Campagne de lei. —
Lettre du duc de Bourgogne et réplique de Dammartin. — Trêve du 9 avril. —
Actes administratifs. — Nouveaux malheurs de Marguerite d'Anjou. —
Intervention en Savoie. — Relations diplomatiques avec la Bourgogne. —
Projets de mariage de Charles de France. — Intrigues à la cour de Guienne. —
Interpellation adressée au duc de Bretagne. — Traité du Crotoy non ratifié
par Louis XI, et mort de Charles de France. — Manifeste du duc de Bourgogne.
— Louis fait instruire en Bretagne le procès des coupables. — Le duc Charles
rompt la trêve. — Siège de Beauvais. Le sire de Beaujeu surpris dans
Lectoure. — Trêve avec la Bretagne. — Comines vient en France. — Relations
avec l'Italie. — Meurtre du duc d'Armagnac. — Procès du duc d'Alençon. —
Affaire du duché de Gueldres. Entrevue de Charles et de l'empereur. — Traité
de Perpignan.
Tout
faisait prévoir en France une lutte prochaine, et des deux parts on s'y
préparait activement. L'approche de l'hiver ne retarda aucuns préparatifs et
l'occasion semblait trop favorable à Louis XI pour qu'il la laissât échapper.
Le rétablissement de la maison de Lancastre lui promettait la paix avec
l'Angleterre et tenait en respect le duc de Bretagne. Il désirait reprendre
ces villes de la Somme si chèrement rachetées à la Bourgogne et si
déloyalement extorquées par elle. Dès le mois de décembre[1], le roi se fit amener une bonne
artillerie de Tours au Louvre. Le 10, le sire Artur de Longueval, chevalier,
et d'autres gentilshommes avec deux cents lances « entrèrent pour le roy dans
Saint-Quentin du bon vouloir des habitants ; bientôt le connétable y vint
lui-même avec quatre cents lances, et Louis XI, pour lui en témoigner sa
satisfaction, lui fit don par lettres de Noyon, février 1470, des
châtellenies de Péronne, Montdidier et Roye, s'il pouvait s'emparer de ces
villes. Le duc,
qui était alors à Hesdin, s'en fut à Aire, où il promit à Édouard de le
seconder de ses navires et de son argent pour retourner en Angleterre ; puis,
à la nouvelle de la prise de Saint-Quentin, il manda au comte de Saint-Pol de
venir combattre pour lui, puisqu'il est né son vassal. Le connétable lui
répondit qu'il était bon pour lui répondre de sa personne. A ce défi le duc
fit saisir sur-le-champ les seigneuries d'Enghien, de Lifte et tout ce que
possédait le comte en Flandre et en Artois. De son côté, assure-t-on,
Saint-Pol saisit les seigneuries de Marie, du Châtelar et toutes les terres
de ses enfants alors au service du duc ; tant la position du connétable
devenait fausse et difficile ! Ces
premiers succès furent une grande joie à Paris. On y désirait aussi vivement
le rapatriement de ces villes de la Somme qu'elles-mêmes souhaitaient d'être
françaises. Aussi Jean de Ladriesche, trésorier de France et autres
officiers, firent-ils faire un cri public à la table de marbre au palais
royal de Paris, pour annoncer officiellement la prise de Saint-Quentin
demandant au ciel « bonne prospérité pour Louis et le connétable, afin de
parvenir au recouvrement des autres villes du roy et pays engagés, qu'il
avait l'intention de mettre hors des mains de Charles, soi-disant duc de
Bourgogne ». Louis XI, en effet, avait fait publier les décisions des
notables qui déclaraient tous princes affranchis du traité de Péronne et les
biens du duc Charles confisqués, avec ordre aux officiers de s'en emparer,
s'il le fallait. Aux premiers jours de février, il y eut dans la capitale des
processions solennelles, en actions de grâce de ces succès, auxquelles la
reine et les autres princesses assistèrent[2]. Pendant
ce temps le roi veillait à tout : s'il se montre prêt à récompenser ceux qui
le servent, il prend soin également d'empêcher toutes vexations. Ayant donc
ordonné une recherche des francs-fiefs et nouveaux acquêts en Normandie, il
charge Guillaume Picard et maître Bourré, ses officiers des finances, de
faire cette enquête sans fouler personne en y mettant modération et justice ;
et il donne la moitié du produit à l'amiral bâtard de Bourbon. Au
commencement de janvier Louis quitte Amboise pour aller à Cléry et à Orléans
; de là il traverse la Beauce, s'arrêtant au Puiset, à Palaiseau près
Montlhéry et à Sceaux, où il dîne chez Jean Baillet, maître des requêtes de
son hôtel. Enfin il se rendit à Paris, en son palais des Tournelles, et « avec
lui y vinrent aussi la reine, Madame de Bourbon et autres plusieurs dames et
demoiselles de leur compagnie ». Il y resta jusqu'au 26 janvier, alors il en
partit pour se rapprocher de son armée vers Senlis, Compiègne et autres
lieux. Dans une lettre de Noyon, 44 février, adressée au bâtard de Bourbon,
il se montre fort inquiet de ce que Chabannes a fait passer la rivière de
Somme à sa cavalerie. Lui-même il transporte par eau son armée à Noyon et
partout où il la croit nécessaire ; mande aux nobles et francs-archers de
l'Ile-de-France d'être prêts à le suivre, et il ordonne de fabriquer de la
poudre à Paris. Ses soins attentifs ne laissent rien en souffrance. « Son
lieutenant manque-t-il de vivres[3], qu'il en demande à Rouen, à
Paris, à Beauvais ; surtout qu'il lui écrive souvent. » Le duc,
de son côté, avait assemblé ses forces. Il eut alors, dit-on, jusqu'à quatre
mille hommes d'armes avec chacun quatre_ chevaux, ce qui faisait environ
vingt mille hommes de cavalerie. Mais le roi y avait pourvu. En Picardie
commandaient le connétable et le grand-maître Dammartin, deux hommes de
guerre fort différents. C'était en Chabannes, toutefois, que Louis XI se
fiait le plus. Aussi lui mande-t-il de Chartres ses instructions « Le
gros de l'armée ducale est vers Hesdin ; c'est par là qu'il doit marcher,
occuper un point qui divise les ennemis, et faire en sorte de les atteindre.
Lui-même il va à Compiègne, où il sera en peu de jours, et il verra tout de
ses yeux. » Dammartin
alla à Roye, dont le commandant, le sire de Poix se rendit. Montdidier essaya
de lui résister, mais ne le put, malgré le courage des femmes de la ville,
qui secondèrent la garnison. Alors Philippe de Querdes, avec quelque mille
hommes, étant entré par surprise dans Abbeville, Amiens craignit le même sort
et voulut traiter avec Dammartin ; celui-ci ne se pressa point. Le duc
Charles, en effet, était à Doulens avec son armée, et pouvait le venir
enfermer dans la ville. Mais, soit qu'il craignit de s'affaiblir devant
l'armée française en mettant une forte garnison dans Amiens, soit qu'il se
fit illusion sur les sympathies bourguignonnes de cette cité, le duc se
décida, après en avoir délibéré, « à se reposer sur la fidélité des bourgeois
». Pendant ces tergiversations du duc, Dammartin traita le 2 février avec
Amiens, par l'entremise du maire, sire Philippe de Morvilliers, neveu de
l'ancien chancelier[4]. Le 10, il fut reçu avec deux
mille hommes de ses meilleures troupes, et les habitants, Français de cœur,
prêtèrent de nouveau serment de fidélité au roi. Le sire de Querdes empêchait
Abbeville d'en faire autant. Le duc
s'était retiré de Doulens à Bapaume et à Arras. C'est alors qu'il écrivit au
comte de Dammartin une longue lettre de reproches datée de son château
d'Hesdin, 16 janvier, lettre curieuse qui montre la rudesse de son caractère
et sa merveilleuse présomption. N'omettant aucun de ses titres, il commence
par ces mots : « Comte de Dammartin ». D'un ton aigre et menaçant,
il essaye d'intimider celui qu'il croit son inférieur ; il lui reproche le
n'être plus ce qu'il fut lors de la ligue du bien public, puis il se récrie
contre la violation des traités de Confins et de Péronne, et « contre la
cauteleuse et décepteuse prise de Saint-Quentin ». Mais il ignorait encore à
qui il s'adressait. Dammartin
lui répondit sur-le-champ, datant sa lettre du même jour, et d'Amiens, dont
il était proche. Laissant de côté toutes les subtilités imaginées par les
légistes, il écrit, dit-il, en homme plus habitué à manier l'épée que la
plume. D'ailleurs tout ce qu'il a fait et fera toute sa vie contre le duc
n'est qu'à l'honneur et profit du roi et du royaume. Il déclare que ce qu'il
plaît au prince d'appeler le bien public doit plutôt véritablement être dit
le mal public, et que si alors il n'a pas servi le roi, ce n'a pas été sa
faute. A son tour, il reproche au duc d'avoir abusé de la confiance du roi
qui, « ne précogitant pas le danger où il se mettait, » était allé le
trouver, et de s'être emparé de sa personne ; « péril, dit-il, dont la
bonté infinie de Dieu l'a préservé, si bien que vous ne pûtes venir à vos
fins. Avec la grâce de Dieu, ajoute-t-il, ainsi en sera-t-il encore de vos
intentions obliques et occultes. » Il
ajoute en finissant : « Très-haut et puissant prince, il ne vous en est
demeuré que le déshonneur, et la foi que vous avez à bon droit perdue,
lesquelles choses dureront par éternelle mémoire envers tous princes nés et à
naître... Si je vous écris choses qui vous déplaisent, et qu'ayez envie de
vous en venger de moi, espérez qu'avant que la fête se départe, vous me
trouverez si près de votre armée, que vous connaîtrez la petite crainte que
j'ai de vous, étant accompagné de la puissance qu'il plaît au roi de me
donner pour la reconnaissance qu'il a eue « des services que j'ai faits
au roi son père — à qui Dieu pardoint — et à lui. Et vous pouvez être sûr que
vous ne sauriez m'écrire chose qui me pût garder de faire toujours service au
roi... » En bas on lisait : « Ces lettres sont écrites par moi, Anthoine de
Chabannes, comte de Dammartin, grand-mettre de l'hôtel de France et
lieutenant général pour le roi en la ville de Beauvais, lequel
très-humblement vous a escrit. » La suscription était : « à Monsieur de
Bourgogne. » Au
comte de Dammartin, en effet, revenait tout l'honneur de cette campagne : le
roi l'en félicita, et tint exactement tout ce qu'il avait promis aux gens
d'Amiens. Les soupçons de trahison que l'on a fait planer sur le bâtard
Baudoin au sujet de la conquête des villes de Picardie n'ont donc jamais été
justifiés. Chabannes tenait exactement le roi au courant de ses opérations.
L'armée du duc, comme on sait, avait une belle cavalerie, avec un matériel et
un nombre d'archers proportionnés ; sans compter l'arrière-ban de Hainaut, on
attendait encore quatorze cents lances de Flandre et de Luxembourg. Au dire
du comte, ces troupes étaient peu redoutables, et dans les escarmouches
elles, n'avaient pas eu l'avantage, même étant plus nombreuses. Fidèle
à son système d'éviter les grandes luttes, le roi ne cesse de recommander à
Dammartin d'observer cette armée, de la côtoyer, de la serrer de près, de
tomber sur les fourrageurs, et surtout de résister vivement si Amiens est
attaqué. Il lui dit de ne point engager d'action importante qu'il ne l'ait
rejoint, l'assurant qu'il tarderait peu d'arriver. Si le duc passe la Somme,
il le harcèlera ; s'il tire vers le mont Saint-Quentin, il marchera à Rue, au
Crotoy et à Saint-Riquier ; il rasera ces places, reviendra à Saint-Quentin
et gardera le pays sans dégât. Le duc
en effet se mit en marche ; il surprit Pecquigny, accorda une capitulation à
la garnison et brûla la ville. L'armée de Saint-Quentin s'avança de son côté
; là étaient le connétable, le maréchal de Rouhaut, le sire de Crussol, le
bâtard de Bourgogne et d'autres chefs. Ils atteignirent Bapaume, où
commandait Jean de Longueval. En vain chercha- t-on à ébranler sa fidélité.
On cite même son blâme énergique de la défection du bâtard Baudoin. Le
connétable revint donc à Saint-Quentin, ravageant tout sur son passage,
espérant ainsi attirer une partie des forces bourguignonnes. Mais le sire de
la Gruthuse, détaché en éclaireur, avertit le duc que le roi approchait avec
ses meilleures troupes. Alors le duc, ayant passé la Somme, vint dans le
courant de mars assiéger Amiens. Quoi qu'on en dise[5], il ne tira point à coups
perdus ; selon une pièce de l'échevinage de mai 1471, « le duc faisoit
horriblement battre la ville et froischier (maltraiter) de bombardes et de canons ».
Aussi les désastres de cette campagne furent-ils grands de part et d'autre. Le
vendredi 8 mars les Français assaillirent un convoi considérable qui arrivait
à l'armée ducale, tuèrent du monde et firent entrer en ville grand nombre de
chariots chargés de munitions. Ces engagements furent presque toujours à
l'avantage des Français ; toutefois le grand-maitre ayant envoyé quelques
hommes pour s'emparer encore de vivres destinés aux Bourguignons, le duc en
fut informé par de Querdes et détacha dix mille hommes pour cerner le
détachement français. Dammartin, qui s'était approché, avec quelques
compagnons, du lieu présumé de la lutte, fut alors enveloppé avec les siens
par des forces très-supérieures. Heureusement le vicomte de Narbonne, s'étant
aperçu du péril, sortit avec trente hommes d'armes et protégea ainsi, malgré
des pertes inévitables, la retraite des Français et surtout celle du chef. Ce
fut pour les Bourguignons la seule compensation à tant d'échecs. Le duc,
outre cette grande armée qu'on disait innombrable, avait encore trois cents
lances dans Abbeville avec de Querdes, deux cents près Péronne avec le sire
de Ravestein, cent à Corbie, avec le sire de Contay. Il lui semblait que la
victoire lui serait assurée dans une action générale, et il offrait la
bataille. Malgré le peu d'inclination du roi pour le risque d'une grande
lutte, cependant il soumit la question à son conseil, désirant surtout l'avis
des anciens qui avaient chassé les Anglais du royaume : le sire de Bueil, qui
parla le premier, n'osa conclure, à cause du grand nombre de troupes en
présence. Le comte de Dammartin opinait pour la bataille. Le roi ayant
demandé que chacun mit son sentiment par écrit, les opinions furent
partagées. La majorité était cependant, parait-il, de l'avis du comte ;
toutefois on ne put s'accorder sur le plan d'attaque. Sans rien livrer au
hasard, le roi resta fidèle à ses principes bien connus. Serrer de près les
ennemis, tomber sur leurs convois, leur couper les vivres et les harceler,
était la meilleure et la plus sûre tactique. Les
affaires du duc Charles n'étaient pas en meilleure prospérité en Bourgogne.
Là, en l'absence de Philippe de Savoie, gouverneur de cette province,
commandait pour le duc Jean de Neuchâtel, maréchal de Bourgogne. Il fut battu
à Bussy et à Cluny par le comte dauphin d'Auvergne assisté du maréchal de
Cominges, des sires de Combrondes et de Charentais, de Guillaume Cousinot et
autres nobles hommes, envoyés par le roi. Après avoir complétement défait les
Bourguignons, on s'empara de plusieurs places dans le Mâconnais et le
Charolais. Pour faire face aux dépenses de ces expéditions on recourut au
moyen ordinaire de l'impôt du sel, qui fut augmenté de quarante sous par muid
dans les greniers de France ; afin d'assurer les conquêtes du nord, on enrôla
dans l'Ile-de-France tous les manouvriers et pionniers qu'on put trouver ; et
sous les ordres d'Henri de la Cloche, procureur du roi au Châtelet[6], ils allèrent fortifier de murs
et de fossés Roye, Montdidier et autres villes récemment conquises. Outre
ces désavantages, bien des motifs devaient arrêter les hostilités du duc. Il
était seul ; plusieurs princes allemands pouvaient d'un moment à l'autre se
déclarer contre lui ; Édouard venait de passer en Angleterre avec deux mille
hommes et de l'argent, et il n'en avait encore aucunes nouvelles. Enfin, se
voyant poursuivi de si près et cerné dans son parc entre Bapaume et Amiens,
le duc sollicita une trêve. Le roi voulut bien, le 9 avril, huit jours avant
Pâques, y consentir. C'était de la part de Louis XI un acte de grande
générosité, car le duc, réduit à un triste dénuement[7], « étoit du tout et son
ost (armée) à la disposition du roi, si
cette trêve n'eût été accordée U. Une chronique nous dit encore qu'il y avait
eu dans cette campagne de merveilleuses déconfitures faites par les gens du
roi sur les Flamands et Picards ». Les mêmes avantages, on le sait, restaient
au roi dans le duché de Bourgogne. Aussi les officiers qui commandaient cette
expédition, aussi bien que Dammartin et les autres en Picardie, furent-ils
fort déconcertés de cette suspension d'armes au moment où ils se croyaient
assurés d'un plus grand succès. Mais le roi ne pensait pas ainsi, et cette
trêve montre qu'il savait au besoin ménager ses ennemis dans leur détresse.
Elle fut d'abord de trois mois, pendant lesquels se tinrent à Ham des
pourparlers de paix définitive que surveillaient le roi, le duc de Guienne et
le connétable ; puis, sur la demande de Charles de Bourgogne, on prolongea la
trêve jusqu'à un an. On y comprit, à certaines conditions, les alliés des
deux parts, entre autres Nicolas de Lorraine, à qui le duc faisait aussi la
guerre. Des conservateurs de l'armistice furent nommés, et toute infraction
dut être punie par eux comme crime privé. Le roi et le duc ne devaient rien
entreprendre l'un contre l'autre, et des commissaires étaient désignés pour
régler tous différends existant entre eux. Alors Louis XI mit garnison dans
les villes rachetées naguère, et qu'il venait de reconquérir. Seront-elles
enfin françaises ? C'est son espoir. Toutes
ces grandes affaires ne lui faisaient perdre de vue ni le bien-être de ses
serviteurs ni celui de son peuple. Ainsi, ayant appris que le bâtard Baudoin
était dans une sorte de détresse, il donne l'ordre à Pierre Doriole, de Ham,
3 juin, de lui fournir tous moyens de toucher des fonds. D'ailleurs l'étude
de tous ses actes administratifs, de 1470 comme des autres années, témoigne
de ses soins pour tous. On y remarque toujours beaucoup de confirmations
d'état, de concessions de foires et autres avantages. Ses dons privés et ses
anoblissements sont toujours fort nombreux. Il confère aux habitants
d'Orléans et d'Amiens le droit d'acquérir des fiefs nobles. Le 28 septembre,
il accorde à Auxerre un droit de barrage sur les vins. Il édicte en novembre
un amortissement général pour les églises de Normandie ; le 4 janvier, des
règlements applicables aux monnaies étrangères ; le 16, une abolition et des
exemptions pour les habitants de Saint-Quentin ; surtout en février, de
grands dons territoriaux. Parmi les rémissions de ce mois on remarque celle
donnée à Guy Groslée de Lyon ; et en faveur de Pézenas la révocation des
foires de Beaucaire, lesquelles ont cependant trouvé le secret de survivre à
toutes les autres, grâce à un cachet tout méridional. La
politique était comme en suspens, et chacun attendait des nouvelles
d'Angleterre. On apprit bientôt de terribles événements. Édouard, en effet,
parti de la Zélande avec quatre grosses nefs du duc et quatorze navires de
transport, avait débarqué dans la province d'Yorck, sous prétexte qu'il ne
venait réclamer que ses biens paternels ; étant ainsi entré par ruse à Yorck,
il s'y trouva bientôt le plus fort. Montaigu, averti par Warwick, son frère,
ne put l'arrêter, et il arriva presque sans obstacle à Nottingham, ses
troupes croissant toujours. Là, sans se soucier de ce qu'il a dit à Yorck, il
prend le titre de roi ; puis, assuré en secret du concours du duc de
Clarence, son frère, il marche à grandes journées vers Londres, où ses
partisans étaient nombreux. Alors, trahissant son beau-père, le duc de
Clarence se prononce pour Édouard, comme Montaigu, l'année précédente,
s'était déclaré pour Warwick. Ce dernier, renfermé dans Coventry, voulait
d'abord attendre les troupes que le prince de Galles devait lui amener ;
mais, pendant ce temps, Édouard arrive à Londres et y est reçu avec de
grandes acclamations. Alors Warwick sort de Coventry sans attendre ses
renforts, et rencontre les forces ennemies le 6 avril à Barnet, à moitié
chemin de Londres et de Saint-Albans. Le lendemain, dimanche des Rameaux, la
bataille s'engage, et après quatre heures d'une lutte acharnée, Warwick et
son frère, voyant tout irrévocablement perdu, se jetèrent au plus épais de la
mêlée, où ils trouvèrent la mort avec dix mille des leurs. Cette victoire
assurait le triomphe d'Édouard, et Henri VI fut de nouveau renfermé dans la
tour de Londres. La
reine Marguerite, le prince de Galles et leur suite ne débarquèrent en
Angleterre que pour apprendre ces tristes nouvelles. Le premier sentiment de
la reine fut de sauver son fils et de céder à un pareil désastre ; mais
quelques seigneurs échappés à la déroute lui représentèrent qu'elle se devait
à son peuple et à ceux qui risquaient leur vie pour elle, que tout espoir
n'était pas perdu et qu'on pouvait encore reformer une belle armée.
Marguerite eût voulu du moins renvoyer son fils en France ; ses partisans s'y
opposèrent encore, et le jeune prince dut commander cette nouvelle armée sous
la direction du duc de Sommerset. Les provinces de Cornouailles et de
Devonshire se soumirent à lui ; seule la ville de Glocester refusa de le
reconnaître. Il s'avance ainsi avec les débris de tant de défaites, visant à
se réunir au comte de Pembroke dans le pays de Galles ; mais le 4 mai il est
joint par Édouard à Tewkesbury. La bataille fut encore sanglante et perdue
pour la rose rouge. Marguerite, trouvée presque sans connaissance sur un
chariot, fut épargnée, grâce à la rançon qu'on en espérait ; mais le prince
de Galles ayant été pris, on le conduisit à Édouard, qui de propos délibéré
le fit massacrer sous ses yeux, bien qu'il lui eût promis la vie. Ceux qui
ont soutenu que ce malheureux jeune homme avait été tué dans le combat — et
Édouard l'insinue dans sa lettre au duc de Bourgogne — ont eu en vue de
disculper ce prince de la plus honteuse action de sa vie ; mais l'assassinat
de sang-froid est constaté par nombre d'historiens[8] et de contemporains. D'ailleurs
la cruauté d'Édouard n'est point douteuse et ne s'arrêta pas là. Après la
bataille un grand nombre de fugitifs s'étaient réfugiés dans l'abbaye de Tewkesbury.
Le roi les réclame ; l'abbé s'y oppose, tenant le saint sacrement entre ses
mains, et ne consent enfin à leur sortie que sur la promesse formelle, jurée
par Édouard, de leur pardonner. Ils n'en furent pas moins mis à mort. Le 6
mai, Sommerset, le prieur (le Saint-Jean et plusieurs autres eurent la tête
tranchée. Il y avait de l'agitation dans le nord ; le roi s'y rend avec des
forces. Deux hommes, en effet, semblaient encore pouvoir l'inquiéter : le
bâtard de Fawcombridge dans la province de Kent, et le comte de Pembroke dans
le pays de Galles. Édouard partit de Coventry le 15 mai, préserva aisément la
capitale et força ceux qu'il appelait les factieux à repasser la Tamise, puis
à se disperser dans les montagnes. Le bâtard ayant été pris à Sandwich avec
quelques-uns des siens, eut presque aussitôt la tête tranchée. Quant au
comte, il ne pouvait plus tenir la campagne, et pour se délivrer de toute
inquiétude le roi envoya le colonel Vaugham à sa poursuite. Il y eut aussi
une longue liste de proscription à la tête de laquelle figuraient la reine
Marguerite, Henry, duc d'Excester, Edmond de Beaufort, duc de Sommerset,
Jean, comte d'Oxford, Jean de Courtenay, comte de Devonshire, et quatorze
autres. Ainsi
cette guerre des deux roses, terminée le 26 mai 1472, fournit à l'histoire
une de ses plus grandes leçons. Le comte de Warwick, qui avait gagné toute
l'Angleterre en onze jours, fut à son tour renversé par Édouard, et ce
dernier en vingt et un jours reconquit la couronne. Après tant de désastres,
où périrent, assure-t-on, quatre-vingts princes ou seigneurs de maisons
royales, on vit ceux qui survivaient errer partout en fugitifs : « J'ay vu[9] un duc de Cestre aller à pied,
sans chausses, après le train du duc de Bourgogne, pourchassant sa vie de
maison en maison sans se nommer... Leurs parents avaient pillé et détruit le
royaulme de France. Des mauvais princes et autres revêtus d'autorité qui ont
usé tyranniquement du pouvoir, nuls ou peu en demeurent impunis. » Le
rétablissement d'Édouard sur le trône d'Angleterre mettait le comble à la
puissance, et sans doute aussi à la présomption de Charles de Bourgogne.
Aussi fit-il célébrer cet échec de la maison de France, le 12 juin, par de
grandes réjouissances en sa ville de Gand. D'ailleurs le roi yorckiste ne
méconnaissait point ses services, et par une lettre du 28 mai il le remercia
de sa bonne hospitalité et de son puissant secours. Dès lors on voit le duc
agir tout à fait en souverain : non-seulement il convoite d'avoir aussi une
armée permanente et gourmande les Flamands de ne pas assez s'y prêter ; mais
il établit une cour d'appel à Malines, à l'instar du parlement, dont il se
passe ; il promulgue une grande ordonnance militaire, et peu après, aux états
de Dijon, en janvier 147 â, il rappelle le souvenir de l'ancien royaume de
Bourgogne, qu'il rêve de rétablir. Ces
tristes nouvelles d'Angleterre parvinrent à Louis XI lors de son séjour à
Ham. Tout changeait de face, et, en homme sage, il devait dorénavant modifier
sa politique et la mettre d'accord avec les événements. D'après les
conventions conclues avec la maison de Lancastre, les Anglais étaient tenus
de faire cause commune avec la France contre la Bourgogne ; la liberté de
commerce sur mer ne devait souffrir aucune difficulté, et une trêve de dix
ans était conclue entre les deux pays. Que devenaient alors toutes ces
promesses ? Toutefois, on pouvait croire qu'après une lutte si acharnée des
partis, la branche d'Yorck aurait assez à faire de se maintenir, et qu'à la
suite d'une si grande agitation les• plus belliqueux songeraient au repos.
Mais le duc de Guienne ne peut-il pas, par exemple, passer en Castille avec
les gens dont il dispose ? Aussi Louis XI le retient-il auprès de lui en
Picardie ; pour le mieux disposer à suivre ses conseils, il lui fait rendre à
Paris les plus grands honneurs, et donne à Aubin, seigneur de Malicorne,
principal conseiller de ce prince, la baronnie de Médoc. Le roi
lui-même cherchait à montrer son bon vouloir aux Parisiens. Sans trop se
préoccuper des quolibets que lançaient alors, à cause de la trêve, quelques
prédécesseurs de Rabelais, il vint à Paris à son retour, et le jour de la
Saint-Jean, selon l'usage de cette fête, il alluma lui-même le feu de joie
sur la place de Grève. On était cependant à la veille de reprendre les
'hostilités ; le duc de Bourgogne venait même de se permettre de rompre la
trêve, sous le prétexte que le roi gardait certaines places qu'il avait
promis de rendre. Mais Louis XI eut soin de ne rien faire avec humeur, et
même se montra prêt à donner satisfaction. Quoiqu'il sût très-bien que le duc
donnait des ordres pour lever douze cents lances, il envoya sans retard des
commissaires pour faire livrer les points réclamés soit en Champagne ou
ailleurs. Ainsi beaucoup de petites places du Mâconnais, du Charolais et de
l'Autunois furent remises au duc ; alors la trêve ayant été prolongée
jusqu'au 1er mai 1472, et le nombre des conservateurs augmenté, tout parut
prévu pour la sûreté commune. De plus le roi nomma l'amiral à la surveillance
des côtes, avec pouvoir d'établir des commissaires au Havre, à Dieppe et
partout où besoin serait. Cela fait, il s'en alla en Touraine. Le duc
Charles de Bourgogne était loin cependant de prendre son parti de la perte
des villes de Picardie ; et tous ses efforts allaient avoir pour but de les
reprendre. Pour cela, il fallait susciter au roi des embarras, et nul ne lui
semblait s'y mieux prêter que le duc de Guienne ; aussi avait-il tout fait
pour lui donner l'espoir d'épouser Marie de Bourgogne, espoir qu'il
entretenait chez tous ceux dont il pensait pouvoir se servir contre le roi.
De retour en son apanage, Monsieur n'avait plus d'autre pensée. Pour le
connétable, « il cuidoit, dit Comines, pour la situation où il estoit,
tenir le roy et le duc en crainte, par le moyen du distord où ils estoient ;
entreprise fort dangereuse ». C'est
en juillet de cette année que Charles de Bourgogne envoya le sire de Comines
en mission auprès de Louis XI. « Grande maladresse, dit-on, car la parole du
roi étoit tant douce et vertueuse (decevante) qu'elle endormoit, comme la
sirène, tous ceux qui lui présentoient les oreilles... Louis XI, ajoute-t-on,
étoit de tous les princes celui qui plus travailloit à gaigner un homme qui
le pouvoit servir, ou pouvoit lui nuire. — Il ne se rebutoit point à être
refusé. Il continuoit à promettre largement, à donner par effet argent et
état qu'il savoit plaire[10]. » Un
instant de calme était pour le roi une occasion de s'occuper de
l'administration intérieure, et à cet égard il était surtout attentif à la
prospérité du commerce et de l'industrie. Déjà, en 1469, on s'en souvient,
Louis avait essayé d'encourager les travaux des mines. Quel avantage si,
tirant abondamment de son sein les métaux indispensables à l'industrie, la
France pouvait s'affranchir du tribut qu'elle payait à l'étranger pour se les
procurer ! Pourquoi les montagnes de notre pays ne cacheraient-elles pas
aussi de fécondes mines ? Dès le milieu du quinzième siècle, et même avant,
on tirait déjà quelques métaux précieux de mines du Gévaudan ; là, et aux
environs d'Uzès, on travaillait dans plusieurs paroisses à l'extraction de
l'argent et du plomb. Mais combien d'autres richesses pouvaient encore être
découvertes ! Le roi le pressentait, et désirait ardemment y pourvoir.
Jusque-là les essais d'exploitation avaient eu un médiocre succès ; il y
manquait l'habileté, la persévérance et surtout une royale protection. Il y a
loin de cette utile préoccupation à l'idée singulière du dernier dauphin de
Viennois. Humbert II, craignant, dit-on, que les étudiants de l'université de
Grenoble, qu'il fondait, vinssent à manquer de bois de chauffage, s'avisa, en
1338, de faire détruire à trois lieues aux environs de la ville, « toutes les
usines et tous les fourneaux[11] servant à la fonte de l'acier,
et défendit absolument qu'il en fût « établi là de nouveaux, » n'y
voyant qu'un abîme où s'engloutissait le combustible. Louis XI, au contraire,
entrevoyait là une des richesses de la France, ainsi que le prouvent les
considérants de son ordonnance des Montils, en septembre 1471 : « Il
sait que dans les États de France, de Dauphiné, de Valentinois et Diois, de
Roussillon, de Cerdagne ès montagnes de Catalogne et ès marches d'environ, il
y a plusieurs mines d'or, d'argent, de cuivre, de plomb, d'étain et autres
métaux, qui, faute de direction, d'ouvriers et de gens experts, demeurent en
chômage. Il lui est démontré que si on faisoit convenablement besogner ès
dites mines, ainsi qu'on fait en plusieurs autres royaumes de la chrétienté,
tels que l'Allemagne, la Hongrie, la Bohême, la Pologne et ailleurs ; si on
vouloit faire ordonnances et constitutions pour faire marcher ledit ouvrage,
ainsi qu'il est entretenu dans lesdites contrées, il en pourroit résulter
pour le royaume et ses peuples de notables avantages. Il croit que, faute d'y
avoir pourvu, le pays et ses sujets éprouvent de grands dommages ; et que
chaque jour s'en vont en pays étrangers l'or et l'argent de France ; il y a
donc urgence pour lui de prendre des mesures afin que le numéraire ainsi
transporté revienne en ses États, et pour prévenir de nouvelles pertes. Il
est persuadé que, par défaut de ladite prévision, nombre de gens, tant
d'église que nobles, bourgeois, marchands, artisans, laboureurs et autres,
demeurant ès dits pays, souffrent en leurs plus grands intérêts ; que le
meilleur moyen d'obvier à ce malheur est de faire en sorte, par certains
édits et règlements et constitutions spéciales, qu'il soit travaillé avec
ardeur dans les mines ; qu'elles soient ouvertes ; que l'ouvrage s'y continue
avec persévérance, comme il convient en un tel cas, pour obtenir de bons
résultats. « Il y
a donc utilité à ce que, dans les pays qui lui sont soumis et même au delà,
ses intentions et volontés soient expliquées et criées, afin que tous ses
sujets et même les étrangers de tous royaumes en soient instruits. D'après
l'avis de son grand conseil Et autres notables hommes experts en cette
matière, il a donc établi son règlement. « Tous
les marchands et maîtres, dit-il, qui feront travailler les mines à leurs
frais et dépens, et établiront leur résidence sur ces mines et usines, ou
leurs délégués, ou fondeurs et affineurs, et tous ouvriers mineurs qui
prendront part à l'exploitation en quelque façon que ce soit, régnicoles ou
étrangers, et ceux qui viendront s'y employer ou continueront à exécuter
lesdits ouvrages, seront tous et demeureront quittes, francs et exempts,
pendant tout le temps qu'ils besogneront ès dites mines d'ici à vingt ans
entiers à compter du jour des présentes lettres (septembre
1471), de toutes
tailles, aides, subsistances du service de francs-archers, du guet et autres
charges quelconques, pourvu que ce soit sans fraude, et que pendant le temps
qu'ils vaqueront au travail de ces mines, ils ne se mêlent d'aucun autre métier.
» Cette curieuse ordonnance, que son étendue nous empêche de reproduire en
son entier[12], montre jusqu'où était portée
la sollicitude du roi pour écarter tout obstacle qui eût pu entraver
l'accomplissement d'une grande pensée. On voit surtout jusqu'à quel point,
dans un siècle si oublieux des vrais intérêts des peuples, il pressentait les
idées économiques professées de notre temps sur les sources de la richesse
des nations. Il est aussi à remarquer que beaucoup des dispositions de nos
lois modernes sur ce point semblent avoir été empruntées à l'ordonnance de
Louis XI., La
prévoyance du roi s'étendait aussi à faciliter les moyens de communication.
Les péages des rivières comme ceux des routes dataient du temps des Romains,
qui les avaient créés pour subvenir aux frais d'entretien. Mais plus tard la
féodalité avait multiplié ces péages selon son caprice et en avait fait un
moyen de pressurer et d'opprimer les peuples. Ils étaient ainsi devenus si
nombreux que sur la Loire seule, en y comprenant plusieurs affluents, un édit
du seizième siècle en compte plus de deux cents. Avant que Louis XI eût
essayé d'y mettre ordre, il y en avait bien davantage. Le roi
donc, frappé de ces abus et des entraves qu'ils mettaient au commerce, eût
désiré pouvoir affranchir toutes les voies intérieures de communication, et
rejeter toutes les douanes aux frontières ; mais il aurait fallu solder
beaucoup d'indemnités, et, ne le pouvant pas, il se contenta, par lettres de
Tours 1471, de décider, d'après l'avis de son conseil, que les seuls péages
antérieurs à 1470 seraient maintenus ; et encore que ceux qui les
exploitaient devraient montrer aux officiers du roi leur titre et leurs
tarifs.. Charles VII, en 1448, avait déjà essayé de prendre cette mesure ;
mais son édit, comme tant d'autres, était à peu près resté lettre morte ; il
n'en fut pas de même des lettres de Louis XI, et tous les péages qui ne
purent justifier leur droit par titres authentiques furent supprimés. Mais
Louis avait encore à établir, la paix chez ses plus proches voisins. La
Savoie se trouvait désolée par une sanglante guerre civile ; la duchesse
Yolande était la sœur de Louis ; il ne pouvait donc rester indifférent au
sort de cette maison et sur ce point sa politique, toujours loyale,
fraternelle et désintéressée, est utile à suivre pour la parfaite
intelligence de son caractère. Le duc Amédée IX était un prince de faible
volonté. Ses frères, monsieur Philippe de Bresse, les comtes de Romont et de
Genève, jaloux des sires de Miolans, de Bonnivard et d'Orly, qui avaient la
confiance de la duchesse pour la direction des affaires, voulurent s'emparer
du gouvernement. Yolande, avertie de leurs desseins et de leurs préparatifs,
s'enferma avec son époux dans le château de Montmélian ; assiégée là, et sans
avoir eu le temps de s'y pourvoir de munitions, elle fut obligée de
capituler. Le duc étant tombé ainsi au pouvoir de ses frères, on le conduisit
à Chambéry, où il dut subir leur complète domination. La
duchesse, retirée ou plutôt captive à Aspremont avec ses enfants, fit savoir
à Louis XI en quelle extrémité elle se trouvait réduite. Sur-le-champ, le roi
donne ordre au comte de Cominges, gouverneur du Dauphiné, de réunir
l'arrière-ban et les francs-archers de la province, et d'entrer en Savoie.
Charles, prince de Piémont, qu'il élevait auprès de lui, eut le commandement
de cette armée ; mais, par une étrange fatalité, ce jeune homme de quinze ans
et d'une si grande espérance, fut atteint à Orléans d'une grave maladie, dont
il mourut. Louis XI, qui l'aimait, n'avait pas manqué de faire bien des vœux
et des prières pour sa guérison, et cette perte lui fut très-sensible. Alors
le comte de Cominges, avec ses troupes, alla sous la Buissière se joindre au
sire de Châteauneuf, maréchal du Dauphiné ; ils s'en furent la nuit
surprendre la place d'Aspremont et délivrer la duchesse, qu'ils conduisirent
avec sa suite à la Buissière, et le lendemain à Grenoble, où elle fut
honorablement reçue et resta un mois. Des
forces considérables vinrent de plus loin. Le sire de Crussol, sénéchal de
Poitou, avec cent lances, et Balzac de Ruffec, avec quatre cents archers,
arrivèrent de leur côté. On y vit, de la part. de Monsieur, les sénéchaux de
Guienne, d'Armagnac, d'A-génois, avec cent cinquante lances. Ces troupes,
jointes à celles commandées par le comte de Cominges -et le maréchal de
Châteauneuf, assiégèrent Chambéry, où s'était jeté le comte de Romont. Le roi
fit plus ; son ambassadeur auprès du duc de Milan eut ordre de ménager une
ligue en faveur de la duchesse. A cette fin, celle-ci donna ses pouvoirs à
Urbain de Bonnivard, évêque de Verceil (Grenoble, 5 juillet). Au nom du duc Amédée, elle y
parle des États et s'y qualifie de tutrice et gouvernante, chargée de
l'administration. L'alliance faite ainsi sous les auspices du roi doit être
réciproque, offensive et défensive : elle durera douze ans : leurs sujets, sauf
les rebelles, pourront commercer librement. Dans ce traité sont compris, de
la part de la duchesse, le roi, le duc de Guienne, le canton de Berne, tous
leurs alliés et confédérés ; de la part de Jean Galéas Marie Sforza, le roi
Ferdinand, la république de Florence, le duc de Ferrare et de Modène, les Suisses
et le marquis de Montferrat. L'acte est du 13 juillet 1471. Cependant
l'armée française et celle des princes étaient en présence ; mais le comte de
Cominges devait éviter d'en venir aux mains et faciliter, s'il se pouvait, un
accommodement entre la duchesse et ses beaux-frères. Les choses n'allèrent
point aussi vite. A la fin de juillet arrivèrent les députés des cantons de
Berne et de Fribourg, Nicolas Diepach et autres. On fit avec eux, au château
de la Pérouse, le 8 août, un traité provisionnel, remettant immédiatement le
château de Chambéry ès mains desdits ambassadeurs, pour le garder au nom du
duc et de la duchesse de Savoie, jusqu'à ce qu'il en ait été décidé d'un
commun accord. D'après ce traité le comte de Romont rendra les places du pays
de Vaux qu'il a usurpées ; la forteresse de Montmélian sera remise aussi à
Claude de Seyssel, maréchal de Savoie, et à Nicolas Diepach jusqu'à l'arrivée
d❑ gouverneur du Roussillon. Le
duc et la duchesse se rendront à Chambéry avec leur famille et y seront en toute
liberté : ils pourront aller où bon leur semblera, même à Montmélian, pourvu qu'ils n'y
amènent que leur suite accoutumée. Il est bien convenu qu'en cas de différend
la réparation ne pourra être poursuivie par voies de fait, mais bien par
voies ordinaires de justice. Cet acheminement à une paix définitive fut
solennellement signé par les deux parties intéressées. Bientôt
vinrent les envoyés du roi, Tanneguy du Châtel, Jean de Daillon, seigneur du
Lude, noyer, bailli de Lyon, et les autres ; après s'être entendus avec les
députés suisses, ils convinrent à Chambéry, le 5 septembre, « que toute
hostilité cesserait ; qu'il y aurait bonne paix et union entre le duc et la
duchesse de Savoie d'un côté, et monsieur Philippe de Bresse et le comte de
Romont d'autre part ; tous les articles du traité du 8 août furent maintenus.
Chambéry, Montmélian et les places prises ès pays de Vaud seront, sur
l'heure, rendues au duc et à la duchesse. Le gouvernement sera donné au comte
de Gruyères, maréchal du Dauphiné ; huit chevaliers nommés par les
ambassadeurs et les deux maréchaux de Savoie seront de tous les conseils du
duc et de la duchesse, avec cinq des conseillers ordinaires, et toute affaire
importante se décidera de leur commun consentement. Monsieur Philippe et ses
frères pourront assister au conseil, mais non quand il s'agira de leurs
propres affaires, ou des intérêts de leurs serviteurs et amis. Il sera donné
de raisonnables appointements à tous officiers de finances, de justice et
autres. A l'avenir, dans le cas de quelques difficultés, il ne sera point
permis d'en venir aux voies de fait. Touchant la lieutenance et le gouvernement
du pays, on s'en rapportera absolument au roi qui, avec les ambassadeurs de
Berne et de Fribourg, et les parties dûment ouïes, décidera comme il trouvera
juste et raisonnable de le faire, sans que nul y puisse contrevenir. Il fut
toutefois spécifié que les ducs de Guienne et de Milan ainsi que le marquis
de Montferrat, pourraient envoyer des délégués pour assister à la sentence
souveraine, et que cette souveraineté accordée ici au roi ne saurait tirer à
conséquence pour aucune autre affaire de la maison de Savoie ». On ne peut
certes concevoir un arbitrage plus paternel et plus désintéressé. Après
avoir été de ceux qui soutinrent le duc à Péronne et servirent en 1468 dans
l'armée de Bourgogne, Philippe de Savoie était revenu en Bresse. Le 6 janvier
1471, il épousa, à l'âge de trente-trois ans, Marguerite, fille de Charles de
Bourbon, seigneur d'Auvergne et d'Agnès de Bourgogne ; nouvelle alliance de
cette maison avec celle de France. De cette épouse il eut Philibert II, dit le
Beau, qui fut duc après lui, et aussi Louise de Savoie, mariée elle-même
à Charles de Valois-Orléans, comte d'Angoulême et qui devint ainsi la mère de
François Ier. Dès lors Philippe servit Louis XI, qui lui prodigua les
témoignages de libéralité et de bonne parenté. Ne lui gardant nulle rancune
de sa conduite à Péronne, il lui confie le commandement des troupes royales
dans le midi ; lui donne le collier de l'ordre de Saint-Michel, et une
compagnie de cent lances. Après le serment mutuel sur la vraie croix d'être à
jamais fidèles l'un à l'autre, Louis XI, outre le don des seigneuries de
Lauraguais et de Villelongue[13], le fit comte de Beaugé ou de
Bagé (Bourg), et lui promit les comtés de
Valentinois et Diois. Marguerite de Bourbon étant morte en 1483, Philippe se
remaria à Claude de Penthièvre, dont le fils aîné fut le père du sage
Philibert-Emmanuel. Si la
France acquérait alors un serviteur, elle perdait aussi un de ses plus fermes
appuis. Au mois de juillet, en effet, mouraient Paul II et le comte d'Eu,
l'un et l'autre ayant pris une grande part aux événements de leur temps. On a
reproché au premier le goût du luxe ; mais combien de sages mesures ne lui
doit-on pas ! Il donna une existence honorable aux évêques qui n'avaient que
des revenus insuffisants, ou ne pouvaient conserver leur siège. Il fit de
bonnes lois, releva la dignité des cardinaux, réduisit leur nombre à
vingt-quatre ; défendit d'élever personne à cette dignité qu'il n'eût au
moins trente ans, et n'eût enseigné la théologie ou le droit. Enfin il voulut
qu'on ne pût déposer ni évêque ni abbé sur la seule demande des princes, à
moins que le procès n'eût été « instruit et fait dans les formes ». François
de la Rovère, général des Franciscains, fut élu et préconisé le 9 août, sous
le nom de Sixte IV. Il envoya des cardinaux aux principales cours d'Europe :
Marc Barbo en Allemagne, Rodrigues Borgia en Espagne, et Bessarion en France.
Sa politique a été essentiellement pacifique, et fidèle à cette maxime, «
qu'il n'y a rien de plus chrétien[14] que d'incliner à la paix »,
il ne cessa d'y exciter Louis XI et son antagoniste de Flandre[15]. Charles
d'Artois, comte d'Eu, prince digne de respect par sa naissance et son grand
âge, avait combattu à Azincourt. En 4438, le duc de Bourbon, son frère
utérin, paya sa rançon. Il se distingua par son caractère et par son mérite,
et surtout par sa fidélité au roi. Aussi jouissait-il, sous ce règne comme
sous le précédent, d'une popularité de bon aloi, n'ayant jamais donné que des
conseils d'équité et de paix. Lors de la guerre du bien publie, il n'hésita
pas, et, après avoir tout fait pour l'empêcher, il en atténua du moins les
conséquences. Les Anglais avaient donné le comté d'Eu à un seigneur nommé
Henri Bourgchier, et le gardèrent jusqu'en 1450. En 1466, le roi, dans le cas
où le comte décéderait sans hoirs mâles, donna la survivance de cette pairie
au connétable de Saint-Pol et à Marie de Savoie, épouse de celui-ci ; projet
qui ne se réalisa pas. Le comte d'Eu emporta les regrets de tous. A Rome
mourut aussi l'ancien évêque d'Arras, Geofredi, alors évêque et cardinal
d'Alby, célèbre par son zèle excessif contre la pragmatique destinée à lui
survivre. Il fut remplacé par Louis d'Amboise, prélat illustre et grand homme
d'État. Louis XI
cependant, à qui rien n'échappait, fut bientôt informé du désir de son frère
d'épouser Marie de Bourgogne ; il entrevoyait tout le péril qui naîtrait pour
la France de cette union. La Guienne, en effet, se serait ajoutée à des
terres déjà immenses, et qui pouvait en prévoir les conséquences ? Il envoie
donc au duc de Guienne son conseiller du Bouchage : dans ses instructions[16], datées du 10 août, « il veut
surtout qu'on lui rappelle la promesse qu'ils ont faite de s'avertir de ce
qu'ils apprendraient de contraire à l'un d'eux ; qu'ayant reçu, comme
témoignage d'amour fraternel, le plus bel apanage que fils de France ait
jamais eu, il a fait serment de ne point songer au mariage en question ;
qu'enfin il a juré sur la vraie croix de Saint-Laud, serment dont le « danger
de l'enfreindre est si grand, comme de mourir mauvaisement en dedans de l'an,
ce qui est toujours infailliblement arrivé à ceux ayant contrevenu à la
parole ainsi donnée, comme on l'a veu naguères par expérience ». Pour le
roi, ajoute-t-on, il est toujours dans les mêmes sentiments d'affection à son
égard, et est encore prêt à en renouveler le serment. Si le duc nie avoir
envoyé l'évêque de Montauban à Rome pour demander dispense, on lui répliquera
que le roi est bien averti. D'ailleurs, combien de raisons le devraient
détourner de cette alliance bourguignonne ? A-t-on donc oublié leur ancienne
et constante inimitié contre la France ? Au surplus Charles de Guienne n'a-t-il
pas mandé au duc de Bretagne qu'il était prêt à rendre au comte d'Armagnac
tous et chacun de ses biens, ce qu'il ne saurait faire sans offenser le roi ?
S'il dit qu'on a abusé de son nom, que ne punit-il ceux qui se mêlent de
telles intrigues ? N'a-t-il pas aussi sollicité la duchesse de Savoie, leur
sœur, de ne donner aucune assistance au roi, le cas échéant ; circonstance
révélée par monsieur Philippe de Savoie lui-même ? Si le duc désavoue tous ces
faits, il n'a qu'à renoncer formellement à la main de Marie de Bourgogne,
seul moyen de conserver l'union entre eux. Enfin pour toutes ces
remontrances, du Bouchage devra se concerter avec monsieur de Beauvau, évêque
d'Angers, et s'en remettre à son jugement de l'opportunité de les faire. » En ces
circonstances, il importait à Louis XI d'avoir le nouveau pape dans ses
intérêts et de le mettre au fait de sa situation. Après donc l'avoir félicité
de son élévation et assuré de sa filiale obéissance, le roi envoie à Rome une
députation conduite par Guillaume Compain, conseiller à la cour. Dans leurs
instructions, datées du 4 novembre, les faits y sont brièvement exposés. « En
Savoie, tout y était heureusement terminé et rien n'avait été fait que de
l'avis de tous les intéressés. La duchesse en fut alors très—satisfaite, on
ne sait pourquoi elle s'en est plainte ensuite, et s'est retirée auprès du
duc de Milan, qui lui aussi se montre mécontent, bien que comblé des bontés
du roi. Nonobstant, Louis prie Sa Sainteté d'avoir en principale recommandation
les intérêts du duc de Milan, qu'il aime tendrement. » La
mission secrète de maître Compain était aussi de mettre obstacle aux
sollicitations faites alors à Rome pour obtenir les dispenses nécessaires au
mariage du duc de Guienne et de Marie de Bourgogne, mariage que Louis XI
redoutait avec raison. A ce sujet les députés expliqueront comment il a
traité son frère : les lois ne lui accordaient que 12.000 livres de rente, et
les princes coalisés n'en ont jamais réclamé plus de 60.000 ; néanmoins il
lui a cédé la Guienne, l'une des grandes provinces, en y ajoutant même le
Périgord, le Quercy, la Saintonge, le pays d'Aunis avec La Rochelle : «
Moyennant ces dons, Charles de France a juré de ne jamais rien entreprendre
sur les pays de l'obéissance du roi et de ne jamais songer à épouser la fille
du duc de Bourgogne. » Les ambassadeurs portaient la copie de ce serment pour
la montrer à Sa Sainteté. Bien plus, le duc avait déjà épousé Jeanne, fille
du roi de Castille, par l'entremise du comte de Boulogne, ce qui pouvait
attirer de graves complications. Le saint-père est prié de ne point donner de
dispenses, et d'en faire au roi la promesse par une bulle expresse. En retour
Louis XI s'engage à ne point permettre l'entier rétablissement de la
pragmatique sanction, et à se lier avec le pape pour leur mutuelle défense,
comme Sa Sainteté l'a demandé par le bailli de Mende. Mais si
l'on avait en Italie des amis sûrs, c'était en la famille des Médicis qu'on
les trouvait. Ils répondaient à toutes les demandes du roi et secondaient
activement le progrès industriel et commercial de la France, au grand profit
des deux pays. Laurent, successeur de Pierre de Médicis, son père, celui même
qui reçut le surnom de père des Muses, gouvernait alors Florence sous le
titre de gonfalonier. Une seconde branche de cette famille[17] vint s'établir en Dauphiné dans
le pays des Baronnies. Louis XI entretenait ces relations, et ses ambassades
en Italie étaient fréquentes, paraît-il, puisque sans compter la lettre de
Laurent de Médicis du 8 avril 1471, qui lui rend compte d'une mission
secrète, Tristan l'Hermite annonce au roi, à la date de Suze, 26 août[18], l'envoi du détail de ses
négociations avec le pape et de plusieurs lettres du saint père et d'autres
princes. Le roi
n'ignorait rien de ce qui se tramait. Il savait qu'en passant à Orléans le
chancelier de Bretagne et l'abbé de Bégar avaient eu de secrètes conférences
avec son frère. Là, rien ne fut négligé, en effet, pour flatter et séduire
l'esprit faible et ambitieux de ce jeune prince, en lui remontrant les
avantages qu'il trouverait en cette alliance bourguignonne et le berçant de
l'espoir de l'obtenir ; ce dont au fond il n'était rien. Alors le duc de
Guienne, de son côté, s'était vanté de forcer le roi à remettre au duc
Charles toutes les places récemment perdues par lui, assurant qu'à cette fin
il serait prêt à s'unir de nouveau avec les ducs de Bourgogne et de Bretagne.
Le roi savait cela, et aussi que depuis lors, tous ceux qui cherchaient à
détourner son frère de ses rêveries lui devenaient suspects, « ses flatteurs
se servant de cette chimère pour « perdre les conseillers qui leur faisaient
ombrage ». Le jeune prince, en effet, s'était retiré en Guienne, et venait
d'appeler auprès de lui le sire de Lescun pour mettre ses places en état de
défense. Ces
dispositions du duc de Guienne furent promptement rapportées au duc de
Bretagne ; alors les princes commencèrent à s'agiter pour renouer une
nouvelle ligue contre le roi, et le duc breton ouvrit cette campagne de pourparlers
en envoyant au duc de Bourgogne Poncet de la Rivière, un mécontent de la cour
de France. D'un autre côté Olivier le Roux, en allant remplir une mission du
roi en Espagne, s'arrêta à Mont-de-Marsan, d'où était parti depuis peu un
envoyé de Bretagne appelé Henri Millet. Maître Olivier devait y voir le comte
de Foix, avec' lequel les relations étaient délicates et qui se plaignait de
ce que Louis XI ne semblait pas croire assez à son désir de le servir. Mais
là, par des fragments de lettres qu'il avait trouvés fortuitement et su recueillir,
l'envoyé du roi découvrit qu'il existait une promesse faite aux ducs de
Bourgogne et de Bretagne par Édouard IV de s'entendre avec eux pour faire la
guerre à la France et d'y passer avec une- armée. Son motif, disait-il, était
le désir de ses peuples de reconquérir au moins la Guienne ou la Normandie,
et Charles de Bourgogne avait répondu à ces ouvertures qu'il enverrait vers
la fin d'octobre un ambassadeur à Londres. Olivier le Roux s'empressa
d'instruire le roi de ces détails par une lettre de Saint-Sever, 11 août,
ajoutant « que Louis avait fort à se défier de ceux qui l'approchaient ; que
peu avant son arrivée à Mont-de-Marsan il y avait eu de longues conférences
entre le duc de Guienne, le comte de Foix, le sire de Lescun, l'évêque
d'Aire, le prieur de Saint-Michel et le gouverneur de la Rochelle ; qu'il
s'agissait d'un complot qui devait éclater avant la Toussaint, le comte de
Foix a juré n'avoir point donné son scellé, et Paillard d'Urfé est à
Mont-de-Marsan, on ne sait pourquoi ; enfin, dans les feuillets qu'il a
rassemblés, il :est fort question des villes d'Amiens, dé Saint-Quentin et
d'alliances ». Ainsi
le roi était entouré de pièges inconnus, et il n'avait pour se guider que des
renseignements incomplets et des mots décousus. Tous ses efforts devaient
tendre à s'éclairer et à se prémunir contre toute surprise. Aussi Guyot du
Chesnay étant 'arrivé à Tours sitôt après le départ du sire du Bouchage pour
la Guienne, chargé de lettres de Monsieur et du sire de Lescun, l'âme de
toutes ces intrigues, le roi répondit que pour tout on eût à s'adresser au
seigneur du Bouchage alors sur les lieux. La situation se compliquait, en
effet, d'un nouveau projet. Le duc de Guienne, qui s'était rendu caution pour
le récent mariage de Marguerite de Foix avec le duc de Bretagne, songeait
alors à épouser la dernière des filles du comte. Mais le roi ne voulait pas
non plus entendre parler d'un pareil mariage dont l'initiative venait
entièrement du sire de Lescun. Le comte de Foix, par ses alliances avec
l'Aragon, l'Armagnac et la Bretagne, pouvait en effet devenir le centre d'une
ligue fatale à la France. Il mande donc au sire du Bouchage de rompre encore
ce projet, et de rester auprès de son frère jusqu'au départ d'Odet d'Aydie.
Enfin, par une lettre du 20 août, il complète ses instructions, le pressant
de démêler, s'il peut, toutes ces menées, et surtout la part qu'y prenait le
roi d'Angleterre. Tous
les yeux se portaient alors vers la cour de Bourgogne, car là était la main
qui dirigeait ces sourdes hostilités. Le duc de Guienne, qui ne se souciait
qu'à demi du projet du sire de Lescun, avait envoyé dès le mois d'août son
blanc-seing par ses ambassadeurs auprès de Charles de Bourgogne, pour traiter
de son mariage avec la fille de ce prince. « Le roi, disait-il dans ses
instructions d'alors, lui proposait sa propre fille avec beaucoup de grandes
terres et de provinces, et aussi de le faire lieutenant-général, pour le
dissuader de ce projet. » Est-il vrai que Louis XI ait fait de telles offres,
et le jeune duc n'a-t-il pas exagéré les propositions qui lui furent
adressées ? Or il arrivait parfois que le roi dépêchait aux cours voisines
des hommes sans caractère officiel, qui, tout en parlant sous leur propre
responsabilité, devaient redire ce qui leur serait répondu. C'était le seul
moyen de pénétrer la pensée de ses adversaires. Louis s'en servit auprès du
duc de Bourgogne pour lui faire savoir que Souplainville était venu auprès de
lui de la part du duc de Guienne et de Lescun, et l'avait informé que le duc
de Bretagne, de son côté, envoyait Poncet de la Rivière en Bourgogne, ce dont
le roi ne devait nullement se défier. Il lui insinue aussi de cette façon
indirecte qu'il a remarqué des allées et venues qui pourraient paraître
suspectes, et qu'il a été surpris, étant en aussi bons termes avec lui, que
le sire de Ravestein ne l'eût pas salué en allant à Saint-Jacques, surtout
ayant passé en Bretagne. Dès ce
moment le duc de Bourgogne ne prit plus aucun soin de voiler son
mécontentement. « Nul moyen de s'accommoder, dit-il, que le roi n'ait
restitué les places qu'il a promises. » Puis, dans une lettre du 13 septembre
H71, il déclare, bien qu'il y eût alors suspension d'armes entre France et
Bourgogne, que le connétable n'est point compris dans la trêve, et « que
jamais il ne le recevra en grâce », tant ses haines sont profondes ! La
coalition se formait contre le roi : il le voyait par les levées d'hommes et
par les préparatifs de guerre qui se faisaient autour de lui. Le duc de
Guienne, en effet convoque le ban et l'arrière-ban par l'entremise du sire
d'Albret ; le comte de Foix ne dissimule point sa mauvaise humeur de ce que
Madeleine de France, veuve de son fils, réclame quelques arrérages de sa
pension et le reste de la dot de son mari ; surtout de ce qu'elle conserve la
tutelle de ses enfants. De Rodez, le sire de Châteauneuf informe le roi que
la noblesse du Rouergue est mal disposée ; que le sire de Lescun est l'auteur
des faux bruits qui circulent ; que les cent vingt lances commandées par le
sénéchal de Guienne sont logées dans la Saintonge et dans le Quercy ; enfin
qu'ayant voulu introduire quelques gentilshommes dans Capdenac, le commandant
s'est refusé à les recevoir sans un ordre du sénéchal de Rouergue. D'autre
part les choses n'allaient pas mieux ; le 12 août, d'Abbeville, le duc de
Bourgogne avait donné son plein pouvoir à ses ambassadeurs Guillaume, évêque
de Tournay, Artur de Bourbon, protonotaire du Saint-Siège, et Jean
Carondelet, juge de Besançon, de signer avec Jean d'Aragon et Isabelle de
Castille une ligue offensive et défensive contre la France, bien que Jean Il
eût promis très-officiellement sa neutralité à Louis XI en cas de conflit
entre la France et la Bourgogne. Le ter novembre le duc recevait à
Saint-Omer, dans l'église de Saint-Bertin, l'ordre du roi d'Aragon, et le 12
il signe ce traité, déclarant en outre que, vu l'infraction faite par Louis
XI au traité de Péronne, « tous les peuples étaient exempts de la couronne de
France : donc défense à tous ses sujets de poursuivre en appel devant le
parlement de Paris ». Ainsi Charles de Bourgogne s'affranchit ouvertement de
toute vassalité ; et le 25 janvier suivant 1471(2) il ose faire publier cet acte
de provocation. Cependant
le roi ne voulait pas rompre sur-le-champ ; tout projet d'accommodement
n'était pas entièrement abandonné, et le 17 novembre il donne au sire de
Craon et à maître Do-niole, ses délégués spéciaux auprès du duc de Bourgogne,
de nouvelles instructions pour traiter à Orléans avec Ferry de Clugny venu de
la part du duc : il s'agissait alors d'une alliance de confraternité où le
duc aurait abandonné ses alliés de Bretagne et de Guienne pour leur faire la
guerre au besoin de concert avec le roi, renonçant ainsi au mariage de sa
fille avec Charles de France, et la promettant au dauphin ; d'autre part, le
roi s'engageait à rendre au duc Amiens, Saint-Quentin, Roye, Montdidier, et
tout ce qui a été pris dans les prévôtés de Vimeu, Fouloy et Beauvaisis. Comment
expliquer ces conventions avec celles du traité de Saint-Omer ? Souvent la
conduite de Charles le Téméraire présente de ces contradictions apparentes,
et cependant il poursuivait avec constance le même but : secouer le joug de
la vassalité et s'agrandir par voie de conquête. Selon toute apparence, il
espérait obtenir encore de meilleures conditions du roi ; aussi tout moyen
d'assurer l'exécution de ce traité était rejeté par lui : de lettres de
confédération mutuelle, il n'en donnerait que lorsqu'il aurait été mis en
possession des villes et terres, objet unique de son ambition actuelle ;
d'otages et de garanties réciproques il ne voulait point en entendre parler.
En ce moment, cependant, il recevait le dernier soupir de sa mère Isabelle,
retirée à Aire, où il allait souvent lui rendre visite. Le roi
était impatient d'en finir et de dénouer une fois encore le nœud de cette
coalition. Aussi, le 2 décembre marque-t-il son étonnement à ses députés de
Bourgogne de ne point recevoir de nouvelles. Mais il était évident que cette
cour songeait peu au projet de traité fait à Orléans, et le mauvais vouloir
du duc se dissimulait de moins en moins ; il pensait qu'à traîner les choses
en longueur, il aurait meilleur profit. D'ailleurs
tout allait assez mal en Roussillon. Depuis la mort de Jean de Calabre les
troupes eurent pour chef Jean de Lorraine, qui lui aussi avait guerroyé
longtemps en Italie. Mais son adversaire était habile et plein de ruse. Ayant
donc évacué la Catalogne, Jean de Lorraine laissa prendre successivement à
ses côtés Girone, Figuières et toutes les autres places, puis il s'enferma
dans Barcelone. Lorsqu'on vit les troupes aragonaises faire excursion,
approcher jusque sous les murs de la ville, et la bloquer ensuite, la
mésintelligence se mit promptement entre les bourgeois et la garnison ; or,
on devait penser qu'une fois maître de Barcelone, le roi d'Aragon ne
manquerait pas d'envahir le Roussillon. Alors
le roi, qui venait depuis peu de se réconcilier avec le sire du Lau,
l'autorisa à traiter avec Tanneguy du gouvernement de cette province à
certaines conditions ; celui-ci reçut alors 24.000 écus de du Lau pour la
cession de cet office. Ainsi voit-on avec regret poindre et s'établir la
vénalité des charges ; abus non moins grave que ceux qu'on travaillait à
réprimer. On ne sait trop s'il ne faut pas mettre de ce nombre les francs
fiefs de Normandie. Le droit accordé en 1467 aux bourgeois de Rouen de posséder
toutes sortes de fiefs, pourvu qu'ils pussent prouver y demeurer depuis douze
ans, avait soulevé les protestations du parlement, qui n'enregistra l'édit
que par jussion. C'était, en effet, transporter le titre nobiliaire de la
terre aux personnes. En 1470, le roi étendit ce privilège de Rouen à toute la
province ; mais au mois de mars 1471 il expliqua par une nouvelle déclaration
cette disposition dont on hésitait à autoriser l'usage, et il y était dit : «
Ils ne sont pour cela dits nobles et anoblis, pour ne pas diminuer le nombre
de ceux soumis aux tailles, aides et subsides. » La cour
du jeune duc de Guienne donnait alors l'exemple de la licence et de la plus
scandaleuse division. L'influence du sire de Lescun n'était pas sans rivale ;
là régnait aussi une favorite, comme autrefois Agnès Sorel à la cour de
Charles VII. Colette de Jambes, fille du seigneur de Montsoreau, ancien
diplomate du règne précédent, et veuve de Louis d'Amboise, vicomte de
Thouars, s'était retirée en Gascogne, où elle gouvernait ostensiblement
Charles de France. Le parti du courtisan devait donc compter avec celui de
cette femme ; ils se faisaient une guerre ouverte et ne s'accordaient que
pour dire du mal du roi, ou en inventer au besoin. On ne parlait que de le
réduire, « de lui courir sus de tous les côtés à la fois ; de mettre à
ses trousses tant de lévriers, qu'il ne saurait plus par où s'échapper, » et
l'on comptait les mécontents comme autant d'auxiliaires. Tant de
convoitises et d'ambitions déçues les avaient rendus nombreux. Le duc de
Guienne, uni au comte de Foix, au comte d'Armagnac et au roi d'Aragon,
formait déjà un fort parti : mais que craindre s'ils étaient appuyés des ducs
de Bretagne, de Bourgogne, de la duchesse de Savoie et peut-être du duc de
Milan ? On semblait même en ces deux cours oublier les services récents du
roi, si bien qu'on fut obligé de rappeler à Galéas Sforza son engagement
d'envoyer en Roussillon une compagnie d'hommes d'armes. Toutefois il écrivait
à Louis XI, le 1er février, une lettre des plus soumises, lui promettant,
s'il était besoin, de faire marcher toutes ses troupes contre le duc de
Guienne. Pour plus de sûreté, le roi expédie deux délégués à Milan avec des
instructions qui demandent au duc son concours afin d'arriver à une bonne
paix. Faire
entendre au duc de Guienne le langage de la raison était chose plus
difficile. Saint-Pierre, son capitaine des gardes, en épiait l'occasion, et
la cabale des femmes ayant alors la faveur[19], il devait s'adresser au sire
de Malicorne, chef de ce parti. Mais il doute du succès, rappelant « que
celui qui jouta contre « le prince avait été dépêché par le poison ».
D'après cette même missive « la dame de Thouars était malade ; le marchand
Ithier, maître de la chambre, et aussi l'abbé de Bégar sont auprès du duc de
Bourgogne, et celui-ci, assure-t-on, serait avant deux mois en Guienne ». Malgré
les avis du roi, monsieur Charles avait rappelé le comte d'Armagnac et
l'avait rétabli dans ses biens : parmi ses principaux officiers figurait
aussi Charles, cadet d'Albret, dit de Sainte-Bazeille, un des amis du comte.
Or le but particulier du cadet d'Albret était de s'emparer de la seigneurie
de ce nom, au préjudice d'Alain, son neveu, devenu chef de cette maison par
la mort de son père et de son aïeul. Alain d'Albret avait été élevé sous les
yeux et par les soins du roi ; donc, à la cour de Guienne, on soutenait son
oncle. Pour éviter la confiscation qu'on n'eût pas manqué de prononcer contre
lui, il vint auprès de Charles de France faire son hommage. On le reçut après
quelques difficultés ; puis on voulut le retenir. Comme il alléguait les biens
et honneurs qu'il avait reçus du roi, on lui envoya Odet d'Aydie pour vaincre
ses scrupules et le décider ; mais il demeura inébranlable. Alors le sire
d'Albret avertit le roi par une ambassade présidée par le sire de Pompadour.
Louis XI lui promit d'amples dédommagements, lui écrivit en janvier pour
confirmer sa promesse, et combla de dons ses envoyés. Cependant
de graves événements se passaient alors. La dame de Thouars, malade depuis le
mois d'octobre, mourut le 14 décembre, jour où elle fit son testament,
nommant son père pour légataire universel, et pour ses exécuteurs
testamentaires le duc de Guienne, le sire de Lescun, Radulphe, évêque de
Périgueux, l'abbé de Saint-Jean-d'Angély, Boucicault et Roger de Grammont. An
dire de plusieurs, frère Jean Favre, abbé de Saint-Jean-d'Angély, aumônier et
confesseur de Monsieur Charles, « empoisonna cette femme, fit ensuite
éprouver un sort pareil au prince lui-même, et fut aidé par Henri de la
Roche, écuyer de cuisine du duc[20] ». Il faut avouer que si
ladite dame a été empoisonnée par une pêche que pela cet abbé, elle a langui
longtemps, et aussi qu'elle n'en eut jamais soupçon, puisqu'elle le nomma en
ses dernières volontés. D'ailleurs il demeura toujours en même faveur à la
cour de Guienne. Le
jeune duc était lui-même en un triste état de santé : le roi ne l'ignorait
pas, puisque, le 22 novembre, il écrivait au comte de Dammartin « que
Monsieur de Maillé a laissé Monsieur de Guienne à Saint-Sever malade de la
fièvre quarte ; que Lescun et le gouverneur de la Rochelle se sont
reconciliés et réunis contre madame de Thouars et le seigneur de Grammont,
que le moine est du parti du sire de Lescun et que celui-ci veut emmener le
duc à Saintes... » Le 29 décembre encore le roi mandait au grand maître
qu'on avait transporté le duc de Guienne de Saint-Sever à
Saint-Jean-d'Angély, le prince ayant toujours la fièvre quarte ; qu'un
certain nombre de ses officiers mêmes l'abandonnaient. Le fait est que le mal
augmentait sans cesse, si bien que le 10 janvier le sire de Crussol, alors à
La Rochefoucault, écrit que le prince est très-mal et s'est fait porter à
Bordeaux. Tandis
qu'on désespérait de sa vie autour de lui, Charles de France semblait
poursuivre avec plus d'ardeur ses projets de mariage avec l'héritière de
Bourgogne. Disons plutôt que les ambitieux qui l'entouraient, et dont il
était à son insu le jouet, s'efforçaient de saisir leur dernière chance de
succès. Comment autrement concilier ses hostilités constantes à la politique
du roi et ses dispositions dernières, si favorables à son frère ? Charles, il
est vrai, était plein de faiblesse et de légèreté. Toujours d'accord avec
Louis XI lorsqu'il est en sa présence, il le sacrifie auprès des ducs de
Bretagne et de Bourgogne sitôt qu'il croit ainsi leur complaire. Les
ambassades se succédaient sans interruption. Le 19 février Charles de Guienne
adressa au duc de Bourgogne le sire de Souplainville, son vice-amiral, et
Henri Millet, bailli de Montfort, afin de continuer la négociation entamée au
mois d'août dernier. Dans leurs instructions, datées de Mont-de-Marsan, il se
dit mieux et presse le duc de conclure le mariage projeté : à l'entendre, le
roi est prêt à l'attaquer avec seize mille hommes, et débauche ses serviteurs
tout en lui faisant les plus belles offres du monde. Ces envoyés avaient
ordre ensuite de repasser par la Bretagne. Louis
XI, prévoyant que toutes ces intrigues finiraient par devenir belliqueuses,
avait dirigé cinq cents lances vers la frontière de Guienne, avec une benne
artillerie et un certain nombre de francs-archers. Dans le Quercy commandait
Dammartin ; dans la Saintonge, de Crussol, et dans le Poitou Tanneguy du
Châtel. Puis il propose au duc de Bourgogne, par ses chargés d'affaires, le
sire de Craon, maître Doriole et Olivier le Roux, de s'en remettre à des
arbitres nommés par égale portion de part et d'autre, et s'il y avait de trop
grandes difficultés, de prolonger du moins la trêve jusqu'au mois de mai
1473, mais sans y comprendre les ducs de Bretagne et de Guienne. Toutefois,
si le duc insistait pour qu'ils y fussent compris, les députés devaient tenir
à ce qu'il ne fût rien changé à la teneur des trêves précédentes. Le but
étant d'arriver à une bonne paix, l'époque des conférences sera le 4 mai, par
exemple ; le lieu, Rouen, Beauvais, Noyon, Gamaches ou Neufchâtel. Dès
leur arrivée à la frontière, Ferry de Clugny fit donner ordre, le 22 mars, à
Olivier de la Marche, commandant d'Abbeville en l'absence du sire de Querdes,
et à Simon de Quingey, d'amener à Lille en toute sûreté ces trois délégués ;
mais, malgré ces dispositions pleines de courtoisie, rien ne put être conclu
par cette négociation, sinon une prolongation de trêve où furent compris
expressément les ducs de Guienne, de Bretagne et de Calabre. A cet effet les
lettres du roi sont signées de Tours, 22 avril 1472, et celles du duc, de
Bruges, 26 avril. La courte échéance de cette trêve, qui expirait le 15 juin
1472, ne rassurait le roi qu'à demi ; aussi fait-il exprimer par le héraut de
Normandie son étonnement d'une lettre de Bretagne parlant de préparatifs de
guerre, et d'une garnison récemment mise dans Clisson : le roi croit remplir
exactement les traités ; si le duc François pense le contraire, qu'il le dise
ouvertement. Ainsi
mis en demeure de s'expliquer, le duc réplique « qu'il n'a point manqué
aux promesses faites au roi ; que chez lui les Français sont presque mieux
traités que les Bretons ; qu'en France, au contraire, il y a peu de liberté
pour ses sujets ; ils sont emprisonnés sans motif, dit-il, surchargés
d'impôts et ruinés par des saisies et confiscations ; on vient même enlever
leurs navires jusque dans les ports de Bretagne ». A ces doléances déjà bien
amères, il ajouta « qu'on n'avait eu aucun égard à ses plaintes ; que même il
y avait eu des menaces faites par les grands officiers du roi contre lui et
les siens. Le roi n'a-t-il pas sollicité l'Écosse de déclarer la guerre à la
Bretagne ou même offert cette province au roi d'Écosse ? Alors aussi le
Poitou n'est-il pas rempli de troupes qui font ou vont faire la guerre au duc
de Guienne ? Ces troupes n'ont-elles pas mission d'entrer en Bretagne ? Il
est donc bien naturel, la trêve finissant, que le duc ait cru prudent de se
mettre sur ses gardes, et en cela on ne peut rien lui reprocher ». Ainsi
s'exprime, le H avril, le duc de Bretagne, et le 17 il envoie Guillaume de
Souplainville, vice-amiral de Guienne, au duc de Bourgogne, pour l'informer
de ses réponses et l'assurer de nouveau des intentions exprimées par monsieur
Charles, le 28 mars ; savoir, sa volonté de persévérer dans le dessein
d'obtenir du roi l'abandon des villes de Picardie cédées par le traité de
Péronne, et cela dans la confiance que le duc de Bourgogne tiendrait sa
promesse de lui donner sa fille en mariage. Souplainville
devait expliquer aussi à Charles de Bourgogne les précautions déjà prises par
le duc de Guienne, son maître ; la réunion du ban et de l'arrière-ban, et le
commandement de son armée donné au comte d'Armagnac. Il devait lui dire que
le duc François n'avait oublié ni d'entretenir ses relations avec
l'Angleterre, ni de rassembler ses hommes de guerre, et qu'il continuerait de
le mettre au courant des événements, comptant la réciprocité. Il était en
outre recommandé audit Souplainville de n'agir en tout que d'accord avec le
sire Poncet de la Rivière, mieux que-personne au fait de la cour de
Bourgogne. On voit
ainsi quelles intrigues se nouaient autour du roi. D'ailleurs les plaintes du
duc de Bretagne étaient singulièrement exagérées. Sans doute il était venu à
Tours des députés d'Écosse, et le sire de Concressaut les avait accompagnés à
leur retour ; l'armement maritime du roi ne laissait pas que d'être
considérable, mais il s'agissait évidemment de pourvoir aux entreprises qu'on
pouvait craindre de la part d'Édouard IV. La récente révolution accomplie en
Angleterre faisait à Louis XI une loi de ces sages mesures, et son but
constant en politique était le maintien de la paix et des droits de sa
couronne. Pour y parvenir, il sollicitait aussi le secours du ciel. Telle est
l'origine de l'Angelus. Alors, sur la demande du roi, on fit à Paris, le 4er
mai, une grande procession en l'honneur de la sainte Vierge[21]. Le sermon fut prêché par
maître Jean Brète, docteur en théologie et natif de Tours ; il y déclara,
entre autres choses, que le roi, plein de confiance en la vierge Marie,
demandait « que chaque jour, à midi, chacun fléchit un genou à terre, disant
un Ave Maria, pour obtenir bonne paix au royaume de France ». Cette
institution inspira sans doute la pensée d'Agnès de Montils, qui peu après,
sons l'épiscopat de Jean de Bourbon, évêque du Puy[22], fit don d'une terre à l'église
Majeure, pour que, trois fois le jour, la grosse cloche sonnât trois coups
pour avertir de réciter la Salutation angélique. Alors
mourut l'évêque de Paris, Guillaume Chartier, né en cette ville et docteur en
droit. Il avait été sacré dans l'église de Saint-Victor, le 22 juillet 1418.
Si lors de la guerre du bien public, il faillit perdre le royaume, c'est
qu'il n'écouta que son amour de la paix, et croyait ainsi faire le bien
général. Plein de zèle pour son ministère, il distribuait aux pauvres tout ce
qu'il possédait, donnant ainsi l'exemple des plus belles vertus. Aussi fut-il
vivement regretté et honoré presque comme un saint. A la demande de Louis XI,
Sixte IV lui nomma pour successeur Louis de Beaumont, prélat modeste, qui fit
son entrée à Paris le 7 février 1472(3), et administra sagement son diocèse pendant vingt
ans. L'année
qui venait de finir avait été meurtrière, et l'an 1471 fut marqué par de
cruelles épidémies. Le fléau ne ménageait personne et semblait par sa nature
avoir quelque analogie avec le choléra. Les actes administratifs portent,
comme toujours, beaucoup de concessions de foires et de marchés ; on remarque
un privilège de sel en faveur des écolâtres d'Amiens, un règlement du ressort
du bailliage d'Amboise, un édit sur la prévôté de Bourges, plusieurs
rémissions collectives aux gens d'Issoudun et à d'autres, pour contraventions
aux droits de gabelle, une exemption de taille pour les officiers du roi au
parlement de Toulouse ; des édits pour légitimations, et aussi pour dons et
privilèges accordés aux églises de Saint-Laud d'Angers, de Saint-Macloud de
Langres, et de Saint-Martin de Tours. Il
semblait cependant partout qu'on pensât plutôt à la guerre qu'a la paix. Les
princes ligués ne cessaient de grossir leurs armées et d'entasser des
munitions. Le duc de Guienne venait, de demander à ses officiers un nouveau
serment que plusieurs avaient refusé. On sentait, en effet, qu'en l'état où
était le prince on avait à se pourvoir, et l'on hésitait à se compromettre
auprès du- roi. La maladie empirait de jour en jour ; le roi était
régulièrement informé de tout ce qui se passait à cette cour. Ainsi le
témoigne la lettre du 18 mars au comte de Dammartin, où il lui mande qu'il
vient d'apprendre que son frère, ayant toujours la fièvre quarte, ne vivrait
guère au-delà de quinze jours ; « et afin que vous soyez sûr de celui qui m'a
fait savoir ces nouvelles, dit-il, c'est le moine qui dit ses heures avec lui
; ce dont je me suis fort esbahit et m'en suis signé depuis la tête jusqu'aux
pieds ». Depuis huit mois, en effet, ce jeune homme délicat et maladif était
dévoré d'une fièvre lente, et il avait aussi fort souffert des « divisions
de sa petite cour[23] ». Elles étaient au
comble, paraît-il, selon la lettre d'Yvon du Fou du 3 mai, informant le roi «
que le sire d'Archiac avait, de bonne grâce, rendu sa place ; qu'il était
résolu de le bien servir, et que s'il n'était prisonnier pour deux mille
livres il irait lui prêter serment. Il ajoute qu'il a pris le pannetier,
frère de l'abbé de Saint-Jean-d'Angély, et est prêt à le lui envoyer ; enfin,
disait-il, le bruit courait que l'abbé en question devait être brûlé cette
semaine à Bordeaux », ce dont il n'était rien. Le roi fut mécontent de cette
lettre ; car le sire d'Archiac avait fait preuve d'ingratitude en passant
ainsi au service de Monsieur, et Louis pensait qu'il devait être puni. Il
s'en explique à Tanneguy du Châtel dans une missive où il lui recommande de
ne rien entreprendre jusqu'à ce qu'on eût des nouvelles de Bourgogne. « Si
Monsieur de Bourgogne me déclare la guerre, j'irai de ce côté... Cependant,
au cas où quelque place se voudrait rendre, ne la refusez pas... » et dans
une autre lettre il ajoute « de ne point attaquer de lieu de nulle
importance ; que la Rochelle, Saintes, Pons, pourraient être surprises » ;
mais il lui défend de rien entreprendre : il le prie de calmer son zèle et de
rester à Niort. Enfin,
le 9 mai, Louis reçoit la teneur du traité fait au Crotoy, traité que ses
ambassadeurs n'avaient pu obtenir ni plus tôt ni plus favorable à la France ;
ils ramenaient aussi avec eux Simon de Quingey, pour être témoin du serment
du roi. Mais, après avoir attendu en vain une solution pendant six mois,
Louis ne croyait pas devoir perdre le fruit de sa patience : par cette paix,
il rendait ces villes de Picardie si chèrement rachetées et reconquises, et
il sacrifiait les comtes de Nevers et de Saint-Pol au duc de Bourgogne en
échange de l'abandon des ducs de Guienne et de Bretagne par celui-ci. Ce
traité n'aurait été qu'un mensonge de part et d'autre, et nul n'avait la
volonté de le garder ; si bien que Simon de Quingey avait ordre, si le roi le
jurait, d'aller de suite rassurer le duc de Bretagne, et que le duc de
Bourgogne avait pris ses précautions dans la crainte que son délégué ne se
laissât lui-même gagner par Louis XI ; tant ses trames étaient profondes !
Aussi, dès le premier moment, le roi fut résolu de ne le pas accepter. Le 15
mai il écrit au sire de Crussol et à Tanneguy le résultat final des
négociations, et dit qu'il n'y a que dissimulation dans le fait du duc. Il
ajoute qu'à la première nouvelle du succès sur la Rochelle, il s'y rendra. La
veille il avait rappelé au sénéchal de Poitou ses précédents messages : « J'ai
envoyé par-delà Monsieur le grand maître et de la Forêt, et aussi Guérin le
Groing, pour faire tirer l'artillerie à Niort. » Cependant
le roi atermoyait la ratification du traité bourguignon. Or pendant ces
délais le duc de Guienne mourut le 24 mai ; selon d'autres, le 28. Toutefois
son testament est du 24. Il veut être enterré dans le chœur de Saint-André de
Bordeaux. Il reconnaît le roi pour son héritier, l'institue son exécuteur
testamentaire ; le prie d'acquitter ses dettes, de récompenser ses officiers,
lui demande pardon et pardonne réciproquement ; enfin il adjoint au roi,
comme exécuteurs, Artus de Montauban, archevêque de Bordeaux ; Roland, son
confesseur ; Jean Méchineau, son premier chapelain, Odet d'Aydie, seigneur de
Lescun ; Jean Aubin, seigneur de Malicorne ; Roger de Grammont et Thierry de
Lenoncourt, gouverneur de la Rochelle. Cette
mort, facile à prévoir, désappointait bien des ambitieux. De ce nombre était
le sire de Lescun. Ne pouvoir demeurer en repos et vouloir être le maître
partout, tel était le caractère de ce courtisan plein d'artifice et
d'ambition. S'étant d'abord fait connaître en Bretagne, il avait réussi à
s'insinuer dans les bonnes grâces de Monsieur, et il le gouvernait
entièrement. En février 1469, le roi, pour le mettre dans ses intérêts, lui
donna le gouvernement de Blaye, qu'il accepta, promettant de garder la ville
envers et contre tous. Toujours est-il qu'il fut mêlé à tous les bruits que
la malignité inventa sur la mort du duc de Guienne. «
Plusieurs ont dit que ce prince mourut, ainsi que la darne de Montsoreau,
d'une pêche empoisonnée que lui avait présentée l'abbé de Saint-Jean-d’Angély[24], mais on peut douter qu'il y
eût des pêches en France ». Lescun, dit-on, « accusa le roi d'avoir payé le
coupable[25] ». Or, nulle part nous
n'avons eu l'indice de cette assertion ; mais comment concilier ces dires
contradictoires, car l'abbé Saint-Jean-d’Angély était dévoué au sire de
Lescun et empoisonna la maîtresse de ce prince « à l'insu du favori et «
parce qu'elle voulait gouverner seule[26] ». Ainsi, même en
admettant le cas de mort violente, l'examen attentif des faits, loin
d'impliquer une participation quelconque de Louis XI à la mort de son frère,
l'en disculpe complétement. En cette affaire tout est obscur et ne s'explique
que par des luttes d'influence et de basses intrigues dont le secret ne nous
est pas parvenu. « Morvilliers, dit-on[27], avait un parti considérable
dans cette maison. Il appuyait l'évêque de Montauban (Jean
Montlembert) ; il
avança même à ce prélat l'argent nécessaire au voyage de Rome. L'évêque
d'Angers lui était fort opposé, et pour l'éloigner on voulait l'envoyer en
Espagne. Patrix Foucard et Radulphe, évêque de Périgueux, devaient aussi
aller à Rome. Les cabales étaient vives, les petits conseils fréquents, et
jamais le prince ne fut moins à lui que quand il crut y être. On a vu ce qui
se passa lorsqu'il arriva à Rouen, comment chacun prétendait le gouverner ;
le parti qu'il voulait prendre à Honfleur de se retirer auprès du duc de
Bourgogne, ensuite sa réconciliation avec le duc de Bretagne : tout le cours
de sa vie fut de même ; jamais légèreté ne fut pareille à la sienne, c'est ce
qui remplit sa maison de cabales et finit par lui coûter la vie... Lescun,
homme de grand bruit, toujours plus occupé de sa personne que de toute chose,
arrêta l'abbé de Saint-Jean-d'Angély, le fit mettre dans les prisons de
Bordeaux, d'où il le tira pour le conduire en Bretagne avec Henri de la
Roche, écuyer de cuisine et son complice. Il ne parlait que de les faire
brûler vifs. Il n'en fit rien, l'abbé était encore prisonnier en 1474. »
Selon les uns[28], il fut tué d'un coup de
tonnerre dans sa prison de Nantes ; selon les autres, il se serait pendu de
désespoir[29], ou encore il serait mort la
veille de son jugement[30]. Cette date de 4474 prouve le
contraire, et il paraîtrait qu'on ne sait non plus ce que devint Henri de la
Roche. Le roi
venait alors d'apprendre un accident qui intéressait sa sincère dévotion. Les
combles et faites de Notre-Dame de Cléry, qu'il venait de faire
somptueusement réédifier et couvrir d'ardoises et de plomb, furent
entièrement consumés par la faute d'un ouvrier soudeur, qui y avait laissé
son fourneau allumé. Presque en même temps, le sire de Malicorne vint,
assure-t-on, lui apporter la nouvelle de la mort de son frère. Sur-le-champ
il partit du Plessis-lès-Tours, et, prenant la route de Saint-Jean-d'Angély
et de la Rochelle, il se rend à Bordeaux. Là, tout en prononçant une amnistie
générale pour toute la province, il change les principaux officiers du duché
de Guienne, en nomme gouverneur Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, et
réintègre à Bordeaux le parlement qu'il avait dû transférer à Poitiers. Puis,
voulant avoir raison des demi-soumissions et des sourdes pratiques du duc
François, il approche des frontières de Bretagne les troupes disponibles. Le
duc breton, en effet, outre ses préparatifs de guerre, faisait le. 9 juin un
traité de : confédération avec Nicolas, duc de Calabre et de Lorraine. Mais si
quelqu'un était désappointé par la mort de Charles de France, c'était le duc
de Bourgogne. Que deviendraient en effet ses calculs et ses espérances ? Il
sentait avec raison que de là venait le refus du roi de ratifier le traité
honteux de Crotoy, que, dans son ambition, il avait encore trouvé trop
avantageux pour la France. Aussi sa colère s'échappe-t-elle dans un manifeste
odieux qu'il lance contre le roi. Selon lui, à la fin de 1470, Louis XI
aurait conspiré sa propre mort, étant secondé par le bâtard Baudouin, Jean
d'Arçon, Jean de Chassa et autres qui devaient l'assassiner ou l'empoisonner,
en vue d'envahir ses États sans défense : « Depuis peu, ajoute-t-il, il
venait de faire mourir son frère par poison, maléfices, sortilèges et
invocations diaboliques ; ce qui résulte des confessions de frère Jourdain
Favre et de Henry de la Roche, écuyer de cuisine, qui avaient tout avoué. »
Du même ton il conclut que par ce double attentat contre lui d'abord, et
contre le duc de Guienne ensuite, Louis et ses complices sont coupables de
lèse-majesté envers la couronne, les princes et la chose publique ; qu'ils
sont traîtres et perfides d'avoir commis une si noire action dans un temps de
paix, malgré leur serment d'entretenir les trêves ; enfin il accuse le roi de
parricide, d'hérésie et d'idolâtrie ; il invite à une croisade contre lui, et
appuie ses conclusions de textes nombreux des Écritures, et mieux encore de
levées d'hommes et d'argent. D'ailleurs, s'il perdait un utile auxiliaire, il
venait d'en acquérir un autre en la personne de Nicolas de Calabre. Ce
prince, fiancé, comme on sait, à Anne de France, dont il avait déjà touché
une partie de la dot, répudie ses engagements dans l'espoir d'obtenir Marie
de Bourgogne, espoir que le duc laissait à tous les prétendants, sans nulle
intention de la donner à aucun, mais se servant de cette amorce pour se faire
des alliés contre le roi. Même avant la mort du duc de Guienne, le 20 mai,
Nicolas de Calabre était venu retrouver le duc à Bapaume, en son camp, et ne
le quitta plus. Le roi
-ne publie nul manifeste ni réfutation. Le duc, en effet, n'avait donné
aucune preuve de ses assertions outrageantes. Quelles promesses avaient été
faites de la part du roi aux accusés ; quelle récompense avaient-ils reçue ;
comment et par qui les avait-on subornés ; enfin quand et en quels lieux ces
honteux engagements auraient-ils été pris ? Rien de tout cela, en effet,
n'est précisé dans le libelle que le duc fit publier le 22 juin. Le roi
laissa dire et écrire tout ce qu'on voulut. Il lui parut sans doute indigne
de lui de descendre à une apologie. Pendant un an et demi les calomniateurs
eurent libre carrière, et de l'aveu même des-plus hostiles historiens[31], le roi tint en cette occasion
« une très-sage conduite ». Du reste, ces imputations inspirées par le dépit « n'émurent
personne, et les gens de ville et de campagne restèrent indifférents à cette
haine que le duc de Bourgogne tâchait d'allumer contre le roi[32] ». Enfin ; les passions
s'étant un peu calmées, Louis fit instruire le procès de ceux qu'on accusait
de la mort de son frère. Il nomme, pour président de la commission, Hélie de
Bourdeille, archevêque de Tours et métropolitain de l'évêque de Nantes, et
pour commissaires l'évêque de Lombez, Jean de Popincourt ; Bernard Lauret, et
Pierre Gruel, présidents des parlements de Paris, de Toulouse et de Grenoble.
A la date de Monts, 22 novembre 1473, le roi leur donne des lettres pour le
duc de Bretagne, le chancelier Chauvin et le sire de Lescun. Il y est dit «
que le crime en question est si détestable que tout prince doit désirer qu'il
en soit fait une punition exemplaire ; le roi ne doute point que tel ne soit
le sentiment du duc de Bretagne, mais il a lui-même un intérêt particulier à
ce que la vérité soit connue de tout le monde, en sorte qu'on sache quels
sont ceux qui ont consenti, participé, adhéré à la mort de son frère, ou en
ont été complices. Il eût pu les réclamer comme ses justiciables ; car frère
Jourdain Favre est né à Die, en Dauphiné ; ils ont commis le crime en Guienne
et ont été arrêtés à Bordeaux. Il veut bien néanmoins qu'ils restent à
Nantes, et que leur procès leur y soit fait. De plus, il demande que le duc
de Bretagne nomme aussi des commissaires qui travailleront avec ceux qu'il
envoie, et qu'il ne soit rien fait sans eux. » Louis désire encore voir
siéger en ce procès maître Roland de Croisic, confesseur du feu duc, lequel,
comme inquisiteur de la foi, avait déjà instruit le procès des coupables à
Bordeaux ; il ne saurait être suspect, puisqu'à la mort du duc de Guienne il
a passé en Bretagne. Enfin, par une autre instruction, « il est
expressément recommandé aux juges de ne rien faire si ce n'est en présence de
l'inquisiteur et des juges nommés par le duc. Le roi veut même, pour plus de
solennité, que l'on fasse venir le vicaire de l'archevêque de Bordeaux ;
qu'on voie s'il est à propos d'examiner maître Jean de Chassaigne, président
de la cour de cette ville, qui a commencé l'instruction ; qu'il soit mandé et
interrogé ; il sera fait un vidimus des lettres qu'il écrit à l'archevêque et
au président de Bordeaux et de celles déjà écrites à l'archevêque de Tours et
autres commissaires. Lorsqu'ils parleront au duc de Bretagne, ils ne lui diront
rien de la charge que le duc de Bourgogne a voulu donner au roi ; mais, en
interrogeant les prévenus, ils leur demanderont s'il est vrai que le roi leur
ait fait faire le crime dont ils sont accusés, leur promettant de grandes
récompenses, si même il en a eu connaissance, si quelqu'un les a induits à
accuser le roi, et on écrira leurs réponses fidèlement et dans la pure
vérité. Les commissaires mèneront secrètement avec eux deux notaires
apostoliques, gens sages et discrets, qui prendront copie des lettres que le
roi écrivit au duc de Bretagne, au chancelier et au sire de Lescun ; et afin
de rendre la chose encore plus juridique et authentique, un d'eux gardera les
lettres et ne les rendra à l'archevêque de Tours que quand ils seront devant
le duc, à qui l'archevêque les remettra. Les commissaires veilleront à ne
parler au duc et à ne lui lire les instructions générales qu'en plein
conseil. Les notaires prendront acte de ce que le duc répondra et
généralement de tout ce qui se passera. Comme en toutes ces procédures le roi
n'a en vue que de faire connaître la vérité et son innocence, il répète qu'il
souhaite que les prisonniers demeurent entre les mains du duc. Au cas où le
duc, sous quelque prétexte que ce soit, refuserait ou différerait de faire le
procès aux coupables, les deux notaires en chargeront le procès-verbal.
Toutes les lettres du roi ci-dessus mentionnées sont jointes aux instructions[33]. Il
était certes difficile.de pousser plus loin les précautions, et s'il ne fut
pas donné de suite au procès la faute n'en saurait être au roi. Suivant un
chroniqueur, « il a appris, dit-il, d'un vieux chanoine que, bien que
personne ne se fût aperçu que Louis XI eût fait mourir le duc de Guienne,
cependant un jour, faisant ses prières à Cléry, son fou l'entendit demander
pardon à Dieu de la monde son frère, qu'il avait fait empoisonner par ce
méchant abbé d'Angély[34] ». Où donc a-t-on vu que
Louis XI eût un-fou ? Comment croire un récit sur l'autorité d'un vieux chanoine
inconnu ? D'ailleurs l'idée n'était pas nouvelle, puisque le duc de Bourgogne
l'avait ouvertement produite dans son manifeste. Il en est de même de
l'insinuation d'un contemporain qui mit un scandaleux empressement à noircir
la mémoire de Louis XI pour plaire à Louis XII, son patron : « Plusieurs
disent, ce que toutefois je n'affirme pas, que Louis XI fut cause de faire
mourir son frère par poison ; mais bien est chose certaine qu'il n'eut jamais
fiance en lui tant qu'il véquit ; et ne fut pas déplaisant (affligé) de sa mort[35]. » Il était difficile, en
effet, de se fier à un prince aussi léger que fut Charles de France. «
D'ailleurs en Bourgogne et en Bretagne on avait déjà imputé au roi, sans
nulle apparence, la mort du duc Jean de Calabre... quand un prince mourait,
rarement on croyait que ce fût de mort naturelle[36]. » Sitôt
après la mort de duc de Guienne, la plupart de ses serviteurs vinrent au
service du roi. De son côté, Louis ne négligeait rien pour les attirer à lui,
et parmi ceux qu'il gratifia on remarque le sire de Souplainville et Philippe
des Essarts. On voit dans une lettre écrite le 28 mai à Dammartin qu'il se
croit sûr du sire de Curton, sénéchal de Guienne, à qui il avait fait de
bonnes conditions et confirmé les dons du feu duc ; il recommande à Chabannes
de faire passer dans la compagnie de celui-ci le plus grand nombre possible
des gens d'armes du jeune Odet d'Aydie, tous même s'il peut. Ailleurs, il dit
: « Au regard de lui, tâtez-le en chemin et sentez s'il ne voudrait pas
traiter comme son frère ; faites en sorte que le duc de Bretagne laisse les
Bourguignons de tous points et pour toujours, et faites un bon traité ainsi
que vous saurez bien avisez ; car je ne puis croire que le sieur de Lescun
l'ait laissé ici pour autre chose que pour sentir s'il pourra trouver quelque
arrangement. » Ainsi
le roi, selon son besoin, attirait à lui les serviteurs de son frère. Même du
vivant de celui-ci, plusieurs vinrent à lui ; d'autres attendaient, espérant
d'être mieux payés. Les villes allèrent au roi comme avaient fait les
officiers. Aussi, dès la fin de mai, voit-on le roi confirmer les franchises
et constitutions municipales de Bergerac, de Saint-Emilion, de Libourne, de
Périgueux, de la vicomté de Turenne et d'autres lieux. Par grâce particulière
il octroie ensuite aux habitants de Blaye le pouvoir d'élire tous les ans
leur maire, jurés et autres officiers municipaux, et renouvelle le don de
toutes les immunités et libertés municipales de Saintes et de la Rochelle,
accordant aux Rochelois de trafiquer avec les Anglais et autres étrangers,
même en temps de guerre, et aux habitants de Saint-Jean-d'Angély leurs
privilèges accoutumés ; enfin, selon le vœu de cette ville, il réunit Bayonne
à la couronne, pour n'en plus être séparée. Il y avait eu vers ce temps
quelques désordres à Pézenas et à Montignac, pour la collection des impôts.
Les habitants s'étaient révoltés, et de leur autorité privée avaient changé
la destination des fonds publics. Ils osèrent même fermer leurs portes aux
troupes du roi, de passage pour aller en Roussillon. Les commissaires envoyés
sur les lieux avaient constaté le crime ; ils demandèrent grâce, et le roi,
satisfait de leur soumission, leur accorda une amnistie générale. Comment
dire, comme quelques-uns[37], que « la perle de la clémence
ne parut point dans sa couronne ? » Nul cependant n'a plus pardonné qu'il n'a
fait. Pendant
ce temps le duc de Bourgogne ne s'en était pas tenu aux amères paroles. Au
mépris de la trêve, il avait repris la campagne, et dès le 7 juin il se
vantait de ses succès aux magistrats de Malines. N'ayant pu, en effet,
reprendre Amiens et Saint-Quentin par la ruse, il essaya d'un autre moyen.
Fort de l'alliance du duc Nicolas de Calabre ainsi parjure à tous ses
serments, il quitte son camp sans attendre l'expiration de la trêve, passe la
Somme avec toutes ses troupes et marche contre Nesle. Là était un capitaine,
dit petit Picard, avec cinq cents archers. Pendant tout un jour, il se
défendit avec beaucoup de valeur ; puis, voyant la résistance inutile, le
lendemain, dès la pointe du jour, il sort, accompagné de la comtesse de
Nesle, pour capituler. Quand il fut rentré dans la place, et au moment même
où il faisait quitter à ses francs-archers leurs habits d'ordonnance,
quelques habitants ouvrirent la porte aux assiégeants. Ceux-ci entrèrent
comme dans une ville prise d'assaut, et y commirent tout ce qu'on peut
imaginer de désordres et de violences. Beaucoup
de gens s'étaient réfugiés dans l'église, surtout des femmes, des enfants et
des vieillards. Le duc vint, et, en sa présence, sans nul respect pour le
saint lieu, tous ces malheureux furent impitoyablement égorgés ; ceux qui
échappèrent, le capitaine comme les autres, furent ensuite pendus ; enfin les
quelques infortunés à qui l'on fit grâce de la vie eurent le pouce, d'autres
disent le poignet coupé : horreur qui rappelle l'atrocité d'Uxellodunum, la
plus mauvaise action de César. « Tel fruit porte l'arbre de guerre », dit le
duc à ce spectacle : c'est possible, mais lorsque la guerre est faite avant
l'expiration des trêves et au mépris de toutes lois divines et humaines, de
pareilles actions ne peuvent être appelées que le fruit de la barbarie. Certains
historiens parlent d'un héraut tué par un archer : ce n'a pu être qu'avant la
capitulation ; or on avait capitulé. D'autres racontent que lors de l'entrée
tumultueuse des Bourguignons, deux d'entre eux furent tués par les habitants,
cela est possible en un moment de désordre ; mais on ne peut apprécier un
fait dont on ignore les circonstances. La conduite du duc n'en est pas moins
odieuse ; Nesle s'ajoute à Dinant et à Liège. Ce désastre frappa de terreur
les autres villes et garnisons : aussi les quinze cents archers qui devaient
défendre Roye et étaient commandés par les sires de Mouy et de Rubempré se
rendirent, et Montdidier suivit bientôt cet exemple. A ces
mauvaises nouvelles, le roi dut sentir que, malgré sa prudence, il s'était
encore trop fié à la fidèle observation de la trêve : contre un tel ennemi
l'excès de confiance n'est pas permis, et il eût dû se mieux prémunir[38]. A cette occasion, le roi écrit
d'Angers, 19 juin, au comte de Dammartin : « J'ai bien espérance que Dieu
nous aidera à nous venger, à cause du meurtre qu'il a fait faire tant dans
l'église qu'ailleurs. » Il y avisa sur-le-champ. Aussi, peu de jours
après, de Chalonne, 24 juin, le voit-on mander aux gouverneurs de Roussillon
et d'Anjou de lui avoir pour le lendemain « deux grosses bombardes, deux
grosses coulevrines et les hommes pour les servir ; leur enjoignant de ne
point partir d'Angers que tout ce qu'il a ordonné ne soit prêt. Le porteur
leur dira le reste ». Le roi,
parait-il, avait donné l'ordre préalablement de raser Roye, Montdidier, et
généralement toutes les places qu'on ne pouvait défendre, et de fortifier
Compiègne. Dans le péril où pour lors on se trouvait, le connétable pressait
le roi de venir à la tête de cinquante mille hommes, des marches d'Anjou et
de Bretagne, où il était, à celles de Picardie, ajoutant « que les
pourparlers du duc n'étaient qu'un jeu destiné à l'amuser ». Louis XI
n'écouta point ce mauvais conseil ; il ne lâcha pas le duc breton et fit
bien. Seulement il envoya le comte de Dammartin pour seconder le connétable
en Picardie, et sitôt qu'il sut son arrivée à Compiègne il lui écrivit, le 1er
juillet, de Plessis-Maté : « Je suis heureux que vous y soyez, gardez-la bien
: qu'on désempare les méchantes places et qu'on garde les bonnes. Au plaisir
de Dieu et de Notre-Dame nous recouvrerons bien le surplus. Puisque vous êtes
par a delà, tâchez de frapper quelque bon coup sur le duc de Bourgogne, si
vous le pouvez à votre avantage ; et j'irai bientôt vous a aider. » Ainsi il
donne espoir et un constant appui à ses officiers. Après
la prise de Roye, le duc de Bourgogne continua sa marche et arriva devant
Beauvais le 27 juin. La garnison y était peu nombreuse, mais les habitants se
montrèrent résolus à se défendre. Le commandant de la place se trouvait être
Louis Gommel, seigneur de Ballagny, conseiller et chambellan du roi. Le duc
avait bien l'espoir d'emporter d'emblée la ville par un assaut, et d'éviter
ainsi un long siège, mais il n'en fut rien. Les habitants soutinrent d'abord
avec vaillance ses premiers efforts ; bientôt Guillaume de Vallée, envoyé par
Chabannes, arrive avec deux cents lances, et sans prendre aucun repos, ces
braves courent à la défense des murs. Le lendemain vinrent le maréchal de
Rouhaut, le sire de Crussol, sénéchal du Poitou, le sire de Bueil avec sa compagnie,
les sires de Torcy, de Sallazart, Guérin de Groing avec trois cents lances,
et beaucoup de noblesse normande. De Paris, que l'approche de l'ennemi
effrayait, furent envoyés grand nombre de pionniers avec quantité de vivres
et de munitions de guerre. Alors le connétable d'un côté, le grand-maître de
l'autre, harcelaient l'ennemi, enlevaient les convois et frappaient sans
cesse les fourrageurs ou les isolés. Les fréquentes sorties de la garnison
tenaient aussi les Bourguignons en haleine, si bien que leur situation
devenait intolérable. Le duc résolut donc de donner un assaut. Ayant
été informé de ce projet, on manda en toute hâte de Paris des arbalétriers
qui vinrent, sous la conduite du bâtard de Rochechouart, avec un grand
renfort d'armes et de traits. On n'oublia pas le secours du ciel, et la
protection de sainte Angadrême, patronne de la ville, fut pieusement
invoquée. Aussi l'attaque du jeudi 9 juillet fut-elle vaillamment repoussée.
Du côté où l'on tenta l'escalade, commandait Robert d'Estouteville, frère du
sire de Torcy ; là, le combat fut long et opiniâtre, et les Bourguignons y
perdirent plus de quinze cents hommes. Leurs pertes auraient été encore plus
grandes si les portes n'eussent été murées de ce côté, ce qui ne permit pas à
la cavalerie de sortir. Il fallait toute la présomption du duc pour espérer
forcer une ville défendue par quinze mille hommes de bonnes troupes et
d'excellents chefs soutenus eux-mêmes au dehors par une armée de secours. Les
assiégés n'étaient pas des Gaulois, et il était encore bien moins César. Ce
succès enhardit les assiégés, et le lendemain de l'assaut Sallazart fit une
heureuse sortie, enleva plusieurs pièces de l'artillerie ennemie et brûla une
bonne partie de ses tentes. Toutes
les autres villes admiraient cette belle défense, et elles s'empressèrent à
l'envi d'envoyer à cette courageuse cité des armes et des munitions de guerre
et de bouche ; si bien qu'on en regorgeait. Orléans, Rouen et d'autres villes
se distinguèrent. Paris avait fait déjà beaucoup, et cette ville se devait
mettre elle-même à l'abri d'une surprise ; aussi fut-il passé une grande
revue de ses milices par le sire de Gaucourt, lieutenant du roi, assisté de
maître Jean de Ladriesche, président des comptes, et de Denis Hesselin,
panetier du roi et prévôt des marchands. On aurait bien voulu en détacher
encore trois mille hommes pour l'armée de Beauvais ; mais, sur les
représentations des officiers civils, les capitaines n'insistèrent pas. Le duc
sentit enfin le péril de sa situation, il se décide à lever le camp le 22
juillet, ainsi que le roi l'avait prévu, car dès le 20 il mandait de la
Guerche à son ami le sire du Plessis de faire couler en argent une ville de
Beauvais de douze cents écus. Aussi fut-il tout joyeux de cette nouvelle.
Louis XI n'avait garde d'oublier le courage des habitants de Beauvais, et
pour les récompenser de cette belle défense il leur adressa[39] des lettres où, rappelant leurs
anciens services lors de la guerre contre les Anglais, il leur accorde, pour
eux et leurs successeurs, plusieurs privilèges, entre autres le droit de
tenir fiefs et arrière-fiefs sans qu'on pût exiger d'eux aucune finance ;
celui de ne point être tenus de servir dans les armées sous prétexte de ban
et d'arrière-ban, mais de rester chez eux en habits de guerre pour défendre
leur ville, si besoin était. Il les exempte de toute imposition et leur
laisse entière liberté d'élire chaque année leur maire et les pairs «
auxquels ils obéiront en « tout pour le maintien de l'ordre dans la ville s.
L'année suivante encore, pour reconnaître les bons services des femmes
pendant ce siège mémorable, où elles s'étaient fort distinguées par leur
courage, il veut[40] qu'à chaque anniversaire de la
levée du siège on porte en procession la précieuse relique du corps de sainte
Angadrême, dont l'intervention a sauvé la ville ; que ladite procession se
fasse à ses frais ; que les femmes y précèdent les hommes et suivent
immédiatement le clergé, là, aussi bien qu'à l'offrande. Elles porteront le
jour de leurs noces, et tout autant de fois qu'il leur plaira, telles parures
qu'elles voudront. Jeanne Laisné dite Hachette s'était surtout fait remarquer
parmi les plus intrépides. « Tel avait été, dit Loisel, le courage de
cette jeune fille, qu'elle arracha des mains d'un porte-enseigne son drapeau,
et le porta dans l'église des Jacobins. » Le roi la récompensa
spécialement, et la maria à un de ses officiers dit Colin Pilon[41] ; par lettres du 22 février 1473,
datées de Senlis, il les exempta, elle, son mari et leurs descendants, de
tailles, du guet et de la garde des portes. Le duc
s'en était allé dans le pays de Caux, brûlant et ravageant tout sur son
passage, pour se venger de l'affront qu'il avait reçu. Chemin faisant il prit
Saint-Valéry et Eu, puis, y ayant mis garnison, il marcha sur Dieppe. Cette
ville et Arques l'eussent bien tenté ; mais le connétable et Dammartin
étaient à ses trousses avec huit cents lances. Il met donc le feu à
Longueville et autres petites places, et vient camper devant Rouen. Il y
reste quelques jours ; puis ne voyant paraître aucun secours de Bretagne,
comme il l'espérait, et n'osant rien tenter contre la ville, trop bien
gardée, il reprend la route de Picardie. D'ailleurs les murmures commençaient
à se faire entendre parmi les siens ; nuls ne pouvaient s'écarter ni piller,
à cause de l'armée qui les talonne. Ils s'indignent de mourir de faim au
milieu de l'abondance. Espèrent-ils en un convoi ? ils le voient arrêté et
enlevé sous leurs yeux. Lorsqu'on
vit Charles de Bourgogne prendre et brûler Neufchâtel-de-Nicourt, on craignit
de le voir se porter sur Ham, Saint-Quentin ou Noyon, car il en voulait
surtout alors au connétable, qui de son côté, avec les garnisons d'Amiens et
de Saint-Quentin, courait et dévastait tout dans les pays du duc. Alors
commandait à Noyon le sire de Crussol avec d'autres vaillants capitaines qui
étaient venus s'y loger « pour repousser sa damnée fureur ». Mais il n'y vint
pas. D'ailleurs que pouvait-il entreprendre ? Il avait perdu bien du monde et
des plus notables des siens ; les populations le haïssaient comme l'auteur de
tant de dévastations inutiles : il apprenait aussi que le maréchal Rouhaut et
les autres chefs français reprenaient aisément les villes qu'il avait
conquises, en sorte que cette campagne devenait un fléau et ne lui laissait
aucun avantage. Sur les
marches de Champagne le comte de Roussi, fils du connétable et qui suivait le
parti de Bourgogne, faisait la guerre avec autant de cruauté que le duc
lui-même. Après avoir envahi le comté de Tonnerre sans résistance, il
tournait vers Joigny, mettant le feu partout ; mais là il fut reçu de telle
sorte qu'il crut prudent de changer de route. Alors il va vers Troyes et
Langres, faisant partout d'immenses ravages, et brûlant les places qu'il
trouve sans défense, notamment Montsaugeon sur la Vigenne ou Vingeane, à six
lieues de Langres. Sitôt que Louis en est informé, il envoie Philippe Guérin,
son maître d'hôtel, à Louis de Châtillon, gouverneur de Champagne, ordonnant
à celui-ci d'aller à Langres et de pourvoir la ville de toutes choses. Il
lui, fait espérer, mais toutefois avec réserves, l'assistance du comte
Dauphin. Ce dernier, en effet, avait de ce côté quelques bonnes troupes sous
la main, et ne faisait guère moins de mal en Bourgogne que le duc en Picardie
et le comte de Roussi en Champagne. Il envoya donc vers Langres quelques
forces sous la conduite de Charles d'Amboise, un de ses plus habiles
capitaines ; malheureusement celui-ci tomba malade en route. D'un. autre
côté, le comte de Romont avait bien pris quelques châteaux sur les limites de
l'Auxerrois ; mais ayant rencontré une bonne compagnie d'hommes d'armes, il
avait été si bien battu que les Bourguignons en furent effrayés assez loin. Cependant
Louis XI était resté vers les marches de Bretagne. De là. il s'assurait de la
Guienne, tenait en échec François II, qui ne put ainsi se réunir au duc de
Bourgogne, et surveillait les princes audacieux du midi. Le comte d'Armagnac
continuait les intrigues et trahisons qui occupèrent toute sa vie. Le roi
ayant été informé qu'il entretenait des intelligences dans Lectoure et visait
à reprendre cette ville, en avertit le sire de Beaujeu, récemment nommé
gouverneur de Guienne, et lui ordonne d'y veiller. Les amis du comte étaient
surtout la duchesse douairière d'Albret, son fils Charles dit de
Sainte-Bazeille, et le sire de Montignac, qui commandait dans la place.
Alors le sire de Beaujeu porta la négligence jusqu'à se rendre suspect au
roi. Il se contente d'envoyer à Lectoure trois officiers avec une trentaine
d'archers, et il laisse le commandement à Montignac. Celui-ci recevait chez
lui sans difficulté les gens du comte : le sire de Beaujeu y vint lui-même,
et comme il arrivait quelques troupes envoyées par le roi, on décida, sur
l'avis de Montignac et sous le prétexte que la ville ne pouvait entretenir
une forte garnison, qu'elles seraient logées dans les lieux voisins. Les
portes principales de la ville continuèrent donc d'être occupées par les gens
dévoués au comte d'Armagnac : ainsi, un samedi de grand matin, la porte du
grand boulevard s'étant trouvée ouverte, le comte y entra avec les siens,
surprit les sires de Beaujeu, de Candale, Castelnau et Bretenoux, et il les
fit prisonniers ; ensuite il arrêta, mais par feinte, le cadet d'Albret et
Montignac. C'était un cas sérieux, car Jean II d'Aragon, mettre de Barcelone
et de toute la Catalogne, aspirait à reprendre le gage de sa dette, et il
allait infailliblement s'unir au comte d'Armagnac et faire ainsi une guerre
ruineuse en Languedoc. Louis
XI, d'un autre côté, voyant qu'il ne pouvait amener le duc François Il à
traiter séparément, avait fait entrer ses troupes en Bretagne ; Chantocé fut
assiégé et pris avant la Saint-Jean. Le duc breton, qui comptait un peu trop
sur l'appui de Charles de Bourgogne, s'aperçut bientôt qu'il s'était abusé.
Toutefois, il voulut encore tenir bon. Alors l'armée royale attaque Ancenis
le 6 juillet et y entre le 7, presque sans résistance. Le roi s'avance vers
Pouancé, toujours prêt à un engagement, mais ayant soin d'écrire au
connétable et à Dammartin, qui côtoyaient Charles de Bourgogne, de ne lui
laisser nul répit. Enfin cette longue guerre, la stagnation du commerce, ces
fortes garnisons qu'il fallait nourrir et les lourds impôts qui en
résultaient, tous ces maux réunis à la crainte de recevoir chez eux, sous le
nom d'auxiliaires, des hôtes étrangers, anglais ou autres, décidèrent les
Bretons à prêter l'oreille à des propositions de paix. Le roi
d'ailleurs désirait quelque repos ; il venait dans ce but d'aplanir une des
plus grandes difficultés. Le sire de Lescun, selon les prévisions de Louis
XI, écoutait les propositions d'accommodement. On lui rend d'ailleurs cette
justice[42] « qu'il détourna toujours le
duc d'accorder aucune place aux Anglais ; et il paraît que, peu après cette
ligue, il commença à se rapprocher du roi ». De la part du duc de Bretagne
deux amis de Lescun, l'un et l'autre bien connus du roi, Philippe des Essarts
et Philippe de Souplainville, reçoivent mission de traiter. Or une haine
assez vive séparait Tannegui du Châtel et le sire de Lescun. « Le roi avait
besoin du second et estimait l'autre pour sa franchise ; de tels
ressentiments pouvaient porter, on le conçoit, grand préjudice au royaume. »
Après bien des pourparlers, de Lescun demande que Louis XI jure par la croix
de Saint-Laud qu'il peut venir vers lui en toute sûreté, et qu'auparavant du
Châtel promette avec serment qu'il ne lui tendra aucun piège ; alors on
commença à traiter de l'appointement de chacun. Le roi en écrivant à Tannegui
lui confiait ses craintes et lui demandait son avis sur les points
mentionnés. « Si on ne vient que pour l'amuser sans but sérieux, on verra du
moins qu'il est sur ses gardes. » Ainsi il aimait à consulter ses lieutenants
; et le 31 juillet précédent il demandait au comte de Dammartin s'il jugeait
qu'il fût à propos d'admettre le sire de Rohan parmi les chevaliers de son
ordre. Enfin
le 13 octobre une trêve avec la Bretagne fut conclue ; elle devait durer du
18 de ce mois jusqu'à la fin de novembre ; toutefois ce ne fut pas sans
sacrifices. Des deux envoyés le second eut, à partir du 16 décembre, la
prévôté d'Acqs, la terre et seigneurie de Saint-Sever sa vie durant, une
pension de 12.000 liv. et 2.000 écus comptant. Le sire des Essarts traita le
17 octobre et fut plus exigeant : il demanda non-seulement une pension de
12.000 liv. et 10.000 écus comptant, mais encore un bailliage et la maîtrise
des eaux et forêts de Champagne et de Brie. Mais au sire de Lescun lui-même
il fallut bien davantage : il obtint d'abord 6.000 liv. pour le gouvernement
de Guienne, de Blaye et d'un des châteaux de Bordeaux ; 2.000 liv. pour gages
de l'amirauté de Guienne, 24.000 écus d'or, et pour son frère une pension de
1.200 liv. Il reçut encore le collier de Saint-Michel ; mais l'attribution
qu'on lui fit du comté de Cominges donna lieu à d'assez graves difficultés de
la part du parlement. Il y eut, certes, prodigalité envers Lescun, « ce
Gascon intelligent, comme on l'appelait, qui n'aimait pas les Anglais et
voulait régner en Gascogne[43] ». L'argent ne fut pas
plus épargné pour le duc de Bretagne, qui toucha aussi une grosse somme et se
fit rendre quelques places. Enfin, moyennant tous ces sacrifices, la trêve
fut prolongée jusqu'au 22 novembre 1473. On convint que les ducs de Bourgogne
et de Calabre seraient compris dans la trêve, s'ils le voulaient, et que les
Anglais seraient écartés de toute immixtion dans les affaires de France.
Ainsi cette redoutable coalition se trouvait rompue par le fait de cet
arrangement. Si cet
argent épargnait l'effusion du sang on ne peut qu'en louer Louis XI ;
toutefois, disons-le, cette profusion d'or et de faveurs avait son côté
périlleux. Alors il acquit un fidèle serviteur et celui qui, mieux que tous
les autres, nous a transmis la réelle appréciation des hommes et des choses
de cette époque. « Environ ce temps, dit Comines[44] ; je vins au service du roy,
lequel avoit recueilli des serviteurs de son frère la plus gant part, et
estoit au Pont-de-Cé, où il faisoit la guerre au duc de Bretagne. » C'était
le 8 août 1472. Bien des conjectures ont été faites sur les causes de cette
détermination et bien des versions furent reproduites à ce sujet. A-t-il été
froissé de quelqu'un de ces emportements si familiers au duc de Bourgogne ?
Rien n'est bien certain ; peut-être aussi n'approuvait-il pas la conduite
politique du duc, ni même la guerre qu'il se permettait de faire à son
suzerain. « Sans approuver, dit Legrand, les colères de Meyer contre
Comines, il faut tomber d'accord sur un point, c'est qu'un honnête homme est
à plaindre quand il est obligé d'abandonner un maître, son seigneur, qui l'a
élevé. » Rien n'est plus vrai ; mais il ne faut pas oublier que le roi était
aussi le souverain seigneur du duc et de Comines. Ici, il n'y avait point
félonie. Où donc Charles de Bourgogne prenait-il le droit de faire la guerre
au roi ? D'ailleurs il ne faut pas séparer un fait du milieu où il se
produit. Or, selon les historiens, plus de cent des meilleurs officiers du
duc, avant et depuis Comines, en firent autant. Nous aimons donc mieux croire
qu'il fut, comme tant d'autres, attiré vers le roi par certaines « grandes
et véritablement royales qualités de ce prince[45] ». Philippe
de Comines avait vingt-sept ans lorsqu'il vint à la cour de Louis XI. Grandes
étaient les obligations qu'il avait à la maison de Bourgogne : aussi jamais
dans ses mémoires ne se permit-il de blâmer son ancien maître, et il sut
toujours couvrir ses motifs de mécontentement du plus complet silence. « De
l'ung et de l'aultre, dit-il, ne voudroye pas mal parler... Quand on pensera
aux aultres princes, on trouvera ceux-ci grands, nobles, et le nostre très
saige, lequel a laissé son royaulme accru et en paix avec tous ses ennemis. » C'est
du 8 août, à six heures du matin[46], qu'est datée ab irato la
cédule par laquelle le duc Charles donne au seigneur de Quiévrain tous les
droits et actions appartenant à Philippe de Comines contre le seigneur de
Traisignies, en vertu d'une sentence de la cour de Mons, ainsi que la
confiscation de tous les biens dudit messire échus au duc, « parce que, y
est-il dit, il s'est aujourd'hui distrait de notre obéissance ». Louis
XI n'avait point oublié les services déjà reçus par lui lors de l'entrevue de
Péronne, et il ne négligea pas en cette circonstance de montrer sa gratitude.
Il reçut donc fort bien Comines, dès l'année suivante lui fit remettre : les
sommes saisies à son détriment, et à chaque don qu'il lui fait il tient à
rappeler les bons offices rendus par lui et ceux qu'il en espère encore à
l'avenir. Ainsi dans les motifs de la cession qu'il lui fait à Amboise, en
octobre 1472, des terres de Talmont, d'Olonne et autres, on lit sur ses
lettres patentes : « Comme notre amé et féal conseiller et chambellan
Philippes de Comines, chevalier, seigneur de Revescure, démonstrant sa ferme
et grant loyaulté, nous a témoigné son amour ; considérant que dès son jeune
âge il a été disposé à nous honorer ; que particulièrement en notre grant et
extrême nécessité il a contribué à la délivrance de nostre personne lorsque
nous étions entre les mains d'aucuns de nos rebelles et désobéissants sujets,
et que sans crainte du danger qui lui en pouvoit advenir, il nous a averti de
tout ce qu'il pouvoit pour notre bien, tellement que, par son aide, nous
sommes sortis hors des mains de nos ennemis ; reconnaissant que
raisonnablement, et selon la conscience, nous sommes tenus de le récompenser
des dommages qu'il a éprouvés, espérant d'ailleurs qu'il fera encore plus à
l'avenir, pour ces raisons nous lui faisons don, etc... » Également
d'Amboise, le 28 octobre de cette année, il le gratifie d'une pension de
6.000 liv., et le mois suivant il lui accorde la charge de capitaine du
château de Chinon, aux gages de 1.200 liv. tournois, et encore en décembre
lui concède d'autres terres à joindre à la principauté de Talmont. Toutefois
Comines n'eut pas de bonheur en sa fortune : les principales terres qu'il
reçut par gratification ou du chef de sa femme, aussi bien celle d'Argenton
que celle de Talmont, lui donnèrent des titres de propriété contestables et
qui furent très-vivement disputés. Toute sa vie il eut à se débattre au
milieu des procès contre les la Trémoille, descendants de Louis d'Amboise.
Toutes ces discussions avec le roi devant le parlement, même après un
arrangement amiable, jettent beaucoup de jour sur le caractère de Louis XI et
sur le pouvoir de la justice pendant son règne. On n'eût certes pas osé, sous
un Tibère, risquer une pareille lutte. La
trêve de Bretagne laissait le roi libre d'agir en Picardie et enlevait au duc
de Bourgogne tout espoir d'être soutenu. Les incendies et dévastations dont
il avait couvert le pays depuis Neufchâtel jusqu'à Noyon n'avaient que peu
avancé ses affaires, tout en attirant chez lui les mêmes fléaux. Le
connétable et le comte de Dammartin ne cessaient de l'incommoder extrêmement.
D'un autre côté le connétable lui-même savait que la garnison de
Saint-Quentin ne ménageait guère ses terres et il n'avait point eu de
satisfaction quand il s'en était plaint au comte de Dammartin. Si les
Bourguignons inclinaient à une trêve, le comte de Saint-Pol n'était pas
éloigné de la désirer pour son compte. Il écrit donc au roi, le 23 octobre,
que les Bourguignons demandent une suspension d'armes pour six mois, et
semble être d'avis de ne l'accorder que pour trois ; cependant, « dix
jours après[47], lui seul pour le roi signa une
trêve jusqu'au 1er avril avec les sires Philippe de Croy, Gui de Brimeu,
seigneur d'Himbercourt, et Antoine Raolin, seigneur d'Aimeries ». On y
convient que c'est afin d'avoir le temps de travailler à une bonne paix ;
qu'à cet effet on s'assemblera le 1er décembre à Amiens : de part et d'autre,
y est-il dit, les limites actuelles seront respectées et les mandataires de
la paix jugeront tout différend qui pourrait s'élever. Alors on commença à
murmurer tout haut contre le connétable et à blâmer sa conduite ; car «
l'avoit le roy prias en hayne..., et le duc de Bourgogne le hayoit encore
plus[48], le regardant comme cause de la
prise d'Amiens et de Saint-Quentin ». Le comte de Saint-Pol tenait en effet
Saint-Quentin, Ham, Bohain et autres places fortes, « et avoit de grandes
seigneuries siennes » ; mais il s'était attiré l'aversion de plusieurs par
ses façons hautaines et arrogantes, et surtout celle du sire d'Himbercourt
par un vilain démenti. Lors de
l'élection du nouveau pape Sixte IV, Louis XI avait envoyé à Rome une
députation présidée par le patriarche d'Antioche, Gérard de Crussol, évêque
de Valence, pour faire le serment d'obédience. Le pape saisit cette occasion
de louer les ambassadeurs français et surtout Louis XI pour la pensée qu'il
lui suppose de vouloir abolir la pragmatique. Dans ce but, le Saint-Père
explique les concessions qu'il se propose de faire jusqu'à ce que la
conclusion d'un concordat ne présente plus aucune difficulté. Le pape ne
confiera les bénéfices du royaume et du Dauphiné qu'aux sujets du roi et sur
la proposition écrite de celui-ci ; les causes bénéficiaires ne seront
portées à Rome qu'après la sentence rendue par la justice des lieux. De son
côté le roi s'engagerait à ne présenter que des hommes capables et de bonnes
mœurs. Ainsi Louis, qui savait à combien de cabales les élections
ecclésiastiques donnaient lieu, et jusqu'à quel point l'aristocratie
seigneuriale y dominait, était assez disposé à adopter cet arrangement. Sixte
IV envoya donc alors en France le cardinal Bessarion, savant grec de
Trébizonde et archevêque de Nicée, pour en presser la conclusion et inviter
les princes chrétiens à la paix et à la concorde. A son arrivée en France le
saint prélat, contrairement à ce que Brantôme et quelques autres affirment,
vint directement au roi et se contenta d'écrire l'objet de sa mission à
chacun des ducs de Bourgogne et de Bretagne[49]. Si donc Louis XI, ce dont on
peut douter, répondit à son discours par le vers latin[50] qui signifie dans la grammaire
« que les noms « grecs en passant en latin ne changent pas de genre »,
ce ne put être par le motif puéril qu'on s'est plu à lui attribuer. Peut-être
le roi cita-t-il ce vers par allusion à l'origine du prélat et à sa défiance
contre toute ruse. Si le cardinal ne réussit pas 'ce fut sans doute parce
qu'il était chargé d'une autre mission touchant la libération du cardinal
Balue, ce qui plaisait beaucoup moins au roi. A son retour en Italie, ce
vénérable prélat mourut à Ravenne cette même année 1472, à l'âge de
soixante-dix-sept ans. A sa
place le pape envoya à la cour de France le cardinal d'Estouteville, homme
moins érudit sans doute, mais ayant un plus grand usage du monde et des
affaires. Il fut bientôt à son tour remplacé par André de Spiritibus, évêque
de Viterbe. Le 31 octobre le roi donna des lettres patentes pour
l'enregistrement du concordat ; mais l'université s'y opposa, « et l'on ne
voit pas qu'il ait eu lieu[51] ». Ainsi le roi a souvent
trouvé de la résistance à ses volontés, et il l'a soufferte. Les
relations si rares de Louis XI et de Gelées, duc de Milan, les liaisons de ce
dernier avec Yolande de Savoie, faisaient douter que la France eût encore là
un allié dévoué. Et cependant que n'avait pas fait le roi pour maintenir la
paix en Italie ! N'était-il pas intervenu pour calmer les dissentiments de la
seigneurie de Florence avec Naples et Milan — lettre de la république, du 24
juillet 1470 —, aussi bien qu'il avait auparavant réconcilié ce gouvernement
avec Paul II — lettre de Louis XI, du 11 juin 1467 — ? Enfin le 15
octobre le duc envoie des ambassadeurs au roi. L'un d'eux s'arrêta à Lyon et
l'autre alla trouver Louis XI, alors en Poitou, lui apportant 50.000 écus que
le duc lui prêtait. On se rendit à Lyon, où les députés se trouvèrent réunis,
et là, dans la maison dite des Médicis, il est convenu que les anciens
traités sont renouvelés ; que le roi n'assistera point les Vénitiens ni
aucuns de leurs alliés, qu'il aidera le duc de Milan de toutes ses forces ;
désormais ce prince sera compris dans toute paix ou trêve que fera le roi
avec les ducs de Bourgogne et de Bretagne ; et dans le cas d'une guerre entre
la France et la Savoie, toute alliance du duc de Milan avec cette maison sera
rompue ; il en serait de même de la part du roi si la guerre éclatait entre
Chambéry et Milan. Il fut dit aussi que le duc fait présent au roi des 50.000
écus prêtés, et que Louis XI, par réciprocité, ne lui demandera pendant trois
ans ni hommes ni argent ; enfin qu'il ne serait rien donné à Philippe de
Savoie, qui avait arrêté les ambassadeurs. Le billet de Michel Gaillard au
nom du roi est du 18 janvier 1472 ; mais le traité de Lyon ne fut ratifié
qu'à la fin de juillet 1473. Louis répond à Galéas, le remercie, et
s'applique dans son message à détruire les faux bruits qui avaient couru. En
cette année mourut le bienheureux Amédée, duc de Savoie. La duchesse Yolande,
sœur de Louis XI, continua d'être régente, inclinant toujours vers le parti
bourguignon. Était-ce sympathie de sa part ? nullement : mais, comme bien
d'autres, elle rêvait de l'union de son fils avec l'héritière de Bourgogne,
et son ambition maternelle faisait taire toute reconnaissance pour ce frère
qui toujours lui vint généreusement en aide dans ses difficultés. Alors
aussi on vit mourir à Roncevaux Gaston IV, comte de Foix, et prince de
Navarre par Éléonore son épouse. Madeleine de France, veuve depuis 1470 de
Gaston Phœbus, prince de Viane, avait également un droit de souveraineté sur
ce pays, en sorte que la Navarre fut en même temps gouvernée par deux femmes.
Comme tutrice de ses enfants, Madeleine fit, l'année suivante, hommage au roi
des États qui relevaient de la couronne. Ce fut
vers ce temps que le roi et la France perdirent en Guillaume Juvénal des
Ursins un fidèle serviteur et un jurisconsulte éminent. En 1465, il avait
repris son office de chancelier, et il le garda jusqu'à sa mort, survenue en
sa soixante-douzième année, le 24 juin 1472. Par lettres patentes de
Notre-Dame de Behuard, en Anjou, 26 juin, Louis XI nomme chancelier Pierrq
Doriole, jadis maire de La Rochelle et ancien serviteur de Monsieur Charles
de Guienne, son frère. Légiste distingué et d'une grande indépendance de
caractère, le roi sut l'apprécier, sitôt que le comte de Dammartin le lui eut
fait connaître. Il tint les sceaux jusqu'en 1483. Ce choix était une nouvelle
preuve que le roi ne craignait pas de placer aux plus hautes fonctions des
hommes capables de le contredire et même de lui résister. En
cette année 1472, outre les avantages précédemment énoncés accordés aux
villes du midi et à celle de Beauvais, nous voyons parmi les actes du roi le
don de la seigneurie de Châtillon, en Touraine, à Tannegui du Châtel, pour
payement de 36.075 liv. qu'il avait avancées ; par lettres de juin celui des
terres de Roquebrune, Saint-Lary et autres ayant appartenu à Jean d'Armagnac,
à Humbert de Bastarnay, sire du Bouchage ; faculté au sire Jean d'Harcourt de
fortifier Bonnétable : ses concessions au chapitre de Langres, de Notre-Dame
de Selles et autres ; la défense d'imposer les Lyonnais pour biens situés
hors de leur ville ; enfin l'institution de plusieurs foires nouvelles,
beaucoup de rémissions pour infractions aux règlements de marchés,
l'établissement d'un pauvre à Saint-Martin et la confirmation des dons faits
par son frère Charles de France. Le 10 avril était mort aussi, à l'âge de
cinquante-huit ans, Charles Ier, comte du Maine, laissant pour successeur son
fils Charles II. Louis
XI cependant songeait surtout à faire une bonne paix, et tel était le but de
sa trêve de Bretagne. Il envoie donc avec de pacifiques instructions les
hommes qui doivent inspirer au duc François le plus de confiance, savoir, le
chancelier Doriole, le sire de Crussol, sénéchal du Poitou, et maître de
Lenoncourt, s'engageant par eux à ne faire ni paix ni trêve avec le duc de
Bourgogne sans l'y comprendre, et sans être assuré de son consentement. Bien
plus, il va même jusqu'à faire rendre au duc par Tannegui du Châtel la ville
d'Ancenis, que les précédentes conventions lui réservaient, tout en lui
faisant payer 30.000 livres à compte sur les 60.000 qu'il lui avait promises
; enfin il donne à son mandataire plein pouvoir de traiter en son nom de la
manière dont les ducs de Bretagne et de Bourgogne seront convenus entre eux.
Il semble que ces lettres patentes, envoyées au duc par le roi le 14 janvier,
sont une preuve non équivoque de son bon vouloir pont la paix. Aussi le duc
François envoie-t-il sur-le-champ, avec des instructions du 29 janvier,
l'évêque de Léon au duc de Bourgogne, alors à Bruxelles, afin de s'entendre à
ce sujet. De son côté le duc Charles délègue pour cette négociation son
chancelier Guillaume Hugonet, seigneur de Saillant, son chambellan Guy de
Brimeu, seigneur d'Himbercourt, et son maître d'hôtel Guillaume de Bitche.
Dès le 6 mars le duc se montra disposé à traiter, et l'affaire fut
promptement terminée. Le roi mandait alors au sire de Lescun qu'il
approuverait ce que le duc son neveu ferait à cet égard. On conclut donc à
peu près aux mêmes conditions qu'aux trêves précédentes, lesquelles furent
continuées pour un an, jusqu'au mois d'avril 1473(4). Les difficultés qui pourraient
s'élever durent être réglées à l'amiable par les conservateurs et sans voies
de fait. Le roi nomma le maréchal Rouhaut pour le comté d'Eu, le sire de
Lohéac pour Amiens et autres lieux, le bailli de Vermandois pour Compiègne,
Noyon et le voisinage, Jean Monchaillé pour Ham, Mouy pour Saint-Quentin et
le comté de Guise, le sire de Villiers pour le Rethelois, le sire de
Châtillon pour établir gens capables sur toute la Champagne, enfin le comte
Dauphin pour les marches de Bourgogne, et l'amiral pour les côtes de la mer.
Du côté du duc les conservateurs furent : des Querdes pour le Ponthieu et le
Vimeu, le sire de Contay pour Corbie et autres lieux, la Largerie pour le
comté de Péronne, Jacques de Montmartin pour Montdidier, Jean de Longueval
pour le Cambrésis et l'Artois, le sire d'Himbercourt pour Liège et le comté
de Marie, le marquis de Rothelin pour le Luxembourg, le comte de Roussi, fils
du connétable, pour la Bourgogne ; Tristan de Toulongeon pour l'Auxerrois,
Josse de Lalain pour la mer de Flandre, et le comte de Bouchain pour les eaux
de Hollande. Toutes contestations même pour limites seront jugées par eux ;
s'il y en avait de trop graves on s'en remettrait au connétable pour le roi
et au chancelier de Bourgogne pour le duc. Quant
aux difficultés plus délicates, comme la possession des comtés de Rambures et
de Saint-Valery en Picardie, elles seront renvoyées au congrès qui devra se
tenir pour la paix à Clermont, le 8 juillet. Dans cette trêve chacun comprit
ses amis. Au nombre de ceux désignés par le roi on remarquera l'évêque de
Metz, les seigneuries et communautés de Florence, de Berne et de Liège ; et
parmi les alliés du duc, le roi d'Angleterre, le duc de Bretagne, l'empereur,
le duc Nicolas de Lorraine, la duchesse de Savoie et le duc son fils. Tout ce
qui concerne le duc d'Armagnac et le duc d'Alençon reste en dehors de la
trêve. Bien
graves, en effet, étaient les crimes de Jean V, comte d'Armagnac. Condamné
sous Charles VII comme coupable de lèse-majesté, d'inceste et de meurtre, il
avait été gracié par Louis XI. Bientôt il se déclara un des premiers contre
lui, et adhéra à la ligue du bien- public. Devant Paris il fit une paix et un
serment plus accentués que les autres princes[52]. Ayant reçu du roi, en 1468,
sans compter d'autres dons, 33.000 écus d'or, il traita cependant, dit-on,
avec le roi d'Angleterre, lui promettant, s'il descendait en Guienne, de se
joindre à lui avec quinze mille hommes. Le comte de Dammartin le chassa de
ses États et il dut se retirer à Fontarabie. Mais, comme on sait, le duc de
Guienne le rappela et lui confia le commandement des troupes qui devaient,
disait-on, marcher contre le roi. Le parlement le condamna encore, le 7
septembre 1470, à la confiscation de corps et de biens, comme coupable de
lèse-majesté. Malgré cet arrêt, le roi, après la mort du duc de Guienne, lui
permit de demeurer avec son épouse à Auch, Fleurance et Nogaro. De sa
retraite il ourdit le complot qui lui livra Lectoure et le sire de Beaujeu.
Louis XI ne pouvait s'empêcher de réprimer une telle audace ; il fait
assiéger le comte dans Lectoure, où il s'était renfermé, par Gaston du Lion,
sénéchal de Toulouse, Ruffec de Balzac, sénéchal de Beaucaire, auxquels se
joignit, comme négociateur, Jouffroy, cardinal d'Alby. Les deux capitaines
qui, suivant un déplorable usage du temps, avaient une grande partie de la
confiscation du comte, se trouvaient intéressés à le prendre. La ville était
forte, bien pourvue, et le siège ne pouvait manquer d'être long. En ces
jours-là, une grosse serpentine, tirée de la ville sur les gens du roi[53], tua d'un seul coup le maître
de l'artillerie et quatre canonniers. Yvon du Fou ayant reçu du roi l'ordre
de traiter, à plusieurs reprises il y eut des pourparlers. Les choses étaient
même fort avancées ; on accordait au comte de se retirer où il voudrait avec
la comtesse et ses enfants ; « mais, quand tout était presque convenu et que
les assiégés se tenaient moins sur leurs gardes, les troupes du roi, sans
qu'on sache trop à quelle occasion, surprirent la ville par escalade, le 6
mars 1472(3), et massacrèrent ce qu'elles
rencontrèrent ». Alors le comte fut tué dans le désordre. Parmi
les versions du même fait[54], on en remarque une, où il est
peu parlé des crimes et trahisons imputables à Jean V, et surtout de
l'emprisonnement du sire de Beaujeu ; aussi est-on porté à croire, avec
d'autres historiens[55], que ces relations ont dû être
écrites longtemps après l'événement, en vue de justifier le comte et de
charger le roi. Nous citerons le récit de Jean de Troyes : « Le
lundi 5 mars, il y a composition entre le comte et Yvon du Fou. Le comte fut
néanmoins tué par les gens du roi qui entrèrent par assaut, parce que,
nonobstant son appointement, ledit comte, en allant à l'encontre, voulut tuer
et meurdrir aucuns des gens du roi qui entroient dans la ville par suite du
traité. Ceux-ci appelèrent leurs camarades à leur secours. » Une
certaine obscurité demeure sur ce fait, toutefois l'on peut dire avec
certitude « que Jean V d'Armagnac mourut d'une manière digne de ses crimes[56] ». Certaines chroniques
rapportent aussi d'horribles cruautés commises envers la comtesse. « La
circonstance atroce du breuvage que cette princesse aurait été forcée de
prendre, dont elle aurait avorté et serait morte deux jours après, n'est
point exacte, puisqu'elle plaidait devant le parlement trois ans après pour
obtenir le payement de sa pension[57]. » Ainsi tombe une des
nombreuses fables inventées pour jeter sur ce règne un caractère odieux qu'il
n'eut jamais. Le sire
de Beaujeu fut alors délivré. Le roi, qui était allé à Poitiers, puis à La
Rochelle, voulut faire instruire cette affaire de l'incarcération de son
lieutenant ; on arrêta donc les officiers les plus suspects : le sire de
Montignac, gouverneur de Lectoure, le cadet d'Albret, Jean Desmiez et
quelques autres. Le premier fut jugé par le parlement de Bordeaux : c'était
son maître d'hôtel qui avait ouvert la ville au comte d'Armagnac. Il en fut
quitte pour sept ans de prison et ensuite obtint sa grâce. « Servières eut la
tête tranchée à Rodez ; Desmiez fut écartelé à Tours ; et comme il chargea
beaucoup le cadet d'Albret dit de Sainte-Bazeille, le roi nomma pour
juger celui-ci une commission de juristes à la tête de laquelle figurent le
chancelier Pierre Doriole, le chevalier Guillaume Cousinot et le président du
parlement de Bordeaux, Pierre Bergier. Condamné à mort, il fut exécuté à
Poitiers le 7 avril. » Charles d'Armagnac, frère puîné de Jean V, s'étant
trouvé compromis, fut enfermé dans la Bastille, où, peut-être à dessein, on
l'oublia. En 1483, il viendra aux états de Tours réclamer l'héritage de son
frère. Dès que
Louis XI avait été informé de la prise de Lectoure, il était parti pour
Bayonne sans vouloir qu'on le suivît, laissant dire sur sa route que son
intention était d'aller en dévotion au Saint-Esprit de Bayonne. Il avait en
effet de graves intérêts à surveiller dans le midi, et, selon sa coutume, il
s'approchait des points menacés. Alors la soumission de l'Armagnac laissait
toute liberté aux troupes françaises ; et si Jean II espérait toujours
reprendre le gage de sa dette par force ou par ruse, le roi, de son côté,
tenait à ses droits avec raison. Depuis
la mort de Jean de Calabre, en effet, une conspiration générale s'était
formée contre les Français dans toute la province du Roussillon. Le 1er
février 1473, Jean d'Aragon, au moyen des intelligences qu'il entretenait à
Perpignan, s'en fit ouvrir les portes. Le sire du Lau, gouverneur de cette
province depuis sa transaction avec Tanneguy du Châtel, s'était vu obligé de
se retirer avec ses gens dans le château. Là, assiégé et vivement pressé par
Jean d'Aragon, il se défendit vaillamment pendant deux mois et demi, privé
qu'il était de toutes provisions et m'unifions, et sans pouvoir même faire
connaître sa détresse. Le roi voulut d'abord envoyer à son secours le
maréchal de Cominges, gouverneur du Dauphiné, et son ami de Genappe ; mais
celui-ci mourut en avril 1472, avant même de partir : le roi appela donc à ce
commandement Louis de Crussol, qui eut aussi le même sort, et ensuite Jean de
Daillon, seigneur du Lude, un de ses plus anciens serviteurs, lequel, pour
certaines causes, ne s'y pouvait rendre de suite ; Philippe de Savoie, comte
de Bresse, fut surtout chargé du poste militaire et se hâta d'amener toutes
les forces disponibles. Il ne restait pour lors aux Français dans le
Roussillon que la ville de Collioure et le château de Perpignan. Philippe
de Bresse étant entré dans la province vers le 15 avril avec une bonne armée,
s'en alla camper sur une hauteur voisine de Perpignan, espérant par sa seule
présence en imposer au roi d'Aragon et dégager ainsi le sire du Lau. Mais
Jean II, bien qu'octogénaire, tient bon : il réunit le peuple dans l'église
et jure de s'ensevelir sous les ruines de la ville plutôt que d'en sortir.
Par son courage, il électrise tous les siens. De tous côtés on vient à son
aide. Son fils naturel, l'archevêque de Saragosse, se jette dans Elne avec de
nombreux cavaliers, et bon nombre de gentilshommes d'Aragon s'empressent de
venir partager ses dangers. Parmi ceux qui s'enfermèrent avec lui était le
connétable d'Aragon, don Pedro de Peralte. Ce dernier, pour entrer dans la
ville, se déguisa en cordelier, et pénétra dans la place à la faveur d'une
sortie des Espagnols. Toutefois,
malgré le zèle de la nation à fournir tous les secours possibles d'hommes, de
vivres et d'argent, la disette était si grande dans la ville que l'armée
aragonaise, poussée aux dernières extrémités, résolut de percer les lignes
françaises et d'aller chercher des vivres à Elne. Ils réussirent, mais non
sans qu'il en coûtât la vie à bon nombre d'entre eux. Le roi Jean, malgré les
zizanies qui s'élevèrent dans son armée, conserva une rare présence d'esprit
; cette défense sera toujours pour lui un titre de gloire immortelle. Son
fils Ferdinand, roi de Sicile, réunissait de son côté une armée en Aragon,
et, avec un renfort venu de Valence, il se rendit vers la fin de mai à
Barcelone. Les
Français, informés de l'approche des Aragonais, avaient donné un assaut. A la
tête des plus braves marchait Antoine du Lau : la lutte fut longue et rude.
Soixante hommes déjà avaient escaladé et étaient parvenus jusqu'à des
barricades, quand, n'étant point assez forts pour vaincre l'obstacle, il leur
fallut rétrograder : en cette retraite ils furent presque tous tués ou pris.
Deux jours après, ayant su qu'un grand convoi approchait, du Lau se mit en
embuscade pour l'attaquer ; mais les gens de la ville tirent une furieuse
sortie sur le point même où il combattait, et, malgré tous les efforts des
siens pour le dégager, du Lau fut pris. Affaiblie par les luttes et les
maladies, l'armée française consent alors à une trêve de deux mois. Des deux
parts on en profite pour se ravitailler ; le roi expédie le sire de Gaucourt
et maître Bourré partout dans le midi pour faire provision de vivres, et Jean
II disperse ses troupes dans différentes places du pays. Le roi
n'attendit pas ce moment pour quitter le midi, et ayant pourvu à tout, il
reprit le 4 mai la route de Touraine. De graves affaires le rappelaient en
ces pays. On sait tout ce que Louis XI avait fait en faveur du duc d'Alençon,
son parrain. Magnifique, mais prodigue, il était souvent réduit à des moyens
honteux et même criminels pour suffire à ses dépenses. Louis XI, à son avènement,
le tira de prison et le rétablit ; mais trois ans après il eut encore besoin
d'une abolition pour plusieurs assassinats. Alors il suscita des troubles
dans la basse Normandie ; et lorsque le roi lui remit de nouveau ses biens,
ce ne fut que pour former de nouvelles intrigues. En dernier lieu on sut
qu'il avait envoyé plusieurs messagers au duc de Bretagne et même avait offert
de vendre au duc de Bourgogne tout ce qu'il possédait en France. Par le
prévôt des maréchaux, Tristan l'Hermite, il fut arrêté le 8 mai 1472, conduit
en prison à Rochecorbon, et, après une longue instruction, enfermé en la
prison du Louvre. Un arrêt ayant été prononcé contre lui, le 14 juillet 1474,
il fut encore gracié en 1475 et mourut peu après. « René, son fils, comte du
Perche, qui avait combattu à Montlhéry pour Louis XI, lui succéda par la
grâce du roi[58]. » C'était
aussi le moment où Nicolas de Calabre ne dissimulait plus ses prétentions à
la main de Marie de Bourgogne. Le roi René se berçait de cet espoir ; il
parait même que d'Angers il alla se fixer à Aix, pour être moins éloigné de
Nancy, ou plutôt pour communiquer plus librement avec la Bourgogne à l'insu
du roi. Le prince Nicolas recevait bien de flatteuses paroles, mais nulles
promesses positives. Le duc-roi rusait un peu ; il poussait son petit-fils en
avant, tout en paraissant ne le pas approuver. Du reste, vivant en Provence
et restant ainsi constamment éloigné de son duché d'Anjou qui touchait à la
fois aux terres des ducs d'Alençon et de Bretagne, il s'exposait à ce que
Louis XI, blessé de ses façons d'agir, prit en main l'administration de
l'Anjou ; ce qu'il fit. Comment excuser la conduite du roi René Y Il existait
deux promesses de mariage, faites à quelque distance l'une de l'autre, entre
le duc Nicolas et la princesse Anne de France. Le contrat avait été signé et
le prince avait touché la dot : c'était, il faut l'avouer, se montrer peu
scrupuleux. Aussi ne saurait-on s'étonner du mécontentement que ces
prétentions nouvelles durent causer à Louis XI. D'après son ordre, l'évêque
de Chartres rédigea donc des monitoires au nom de la princesse Anne de
France, lesquels furent publiés par l'archevêque de Reims et par l'évêque de
Laon, et notifiés au prince Nicolas de Lorraine à Bar-le-Duc. Il convenait au
roi de montrer les torts de la maison d'Anjou : pendant ce temps le duc de
Bourgogne persuadait au jeune duc de compter sur sa parole, si de son côté il
se décidait à exécuter les conditions. Peu de mois après Nicolas de Lorraine
mourut subitement de la peste à Nancy, le 24 juillet 1473, au moment où il
commençait à devenir un embarras sérieux pour la politique de Bourgogne. On a
dit qu'il était mort empoisonné : il n'y avait point alors de mort prématurée
sans un tel soupçon. Mais en cette hypothèse il faudrait voir à qui le crime
profitait. Yolande
d'Anjou, fille du roi René et veuve du comte de Vaudemont, se trouvait être
l'héritière de son neveu ; le droit qu'elle avait, elle le transmit à René II
de Vaudemont, son fils unique. René, fils de Ferri II, comte de Vaudemont,
devenait ainsi duc de Lorraine à l'âge de vingt-deux ans, et il prit
possession dès le 4 août. Tel n'était point le secret espoir du duc de
Bourgogne. Sous le moindre prétexte et avec le concours d'un bailli allemand,
le comte de Brunswick, dont il connait le dévouement, il fait enlever la mère
et le fils et les retient au secret. Toutefois la duchesse put implorer le
secours du roi. Sur-le-champ Louis XI envoie des troupes vers les confins de
la Lorraine : le sire de Craon s'y rend avec cinq cents lances, soutenues des
nobles de l'Ile-de-France et de leurs archers. C'était là encore une sage
politique et un moyen sûr de faire échouer les desseins ambitieux de son
rival. Le duc de Bourgogne dut céder pour cette fois et René fut relâché,
mais non sans avoir signé de force une alliance offensive et défensive avec
son oppresseur contre le roi de France. Le devoir et la reconnaissance
l'emportèrent, du moins pour le moment, sur une parole dictée par la
contrainte. René fut d'abord fidèle à son libérateur, et dès l'année suivante
il s'unit avec Louis XI et l'empereur Frédéric III contre Charles le
Téméraire. La
conquête de la Lorraine n'était pas le seul rêve de Charles de Bourgogne.
Quelle gloire pour lui s'il pouvait faire ériger en royaume son vaste duché !
Tel était le but de sa politique ambitieuse auprès de l'empereur, et
l'annexion de la province de Gueldres à ses États, dont alors il s'occupait,
devait être un acheminement à la réalisation de ce premier projet : il le
pensait du moins. Arnould,
duc de Gueldres, avait été un des meilleurs amis de la maison de Bourgogne ;
mais depuis un certain temps on avait vu éclater entre Arnould et son fils
Adolphe une haine qui troublait tout le pays. C'est une longue histoire et
des plus tristes de ce siècle. Le duc Philippe avait toujours su gré au jeune
Adolphe d'être resté en son parti dans le différend qu'il eut avec le duc de
Saxe : il lui fit épouser Catherine de Bourbon, fille de Charles Pr de
Bourbon et d'Agnès de Bourgogne, et il en fit ainsi le beau-frère du comte de
Charolais ; on assure même qu'il avait essayé de rétablir les relations de
famille entre le père et le fils. A l'occasion même de son mariage, où le duc
Arnould s'était rendu, le 18 décembre 1463, et en cela d'accord avec
Catherine de Clèves, sa mère, Adolphe avait cruellement fait enfermer son
père dans le château de Bueren. Le duc Charles, pendant son séjour en
Hollande, aimait, on le sait, à réunir les princes, seigneurs et prélats des
États voisins. En 1469, quand il vit venir à lui Adolphe de Gueldres qui
depuis six ans retenait son père en prison, il fut ému d'une inimitié dont il
avait lui-même donné un peu l'exemple, et il essaya d'abord de mettre un
terme à ce scandale : il devait être surpris, en effet, de rencontrer sur son
chemin une obstination pire que la sienne. Adolphe n'avait pas seulement
enfermé son père, il l'avait encore indignement détrôné. Enfin cette conduite
semblait à tous si monstrueuse que l'empereur et le pape tentèrent, mais sans
succès, de ramener l'harmonie en cette maison. Alors celui qu'on appelait le grand-duc
fut établi arbitre du différend ; mais Charles de Bourgogne ne tarda pas à
intervenir plus directemen4et bientôt il conçut la pensée de profiter de
cette discorde. D'abord, et avant sa rude guerre pour les villes de Picardie,
il envoya l'ordre à Adolphe, par Henri de Hornes, seigneur de Peruwelz, de
rendre lâ liberté à son père, et de venir avec lui s'expliquer à Doulens.
Cette question, agitée en présence du duc et de son conseil, donna lieu à des
scènes révoltantes. Bien qu'il lui fût fait des propositions fort
convenables, Adolphe ne voulut entendre à aucun accommodement, ni se
soumettre à la sentence un peu mitigée que le duc prononça le 10 février
1470. Alors la guerre ayant éclaté avec la France, le duc de Bourgogne, qui
ne s'était point encore officiellement prononcé, emmena avec lui les deux
princes à Arras. Adolphe commençait à entrevoir que la décision ne lui serait
pas favorable : déguisé en moine, il partit furtivement pour son pays de
Gueldres. Bientôt on s'aperçut de sa disparition, et sur l'ordre du duc
Charles il fut arrêté. Enfermé à Namur, il subit à son tour, et pour
longtemps, la peine qu'il avait osé infliger à son père. Ainsi
réintégré, le vieux duc Arnould résolut, à l'instigation de Charles de
Bourgogne, de déshériter son fils ; et par un acte du 7 décembre 1473, il
transmit au duc Charles, moyennant 12.000 florins du Rhin et une pension qui
ne lui fut jamais payée, tous ses droits sur le duché de Gueldres et sur le
pays de Zutphen dont il se réservait la jouissance : il mourut cinq mois
après, et par testament confirma la vente qu'il avait faite. Le chapitre de
la Toison d'or, réuni à Valenciennes, approuva cet acte de cession, et
indigné d'une si grande impiété, condamna Adolphe à passer en prison le reste
de ses jours[59]. Il fut donc enfermé au château
de Courtray d'où il ne sortit qu'après la mort du duc Charles. Jamais
punition ne fut mieux méritée ; mais il avait deux enfants qu'on n'eût point
dû oublier. Une partie de la contrée leur fut fidèle : à Nimègue surtout un
sire de Blockausen, gouverneur de la ville, résolut de soutenir les droits
bien réels de ces deux enfants déshérités, Charles, âgé de huit ans, et
Philippine. Leur parti fut soutenu par plusieurs villes, fort peu jalouses de
partager elles-mêmes le sort des Flamands et des Hollandais, déjà annexés à
la Bourgogne, et mécontents du mépris qu'on faisait de leurs droits et
franchises. Pour
mieux s'assurer de son acquisition Charles acheta, le20 juin, pour 80.000
florins les droits que pouvait avoir sur ces terres le duc de Juliers.
Toutefois il ne fut pas aussi aisé de transiger avec les peuples. Étant
entré, à la tête d'une forte armée, en ses nouveaux États, il s'était
présenté le 18 juin devant Venloo, qui lui ferma ses portes, mais ne put
résister que cinq jours. « Nimègue fut plus opiniâtre[60] : elle soutint de longs et
vigoureux assauts. » Dans une seule de ces luttes il périt six cents
arbalétriers anglais, tous gens d'élite à la solde du duc : de leur côté les
fidèles habitants subirent aussi de grandes pertes ; « leurs plus braves
y furent tués ». Ne voyant plus aucun espoir de secours, ils acceptèrent la
médiation du duc de Clèves, et le 49 juillet 1473 ils furent reçus à
composition. Ils durent se soumettre entièrement, ne stipulant que la vie
sauve. Le duc crut encore leur faire une grande grâce en les condamnant à
payer les 80.000 florins qu'il devait au duc de Juliers. Les enfants
d'Adolphe et ceux qui avaient suivi leur parti lui furent livrés, et le 24
juillet il entra dans la ville. Louis
XI observait. Nul doute qu'il n'eût préféré voir passer le pays de Gueldres
aux héritiers naturels du duc Arnould qu'au duché de Bourgogne, déjà trop
vaste pour le repos de la France. Tout ce qui s'y ajoutait devenait
nécessairement pour le roi un sujet d'alarmes. Le chapitre de la Toison d'or,
d'ailleurs, pouvait rendre des arrêts de discipline, mais non de politique
internationale. Tant de
prospérité ne disposait pas non plus le caractère altier de Charles à la paix
; aussi n'avait-il fait nulle bonne réponse aux injonctions plus ou moins
directes que le pape lui avait adressées. Le saint-père, malgré le peu de
succès de la mission du cardinal Bessarion, ne désespérait pas de ramener le
duc à des sentiments plus pacifiques. Ce fut dans son camp, devant Nimègue,
que le légat André de Viterbe, dit de Spiritibus, ayant succédé au
cardinal d'Estouteville, vint le trouver, lui remontrant longuement la
nécessité de faire la paix. Il n'obtint pour réponse que des paroles
évasives. « Que lui demande-t-on, en effet ? Il se défend et n'a jamais
guerroyé que pour se défendre. N'est-ce pas le droit de tous ? »
Semblant se plaindre que le cardinal Bessarion ne fût point venu le trouver,
il retrace à son point de vue ses relations avec le roi depuis le traité de
Péronne ; il énumère les griefs, et laisse même à entendre que le légat
serait vendu au roi ! Cet
ambassadeur de Rome lui était suspect, en effet, aussi bien par le séjour
qu'il venait de faire auprès de Louis XI que par son grand amour de la paix ;
de plus, le prélat, peu satisfait du refus qu'il essuyait de la part du duc
Charles, fulmina une bulle d'excommunication publiée à Cléry, le 13 octobre
1473, en présence du chancelier Pierre Doriole et de plusieurs autres nobles
témoins, contre celui des belligérants qui refuserait de déposer les armes.
Mais le parlement refusa d'enregistrer cette bulle, à cause des conséquences
qu'on en pourrait tirer à l'avenir. Grande fut la colère du duc, et il
écrivit au saint-père pour s'en plaindre amèrement. A l'entendre, à peine
a-t-il eu connaissance des missions précédentes des légats. Passant avec soin
sous silence ses intrigues avec le duc de Bretagne, ses alliances d'outre-mer
et ses trêves violées, il proteste contre cet acte d'autorité spirituelle. Nous le
répétons encore, tel était le vice du régime féodal, que l'état de guerre
mettait le vassal à l'égal de son suzerain. Souvent, comme ici, celui-là
visait lui-même à la souveraineté, et pour l'obtenir avait recours aux moyens
les plus violents. Si l'argent faisait défaut, la rançon des villes et des
captifs venait y suppléer, et ainsi la guerre entretenant la guerre, cet état
devenait permanent dans la nation qui, pour son malheur, avait en son
voisinage un ambitieux comme Charles de Bourgogne à réprimer. De pareilles
situations sont la condamnation du système féodal d'alors, lequel cependant,
par son esprit chevaleresque et par maints usages paternels, s'assimilait si
bien à notre caractère national. Une de ces coutumes d'autrefois voulait que
les enfants des plus notables vassaux fussent élevés auprès du souverain.
Ainsi, dès leur enfance, ils apprenaient le respect et le dévouement dus à
leur maitre et à leur roi, sentiments qui devaient être tout l'honneur de
leur vie. Louis XI voulut en cela imiter le duc Philippe de Bourgogne. Il
aimait à réunir auprès de lui les futurs héritiers des principales maisons
princières. Ainsi on vit à sa cour les enfants d'Albret, d'Alençon, de Savoie
et d'autres ; et s'il éprouva parfois certains refus amers, comme celui de
Louis de la Trémoille, par exemple, qui s'excusa d'envoyer son fils au roi,
sous le prétexte de son trop jeune âge, il sut s'y soumettre par respect pour
l'autorité paternelle. Louis
XI vivait ainsi, malgré tant de promesses mal tenues, sur la foi de deux
trêves à l'ouest et au nord. Le duc Charles n'abandonnait ni ses intrigues ni
ses projets. Bien qu'il fût le plus riche prince de l'Europe, il envoyait
emprunter de l'argent aux Vénitiens, et les six cents lances qu'avec ces
fonds il soudoya en Italie pour trois mois, passèrent par le duché de Milan
et vinrent l'aider à menacer l'armée du roi sur les marches de son duché. Il
s'ingénie à chercher des ennemis et, soupçonnant les habitants
d'Aix-la-Chapelle d'avoir aidé les Liégeois et même les gens de Nimègue, il
se dirige de ce côté, sous le prétexte d'un vœu à la sainte Vierge. « Les
bourgeois eussent bien voulu qu'il portât ailleurs sa dévotion[61], » mais n'osèrent lui
résister. Ils lui firent accueil jusqu'à lui offrir les clefs de leur ville ;
et ainsi apaisé par tant d'honneurs, le duc revint en septembre à Luxembourg.
De là, fier de son dernier succès et dans le but de se rencontrer avec
l'empereur, il s'avisa de demander aux bourgeois de Metz une porte de leur
ville. Ceux-ci lui répondirent avec courtoisie « qu'il pouvait venir en leur
ville quand il lui plairait leur faire cet honneur, pourvu toutefois qu'il
n'eût pas avec lui plus de six cents hommes[62]. » On n'ignorait pas sa
convoitise touchant la Lorraine, et la réponse était sage. Plus heureux
auprès de Georges, évoque de Metz, il obtint du prélat, moyennant 15.000
livres, la cession du château d'Epinal et de la moitié de cette ville avec
condition de rachat facultatif. Que devenait dès lors la protection obligée
de la France sur cette cité, et celle acceptée de la maison de Lorraine ?
Sans aucun souci des guerres qui s'en pouvaient suivre, c'était toujours les
mêmes désirs d'agrandissement. Il semble même que cette armée anglaise de
7.000 hommes, signalée par Dammartin à Louis XI comme prête à passer la mer,
eût seulement pour but de distraire le roi des agissements du duc et de faire
ainsi une puissante diversion. Des
négociations étaient ouvertes depuis longtemps déjà entre le duc Charles, qui
aspirait au titre de roi, et l'empereur Frédéric III, qui convoitait pour son
fils Maximilien la main de Marie de Bourgogne. Par suite de la réponse des
gens de Metz, l'entrevue projetée entre les deux princes eut lieu à Trèves,
le jeudi 30 septembre 1473. La chronique nous apprend que, lors de la visite
du duc, l'empereur Frédéric vint le recevoir à la moitié de sa cour et ne le
salua qu'au second salut qu'il lui fit. Que n'avait-on alors autant de
scrupule pour l'équité que pour les lois de l'étiquette t La foule des
seigneurs présents était grande et parmi eux surtout on remarquait le fils de
l'empereur. L'électeur-archevêque de Mayence prit la parole, et ayant dit,
par occasion, qu'on ne pourrait former nulle sérieuse entreprise contre le
Turc que le duc de Bourgogne et le roi de France n'eussent fait la paix ;
pour lors le chancelier Hugonet se leva et osa dire longuement que le roi
avait toujours été l'agresseur, accusant même Louis XI de la mort du duc de
Guienne et d'avoir attenté à la vie du duc. Les jours suivants se passèrent
en fêtes et en joutes, ce qui n'empêchait pas les pourparlers de se
continuer. Toutefois aucun des deux princes n'obtint ce qu'il désirait, et
les méfiances naquirent de ces déceptions. L'empereur voulait le mariage
avant l'investiture de la royauté ; le duc, la royauté avant le mariage :
aucun ne s'expliquait nettement. Ils étaient l'un et l'autre jaloux et s'estimaient
médiocrement. Enfin les choses en vinrent à ce point que l'empereur partit
subitement sans que rien fût conclu, laissant ainsi le duc dans un trouble et
une colère difficiles à exprimer. Mais
rien n'abattait la présomption du duc. Il se fait nommer par l'électeur de
Cologne protecteur de cet électorat, et le 15 novembre il reçoit
l'investiture du duché de Gueldres ; puis, le 15 décembre 1473, en vertu du
traité imposé, comme on sait, au jeune René de Vaudemont, il fait une entrée
solennelle à Nancy, et continue sa route pour aller visiter son comté de
Ferette. Le 3 janvier il assemble son parlement de Malines, dont Carondelet
est premier président, de la Bouverie deuxième, et Guillaume Hugonet
chancelier, parlement institué, comme on sait, en opposition de celui de
Paris. Le 11 janvier il visite la Franche-Comté, et à Dijon il reçoit
pieusement les restes mortels du duc Philippe et de la duchesse sa mère, que
le sire de Ravestein ramenait pour être inhumés aux Chartreux de Gosnay. De
là il retourne en Lorraine et à Luxembourg, vers la fin de mars, non sans
avoir inquiété les Suisses, ses redoutables voisins. Plus
modeste, nais plus équitable et plus fructueuse était la politique française. Le duc d'Alençon étant de nouveau sous le coup de
la justice, il fallait pourvoir à l'administration de ses États ; le roi s'en alla donc à Alençon, où il entra le dimanche 8 août : alors sa présence excita si fort la curiosité, que pour le voir on monta
jusque sur les combles des maisons ; et dans leur empressement, des curieux
malavisés firent choir une pierre qui par sa chute blessa le roi, et
pouvait même lui ôter la vie. Grande fut l'inquiétude des habitants à
ce sujet ; ils ne se rassurèrent que lorsqu'ils surent la blessure sans
gravité, et aussi que le roi n'y voyait qu'un accident imprévu. Les auteurs
du fait en furent quittes pour une admonestation et, par ordre du roi, la
pierre dut être ensuite déposée en ex-voto près le crucifix du
Mont-Saint-Michel, où il se rendait en ce moment. D'ailleurs, loin d'en
savoir mauvais gré aux habitants, le roi leur accorda de nouveaux privilèges,
et institua chez eux des officiers municipaux dont il régla les attributions. La
Hanse au nord, comme Venise puis Florence au sud, donnait alors un grand
essor à son commerce. Nos rois n'étaient pas restés tout à fait étrangers à
cette source de richesse. Saint Louis abolit plusieurs prohibitions
d'exportation : Philippe le Bel donna de l'activité à l'agriculture, étendit
l'industrie manufacturière[63], et défendit la sortie des
laines. Si l'on voit, en 1407, la banque de Saint-Charles s'établir à Gênes,
on voit aussi nos rois faire restituer aux commerçants de Narbonne et de
Marseille les prises faites sur eux par les corsaires d'Italie, d'Aragon et
de Majorque. Charles VII, excité par son argentier, et malgré tant de
guerres, fit beaucoup pour soutenir le commerce de la France. C'était à Louis
XI, qui n'avait plus d'ennemis qu'à l'intérieur, à étendre davantage la
prospérité industrielle du pays, et il n'eut garde d'y manquer. D'ailleurs il
avait sous ses yeux comme exemple l'Angleterre, qui trafiquait par la Hanse
de son étain et de ses laines, que les Flamands travaillaient. On cite même
une loi de Richard H qui défend aux Anglais de fréter des bâtiments
étrangers. Le roi signe donc le 15 août 1473, au Mont-Saint-Michel, un traité
en faveur de la prospérité commerciale du royaume, avec les députés de la
Hanse Teutonique, dits marchands Ostrolings ou orientaux, qui
étaient venus l'y trouver. Louis confirma tous les privilèges que la Hanse
tenait des rois ses prédécesseurs, lui permettant de trafiquer par terre et
même par eaux douces et salées dans toutes les villes du royaume, d'y avoir
commis et facteurs, et à plus forte raison donna-t-il à ses sujets toute
liberté d'échange avec elle. Le traité semble avoir été préparé par les
ambassadeurs d'Écosse et de Danemark, alors auprès du roi. Lui-même, le 16
août, il écrit « aux excellents et magnifiques orateurs et députés de la «
hanse Teutonique présentement assemblés à Utrecht », pour les informer de ce
qui a été conclu, et y ajouter les témoignages de son bon vouloir. Il ne
pouvait faire davantage, et cependant il savait que dans leurs relations avec
Édouard, ils donnaient toujours à ce prince le titre de roi d'Angleterre et
de France, titre dont ces souverains se sont longtemps montrés si jaloux. La mort
déjà mentionnée du comte de Cominges laissait sans direction le gouvernement
du Dauphiné, et il était urgent d'y pourvoir. On sait que ce fidèle
serviteur, plus connu sous le nom de bâtard d'Armagnac, s'était attaché à
Louis dauphin, alors que ce prince arrêta le comte d'Armagnac et se saisit du
Rouergue et autres seigneuries. Devenu roi, Louis le fit maréchal, gouverneur
de Dauphiné et de Guienne, et lut conféra le comté de Cominges. « Il crut un
instant[64] être maître de l'esprit du roi
; il se trompa : le roi l'aimait, mais ne souffrait pas que personne le
maîtrisât. » Aussi le fit-il rester en Dauphiné et il lui écrivit quelquefois
avec dureté. Le sire Louis de Crussol, que le roi désigna pour lui succéder,
mourut presque aussitôt en Languedoc, le 21 août, lorsqu'il allait prendre le
commandement de l'armée royale de Roussillon. De Crussol, aussi ancien ami du
roi, l'avait toujours fidèlement suivi et servi. Louis XI le nomma
successivement sénéchal de Poitou, grand panetier de France, chevalier de
Saint-Michel dès l'origine de l'ordre ; il lui avait donné de grandes terres.
Son fils, Jacques de Crussol, lui succéda en sa charge de grand panetier.
Enfin, voulant placer au gouvernement du Dauphiné un homme d'une fidélité
éprouvée, il y appela Jean de Daillon, seigneur du Lude, auquel il confiait
aussi le commandement de l'armée du Roussillon. Là encore le roi n'était
point en repos. La
relation de Zurita, souvent consultée sur ce point, est reconnue inexacte.
Pendant la suspension d'armes, l'affaire tourna en négociations, et ces
pourparlers s'ouvrirent sous la conduite du sire du Lude, à qui Louis, dès le
3 septembre, avait donné une grande autorité. Toutefois, chose étrange, son
nom ne parait ni dans le traité ni dans les notes diplomatiques[65]. Pendant ce temps, le roi ne
songeait qu'à venger l'affront que les armes françaises avaient reçu devant
Perpignan : il voulait, avec raison, pouvoir reprendre le siège de cette
ville, et dans ce but aucunes mesures n'étaient négligées. L'armée manquait
de tout : pour la pourvoir il emprunta 30.000 livres de Jean de Beaune et de
Jean Briçonnet, riches marchands de Tours, l'un argentier du dauphin, le
second général des finances ; il donna pour caution de cette dette des hommes
d'une sûreté reconnue, tels que Jean Bourré, Charles de Gaucourt et autres ;
et l'obligation indique le motif de l'emprunt. Tout était en paix dans le
royaume : Charles de Bourgogne portait ses vues vers l'Allemagne ; Louis fit
passer ses forces vers le Roussillon et la garnison du château de Perpignan
reprit courage. De son
côté le vieux roi d'Aragon, toujours intrépide, ne voulait point sortir de la
ville. Bien que malade, l'ordre même des médecins ne put l'y décider ; il
savait que sa seule présence retenait les soldats et la garnison dans
l'obéissance. Cependant, informé des préparatifs qui se faisaient, il ouvrit
l'oreille aux propositions de paix. Après donc bien des échanges de projet où
chacun cherchait la meilleure part, on décida que, pour arrêter enfin les meurtres
et dommages de cette longue guerre de Roussillon et de Cerdagne, le roi
d'Aragon et les princes de Castille, roi et reine de Sicile d'une part, et le
roi très-chrétien de l'autre, étaient convenus des articles ainsi énoncés : « Le
roi confirme le traité du 9 mai 1462 et promet de restituer le Roussillon et
la Cerdagne dès que le roi d'Aragon lui aura payé les sommes pour lesquelles
ces deux provinces ont été engagées ; le gouverneur général prêtera serment à
Louis, roi de France, et à Jean, roi d'Aragon, de ne recevoir aucun ordre des
deux rois qui soit préjudiciable à l'autre. Les garnisons des châteaux seront
tenues sur le pied de paix, et évacueront, dès que la somme aura été payée ;
elles obéiront aux ordres du gouverneur général que le roi très-chrétien aura
nommé. Le gouverneur susdit ne fera rien contre les coutumes, lois et
privilèges du pays ; il est même entendu que s'il recevait du roi de France un
ordre contraire, il n'y obéirait pas. Ni le roi très-chrétien, ni le roi
d'Aragon ne pourront venir en Roussillon et en Cerdagne cette première année.
Les habitants de Perpignan pourront réparer leurs fortifications. Toutes les
troupes sortiront des deux provinces ; il n'y restera que les garnisons. Les
deux rois accordent amnistie générale, et chacun peut en toute liberté
demeurer chez soi. Le roi de France nommera le gouverneur général sur les dix
noms présentés par Jean d'Aragon : s'il est Français, le roi le quittera de
la fidélité qu'il lui doit, et il fera serment et hommage aux deux rois. Ce
serment sera reçu pour le roi de France par Jean de Daillon, seigneur du
Lude. On est convenu que l'argent sera payé dans un an, sinon Louis XI pourra
changer le gouverneur et en mettre un autre à son choix. Les deux rois
déclarent qu'ils seront amis des amis et ennemis des ennemis l'un de l'autre.
Toutefois, pour un secours donné à un ancien allié, on n'en viendra point à
une rupture. » On s'engage encore à garder fidèlement ces articles et à les ratifier dans trois mois. Lors de la ratification le traité sera partout publié. Le jour même, 17 septembre 1473, Jean II signe ce traité, avec raison qualifié d'impraticable, en présence de l'évêque de Girone et de plusieurs autres hommes notables. Louis XI ne le signa que le 10 novembre. Il n'y est parlé ni du duc de Bourgogne, ni de celui de Bretagne ; ils n'y seront compris que sur leur demande. Mais le duc Charles, qui ne se laissait pas facilement oublier, ne craignit pas de sommer Louis XI d'exécuter leur trêve dans laquelle le roi d'Aragon était nommé. Le comte de Romont avait été chargé du message, toutefois il le confia à un héraut. Le roi en écrit des Montils, le 4 octobre, au comte de Dammartin : « Il veut tenir termes de roy au royaume de France, comme moy, dit-il ; par, quoi il est besoin que vous soyez ici, le plus tôst possible, pour adviser et donner à cela la provision que l'on verra être nécessaire. » Rien n'était en effet plus choquant que le ton et le message, puisque Jean II était évidemment l'agresseur. D'ailleurs, dans le traité, les deux rois ne sont liés qu'à demi, se réservant de secourir leurs alliés, si bon leur semble. Le principal objet était sans contredit les comtés de Roussillon et de Cerdagne, et cependant leur sort, qui désormais semble fixé, ne le fut jamais moins en réalité. Louis XI ne laissa pas de récompenser royalement ceux qui l'avaient aidé dans cette pacification : Philippe de Bresse reçut de nouveaux titres et le sire du Lude une pension de 6.000 livres. |
[1]
Jean de Troyes.
[2]
Jean de Troyes.
[3]
Lettre de Ham.
[4]
XIe reg. des échevinages d'Amiens.
[5]
Comines, t. III, ch. 3.
[6]
Jean de Troyes.
[7]
Jean de Troyes.
[8]
Biondy, Histoire des guerres civiles d'Angleterre ; Habington, Vie
d'Édouard IV ; Vaurin de Fowestel, ms.
[9]
Comines, t. III, ch. III.
[10]
Molinet, t. I, ch. X et XXXIV.
[11]
Chorier. p. 288.
[12]
Pastoret, Recueil des ordonnances des rois de France (1811).
[13]
Expilly.
[14]
Saint Basile.
[15]
Comines, t. X, p. 404.
[16]
Mss. de Béthune, n. 2907, p. I.
[17]
De Valbonnais.
[18]
Fontanieu, n. 134, 135.
[19]
Ms. de la bibliothèque du roi, n. 8428, p. 29.
[20]
Biographie Didot.
[21]
Jean de Troyes.
[22]
La Gaule chrétienne.
[23]
Michelet.
[24]
Art de vérifier les dates. — Legrand. — Comines.
[25]
Michelet.
[26]
Legrand.
[27]
Legrand, t. XV, p. 34.
[28]
Scipion Dupleix.
[29]
Legrand.
[30]
Art de vérifier les dates.
[31]
Garnier, t. XVIII.
[32]
De Barante.
[33]
Dom Lobineau. — Dom Morice.
[34]
Brantôme.
[35]
Claude de Seyssel.
[36]
De Barante.
[37]
Pierre Mathieu.
[38]
Illacos infra muros peccatur et extra.
[39]
Registre 197, actes 348, 351, 354.
[40]
Registre 194, acte 369.
[41]
Art de vérifier les dates.
[42]
Legrand.
[43]
Michelet, t. IV.
[44]
T. III, ch. 9.
[45]
Mlle Dupont, t. XXXVIII.
[46]
Mlle Dupont.
[47]
Legrand, t. XV, p. 83.
[48]
Comines, t. III, p. 11.
[49]
Legrand.
[50]
Nomina græca genus retinent quod habere solebant.
[51]
Legrand.
[52]
Etiamsi omnes, ego non !
[53]
Jean de Troyes.
[54]
Ms. de la Bibliothèque nationale, n° 8450, p. 54.
[55]
Legrand.
[56]
Fontanieu, Histoire de Charles VII, ms.
[57]
Michelet.
[58]
Art de vérifier les dates.
[59]
Mausolée de la Toison d'or.
[60]
Legrand.
[61]
Legrand, t. XVI, p. 44.
[62]
Legrand.
[63]
Baron Trouvé, Vie de Jacques Cœur.
[64]
Legrand.
[65]
Legrand.