillaume, son frère, avait fini par
passer aussi au service de la France avec bien d'autres seigneurs du duché et
de la Comté. Parmi eux on cite le sire de la Guiche, naguère renfermé au
château de Blois ; le sire de Vergy, lequel, pris devant Arras, était resté
deux ans prisonnier, et Antoine de Bussy Lameth, le fils même de celui qui,
la veille de la guerre du bien publie, s'était chargé de tant de messages
entre les ducs de Bourgogne et de Bretagne et concourut à resserrer leur
alliance : ce dernier vint également à Louis XI qui le combla de biens. Ce
sont là des preuves notables que le roi savait oublier le passé. Mais,
dit-on, ces succès étaient dus à son or[44] ! Ses trésors étaient-ils
donc inépuisables ? Comment, avec un budget de 4.000.000 de livres, environ
160.000.000 de notre monnaie, eût-il pu faire tant de choses, lorsqu'on avoue[45] que Louis XII, en huit mois
d'une seule année, a dépensé 3.000.000 de livres tournois pour ses deux
guerres de Naples et d'Aragon ? Si pour des résultats autrement profitables,
Louis XI s'est contenté de ses ressources, c'est qu'il ne prenait rien pour lui.
Ainsi, lorsque le cardinal Mendoça, ministre de Castille, Palamède de Forbin,
ministre du roi René, et La Vacquerie, sans parler de tant d'autres, viennent
successivement à lui, comment supposer sans les calomnier qu'ils n'aient eu
d'autre mobile que l'intérêt ? Parmi des ministres sages et dévoués, tels que
les évêques d'Alby, d'Elne et de Lombez, n'y en eut-il point de vraiment
désintéressés ? Louis d'Amboise, par exemple, qu'on a si justement appelé le
bon évêque, et qu'il fallut relever de son vœu de ne jamais approcher de la
cour, fut le bras droit du roi ; il le servit par affection, et il semble
bien difficile d'accuser d'un sordide intérêt l'homme généreux qui déclara en
mourant que tout ce qu'il avait, sauf ses livres qu'il léguait à son église, était
le domaine des pauvres ! D'ailleurs, en examinant les serviteurs les plus
infinies de la cour de Bourgogne, tous n'étaient pas sans reproches à cet
endroit. Lorsqu'en passant à Beaune on fit remarquer à Louis XI l'hôpital que
Nicolas Raulin, l'ancien chancelier bourguignon et grand concussionnaire de
profession[46], y avait fondé : « Ayant fait
tant de pauvres durant sa vie, il étoit juste qu'il leur bastît un asyle
après sa mort, » répondit le roi. Mot piquant qui dit assez l'estime qu'il
faisait de l'intégrité et de la délicatesse. Au
milieu de ses sollicitudes administratives on ne le vit jamais omettre de
récompenser royalement., dans l'ordre civil comme dans les fonctions
militaires, ceux qui lui avaient pu rendre quelques services, en leur
accordant des pensions ou des concessions de droits et de seigneuries. On
sait tout ce qu'il fit pour les sires du Bouchage, de Lescun, l'évêque d'Alby,
Guyot Pot, Guillaume Cousinot, Philippe de Comines, et aussi pour le grand
maître comte de Dammartin, les maréchaux de Lohéac et de Gié, les sires de
Craon, Charles d'Amboise, du Lude, du Lau et beaucoup d'autres ; il faut
attribuer à la même intention les lettres de légitimation en faveur du bâtard
de Jean de Nevers, duc de Brabant et comte de Nivernais. C'est ainsi qu'en
juillet 1478 il fait don à Antoine, bâtard de Bourgogne, du comté de Grandpré
et de Château-Thierry, et en 1480, à Jean de Neufchâtel, du comté de Joigny
en Champagne confisqué sur le prince d'Orange. Cette même année, pour
complaire à Hugues d'Amboise, il crée un marché au bourg d'Aubijoux, et pour
rendre à Hugues de Châlon, époux de Loyse de Savoie, certaines confiscations,
il donne en échange à Dunois II les châtellenies de Montalquier, Mirebel et
autres. On peut
même dire que plusieurs de ses meilleurs serviteurs « ne sont guère
aujourd'hui connus que par les dons qu'il leur a faits[47] » ; tels sont Arnaud de
Durfort, baron de Bajaumont, chevalier et chambellan, lieutenant de la
compagnie d'ordonnance du comte de Dammartin, ainsi que le chevalier Jean de
Crevant, lequel, après avoir fort bien servi Charles VII aux sièges de
Gerberoy, de Louviers, de Damville, sous les ordres de Dunois, de
Saintrailles et du bâtard d'Armagnac, est qualifié de chambellan par lettres
du 10 mars 1481 et reçoit en don la châtellenie de Bouffon, près Sablé, et
encore Louis, seigneur de Bournonville qui, après de beaux faits d'armes sous
les ducs Philippe et Charles, passa dès la mort de ce dernier sous
l'obéissance de Louis XI, continuant d'être comme auparavant gouverneur
d'Abbeville et des places de la Somme, avec le titre de conseiller du roi et
de gentilhomme de sa chambre, et tant d'autres que nous pourrions citer. Bien
différent de son père, Louis eût cru manquer aux plus grands intérêts du
royaume, s'il eût laissé un bon office sans récompense, nobles sentiments qui
ne.se rencontrent jamais dans les cœurs abaissés. Il fait plus : il veille à
l'entier accomplissement de ses promesses, et si quelques-uns de ses dons
tardent trop à être enregistrés, il en écrit incessamment à Messieurs du
parlement et des comptes, comme il fit de Vitry, 23 juin ; 1479, en faveur de
maitre Chauvin, chancelier de Bretagne, et le 30 du même mois pour le sire de
Lenoncourt. Dans
cette répartition des biens dont il dispose a-t-il négligé les princes de son
sang ? Nullement. Alors même, pour cimenter le récent mariage de Louis de
Joyeuse et de Jeanne de Bourbon, fille du comte de Vendôme, par lettres de
Selommes, 27 avril 1479, il leur garantit la terre de La Roche-sur-Yon et ses
dépendances contre toutes prétentions rivales. Louis XI leur avait promis
deux mille livres de rentes ; il leur donne en engagement le comté de
Chartres ; toutefois, le 11 juin 1483, pour retirer entièrement à lui
Chartres et les péages de Beaucaire, il donne en échange à Louis de Joyeuse
la seigneurie de Capdenac en Rouergue. Mais
nous renonçons surtout à mentionner tous ses actes de rémissions ou
d'abolitions particulières et souvent collectives, actes si nombreux que,
malgré les exemples de sévérité où la justice du parlement a dû intervenir,
on peut dire qu'il a passé sa vie à abolir et à pardonner. Citons cependant
l'abolition accordée le 25 février 1477 à Guy d'Arpajon, vicomte de Lautrec,
pour avoir suivi en 1465 le parti bourguignon, lequel fut l'année suivante
député en Italie pour l'affaire des Florentins ; la grâce octroyée à Jacques
de Lomagne en octobre 1478, et l'abolition donnée en janvier 147$ à un
gentilhomme mâconnais, appelé Liebaut de Lugny, qui avait suivi le duc
d'Autriche. Un autre, nommé Charles de Merlo, avait livré en pleine guerre
aux Bourguignons le château de Vendenon en Champagne ; pour ce fait il avait
été pris par le sire de Beauharnais, alors prévôt des maréchaux, et était
resté enfermé plusieurs années : il reçut sa grâce du roi par lettres du
Plessis, de mars 1478(9). Toutefois
tout. n'est pas irréprochable et digne de louange en ces actes de générosité.
Souvent, en effet, des biens confisqués par suite de jugements politiques
servirent à Louis XI à gratifier ses serviteurs. C'est ainsi que les
confiscations de Charles de Melun, du connétable de Saint-Pol, du comte
d'Armagnac et du duc de Nemours ont enrichi Antoine de Chabannes et les
autres chefs de ses armées. En cela, il ne faut pas l'oublier, le roi suivait
les exemples de ses prédécesseurs immédiats. Cet usage était triste, sans
doute ; il eût certes été préférable qu'il y renonçât, comme il a fait en
maintes autres occasions ; mais s'il est entré dans cette voie, la faute en
est évidemment moins à lui qu'à son siècle. A cette
époque de 1479, ne l'oublions pas, il n'y avait pas vingt "ans que, sur
des témoignages équivoques, les derniers Vaudois avaient été brûlés à Arras,
et que ces scandaleuses procédures, après être longtemps restées pendantes
devant le parlement, étaient venues s'y éteindre. Alors fortune, honneur,
existence, on perdait tout sur la parole d'un malheureux torturé, et cela
sous les yeux de magistrats tels que La Vacquerie. En 1393 on avait brûlé en
Dauphiné deux cent cinquante hérétiques[48]. Et comment s'en étonner quand,
au dix-septième siècle, on brûlait encore le curé de Loudun, Urbain Grandier,
pour cause de sortilèges et maléfices ? Avouons qu'il y a là de quoi humilier
la raison humaine. Mais nous qui partageons, à notre insu, les erreurs de
notre temps, ne soyons pas trop prompts à blâmer les hommes qui furent de
leur siècle. Un tyran eût trouvé là, sous sa main, un instrument d'oppression
fort commode. Louis XI ne s'en est jamais servi contre ses ennemis, alors que
tout moyen de lui nuire leur était bon. Cependant ses contemporains Jean II
d'Aragon et Édouard IV d'Angleterre ne se firent pas faute d'en user,
celui-ci contre son frère, celui-là contre ses enfants du premier lit. Le
sens droit dont le roi était doué ne put être altéré par l'esprit de parti. H
porta même si loin certaines délicatesses qu'en septembre 1477 il sanctionna
une grâce accordée par Jean de Châlon, sût que ce seigneur l'eût trahi. Quoi
de plus équitable que cet échange du Boulonnais en faveur de la maison de la
Tour-d'Auvergne, qui avait cessé d'en jouir, pour la seigneurie du Lauragais
qu'il donna avec une pension considérable ? Il faut
bien remarquer, d'ailleurs, que ces dons, échanges et concessions
territoriales, ne se firent pas sans que le parlement lui fit entendre ses
remontrances et lui rappelât l'opposition générale que ce grand corps avait
déjà faite en 1470. Mais on était redevable au roi de si grandes annexions de
territoire, et à chaque minime aliénation, comme fut alors celle du comté de
Villefranche-en-Rouergue en faveur de Frédéric de Tarente, et du comté
d'Étampes en avril 1479, pour Jean de Foix, vicomte de Narbonne, il faisait
si bien ses réserves en faveur de la couronne, que nul ne pouvait guère
prétendre mieux comprendre que lui les vrais intérêts de la royauté. Tel
était son but lorsque, pour en changer la mouvance, il fit hommage à la
Sainte-Vierge de la seigneurie de Boulogne ; et s'il est obligé d'insister
auprès du parlement pour faire entériner ses lettres à ce sujet, il ne faut
attribuer le motif de ce retard qu'à la nouveauté de cette concession. Sa
déférence et ses égards envers le parlement ne l'empêchaient pas de se
montrer fort ému lorsqu'on semblait vouloir lui dénier un droit qu'il croyait
être le sien. Ainsi, le 5 février 1479, cette haute assemblée ayant paru peu
disposée à accueillir le cinquième président, Guillaume de la Haye, que le
roi y avait nommé, elle reçut de lui une lettre sévère. Louis s'y déclare,
mat satisfait de ces difficultés et « entend qu'il soit reçu ; » ce qui eut
lieu sur-le-champ. Le 13 juillet suivant, le même fait se reproduisit pour un
nouvel office d'examinateur créé au Châtelet ; enfin, le 13 novembre 1480,
comme on semblait ne pas vouloir admettre une récente nomination, le roi
écrit à ses féaux et amés du parlement : « Messieurs, au regard de l'office
que j'ai donnée à maître Fellii, quand vous aurez offices vous en pourvoirez
vos gens ; car des miennes j'en veux faire à mon goût et non pas au vôtre. » Au
surplus Comines nous avertit « que le roy désiroit de tout son tueur de
pouvoir mettre une grant police en son royaulme et principalement sur la
longueur des procès ; et en ceci bien brider cette cour du parlement ».
Toutefois les relations de Louis XI avec cette cour ont d'habitude un
caractère de bienveillante confiance ; c'est dans ces sentiments que souvent
il recommande leur diligence les affaires de ses amis. Ainsi, le 4 novembre
1479, il appuie les réclamations du duc de Bretagne pour l’enregistrement
d'un édit par lequel il a réuni l'hommage et le ressort de Neaufle-le-Châtel au
comté de Montfort ; le 18 décembre, il les prie de ne pas faire attendre
l'enregistrement de son don au sire Beaudoin de Bourgogne ; le 8 avril, il
presse l'entérinement des lettres qui confèrent le comté de Ligny à l'amiral
de Bourbon ; et peu de jours après il demandé aux membres du parlement de lui
envoyer les ordonnances de son père sur cette cour, les priant de s'y
conformer exactement ; enfin, le 23 avril, il écrit de nouveau à la noble
compagnie pour le procès pendant depuis deux ans entre le baron Louis de
Montmorency et Guillaume, son frère puîné, touchant la baronnie de ce nom :
il désire surtout une prompte solution. Mais toujours il a soin d'indiquer
son motif de porter intérêt à ces affaires ; ainsi lorsque, le 29 juillet
1480, il demande l'enregistrement du don qu'il a fait de la forêt de Gastine
à son amé et féal conseiller et chambellan Ivon du Fou, il n'oublie pas de
dire que c'est à cause de ses bons et loyaux services. Mais
s'il encourageait par ses largesses la fidélité et le dévouement à sa cause,
sa reconnaissance et l'espoir des biens qu'il attendait encore remontaient
plus haut. Fort nombreux sont ses dons aux sanctuaires les plus vénérés de ce
temps : ceux, par exemple, de la Sainte-Vierge sous ses différentes
invocations, et ceux encore de Saint-Martin, de Saint-Michel et de
Saint-Claude. Il gratifie, 1e43 mai 1480, l'abbaye de Cadouin, où était,
disait-on, le saint suaire, et autres lieux considérés comme dépositaires de
quelque sainte relique. Le
désir qu'avait eu Marguerite d'Écosse, sa première femme, de reposer à
Notre-Dame de Thouars, qu'elle avait fondée, eut plein effet. Les lettres du
roi sont du 7 octobre 1479. Exhumée de la cathédrale de Châlons, elle fut
solennellement amenée à Thouars, le 13 novembre, par l'abbé de Saint-Laon. Mais en
ses dernières années la pieuse affection de Louis se porta particulièrement
sur Notre-Dame de Cléry. Il accorda toutes sortes de privilèges à cette
église. C'est là qu'il voulut être enterré ; et dès février 1478(9), il s'occupa des funérailles
qu'on lui ferait : il y fonda donc des services, comme il le fit un peu plus
tard à Notre-Dame de Boulogne, à l'abbaye de Saint-Martin, à celle de
Beaulieu, dont Hugues de Poissy était abbé, et ailleurs. Que répondre à ceux qui
trouvent qu'il donnait trop aux églises, sinon qu'il s'agit là d'une
appréciation intime dont il était seul juge ? Il lui plaisait de dépenser
ainsi ce que d'autres eussent prodigué en stériles frais de représentation,
ou pis encore. Quelle raison de le blâmer, puisque son budget lui a suffi et
qu'il n'a point laissé de dettes ? Jamais on ne le vit employer les
ressources de l'État à ses satisfactions personnelles, mais plutôt à soutenir
de tous points les progrès dont il était le promoteur. Beaucoup d'argent fut
dépensé, on le sait, à construire, à entretenir la flotte, aux expériences de
l'artillerie, à élever des manufactures, à creuser des mines et des ports, à
rendre les rivières navigables, et à améliorer toutes les voies de
communication. Les soins même et les frais de la guerre n'affaiblissaient
point son zèle pour les intérêts commerciaux de la France. Créer de nouvelles
foires, renoncer à son droit de naufrage et d'aubaine en faveur des marchands
étrangers qui viendraient s'établir à Toulouse, ou à Bordeaux, tels étaient
ses moyens d'encouragement. Sans parler d'Arras, qu'il a rebâtie sous le nom
de Franchise, on cite parmi les villes qu'il a repeuplées Montaigu,
Pontorson, Saint-Quentin, Paris[49]. Étendre
la justice royale, c'était développer l'action de la royauté. Louis XI n'a
pas un seul instant perdu de vue cet objet. Outre les accroissements qu'il
donna à la juridiction de ses baillis, même sur les terres et pays de droit
seigneurial, il usa d'un autre moyen tout aussi direct d'affaiblir la
puissance féodale. Afin de soustraire à l'action immédiate des seigneurs la
meilleure partie du clergé, il donna beaucoup d'immunités à un grand nombre
d'abbayes et d'églises, déclarant en même temps que ce qu'il y avait dans les
apanages et ailleurs (17 janvier 1479) de cathédrales et d'églises privilégiées, étaient
de juridiction royale, et devaient, en cas de conflit, ressortir directement
à son conseil. De là
résultait pour les prélats une nécessité plus étroite de rendre hommage au
roi, et aussi une telle extension de la justice royale, qu'outre les baillis
d'ancienne institution, il fut créé des baillis des exemptions et ressorts.
Ces derniers étendaient leur juridiction sur deux ou trois provinces, et
résidaient dans un des lieux exempts. Ainsi il y eut un bailli des exemptions
et ressorts pour la Touraine, le Maine et l'Anjou, bailli que le roi nommait
dans tous les cas, et qui, dans chacune de ses résidences, devait avoir des
sergents et des notaires. Enfin
les seigneurs, pour la garde de leurs châteaux, avaient te droit de requérir
un certain nombre de leurs vassaux et abusaient souvent de ce droit. Le roi,
par lettres du 20 avril 1479, restreignit ce privilège dans de justes
limites. Dès lors, pour cinq sols, à moins qu'on ne fût sur la frontière, on
put être quitte du guet et de la garde. D'autres
abus encore demandaient répression. Persuadé, comme un de nos plus grands
rois, que les blasphèmes ne peuvent attirer que malédiction sur un pays,
Louis écrit de Forges, 12 mars 147U, au maire d'Angers, une lettre pleine de
sévérité contre les jureurs, blasphémateurs et gens de mauvaise vie, et
particulièrement contre les assemblées nocturnes qu'on lui avait signalées.
« Défense donc à qui que ce soit, sous les plus grandes peines, de
blasphémer le saint nom du Sauveur, de tenir maison pour recevoir gens
dissolus et joueurs ; de s'assembler pour ribler, de porter armes de nuit ;
défense aux ouvriers d'errer sans métier, aux armuriers de prêter harnois,
brigandines ou salades. Ordre est donné au bailli de Touraine et aux
officiers des ressorts de tenir la main à ladite ordonnance. » C'est
avec la même fermeté qu'il avise à la prompte répression des premiers
symptômes de troubles qui semblèrent s'organiser alors dans la Marche et à
Bourges en avril. A ce sujet le chancelier hésitant à expédier certaines
lettres, le roi lui écrit le 27 mars : « Puisque les mutins de la Marche
ont procédé par voies de faict, je veux que la pugnition en soit incontinent
faicte et sur les lieux ; et que ceux du grand conseil ni de la cour du
parlement n'en aient aucune connaissance. Pour ce, scellez ces lettres telles
qu'on vous les porte, et aussi les autres de francs-fiefs, et gardez qu'il
n'y ait faute Je ne veux point souffrir telles assemblées pour la conséquence
qui en pourroit avenir. » C'était encore pour assurer l'ordre intérieur
qu'il avait envoyé de grands commissaires dans les provinces à la recherche
des abus et avec d'amples pouvoirs. Ils devaient, sans acception de personne
ni de rangs, punir toutes les malversations. Mais quelques-uns de ces
délégués ayant abusé de leur autorité et s'étant rendus odieux aux
populations, il réduisit leur action à l'examen de taxes et gabelles, et il
révoqua leurs pouvoirs le 24 décembre 1479. Toute
oppression, de quelque rang qu'elle vienne, trouvait en Louis XI un ennemi,
et tout opprimé, un appui. Ayant appris qu'un sieur Jean de Vaux, après avoir
subi des violences de la part des gens d'Avignon, avait été réduit à se
retirer en franchise dans l'église des frères prêcheurs, il écrit
sur-le-champ un mandement à ses officiers du Languedoc et du Lyonnais, pour
qu'ils aient à s'occuper de cette affaire. Il leur signale tout le danger
d'une telle conduite et il veut que justice soit faite ; que Jean de Vaux
puisse venir librement le trouver et s'expliquer devant lui. Si les gens
d'Avignon s'obstinent et refusent de le laisser partir, il ordonne que
défense soit faite à qui que ce soit d'aller par terre ou par mer à Avignon,
d'y commercer et d'y entretenir n'importe quelles relations ; se réservant,
après cette sorte de séquestre, d'employer d'autres moyens. Sa sollicitude
allait jusqu'à réformer les jugements iniques qui se rendaient souvent autour
de lui. En voici un exemple. Les officiers du roi René s'étaient saisi d'un
élu du roi pour le fait des aides dans la ville d'Angers, et l'avaient
emprisonné sans la permission royale. Le roi René l'avait même fait condamner
et exécuter au château de Marargues, près Aix en Provence, et cela « sans
l'ouïr, sans garder les solennités en tels cas requises » et sans nulle
communication du dossier du procès. Louis XI se plaint hautement qu'on ait
osé disposer de la vie d'un de ses officiers. Par lettres de Saint-Espain, 20
octobre 1479, et à la requête de Guillaume Leroy, frère de la victime, il
prend les enfants du défunt sous sa protection, leur fait rendre leur
héritage confisqué, et ordonne que son premier huissier du parlement
pourvoira à ce que tout ce qui était dû à leur père leur soit payé. Le
progrès qu'il cherchait ainsi à réaliser de tous points, l'aurait-il négligé
en ce qui pouvait élever le niveau du savoir et de l'intelligence ? A ce
sujet, le témoignage de Comines n'est pas douteux. « J'ai bien veu,
dit-il, que les princes les plus saiges savoient se servir des hommes les
plus habiles et les chercher sans y rien ménager. Le roi notre bon maître l'a
le mieux sçu faire. Il a sçu le plus estimer et honorer les hommes de bien et
de valeur. Il estoit assez lettré et aimoit à demander et à entendre de toute
chose. Il avoit le sens naturel parfaitement bon, lequel précède toutes les
autres sciences qu'on sauroit apprendre en ce monde. Pour conclure, me semble
que Dieu ne peut envoyer plus grande plaie à un mis que celle d'un prince peu
entendu ; car de là procèdent tous les maux. » On
sait, en effet, le goût qu'il apportait aux œuvres de l'esprit ; la part
qu'il prit aux discussions qui divisaient la Sorbonne ; son zèle à propager
l'imprimerie en France et à entretenir des relations avec les villes les plus
éclairées de l'Italie, surtout avec Florence. Il ne cesse de donner des
preuves de son estime pour les érudits et les savants. C'est ainsi qu'il
prend sous sa protection les Bénédictins, qui dès lors se distinguaient par
de patientes recherches : le 20 février 1478(9) il prie les seigneurs du
parlement d'avancer l'affaire d'un de ces religieux, frère Greslam, contre l'évêque
de Luçon. Enfin, au milieu des soucis de tant d'affaires di= verses, il a
l'œil ouvert sur le progrès des études, sur les écoles qui demeurent
fréquentées dans les cathédrales et abbayes et sur les universités qui, sans
être égales à celle de Paris, sont florissantes à Angers, à Orléans et autres
bonnes villes. Fondateur
des universités de Valence et de Bourges, il les pourvoit en 1478 des moyens
de subsister ; il popularise la science en fondant à perpétuité, en avril de
cette année, des bourses au collège de Navarre à Paris en faveur des enfants
de chœur de Notre-Dame et de l'abbaye de Saint-Martin, qui annonçaient
d'heureuses dispositions ; nous le voyons encore, en septembre 1480, faire
payer deux mille livres à ce même collège sur les revenus de Champagne ; puis
assurer la permanence des privilèges de l'université de Caen que son père
avait fondée. Enfin, en 1482, il déclare prendre sous sa protection spéciale
la faculté de théologie d'Orléans ainsi qu'il l'avait fait par lettres du
Plessis en août 1480 pour les docteurs en droit-cation de la capitale. Après
tant de libéralité, dire[50] que Louis XI protégea peu les
lettres, c'est avouer, nous le croyons, qu'on ne l'a pas bien connu. Une telle activité et une si intelligente protection ne pouvaient passer inaperçues ; écoutons ce que pensait de Louis Xi à cette époque Robert Gaguin, celui-là même qui, plus tard, dans son abrégé de l'histoire du quinzième siècle, se montre si hostile contre lui. Écrivant à un de ses amis[51] auprès duquel il s'étonne que ce petit coin de terre de la Franche-Comté arrête la puissance du roi, et que des pillards d'Allemagne aient osé attaquer les troupes de France, il dit : « La gloire et le mérite de Louis offre aujourd'hui aux écrivains une ample matière. Dès sa jeunesse il a bravé les plus grands périls, marchant au gré de son père, tantôt vers Dieppe, tantôt contre les Suisses. Ensuite dans le Brabant, auprès de Philippe, ni les embûches les calomnies ne lui manquèrent. A la tête des affaires eut-il une vie plus paisible ? Au contraire, on ne peut croire tout ce qu'il a eu à essuyer alors, de la part des siens, de pièges et de haines secrètes. Ensuite, en butte à la mauvaise fortune, et roi dans la force de l'âge, il se voit engagé dans d'incessantes guerres ; pourquoi ? Parce que, voyant les peuples trop opprimés, il désirait leur venir en aide.... Si tant de grandes et belles actions n'excitent pas la verve des écrivains de France il ne sait s'il faut s'en prendre à leur ignorance ou à leur paresse. » Telle était alors l'opinion d'un contemporain que l'ambition seule fit changer de langage. |
[1]
Garnier.
[2]
Augustin Thierry, Tiers état.
[3]
Jean de Troyes.
[4]
Livre VI, chap. IV.
[5]
Guichenon.
[6]
Jean de Troyes.
[7]
De Barante.
[8]
De Barante.
[9]
Legrand.
[10]
Barante, t. XII, p. 203.
[11]
Isambert, 247.
[12]
Molinet.
[13]
Dom Plancher.
[14]
Molinet.
[15]
Dom Plancher.
[16]
Jean de Troyes.
[17]
Sismondi, t. XI, p. 97.
[18]
Molinet, t. II, p. 180.
[19]
Comines.
[20]
Jean de Troyes.
[21]
Pièces de Legrand.
[22]
Molinet.
[23]
Pièces de Legrand.
[24]
Duces.
[25]
Barante, t. XII, p. 89.
[26]
Michelet.
[27]
Barante, t. XII, p. 94.
[28]
Barante.
[29]
Guichenon, Histoire de Savoie, p. 570.
[30]
Barante, t. XII, p. 182
[31]
Amelgard.
[32]
Michelet, t. VI.
[33]
Boutaric, Institutions militaires de France avant les armées permanentes,
livre V, p. 314.
[34]
Boutaric.
[35]
T. Ier, chapitre X.
[36]
Legrand.
[37]
Barante.
[38]
Molinet et Chroniques bourguignonnes.
[39]
Comines et Molinet.
[40]
Dom Vaissette.
[41]
Harduin, Histoire d'Arras.
[42]
Olivier de la Marche.
[43]
Comines.
[44]
Barante.
[45]
Claude de Seyssel.
[46]
Fontanieu.
[47]
Le Père Anselme.
[48]
Chorier.
[49]
Legrand.
[50]
Pierre Mathieu.
[51]
Pièces de Legrand, f° 28.