Bataille de Morat et
fuite des Bourguignons. — Le duc fait enlever la duchesse de Savoie. —
Mécomptes du duc. — Intervention du roi en Savoie et délivrance de la
duchesse. — Politique pacifique du roi. — Alphonse V, et affaires d'Espagne.
— Progrès de l'artillerie en France. — Préférence de Louis pour la Touraine.
— Ce qu'elle était, ce qu'il a fait pour elle. — René II reprend Nancy. — Le
duc Charles revient l'assiéger. — René II va recruter une armée. — Il revient
en forces. — Le duc de Bourgogne se décide à combattre. — Trahison de
Campo-Basso.
Jusque-là,
la fortune n'avait point ménagé les leçons au duc si bien nommé le Téméraire.
La veille encore, 21 juin, le prince de Tarente, Frédéric d'Aragon, sans
doute désabusé de ses prétentions à la main de l'héritière de Bourgogne,
quittait l'armée ducale avec son mentor le comte Giulio, duc d'Atri, et
venait auprès du roi lui demander un sauf-conduit. C'était là, ce semble, un
mauvais augure. Toutefois, dédaignant tous les avis des hommes sages et
prudents, le duc Charles persiste à marcher immédiatement à l'ennemi. Il
choisit encore pour lieu d'attaque un étroit espace où sa cavalerie ne lui
sera d'aucun secours. A la gauche, le grand bâtard de Bourgogne commandera
les Italiens en l'absence du comte de Campo-Basso ; le comte de Château-Guyon
et le sire de Querdes conduiront le corps de bataille ; lui, avec la
meilleure cavalerie, tiendra la droite. Telle est son ordonnance ; mais toute
la matinée il tombe une grande pluie ; les Bourguignons viennent offrir la
bataille ; puis, tout trempés, et persuadés que les Suisses ne l'acceptent
pas, ils rentrent dans leur camp. Or, paraît-il[1], les gens des ligues, pour
mieux dérober leurs intentions et leur nombre aux yeux des ennemis, avaient
rangé dans les retranchements une bonne partie de leur armée : ayant donc
fléchi le genou et fait la prière du combat, ils saisissent le moment où les
Bourguignons rentrent au camp, fondent vivement sur le premier corps qu'ils
rencontrent, le mettent en déroute et le poursuivent l'épée dans les reins.
Immédiatement ils attaquent l'armée de Bourgogne dans son camp, et malgré la
résistance des archers anglais qui tiennent bon pendant quelque temps, malgré
la valeur du sire de Genouillac dit Galiot, dont on avait eu si grand
tort de mépriser les avis, le camp des Bourguignons est emporté et toute leur
artillerie y est prise. La
défaite commencée par l'aile droite, la première attaquée, fut bientôt
générale. La garnison de Morat sortit aussi au plus vif de la lutte et
contribua à la déroute des assiégeants ; enfin les deux cents lances restées
pour garder les travaux du siège s'enfuirent à grand'peine à travers tant
d'ennemis. Ce fut un affreux carnage : les Suisses n'accordèrent nul
quartier. Jamais le duc ne put _rallier les siens : ; il fut lui-même
entraîné dans la fuite ; beaucoup se noyèrent dans le lac de Morat, en cherchant
à se sauver à la nage, car les trois routes d'Aarberg, de Fribourg et de
Lausanne étant occupées par les Suisses, toute retraite était coupée. On
assure qu'il périt autant de monde dans la fuite que dans la bataille : les
uns parlent de sept mille morts[2] ; d'autres, et des plus modérés[3] portent le nombre à quatorze
mille ; il est certain qu'il y en eut plus de dix mille. « Sur le champ
de bataille, dit le poète, gisaient beaucoup de Welches, les uns coupés en
morceaux, les autres percés de part en part. Rendons grâce à Dieu d'avoir
ainsi vengé la mort de nos confédérés de Granson[4] ! » Parmi
les morts on remarque le comte de Merle, fils acné du comté de Saint-Pol ;
Jacques du Mas, les sires de Rosimbos et de Montaigu, le capitaine Sommerset,
chef des Anglais ; de Bournonville, de Mailly, le sire de Grimberghe et
beaucoup d'autres. Quatre ans plus tard, on forma un ossuaire des ossements
de tant de victimes, lequel est resté debout jusqu'à la fin du dix-huitième
siècle, époque où une armée française, bien inspirée, détruisit ce monument.
Comme à Granson, tout ce que le camp renfermait de richesses fut la proie des
vainqueurs ; encore une fois, les bannières de Bourgogne, notamment celles du
duc et du grand bâtard, allèrent orner les églises suisses. Les canons de
Lorraine pris sur René lui furent rendus ; il reçut en outre une part notable
de munitions de guerre qui bientôt allaient lui être d'un grand secours ; et
on y ajouta la promesse de l'aider à reconquérir ses États. De son
côté le comte de Romont, qu'une habile manœuvre des Suisses avait séparé du
corps de bataille, avait passé entre les deux lacs avec sa troupe en désordre
et quelques fuyards ; il parvint ainsi à Estavayer avec une douzaine de mille
hommes. Moins heureux, ceux qui s'enfuirent vers Lausanne furent taillés en
pièces par le comte de Gruyère ; les détachements qui venaient encore
d'Italie étaient massacrés par les gens des montagnes et les Suisses
saccagèrent tout jusqu'aux environs de Genève. Quant au duc, il courut plus
de douze lieues sans s'arrêter ; suivi d'un petit nombre de serviteurs, il
arrive à Morges où le comte de Romont et l'évêque de Genève viennent le
rejoindre : il y reste le 23 juin, et le lendemain il se rend à Gex, que
l'approche des Suisses le force bientôt d'abandonner. Cependant
la duchesse régente de Savoie restait encore pour le duc la fidèle alliée du
lendemain de Granson. De Genève, où elle était, elle lui envoya les secours
les plus pressants ; elle fit plus : avec ses enfants elle alla le trouver à
Gex et lui prodigua les délicates consolations de l'amitié. Mais c'était en
vain ; la première pensée du duc en son malheur avait été de s'en prendre à
ceux qu'il croyait doués de seconde vue. Comment ne lui avait-on pas annoncé
ce désastre ! Son médecin même Angelo Catho prit bientôt congé de lui,
et vint alors auprès du roi, qui le re tint à sa cour. Bien mieux encore, le
duc conçut des soupçons sur la sincérité de la duchesse Yolande ; il essaye
d'abord de la décider à le suivre en Bourgogne avec sa famille. Sur son refus,
et voyant la volonté bien arrêtée de cette princesse de retourner en ses
États, il charge Olivier de la Marche de prendre les devants, d'enlever en
pleine nuit, tout proche de Genève, la duchesse et toute sa suite, et de la
lui amener à Saint-Claude. Un pareil dessein se peut à peine concevoir, si ce
n'est de la part de celui qui, huit ans avant, avait organisé contre son roi
le guet-apens de Péronne et plus tard l'enlèvement de René II et d'Yolande
d'Anjou ! D'ailleurs
le motif de cette entreprise était évident ; le jeune duc n'avait que sept
ans : Charles de Bourgogne entrevoyait ainsi un moyen de gouverner la Savoie
; car, avec la bataille de Morat, il n'avait perdu aucun des rêves
d'autrefois. Son chambellan Olivier de la Marche accepte donc cette indigne
mission ; il se met en embuscade, arrête et enveloppe tout le monde, la
duchesse, ses deux fils et ses deux filles, et trois femmes de leur suite.
Prenant lui-même la duchesse en croupe, Olivier et son escorte courent à
toute bride ; mais à la faveur de l'obscurité de la nuit, comme ils passaient
au lieu-dit la Combre de Mijou, le jeune duc Philibert et son frère
Louis s'échappent, grâce au maréchal de Savoie, Geoffroy, seigneur de
Riverol, et au sire de Miette, qui accompagnaient la princesse ; puis par des
chemins détournés regagnent la Savoie. Aussi, grande fut la colère du duc de
l'absence des jeunes princes, et le chambellan, malgré son zèle, fut-il fort
mal reçu ; à tel point que, suivant ses propres expressions, « il craignit
qu'il ne lui en coûtât la vie ». On ne
peut s'empêcher de faire observer ici combien le duc craignait peu le
courroux de Louis XI. Il s'en fallait bien d'ailleurs qu'il eût à se,
plaindre du roi. Celui-ci avait été informé dès le 23 juin de la défaite de
Morat, grâce à l'organisation des postes : « M. du Bouchage et moy,, nous dit
Comines, eusmes le premier message de la bataille. Le roy nous donna à chacun
deux cents marcs d'argent. » Or dès le 24 Louis XI écrit à Dammartin, qui
commandait en l'Ile-de-France et en Picardie : « il lui explique que le
samedi précédent le duc a été battu par les Suisses ; qu'il a perdu beaucoup
de monde et tout son bagage ; qu'il s'est sauvé avec six chevaux seulement.
Il lui recommande de tenir ses gens prêts, mais de ne rien entreprendre qui
puisse faire penser qu'il ait rompu la trêve. » Le duc savait cela, car dans
une lettre qu'il écrit alors au sire du Fay il se loue du roi « qui
entretient la trêve et livre un libre passage aux Bourguignons par ses pays
de France » ; il parle d'une entrevue qu'il compte avoir avec Louis XI et
ajoute : « Pressez le président et le conseil du Luxembourg d'envoyer en
Lorraine ce qu'ils pourront assembler d'hommes et de provisions de guerre et
d'obéir à ce que Hugonet et l'évêque de Tournay ordonneront. » Ainsi, pas
plus après la seconde défaite qu'après la première, Louis ne pense à profiter
de l'embarras de son adversaire. De Gex,
le duc alla à Saint-Claude, d'où il se rendit à Salins ; la princesse de
Savoie y fut gardée au secret. Là il songe encore à réunir une nouvelle armée
pour rentrer en Suisse. Il assemble donc les états de la Comté, pour en
délibérer ; il leur demande que chacun soit imposé au quart de ce qu'il
possède. Au lieu de si énormes subsides l'assemblée lui donna des avis et
promit seulement de lever des hommes pour la sûreté du pays. Aux états de
Dijon les conclusions deviennent des remontrances. Est-il raisonnable de
s'épuiser pour une guerre que rien ne justifie ? Quant à ceux de Flandre, ils
s'étaient déjà accoutumés à ne plus tenir compte de ses demandes ; réunis à
Bruxelles, leurs remontrances furent encore plus accentuées ; aussi
répondirent-ils à ses sommations « que s'il étoit tellement pressé des
Allemands ou des Suisses, qu'il ne pût s'en revenir, il le leur fit dire ;
qu'en ce cas ils exposeroient leurs vies pour aller le dégager ; mais que
pour continuer à faire la guerre ainsi qu'on l'avoit faite, ils étoient
décidés à ne s'en plus mêler[5] ». Depuis longtemps les
pays de Hollande et de Zélande ne payaient plus rien. De telles réponses, on
le conçoit, avaient fort irrité le duc. Ce
n'est pas en effet une journée comme celle de Morat qui pouvait fortifier
l'autorité du prince. Partout on éludait ses demandes d'hommes et d'argent.
En vain pour stimuler un pays se prévalait-il du bon exemple d'un autre ; il
n'y avait de bonne volonté nulle part : pas plus en Franche-Comté qu'en
Luxembourg. Mais le malheur n'avait ni dompté ni éclairé ce caractère : ses
paroles et ses écrits ne respiraient qu'emportement. Son fidèle chancelier
Hugonet, gouverneur des Flandres, n'était parfois pas plus ménagé que les
autres. Toujours la même dureté dans ses ordres, « pas une consolation, pas
une marque de bonté ni de compassion de la part de leur duc[6] ». Tant de mécomptes le
plongèrent dans un profond découragement et son médecin dut essayer de moyens
extraordinaires pour le tirer de ce spleen. Ayant
passé une vingtaine de jours à Salins, il va à Pontarlier, où il arrive le 22
juillet ; il y forme un petit camp de quelques mille hommes, et reste deux
mois au château de la Rivière, proche de là, dans une étrange inaction.
Seulement, sentant ses affaires mal assurées en Lorraine, il avait ordonné
aux sires de Chimay et de Nassau de s'y rendre avec des troupes : ce qu'ils
firent sans beaucoup de succès. Tous autour de lui s'inquiétaient : « IL
sembloit, dit-on, que depuis sa maladie de Lausanne il ne fût si saige que
auparavant, mais diminué de sens. » La
gravité des événements trouvait toujours Louis XI plus prudent et mesuré en
ses actes. Dès le 28 juin il va, suivant sa promesse, faire une neuvaine
entière à Notre-Dame-du-Puy. Il voulut qu'on publiât en sa présence une
indulgence de trois cents jours qu'il avait obtenue pour ceux qui diraient
l'Angelus à midi. Plus tard, de retour à Paris, il envoya pour reposoir à la
sainte image douze cents écus d'argent et douze marcs en lingots, réclamant
toujours de pieuses prières pour la conservation de sa famille et de sa
personne. Ce fut
à Roanne, le 12 juillet, à son retour du Puy, qu'il apprit l'enlèvement de sa
sœur Yolande. Certes, si le duc avait pensé que le roi pût être indifférent à
une pareille violence, il se trompa : t'eût été, du reste, un motif suffisant
pour rompre la trêve si Louis l'eût voulu. Les états de Savoie, qui n'avaient
eu qu'à se louer de l'intervention du roi en leur pays, lui envoyèrent
incontinent une députation pour le prier de se déclarer ouvertement le
protecteur du duché et de leur jeune duc. Les deux oncles du prince, l'évêque
de Genève et le comte de Bresse, faisaient partie de cette ambassade, et
c'est de la bouche même de ces députés que le roi fut informé de la
mésaventure de la duchesse. Il avisa donc immédiatement à l'administration du
duché de Savoie : il s'agissait d'empêcher la Bourgogne d'exploiter ce pays
et les Suisses d'y exercer aucune vengeance. D'urgence il envoie l'amiral de
Bourbon et le seigneur du Lude, avec ordre de mettre le jeune duc sous la
garde du sire de Groslée, bailli de Lyon, de s'inspirer du sentiment des
états et de justifier auprès d'eux des mesures prises pour la sûreté générale
: le roi laissait provisoirement l'administration de la Savoie à l'évêque de
Genève, homme volontaire, disait-on, et gouverné par un commandeur de Rhodes,
mais l'oncle du duc Philibert ; il confiait le gouvernement du Piémont à
Philippe, comte de Bresse, et commandait de s'assurer des villes de
Montmeillan et de Chambéry. Le sire de Miolans, chargé de la garde de la
forteresse de Montmeillan, jura le 22 juillet, et par écrit, de ne laisser
entrer ni dans la ville ni dans le château aucunes troupes des ducs de Milan
ou de Bourgogne pas plus que de Madame de Savoie, et de remettre la ville et
le château à Sa Majesté, dès qu'il en serait requis. Toutes
ces mesures étaient sages ; elles obviaient à tous désordres, à tout projet
ambitieux, et en cette circonstance ce ne fut pas un moindre bienfait. Cela
réglé, le roi pourvut à la délivrance de sa sœur, qui du château de Rochefort
avait été transférée dans celui de Rouvres, près Dijon. Là, le sire de
Château-Guyon, troisième fils du prince d'Orange, et le marquis de Rothelin,
fils du comte de Neufchâtel, avaient seuls permission de la visiter ; le duc
voulait marier ces deux gentilshommes aux filles de la duchesse, ce qui eut
lieu depuis : ses autres projets moins avouables échouèrent, comme on sait,
par le retour en Savoie des princes Philibert et Louis. Cependant
la duchesse s'aperçut bien vite que le garde de sa personne était moins
sévère et que la crainte du maître s'affaiblissait en l'esprit de tout le
monde. Son espérance se tourna vers son frère : elle lui envoya donc
secrètement son fidèle serviteur Cavorret, que le roi fit arrêter[7], parce qu'il portait la croix
de Bourgogne ; mais bientôt arriva son maître d'hôtel lui-même, gentilhomme
piémontais, nommé Riverol, qui expliqua tout et venait prier le roi de prêter
secours à la duchesse. Ce dernier s'adressa d'abord à Comines : « Le roy
l'ayant oui, dit celui-ci, lui répondit qu'à tel besoin il ne voudroit avoir
failli à sa sœur, nonobstant leurs différends passés ; » il ajouta « qu'il
l'enverroit quérir par le gouverneur de Champagne, Charles d'Amboise,
seigneur de Chaumont ». Au reçu de cette nouvelle elle renvoya de suite au
roi un autre message, le suppliant de lui donner sûreté qu'il la laisserait
retourner en ses États, lui rendrait ses deux fils, ainsi que les places
tenues par lui, et qu'il l'aiderait à maintenir son autorité en Savoie ;
assurant que de sa part elle était contente de renoncer à toute autre
alliance que celle du roi. Louis
XI pouvait à la rigueur se trouver offensé de pareilles précautions ; il n'en
fut rien : « Il lui bailla tout ce qu'elle demandait, et incontinent il
envoya le sire du Bouchage vers ledit seigneur de Chaumont, pour lui dire
d'exécuter l'entreprise. » C'était un coup hardi ; mais le procédé dont
avait usé le duc pour s'emparer de la duchesse dispensait assez le roi d'être
délicat sur les moyens de la délivrer ; enfin n'était-il pas à propos de
faire sentir au duc qu'il avait un suzerain ? Ainsi donc le sire d'Amboise,
avec bon nombre d'hommes d'armes, pénètre jusqu'à Rouvres sans causer nul
dommage au pays, délivre la duchesse et l'emmène en Touraine avec ses deux
filles. Dès qu'on annonce au roi son arrivée, il va à sa rencontre jusqu'à la
porte du château du Plessis, et lui dit en souriant : « Madame la
Bourguignonne, soyez la « bienvenue ». Le mot était à la fois gracieux et
piquant : la duchesse le sentit ; elle répondit, « qu'elle était
toujours bonne Française et prête à obéir au roi ». Louis combla sa sœur
de soins, eut mille attentions pour elle et les siens, et lui fit toutes
sortes de beaux présents. Il lui expliqua les mesures prises pour la sûreté
de la Savoie, et promit de lui faire remettre à son retour les forteresses de
Montmeillan et de Chambéry qu'il n'avait fait occuper que par mesure de
prudence. Ils se séparèrent en parfaite union, « et la duchesse emporta,
signée de la main du roi, la promesse de la défendre, elle, le duc son fils
et ses enfants, envers et contre tous, nommément contre le duc de Bourgogne
s'il les attaquait. » Ses enfants, ses forteresses et ses joyaux lui furent
en effet fidèlement rendus. Avant
le départ de la duchesse arrivait précisément à Tours une députation des
Suisses. Quelques semaines après leur victoire de Morat les cantons et leurs
auxiliaires s'étaient réunis à Fribourg en une sorte de congrès, pour y
aviser au règlement de leurs affaires extérieures : ils y convièrent leurs
alliés et adhérents ; or Louis XI s'y était fait représenter par l'amiral de
Bourbon avec ordre de féliciter en son nom les Suisses de leur vaillante
conduite. On y avait décidé, entre autres choses, qu'on tâcherait de se
mettre en paix avec la Savoie. Les ambassadeurs venaient donc à Louis XI le
disposer à être médiateur d'un traité. Parmi eux et à leur tête figuraient
leurs intrépides chefs, Adrien de Bubemberg et Hallwyl. On convint là que les
affaires internationales de Suisse et de Savoie seraient réglées par un
conseil composé des ambassadeurs français, de Guillaume de Becter, gouverneur
de Strasbourg, et de René, duc de Lorraine ; les premières bases de cet
arrangement furent même posées en présence de la duchesse régente ; il y
était dit que le pays de Vaud retournerait à la Savoie, mais que
préalablement elle payerait 50.000 florins. Le roi et la cour firent grand
accueil à ces envoyés et Adrien de Bubemberg, leur président, reçut le
collier de Saint-Michel. Au surplus ils ne dissimulaient point leurs
sympathies et annonçaient leur intention de secourir leur allié le duc de
Lorraine. Ce prince, en effet, cherchait à recouvrer ses États et à se
concilier le bon vouloir du roi. Ainsi on le voit dans ce but écrire le 1er
septembre 1476 au sire du Bouchage, principal conseiller de Louis ; mais
malgré tous ses griefs le roi gardera fidèlement la trêve. « A
bien connaître la condition du duc Charles, dit Comines, le roy lui faisoit
beaucoup plus la guerre en le laissant faire et lui sollicitant des ennemis
en secret que s'il se fût déclaré contre lui. » Or rien ne justifie cette
remarque, et l'on oublie les efforts de Louis XI pour empêcher ces désastres
et ceux qui devaient les suivre. L'étude de sa diplomatie nous montre bien
plutôt que le roi ne s'est pas un instant prévalu des avantages que les
revers de son ennemi lui donnaient. Ceux qui l'avaient délaissé reviennent-il
à lui ? il les accueille. Ainsi, vers ce temps, arrivent deux députés de
Milan, Pierre de Aplano et Pietro de Petra-Sancta, lesquels venaient
renouveler avec le roi les anciens traités et lui réitérer les excuses de
leur maître. Louis les agrée, et en présence des ambassadeurs de Savoie et de
Florence signe, le 9 août 1476, la nouvelle alliance. Bientôt
vinrent aussi les députés du duc de Bretagne. C'étaient le sire de Lescun,
comte de Cominges, le grand maître d'hôtel Coëtquen, le vice-chancelier et le
sénéchal de Rennes. Les états de Redon avaient ratifié en la présence du duc
le traité de Senlis ; mais pour l'entière exécution dudit traité, François II
désirait que le roi fit serment sur la croix de Saint-Laud et que les
notables seigneurs de France donnassent leurs scellés. Louis semble oublier
qu'il puisse parler en maitre ; de Roanne, le 14 juillet, il écrit à Armand,
vicomte de Polignac, qu'il est convenu de délivrer au duc de Bretagne le
sceau de plusieurs seigneurs pour motif de réciprocité, et qu'il lui demande
le sien. La réponse et l'envoi du comte sont du 48 août suivant. C'étaient l'évêque
d'Alby et maître d'Apchon qui conduisaient cette affaire. Le roi
avait déjà dit qu'avant tout serment certaines clauses obscures du traité
devaient être expliquées et précisées. Il jure néanmoins, mais en la forme
ordinaire, tout ce qui est relatif à la sûreté de la personne et des États du
duc. Mais il veut, tout en accordant ce qui est juste et raisonnable, qu'il
soit fait une formule de serment acceptée. Le duc s'en remit au bon vouloir
du roi. Quel appui, en effet, pouvait-il espérer du duc de Bourgogne, ou du
roi Édouard ? Ce dernier, qui venait de sortir de France avec une gloire fort
contestable, ne songeait qu'à ses plaisirs et n'avait qu'à se louer du roi.
Louis XI dressa lui-même, le 20 décembre, les deux formules du serment :
aucun d'eux ne commencera la guerre : tous deux défendront mutuellement leurs
personnes et leurs États. « Le duc ne troublera aucunement le roi dans
les droits et jouissances qui lui appartiennent en Bretagne, comme le roi
Charles VII et ses prédécesseurs en ont joui depuis deux ans avant la mort du
prédécesseur de François Ier et comme il en a joui du temps du duc Pierre. »
On observe que si le roi n'a pas cité le duc Artus de Richemont, c'est sans
doute parce que ce prince avait restreint l'hommage autant que possible. Tranquille
enfin en son royaume, Louis songe à ce qui se passe au-delà des Pyrénées.
Alphonse V de Portugal avait eu de grands succès sur les côtes d'Afrique : le
roi s'intéressait à lui et désirait l'aider ou plutôt appuyer le parti
légitime de Jeanne de Castille. Malheureusement ce prince venait de perdre la
bataille de Toro et avec elle une partie de sa gloire. Nous ne dirons jamais
assez combien cette politique eût dû être celle de la France. Comment voir
sans inquiétude l'accroissement de cette maison d'Aragon ? Une fois maîtresse
de la Castille, ne cherchera-t-elle pas à s'emparer de la Navarre, et à
reprendre la Cerdagne et le Roussillon, gages de sa dette à la France ? Déjà
Madeleine de France, mère et tutrice du jeune François Phœbus, avait prévenu
Louis XI que les rois de Castille et d'Aragon devaient se réunir à Tudela, et
parlaient de venir calmer en Navarre les troubles qu'ils fomentaient en
secret. Le roi fit donc marcher quelques troupes, sous la conduite du sire
d'Albret et d'Yvon du Fou. Ce fut l'armée de Guipuscoa ; après avoir ravagé
la province, les chefs se prirent de querelle touchant les prisonniers qu'ils
avaient faits. Pour lors le cardinal d'Espagne ayant représenté au roi par
écrit l'union qui avait toujours existé entre la France et la Castille, qu'au
contraire le Portugal était depuis longtemps l'allié de l'Angleterre, le roi
rappela ses troupes. Pendant ce temps la flotte de France, sous les ordres du
vice-amiral Coulon, était entrée dans le Tage, non sans avoir essuyé une violente
tempête. Elle prit à son bord le roi Alphonse, quatre cent quatre-vingts
gentilshommes des premières familles de Portugal, et environ douze cents
soldats, pour aller fortifier les conquêtes déjà faites en Afrique ; puis elle
revint débarquer à Collioure. Le roi entretenait toujours en Roussillon des
forces respectables : la princesse de Viane, sans cesse inquiétée en Navarre,
faisait tous ses efforts pour attirer à elle une partie de ces troupes ; de
là des provocations réciproques qui rendaient le maintien de la trêve fort
difficile. Elle fut rétablie cependant d'un commun accord. Louis XI redouta
toujours de s'immiscer dans de lointaines entreprises ; mais ici la gravité
des circonstances aurait dû l'y pousser. Alphonse,
voyant le peu de zèle de Louis à le secourir, voulut venir lui-même en
Touraine, espérant mieux réussir que ses ambassadeurs. Dès qu'il en fut
informé le roi envoya à sa rencontre jusqu'à Roanne, et ordonna qu'on lui
rendit partout les plus grands honneurs. A Tours il le traita avec la plus
grande courtoisie ; mais aux demandes de secours il s'excusa de ne pouvoir
faire davantage : il allégua, ce qui était vrai, que tant qu'il n'aurait pas
une paix bien assurée avec le duc de Bourgogne, il devait se tenir sur ses
gardes. Alphonse V, qui était proche parent du duc par la mère de celui-ci,
Isabelle de Portugal, imagina de réconcilier les deux princes ; ne doutant
point d'y réussir et espérant en retour être appuyé de l'un et de l'autre, il
partit pour le camp du duc en passant par Paris, où il reçut le plus
magnifique accueil. Pendant
les courts instants de repos que lui laissait alors la politique, Louis avait
constamment l'œil ouvert sur les progrès et l'organisation de l'armée,
surtout sur le personnel et le matériel de l'artillerie. Charles VII s'en
était déjà occupé ; mais les épreuves de son règne et son caractère indolent
mettaient un invincible obstacle à toute amélioration. Même avant l'invention
de la poudre il y avait dans le royaume des grands maîtres de l'artillerie,
et plusieurs à la fois. C'étaient les officiers généraux chargés de veiller à
la conservation du matériel de guerre de toute nature. Sous Charles VII on
voit à la tête de ce service Philippe de Molans, Raymond Marc, Guillaume de
Troyes ; Tristan l'Hermite, seigneur de Moulins-sur-Charente dont nous avons
déjà parlé, reçut en 1436 du connétable de Richemont la charge de gouverneur
de l'artillerie. Il s'en démit bientôt, ne se réservant que l'office de
prévôt des maréchaux, et en 1439 il fut établi capitaine de plusieurs places
; ainsi donc cet homme de guerre, qu'on s'est plu à travestir odieusement
pour jeter du ridicule sur Louis XI, servait depuis plus de trente ans avant
l'avènement de Louis en 1461. Après lui c'est Jean Bureau qui dès le siège de
Meaux, 21 juillet 1439, eut le gouvernement de l'artillerie, et en 1444 son
frère Gaspard, seigneur de Villemomble, fut pourvu de cet office après la
démission de Bessoneau. Fils d'un petit cadet de Champagne, les frères Bureau
rendirent de grands services en cette spécialité, et Louis les conserva en
leurs offices Après la mort de Gaspard, en 1469, le roi nomma grand maître et
visiteur de toutes les artilleries Hélion de Groing, qui ne remplit pas
longtemps cette charge ; le 31 janvier de cette année Louis de Crussol le
remplaça et garda cet office jusqu'à sa mort, en 1473. On y voit dès lors se
succéder Gobert Cadiot, tué au siège de Lectoure ; Guillaume Boumel, mort en
1477, et Jean Cholet de la Choletière, qui mourut en 1479. Mais à cette
époque l'artillerie, par suite de son importance, fut divisée en quatre compagnies
: celle qu'on appela la grande Bande de Jacques Galiot sire de Genouilhac,
celle de Bertrand de Samand, celle des bastions ou de Perceval de Dreux, et
enfin celle de Giraud de Samand dite de Normandie. C'est
en 1216 que l'Anglais Roger Bacon trouva, dit-on, la composition de la poudre
; mais la force explosible de cette redoutable substance ne fut découverte
qu'en 1330 par un moine de Cologne, nommé Berthold Schwartz. Peu après, en
1339, il y eut, assure-t-on, des canons en France. Froissard nous dit que la
garnison du Quesnoy dirigea ses canons contre les Français, leur lança des
projectiles et les força ainsi à s'éloigner. On affirme aussi qu'à la
bataille de Crécy les Anglais avaient six canons qui décidèrent du sort de la
journée. Mais cette artillerie fut longtemps imparfaite ; et plus tard
encore, comme on le voit aux sièges de Rhodes et de Constantinople, les
anciens engins de destruction, tels que la baliste, la catapulte et le
bélier, furent simultanément employés avec les nouveaux. « Dès 1347[8] il y avait dans les armées des
gunners ou cannoniers, fait constaté par un ancien manuscrit intitulé : solde
(le guerre en Normandie, par Waller-Wentwaght. Ce document prouve la vérité
du récit de Jean Villani qui rapporte que les Anglais avaient des bouches à
feu à Crécy en 1346... Édouard III s'était déjà servi d'armes à feu contre
les Écossais. Au commencement du quinzième siècle elles s'étaient fort
multipliées et étaient de de toutes les formes. Les unes, courtes et larges,
ressemblaient à de vrais tonneaux, et lançaient des boulets de pierre qui
avaient vingt-six pouces de diamètre et pesaient environ mille livres ; les
autres, très-longues (jusqu'à trente-six pieds) et très-étroites, lançaient des
balles de plomb[9], sans compter beaucoup de
formes intermédiaires. » C'est à l'attaque de Romorantin, peu avant la
bataille de Poitiers, que le prince Noir se servit de canons de siège pour la
première fois. On
distinguait au quinzième siècle quatre genres de bouches à feu. Il y avait 1°
des bombardes ou mortiers lançant d'énormes boulets de pierre ; 2° des canons
pierriers dits vauglaires, dont les boulets étaient de petit calibre ;
3° de petits canons lançant des balles de plomb et portant, suivant leur
forme, différents noms ; 40 des armes portatives dites coulevrines ou canons
de main. Il y eut des canons en fer forgé, en fonte de fer et en bronze ; il
est certain que ces derniers furent en usage de très bonne heure, car dès
1354 le roi Jean défend d'exporter le cuivre afin d'en faire de l'artillerie.
Parmi les pièces prises à Granson et à Morat on en voit une de fer coulée à
l'arsenal de la Neuville, près Berne ; il y en avait aussi en bronze, puisque
Charles le Téméraire fit fondre les cloches du pays. Dès le quinzième siècle
on commença à employer les boulets de fer et à monter les pièces sur des
affûts mobiles : l'adoption du boulet de fer coulé ne tarda pas à devenir
générale. On assure que devant Nancy, en 1475, Charles avait des courtauds
qui lançaient des boulets de la grosseur de la tête. On distinguait le
courtaud de la coulevrine ou pièce longue, autre que celle qui était
portative. « L'usage
de charger par la culasse, qui remonte au quatorzième siècle, fut
successivement abandonné et repris. Les canons de fer forgé qui se
chargeaient par la bouche étaient faits d'une tôle cylindrique de quatre à
cinq lignes d'épaisseur, roulée ou formée de plusieurs pièces assemblées,
comme les douves d'un tonneau, par les manchons en fer placés joints à
joints, recouverts eux-mêmes d'anneaux plus rapprochés du côté de la culasse,
ce qui donnait à tout ce système la solidité requise. Les pièces bourguignonnes
prises à Granson et à Morat étaient ainsi construites. » Mais
Louis XI comprit mieux que personne de son temps toute l'importance de
l'artillerie. Avec un vif intérêt il en avait observé les effets aux sièges
et aux batailles où il s'était trouvé, et récemment dans les luttes de
Granson et de Morat. Aussi ne négligea-t-il rien pour mettre la sienne sur
tin pied formidable, pour en grossir le calibre et en rendre le tir de plus
en plus juste. Vers 1470 il fit fondre à Tours douze coulevrines en bronze
qu'il baptisa du nom des douze pairs. C'est par erreur qu'on affirme que
l'une d'elles aurait été prise à Montlhéry, ce qui en porterait plus haut
l'origine, puisqu'il est certain qu'à cette bataille Louis XI n'avait point
d'artillerie[10] ; c'était là surtout son
désavantage. Venu à la hâte sur le terrain et avant même le gros de son
armée, son artillerie, s'il en eut, dut être légère. Plus tard, en 1476, le
roi fit encore couler douze grosses bombardes en fer qu'il sut rendre tout à
fait maniables[11]. Tels sont les progrès que
Louis XI, aussi pénétré des exigences de la guerre que des nécessités de la
paix, fit faire à l'artillerie. Grâce à ses soins on vit en Italie dans
l'armée de Charles VIII un parc de siège de trente-six basilics en bronze du
calibre de quarante-huit, avec soixante-quatre coulevrines et autres pièces,
nombre qui dépassait de beaucoup ce qu'on avait encore vu. Les
armes de main furent aussi modifiées ; le bec de corbin remplaça la hache. On
conçoit que cette espèce de hallebarde fut destinée à accrocher le cavalier
ennemi et à l'entraîner hors de sa selle. Armée de cette façon, la seconde
compagnie des gardes du roi fut dite « les, gentilshommes au bec de corbin, »
et le mot parait dater de Louis XI. C'était
pendant son séjour à Tours et aux environs que le roi élaborait en sa pensée
ses grands projets pour la force, l'unité, la gloire et la prospérité de la
France. Ce coin de terre de la Touraine lui souriait plus que tout autre,
comme Tibur à Horace. Et quel lieu avait plus de titres à sa sympathie que
cette belle province ! Là-il avait passé une grande partie de sa jeunesse, et
depuis son avènement c'était sa résidence d'hiver préférée. La Loire lui
donnait un facile trajet tantôt vers Amboise et Notre-Dame de Cléry, tantôt
vers Angers et Nantes. De là il rayonnait en toutes les directions et pouvait
tout surveiller par lui-même. La beauté et la douceur du climat y inspiraient
les artistes, et ceux-ci à leur tour y développaient le sentiment du beau.
Aussi y eut-il en Touraine, avant la renaissance, une aurore du goût et de
l'art dès le quinzième siècle. Le dessin et la peinture y étaient surtout en
grand honneur et servaient à enrichir les manuscrits de ce temps de
miniatures que nous admirons encore. Avec ses figures coloriées, ses
arabesques si gracieuses et si_ variées, ses tableaux vivants empruntés à
tout ce qu'on voyait alors de plus beau en Italie, cet art de la
manuscription s'était élevé en France à une rare
perfection. Les princes mêmes, tels que Charles d'Orléans et René d'Anjou, en
faisaient leurs délices, et plusieurs grandes villes, Orléans surtout, y
trouvaient leur richesse. Parmi les artistes de premier ordre de ce temps on
cite les Fouquet. Jean
Fouquet était né à Tours vers 1420. Il fut peintre de Charles VII et de Louis
XI, et paraît avoir laissé en beaucoup de manuscrits de cette époque des
miniatures encore fort estimées de nos jours. On cite un manuscrit de la
bibliothèque de Munich exécuté en 1458, copie d'un autre, écrit en 1409 ;
c'est une traduction française du livre de Boccace intitulé les Nobles
malheureux ; on y voit la cour plénière de Vendôme jugeant le duc d'Alençon.
On a encore de lui[12] les ornements du manuscrit de
Joseph, et les feuillets du livre d'heures de Francfort. A lui, ou à ses
fils, on attribue les deux portraits de Charles VII et de Juvénal des Ursins
et un diptyque qu'on voyait dans l'église de Milan. La Vierge peinte sur l'un
des panneaux était, dit-on, le portrait d'Agnès Sorel ; l'autre représentait
la figure d'Estienne Chevalier, secrétaire et chambellan de Louis Xi,
trésorier et ambassadeur de France et le Mécène de l'auteur. « Cinquante
ans après sa mort un chanoine de Toul, appréciateur fort éclairé, met Fouquet
au premier rang des grands esprits qui honoraient la France[13]. » Un Florentin nommé
Francesco Florio, l'auteur du roman de Camille et d'Émilie d'Arezzo, qui
paraît être venu en France avec Angelo-Catho et y être resté plusieurs
années, nous a laissé ses impressions sur la Touraine[14] dans une épître descriptive
écrite avant 1477. Non-seulement il loue les beautés naturelles du pays, mais
il a admiré la splendeur de ses monuments artistiques, ses belles églises, la
cathédrale de Saint-Gatien, la grande collégiale de Saint-Martin, dont il
décrit les ornements, et l'antique abbaye de Saint-Julien ; puis il s'arrête
à Notre-Dame la Riche fondée par saint Gatien et embellie des dons du roi : «
Là, dit-il, en comparant les tableaux les plus modernes avec les anciens,
j'observe combien Jean Fouquet l'emporte sur les peintres de tous les siècles[15]. » Enfin Florio a visité
près de la ville le château de Montils, « résidence ordinaire, dit-il,
du sage roi des Français[16] ». On voit que la mode de
dénigrer Louis XI n'était pas encore venue. Ainsi donc, avant le seizième
siècle les arts du dessin existaient réellement dans l'école de Tours. Dès
1461, comme on sait, le roi avait accordé de grands privilèges au corps
municipal de cette bonne ville : il voulut faire quelque chose de plus. Il
pensa que pour une aussi riche industrie que celle de la soie ce n'était pas
trop de deux centres d'activité. Les eaux de la Loire pouvaient aisément
rivaliser avec celles du Rhône ; ce qu'il avait fait pour Lyon quelques
années auparavant il le fit de nouveau pour Tours. Il y appela donc du midi
de la France et même de Grèce et d'Italie, des ouvriers teinturiers et
tisseurs avec tout leur outillage. Loin de voir cette émigration d'un œil
d'envie, les Florentins et surtout les Médicis secondèrent de leur mieux les
vues du roi et lui prouvèrent ainsi leur attachement à la France, ce que
Louis XI n'oublia pas. De plus il fit planter des mûriers dans son parc du
Plessis, et partout aux environs où le bon vouloir des propriétaires lui vint
en aide. Par
suite de son ordonnance de 1470, il s'était donc établi à Tours, sous ses
yeux et par ses soins, des manufactures d'où sortaient alors des étoffes de
soie, des draps d'or et d'argent des plus beaux que l'on vît. Les ouvriers
abondèrent ; ces hôtes étrangers furent d'abord logés par les habitants ;
puis, grâce à la protection royale, ils eurent peu à peu leur domicile et
leur installation. Le roi les combla toute sa vie de privilèges ; il leur
donna toute liberté de disposer de leurs biens, même en faveur de-parents
habitant d'autres royaumes : ses lettres patentes d'octobre 1480 déclarent
les ouvriers en soie français et étrangers exempts de taille et de toute
autre imposition pour vingt ans. Il avait confié le soin de toutes ces
manufactures à Jean Briçonnet, seigneur de Varennes, dit le Père des pauvres,
qui le premier, en 1462, fut institué maire de Tours, et était de cette
honnête et illustre famille de financiers que l'histoire n'oubliera point.
Par tous ces efforts du roi, Tours, alors cité comme une des anciennes
lumières de la foi dans les Gaules, et pour sa fidélité à la maison de France
dès le temps de Philippe-Auguste, s'éleva encore au rang des centres
industriels les plus notables. Il en résulta pour la ville une augmentation
sensible de population et de richesse, et sa prospérité fut si grande qu'à la
fin du seizième siècle elle comptait, dit-on, plus de soixante-dix mille
habitants 1 Alors, la plupart de ses manufactures étaient tenues par des
partisans de la réforme. Là, plus près du séjour de la cour, ils s'étaient
peut-être un peu trop laissé envahir par l'esprit de parti. Mais les malheurs
de nos guerres de religion, les excès commis de part et d’autre, toutes ces
fautes enfin semblaient avoir été couvertes et en quelque sorte abolies par
l'édit de Nantes. Henri IV, surtout par ses lettres qui étendaient les
plantations de mûriers dans tous les lieux propices à cette culture, continua
le bienfait de Louis XI et protégea cette belle industrie aussi bien à Tours
qu'à Lyon, n'écoutant qu'à demi sur ce point les représentations de Sully. La
révocation de l'édit de Nantes changea cet état de choses. A Lyon, où l'on
comptait sous Colbert de neuf à douze mille métiers, il n'y en avait plus en
1760 que quatre mille. Cette loi frappa d'un coup funeste la ville de Tours,
où les réformistes étaient plus exposés à l'action du pouvoir : car c'était
bien une sorte de persécution que la défense de s'assembler sous les yeux
d'un ministre de leur culte, et cela sous les plus grandes peines de la
confiscation des biens et des personnes Ainsi notre industrie fut exilée à
l'étranger. Ces vicissitudes sont autant de preuves de la valeur du présent
fait par Louis XI à sa ville de prédilection. La Touraine, comme le Lyonnais,
ne peut donc que lui en garder bon souvenir. Il croyait ainsi bien plus
avancer les affaires de la France que par la guerre. Cependant
de grands événements se préparaient en Lorraine ; le duc Charles de Bourgogne
avait bien laissé quelques troupes pour garder les principales villes et
châteaux de ce pays, confiant à Jean de Rubempré le commandement de Nancy et
des environs. Mais, grands et petits, les Lorrains repoussaient le joug des'
Bourguignons : les seigneurs voisins, sortant à l'improviste des petites
places qu'ils tenaient, tombaient sur les garnisons bourguignonnes et les
forçaient à capituler, en sorte que Gondreville, Bruyères, Saint-Diey,
Remirecourt et autres villes, furent successivement abandonnées des soldats
de Bourgogne, Picards ou Flamands, qui allaient se réfugier à Nancy. Le pays
était donc nécessairement livré au pillage ; car, outre les nécessités de la
guerre, on remarquait parmi les combattants beaucoup d'aventuriers, tels que
Colignon de Ville dit La Fortune à la tête de cinquante Gascons, le
bâtard de Vaudemont, l'écuyer Gérard, Pierre du Fay, Vautrin son frère, Ferry
de Tantonville et beaucoup d'autres. Ils
prirent d'abord Bayon ; puis quatre mille hommes, sous les seigneurs de
Savigny, de Hardemont, de Saint-Amand, d'Haussonville et d'Aigremont, appuyés
des sires de Bitche, de Réchicourt, de Salm, et des renforts que René II leur
envoyait de Strasbourg où il était, allèrent hardiment assiéger Lunéville et
firent capituler la garnison. Maîtres ainsi[17] de presque toutes les places
d'alentour, ils attaquèrent Nancy même ; entreprise téméraire s'ils ne
s'étaient sentis soutenus des vœux de la population. On leur apportait, en
effet, des vivres en abondance, tandis que les Bourguignons, nombreux il est
vrai, manquaient de tout. Enfin ils firent si bien, qu'au bout de quinze
jours la garnison ne sortait plus aussi fréquemment lorsque la nouvelle de
l'approche du duc Charles leur fit lever le siège. C'était
un faux bruit : le duc, comme atterré de ses deux défaites et de son
impuissance à recommencer la lutte, était toujours, avec un petit noyau de
ses gens, au château de la Rivière près Pontarlier. Les seigneurs lorrains
restèrent donc dans le voisinage : du camp qu'ils formèrent à la Neuve-Ville
ils venaient escarmoucher devant Nancy. Pendant ce temps René de Lorraine, à
la requête des gens d'Épinal qui avaient grand désir de se délivrer des
Bourguignons, y appela le bâtard de Vaudemont ; à un jour dit, il s'y rendit
lui-même avec deux cents chevaux, un certain nombre de gentilshommes et deux
mille hommes de pied. La garnison, voyant les Lorrains en belle ordonnance et
appuyés des habitants de la ville et du pays, évacua la place et le château.
René confia Épinal à un de ses plus fidèles partisans, Menaud de Guerre, y
laissa une bonne garnison, et retourna à Strasbourg. Là il
réunit une petite armée de six mille hommes, et, muni d'une bonne artillerie,
il rentre en Lorraine plein d'espoir en sa fortune ; il appelle autour de lui
la noblesse du duché ; à la fin d'août il est à Saint-Diey et sans retard il
arrive devant Nancy. Les tranchées faites, l'année d'avant, par les
Bourguignons n'étaient point comblées ; le duc s'en servit et se mit en devoir
d'assiéger la ville. Mais le meilleur auxiliaire de René était la famine ;
aussi les combats ne furent guère que des escarmouches plus ou moins vives.
Bientôt une grande disette régna dans la cité ; soldats et habitants
refusèrent également d'en souffrir plus longtemps. Le gouverneur se vit donc
obligé d'envoyer des officiers pour traiter de la reddition. Ils demandèrent
de se retirer vies :et bagues sauves ; le duc consentit à tout, mais pour ce
jour-là (5
octobre) seulement. Le sire
de Bièvres, fils d'Antoine de Rubempré et de Jacqueline de Croy, tante de
René, se trouvait être ainsi parent du duc. Lorsque pour sortir il parut à la
tête de ses cavaliers, René mit pied à terre, s'inclina, et sans permettre
que ce brave capitaine descendit de cheval, il lui dit : « Mon oncle, je vous
remercie humblement d'avoir si courtoisement gouverné mon duché. » La
capitulation s'était faite sur les bases les plus larges. On pourvut aux
veuves et aux orphelins des officiers morts pendant le siège ; les
conventions portaient même que Jean Milton serait payé de la rançon d'un
prisonnier qu'il avait acheté à la prière de celui-ci. Cependant
Charles de Bourgogne ne voyait nul empressement à venir à son camp, tant la
mauvaise fortune a peu d'attrait ! La pensée de donner sa fille au fils de
l'empereur et de trouver là un appui, l'entretenait encore en ses illusions ;
mais le bruit des succès de René de Vaudemont le réveilla de cette torpeur. H
lève son camp, qui n'est encore que de six mille hommes, et se met en marche
vers le 30 septembre, non sans faire appel à tous ses vassaux ; il les excite
à venir le rejoindre par les plus belles promesses, et accorde la noblesse à
ceux qui voudront le suivre et le servir. Il traverse ainsi la Franche-Comté,
où il se recrute de quelques compagnies de bonne volonté : sur les marches de
Lorraine, il reçoit un renfort du Luxembourg, et ses amis les comtes de
Chimay et de Nassau lui amènent encore quelques troupes. Le
comte de Campo-Basso était revenu de ses pèlerinages, et le duc, au mépris
des bons avis du roi, lui témoignait confiance et amitié. Au lieu de lui
savoir gré de sa fidélité à observer la trêve, le duc affectait au contraire
de montrer sa méfiance à l'égard de Louis XI, de se plaindre du bon accueil
que les Suisses recevaient de lui, et de ce que, chose que le roi ne pouvait
empêcher, quelques gentilshommes passaient la frontière pour venir offrir
leurs services au duc de Lorraine. Charles
arrive le 6 octobre à Bullegnéville, et il s'avance par Neuf-Château et Toul.
Les magistrats de cette ville, sous prétexte qu'ils voulaient garder la
neutralité, osèrent le prier de se loger, lui et les siens, aux environs. De
là le duc se dirige vers Pont-à-Mousson, pour rallier quelques troupes
recrutées par Campo-Basso. René de Vaudemont le suivait et le harcelait. Mais
son armée était moins forte que celle de Bourgogne ; quelques mutineries des
Allemands qu'il commandait ne lui permettaient pas de compter absolument sur
eux ; aussi observait-il son ennemi, évitant toute rencontre décisive. Le 17
octobre, à Dieulewart surtout, après s'être canonnés jusqu'à la nuit, René
décampa sans bruit et se retira dans Pont-à-Mousson, barrant ainsi le passage
au duc Charles. Le 19 encore les deux armées furent en présence, n'étant
séparées que par un bois ; mais, la nuit venue, René rentra de nouveau à
Pont-à-Mousson : là une révolte des Allemands le décida à les ramener à
Nancy. Il vit bien qu'il lui fallait d'autres soldats pour avoir complétement
raison de son adversaire. Ayant donc pourvu la ville d'une bonne garnison
sous les ordres de Gratien de Guerre[18], de Pierre Cotteral, des
capitaines Fortune et Pied de Fer, et après avoir nominé Oswald de Thierstein
maréchal de Lorraine, il partit en quête d'une nouvelle armée. Les bourgeois
du Nancy, inquiets de son départ, étant allés le trouver à Saint-Nicolas, le
duc leur demanda de tenir pendant deux mois, leur promettant de revenir les
secourir. Ils lui en donnèrent l'assurance. D'ailleurs dans chaque ville de
quelque importance, René laissait une garnison et un chef digne de confiance
: à Rosières, le sire de Malhortie ; à Lunéville, Donestein avec bon nombre
d'Allemands ; à Gondreville, le baron de Vaudemont ; à Vaudemont, Colignon de
Ville ; à Mirecourt, les fils de Tantonville ; à Épinal, Vaultrin de
Vaubecourt et Pierre du Fay, et dans les villes de Bruyères, Remirecourt et
Saint-Diey, les sires Vaultrin de Wiss, de Hardemont et d'Haussonville.
Lorsqu'il voulut congédier les Allemands de sa suite, ils se mutinèrent de
nouveau et réclamèrent encore deux ou trois cents florins. Enfin il partit
pour Bâle et Strasbourg. Le 25
octobre le duc Charles vint mettre le siège devant Nancy. En face d'une
garnison résolue et dans un pays entièrement hostile, l'entreprise était
hardie. D'ailleurs le duc continuait à dédaigner les bons avis du roi ; il ne
connaissait pour amis que ceux qui le flattaient et sa confiance en
Campo-Basso était absolue ; on en vit bientôt la preuve. Quatre-vingts
gentilshommes ayant essayé d'entrer dans la place malgré les Bourguignons, un
Provençal, nommé le sire de Baschi, fut pris. Le duc ordonna qu'on le pendît
; et comme cet officier voulait, disait-il, faire une importante révélation
au duc, Campo-Basso insista pour que la sentence fût exécutée sans délai.
C'était par lui, en effet, que le comte italien faisait offrir à René de
trahir le duc son maître. Cela devint l'occasion de funestes représailles.
Informé de ce fait, le duc de Lorraine envoya au bâtard de Vaudemont l'ordre
de faire pendre les cent vingt Bourguignons qui avaient été pris à
Gondreville. Les
capitaines lorrains des places voisines ne cessaient, de leur côté,
d'inquiéter les assiégeants ; nul ne portait des vivres au camp du duc ; plus
d'une fois les convois que lui envoyait l'évêque de Metz, son allié, furent
interceptés ou pris. Tous les jours c'était quelque nouvelle attaque. Tantôt,
la nuit de la Toussaint, le bâtard de Vaudemont sort avec quatre colla hommes
de Gondreville, descend dans Laxou et fait main basse sur tous les
Bourguignons qu'il rencontre ; tantôt Malhortie, apprenant que quelques
recrues de Bourgogne sont venues coucher à Tonnoy, s'esquive nuitamment de
Rosières et va tuer tous les Bourguignons qui s'étaient logés dans Tonnoy :
une autre fois, c'est Donestein de Lunéville et Malhortie qui, d'accord,
tombent à l'improviste sur un certain nombre d'officiers de Bourgogne
installés à Saint-Nicolas pour se soigner et se remettre. Charles n'avait
donc que des mécomptes, et ce siège ne réussissait pas mieux que celui de
Neuss. C'est
alors qu'Alphonse V de Portugal vint le trouver. « Ce povre roy, dit
Comines, qui estoit bon et juste, mit dans son ymaginacion qu'il pacifieroit
tout ce différend entre le roy et son cousin germain. Arrivé le 29 décembre
au camp du duc, il trouva la chose bien mal aysée ; ainsi il n'y arrêta que
deux jours. » Le moment, en effet, n'était pas propice pour demander au duc
aide et assistance. Aussi, loin de lui rien promettre, Charles, au contraire,
cherche à l'attirer à son service et lui offre le commandement de
Pont-à-Mousson, ce qu'il n'eut garde d'accepter. Il revint donc auprès de
Louis XI qui mit à sa disposition ses vaisseaux et chargea Antoine de
Foudres, son maître d'hôtel, de le reconduire à Lisbonne, où il arriva après
un an d'absence. Le roi donna même, dit-on, six mille livres à Léopold
d'Albukerque, premier chambellan de ce prince. Pendant
ce temps René II ne restait pas inactif. De Strasbourg, où il emprunte dix
mille ducats, il court en Suisse. Là, malgré la sympathie qu'on avait pour sa
cause, il rencontre bien des délais. L'urgence était évidente ; mais on
approchait de l'hiver, et le cardinal de Pise ; légat du Pape, remplissait là
avec zèle sa mission pacifique, rem cintrant de son mieux que Charles de
Bourgogne ne demandait qu'à faire une bonne paix avec les Suisses ; chose
fort douteuse d'ailleurs. Le 11 novembre René exposa très-vivement sa
détresse à l'assemblée de Bâle ; ce n'était pas assez de convaincre les
députés des villes allemandes, il lui fallut parcourir les cantons suisses et
promettre de donner quatre florins de solde par mois à ceux qui le
suivraient. Ces volontaires devaient se joindre au secours officiel dont il
espérait la promesse. Enfin à l'assemblée de Lucerne du 25 novembre on décide
que nulle paix ne sera faite avant que la Lorraine ne soit rendue à René If,
et que l'urgence de prendre les armes sera publiée dans toutes les églises. «
Monsieur, dit au jeune duc un tanneur, alors maître échevin de Zurich, ne
vous étonnez point ; nous voulons vous donner secours, et tout au plus tôt.
Vous viendrez demain au matin, et vous prendrez jour pour emmener les gens
que nous vous promettons. » On désigna le jour de Noël. René
trouvait une profonde sympathie dans les chefs suisses, surtout auprès de
Hanns de Waldmann, qui l'avait si bien apprécié à Morat, et l'Helvétie
entière faisait des vœux pour lui. Le recrutement de son armée fut donc
facile. Aux anciens guerriers se mêle une jeunesse enthousiaste. Cette armée,
qui n'était qu'un projet le 25 novembre, est réunie et passée en revue à Bâle
le 24 décembre. Il manque, dit-on, douze cents florins pour compléter la
solde : le comte Oswald de Thierstein donne ses deux fils en otage et la
somme est bientôt empruntée. Le duc René n'avait pas hésité déjà à engager
toute sa vaisselle ; d'ailleurs il avait reçu du roi sa pension de quinze
mille livres et une avance que l'on porte[19] à quarante mille livres. On part
donc de Bâle le jour de Noël après la messe : le froid fait hâter le pas.
Près de Blotzheim le duc René se met à la tête des Suisses, la hallebarde sur
l'épaule. On passe à Colmar, à Schelestadt, non sans piller un peu les Juifs.
A Lunéville on est complété par les auxiliaires d'Allemagne et de Strasbourg,
qui, se piquant d'émulation, étaient arrivés même avant les Suisses. On vit
venir aussi quelques cavaliers du Wurtemberg et un petit nombre de
volontaires de France. Tous les officiers lorrains des villes voisines
avaient reçu l'ordre d'être rendus à Saint-Nicolas le vendredi 4 janvier.
Fidèle à sa parole René arrive le jeudi 3 à Craon, près Luneville, et le
lendemain, à la tête d'une armée de plus de vingt mille hommes, il s'empare
de Saint-Nicolas. Il était temps : Nancy, cette ville fidèle, était réduite
aux dernières extrémités de la faim. Jusque-là tout souriait à René. Mais il
est un fait que nous voudrions pouvoir effacer de la mémoire de ce prince.
Maître de Saint-Nicolas, il ordonne de rechercher dans les maisons et même
dans les églises les Bourguignons qui s'y étaient cachés, et il les fait tous
massacrer ! Ainsi il y a des hontes dans les deux camps. A la
nouvelle de l'approche des Suisses le duc de Bourgogne tente encore un assaut
qui est aussi vaillamment repoussé que les autres. Il tint alors conseil :
presque tous ses officiers, surtout les princes de Chimay, de Nassau et le
sire de Contay, dont la fidélité lui était bien connue, furent d'avis de
lever le siège et d'aller se ravitailler dans le Luxembourg. La désertion
plus que la guerre avait affaibli l'armée de Charles et elle était
certainement moins nombreuse de moitié que celle de René ; mais comment
croire[20] qu'elle fût réduite à quatre
mille hommes ! Malgré l'insistance avec laquelle le duc avait écrit le 31
décembre à ses lieutenants et surtout au sire du Fay, gouverneur du
Luxembourg, de venir en toute hâte avec le ban et l'arrière-ban, cependant
rien n'arrivait. Nonobstant ces motifs et ces bons avis le duc se décide à
livrer la bataille et il en arrête les plans. Campo-Basso a tout entendu, peut-être même tout suggéré. Il disparaît avec sa compagnie, sous le prétexte d'aller occuper le pont de Bouxières, de faciliter l'accès des renforts de Flandre, et de fermer tout passage aux forces lorraines ; mais en réalité pour trahir comme toujours, et pour offrir à René II un concours qui est rejeté : ce fut là un généreux refus. D'ailleurs René, si supérieur en nombre, n'avait nul besoin d'un pareil secours. Le sire de Craon, chef de l'armée d'observation, ne le reçut pas davantage. On dit encore que Campo-Basso aurait usé d'un autre genre de perfidie, en laissant dans l'année plusieurs officiers qui, au premier feu, devaient lâcher pied, et, dans le désordre, suivre le duc de près, et s'en emparer. Les malédictions de l'avenir devraient se représenter à ceux, liste maudite, qui la veille d'une bataille ont la pensée d'une trahison ! |
[1]
Meyer. — Thomas Bazin.
[2]
Molinet.
[3]
Dom Calmet.
[4]
Monin.
[5]
Monstrelet.
[6]
Barante.
[7]
Guichenon.
[8]
Louis-Napoléon.
[9]
Voir le Trésor des chartes et l'Inventaire de l'hôtel de ville de Paris en
1505.
[10]
Jean de Troyes.
[11]
De Barante, t. XI, p. 381.
[12]
Mémoires archéologiques de Tours, t. X.
[13]
M. de Riancey.
[14]
Mémoires archéologiques de Tours, t. VII.
[15]
Pingendi arte omnes antiquos facile sapera rit.
[16]
Ubi justiesimus princeps vitam agere consuerit.
[17]
Dom Calmet.
[18]
Dom Calmet.
[19]
Comines et Olivier de la Marche.
[20]
Comines.