Retour du roi. —
Sévérités de Charles de Bourgogne. — Politique du midi. Faveurs du roi aux
seigneurs. — Perfidie de maîtres Balue et d'Harancourt. — Ambassade à Rome. —
Les prélats enfermés dans des cages de fer. Charles de France accepte la
Guienne. — Sigismond à Arras. — Louis établit l'ordre de Saint-Michel. —
Entrevue du roi et de son frère. — Artifices du duc de Bourgogne. — Dammartin
en Armagnac. — François II fait un double traité. — Actes administratifs. —
Affaires d'Angleterre. — Naissance de Charles VIII. — Heureuse expédition de
Warwick. — Henri VI est rétabli. Alliance du roi avec les Suisses. --
Assemblée des notables. — La guerre est décidée.
Louis
XI venait de passer des jours d'épreuves, que sa prudence et sa modération
lui avaient aidé à traverser ; mais, avec un esprit aussi élevé que le sien,
l'adversité n'était point pour lui une leçon inutile. Il y puisait une
sagesse nouvelle pour s'en préserver à l'avenir, et aussi la connaissance des
hommes et des choses, qui fut toujours la pierre de touche des esprits
supérieurs. Dès le 3 novembre le roi mande au comte de Foix, au comte d'Eu et
autres son départ de Liège, et dès son arrivée à Estrées il leur fit savoir
son retour en ses États ; son empressement disait assez le profond déplaisir
qu'il ressentait de cette cruelle expédition, imposée par Charles de
Bourgogne. Aussi son premier soin fut-il de rendre grâce à Dieu de sa
délivrance, et il se rendit, en cette intention, à Notre-Dame de la Victoire,
pèlerinage alors fort vénéré. Louis
XI avait hâte de reprendre au milieu des siens les soins de son gouvernement.
Il apprit alors que l'expédition des Anglais, venus pour s'assurer s'ils ne
pourraient pas profiter de sa captivité, avait été sans résultat, grâce aux
mesures militaires prises contre cette agression ; puis, arrivé à Senlis, il
y manda les généraux des finances, le parlement et la cour des comptes. Là,
leur ayant expliqué les événements de Péronne et fait lire par le cardinal le
traité sans restriction, il en demandé l'observation et l'enregistrement ; le
19 novembre les quarante-deux articles en furent publiés par l'ordre du roi. Tous
ces événements ne se passaient point en France sans que l'esprit caustique
des Parisiens ne se mît en frais de plaisanteries. Louis était fort contrarié
de ces critiques et même eut le tort de le montrer. Il enjoignit donc de
punir sévèrement tous ceux qui parleraient mal du duc de Bourgogne, et
ordonna de relever le nom et la demeure de tous propriétaires d'oiseaux
parlants, tels que pies, geais et chouettes en cages, à qui l'on avait
malicieusement appris à répéter Péronne. Le roi ne craignait rien tant, en
effet, que d'exciter encore la colère de son irascible voisin. Charles de
Bourgogne alors se lierait à Liège aux plus cruelles vengeances, et ne quitta
cette ville qu'en y faisant mettre le feu ; même ordre fut donné le 17
novembre à Franchimont. Après de tels adieux il prit la route de Bruxelles,
s'arrêtant de préférence de jour et de nuit dans les abbayes où il n'avait à
craindre aucune résistance. Il
paraît cependant que, par l'effusion de tant de sang, le duc craignit de
pousser à bout toutes ses villes de Flandre ; et dans l'assemblée des
notables qu'il tint à Bruxelles le dimanche 15 janvier 146e,-, il prêta
l'oreille aux excuses des Gantois. On se souvient en effet que, lors de son
avènement, une sédition populaire avait éclaté à son entrée à Gand. Les
mutins réclamèrent particulièrement la liberté d'élire leurs doyens et
d'avoir leurs bannières, comme avant le traité de Gavre. Le duc, à leur merci,
accorda ce qu'on voulut et signa la cédule. Les Gantois, redoutant le
courroux de leur seigneur, lui renvoyèrent quelque temps après cette pièce.
Mais le duc voulait une excuse publique comme avait été l'offense. A cette
condition ils furent reçus à miséricorde. En séance solennelle Charles de
Bourgogne envoya son chambellan, Olivier de la Marche, chercher les députés
de Gand, qui attendaient dehors dans la neige. Ils se présentèrent avec leurs
bannières, demandant merci. Alors le duc fit lire l'acte du grand privilége.
Cette lecture faite, sur un signe de Charles, messire Pierre, seigneur de
Goux, alors chancelier de Bourgogne — et non maître Hugonet, qui ne le fut
qu'en 1471 —, « annula ledict privilège en présence de tous, en frappant
et lacérant l'acte de son canivet[1] ». Ainsi ils perdirent les
bannières qu'ils avaient coutume de déployer à la fête de Saint-Liévin et le
traité de Gavre se trouva rétabli. Cette convention fut ratifiée par le duc
en ce mois de janvier 146a ; mais tant d'humiliations ne s'effacent pas
facilement de la mémoire des peuples, et plus tard ils s'en vengeront
cruellement à leur tour. Tout
autres étaient les soins de Louis XI. Ne s'occupant que du bonheur de son
peuple, il ne songeait point à diminuer, mais bien plutôt à augmenter les
privilèges et libertés des villes de France. Il écoute, sur plusieurs points
d'économie politique, les sages avis de Pierre Doriole, qui maintient avec
raison la défense de l'introduction des épices par les étrangers. Ce négoce
rapportait aux Vénitiens 3 ou 400.000 écus ; au lieu de lever l'interdiction,
combien il était plus sage, disait-il, de construire des vaisseaux et de
faire soi- même ce commerce lucratif ! Guillaume Varie demande qu'on
rétablisse les péages du Rhône et de la Garonne sur l'ancien pied, à cause
des profits qu'on en retirait, et signale la nécessité de purger le Languedoc
d'une bande de brigands qui exploitent cette province. Le roi
se tenait à Tours, à Amboise et dans les environs, veillant à tout. La France
venait alors de perdre un des héros de ce temps, dont fa postérité s'est
longtemps conservée sous le nom de ducs de Longueville. Dunois, bâtard
d'Orléans, s'éteignit à l'Huy, près Paris, le 28 novembre 1468, et son corps
fut porté à Notre-Dame de Cléry, pour être inhumé auprès de Marie d'Harcourt,
sa seconde femme. Louis XI vint assister à la cérémonie funèbre, et institua
des prières pour le repos de son âme. La France et le roi perdaient en lui un
vaillant défenseur. S'il éprouva parfois des méfiances au début de ce règne,
sitôt qu'il vit Louis XI à l'œuvre, il vint à lui, comme tant d'autres, et
servit aussi fidèlement le fils que le père. D'ailleurs
on ne vit jamais dans l'esprit du roi la sévérité survivre à la mort. Ainsi,
le 15 décembre de cette année, assistant à la messe en l'église de Notre-Dame
à Loches, il demanda quel était ce tombeau qu'il voyait dans le chœur. Les
chanoines lui répondirent que c'était celui d'Agnès Sorel, et, croyant le
flatter, ils lui demandèrent qu'il fût enlevé. Louis les regarda sans mot
dire un instant ; puis il ajouta : « Messieurs, vous pouvez compter que
j'examinerai votre requête sitôt que vous aurez renoncé aux dons qu'elle vous
a faits » ; et s'il faut en croire un historien[2], il ajouta 6.000 livres à la
donation instituée par elle. Ainsi, cette femme que Louis XI ne pouvait
estimer et dont il avait eu tant à se plaindre, il la protégea dans ses
dernières volontés et aussi dans ses enfants. Sans
nous arrêter aux rémissions et amnisties, si nombreuses en cette année, et
surtout au mois d'octobre et suivants, que les recueils ne les peuvent
reproduire et qu'un seul registre en contient plus de seize cents[3], les actes administratifs de
1468 portent plus spécialement extension des pouvoirs des lieutenants
généraux ; réintégration en plusieurs provinces des droits dont on jouissait
avant la guerre ; permission au sire de Coëtivy et à d'autres seigneurs de fortifier
certains châteaux ; continuation de règlements pour les corps de métiers de
Tours, de Soissons et d'autres villes ; anoblissements particuliers décrétés
à Amboise pour Hugues Cartier et plusieurs autres ; faveurs accordées aux
chapitres, églises et abbayes de Gap, de Luçon, de Noyon et autres lieux ;
établissement de foires et marchés partout où il en était demandé ;
promulgation de statuts touchant la gabelle, l'obligation du guet en diverses
villes, pour fixer le droit du Commandeur de l'ordre de Saint-Jean et régler
le ressort de la justice d'appel, pour évocations d'affaires aux conseils du
roi, enfin concernant les impositions foraines, la suspension d'exécution de
certaines décisions du parlement, les appels de Bretagne et de Bourgogne
devant cette haute cour et les privilèges des marchandises fréquentant la
Loire. Tous ces actes sont des témoignages irrécusables d'apaisement et
d'équité. Si par édit du 6 mars 446e le roi accorde aux gens de Tournay
d'établir une table d'usure, c'était sans doute pour réprimer le monopole des
juifs, une des plaies de cette époque. Toutefois il supprima bientôt cette
déplorable mesure. Mais à
côté de ces essais de progrès, combien d'infirmités civiles restaient à
déplorer ! Il faut savoir, pour apprécier les événements du temps, qu'au
sujet de crimes individuels qui furent alors frappés de justice, on voit au
Châtelet, où se jugeaient les causes criminelles, l'usage fréquent des
supplices de la question. Alors un seul accusé, dit Charlot Tonnelier,
dénonce nombre de personnes et même son frère ; tous ces prévenus, d'abord
emprisonnés[4], sont poussés à des aveux et
déclarations par les mêmes moyens ; le prévôt de Paris les ayant tous
condamnés à être pendus, ces malheureux en appelèrent au parlement, et
l'arrêt de cette cour même maintint cette condamnation pour quatre d'entre
eux, qui furent exécutés le lendemain. Comment attendre une justice réelle
avec de pareilles procédures qui ne semblaient nullement blesser les mœurs de
ce temps ! Dans
l'absence du duc de Calabre les intrigues d'Espagne se multipliaient et les
troupes du Roussillon agissaient mollement ; à peine bloquaient-elles Girone.
Jean II était vieux et infirme ; mais son fils Ferdinand, roi de Sicile,
commençait à paraître à la tête des armées. Déjà la maison d'Aragon portait
ses vues sur da Castille. Alphonse, frère d'Henri IV, étant mort, peut-être
trop subitement, on considérait déjà Isabelle, leur sœur, comme la véritable
héritière du trône de Castille. Elle avait un parti puissant.et nombreux.
L'évêque de Léon, légat, du pape, avait absous ceux -qui, par foi et hommage,
s'étaient engagés envers Jeanne dite la Bertrandéja, fille d'Henri IV,
et celui-ci se vit même forcé de reconnaître sa sœur pour son unique
héritière. Mais, en février 446e, par l'entremise du même légat, à qui l'on
donna le choix des plus riches bénéfices, sauf l'archevêché de Saragosse, on
parvint, pour plus de sûreté, à obtenir d'Isabelle la promesse de ne point
accepter d'autre époux que Ferdinand d'Aragon. Toutefois ce projet devait
rencontrer plus d'un obstacle. Le grand maître de Saint-Jacques, un des plus
puissants seigneurs d'Espagne, voulait au contraire que cette princesse fût
mariée à Alphonse de Portugal, veuf alors, et Louis XI, de son côté, songeait,
dit-on, à lui faire épouser son frère Charles, afin de mettre un terme aux
intrigues suscitées par le projet d'alliance en Bourgogne. Vers ce
temps Jean de Calabre retourna en Roussillon, et le roi, suivant sa promesse
de lui prêter aide et appui, lui confia le commandement de ses troupes. Sur
l'ordre de Louis XI, le sire d'Allègre lève quatre-vingt-quinze lances en
Auvergne, et il les conduit en Roussillon avec les compagnies du comte
Dauphin et du comte de Boulogne : Baud de Saint-Gelais, chef des quatre mille
lances du Poitou, prit la même direction, aussi bien que les troupes de
Tristan l'Hermite, de Clermont-Lodève, d'Antoine de -Châteauneuf et du sire
de Taillebourg. Le comte de Dunois II et Tanneguy du Châtel y allèrent aussi.
C'était assurément une belle armée ; mais on ne se mit point en route assez
tôt ni en assez bon ordre, et il y manquait la présence du roi. Aussi les
états du Languedoc se plaignirent-ils de l'indiscipline de ces troupes et
surtout des francs archers. De son côté Jean d'Aragon se mit en marche pour
secourir Girone ; toutefois la ville s'étant rendue aux Français avant
l'arrivée des renforts, en peu de temps Jean de Calabre fut maître du pays. Ces
revers ajoutaient encore aux amers soucis du roi d'Aragon. Alors, en effet,
les factions de Beaumont et de Grammont divisaient la Navarre ; le connétable
Pierre de Peralte avait fait tuer l'évêque de Pampelune ; sur ces entrefaites
les états de Navarre, auxquels s'étaient joints le comte et la comtesse de
Foix, envoyèrent des députés à Saragosse pour se plaindre du connétable, qui
venait en outre de s'emparer de Tudela ; ces députés, arrivant au moment même
où les états d'Aragon étaient assemblés, -n'y apportèrent que trouble et
confusion : tout cela, réuni à l'invasion de Jean de Calabre et à la
difficulté de soutenir la guerre faute d'hommes et d'argent, contribuait à
rendre la situation de Jean II fort périlleuse. Ajoutons que le comte et la
comtesse de Foix jouissaient d'une grande influence ; ils régnaient dans le Béarn
; et leur fils Gaston Phœbus avait épousé, comme on sait, Madeleine de
France, sœur de Louis XI. Jean II les haïssait et même les craignait ; il ne
pouvait dore fermer entièrement l'oreille aux griefs exposés par cette
députation ; mais il n'avait guère que de bonnes paroles à lui donner. En
France Louis faisait tous ses efforts pour mettre l'union et la paix autour
de lui. On le voit en cette année 146 ; accorder aux seigneurs toutes les
grâces qu'ils lui demandent ; satisfaire à une juste requête des états du
Languedoc, donner au duc de Bourbon les greniers à sel du Bourbonnais et de
Clermont ; lever à l'égard du duc de Bretagne les défauts et contumaces
prononcés en justice contre lui et contre ses sujets ; donner mainlevée-de
toutes saisies faites sur eux ; céder au comte de Montfort, dit de Laval,
Chaumont-en-Vexin ; remettre à ses officiers du Dauphiné le dixième denier
qu'on leur retenait sur leurs honoraires ; et lorsqu'en février les députés
de Bourgogne vinrent à Paris pour l'expédition des articles du traité ils
furent, par son ordre, bien reçus et très-fêtés par le cardinal d'Angers et
par les notabilités du parlement, de la chambre des comptes et de l'hôtel de
ville de Paris. Ce fut le 24 mars 1460 que le traité de Péronne fut ratifié.
Enfin, par lettres du 20 avril 1469, le roi fait grâce, à cause de son
lignage, à Pierre de Bourbon, seigneur de Carency, fils-de Jean de Bourbon et
de Jeanne de Vendôme, qui avait été-condamné à mort par justice pour crime de
lèse-majesté ; et il fait don de cette confiscation à Jacques de Bourbon,
seigneur d'Aubigny, son frère. Il ne pouvait, certes, manifester plus
ouvertement par sa clémence excessive l'intention de complaire à tous. S'il
n'y réussit pas, la faute, suivant les uns, en doit être attribuée à la
perfidie de maître Balue, mais bien plus, croyons-nous, au parti pris et au
mauvais vouloir des princes, à qui le second rang ne suffisait plus, et qui,
par mille intrigues, cherchaient à dominer la royauté. Maître
Balue, on le sait, était parvenu à posséder la plus grande confiance du roi.
Sa conduite à l'égard de Jean de Beauvau, évêque d'Angers, son bienfaiteur,
qu'il avait remplacé et fait persécuter, laissait déjà entrevoir son ambition
et combien peu l'on devait compter sur sa reconnaissance. Les conseils de ce
prélat, plus que tous autres, avaient décidé le roi au voyage de Péronne.
Peut-être l'influence dont jouissait Charles de Bourgogne à la cour de Rome
fut-elle le motif dit zèle que mit le cardinal Balue à obtenir ainsi les
bonnes grâces du duc aux dépens du roi à qui il devait tant. Louis XI avait
encore en son palais Guillaume d'Harancourt, évêque de Verdun, naguère
attaché à la maison de son frère, et maintenant devenu l'un de ses
conseillers, sous le patronage de maître Balue. Les
deux prélats se convenaient ; et s'étant imaginé qu'ils deviendraient moins
nécessaires si le rapprochement que le roi désirait tant avec son frère avait
lieu, ils s'unirent étroitement pour y mettre obstacle. Charles de France
insistera-t-il pour avoir la Champagne et la Brie, ou bien, suivant l'avis du
duc François II et d'Odet d'Aydie, acceptera-t-il la Guienne que Louis XI lui
propose en échange ? Pour empêcher la réussite de ce projet, les deux prélats
s'avisèrent d'en écrire secrètement au duc de Bourgogne et lui conseillèrent
de s'y opposer. Balue écrivit la lettre ; Guillaume d'Harancourt en chargea
Simon Belée, son pourvoyeur, « qui la cousit dans son pourpoint » ; mais
le soir même Simon Belée fut arrêté à Cloyes, dans la Beauce, près
Châteaudun. On le prit pour un espion ; il fut fouillé et l'on trouva le
message qu'il portait. Dès le lendemain, conduit à Amboise et interrogé, il
avoua tout. Cette lettre entrait dans de grands détails en vue d'empêcher la
réconciliation du roi avec Monsieur ; elle montrait au duc une nouvelle
coalition prête à se former ; lui indiquait comment il s'y fallait prendre
pour mettre le roi dans l'embarras ; elle lui dictait pour expédient
d'envoyer quérir Monsieur par mer sans perdre un seul instant, de fortifier incessamment
Amiens, Abbeville, Saint-Quentin, et de gagner par tous les moyens possibles
le duc de Bourbon et le connétable, puisque les Maisons de Bretagne et
d'Anjou se déclaraient pour le roi. Alors
on manda de Tours les deux prélats, qui arrivèrent à Amboise sans rien savoir
de la découverte de leur missive, et on les arrêta immédiatement. Le 8 mai,
le roi nomme ceux qui doivent instruire le procès : ce furent le chancelier
Juvénal ; Jean d'Estouteville, seigneur de Torcy, grand maître des
arbalétriers ; Guillaume Cousinot, gouverneur de Montpellier ; Jean le
Boulanger, président à mortier ; Jean de Ladriesche, président de la chambre
des comptes ; Pierre Doriole, général des finances ; Tristan l'Hermite,
prévôt de l'hôtel, et Guillaume Allegrin, conseiller au parlement. Le roi
délègue aussitôt trois officiers de justice pour procéder à la saisie des
biens meubles et immeubles, joyaux et papiers du cardinal, et pour les mettre
par bon inventaire entre les mains de Pierre l'Huillier, qui en devait avoir
l'administration et la garde. Sauf la vaisselle d'argent, dont la valeur fut
livrée au trésorier des guerres, son mobilier, suivant le déplorable usage de
ce temps, devint le partage des commissaires chargés de l'instruction du
procès. Maître
Guillaume d'Harancourt fit des aveux complets ; mais le cardinal ayant
manifesté le désir de s'expliquer avec le roi lui-même et promettant alors de
ne rien déguiser, Louis XI y consentit. Toutefois, pendant leur entrevue, qui
eut lieu sur le chemin d'Amboise à Cléry, Balue ne donna aucun
éclaircissement capable de le justifier. Il eut donc à répondre à la justice,
et l'enquête se poursuivit. On arrêta et interrogea aussi les serviteurs de
l'un et de l'autre prélat, qui confirmèrent les précédentes dépositions.
Alors même, assure-t-on, il vint de Rome des bulles fiscales que le roi
défendit de publier avant sévère examen. It restait encore beaucoup d'argent
à recueillir de la dîme du clergé, et beaucoup aussi prit la route dg Rome.
L'évêque d'Angers était, paraît-il, un des collecteurs de cette redevance ; «
mais on ne voit pas que dans la saisie de ses biens, on ait mis la main sur
les deniers de cette imposition. » Les
hommes d'État les plus considérables de cette époque eurent à s'occuper de ce
procès de maître Balue[5], et dans les pièces officielles
qui s'y rapportent, adressées à Ladriesche, au sujet du prieuré de
Saint-Éloi, dont le cardinal s'était pourvu, commence à apparaître le soin
qu'on mettait déjà aux formules diplomatiques. Alors Guillaume Cousinot et
Pierre Gruel, président du parlement du Dauphiné, furent envoyés à Rome pour
rendre compte au pape de l'arrestation toute politique des deux prélats et
pour prévenir les fâcheuses impressions que les ennemis du roi pourraient
tenter d'insinuer ; sage précaution, puisque déjà ceux-ci étaient à l'œuvre.
Pour jugement d'hommes d'église éminents, le roi pensait aussi qu'il fallait
des commissaires in partibus nommés par le saint-père ; et cette ambassade
était chargée de les demander. Partout
sur son passage elle fut reçue avec cordialité, surtout par le duc de Milan.
Le pape aussi accueillit avec bienveillance les ambassadeurs de France, et se
montra disposé à donner à leur maître le titre de roi très-chrétien ;
cependant il ne devait pas tarder à y avoir dissidence dans les opinions.
Dans un consistoire tenu le 5 décembre, le pape annonce que pour l'examen de
cette affaire regrettable à tous égards, il a nommé trois commissaires
cardinaux. Le 9 on se réunit cher le cardinal de Nicée, auquel Cousinot donne
un mémoire explicatif des faits ; le 19, les commissaires demandent d'autres
explications, touchant surtout les usages de France. Cousinot fait remarquer
l'exemple de modération donné par le roi, qui demande des commissaires
destinés à être informés en temps et lieu des chefs si graves de
l'accusation, et à en réunir les preuves. Il ajoute qu'à l'imitation des
princes de tous les pays qui l'environnent, le roi, vu la nature des crimes
imputés, eût pu procéder contre les coupables de sa propre autorité ; qu'il
ne pouvait sans de graves inconvénients se dispenser de les arrêter et
d'ouvrir une enquête ; qu'en demandant au saint-père des délégués
représentant de son pouvoir spirituel, il a dessein de faire instruire leur
procès en France ; que chez nous, enfin, dès qu'il s'agit de crimes de
lèse-majesté, le roi a prise sur tout criminel, de quelque état qu'il soit,
et que pour un ecclésiastique les juges sont ecclésiastiques et laïcs, les
premiers jugeant d'après les canons, les seconds suivant les charges civiles
et criminelles qui pèsent sur les accusés. Sur ces
points divers les cardinaux avaient une tout autre opinion. Ils prétendaient,
d'après les décrétales, que sous peine d'excommunication on doit, dans les
vingt-quatre heures, remettre les prélats aux juges ecclésiastiques ; que
leurs aveux étaient nuls, n'ayant point été faits devant un tribunal
compétent ; probablement même avaient-ils été extorqués. Enfin ils élevaient
maintes difficultés où la forme emportait évidemment le fond. D'ailleurs,
avant son arrivée à Rome, Cousinot avait appris que le parti bourguignon y
était en force, et que, malgré son éloquence et ses bonnes raisons, il ne
devait pas s'attendre à y réussir. Aussi vit-il bientôt combien ces avis
étaient fondés. Les
décrétales sur lesquelles la cour romaine s'appuyait étaient les lettres des
papes, particulièrement des plus anciens et des premiers siècles de l'Église,
sur toute matière de foi, de discipline et de liturgie. Il en fut fait
plusieurs collections ; mais parmi ceux qui les ont réunies, il s'en est
trouvé qui, par excès de zèle et en vue de procurer aux pontifes un pouvoir
plus étendu, en ont mêlé de fausses aux vraies, et se sont ainsi efforcés de
lier plus étroitement le temporel au spirituel. Parmi ceux-ci, on remarque
Isidore, évêque de Badajoz, qui vivait au neuvième siècle. Ce personnage,
surnommé Mercator, ne doit pas être confondu avec saint Isidore, archevêque
de Séville, l'ami de saint Grégoire le Grand et l'apôtre des Visigoths, qui
s'illustra par de savants écrits, et mourut deux siècles plus tôt. Plusieurs
décrétales du recueil d'Isidore-Mercator ont été reconnues, bien plus tard et
depuis Louis XI, pour être supposées et non l'œuvre des papes auxquels on les
attribuait[6]. Ainsi la collection dite le
décret de Gratien, publiée en 1150, a mêlé 'plusieurs lettres non
authentiques à celles qui l'étaient. Depuis le dix-septième siècle, époque où
ce mélange a été découvert, le recueil du sixième siècle attribué à Denis le
Petit est seul en France reconnu de tous pour irréfragable : les autres
lettres ou décrétales ne sont admises chez nous qu'autant qu'elles
s'accordent avec l'usage établi en notre pays. L'article
invoqué par les cardinaux portait que les évêques ne devaient être jugés que
par le pape. De quelque opinion que l'on soit, lorsque l'on considère ta
pénitence publique imposée à Théodose et à d'autres souverains et qu'ils
subirent, il est difficile de méconnaître cet immense pouvoir des papes dans
la primitive Église. « Du temps de Charlemagne, dit Baluze, on inséra
dans le recueil des canons certaines lettres qu'on attribuait aux anciens
évêques de Rome, mais qu'en toute vérité Riculfe, archevêque de Mayence,
avait acquises d'un Espagnol. » Au quinzième siècle, les effets de ce mélange
duraient encore ; et la suite des temps' leur avait donné une sorte de
sanction. Il a fallu à la fin du sixième siècle une très-savante critique
pour démêler dans tout l'ensemble quelles étaient les vraies décrétales ; et
encore ce discernement est-il bien exact ? Sans doute le saint-père est juge
des évêques au point de vue de la doctrine, surtout quand il est appuyé d'un
concile ; mais ici le cas était tout différent ; le crime étant entièrement
politique, il semblait que les juges devaient l'être également. Guillaume
Cousinot soutint avec éloquence que le roi avait agi selon son droit, et
surtout selon son devoir ; il remontra tous les maux qui pouvaient résulter
des perfides menées des deux prélats, si bien prouvées par leurs propres
aveux. Puis, s'appuyant sur l'Écriture et sur l'histoire, il prouve que
parfois le roi devait s'élever au-dessus des lois ; extrémité d'ailleurs
inutile en cette cause, puisqu'il s'agissait d'un fait entièrement politique
; en remontant même jusqu'à l'origine de ces prérogatives incontestables de
la couronne, il établit que le roi pouvait les punir de mort, ainsi que
l'avaient fait tant d'autres princes en pareil cas : cependant il s'est tenu
à les faire arrêter. Est-ce que le saint-père et les cardinaux voudraient
empêcher la punition des plus grands forfaits ? Les coupables
'ecclésiastiques ne sont-ils pas alors plus criminels que d'autres ? Les
cardinaux, embarrassés de cette logique, se défendent de vouloir empiéter sur
les droits du roi. Cousinot réplique que Louis non plus n'a pas voulu porter
atteinte aux prérogatives de l'Église, et que tel est le motif de leur venue.
D'ailleurs les faits et déclarations qu'ils ont rapportés sont plus que
suffisants pour faire accueillir la dénonciation du roi. Sans doute
l'innocence se présume ordinairement ; mais peut-il en être ainsi alors que
la preuve du crime est irréfutable ? Le roi ne demande que justice ; on ne
peut la refuser. Louis peut remettre les accusés aux commissaires si ceux-ci,
de leur côté, reconnaissent les droits et privilèges de la couronne, mais il
ne souffrira pas qu'ils soient entraînés hors du royaume, comme on paraît le
vouloir. Il y
eut de part et d'autre de longs débats, chacun mettant une égale persistance
en ses sentiments. On conçoit que sur ces entrefaites la demande de la
pourpre pour l'évêque du Mans, frère du connétable, n'ait pas eu chance de
succès ; et l'on comprend difficilement que Louis XI ait fait une telle
requête en pareille circonstance. On discuta beaucoup encore sans rien céder
de part ni d'autre. Le pape semblait fort éloigné de la pensée de dépouiller
le cardinal Balue de ses bénéfices. Ainsi il y eut complet désaccord.
Cependant justice fut faite, et les deux prélats durent être enfermés dans
une cage de fer de huit pieds cubes. Ils y passèrent onze ans et plus. Le
cardinal resta d'abord à Montbazon, sous la garde 'du sire de Torcy, jusqu'au
commencement de- février 1469(70), époque où, conduit à Onzain près Blois, il fut mis dans sa cage
de fer que l'écuyer Guyon de Broc[7], maître d'hôtel du roi, avait
dû faire construire moyennant 60 livres tournois. L'évêque
de Verdun, Guillaume d'Harancourt, lui aussi fut enfermé à la Bastille dans
une cage semblable. Au compte de Jean Baguier pour l'année 1479 on voit que « Jean
Daulin, marchand ferron, demeurant à Tours, est porté pour l'achapt de trois
mille quatre cent soixante-sept livres de fer que le roi a fait prendre pour
une cage de fer à mettre prisonniers, en laquelle est mis et détenu l'évêque
de Verdun[8] ». Il y eut en outre à
payer pour fixer cette cellule dans une chambre de la Bastille ; » ainsi
monte la dépense tant de la chambre que de la cage à la somme de trois cent
soixante-sept livres huit sous trois deniers parisis[9]. » Là ne
s'arrêtèrent pas les suites de cette triste affaire du cardinal. Sur de
très-coupables intrigues de maître Balue l'évêque d'Angers, Jean de Beauvau,
avait été dépossédé contre toutes les règles, et même excommunié par le
saint-père. Il avait constamment réclamé et interjeté appel de cette
sentence. Le roi, persuadé de l'honorabilité de son caractère et de la
fausseté des dénonciations qui l'atteignaient, lui accorda des lettres
patentes de rétablissement. La sentence, quoique surprise, existait cependant
; le clergé d'Angers refusa de le reconnaître. L'évêque jouit donc de son
temporel ; mais quand il voulut, nonobstant l'opposition du chapitre, exercer
ses fonctions épiscopales, l'Église d'Angers fut troublée, et cela pendant
plusieurs années. On
entend souvent redire que Louis XI aimait à s'entourer d'hommes nouveaux et à
s'entretenir avec de petites gens[10]. L'exemple de Balue montre du
moins qu'il savait être sévère pour les hommes sans naissance comme pour les
autres, lorsqu'ils avaient trompé ra confiance. Aux yeux de la noblesse, qui
eût voulu élever un mur d'airain entre elle et le petit peuple, cette
familiarité pour tous lui semblait déroger. Louis XI voyait les choses d'un
point de vue différent. Voulant l'affranchir plus complétement et l'initier à
une vie nouvelle et inconnue, il aimait à juger le peuple par lui-même, à
connaître ses vrais intérêts, à entrer en communication directe avec lui,
ainsi que le firent saint Louis et plus tard Henri IV. Il sentait qu'il était
le roi des petits comme des grands, que les premiers avaient surtout besoin
de lui et pouvaient lui donner bon appui. Comment y voir matière à reproche ?
Il voulut encore apprécier les hommes par leur valeur, et n'employa pas
exclusivement des nobles à son service ; mais en examinant les actes de son
règne, à part trois ou quatre hommes nouveaux qu'il admit à coopérer avec lui
aux grandes affaires, on trouve que, soit à la tête des armées, soit dans les
missions de confiance se rattachant à des intérêts majeurs, soit dans les
ambassades d'où il attendait d'importants résultats, ceux qu'il employa
furent toujours des hommes de qualité et d'un grand nom, déjà illustre par
leurs ancêtres et par leurs services. Sans doute, malgré son attention à
rechercher le mérite, ses choix se sont quelquefois égarés pour les hommes
sans extraction comme pour les autres ; mais quel prince ne fit jamais d'erreur
? Ainsi
Louis XI, qui déjà ressemblait tant à son oncle par son goût pour les lettres
et les encouragements qu'il donne aux savants et aux maîtres de l'art, par
tant de fondations pieuses, et par le désir si manifeste de faire fleurir en
son pays l'industrie et le commerce jusqu'à déclarer ensemble[11] que par le négoce on ne déroge
pas, se rapproche encore de celui qui mérita si bien le titre de bon roi.
Tous les deux, en effet, aimèrent à se mêler aux classes populaires, à
deviser familièrement avec les hommes les moins qualifiés comme avec les plus
éminents, et favorisèrent ainsi les usages les plus propres à leur préparer
de sages conseillers et de fidèles serviteurs. Ces ressemblances entre le roi
de la bèche et le roi de la basoche ne sauraient faire naître la pensée que
Louis XI fût hostile à son oncle. Peut-être Louis était-il plus roi et René
plus savant et plus artiste ; mais le plaisir qu'avait celui-ci à converser
sur le port de Marseille avec les chefs de la confrérie des pêcheurs,
celui-là le trouvait dans ses entretiens avec les plus habiles députés des
Suisses ou de la Hanse germanique. La
cause principale des discordes intérieures ayant disparu, le roi renouvela
ses efforts pour donner à son frère toute satisfaction compatible avec les
intérêts de la France. Il lui fit donc enfin agréer la Guienne pour apanage,
au lieu de la Champagne et de la Brie. Cette importante concession, convenue
en avril 4469, fut suivie le 20 mai d'une abolition générale publiée en
faveur de ceux qui avaient suivi le parti du frère du roi, particulièrement
du duc d'Alençon ; et aussi, par suite de lettres signées d'Amboise en
juillet, le parlement de Bordeaux fut transféré à Poitiers. Monsieur
savait peu se décider par lui-même ; et ses conseillers, tous de la cour de
François H, n'eussent pas souhaité qu'il s'éloignât de la Bretagne ; tel
était surtout le désir d'Odet d'Aydie, sire de Lescun. Depuis la guerre du
bien public, ce gentilhomme béarnais était au service du duc de Bretagne.
Selon Comines, il jouissait d'une considération fort méritée, et ne se montra
jamais l'ami des Anglais. Louis XI, qui lui connaissait beaucoup d'ascendant
sur son frère, n'omit rien pour se l'attacher ainsi que le prouve une cédule
datée du 6 février 44678 par laquelle ledit seigneur « s'engage à rendre au
roi son maître bon et continuel service ». Des
négociations furent donc entamées avec Monsieur pour la cession de la
Guienne. « Le prince eût voulu des droits royaux, l'hommage des comtés de
Foix, d'Armagnac et d'Albret. » Pour avoir raison de ces prétentions les
ambassadeurs du roi n'eurent qu'à rappeler les prescriptions de Charles V et
les récentes décisions des états généraux. Le roi accorda 20.000 livres au-delà
des 60.000 précédemment indiquées. Alors encore, il ne faut pas l'oublier,
Monsieur était l'héritier présomptif de la couronne. Que les comtes de Foix,
d'Armagnac et d'Albret lui rendissent hommage pour les fiefs relevant de son
apanage, on y consentait ; mais pour leurs personnes et leurs seigneuries
c'est au roi que l'hommage était dû. Sur ces divers points il y eut de longs
débats ; et pendant que les ambassadeurs de France les discutaient à Nantes,
Louis restait à Tours et à Amboise, leur envoyant souvent des messages en
réponse à leurs lettres. Ainsi l'apanage de Charles de France embrassait la
Saintonge et le gouvernement de la Rochelle. Quant aux promesses faites à
Saint-Emilion, à Acqs et autres villes de n'être jamais séparées de la
couronne, on fut malheureusement obligé de n'en pas tenir compte. Pour
mieux entrer dans les voies de la conciliation, Louis révoqua les lettres de
relief qu'il avait accordées aux sieur et dame de Boussac, lettres qui leur
attribuaient une part dans le duché de Bretagne, d'où était issue une affaire
alors soumise à la justice. Le roi en écrivit au parlement et manda « qu'il
voulait que désormais on n'eût point égard à semblables lettres, à moins
qu'il ne fût évident qu'elles eussent été données après mûre délibération ».
De son côté le duc de Bretagne, malgré la promesse par lui faite le 4 mai de
rendre au roi les otages qu'il avait reçus en garantie de l'exécution des
conventions, ne laissa pas de renouveler, le 17 mai, les alliances faites
antérieurement avec Monsieur. Ce dernier engagement fut même si explicite,
que Charles déclarait vouloir y persister pour l'avenir, dût-il arriver à la
couronne de France. Agé
alors de vingt-trois ans et d'une grande faiblesse de caractère, Monsieur
avait parfois des accès de défiance et des redoublements d'ambition inquiète,
à ce point que, malgré ses traités avec le roi et le duc de Bretagne, il
s'assurait par écrit une retraite en Angleterre, et le 6 mai il recevait un passeport
d'Édouard IV. Peut-être ne voulait-il aborder là que pour passer en
Bourgogne. Mais le roi obvia à cette difficulté et, par les soins d'Odet
d'Aydie et du sire de Corton, il amena son frère à une réconciliation. Pour
prix de leurs services ceux-ci eurent l'un et l'autre, par lettres du 10
juin, une bonne part des biens de maître Balue. Pendant
que le duc de Bourgogne perdait en France l'auxiliaire de ses intrigues il
poursuivait en Allemagne ses grands projets d'agrandissement. Il ne se trouve
pas assez au large en ses États : il vise à former un royaume et à atteindre,
s'il peut, de l'Océan à la Méditerranée. A cela doivent, être attribués ses
traités, sa politique, ses guerres avec la Lorraine, avec l'Empire et avec
les Suisses, même ses vues sur la Provence. Le 2t mars de cette année il
reçut en grande pompe à Arras Sigismond d'Autriche. L'archiduc, qui avait
besoin d'argent, lui vendit à réméré pour 80.000 écus d'or le comté de
Ferrette, de Brisgau et de Zunigau. Le duc en fit prendre possession le 21
juin par les sires de Vauldé, de Rothelin, maître Carondelet et autres, sous
les yeux et avec la participation de Sigismond. Pendant ce temps le duc
faisait en mai une solennelle entrée à Gand, afin d'effacer l'humiliation de
la précédente ; et sans avoir- la sagesse de pressentir les périls qui
allaient naître de tant d'ambition ni la prudence d'y faire face, il rêve de
nouvelles conquêtes ! De son
côté Louis recevait avec cordialité les ambassadeurs de Berne, venus à Tours
pour nouer avec lui de bonnes relations. Il s'occupait aussi d'instituer son
ordre de chevalerie en l'honneur de saint Michel, alors reconnu pour l'ange
tutélaire de la France. Il dut se composer de trente-six chevaliers ; le
chancelier et le trésorier en devaient être élus à la pluralité des voix. Le
roi était président et avait seulement deux voix dans le conseil de l'ordre,
rarement trois. Les principaux chevaliers furent Monsieur Charles de France ;
Jean de Bourbon ; le connétable ; Jean de Bueil, comte de Sancerre ; Louis de
Beaumont, seigneur de la Forêt et du Plessis ; Jean d'Estouteville, seigneur
de Torcy ; Louis de Laval, seigneur de Châtillon ; Louis, bâtard de Bourbon,
amiral ; Antoine de Chabannes, grand maître de la maison du roi ; Jean,
bâtard d'Armagnac, comte de Cominges, et gouverneur du Dauphiné ; Georges de
la Trémoille, seigneur de Craon ; Gilbert de Chabannes, seigneur de Curton,
sénéchal de Guienne ; Louis, seigneur de Crussol, sénéchal de Poitou ;
Tanneguy du Châtel, gouverneur de Roussillon et de Cerdagne. On devait porter
l'image de saint Michel et le collier d'or fait à coquilles, mais au moins
l'image. En grande tenue on avait un manteau de damas blanc fourré d'hermine,
avec chaperon de velours cramoisi. Toutes les cérémonies de l'ordre étaient
prévues et réglées par les statuts. A
l'exemple d'Édouard, fondateur de l'ordre de la Jarretière, le roi Jean avait
institué l'ordre de l'Étoile, remarquable par la devise : Rois, l'étoile des
cieux vous montre votre route[12]. Cette institution subsistait
encore, il est vrai, et même Louis XI avait conféré à Gaston de Foix, son
beau-frère, l'honneur d'en être Membre ; mais, à cause de l'importance que
prenait tous les jours l'ordre de la Toison d'or, il crut utile d'en fonder
un nouveau et de lui donner des statuts qui liassent plus étroitement les
chevaliers envers lui. A cette
époque, en effet, la chevalerie était la principale force des armées ; il n'y
avait point d'autre cavalerie en France. On ne combattait guère qu'à cheval,
et, afin d'améliorer la race chevaline et d'avoir des chevaux de bataille
supérieurs, des gentilshommes et des monastères avaient établi des haras.
Cependant, à l'exemple des Anglais, on vit parfois les chevaliers français
mettre pied à terre dans le combat. Chaque chevalier avait son pennon ou
étendard triangulaire, et les bannerets portaient la bannière carrée. Les
nobles sous les armes jouissaient du privilège de ne pouvoir être poursuivis
en justice, et leurs procès, s'ils en avaient, étaient suspendus. Enfin le
mode de recrutement, tout général qu'il fût, comportait cependant quelques
exceptions, comme celle accordée en 1474 au vicomte de Turenne. Le roi,
en fondant la nouvelle institution dont nous parlons, suivit le conseil et
les exemples de ses plus proches et surtout du roi de Sicile, son oncle. Ses
lettres d'établissement sont du 1er août 1469 et il ne nomme d'abord qu'un
certain nombre des trente-six membres. Plus tard l'usage prévalut qu'en signe
de bonne intelligence les souverains tinssent à honneur d'échanger leur ordre
de prédilection ; c'est ainsi qu'Henri III reçut en février 1585 l'ordre de
la Jarretière, qui lui fut apporté par le comte de Derby de la part de la
reine d'Angleterre. Au quinzième siècle cette coutume n'existait pas encore,
aussi Louis XI n'adressa-t-il à aucun roi son ordre de Saint-Michel, les
règlements d'ailleurs ne s'y seraient point prêtés. Le
complément des chevaliers devait être proclamé au chapitre suivant. Après le
serment venait la déclaration faite par le président des devoirs du chevalier
qu'on reçoit, et aussi l'indication de toutes les formalités nécessaires à la
dignité et à l'avenir de l'institution faite pour sauvegarder encore plus
efficacement la royauté[13]. « Le chancelier y faisait
la fonction de procureur général. » On pouvait être privé de l'ordre pour
erreur contre la foi, pour trahison, pour avoir fui devant l'ennemi, et le
mode de procédure était prévu. En certain cas, on procédait à une enquête sur
la vie des chevaliers, et le rapport en était fait au chapitre par le
chancelier. Le roi lui-même se soumettait, comme chevalier, à la censure du
chapitre. Aux premiers statuts renfermant soixante-dix articles, le roi se
réserve d'y apporter tels changements qui auront été jugés utiles ; cependant
certaines clauses sont irrévocables : 1° le nombre de trente-six membres,
devant être gentilshommes de nom et d'armes et sans reproche ; 2°
l'engagement de ne-porter aucun autre ordre sans la permission du roi ; 3°
l'union entre les chevaliers ; 4° la fidélité au souverain ; 5° conservation
garantie aux chevaliers pour leurs possessions, dignités et prééminence ; 6°
la conduite à tenir pour les chevaliers étrangers, entre leur souverain, et
le souverain de l'ordre, et quelques autres dispositions. Cependant
Monsieur songeait à prendre possession de son nouvel apanage. Il est conduit
avec honneur de Redon à la Rochelle ; là, par gratitude envers le duc de
Bretagne, il lui renouvelle le serment du 17 mai dernier et lui écrit le 10
juin les lettres les plus soumises, s'engageant surtout à ne jamais rien
faire, dût- il être roi, sans l'agrément et le consentement formel du duc.
Or, ce même jour, dans un esprit bien différent, Louis écrivait d'Amboise des
lettres patentes déchargeant les officiers et adhérents du duc son frère de
toutes poursuites qui, à cause des deniers du roi, pourraient être dirigées
contre eux ; même dès le 2 juin il avait mandé au sire de Crussol de mettre
les sujets du duc de Bretagne en possession des biens qu'ils avaient en
Poitou. Sans
être ému de ces provocations, le roi veille à l'exécution de ses promesses :
il ordonne le 10 juillet à Jean de Popincourt, premier président de la
chambre des comptes, de faire enregistrer les lettres touchant l'apanage de
Guienne données le mois d'avril précédent. Par suite de cet enregistrement le
duc de Bretagne, et non Monsieur, remit au roi, avec les otages français, les
lettres des apanages de Berry et de Normandie, accompagnées de la
renonciation de Charles de France. C'est le 19 août que Monsieur fit serment
comme duc de Guienne, serment dont la teneur est significative. On y remarque
la promesse de ne pas attenter à la vie du roi ; celle de ne pas songer à
épouser Marie de Bourgogne, si ce n'est du libre consentement de son frère,
et même de ne lui en jamais parler, ni faire parler[14]. De
pareilles promesses supposaient de grandes méfiances, et le roi voulait être
prêt à tout événement. Le samedi 19 août de de cette même année, par l'organe
de son chancelier, il demande au parlement, toutes chambres réunies, qu'on
lui prête, pour le besoin des finances du royaume, toutes les consignations
qui étaient faites au greffe. La cour, après mûre délibération, ordonne par
arrêt que « les consignations dont la teneur est expliquée seront baillées
comme en dépôt et garde de ladite cour : tous les membres s'obligeant, chacun
pour le tout, en leurs propres et privés noms, à les rendre comme deniers de
dépôt et de garde. » Le jeudi 31 août, les présidents et membres du
parlement s'obligent, en effet, envers maître Erland, à la somme de 2.000
écus d'or, données aux généraux des finances pour affaires du roi[15], avec promesse de restitution
au mois d'octobre ; promesse qui toujours eut son effet. Si
grand était le désir de Louis XI de cimenter cette réconciliation qu'il songe
à réaliser le projet d'une entrevue avec son frère. Après donc avoir reçu au
Plessis le roi et la reine de Naples[16], il en partit avec le duc de
Bourbon et plusieurs autres pour prendre la route de la Rochelle. Suivant la
relation d'un seigneur présent à cette visite[17], et datée du 8 septembre 1469,
le roi vint à Niort le mardi 5 septembre, et de là s'en fut à un village
appelé le Puits-Riveau ou Ronceau, à une grande lieue de la rivière de Bray,
sur la Sèvre-Niortaise ; au lieu dit le château de Charon on avait établi un
pont de bateaux au milieu duquel s'élevait une loge séparée en deux parts. Le
mardi même le roi alla visiter le pont, et le mercredi le duc étant arrivé au
village de Charon, s'y logea. Louis envoya sans délai plusieurs grands
officiers, pour complimenter son frère, entre autres l'auteur de la relation
; et vers six heures du soir ils trouvèrent Monsieur de Guienne sur le pont
avec peu de gens. Les paroles du duc furent pleines d'affection pour le roi,
et le soir même Louis chargea le témoin d'offrir à son frère une coupe garnie
d'or et de pierreries, présent qui lui fut remis la veille de Notre-Dame au
matin et dont ce prince parut joyeux. Ce jour 7 septembre, sur les cinq
heures du soir, heure convenue, le roi s'approche bien escorté ; mais à un
quart de lieue du pont il ne retint avec lui que douze. personnes, dont le
témoin faisait partie, « tous sans épée et sans dague. » Les Écossais
approchèrent du lieu n'ayant ni arc ni trousse ; et toute l'escorte s'arrêta
en tête du pont. Le duc
arrivait de l'autre côté, ayant aussi une suite de douze serviteurs parmi
lesquels on remarquait Jean de Beauvau, ancien évêque d'Angers, et le
chancelier de Bretagne. Les archers de sa garde et ses gens restèrent aussi
assez loin dans la prairie ; et dès qu'ils furent proches, le duc, mettant un
genou en terre, pria le roi de mettre hors de son cœur les choses passées et
de les lui pardonner. « Mon frère, dit le roi, soyez le bienvenu ; ce que je
désirais le plus était de vous voir ; » puis il l'assura de l'entier oubli du
passé. Après l'échange des plus douces paroles, sur un signe de Louis à ses
officiers les deux frères conversèrent seuls un quart d'heure ; « et on ne
sut ce qu'il y fut dit que par ce qu'il plut au roi d'en révéler. » Alors
leur entente semblait si parfaite que Monsieur demanda à passer de l'autre
côté, et l'ayant obtenu, ils s'embrassèrent avec une vive effusion, au point
que tous en furent émus. Enfin, la nuit étant proche, le roi parla de se
séparer ; le duc désirait accompagner le roi, mais celui-ci « ne le voulut
souffrir », et promit qu'ils se verraient le lendemain sans barrière. Le 8,
en effet, jour de la Nativité, ils se revirent encore vers les dix heures de
la matinée. Le duc vint au bout du pont au-devant du roi qui là mit pied à
terre, car il y avait tant de boue qu'on ne pouvait avancer. Charles saluant
respectueusement, Louis l'embrassa en le relevant, puis ils entrèrent tous
ensemble dans la loge. Dans un entretien de plus d'une heure, on entendit le roi
dire à Monsieur d'être désormais sans inquiétude de son avenir ; que de sa
part et à sa connaissance il ne lui arriverait nul mal ni dommage ; « qu'il
le voulait au contraire obéi en tout et satisfait. » Le duc remercia
vivement le roi, l'assura de son respect, et demanda de l'accompagner jusqu'à
son logis ; la chaleur était grande ; le roi s'en excusa, son logement étant
trop petit. D'ailleurs
ils devaient se retrouver le lundi suivant à Maigny, près de Niort, dans une
maison appartenant à Guy de Sourches, seigneur de Malicorne. « Ils y
logeront ensemble et il y aura a grande chasse et grande chère. » Chacun y
vint avec ses plus intimes conseillers, pour y traiter des intérêts
politiques. Là, par un traité, le roi concède à son frère un notable
accroissement d'apanage ; il révoque la cession de Mauléon de Saule,
autrefois faite au comte de Foix, et transporte cette seigneurie et d'autres
terres à Monsieur, qui de son côté renonce à toutes prétentions sur les pays
de Poitou et d'Anjou. Enfin
le roi, qui pour lors n'avait point encore de fils, faisait tout pour
s'attacher son frère et le traitait en héritier présomptif de la couronne. Il
songeait aussi à le marier, et fit demander pour lui Isabelle, sœur d'Henri
IV de Castille. Politique excellente, qui devait empêcher la réunion funeste
pour la France de la Castille et de l'Aragon. Le roi de Castille approuvait
cette alliance. Le cardinal d'Alby, chargé par Louis de cette ambassade,
appuya ce projet par un discours au roi dans la grande église de Cordoue.
Avant de répondre Henri voulut consulter son conseil ; mais Isabelle
préférait hautement Ferdinand, roi de Sicile ; elle se retira donc à Madrigal
avec l'archevêque de Tolède et plusieurs autres grands de son parti,
annonçant ainsi son intention de disposer elle-même de sa personne. Cette
démarche de Louis XI ne contribua peut-être qu'à hâter le mariage d'Isabelle
et de Ferdinand ; union qu'il ne pouvait assez redouter. Les deux
ambassadeurs, le cardinal d'Alby et le sire de Torcy, n'obtinrent d'autre
résultat de leur voyage que d'avoir détruit l'alliance d'Henri IV avec
l'Angleterre. On eut
bien de la joie dans le royaume de cette bonne intelligence entre les deux
frères ; et le roi, pour en témoigner à Dieu sa reconnaissance, fit don à
l'église de Selles-en-Poitou, ce même mois de septembre, de soixante livres
tournois de rente. On savait aussi que la reine Charlotte avait beaucoup
contribué à cet heureux succès et on l'en aimait davantage. Bientôt le roi la
vint rejoindre à Amboise, où il demeura jusqu'au 23 décembre, sauf une
excursion à Orléans pour y préparer une expédition projetée et rendue
nécessaire contre l'Armagnac. Le samedi 4 novembre on publia dans Paris la
paix faite entre Louis XI et le roi de Castille ; ce fut encore une
satisfaction nouvelle ; et enfin, le 10 novembre, le roi adresse un mandement
à la chambre des comptes à l'effet d'entériner ses lettres au duc de Guienne
sur la jouissance de plusieurs jugeries. Les
moindres désirs de ce prince étaient d'ailleurs aussitôt prévenus ; ainsi,
comme il souhaitait de passer quelque temps à Lusignan et que le capitaine
dudit lieu, Yvon du Fou, avait ordre de n'y tolérer personne au-dessus de
lui, le roi se hâte de lui mander de recevoir son frère à Lusignan, « puisqu'on
meurt en a Saintonge, » et que tel était son bon plaisir. Il envoya même à
Monsieur, pour insister sur ce /projet et lever toute difficulté, les sires
de Bueil, Pierre Doriole et Humbert de Bastarnay. Ces
délégués français arrivèrent auprès du duc de Guienne en même temps que les
ambassadeurs du duc de Bourgogne, qui n'avait alors d'autre désir que de
troubler cette paix. Sous le prétexte d'apporter à Monsieur les félicitations
de leur maître ils venaient insidieusement lui offrir aussi l'appui du duc
contre Louis XI, s'informant s'il était satisfait de son nouveau partage et
si le roi avait rempli ses promesses de Péronne. En même temps Charles de
Bourgogne se disculpait d'avoir jamais songé, comme le bruit en avait couru,
à s'emparer du gouvernement de France au préjudice de Monsieur. Puis,
laissant entrevoir qu'une alliance avec sa fille ne lui serait pas
désagréable, il offrait au prince le collier de la Toison d'or. Il
était bien difficile d'oublier sitôt des promesses si solennellement faites.
Le jeune duc, comme on sait, avait juré sur la croix de Saint-Laud, dès le
mois d'août, de n'avoir jamais ni mécontentement ni rancune contre le roi son
frère et de ne point traiter de son mariage avec Marie de Bourgogne : de son
côté Louis faisait en décembre le serment de ne rien entreprendre contre
Monsieur. Il n'y avait donc plus à y revenir, grâce à la diligence pleine de
sagesse du roi. Charles
de Guienne ne prêta nullement l'oreille aux propositions pleines d'artifices
des députés bourguignons. « Il remercie le duc de son bon vouloir et
l'informe qu'ayant eu directement recours au roi, il n'a qu'à se louer des
procédés de son frère : au regard du gouvernement de France il n'a rien
entendu des faux bruits dont on parle. Le roi a institué depuis peu l'ordre
de Saint-Michel et lui en a offert le premier collier ; il en est content et
n'en, peut porter d'autre ; il remercie donc le duc de son offre obligeante
et le prie de l'en tenir pour excusé. Il ajoute que, pleinement satisfait du
roi, il ne voudrait rien faire qui pût lui déplaire ; il ne songe qu'à lui
obéir, à être l'ami de ses amis et l'ennemi de ses ennemis. » Après
cette réponse Monsieur pense à rendre au roi sa visite ; il vient donc le
trouver au Plessis-lès-Tours vers la fin de décembre. Sa présence fut un
grand sujet de joie pour toute la cour. La reine, madame et mademoiselle de
Bourbon, qui étaient alors à Amboise, vinrent au Plessis. « Tant que le duc
de Guienne fut aux Montils, ce ne furent que fêtes et plaisirs, et toute sa
suite y fut royalement défrayée. » La cour y resta peu de jours : et, après
les fêtes de Noël, Monsieur ayant prit congé du roi et de la reine, s'en fut
à La Rochelle, Saint-Jean d'Angely et autres lieux, pour tenir ses états et
régler les affaires de son duché. De son
côté le roi quitta les Montils et passa le mois de janvier à Amboise ;
c'était en ces deux résidences qu'il se plaisait le mieux s'y appliquant au
bon gouvernement et administration de son royaume. Il ne laissait, à sa
connaissance, aucun abus sans y remédier : ainsi ayant appris, vers ce temps,
que deux financiers de Tournay, auxquels il avait donné le privilége de tenir
la banque, prêtaient sur gage à d'énormes intérêts et ruinaient les familles,
il révoqua son privilége, et y laissa, sur ce point, la liberté à tous. Son
attention fut attirée aussi sur les mines de Dauphiné, de Cerdagne et de
Roussillon ; les ouvriers y faisant défaut, il accorde exemption de taille,
lettres de naturalisation et autres privilèges en ces provinces à tous ceux
qui viendraient y exploiter les mines. Par les mêmes mesures d'encouragement
il travaille à rendre la rivière du Clin navigable ; et il fait enfermer dans
l'enceinte d'Orléans les paroisses de Sainte-Euverte et de Saint-Aignan. Tout
ce qu'il ne peut examiner il le fait surveiller ; et afin d'entretenir
l'ordre et la discipline en la garde citoyenne de Paris, il envoie le sire de
Châtillon, grand maitre enquesteur et général réformateur des eaux et forêts,
inspecter en ces jours-là « les bannières des officiers, gens d'état et
populaire de la ville de Paris ». Contenir
ses vassaux turbulents dans le devoir était une rude tâche pour Louis XI. Le
comte d'Armagnac, à qui déjà il avait fait grâce lors de son avènement et
aussi lorsqu'en 1465 il le retrouva à Conflans malgré le traité consenti
auparavant en Bourbonnais, n'en continuait pas moins d'avoir de coupables
relations avec les Anglais et les autres ennemis de la couronne de France. Le
roi savait qu'en 1468 il avait appelé une nouvelle descente des Anglais en
Gascogne, offert son concours armé et promis même de faire soulever cette
province et le Languedoc. Louis dissimula ; il fit un nouveau traité avec le
comte par lequel celui-ci s'engageait, moyennant 10.000 livres qui lui furent
assignées sur les états de Languedoc et payés exactement, à envoyer ses
hommes d'armes en Catalogne. Jean n'en fit rien ; ses troupes, qui ne
connaissaient nulle discipline, se bornèrent à commettre dans tout le pays
qu'elles devaient traverser des dévastations et de honteux désordres, si bien
que des plaintes s'élevèrent de tous côtés et, par l'évêque du Puy et
Guillaume Varie, arrivèrent jusqu'au roi. Louis
XI envoie donc en Armagnac Hector, bâtard de Rochechouart, avec mission
d'enjoindre au comte de veiller sur ses hommes d'armes, de leur faire passer
la frontière ou de les renvoyer dans leurs foyers. Il devait aussi observer
le comte en secret et tâcher de l'amener à venir trouver le roi) ce à quoi il
fut impossible de réussir ; mais ce n'était pas le seul grief. Se confiant en
le seul droit de la force, il affectait, à l'exemple des grands seigneurs de
ce temps, un souverain mépris de la justice officielle. Aussi eut-on bientôt
occasion d'ouvrir une procédure contre lui. Par suite de la séparation de
Rodez en deux parts, la ville relevant de l'évêque, et le bourg appartenant
au comte, celui-ci se trouvait obligé à son avènement de prendre sa promotion
de l'évêque et de lui rendre hommage. Or non-seulement le comte Jean V s'en
était dispensé, mais les violences et rapacités de ses hommes de guerre
contre les gens de la ville soulevèrent de vifs murmures et l'évêque eut
recours à Louis XI. L'affaire
fut évoquée au parlement de Toulouse et une enquête ouverte. Ajourné au 7
septembre, le comte ne comparut point devant la table de marbre à l'appel du
premier huissier, et un défaut est prononcé contre lui. On ne pouvait
dédaigner plus ouvertement les arrêts du parlement. On conçoit aisément que
dans un pays où l'autorité. du roi se faisait difficilement respecter à cause
de l'éloignement, où les deniers publics se percevaient difficilement, où la
noblesse refusait souvent d'aller à l'arrière-ban, ce mépris de la justice ne
se pouvait tolérer. Louis envoie donc en Gascogne le comte de Dammartin avec
une forte armée, et le fait soutenir de l'amiral et du sénéchal de Poitou.
Les amples instructions dont il est muni portent qu'il informera sur les causes
du désordre et le réprimera. Il devra établir solidement l'autorité du roi et
de la justice en ces pays, et même se saisir de tout ceux qui, avec l'évêque
de Castres, Jean d'Armagnac, ont conspiré pour livrer Toulouse au duc de
Nemours ; il punira tous ceux qui, « sans autorité, auront pris les
deniers publics, imposé des taxes, ou porté les armes contre le roi. Défense
sera faite à toutes personnes, et surtout aux comtes de Foix et d'Armagnac,
au duc de Nemours et au sire d'Albret, de lever ou d'entretenir aucunes
troupes sans la commission du roi ». Enfin, s'il y a lieu, il se servira
de ses forces pour mettre les rebelles à la raison. Dès l'approche de
Dammartin, le comte expédie au roi un de ses-affidés, nommé Barbazan. Louis
le renvoie à Dammartin pour apprendre de lui ses volontés. Le comte
d'Armagnac, qui ne peut et n'ose résister, s'enfuit : les places de
l'Isle-Jourdain et de Sévérac sont envahies, et elles se rendent à des
conditions raisonnables ; mais on ne s'engage point à payer les dettes du
comte. Lectoure ne tint non plus que les autres villes. On avait bien quelque
soupçon que le comte était caché non loin de sa capitale ; néanmoins, dès que
le Rouergue et le pays d'Armagnac furent soumis, Dammartin songe à marcher
contre le duc de Nemours, cousin germain et ordinaire allié du comte Jean V.
Quel déshonneur la conduite de ces princes apportait en cette maison qui,
sous le règne précédent, avait si bien et si longtemps soutenu contre
l'étranger les droits de la couronne de France ! Le duc
de Nemours n'essaye aucune résistance ; il va trouver le comte Dammartin et
se montre prêt à tout pour regagner les bonnes grâces du roi. Dammartin en
écrit au roi et fait si bien, qu'il se rend le maitre de cette affaire. Louis
XI, en effet, tout en rappelant par un exposé succinct, mais plein de clarté,
ses motifs de mécontentement envers le duc de Nemours, qui a déjà trop
souvent oublié les bienfaits reçus, et dont les précédentes infidélités sont
retracées, accorde encore, cependant, l'autorisation de traiter avec lui. Le
duc se soumet donc à Dammartin ; et dans la convention qu'il signe avec le
comte le 17 janvier à Saint-Flour, non-seulement il donne des otages et des
places de sûreté pour garantie de sa parole, mais il est positivement déclaré
que, « s'il s'écartait en aucune chose de son devoir et de la fidélité qu'il
doit au roi, il renonçait par le fait même à la grâce qui lui est accordée ;
qu'il serait puni pour tous les cas qui lui ont été pardonnés, qu'il ne
pourrait se prévaloir des prérogatives de duc et pair, qu'il serait procédé
contre lui comme à l'égard d'un simple sujet, et que toutes ses terres
seraient confisquées au roi ». Toutes ces clauses lui étaient un frein,
et désormais il ne pouvait mal faire impunément. Le roi
sut récompenser Chabannes de cette expédition ; il venait, le 26 octobre, de
le nommer un des douze premiers chevaliers de son ordre de Saint-Michel, afin
de l'attacher plus étroitement à son service ; mais à partir de ce moment il
devint l'objet des attentions de Louis XI, qui lui écrit les lettres les plus
confidentielles, où il lui fait part de ses projets et le consulte sur ses
plus graves affaires. La reconnaissance des services rendus fut toujours le
trait distinctif du caractère du roi, et le 7 décembre il envoyait aussi le
collier de son ordre à l'amiral, au sire de Crussol et à Tanneguy du Châtel,
ses loyaux serviteurs. Cependant
le parlement du Languedoc continuait ses poursuites contre le comte
d'Armagnac. Après son défaut du 7 septembre la cour l'ajourna pour le
lendemain de la Saint-Martin. Nouveau défaut, nouvelle censure le 23 novembre
; puis au lieu d'une procédure immédiate, s'ensuivent des ajournements
successifs au 19 février, au 30 avril 1470 et au 6 août. Enfin, le comte
n'ayant point comparu, le parlement juge par contumace ; le déclare, par
arrêt du 7 septembre 1470, coupable de lèse-majesté, et prononce contre lui
la confiscation de corps et de biens. Ses terres et seigneuries furent donc
données par le roi à Gilbert de Bourbon ; à Pierre de Bourbon, sire de
Beaujeu ; à l'amiral, bâtard de Bourbon ; à Georges de la Trémoille, seigneur
de Craon ; au sire de Crussol, sénéchal de Poitou ; à Gaston du Lion,
sénéchal de Toulouse et autres. Mais en
cette époque de transition une difficulté n'était pas plutôt terminée qu'une
autre surgissait. Tout y donnait sujet. Le roi ayant fait offrir au duc de
Bretagne le collier de Saint-Michel, celui-ci refusa, sous prétexte que
l'article 6 des statuts de cet ordre l'eût obligé à servir le roi en personne
; il exposa de son mieux l'impossibilité où il était, par sa situation même
topographique, de satisfaire à ce devoir aussi bien qu'à plusieurs autres
prescrits aux chevaliers. Cette réponse de François H était d'autant plus
piquante que Charles de Bourgogne affectait depuis un an de porter l'ordre de
la Jarretière qu'il tenait d'Édouard IV. Louis XI fut, avec raison, fort
offensé de ce refus, qui lui disait combien peu il devait se fier à ses deux
hostiles voisins. On croit que ce fut en vue de porter la guerre en Bretagne
que dans le même temps il convoqua pour le ter mars le ban et l'arrière-ban
dans les provinces d'Angoumois, de Limousin, de Rouergue, de Poitou et de
Normandie. Au surplus, à chaque appel d'hommes, publié à Paris ou ailleurs,
il était toujours dit que les Anglais se préparaient à descendre en divers
lieux des côtes, ainsi qu'ils l'avaient fait tant de fois. Les
ducs de Bretagne et de Bourgogne armèrent aussi ; mais, soit qu'ils ne se
crussent pas assez forts ou que le moment ne leur semblât pas opportun, tout
finit au printemps par le traité d'Angers, ratifié par François II le 7 juin 1470,
et qui n'était que la paix d'Ancenis confirmée. Néanmoins, suivant sa
coutume, trois jours après la signature de ce traité, le duc breton en
signait un autre avec Charles de Bourgogne, où se trouvait renouvelé celui
d'Étampes de juillet 1465, lequel, comme on sait, était une vraie ligue pour
la défense et pour l'attaque. Toutes
ces pratiques indélicates ne contribuaient pas à fortifier l'attachement des
vassaux envers leurs seigneurs. Déjà Tanneguy du Châtel avait quitté le
service du duc de Bretagne pour celui du roi, qui le combla de biens et
d'honneurs. Outre les terres confisquées sur la dame de Villequier, Louis XI
lui avait donné le collier de son ordre. Le 7 avril 1470, le vicomte de
Rohan, jeune homme de grande espérance et d'un mérite personnel reconnu,
mécontent qu'on voulût lui imposer un tuteur qu'il n'aimait pas à la place de
Tanneguy, quitta Nantes et vint en France, où du chef de sa mère il avait des
biens considérables. Présenté au roi alors en Poitou, il en reçut le plus
gracieux accueil et les promesses les plus flatteuses. Le duc de Bretagne
n'épargnait rien de son côté pour faire revenir à lui ce jeune seigneur. Les
moyens de persuasion n'ayant point réussi, il usa de rigueur, fit saisir ses
papiers, répandit contre lui les bruits les plus calomnieux, et ordonna
d'instruire son procès. Les générosités du roi ne furent point excessives à
son égard ; d'ailleurs elles trouvaient souvent une limite dans la fermeté du
parlement. Ainsi des lettres patentes du H juin ayant fait cession à un sire
de Maumont de Saint-Quentin de la vicomté de Beaumont, et d'autres terres à
un autre seigneur, il y eut en audience solennelle opposition de la cour et
refus d'entériner, par la raison qu'elle devait empêcher toute aliénation du
domaine ; opposition dans laquelle le parlement persista. Le roi
avait dû quitter Tours à la nouvelle de la mort du seigneur de Thouars, qui
de son vivant lui avait légué, comme on sait, tous ses biens. Il alla donc en
Poitou prendre possession de ses terres nouvelles. Alors, une partie de la
vicomté de Thouars passait dans la maison de la Trémoille du chef de
Marguerite d'Amboise, épouse de Louis Ier de la Trémoille, et d'un commun
accord ces seigneuries furent échangées contre celles de Vierzon et de
Saintes. En mai 1470 Louis XI donne la vicomté de Thouars à sa fille Anne de
France, et transporte les terres de l'île de Ré au connétable de Saint-Pol et
à Marie de Savoie, épouse de celui-ci. Tous
les actes administratifs de cette année 1469 sont toujours des règlements
pour maîtrises, pour foires et pour gabelle, des confirmations d'anciens
privilèges que Louis octroyait en Dauphiné comme dauphin et qu'il concède en
France comme roi, des collations d'avantages collectifs ou personnels,
notamment des concessions à la ville de Mende et à d'autres localités. Citons
encore les immunités données en octobre par lettres d'Amboise à ceux qui
viendront habiter la nouvelle enceinte d'Orléans, et le droit conféré au
chapitre d'Amiens de ne point admettre de bâtards pour chanoines. Par lettres
du 6 décembre, le roi demande au parlement l'enregistrement de l'édit en
faveur de l'université de Bourges ; le 5 janvier il réglemente la communauté
des deux cent vingt sergents à cheval du Châtelet, et le 18 février il
exempte les bourgeois de Paris du ban et de l'arrière-ban. On remarque aussi
au lei avril des lettres patentes du duc Charles de Bourgogne faisant remise
au sire de Comines de ses dettes. Vers le même temps un procès s'étant élevé
à Tournay, entre les officiers royaux et le prévôt, Louis, pour éviter à
l'avenir toutes contestations avec le pouvoir municipal, envoie sur les lieux
Pierre Cerisay, conseiller au parlement, pour arranger l'affaire, et demande
le 21 mai que les pièces lui soient remises. Pendant
que le royaume de France s'agrandissait et se fortifiait sous l'autorité
royale, les compétitions de partis désolaient l'Angleterre. Warwick et le due
de Clarence, blessés de leur peu de crédit à la cour d'Édouard, avaient réuni
leurs rancunes par une alliance de famille. Alors le gendre et le beau-père,
sous le prétexte de réprimer les abus, repassèrent la mer ; et ayant
promptement rassemblé une armée de Gallois, ils marchèrent de Sandwich vers
Londres. Bientôt ils rencontrent l'armée du comte de Pembroke et de son frère
Richard Herbert, qui venait du nord. Ce fut le signal des plus grandes
cruautés. Un prince de Newill de la famille de Warwick et, disait-on, d'une
grande espérance, fut enveloppé dans une escarmouche, pris et tué de
sang-froid. L'armée du nord livre aux Gallois une bataille sanglante ; mais
Warwick demeura vainqueur : il prit les deux chefs des ennemis et les fit
impitoyablement périr à Northampton de la main du bourreau. Peu après,
Richard Woodwill et Jean, l'un père et l'autre frère de la reine, eurent le
même sort. A ces
graves nouvelles Édouard s'avance avec le peu de monde qu'il peut réunir :
mais ses troupes ne sauraient résister à un ennemi victorieux ; il est
surpris dans son lit, et Warwick envoie son prisonnier à Middleham dans le
Yorkshire. Sous le semblant d'un accord avec Warwick Édouard revient à
Londres. Sa cruauté à l'égard de ses adversaires le rend odieux. Une nouvelle
armée rebelle s'étant assemblée dans le nord sous le commandement d'un nommé
Wels, Édouard va la combattre, la disperse et prend les chefs, qui, avant de
périr, accusent le duc de Clarence et le comte de Warwick. Ceux-ci, en effet,
reprenaient l'initiative des hostilités en faveur de la maison de Lancastre ;
mais ne se trouvant point assez forts pour engager immédiatement la lutte,
ils se retirent d'abord dans le comté de Devon, puis vont à Darmouth
s'embarquer pour Calais. Warwick,
à cause de sa fortune et de ses libéralités, jouissait à Londres d'une grande
popularité. Les Newill dont il sortait étaient des cadets de la maison de
Westmoreland : Richard de Warwick, le héros actuel, était le gendre de ce
Warwick qui jadis fit brûler la Pucelle[18] ; et depuis lors, comme ses
parents, il avait suivi la rose blanche. C'était l'ami des bourgeois de la
cité, et surtout des pirates du détroit. Aussi Charles de Bourgogne le
détestait-il, comme l'adversaire de sa marine. Il s'embarqua donc, suivi d'un
certain nombre de ses partisans, avec l'intention de revenir en Angleterre,
et à peu près assuré qu'il grandirait par son absence. Le
commandant de Calais, gentilhomme gascon, nommé Vauclerc, cherchait un moyen
de se concilier les deux partis : il ferma donc les portes de la ville à
Warwick et fit même tirer sur lui. Mais sachant que la duchesse de Clarence
était accouchée, il lui fit passer en secret des rafraîchissements. Warwick
crut devoir paraître satisfait et s'éloigna avec sa compagnie, non pas,
croit-on, sans avoir été rassuré sir la conduite apparente de Vauclerc. Ce
dernier ne manqua point de se flatter de sa conduite auprès d'Édouard. Le duc
de Bourgogne, qui détestait Warwick, voulut féliciter le commandant ; il
chargea Comines de cette mission et lui fit porter le brevet d'une pension de
mille écus. Warwick
reçut un meilleur accueil à Honfleur, et l'amiral bâtard de Bourbon l'y
assura des bonnes dispositions du roi. Alors passèrent en Normandie, avec
leurs hommes d'armes, Tanneguy du Châtel, Yvon du Fou, Jean de Daillon ; déjà
le maréchal de Rouhaut était sur les lieux ; puis on avisa aux moyens de
réunir des vaisseaux pour mettre Warwick et son gendre en mesure de repasser
en Angleterre. Que
pouvait faire Louis XI qui n'excitât les plaintes ou la susceptibilité des
ducs de Bretagne et de Bourgogne ? Aussi murmurent-ils tout haut de la
protection donnée ainsi par le roi à son héroïque cousine Marguerite d'Anjou,
à Warwick et au duc de Clarence, gagnés à sa cause ; ils entament sur ce
point des récriminations diplomatiques—On aurait dévasté leurs terres, saisi
leurs vaisseaux, vendu les cargaisons étrangères dans les ports français ; et
il y avait eu, disaient-ils, infraction des traités. Cependant
le roi s'étudiait à ne mériter aucun reproche. Il charge maître Bourré et un
autre de ses officiers de finance de rendre ce qui aurait pu être pris sur le
territoire de ses deux vassaux, de payer l'équivalent des pertes subies par
les habitants, et de satisfaire autant que possible les Bourguignons. Il
donne ordre aussi de faire secrètement entrer les vaisseaux de Warwick dans
les baies et rades de la basse Normandie. Ainsi, quand le duc de Bourgogne
fit ses plaintes au roi et à la ville de Rouen, le peu de mal qu'il y avait
eu était réparé ou en voie de l'être, et la réponse fut facile. Le duc
de Bourgogne, en effet, saisit cette occasion d'envoyer à Louis XI maître
Carondelet, son chancelier de Bourgogne, avec deux autres députés, pour lui
exprimer une suite de doléances qui voulaient ressembler à des remontrances.
Le 29 mai, pour y répondre, le roi adressa au duc Guy Pot, bailly de
Vermandois, Guillaume de Courcillon et Jacques Fournier, conseiller au
parlement. Leurs instructions portaient sur chaque grief une réponse sans
réplique. « Il est vrai que le roi a convoqué le ban et l'arrière-ban ; mais
il n'a nullement voulu s'en prendre aux gens de la Bourgogne, il en a même
prévenu les baillis de ces contrées. On parle des craintes et des préparatifs
du duc de Bretagne. On n'a point songé à l'attaquer. Le duc se plaignait du
traité d'Ancenis, on l'a modifié aux Montils ; le roi s'est même montré prêt
à faire un troisième traité, et il a été conclu en avril dernier à Angers.
A-t-il jamais déclaré la guerre à aucun des princes ? Certes il avait assez
de la soutenir quand elle lui a été faite et de se défendre. » Louis
XI se voit aussi obligé de protester sur le titre de doyen des pairs que
s'attribue le duc de Bourgogne ; c'était une nouveauté : « Avant Philippe le
Hardi la dignité de doyenné de la pairie de « France n'était point annexée au
duché de Bourgogne. » « Quels
bruits n'a-t-on pas fait courir ! On a dit que le roi ne retirait son armée
du Rouergue que pour la lancer contre la Bourgogne. Or, il n'a envoyé ses
hommes d'armes en Armagnac que par une évidente nécessité et de l'avis de son
conseil. L'expédition terminée, il a donné ordre à ses soldats de rentrer
dans leurs quartiers. On parle d'alliance entre les ducs de Bourgogne et de Bretagne
faite sous les yeux du roi ; mais ignore-t-on que, d'après les lois
fondamentales et le traité d'Arras, aucune alliance préjudiciable à la
couronne ne peut être faite entre les vassaux, et que le traité de Confins,
détruit d'ailleurs pièce à pièce, est nul comme imposé par la violence ? On
en pourrait bien dire autant de celui de Péronne. Le serment d'observer le
traité d'Arras a été prêté à Saint-Thierry et renouvelé par le duc quand il a
fait hommage au roi pour la Picardie à Saint-Antoine des Champs, et de
nouveau lorsqu'à la mort de son père il est entré en possession des terres et
seigneuries qu'il tient en pairie du royaume. « A
ces considérations si graves se joignent d'autres motifs qui rappellent au
duc l'origine de ses seigneuries du nord par le mariage de l'héritière de
Flandre, procuré à son bisaïeul Philippe le Hardi, et les réserves faites
alors par le roi pour Lille, Douay et Orchies. Il ajoute que le duc est
redevable aux rois de France, dont il est issu, de toute la grandeur de sa
maison. » Pour
répondre à ces instructions ou pour paraître y répliquer, le duc n'eut
d'autre ressource que de s'écarter de la question et de s'emporter ainsi
qu'il advient quand on n'écoute que la passion. Il n'en était point ainsi de
Louis XI ; tant de contrariétés ne pouvaient l'aigrir. Par lettres d'Amboise
du 24 mai 4470, et contresignées de l'évêque de Bayeux, du comte de
Dammartin, de Doriole et d'autres, il se montre très-favorable à plusieurs
nobles de la sénéchaussée de Toulouse. Toutefois Louis ne s'en tient pas là ;
il fait publier à Rouen qu'il veut maintenir la paix avec la Bourgogne ;
qu'il n'a prétendu donner aucun appui à personne contre le duc, ce qui,
d'ailleurs, était fort évident ; que sur toutes les côtes de France il veut
faire rendre aux sujets de Charles de Bourgogne tout ce qu'ils auraient
perdu. Tous
ces ménagements servaient de peu. Le duc, Marguerite d'Yorck, son épouse, et
Isabelle, sa mère, s'entretiennent mutuellement dans leur hostilité contre le
roi. Alors beaucoup de vaisseaux Bourguignons parurent sur les côtes
normandes ; puis, quand il fut certain que le roi eût donné partout des
ordres de restitution, les chefs de la flotte prétendirent n'en vouloir qu'à
Warwick. Ils pouvaient s'arroger ce droit en mer ; il ne leur fut pas permis
d'en user dans les ports de France. Aussi l'amiral français, tout en
recommandant à Warwick de passer en basse Normandie, se montra-t-il énergique
pour faire respecter les droits du roi. Cependant
Louis, qui voulait la paix, charge Bourré, son secrétaire des finances, de
presser le plus doucement possible Warwick de repasser en Angleterre. Le plus
de Français qu'on pourra réunir l'accompagneront. Mais il y a urgence,
puisque « Bourguignons et Bretons n'ont en vue que de rompre la paix sous le
prétexte du séjour de Warwick[19]. » Bourré, seigneur du Plessis,
répond alors que Warwick ne peut être si tôt prêt à partir ; qu'incessamment
le comte et la reine d'Angleterre doivent se voir au Mans, et qu'après cette
entrevue il n'aura plus de raison de demeurer. C'est par erreur qu'on
attribue[20] cette correspondance à l'année
suivante, puisque le 22 juin 1471 Warwick, tué à Barnet, était mort depuis
trois mois. Alors
un événement combla de joie Louis XI et la France. Le 30 juin, à Amboise, la
reine, après plusieurs fausses couches, eut enfin un fils qui devait être
Charles VIII. En cette occasion le roi fit de grands présents à Saint-Pierre
de Rome et à beaucoup d'églises, particulièrement à Notre-Dame du Puy en
Anjou, à laquelle il avait fait vœu d'offrir un enfant en argent s'il avait
un fils. L'héritier du trône fut tenu sur les fonts par le prince de Galles
et par Jeanne de France, duchesse de Bourbon, assistés de l'archevêque de
Lyon. Il y eut partout de grandes réjouissances, et on chanta le Te Deum. Cet
enfant que Louis avait tant espéré et attendu, l'aurait-il délaissé à
Amboise, comme si souvent on l'a dit ? Loin de là ; il en prend le plus grand
soin dans l'enfance comme dans la jeunesse, et lui donne pour gouvernante
Louise de Crussol[21], fille de Géraud Bastet IV dit
sire de Crussol et d'Alix de Lastic, et femme de Pierre Guérin, seigneur de
Tournelle. Il ne fut donc point, livré à des soins mercenaires, mais entouré
de sollicitude, comme on le verra. Pour lui l'institution des postes est
étendue, et plus tard Bourré, seigneur du Plessis, et Étienne de Vesc[22] eurent à diriger son éducation. Après
le baptême, voulant appuyer sans délai la négociation de Chabannes et du sire
de Crussol alors auprès du duc de Bretagne, le roi descendit la Loire jusqu'à
Angers, avec son frère le duc de Guienne et son oncle René d'Anjou. Là
vinrent aussi la reine Marguerite, sa suite peu nombreuse et Warwick ; et le
23 juillet fut célébré dans cette ville le mariage du prince de Galles avec
la seconde fille du redoutable comte. C'est à ce prix sans doute que Warwick
lui donnait tout son appui contre Édouard IV. Certains historiens ont voulu
que le mariage se soit fait à Amboise ; sans doute les conditions du
rapprochement y furent arrêtées, mais la célébration se fit sans éclat à
Angers. Nous en trouvons d'ailleurs la preuve dans une lettre même du roi,
lettre fort curieuse, écrite des Ponts-de-Cé, 25 juillet 1470, à son ami
Bourré, seigneur du Plessis : « Aujourd'hui, dit-il, nous avons fait le
mariage de la reine et de lui. H va partir, Dieu merci et Notre-Dame ! Avons
les scellés de Bretagne, et sommes de tout point amis, M. de Lescun et moi ;
et par ainsi sommes sûrs de ce côté. » Lee juillet, en effet, le duc François
II traita avec Louis XI, et même renvoya au duc de Bourgogne son scellé. Après
le mariage la reine Marguerite, le prince et la princesse de Galles se
retirent à Rasily, tandis que Warwick retourne en Normandie, pour disposer
son départ et son expédition. Le roi, qui désirait avec ardeur le succès de
la maison d'Anjou, n'omettait aucun moyen de seconder ses vues et
d'encourager ses serviteurs. Ainsi, par lettres du 4 août 1470, il rétablit
dans tous ses biens et bénéfices maitre Guillaume de la Barre, prêtre de
Mortagne, par ce motif, « qu'ayant été un serviteur du roi Henri et de
Marguerite, et leur ayant rendu de grands services, Louis XI l'en veut
récompenser ». Le roi reçut encore à Angers, ce même mois, les excuses de Poncet
de la Rivière et de l'écuyer Pierre d'Urfé, qui s'étaient rendus coupables de
félonie ; il leur pardonna « tout ce qu'ils avaient commis contre le royaume
et contre lui[23]. Il les restitua d'abord dans
leur réputation, puis dans tous leurs biens ». Charles,
duc de Guienne, voulant aussi coopérer à la politique de son frère, s'engage
pour lui et ses successeurs, par lettres de 1470, à aider Henri VI à remonter
sur le trône, et à concourir de tout son pouvoir à l'exécution des articles
du mariage convenu entre le prince de Galles et la fille du comte de Warwick,
« son très-cher et très amé cousin ». Mais parmi les conventions faites
alors pour faciliter cette réconciliation il y eut un article remarquable. Le
duc de Clarence ayant épousé déjà une fille de Warwick, il fut dit que le
prince de Galles et ses hoirs mâles seulement succéderaient à la couronne, et
qu'à l'extinction de la ligne masculine de celui-ci, la succession
reviendrait à la branche même féminine du duc de Clarence, ce qui semblait
concilier les intérêts, mais portait atteinte à la constitution anglaise.
Cependant le duc de Clarence vit cette union de mauvais œil ; et dès lors,
secrètement sollicité par Édouard son frère, il lui promit, par un affidé,
d'abandonner Warwick à la première occasion ; indigne perfidie dont un jour
il portera la peine. Le
comte de Warwick dut différer encore pour assurer son entreprise. Bien qu'il
fût pressé par les commissaires du roi, maîtres Bourré et du Châtel, chargés
de lui fournir des fonds, il prit encore un mois environ. Pendant ce temps,
une flotte d'Anglais et de Bourguignons surveillait et inquiétait toutes les
côtes du voisinage ; elle débarqua même des gens de guerre à la Hogue,
descente qui n'eut d'autre résultat que quelques dévastations sur les lieux
et l'incendie de plusieurs maisons. La côte, d'ailleurs, était gardée par de
bons officiers qui ne perdaient pas de vue l'armée navale. On voit même
Tanneguy écrire le 22 août de Valognes, où il était, à maître Bourré, « qu'il
est surpris que du Lude et du Fou ne lui aient pas donné avis de la route
suivie par les ennemis ; et qu'il faut informer Capdorat, qui est à Bayeux,
de se tenir prêt. » La nef
de Coulon, celle de l'amiral et quelques autres beaux navires servirent à
embarquer le duc de Clarence, le comte de Warwick et leurs compagnons. Enfin,
profitant d'une brume épaisse, Warwick partit au commencement de septembre,
et passa sans être aperçu des Anglais ni des Bourguignons. D'ailleurs tout
était prévu. L'amiral de France avait armé et réuni plusieurs vaisseaux à la
Hogue pour protéger le passage de l'expédition. La traversée fut si heureuse,
que l'escadre d'avant-garde, commandée par le bâtard de Fauquemberge, enleva
sur sa route un convoi de quinze ou seize navires marchands qui, conduits à
Dartmouth, furent de bonne prise. Le roi,
plein de sollicitude pour le succès de cette expédition, et dans son désir
d'avoir promptement des nouvelles, se rend d'Amboise, où il était revenu, au
Mont-Saint-Michel en Normandie : on l'y voit, le 28 août, s'empresser, en son
impatience, de gravir au plus haut du rocher, interrogeant du regard
l'horizon. Du Mont-Saint-Michel il parcourt différentes villes de Normandie :
Avranches, où il paye la dette d'un malheureux qu'on ne voulait pas enterrer
en terre sainte pour ce motif ; Saint-Lô, où il donne des éloges et vingt
écus d'or à une femme dont la conduite héroïque avait arrêté les Bretons
trois ans auparavant ; Milly-l'Évêque, Bayeux et autres lieux. Enfin, ayant
été assuré que la descente en Angleterre s'était, heureusement effectuée, il
reprit le chemin de Tours, et arriva au Plessis le 18 septembre. Dès qu'il
fut informé des succès de Warwick, il fit part de cette bonne nouvelle au
prince de Galles, en lui envoyant un présent. Alors, le 14 octobre, le roi
fit publier à son de trompe l'alliance qu'il a faite avec le roi Henri VI, et
il ordonne d'accueillir dans tout le royaume sans sauf-conduit ni autres
sûretés et comme sujets de France tous les Anglais, sauf Édouard, naguère dit
roi d'Angleterre et ses complices. Bientôt une lettre officielle apportait au
roi, avec les remercîments du duc de Clarence et du comte de Warwick, la
certitude que le roi Henri VI avait été délivré le 25 octobre de la prison où
il gémissait depuis le mois d'août 1465. Voici
en peu de mots le récit de cette rapide révolution. Dès qu'ils furent
débarqués, Shrewsbury, fils de Talbot, et Stanley, avec cinq mille hommes, se
joignirent à eux ; d'autres bientôt suivirent cet exemple. A leur appel d'une
levée en masse proclamée contre l'usurpateur Édouard, duc d'Yorck, une foule
d'hommes de seize à soixante ans se présentèrent. Les facteurs de Louis XI,
maîtres Jean de Beaune et Briçonnet, fournirent à Warwick 17.000 écus dont il
avait encore un extrême besoin ; et son armée, quand il arriva auprès
d'Édouard, était de plus de cinquante mille hommes. La
nouvelle de ces événements trouve Édouard à Duncastel, ne songeant, selon son
habitude, qu'à bien vivre et à se divertir. Parmi ses intimes favoris étaient
non-seulement Richard de Glocester, son frère, le comte de Rivers, frère de
la reine, et le comte de Northumberland, mais encore le comte de Hastings,
beau-frère de Warwick, le marquis de Mont aigu et l'archevêque d'Yorck, tous
deux frères du même chef. Il poussa le dédain de toute prudence jusqu'à
confier à Montaigu son avant-garde : dès qu'il fut proche celui-ci passa du
côté de Warwick, son frère, avec tous les siens ; et tous crièrent : vive le
roi Henri ! Édouard n'eut d'autre ressource que de se sauver au plus vite, et
s'estima heureux de trouver à Lynn deux vaisseaux hollandais et un anglais :
il s'y embarqua, partit et aborda en assez triste équipage à Alarme, n'ayant
avec lui que ses principaux serviteurs et six cents hommes environ. Le sire
de la Gruthuse, qui se trouvait là par hasard, le reçut et le conduisit à la
Haye, où il arriva le 91 octobre. H a donc ainsi recours au duc de Bourgogne,
son beau-frère, qui lui fit donner cinq cents écus d'or ou six cents florins
par mois. Ce roi fugitif devenait un grand embarras pour le duc Charles ;
aussi, dans la crainte de s'attirer le courroux des Anglais, défendit-il
publiquement que nul n'allât à son aide, tout en lui faisant passer cinquante
mille florins d'or ! L'heureux
succès de cette entreprise devait charmer la cour de France : toutefois la
guerre avec le duc de Bourgogne en pouvait être la conséquence. Le départ
même de l'expédition n'avait-il pas été cause de quelques hostilités :et
d'explications pleines d'amertume ? Le duc Charles, loin d'être bienveillant
pour les Français qui trafiquaient en ses États, avait fait saisir, en
plusieurs villes, les effets et marchandises appartenant aux négociants de
France. Louis XI, pour protéger les intérêts de ses sujets, appelle auprès de
lui deux des plus notables marchands des villes importantes du royaume ; il
leur explique les circonstances politiques et la conduite du duc de Bourgogne
à l'égard du commerce français. Tous jugèrent qu'il y avait lieu de
s'abstenir d'aller aux foires d'Anvers, et le 8 octobre défense fut faite à
taus sujets du roi de vendre ni acheter aucunes marchandises dans les pays du
duc de Bourgogne. Le mois suivant, 10 novembre, pour y suppléer, le roi
établit à Caen deux foires de quinze jours chacune ; l'une en l'octave de la
Pentecôte, et l'autre le mercredi après le 8 septembre. Il y accordait
non-seulement le cours libre des monnaies, mais encore tous les privilèges
qu'on pouvait donner au commerce ; proclamant dans cette ordonnance que « le
commerce est l'une des principales choses et des plus nécessaires, sans
lesquelles il n'est pays, nation, ni province qui se puisse bien entretenir,
ni pourvoir à ses nécessités » ; motif supérieur à celui de justes
représailles. Mais le
duc accentuait de plusieurs façons son inimitié contre le roi. Le traité
d'Arras avait cédé le Mâconnais à la maison de Bourgogne, avec certaines
réserves, disait le roi ; d'une manière absolue soutenait le duc. Là était un
grave sujet de différend. Sans cette belle province, on le conçoit, les
communications étaient difficiles avec Lyon et le Dauphiné. D'un autre côté,
le duc voyait souvent ses serviteurs déserter son service et en gardait un
profond ressentiment. Alors, en effet, Jean de Châlons, seigneur d'Argueil,
le quitta et vint en France, où il fut bien reçu du roi. Dans son dépit le
duc Charles avait d'abord fait publier « défense au sire d'Argueil
d'entrer jamais dans ses pays, et à ses sujets d'avoir aucun commerce avec
lui, même par lettres » ; mais il ne s'en tint pas aux menaces : il fit
raser toutes les places.et châteaux que Jean de Châlons possédait en ses
terres. Enfin, ne gardant nulle mesure, il défendit par cri public « que
personne ne reçût de lettres du roi, ni de ses gens ou adhérents, sous peine
de confiscation de corps et de biens ». Certes
ces procédés étaient bien offensants : tout cela dépassait de beaucoup la
limite des pouvoirs d'un seigneur à l'égard d'un suzerain, et portait le
caractère d'une indépendance souveraine et vaniteuse. Le roi ne manquait pas
de légistes pour le lui dire ; mais, au lieu de répliquer, il met le temps à
profit. Il venait de conclure, le 13 août, une ligue offensive et défensive
avec les cantons suisses. Ceux-ci renonçaient à l'alliance du duc de
Bourgogne, et, dans le cas où ils seraient attaqués, il y avait promesse
réciproque de s'assister. Louis confirma ce traité le 23 septembre, et fit
dire par le sire de Montreuil au duc de Milan de ne point recevoir Philippe,
monsieur de Savoie, ni Antoine du Lau, ni ceux qui l'iraient trouver de leur
part ; enfin, par le sire de la Barde, sénéchal du Limousin, il se plaint au
comte de Foix du peu d'assistance donnée par lui à l'expédition de Chabannes
en Armagnac. Ce seigneur donne pour excuse ses affaires en Navarre, où il n'a
reçu aucun secours du roi, et objecte encore la protection accordée au comte
de Viane, dont ni lui ni son épouse n'ont lieu d'être satisfaits ; du reste
il proteste de son désir et bon vouloir de servir le roi. Louis
appréciait à sa juste valeur la prospérité qui lui était donnée, et, mû d'un
nouveau sentiment de dévotion, il va prier à Notre-Darne de Selles en Poitou.
Peu de jours après, étant revenu à Amboise, il y ordonne des processions et
actions de grâce pour remercier Dieu de l'heureuse naissance du dauphin et
des succès de Marguerite d'Anjou. Ces prières publiques furent solennellement
célébrées en toute la France pendant trois jours du mois de novembre[24]. Pendant
ce temps, le roi avait appelé auprès de lui le grand maître de son hôtel,
comte de Dammartin, pour avoir son avis sur l'urgence des mesures à prendre «
après un mandement comme « celui du duc de Bourgogne, qui, dit-il, veut faire
le roi dans le « royaume de France a. Le 3 novembre, dans un grand conseil,
il explique donc tous ses griefs vis-à-vis du duc de Bourgogne ; le 13, il
envoie en Angleterre une 'nombreuse ambassade, où figurent au premier rang
Louis d'Harcourt, évêque de Bayeux ; Tanneguy du Châtel, gouverneur du
Roussillon ; Guillaume de Meny-Peny, seigneur de Concressault ; Ivon du Fou,
et Guillaume Cerisay, ayant pouvoir de conclure avec Henri VI une ligue
offensive et défensive ; et le 28 il publie une promesse de dévouement,
que lui avait donnée le jeune prince de Galles, et qui impliquait une
réciprocité toute naturelle. Le duc
de Bourgogne n'ignorait rien de ce qui se passait, et prenait aussi ses
dispositions : il défendait tout commerce avec la France, et faisait lever
par le bailli de l'Auxois douze cents lances et des archers en proportion. il
se mettait en sûreté contre les Anglais d'Henri VI, tout en recommandant à
ses officiers de ne rien tenter contre Calais et publiant son désir de garder
les trêves qui existaient entre Anglais et Bourguignons. Il n'était point en
parfaite assurance de ce côté ; aussi proteste-t-il qu'il ne s'est point mêlé
des querelles d'Angleterre. Il s'avise même d'écrire une lettre collective
aux Anglais le 9 octobre ; Comines la porta au député Venlock. Le duc y
demande le maintien du traité de commerce ; « il rappelle à la nation
qu'il est du sang de Lancastre et ainsi très-affectionné à la couronne
d'Angleterre : d'ailleurs il ne s'est allié à Édouard que depuis qu'il a été
roi, et son traité avec lui est spécialement commercial. Étant donc parent du
roi Henri, il ne peut qu'être l'ami de ceux qui lui sont fidèles, et il se
dit aussi bon Anglais que qui que ce soit. S'il lève des hommes ce n'est que
pour sa propre défense, et il prie sire Venlock de donner au sire de Comines,
son envoyé, des lettres de sûreté. » Ainsi, tout en donnant asile à Édouard,
le duc n'omettait rien pour ménager les partisans de la rose rouge, tant il
redoutait le mécontentement de ses provinces du nord qui tiraient leur
fortune de leur négoce avec l'Angleterre. Enfin
il finit par sommer les ducs de Bretagne et d'Anjou à l'assister en vertu des
traités de Confins et de Péronne. Selon lui, il avait toujours observé ces
traités, tandis que le roi les violait en s'emparant, par l'entremise de
Guillaume de Corbie, président du parlement, et sans l'appeler pour être
entendu, des prévôtés de Vimeu, Fouloy et Beauvaisis. Par une lettre du 6
décembre il porte directement ses plaintes au parlement, rappelant aux
seigneurs de cette cour que lorsqu'il se plaignit de la protection donnée au
duc de Clarence et au comte de Warwick, il lui fut répondu' que le roi ne
voulait rien faire de contraire au traité de Péronne ; que cependant il y
contrevenait par la prise de possession ci-dessus signalée. Le roi,
de son côté, ne manquait pas de griefs et d'occasions pour les produire. Soit
dans ses conférences avec Odet d'Aydie, conseiller de Bretagne, soit par les
ambassadeurs Guy, évêque de Langres, Louis de Crussol, sénéchal de Poitou,
Pierre Doriole et le président Boulanger, envoyés à François II, il eut bien
des occasions de montrer que tandis qu'il observait lui-même le traité de
Péronne, Charles de Bourgogne y contrevenait de toutes façons. Il
n'avait point rendu à ses sujets de France les biens qu'il leur avait pris,
ni livré au roi les scellés promis ; il ne lui a point rendu hommage de son
duché de Bourgogne ni des seigneuries qu'il tient de la couronne de France ;
il empêchait tous les jours les appellations à la justice royale d'avoir
cours, et faisait maltraiter les officiers du roi qui allaient exploiter sur
ses terres. N'a-t-il pas voulu retenir le roi prisonnier, et ne l'aurait-il
pas fait, s'il avait pu s'assurer en même temps du duc de Guienne ?
N'était-il pas d'accord avec le comte d'Armagnac de favoriser une descente
des Anglais près de Bordeaux ? S'il le nie on a des lettres qui le prouvent,
et quand il se dit si bon Anglais, il fait sans doute allusion à cette
complicité hostile à la France. N'a-t-il pas confisqué à son profit, sans
cause ni forme de justice, pour plus de 700.000 écus de marchandises
appartenant aux sujets du roi ? D'ailleurs il est notoire qu'il a fait
prendre plusieurs commerçants de France et qu'il les a tenus dans ses prisons
; qu'à d'autres il a donné des sauf-conduits, comme s'ils eussent été
ennemis, et qu'il les a préalablement forcés de lui prêter serment ; qu'il
donne retraite à Édouard de la Marche ; qu'il n'a songé et ne songe enfin
qu'à perdre le roi et le royaume de France, autant qu'il peut. Une chose pire
encore : n'avait-il pas envoyé un homme supposé s'offrir à Louis pour tuer le
duc, afin de pouvoir diffamer le roi dans le monde, s'il lui était arrivé
d'écouter une pareille proposition ?' Contre tant d'énormités recevant des
plaintes de tous côtés, il est de son devoir d'y mettre ordre. » Il
résultait de cet état de choses que ni le duc de Bretagne ni, aucun prince du
sang ne se pouvaient dispenser de servir le roi contre le duc de Bourgogne.
Nul n'ignorait, en effet, le piège de Péronne ; l'homme supposé, le génevois
Jean Roes, émissaire de Hagenbach et du duc, était sous les verrous. On
l'avait saisi à Amboise alors qu'il faisait au roi ses premières
propositions, et ayant été envoyé à Paris pour s'expliquer devant la justice,
il avait tout avoué. Alors aussi Édouard d'Yorck était auprès du duc Charles. Vers ce
temps on fit grand bruit d'un fait qui n'eut point le caractère qu'on lui
donna. Ainsi qu'il arrivait souvent, les sires Jean de Chassa, Jean d'Arçon
et autres étaient passés du service du duc à celui du roi ; Baudoin, bâtard
de Bourgogne, se joignit à eux. Charles, que ces défections irritaient ; fit
d'inutiles efforts pour faire revenir le bâtard : alors d'Hesdin, le 13
décembre, il publia hautement qu'avec Jean de Chassa, Baudoin et d'autres
ingrats avaient formé une conspiration pour attenter à ses jours. Ceux qu'on
accusait ainsi, profondément blessés, répondirent à cette inculpation, le 30
décembre, par deux manifestes où ils démontrèrent que le duc, au contraire,
avait voulu se servir d'eux pour commettre d'exécrables attentats. Le duc ne
recueillit donc que de la confusion de cette accusation toute dénuée de
preuves. Selon
son désir de marcher avec l'opinion, Louis XI tint, le 3 décembre, une
assemblée des hommes les plus sages et les plus expérimentés de son royaume,
qu'on peut appeler réunion de ses plus notables conseillers, et qu'il ne faut
pas confondre[25] avec l'assemblée des Wols états
tenue à Tours en avril 1468. « Celle-ci ne se fit point par députation »
; le roi y appela ceux qu'il crut être les plus habiles. Elle fut
très-nombreuse ; on y vit beaucoup de conseillers du parlement, des
commerçants et de simples bourgeois. Leur ayant expliqué ses griefs contre le
duc de Bourgogne, il pria l'assemblée de lui dire, « s'il était en droit de
déclarer la guerre au duc, et si les princes ne sont pas obligés de le servir
de préférence à son adversaire ». La réponse unanime fut que ceux qui avaient
auparavant donné leurs scellés au duc de Bourgogne, tels que les ducs
d'Anjou, de Guienne et de Bretagne, ne sauraient être tenus de garder leurs
promesses ; qu'enfin le roi, pour défendre ses sujets et maintenir les lois,
était obligé, par devoir, de faire la guerre au duc de Bourgogne. Ainsi cette
assemblée, développant la pensée des états précédents, déclare le roi
affranchi du traité de Péronne imposé par la violence, aussi bien qu'il
l'avait été de celui de Conflans, et prononce la confiscation des terres du
duc, à cause des troubles qu'il ne cesse d'exciter en France. Le duc
de Bourgogne était donc seul contre tous : il avait même en perspective un
roi détrôné à soutenir. Au lieu de l'accabler sur-le-champ, Louis XI écrit à
Dammartin, qu'il venait de nommer le 8 décembre son lieutenant général en
Beauvaisis, de ne point commencer les hostilités ni aigrir les choses, mais
surtout de gagner le plus de monde qu'il pourra. Il mande en même temps à son
autre lieutenant Gilbert de Bourbon-Montpensier que, pour profiter du
mécontentement des peuples soumis au duc et gardant grande affection à la
France, il fait partir le lendemain le connétable et le maréchal Joachim
Rouhaut pour les marches de Picardie, afin d'attirer à lui, autant que
possible, les villes et les sujets qui subissent à regret le joug
bourguignon. Ces soumissions volontaires, dût-il en coûter quelque chose,
étaient mieux de son goût que les conquêtes dues à la guerre. C'est
encore dans ce but que, désirant surtout rapatrier le comté d'Auxerre, il y
envoya en députation Christophe Paillard, de la cour des comptes, et Jacques
Hesselin, contrôleur du grenier de Paris. Ils furent atermoyés, et n'en
rapportèrent qu'un refus, absolu, pour avoir mis trop peu de mesure en cette
négociation. Le roi, comme on le conçoit, en fut très-mécontent. Rien ne
marque mieux la situation de Louis à ce moment que la lettre confidentielle
qu'il écrit d'Amboise, le 13 décembre 1470, à son ami Bourré. « Son frère de
Guienne, dit-il, s'en est allé la veille bien content. Aussi la reine
d'Angleterre et madame Warwick s'en iront. Le connétable et le maréchal
Joachim partiront le lendemain ou samedi. Informez-moi de tout ce qui vous
surviendra ; faites surveiller ceux d'Auxerre, et vous en allez à Beauvais,
car monsieur de Torcy s'en ira demain. » Le duc
de Guienne, en effet, était parti satisfait du roi son frère. Telle était du
moins l'apparence. On s'aperçut promptement qu'il ne fallait pas s'y fier ;
car Louis XI apprit bientôt que, malgré les serments les plus solennels,
non-seulement son frère persistait en des projets d'alliance impossible à
admettre, mais encore qu'il travaillait secrètement à se faire relever de ses
promesses par le Saint-Père. Le roi eut alors recours au zèle de ses fidèles
alliés d'Italie, et, s'adressant à Laurent de Médicis dit le Magnifique, il
le pria d'user de son influence auprès de Sa Sainteté sur ce point délicat[26]. En cette mission et en
d'autres les Médicis servirent le roi, et leur union avec la France n'en fut
que resserrée. Louis
n'avait cependant pas abandonné pour son frère ses projets de mariage en
Espagne. Depuis l'union d'Isabelle et de Ferdinand d'Aragon, le roi songeait
à Jeanne de Castille, fille du roi Henri IV. De, cette nouvelle ambassade
furent le cardinal d'Alby, le sire d'Estouteville, de Torcy, maître des
arbalétriers, et Olivier Le Roux, maître des requêtes. Ils partirent avec une
lettre du roi du 5 octobre, et leur suite était de cent chevaux, dit-on. Ils
s'adressèrent à Jean Pacheco, marquis de Villena, grand maitre de l'ordre de
Saint-Jacques, à qui ils apportaient, de la part du roi, la promesse « de
tout secours et assistance à l'encontre de ceux qui les voudraient inquiéter
au sujet de ce mariage ». Le duc de Guienne avait même donné ses pouvoirs au
comte de Boulogne pour épouser la princesse en son nom, et Henri IV acceptait
aussi volontiers ce projet de mariage avec sa fille que pour sa sœur auparavant. Il reçut donc le cardinal d'Alby à la porte du château de Medina-del-Campo et fit
rendre de grands honneurs à la députation. Alors, dit-on, le prélat français, croyant ainsi faire sa cour
au roi, se montra peu respectueux envers la princesse Isabelle, et dans ce
pays, si sévère sur l'étiquette, ce procédé fut remarqué. Henri
IV chargea sur-le-champ le marquis de Villena, l'archevêque de Séville et
l'évêque de Siguença de conférer et traiter avec les ambassadeurs de Louis
XI. On songeait à assurer la succession du trône à Jeanne, dont la naissance
était contestée. Le vendredi 26 octobre la reine et sa fille se trouvèrent
avec les députés à un village dit le Champ de Saint-Jacques, près Bultrago.
Le roi et la reine avaient une cour également nombreuse : selon l'usage on
baisa la main de la reine et de sa fille ; ensuite le licencié de
Ciudad-Rodrigo lut à haute voix un manifeste contenant les sujets de
mécontentement que le roi Henri avait de sa sœur Isabelle, et l'annulation de
ce qu'il avait consenti aux cortès de Guisendo, où Isabelle avait été
reconnue héritière des royaumes de Castille et de Léon. Après un long exposé
des motifs de cette décision le roi et la reine jurèrent que la princesse
Jeanne était véritablement leur fille : enfin le cardinal lut une bulle du
pape Paul II, absolvant tous ceux qui avaient prêté serment à Isabelle ;
alors tous les seigneurs présents jurèrent qu'ils reconnaissaient pour
princesse, Jeanne, fille légitime du roi et de la reine, et n'en
reconnaîtraient pas d'autres. Immédiatement on célébra les fiançailles. Mais le
parti d'Isabelle pouvait encore devenir redoutable, et on le savait nombreux
: or il se fortifia encore par la réconciliation de l'archevêque de Tolède
avec cette princesse et Ferdinand son époux, et personne n'ignorait qu'un
acte juré devant les cortès assemblés ne s'annulait pas facilement. On
s'attendait si bien à trouver de la résistance que le protonotaire, don Louis
Gonzalès, chancelier de la princesse Jeanne, eut ordre de la part de Henri
1V, tout en portant à Louis XI des lettres d'acquiescement et de
félicitation, de lui demander que le duc de Guienne passât en Castille avec
une armée afin de réduire les opposants qu'on appelait Aragonais. Aucunes
paroles flatteuses n'étaient épargnées pour hâter l'arrivée du prince, et les
plus séduisantes promesses s'y joignaient. Mais
Louis XI avait alors à s'occuper de la guerre de Bourgogne et des affaires
d'Angleterre. D'ailleurs il commençait à entrevoir combien cette alliance
espagnole pouvait apporter de difficultés, et il redoutait avec raison cette
immixtion dans le principe de succession de nos voisins. Le duc de Guienne
lui-même s'en souciait-peu. A cette occasion cependant il célébra un tournoi
à Libourne vers la fin de novembre. Le prince de Viane, Gaston Phœbus, son
beau-frère, y vint avec grand nombre de gentilshommes, et gagna le prix :
noble vaillance qui lui coûtait cher, car blessé d'un éclat de lance, il en
mourut peu de jours après, alors qu'on le croyait guéri. Il y eut de longs
débats pour la tutelle de ses deux enfants, François Phœbus et Catherine de
Foix. Madeleine de France, leur mère, fut par Louis XI, son frère, déclarée
tutrice, et il se fit remettre la place de Foix pour la garder au nom des
enfants. Vers le
même temps, 16 décembre, la France perdit aussi en Espagne un puissant
auxiliaire. Le duc Jean de Calabre, l'un des meilleurs capitaines de cette
époque, mourut à Barcelone, à l'âge de quarante-cinq ans. Il venait de
remporter une victoire sur Jean II, et il semblait à la veille de soumettre
la Catalogne. De Marie de Bourbon, son épouse, il laissait unes, Nicolas de
Lorraine, marquis du Pont, fiancé, comme on sait, à Anne de France. Certains
historiens remarquent que le bonheur manqua toujours à cette maison. Sans
contester ce fait, disons aussi que leur défaut de prudence et de sagesse y
contribua beaucoup. N'était-ce rien déjà que d'être duc d'Anjou, de Bar et de
Lorraine, comte du Maine et de Provence, et roi des Deux-Siciles ? A qui s'en
prendre s'ils engagent des luttes inégales comme celle de Bullegnéville ; si,
appelés à un trône, ils s'attardent en plaisirs et en festins, laissant ainsi
le champ libre à leur adversaire ? Pourquoi participer à la conjuration dite
du bien public et flotter indécis entre le roi de France et ses ennemis ?
Souvent ainsi, pour n'avoir pas su mesurer ses forces, on s'en prend à la
fortune de ses propres fautes[27]. Alors Henri VI étant rétabli sur le trône d'Angleterre, Louis XI lui avait envoyé, dès le 13 novembre, une grande ambassade pour porter à ce prince infortuné ses félicitations. Rien ne retenait plus en France la reine Marguerite, la duchesse de Warwick, le prince et la princesse de Galles et autres dames de leur suite. Cette femme héroïque, à qui tant d'épreuves étaient encore réservées, traversa donc Paris avec tous les siens à son retour en Angleterre. L'évêque de Paris, les comtes d'Eu, de Vendôme et de Dunois II, les grands corps du parlement, des comptes, de l'université et du Châtelet les accueillirent et félicitèrent. Tout semblait leur sourire, et les Parisiens croyaient fêter un triomphe 1 Henri VI n'avait-il pas promulgué des actes royaux et ne les invitait-il pas à venir le rejoindre ? Mais, malgré ces brillantes espérances, cette famille devait rester dans l'histoire comme un exemple de l'instabilité da choses humaines. |
[1]
Collection Gachard.
[2]
Belleforest, t. II, p. 29.
[3]
Pastoret, Trésor des Chartes, registre 195e.
[4]
Jean de Troyes.
[5]
Pièces de Legrand.
[6]
Biographie Michaud.
[7]
De Cherrier.
[8]
Ms. fonds Gaignières n° 772, f° 699.
[9]
Sauval, t. III, p. 428.
[10]
Barante, t. XII, p. 177.
[11]
De Bargemont, Histoire du roi René, t. III, p. 32.
[12]
Monstrant regibus astra viam.
[13]
Legrand, l. XII, p. 49.
[14]
Legrand.
[15]
Pièces de Legrand.
[16]
Jean de Troyes.
[17]
Legrand.
[18]
Michelet, t. VI.
[19]
Lettre du 22 juin.
[20]
Duclos.
[21]
Père Anselme.
[22]
De Cherrier.
[23]
Comines, t. II, ch. XIV.
[24]
Jean de Troyes.
[25]
Legrand, t. XIII, p. 80.
[26]
Saint-Michel-sur Loire, 10 août 1470.
[27]
Quid valeant humeri, qui ! ferre recusent.