États de Rouen et
entrée du roi. — Ses instructions au sire de Craon. Enquêtes sur le comte
d'Armagnac, le comte du Maine, Charles de Melun et autres. — Négociations
nouvelles avec la Bretagne. — Nouvelle alliance de François II et de Charles
de France. — Démêlés avec le comte de Charolais. — Trêve renouvelée avec
l'Angleterre. — Sac de Dinant. — Conseil des trente-six. — Lettres et
réponses hautaines du comte de Charolais. — Clémence du roi en faveur des
sires d'Albret. — Jean de Calabre en Catalogne. — Nouvelle ligue contre le
roi. — Négociations avec Warwick et l'Angleterre. — Mort du duc Philippe.
Les
états de Normandie s'étant assemblés le 6 février à Rouen, le roi y fit son
entrée le 7, au milieu de l'allégresse générale. Il commença par en chasser
le haut doyen et six chanoines, avec défense de rentrer dans la province,
pour avoir pris part, parait-il, à la trahison qui avait introduit les
troupes des princes dans la ville. A cette nouvelle Thomas Bazin, non rassuré
par les abolitions dont son frère même avait profité, s'en alla se fixer à
Louvain, dans les États de Bourgogne, et désormais ne prit la la plume que
pour écrire contre le roi. Le jour
même de son arrivée, Louis fit prendre à la chambre des comptes une copie
exacte de la déclaration de Charles V portant que « Louis, duc d'Orléans
son fils, et alors frère unique du dauphin, n'aurait pour apanage que 12.000
livres de rente en fonds de terre, avec titre de comté, et 40.000 livres en
argent. » Muni de cette pièce officielle, et forcé de répondre aux
observations réitérées du comte de Charolais, surtout aux plaintes récentes
exprimées par Philippe de Crèvecœur, Guyot d'Usie et maître Guillaume
Hugonet, certain d'ailleurs d'être soutenu par l'assemblée des états de la
province, il envoie en Bourgogne une députation que préside Georges de la
Trémouille, sire de Craon, gouverneur de Touraine. D'après les instructions
reçues du roi, on doit remercier le comte de ses ambassades, lesquelles ont
été ouïes avec attention en tout ce qu'elles avaient à représenter touchant
l'exécution du traité. « Les
députés doivent expliquer en détail tout le soin mis par le roi pour traiter
à l'amiable cette délicate affaire de la Normandie, et attribuer
l'impossibilité d'une solution au désir excessif dont ce jeune prince était
po3sédé d'avoir un titre non disponible. Ils remonteront à l'origine. Que n'a
pas fait Louis XI pour son frère depuis son avènement encore récent ? Ne lui
a-t-il donné, tout jeune qu'il était, ce bel apanage du Berry et des rentes
qui dépassaient même les limites tracées officiellement par le sage Charles V
à l'égard du duc d'Orléans, frère unique de Charles VI ? Que ne lui avait-il
pas promis s'il servait la France et le roi comme il aurait dû le faire !
Ils rappelleront son évasion au mépris de tant de protestations de fidélité,
et les offres qu'il a follement repoussées, malgré l'avis des princes
eux-mêmes. « Mais
la Normandie est une des clefs de la France ! elle supporte le tiers des
charges de tout le royaume ! Les défenses de l'aliéner ont été formellement
édictées par Charles V, et récemment même par Charles VII. Qu'on se reporte à
Charles V : voyant que Philippe, duc d'Orléans, son oncle, frère unique du
feu roi Jean, avait un apanage trop considérable, il prit l'avis des princes
et des notables, il le décida à y renoncer, et celui-ci se contenta d'un
beaucoup moindre. Aux yeux du roi ces exemples sont pleins d'autorité, et il
ne peut mieux faire que de les suivre. « D'ailleurs
il devait croire son frère plus raisonnable. Lorsqu'il était à Orléans,
Paviot, maître d'hôtel de Monsieur, vint lui dire de la part du prince que la
Normandie était pour lui et son état de santé « un trop lourd fardeau,
qu'il accepterait volontiers un autre apanage ». Il avait donc envoyé
immédiatement à Dreux auprès de son frère, pour en conférer avec le duc de
Bourbon, le chancelier, le grand-maître, le bâtard de Bourbon et Cousinot.
Après leur avoir dit qu'ils étaient les bienvenus à leur arrivée à Évreux,
Jean de Loraine, à leur grand étonnement, avait refusé de les recevoir dans
la ville. Leur surprise augmenta quand ils surent que les troupes normandes
marchaient de tous côtés et qu'on avait mis garnison dans Louviers. « Alors
le roi, informé des sympathies des populations pour la France, entra dans le
pays ; et à la prière du duc de Bretagne, il s'avança jusqu'à Caen pour en
délibérer, surtout Monsieur ayant envoyé au duc François son chambellan, sire
de Malicorne, pour manifester encore le désir d'un autre apanage et réclamer
l'intervention du duc. Dans tout le pays le roi trouva soumission et respect,
comme on le doit à un souverain légitime. Ainsi en fut-il à Caen, à Neufbourg
et à Louviers. Le sire de Malicorne promit au roi de lui rendre le Pont-de
l'Arche le 2 janvier. Le 3, Monsieur, changeant d'avis, demanda que cette
place fût remise au maréchal de Lohéac qui la tiendrait pour le duc de
Bretagne. Telles n'étaient point les conventions ; le roi en fit donc le siège. « Là,
le roi reçut les députés de Bretagne ; et par eux Monsieur demandait que
l'affaire de l'apanage fût décidée par les ducs de Bretagne et de Bourbon.
Tout fut accordé ; on dut se réunir à Honfleur : mais le duc n'eut pas plus
tôt quitté Rouen que la ville se rendit au roi. Les conférences de Honfleur
se trouvèrent ainsi rompues, et le roi ayant appris à Pont-Audemer que son
frère était à Caen avec le duc de Bretagne, il y envoya donc le duc de
Bourbon, l'évêque d'Évreux et l'amiral, avec mission d'apaiser Charles de
France, et de le satisfaire s'il était possible. » Cet
exposé des faits dut persuader le comte de Charolais que si aucun des moyens
de conciliation n'avait réussi, toute la faute n'en était pas au roi. Louis
XI espérait encore que l'affaire prendrait une tournure pacifique. Pour
montrer sa confiance à ce sujet, il révoqua l'ordre qu'il avait donné pour
une recrue de lances, et envoya ses francs-archers en congé jusqu'au mois de
mars. Au surplus, comme il ne faisait nulle dépense qui ne fût indispensable
à la bonne administration du pays, il n'endurait qu'avec peine les
remontrances sur ce point : aussi, lui parlait-on d'un projet financier,
il répondait aussitôt qu'il en conférerait avec Guillaume Varie et maitre
Bourré, l'un général, l'autre contrôleur des finances. De toutes les raisons
ainsi exposées, la meilleure était la volonté de rester française exprimée
par les états de la province et le droit qu'elle en avait. Avant
de quitter Rouen Louis pourvut aux principaux offices du duché. Vers ce
temps, ayant appris qu'il s'ourdissait encore quelques trames dans le midi
entre le duc de Nemours, le comte d'Armagnac et le sire d'Albret, il s'étonne
de n'en point recevoir avis du gouverneur de Guienne. Avec raison il tenait
l'œil ouvert sur ceux qui l'année précédente l'avaient combattu et dont les
ambitions n'étaient qu'à moitié satisfaites par le traité de Confins. « Maréchal,
écrit-il au comte de Cominges, je ne puis être partout, j'ai besoin d'hommes
qui fassent pour moi au pays de par-delà comme si j'y étais. Si ainsi est que
vous ne puissiez faire, déchargez-vous de l'office que vous y avez, et j'y
mettrai aucun de mes parents qui y portera remède. » Le comte d'Armagnac
avait toujours, disait-on, ses troupes sur pied et ses gens commettaient dans
le pays des actes répréhensibles, même des violences : on ajoutait que les
officiers royaux éprouvaient là toutes sortes de difficultés à remplir leurs
devoirs financiers ou autres. Le roi résolut de s'en expliquer nettement avec
le comte d'Armagnac, et à cette fin, il lui envoya le sire de
Clermont-Lodève, lieutenant du comte du Maine en Languedoc. Celui-ci, le 28
mai, alla d'abord à Rodez auprès du comte soupçonné, et de là fut s'entendre
à Villefranche avec le maréchal de Cominges. Après avoir consulté sur cette
affaire les sénéchaux de Quercy et de Rouergue, le samedi, 31 mai, le
commissaire du roi retourna à Rodez pour y prendre la réponse du comte
touchant l'enquête qu'il avait faite. Telles sont en substance les réponses
du comte d'Armagnac au roi. Sur le
premier chef : « Le roi lui avait dit de tenir ses troupes prêtes à
marcher vers Bordeaux au moindre signe du maréchal : il les a donc retenues ;
et pour que ses gens ne courussent pas la campagne, il les a logés dans les
villes du Rouergue sans vêtements de guerre. Il n'a fait aucune levée depuis
son retour de Paris. Si de la part des siens quelques méfaits lui étaient
signalés, il en ferait prompte justice. Sur le second point, si dans les pays
de son obéissance les officiers du roi ont éprouvé quelques difficultés,
c'est à son insu et contre son gré ; son intention étant au contraire que,
dans ses terres et seigneuries, le roi soit ponctuellement obéi, et que ce
que lui est dû soit régulièrement payé ; à moins que pour tout ou partie il
n'en ait fait don. « Le
comte demande aussi que sa soumission ne préjudicie en rien à ses vassaux,
qu'ils jouissent de l'abolition qui lui a été accordée ; que si quelques-uns
sont encore retenus prisonniers ou leurs biens confisqués, il plaise au roi
de les mettre en liberté et donner mainlevée des biens saisis : que, par
exemple, les sieurs de Puycornet et de Boissières, arrêtés par le sénéchal du
Quercy, jouissent du bienfait de l'abolition. » Le commissaire ayant appuyé
ces demandes, le roi se montra complètement satisfait, et le 9 octobre
suivant ordonne au parlement de Toulouse de faire jouir le comte d'Armagnac
de tous les avantages de la paix et de lui rendre plusieurs paroisses qui lui
étaient retenues depuis 1443. Étant
éclairci sur ce point, Louis XI poursuivit ses enquêtes. Il cherchait à
pénétrer les secrets de la conspiration qui l'avait si étroitement entouré et
à connaître ses vrais serviteurs. Toua les jours il apprenait de nouvelles
intrigues et entrevoyait, même dans sa famille, bien des perfidies habilement
dissimulées. Alors en effet « pour aucunes causes qui murent le roi, le
gouvernement du Languedoc fut ôté au comte du Maine et donné au duc de
Bourbon ». Depuis
environ un an Louis XI avait d'assez graves sujets de plaintes contre son
oncle : ses soupçons s'étaient confirmés par ses observations et aussi par
les confidences des princes ralliés à la couronne après la paix ; peut-être
même par les menaces déguisées du duc de Nemours, gendre de son oncle. Aussi
le comte ayant un jour, dans une occasion, certifié au roi que « toute la
maison d'Anjou saurait, s'il était nécessaire, mourir pour son service, »
Louis XI lui fit-il doucement apercevoir qu'il courait certains bruits dont
il était affligé. Il en résulta de la part du comte, comme on sait, une
protestation des plus accentuées. Cependant, peu après, le roi lui envoya le
sire de Valpergue pour lui dire en confidence qu'on l'accusait d'avoir pensé
à livrer aux ennemis le Languedoc, Paris et le roi lui-même, et d'avoir donné
son scellé au duc de Nemours. A ces
allégations, qu'il taxait de faussetés, le comte du Maine avait répondu par
des lettres pleines des plus grandes assurances de son dévouement ; puis,
pour se justifier de ce qu'il disait être d'énormes calomnies, il lui envoya
un homme de confiance que le roi retint plus d'un mois. Enfin, informé que
Louis XI songeait à lui retirer sa compagnie de cent lances, et ne paraissait
pas convaincu par ses dénégations, il lui expédia, le 23 février, son fils
naturel, le bâtard du Maine, avec des instructions qui résumaient sa défense. Ses
réponses sont générales et peu précises. Ainsi, affirme-t-il qu'il n'a point
donné son scellé aux princes ? Il n'ose, et dit simplement « qu'il ne
croit pas avoir jamais fait chose capable de rendre sa fidélité suspecte ».
Il ajoute que lui ôter sa compagnie d'ordonnance ce serait accréditer tant de
mauvais propos. Peu de chose fut répondu au bâtard du Maine. C'était un point
fort délicat. Dans le courant de mars, un envoyé du roi, Antoine d'Aubusson,
alla trouver le comte avec mission de traiter cette affaire. « Sire
d'Aubusson dut rappeler ce qui s'était passé quand le comte prit congé du
roi. Louis, continuant alors à le questionner, lui demanda à deux reprises
plus ou moins directement s'il n'avait pas donné son scellé à Monsieur et aux
autres princes ; sur sa réponse négative, le roi, en lui tendant la main, lui
dit que s'il en était ainsi, il ne croirait assurément rien à son
désavantage. L'envoyé dut motiver sur les grandes affaires du roi le retard
mis à congédier le délégué du comte. Ose-t-on bien dire du roi qu'il songe à
détruire la maison d'Anjou ! En est-il dans toute la France qu'il ait
plus considérée et plus favorisée ! « Le
roi a pour lors beaucoup de charges. Il doit donner deux cents lances au duc
de Bretagne pour la garde de la Normandie. Il est obligé de retirer à
plusieurs chefs leur commandement. Il croit que le comte de Candale et le
comte du Maine sont ceux qui en souffriraient le moins ; le roi pense qu'en
supportant cette perte de bon cœur, pour l'amour de lui et pour le
soulagement du peuple, le prince donnerait une haute idée de sa générosité.
Enfin le sire d'Aubusson fera observer que le comte ne dit pas positivement
n'avoir point donné son scellé aux princes. » Le
comte du Maine comprit sans doute ; évitant d'entrer en de plus longues
explications, il remit sa compagnie de cent lances, et témoigna qu'il était
prêt à se donner corps et biens au service du roi. D'ailleurs ce ne fut pas
là sa seule déception. A la mort de l'abbé de la Couture du Mans, Jean de
Thucé, religieux élu par ses confrères de l'abbaye et soutenu par le comte,
dut céder la place à un évêque de Thessalonique in partibus, qui en avait été
pourvu en cour de Rome. Enfin une réponse très-officielle lui fut faite
touchant Taillebourg, qu'il convenait, lui disait-on, de remettre au sire
Olivier de Coëtivy. Le roi
de Sicile cependant ne manqua pas d'intervenir en faveur de son frère. Louis
XI crut faire sagement de s'expliquer en toute franchise avec son oncle ; il
charge du Bellay, sénéchal d'Anjou, de cette mission, avec des instructions
très-explicites qui jettent beaucoup de jour sur les faits antérieurs. Il
s'était évidemment révélé beaucoup d'intrigues où le comte du Maine, les
sires du Lau, de Melun et d'autres étaient entrés à l'insu du roi ; et Louis
XI n'entendait pas ne faire apercevoir qu'aux moins qualifiés ce qu'il axait
appris. A ses yeux plus la confiance du souverain et leur naissance les
rapprochaient du trône, plus grande était leur faute. Voici
en substance les réponses faites par du Bellay aux plaintes du roi René : « 1°
Le comte du Maine fut averti par le grand sénéchal de Normandie de la ligue
qui se tramait ; néanmoins il n'en découvrit rien au roi ; 2° quand il alla
en Bretagne pour ramener le duc de Berry, il assura à Jean de Daillon qu'il
se déclarerait pour les princes ; 3° ayant pris les deniers du roi en Poitou
pour armer la noblesse, il n'en arma qu'une partie, et renvoya même plusieurs
gentilshommes qui offraient leurs services ; alors une grosse somme lui
restant entre les mains, il pria le roi de lui en faire don, persuadé que
dans le besoin où on était de ses bons offices on ne pouvait lui rien refuser
; 4° le roi eût probablement coupé court à la guerre si, suivant son dessein,
il était allé directement à Bourges ; mais il en fut détourné par les lettres
que le comte du Maine écrivit à Guillaume Cousinot ; 5° quoique le comte,
avec environ neuf cents lances et une armée presque aussi forte que celle de
Bretagne, pût arrêter ou retarder le duc François dans sa marche, il s'est
toujours retiré devant lui et ne lui a disputé aucun passage : n'a-t-il pas
avoué qu'il eût pu le combattre s'il avait voulu ? 6° son imprudence
n'a-t-elle pas été, à Tours et depuis à Paris, jusqu'à dire qu'il n'avait
nulle envie de se perdre pour le roi ? « 7°
II répéta tous ces propos à Bruyères, près Montlhéry, et le jour même que se
livra la bataille, il avait près de lui le héraut du comte de Saint-Pol ; 8°
avec ce héraut il se retira, emmenant avec lui la principale force de l'armée
; 9° pendant le siège de Paris il a entretenu de grandes relations avec les
ennemis ; et sur ce point le roi espère être bientôt complétement édifié. « 10°
Bien que le roi lui eût remis le commandement d'une partie des troupes, et
qu'il l'eût laissé dans Paris connue le prince en qui le plus il se fiait, le
comte avait cependant donné son scellé aux seigneurs ligués, avait même reçu
et repris ses charges et états de Monsieur, ce qu'il ne pouvait faire sans
regarder le roi comme détrôné, puisqu'il s'agissait d'offices que le roi seul
peut conférer, et que le comte tenait de la libéralité de son souverain ; 11°
depuis la conclusion de la paix, malgré sa promesse au roi de n'avoir aucune
relation avec le duc de Nemours, tous deux cependant avaient renouvelé leur
alliance et leurs mutuelles promesses. Le roi termine ce mémoire en déclarant
qu'il est informé de plusieurs autres choses dont il est encore obligé de se
taire et qu'il découvrira un jour à son oncle. » Toutes
ces charges étaient graves ; mais la parenté les explique. Charles du Maine,
par son mariage avec Isabelle de Luxembourg, se trouvait être le beau-frère
du comte de Saint-Pol, et l'on sait que le duc de Nemours était son gendre ;
ce furent les deux adversaires les plus entêtés de ce règne. D'ailleurs on
cite[1] le comte du Maine parmi les
princes ligués avec le comte de Charolais contre le roi ; et suivant une
autre chronique[2], le comte du Maine abordant
Louis XI à Montlhéry le 46 juillet, aurait essayé de le détourner de
combattre ; or, comme le roi persistait, le comte répliqua de telle façon que
dès lors Louis XI aurait dit « qu'il était trahi ». Le
remplacement du comte du Maine en Languedoc ne fut pas le seul changement
notable de ce temps. Le roi sentait de plus en plus combien il lui importait
d'être fidèlement servi. Poncet de la Rivière, dont les cent lances n'étaient
pas complètes, perdit alors son commandement, et la garde de la Bastille fut
ôtée au sire de la Borde, père de Charles de Melun, en punition de ce qu'il
en avait laissé la porte ouverte pendant le siège de Paris. Cet office est
alors donné à Hugues de Chauvigny, seigneur de Belot, homme de grande
conduite. Le sire de Melun lui-même voyait son crédit diminuer à mesure que
le comte de Dammartin, qu'il avait si fort desservi lors de son procès,
gagnait la confiance du roi. Ayant été compromis dans les reproches adressés
au comte du Maine, le roi le fit enfermer à Château-Gaillard, sous la garde
de Chabannes, son mortel ennemi, et de là transférer à Melun jusqu'au triste dénouement
de son procès. Enfin son office de grand maître de l'hôtel du roi fut aussi
donné au comte de Dammartin. Après
la paix de Confins, disait-on, Charles de Melun avait chargé un sire
Christophe Bailleul d'entrer en relation avec Paviot, l'homme de confiance de
Monsieur, frère du roi. Bailleul et Paviot s'étaient rencontrés à Étréchy et
avaient conféré ensemble. Paviot disait dès lors n'avoir aucun mandat direct.
Quant aux moyens de conciliation, il les présenta, dit-il, de son chef, ainsi
qu'il les avait conçus. Le chancelier fut chargé d'interroger Bailleul à
Orléans. N'avait-il pas porté des lettres du grand maître Charles de Melun,
et que renfermaient-elles ? Cette enquête, ne révéla aucunes charges bien
compromettantes pour personne. Ce fut
ensuite le tour de l'ancien chancelier de Morvilliers. Le président Dauvet
dut savoir ce qui s'était passé aux conférences de Rouen, entre le sire
d'Harcourt et Morvilliers. Était-il vrai, par exemple, que le chancelier eût
dit a qu'avec le roi il fallait « parler haut » ? Morvilliers
nia le propos, et déclara n'avoir eu aucune relation avec le patriarche.
Toutefois il s'inquiéta, et passa en Bretagne. Un
gentilhomme du pays chartrain, Antoine Reynard ; un des archers du maréchal
Rouhaut, ayant quitté-sa compagnie quand Louis de Sorbières livra Pontoise
aux princes, était passé au service de Monsieur. La paix faite, il revint
tranquillement chez lui, croyant pouvoir profiter de l'amnistie. Mais il fut
arrêté et conduit à Amboise. Trois commissaires, Guillaume Cousinot, Henri du
Tertre et Jean Descartes furent chargés par le roi de l'interroger et de
savoir ce qu'avaient dit ou fait Pierre de Chaumont d'Amboise, son fils
Charles et Jean de Daillon pendant leur séjour à Rouen. On n'obtint de lui
que fort peu d'éclaircissements. Ces
investigations s'étendaient même dans l'ancien apanage de Louis XI. L'évêque
de Valence et le seigneur de Monteynard s'étaient rendus auprès du roi pour
lui faire certaines observations touchant la province du Dauphiné. De plus on
accusait Pierre de Montferrand, abbé de Saint-Antoine, de sortilèges et de
maléfices. Le roi ordonna au sire Soffrey Alleman, son lieutenant en
Dauphiné, et à Jean Hebert, un de ses conseillers, d'informer à l'égard de
ceux qui avaient poussé le prélat et le seigneur à venir auprès de lui ; et
de s'enquérir généralement sur les plaintes de la province, s'il y en avait ;
d'ouïr même les parties contre les officiers du parlement ou autres ; de
revoir les comptes des tailles et aides depuis quatre ans ; enfin « de
faire toutes les fonctions du parlement et de la chambre des comptes ». Ils
durent surtout informer contre Jean de Celeys, emprisonné pour crimes,
affaire devenue délicate, puisque les présidents Pierre Gruel et Jean de
Nantes étaient soupçonnés de s'être laissés corrompre. Ils avaient encore
mission de procéder contre Pierre de Theys, accusé d'avoir voulu livrer
certaines places aux ennemis ; contre Chaumont d'Amboise, Charles son fils,
Jean de Daillon, et ceux qui les avaient secondés pendant son absence. Leurs
pouvoirs s'étendaient, jusqu'à faire exécuter leurs jugements, excepté contre
Pierre Gruel, dont le roi veut que le dossier lui soit envoyé ; et licence
leur était donnée de destituer le procureur du pays et enfin d'interroger
l'abbé de Saint-Antoine sur l'affaire des maléfices, avec ordre de lui
envoyer secrètement à lui-même les pièces de l'instruction. Quelques
enquêtes furent collectives. La province de Touraine dut prêter un nouveau
serment. La ville de Provins fut taxée à mille écus pour sa conduite dans la
guerre du bien public. Il résulta de cette sévérité que l'on s'observa
davantage. Toutefois, malgré tout le profit que le roi put en retirer, disons
que ces recherches rétrospectives sont regrettables et qu'elles n'ont
d'excuses que dans les abus de ce régime où les consciences et les services
se vendaient presque publiquement. Loin de
faire supporter son mécontentement aux familles des coupables et surtout à
celle du comte du Maine, le roi, pour témoigner son estime à la maison
d'Anjou, ratifia le traité de mariage conclu dès l'époque de son avènement
entre Madame Anne de France, sa fille aînée, encore enfant, et le marquis du
Pont Nicolas, fils de Jean de Calabre et petit-fils du roi René. Les articles
furent signés le 1er août : le roi donnait à sa fille 487.500 livres, dont il
avait déjà payé au duc Jean 137.500 livres ; et il hypothéquait le reste sur
certaines terres. Ces conditions arrêtées, Jean de Calabre accepta la mission
d'aller en Bretagne, étant choisi comme le plus capable de ramener Monsieur
et François II aux sentiments du roi. Aux
ouvertures du duc de Calabre, Charles de France répondit fort longuement
qu'en attendant qu'on lui fit droit pour son apanage de Normandie, il
consentirait à prendre la Champagne et la Brie, ou même le Berry, si
toutefois on y joignait le Poitou. De telles prétentions ne pouvaient être
agréées. Le roi pense qu'il sera aidé en ces difficultés par quelque pieuse
fondation ; ayant été baptisé dans l'église de Saint-Étienne de Bourges, il
confirme au doyen et au chapitre de cette cathédrale les libertés et privilèges
dont ils jouissent de temps immémorial, et pour qu'ils aient plus
d'inclination à prier pour lui et pour sa lignée, voulant leur ôter toute
matière à procès et les faire jouir paisiblement de leurs immunités, il
renouvelle tous leurs droits ; il remet leur juridiction en vigueur, en sorte
que désormais au besoin ils n'aient recours qu'à lui et à son parlement ;
déclarant annulés par le fait tous procès qu'ils pourraient avoir. Ces
lettres sont contresignées du duc de Bourbon ? des sires de Châtillon, de la
Forêt, Jacquelin Trousseau et autres témoins[3]. Du côté
de la Bretagne on continuait les démarches pour arriver à un accommodement.
L'évêque d'Évreux, envoyé du roi, avait suivi les deux ducs de Caen à Nantes.
L'amiral de Montauban s'y était rendu, et s'y trouvait au mois de mars avec
d'autres, venus aussi de la part du roi. Monsieur avait rejeté les divers
projets d'accommodement. L'offre des comtés de Roussillon et de Cerdagne
n'était pas mieux accueillie que le reste. S'il faut en croire les assurances
du chancelier Chauvin et du sire de Coëtquen au roi, François H faisait tous
ses efforts et mettait son amour-propre à réconcilier les deux frères, se
bornant à demander du temps. Le roi,
après la soumission de la Normandie, avait quitté Rouen pour venir à Orléans
et aux environs retrouver la reine Charlotte : c'est de là qu'il suivait et
dirigeait sa politique et l'administration du royaume. Tant de guerres à
soutenir et de luttes à satisfaire avaient épuisé les ressources de l'État :
il n'a garde cependant d'oublier que le duc de Milan, dans les nécessités où
il s'est trouvé, lui a envoyé son fils et ses hommes d'armes. Il écrit
d'Orléans, 31 mars, à Claude Coctê, trésorier du Dauphiné, d'emprunter, soit
à la banque des Médicis de Lyon ou ailleurs, même à des conditions onéreuses,
4.000 écus, pour récompenser cette armée de Savoie et de Milan qui allait
partir. De
Meung-sur-Loire, 17 mai, sont accordées des lettres de rémission et
d'abolition en faveur des nobles des pays du' midi, c'est-à-dire de la
Marche, du Rouergue, de l'Armagnac et du Languedoc, ayant pris part à la
guerre, lettres contresignées des sires de Crussol, de la Forêt et autres.
D'Orléans, 5 juin, parut l'ordonnance déjà mentionnée donnant provision « de
lieutenant général et de gouverneur du Languedoc au duc de Bourbon et
d'Auvergne, aux gages de 24.000 livres tournois par an ; et pour certaines grandes
et raisonnables causes à lui connues, il en décharge le comte du Maine, son
oncle ; mû surtout du désir de toujours entretenir ses sujets de ce pays dans
l'union, la paix et la justice, sous l'obéissance du duc son beau-frère. » Le
seigneur de Précigny, premier président à la chambre des comptes, étant
devenu très-faible à cause de sa vieillesse, par lettres de Montargis, 11
juin, sa survivance est accordée à maître Jean de Popincourt. Au mois de
juillet de cette année 1466 se rapportent aussi les statuts du collège du
Plessis, œuvre du 41e abbé de Marmoutiers, maitre Guy Vigier l'ancien, lequel
fut représenté[4] par frère Booz Justinelle, du
prieuré de Saint-Théobald. En
cette année il y eut de grandes calamités, beaucoup de maladies et une
mortalité effrayante. Il mourut, dit-on, en août et septembre, 40.000
personnes de la peste, entre autres plusieurs officiers du roi et son
astrologue, maître Arnoul, auquel d'ailleurs il ne croyait guère ; vers
novembre, le fléau diminua. Il y eut aussi vers la Saint-Jean une terrible
épidémie de folie furieuse, et l'on cite parmi les victimes maître Martial
d'Auvergne, procureur en la cour du parlement. Sa frénésie fut telle qu'il se
jeta par la fenêtre de sa chambre dans la rue, et pensa en mourir. On fit des
processions et des prières pour obtenir de Dieu la fin de ces maux. Les
pourparlers se poursuivaient. Le roi répondit aux demandes du duc François en
faveur de Monsieur : « Qu'il n'avait point changé de sentiments ; que
son frère vienne, qu'il se conduise comme il doit, qu'il s'emploie au bien du
royaume ; il peut être sûr de recevoir de sa part un apanage dont il sera
content. Il le trouvera toujours bon frère, bon roi et bon seigneur. »
Telle était la légèreté d'esprit de ce prince qu'à Honfleur, lorsqu'on
espérait terminer cette affaire, il écrivait à Monsieur de Charolais lettre
sur lettre, le pressant de venir l'aider à conserver la Normandie. Le roi est
si sûr d'avoir fait tout le possible, qu'il donne au duc François à opter
entre son frère et lui-même. Monsieur désire-t-il se retirer vers le bas
Dauphiné ? dans le Valentinois et le Diois ? il le veut bien. Se croirait-il
plus en sûreté en Provence, où il serait traité avec la plus grande
distinction ? Le roi le permet encore, pourvu toutefois qu'il ne soit
question d'aucun complot. Parmi
les suppositions hostiles à Louis XI, on a prétendu que le duc de Calabre
avait ordre de se saisir de Charles de France, et de l'enlever ; fait
invraisemblable par le choix même de ce prince plein d'honneur, incapable par
la dignité de son caractère de se charger d'une telle mission. D'ailleurs si
le roi avait eu de tels ordres à donner, aurait-il appelé les sires de Craon,
de la Forêt et autres, ainsi qu'il le fit, pour être témoins des instructions
qu'il remit au duc Jean, lorsqu'il l'envoya en Bretagne « pour accorder les
différends existant entre son frère et lui ? » La pièce du 8 août, au lieu de
contredire ces intentions, prouve, selon Legrand, qu'il tentait tous les
moyens d'avoir paix avec son frère. Toutefois
l'insistance de Louis XI donnait de l'inquiétude au duc de Bretagne. Il avait
déjà oublié le traité de Caen et entrevoyait la nécessité d'éloigner Monsieur
ou de craindre la guerre. Bien des gens autour, de lui le poussaient à
résister, et comme toujours il s'adresse à l'étranger. Il charge donc ses
meilleurs diplomates, le vice-chancelier de Romillé et le procureur général Olivier
du Breuil, de négocier un traité avec Édouard IV. Sans aucun ménagement,
Monsieur, de son côté, lance un nouveau manifeste daté de Vannes, 3 juillet
1466, par lequel il rappelle ses obligations envers François H, déclarant,
sans nulle autorité, que le duc de Bretagne peut « très-licitement faire
alliance avec les plus puissants rois ». On voit en effet sur les comptes de
Pierre Landais que, par mandement du 19 juillet, le duc fait donner à
Monsieur 3.000 écus et à ses officiers et hommes de confiance, tels que
l'évêque de Verdun, le sire de Malicorne et Pierre Doriole, une autre somme
d'argent. En
France, quoique l'année fût déjà avancée, on faisait des préparatifs de
guerre. Voici en quels termes le roi, à la date de Blois, 15 mars, ordonne à
Bourré, sire de Plessis, de se tenir prêt : « Je compte partir d'ici après
Pâques, pour tirer là où mon affaire le requérera. Je vous prie que vous
mettiez ordre en vos affaires, et que vous vous rendiez, monté et armé et en
état de me servir à la guerre, en la ville d'Orléans le 10 avril prochain, et
n'y veuillez faire faute. » La trêve avec l'Angleterre allait expirer ; en
avril le roi envoya donc en ambassade à Londres le duc évêque de Langres, le
récent amiral Louis de Bourbon, Jean de Popincourt, seigneur de Sercelles, le
sire de la Barde et le conseiller Olivier le Roux, avec ordre de passer par
Bruxelles pour communiquer leurs instructions au duc de Bourgogne et à
Monsieur de Charolais. Sachant aussi que pour avoir bonne paix il faut
pouvoir faire bonne guerre, le connétable, par ordre du roi, avait fait
publier à Paris et dans le royaume, le 24 mai, veille de la Pentecôte, que
tous gentilshommes tenant du roi fiefs ou arrière-fiefs, sans exception,
fussent prêts à marcher pour le 15 juin, à cause, était-il dit, des
préparatifs de l'Angleterre. Ainsi nulle précaution n'était omise. On cite
aussi un ordre de Martin Petit, capitaine des archers de Beauvaisis et des
prévôtés voisines, qui donne aux siens un ajournement pour se rendre à
Beauvais, « sous peine de confiscation de corps et de biens. » Au vu de
ce mandement, le comte de Charolais, qui se croyait maitre par le traité de
Conflans d'une grande partie de ces pays, se hâta d'écrire au capitaine,
oubliant sans doute que Louis XI s'était réservé ses droits royaux sur les
terres qu'il avait dû abandonner. Le roi,
néanmoins, faisait tout le possible pour régler les difficultés à l'amiable.
Celle des enclaves était une des plus graves, et le grand conseil n'avait pu
prévenir tout froissement. Par lettres du roi de Montargis, 21 juin 1466,
sont nommés commissaires pour en référer : « notre très-cher et amé
cousin le comte de Dunois, nos amés et féaux conseillers, Jean Dauvet,
premier président de notre parlement ; Jean le Boulanger, aussi président ;
Étienne Chevalier, maître de nos comptes ; maître de Ladriesche, trésorier de
France ; Étienne Lefèvre, prévôt de Saint-Junien ; Jean Simon, François Hailé
et Jean de Popincourt ; desquels commissaires le comte de Dunois sera
toujours l'un, pour appointer avec les officiers de Monsieur le duc de
Bourgogne sur le débat des terres du roi enclavées dans ladite duché. » Peu
après, en juillet, il accorde à Louis d'Harcourt, patriarche de Jérusalem, et
à maître Jean de Bec, trésorier de l'église de Rouen, complète amnistie avec
restitution de leurs biens. Mais
d'autres sujets de froideur existaient encore. Le 11 août le comte de
Charolais demanda au chancelier et au trésorier des finances l'autorisation
de toucher les aides et les tailles dans les prévôtés de Beauvaisis et autres
; or cette pièce se faisait attendre. De plus le duc était blessé du
revirement du comte de Saint-Pol, qui servait encore néanmoins dans l'armée
bourguignonne. Comment ce seigneur changeait-il en effet d'attitude ? Selon
Châtelain il avait eu de l'inclination pour Jeanne de Bour= bon ; mais cette
belle princesse vit dans cette union une trop grande différence d'âge, et le
duc de Bourgogne, trouvant peut-être déjà que le comte était assez puissant,
ne voulut pas contraindre sa belle-sœur à l'épouser. Louis XI le trouva donc
tout disposé à changer de parti, et en faveur de son mariage avec Marie de
Savoie, sœur de la reine Charlotte, il lui donne, le 1 er août 1466, 60.000
liv. payables en trois termes, puis le comté de Guise, la seigneurie de
Novion et la capitainerie de Rouen. Ajoutons qu'il lui faisait encore espérer
le comté et la pairie d'Eu. D'ailleurs le roi ne négligeait rien pour
s'attacher tous les hommes de mérite des pays d'alentours ; ainsi fit-il pour
un ancien président de la chambre de Flandre, Jean de Ladriesche, qui, après
avoir joui de la plus grande faveur à la cour de Bourgogne, se vit condamner
par le conseil du duc à perdre sa fortune et même la vie. Malgré
tous ses efforts, Louis XI ne fut rassuré contre une ligue nouvelle que par
l'arrivée des commissaires anglais. Les comtes de Warwick et d'Hastings
vinrent avec sir Wenlock à Calais et prolongèrent la trêve jusqu'au mois de
mars 1467. On convint même qu'en septembre il serait ouvert des conférences à
Calais pour traiter d'une paix définitive. Le 17 juin le roi ratifia cette
convention à Montargis : le roi d'Angleterre le fit un peu plus tard. Tout
aussitôt Louis XI informa de ce traité Philippe de Bourgogne ; mais le comte
de Charolais eut peine à y croire. Pour s'assurer du fait, il envoya à
Montargis Ferry de Clugny, Guillaume Hugonet et Jean Carondelet, avec ordre
d'examiner les signatures des ambassadeurs. Il n'était pas si incrédule quand
il s'agissait contre le roi de suppositions les plus invraisemblables.
Comment, par exemple, pouvait-il croire que Louis XI eût fait ce traité
contre lui, et que, pour en être aidé à conquérir le Ponthieu, il eût promis
aux Anglais Rouen et le pays de Caux ? Il l'a si bien cru, cependant, que de
Namur, 16 août 1466, écrivant au roi une lettre des plus arrogantes, il lui
dit : « Du vôtre vous pouvez en disposer à votre bon plaisir ; mais,
Monsieur, de ce qui me peut toucher il me semble que vous pourriez mieux
vouloir le mien demeurer en ma main, que d'être cause de le mettre ès mains
des Anglais, ni d'autre nation étrange. n Le
comte allait marcher contre les gens de Dinant. Cette lettre, écrite alors et
sans doute dans un moment de colère, nous parait un trait de son caractère
soupçonneux et cruel : « Car il était si dur[5], si emporté, si brutal, que
personne ne l'aimait : il battait tous ceux qui n'obéissaient pas
sur-le-champ, menaçait à chaque instant de faire mourir les gens qui lui
déplaisaient : on « lui avait vu tuer de sa main un archer, parce qu'il
n'était pas tenu selon l'ordonnance ; et cela, hors de la présence de
l'ennemi. » Au surplus, le roi lut la lettre sans s'émouvoir, et voyant
là un intérêt d'État, il l'envoya au grand conseil des trente-six siégeant
alors à Étampes, lequel en avait reçu une à peu près semblable. Pendant
que Charles de Bourgogne guerroyait en France, les gens de Dinant s'étaient
portés contre lui à tous les genres d'extravagance. Chansons contre le duc,
reproche de bâtardise contre le comte, effigies appendues aux regards de ceux
de Bouvines avec d'injurieuses inscriptions et avec défis, rien n'y manqua.
Comment furent-ils assez imprudents pour réveiller ces souvenirs alors qu'ils
voyaient les Liégeois, leurs voisins, humiliés et leur seigneur en paix avec
l'Angleterre et la France ? Est-ce qu'une ville où l'or peut entrer est
jamais imprenable ? Les Liégeois, qu'ils appelaient à leur secours, ne purent
venir assez tôt. Enfin, sommés de se rendre et refusant toujours, ils
finirent, après six jours de siège, le lundi 25 août, par se rendre à
discrétion, « apportant leurs clefs sans demander nulle promesse ni garantie[6] ». Entrés
à Dinant, qu'osent faire les Bourguignons ? Ils séparent les femmes et les
enfants, et les envoient sous escorte à Liège et en d'autres lieux : « On ne
fit nul quartier à ceux qui étaient en âge de porter les armes. » Puis,
sans parler de la dévastation, du pillage et de l'incendie général, on
enchaîne huit cents de ces malheureux, on les conduit au duc Philippe, et «
sous ses yeux on les noie dans la Meuse, à la vue des gens de Bouvines, et en
expiation des indignités qu'elle avait souffertes de la part des Dinantais[7] ». Le vieux duc voulut être
présent en personne à la prise et extrême désolation de Dinant : il avait
même rassuré d'avance sa conscience sur ces atrocités et le sac des églises,
ayant obtenu du pape, peu après Pâques, une excommunication contre cette malheureuse
ville. Si les ruines de Dinant durent avertir les petits États tentés de se
révolter, elles créèrent aussi des rancunes implacables. De
cette ville, si complétement anéantie que les femmes qui revinrent ne purent
trouver la place de leurs maisons, l'armée se dirigea vers Liège. Les gens du
comte de Saint-Pol étaient à l'avant-garde, et comme ils se plaignaient de
n'avoir pas eu leur part au butin de Dinant, on leur abandonna le pillage
d'Huy et de Saint-Tron. Il fallut que les malheureux habitants payassent une
forte rançon pour se racheter, heureux encore d'en être quittes pour de
l'argent. Bientôt on rencontra l'armée des Liégeois s'avançant en grand
désordre et sans nul accord entre eux. Le comte de Charolais, qui n'était
point apaisé par le sac de Dinant, voulait les combattre on réussit toutefois
à le calmer, et il consentit à confirmer les traités de septembre ; mais les
Liégeois durent donner en plus cinquante otages — Comines et Barante disent
trois cents — et payer les 600.000 florins qu'ils devaient à leur évêque. A
ces dures conditions la paix se fit encore une fois entre Liège et le duc, et
à ce sujet Comines ajoute : « On doit bien craindre de se mettre au hasard
d'une bataille qui n'y est contraint. » Tous
ces sinistres événements se méditaient dans l'esprit de M. de Charolais quand
il écrivit au roi et au grand conseil ses lettres si audacieuses. Ses récents
succès n'étaient point faits pour diminuer son orgueil. Pendant ce temps la
commission chargée de régler les difficultés relatives aux enclaves n'avait
rien décidé ; mais le procureur général se plaignait hautement « des
entreprises fréquentes des officiers du duc de Bourgogne sur la souveraineté
du roi et sur les droits de la couronne ». Par exemple, disait-il, le duc ne
tient Amiens et Mâcon que par engagement, et il y avait fait battre monnaie.
Il ne veut pas y recevoir les commissaires que le roi y envoie pour connaître
du titre et du poids des pièces d'or et d'argent qui s'y frappent. Il s'est
emparé des droits de régale, de ceux de roue, des hauts passages, des
impositions foraines ; il a changé le lieu des foires, et les a
très-arbitrairement supprimées ou multipliées, droits qui n'appartiennent
qu'au roi. » Alors aussi les gens d'Épinal, qui s'étaient mis jadis sous la
protection de Charles VII avec promesse de n'être jamais transportés en
d'autres mains, avaient cependant été cédés à Thiébaut de Neufchâtel. Fort
mécontents de cette domination bourguignonne, le bailli et les magistrats
d'Épinal protestèrent devant le parlement de Paris, et avec l'approbation du
roi la ville se mit, par acte du 21 juillet, sous la protection du duc Jean
de Calabre, malgré les réclamations du comte de Charolais. Toutes
ces contestations ressortissaient naturellement au conseil des trente-six. Ce
conseil devait être institué le 15 décembre 1465 ; mais les affaires
survenues au roi, et surtout la maladie contagieuse dont Paris eut tant à
souffrir, en firent reculer l'installation. Les membres, au nombre de vingt
et un, s'assemblèrent le 15 juillet 1466 sous la présidence de Dunois. Leur
session fut inaugurée par une messe du Saint-Esprit célébrée par l'archevêque
de Reims dans la Sainte-Chapelle. Ce jour-là, et surtout le lendemain 16
juillet, les pages et laquais des seigneurs du conseil se prirent de querelle
avec ceux des présidents, conseillers et autres officiers du parlement, «
sous prétexte que ceux-ci a devaient payer leur bienvenue ». La dispute
s'échauffant, on en vint aux voies de fait. Il y eut beaucoup de blessés. Cet
affreux tumulte fut appelé l'Anniversaire de Montlhéry, et ne s'apaisa que
par l'intervention des maîtres. En même temps les chaleurs donnaient plus de
gravité à la maladie régnante : en conséquence on trouva bon de transférer le
conseil à Étampes, où il était à la portée du roi, habitué alors à passer une
partie de l'année dans l'Orléanais, le Gatinais et la Beauce. Pour
seconder le conseil en ses travaux, le roi écrivit, les 27 et 28 juillet, aux
ducs de Bourgogne, de Bretagne, d'Alençon et de Nemours, aux archevêques et
évêques, aux sénéchaux et baillis et à toutes villes du royaume, qu'ils
eussent à informer en conscience les commissaires des abus qu'ils pouvaient
connaître dans l'administration de la justice et des finances, des
malversations des gens de guerre et de tout autre vice affectant le
gouvernement de l'État. Quoique le roi n'y ait point fait mention des affaires
ecclésiastiques, il paraît cependant qu'il en fut discuté et que Jean
Chevredent, l'un des commissaires, déclara que malgré les ordonnances du roi,
il était passé à Rome une somme d'argent estimée à 220.000 écus pour les
trois dernières années du pontificat de Pie II. Le
grand conseil avait aussi à répondre aux lettres hautaines du comte de
Charolais. Comme les officiers du roi et ceux du comte se plaignaient en même
temps, il leur fut facile d'apprécier de quel côté étaient raison, justice et
modération. Cependant l'Assemblée ne voulut rien décider Sans envoyer au
comte quelques graves avis. Pour cette mission, les délégués désignés par le
roi, d'Angerville, 3 septembre, furent le sire de Craon, Jean de
Rochechouard, bailli de Chartres ; Guillaume Compain, conseiller au
parlement, et Guillaume Cerisay. Ils prirent, en passant par Étampes, les
ordres du conseil et arrivèrent dans le Hainaut, le 14 septembre, peu de
jours après le sinistre triomphe du comte de Charolais contre Dinant. A leur
entrée à Mons, le 15, ils apprirent que le comte allait se rendre à Louvain
auprès du duc son père. Alors Guillaume Bitche leur ayant mandé de partir
pour Bruxelles, ils y accédèrent, et le lendemain de leur arrivée, 19
septembre, le comte leur envoya Ferri de Clugny, déjà connu par ses
ambassades en France, pour les prier « d'attendre parce qu'il était fort
occupé à finir un traité avec les envoyés de Liège ». Les
députés français ne pouvaient qu'être mécontents de ces délais peu courtois
du comte de Charolais. Enfin le mercredi 24 septembre, dix jours après leur
arrivée, le comte vint à Bruxelles. Le lendemain ils furent introduits auprès
du prince par le bailli de Saint-Quentin et par Ferri de Clugny. La première
audience se passa en compliments. Le vendredi et le samedi ils travaillèrent
avec les officiers du comte, et le dimanche, à une seconde audience, ils
présentèrent la réponse que le roi faisait à la lettre du 16 août ; elle
alliait la modération à la fermeté. « Quand l'évêque de Langres, Louis
de Bourbon et deux autres députés sont allés pour traiter avec l'Angleterre,
ne vinrent-ils pas présenter leurs instructions au duc ? N'a-t-il pas pu
alors les modifier comme il a voulu ? Le duc Philippe lui-même n'avait-il pas
dit alors que la paix était nécessaire et qu'il en fallait faire une bonne et
solide ? Enfin le roi n'a-t-il pas informé le duc, avec toute loyauté, de ce
qui se passait dans les conférences ? Les plaintes du comte sont donc sans
fondement, et leur mission est de lui demander de qui il tient de tels
rapports. » La
lettre lue, les délégués insistèrent encore verbalement pour connaître les
auteurs de ces calomnies. Le comte, embarrassé, répondit alors que c'étaient
des fantaisies survenues en son esprit depuis que le roi lui tenait rigueur
sur les quatre prévôtés d'en deçà de la Somme. Sur ce point, les délégués
pouvaient-ils produire un message du roi ? C'était leur principale créance.
Maitre Compain, l'un d'entre eux, avait déjà, en effet, entretenu le comte
touchant le Ponthieu, la prévôt i et l'exemption de Saint-Quentin et les
levées que le roi était en droit de faire dans les prévôtés de Vimeux, Fouloy
et Beauvaisis. Louis XI, en effet, dans les terres cédées, « n'avait
abandonné que le domaine utile, et il s'était réservé droits royaux et
souveraineté ». A cette distinction essentielle et juste, le comte ne
voulait faire nulle attention, et il en était venu aux voies de fait. On
différa de répondre aux députés : le comte de Charolais les pria même de
l'accompagner à Gand. Là, en présence du connétable, il leur dit qu'après
avoir bien examiné les raisons du roi et de son conseil, il n'y voyait
d'autre motif que ce que l'on appelle le bon plaisir. Ainsi dans ses réponses
et dans ses lettres il ne mettait ni façon ni ménagement. Il y avait
d'ailleurs en même temps une autre ambassade du roi au comte sur
l'emprisonnement de Sainte-Maure, capitaine de Nesle, retenu malgré la capitulation.
Guillaume Paris, conseiller au parlement et chargé de • cette mission,
semblait venir de la part du conseil. Reçu le 26 et le 27 septembre, il
soutint qu'on avait violé la capitulation, qu'on devait rendre au sire de
Sainte-Maure sa liberté et ses biens. La confiscation semblait d'autant plus
arbitraire que ses terres étaient mouvantes du comté de Vermandois
appartenant au roi. Mais le comte affirma qu'il avait raison de tenir l'homme
et les biens sous sa main, parce que, disait-il, Sainte-Maure s'était joint
au comte de Nevers, son ennemi, et avait même voulu jeter du secours dans
Roye. L'ayant pris dans Nesle, il était sa conquête : En vain
Guillaume Paris répliqua-t-il que les seigneuries de Sainte-Maure relevaient
du roi, et qu'un vassal ne pouvait conquérir sur son seigneur, surtout en
l'absence de guerre déclarée ; rien n'y fit, et il ne put faire fléchir
l'obstination de Charles de Bourgogne. Quelle raison faire entendre à un
homme qui n'écoute que son intérêt et sa passion : il fallait cependant,
ajouta-t-on, s'en tenir au traité de Confions ou y renoncer. A cette
conclusion du député, le comte répondit avec hauteur que « si Sainte-Maure
avait été son sujet il lui aurait faire trancher la tête ; que toutefois,
bien qu'il tienne sa personne et ses biens, il consent, en considération des
traités, à lui laisser la liberté sous caution et la jouissance de ses
revenus par provision ». Guillaume Paris réclama le scellé du comte pour
qu'il fût entièrement libre ; le comte refusa, et congédia le commissaire
avec promesse d'envoyer une ambassade au roi. C'était
se montrer peu soucieux des traités. Après cette fière réponse, il ne songea
qu'à braver la colère et la puissance du roi. Sans perdre un instant il
courut en Hollande pour y chercher un appui. Il réunit donc à la Haye une
assemblée de notables, qu'il mit dans ses intérêts en leur exposant les faits
à son point de vue. Là vinrent les seigneurs de Juliers, de Nassau, de la
Gruthuse, de Horn, d'Egmont, l'archevêque de Trèves, Jean de Bade, et
Georges, son frère, évêque de Metz ; David, bâtard de Bourgogne ; les comtes
de Marie, de Brienne et de Roussy, fils du connétable, ainsi que des
seigneurs de Bretagne et d'Angleterre. Comment en effet les Anglais
pouvaient-ils être oubliés, lorsque, préoccupé d'une nouvelle alliance, le
comte songeait à épouser madame Marguerite d'York, sœur d'Édouard IV ? Là
apparaissent les éléments d'une coalition nouvelle contre la France. Amédée
IX, nouveau duc de Savoie et époux d'Yolande, sœur du roi, y entrait aussi
par son accord avec le duc de Bourgogne. Cependant,
pour tout ce qui n'était pas la cession de la Normandie, Louis XI exécutait
fidèlement les traités de Paris ; ainsi, le 24 août, de la Motte-Despoy, il
prononce une abolition générale pour ceux qui auraient, avec les princes,
porté les armes contre lui. Ajoutons la confirmation d'un droit de garde en
faveur des consuls et des citoyens de Verdun, et un autre en novembre pour le
rétablissement du consulat de la ville du Puy-en-Velay ; le transfert du
bailliage de Saint-Pierre-le-Moustier à Montferrand, et des actes
d'affranchissement et d'exemption pour Jean de Vendôme, qui ne pouvait être
oublié. Si nous
avons enregistré les sévérités de Louis XI, nous ne devons pas non plus
omettre de citer quelques-unes des rémissions si nombreuses de cette année
1466. Comme depuis la paix les vassaux du duc de Bourbon s'étaient permis des
courses sur les sujets du roi, le duc demanda et obtint pour eux une
abolition nouvelle. Une semblable fut accordée aux archers de Normandie, qui
en revenant de Paris avaient pillé les campagnes, et à ceux du bailliage de
Cotentin. Ceux-ci, en effet, voyant les Bretons commettre sous leurs yeux
tous les désordres qu'on peut reprocher à des troupes indisciplinées,
s'étaient attroupés pour marcher contre eux. Le roi avait aussi fait rentrer
dans leurs foyers les compagnies de la basse Normandie réunies pour préserver
le pays du pillage, et qu'on nommait d'une façon pittoresque les galands
de la feuillée. Toutefois,
parmi ces témoignages de clémence, il en est un qui, à bon droit, parera
excessif et qu'on ne saurait approuver. Le bâtard Gilles de Puypardin et Jean
d'Albret, vicomte de Tartas, avaient traité avec une cruauté inouïe les
magistrats et habitants de la petite ville de Fleurance, dans le comté de
Gaure. Le crime de ces malheureux avait été de paraître préférer rester sous
l'obéissance du roi : Le vicomte, au moment où ils s'humiliaient devant lui,
osa, sans être touché de leurs prières et de leurs larmes, disposer de leurs
personnes et de leurs biens. Par ses ordres la ville fut livrée au pillage,
le procureur du comté jeté dans la rivière ; toute licence est donnée au
soldat pendant plusieurs jours, et le feu mis à la ville. On cite quatre des
officiers de la cité qui furent pendus : ces victimes sont Augier de Meneux,
Martin de Paris, Jean Lary et Antoine de Vaquerie. Où
trouver en ces excès des motifs d'indulgence ? Louis XI pardonna cependant au
vicomte de Tartas, dans l'espoir des services qu'il pouvait en attendre. Il
ordonna la restitution aux habitants des biens qui se trouveraient en nature
; qu'un dédommagement serait donné aux parents des cinq victimes, indemnité
qui dut être fixée par le parlement de Toulouse ; et il bannit pour trois ans
Gilles de Puypardin et plusieurs des serviteurs de ce bâtard, connus pour
être les plus coupables. Mais le procureur du roi au parlement de Toulouse
s'opposa vivement à l'enregistrement des lettres d'abolition, remontrant «
que le cas était atroce ». Les difficultés augmentèrent, tant qu'on sut que
les parties civiles n'avaient point été satisfaites, et on obligea les
coupables graciés à comparaître devant la cour pour obtenir l'entérinement. Ainsi,
même à Toulouse, les ordonnances du roi sont quelquefois sévèrement
critiquées dès qu'elles portent atteinte à l'intérêt général. En cette
occasion on remarque avec justice que si Louis XI voulait être obéi[8], il ne prétendait pas que ce
fût aux dépens des lois. L'usage des remontrances n'était point interdit, et
cette liberté, qu'on avait, faisait qu'il se trouvait des hommes qui, bien
qu'avec de grands défauts, conservaient assez d'honneur et de fermeté pour
préférer leur devoir à leur intérêt. » Ajoutons aussi que Louis savait
déférer à leurs avis, et que, malgré les lettres soumises qu'il écrivit à
Rome au début de son règne, il suivit leur sentiment et empêcha de son mieux
l'émigration de l'argent de France en Italie. Pendant
cette saison d'été si calamiteuse, le roi et la reine restèrent dans la
Touraine et le Gâtinais. Alors, malgré la maladie régnante, Marguerite de
Savoie, fille d'Amédée VIII et mariée au comte de Wurtemberg, vint à Amboise[9] le 2 septembre visiter la reine
Charlotte, sa nièce. On lui rendit de grands honneurs. Une procession la
conduisit à un hôtel entre les deux ponts, et la ville la défraya, ainsi que
sa suite. La dépense s'éleva, dit-on, à quatorze livres tournois, quatorze
sous six deniers, ce qui, de nos jours, approcherait de cinq cent cinquante
francs. Cette
année 1466 avait été aussi fatale pour les grands que pour le peuple. Étant à
Orléans, Louis XI y apprit la mort de son beau-père Louis, duc de Savoie, et
de son fidèle allié, le duc de Milan. Le premier, prince faible, s'était
entièrement laissé gouverner par son épouse ; le second, François Sforza,
décédé le 8 mars, devait sa fortune à son mérite personnel, et il devint
l'arbitre de l'Italie. Envoyer à Louis XI son fils allié dans la guerre du
bien publie, c'était rendre au roi un service signalé ; aussi en fut-il
toujours reconnaissant. A cette
mort imprévue les Florentins craignirent d'être troublés dans leur
tranquillité, et leur lettre au roi du 8 avril 1466 exprime leur inquiétude à
ce sujet. D'Orléans, le 18, le roi leur répond et les rassure. « Il s'afflige
de la mort prématurée de François Sforza[10], il perd en lui un ami dévoué,
qui dans les circonstances critiques où il s'est trouvé lui a prêté la plus
généreuse assistance. Il prend sous sa tutelle la veuve et le fils, et les
défendra au besoin contrefoute attaque. Il adjure ses bons amis de prêter à
l'héritier de François le plus énergique concours ; et il écrit dans le même
sens aux autres puissances d'Italie, dans l'espoir que la paix n'y sera point
troublée. » Ce pays
cependant préludait aux guerres intestines qui l'ont si longtemps désolé.
Cette année même ne s'écoula pas sans une assez vive agitation. Une
conspiration des Acciajuoli et des Pitti menaça en même temps la république
et les Médicis[11]. Heureusement elle avorta. A la
nouvelle qu'il en reçut des Florentins, le roi les félicite de cet heureux
résultat obtenu sans effusion de sang, et sa lettre de Bourges, 14 janvier 1466,
attribue ce bonheur à la protection céleste et en rend grâce à la Providence. Louis
XI étend de plus en plus l'influence française en Italie, et avec tant de
sagesse qu'il la sait faire aimer. Vers ce même temps une ligue défensive
s'étant formée entre le saint-père, Ferdinand de Naples, Florence, Venise et
Milan, les Florentins écrivirent à leurs ambassadeurs, le 20 janvier 146t,
qu'ils voulaient que le nom du roi de France figurât à côté de celui du pape
; et ainsi fut fait. A la
fin de cette année 1466 mourut aussi à Tours Jean de Montauban, amiral de
France et grand maître des eaux et forêts. C'était un des plus fidèles
serviteurs du roi et grand réformateur des démêlés de France et de Bretagne.
Il ne fut point pleuré, dit-on[12], à cause de sa grande avidité
de biens et d'or. Nulle part nous n'avons rien vu qui pût confirmer cette
assertion, et il est difficile de monter aussi haut sans se faire beaucoup
d'envieux. Alors le bâtard de Bourbon, comte de Roussillon en Dauphiné, fut
grand amiral, et Louis de Laval, seigneur de Châtillon, qui avait été
gouverneur du Dauphiné et était rentré en grâce auprès de Louis XI comme tant
d'autres, devint grand maître des eaux et forêts. Vers ce
temps, le 30 avril 1467, mourut encore à soixante-quatre ans Jean d'Orléans,
comte d'Angoulême, dit le Bon, qui paraît du moins avoir mérité ce surnom.
Son fils Charles, qui fut le père de François Pr, était fort jeune. Louis
pensa 'à l'élever auprès de lui et envoya Yvon du Fou le demander à
Marguerite de Rohan, veuve de Jean. La mère voulut le garder. Le roi souffrit
patiemment ce refus, et cependant, selon le rapport de son envoyé, il n'y
avait pas auprès du jeune prince un seul homme distingué qui ne fût ennemi de
Louis XI. Ainsi, les princes de la maison d'Orléans s'élevaient notoirement
dans des sentiments d'hostilité à l'égard du souverain de la France. Mais il
n'entrait pas dans la pensée de Louis XI d'exercer aucune contrainte. Pendant
les dernières dissensions de la France les affaires d'Espagne s'étaient
encore embrouillées. Vers la fin de 1464, on le sait, les Catalans avaient
reconnu don Pèdre de Portugal pour leur prince. Il mourut le 29 juin 1466,
après s'être fait battre par le fils de Jean II. Ayant été réduit alors
presqu'aux murs de Barcelone, il avait fini par tomber dans le mépris. Le 20
août suivant les Catalans élurent pour roi René d'Anjou. Celui-ci, en effet, par
Yolande, sa mère, était petit-fils de Jean Ier, roi d'Aragon, et Yolande, par
la mort de sa sœur Jeanne, devait hériter des Etats de son père, qui
passèrent à Martin, frère de Jean Pr. Ainsi les droits de René ne se
pouvaient contester. Il allait de nouveau être en lutte avec cette maison
d'Aragon contre laquelle il avait si malheureusement échoué en Italie.
Possédant les provinces d'Anjou, de Bar et de Provence, et ayant un fils tel
que Jean de Calabre, personne en Europe ne paraissait plus capable de
soutenir son droit. D'autre
part, Jean II d'Aragon étant très-vieux et son fils Ferdinand encore un
enfant, toutes les apparences semblaient être en faveur de la maison d'Anjou.
Michel Cardonne fut un des trois députés envoyés à René par les Catalans.
Partis de Barcelone le 27 août, ils arrivèrent à Angers le 26 septembre 1466.
L'évêque de Marseille, maître Jean Allardel, lut à haute voix leur lettre de
créance. Elle portait que le choix ayant été unanime, le roi était prié, au
nom de Dieu, de la sainte Vierge et de saint Georges, de passer en Catalogne
sans nul délai, ou d'y envoyer son fils avec des forces suffisantes. On ne
manquait pas d'indiquer les circonstances favorables à cette entreprise, et
les députés devaient sur tous les points ajouter leurs explications. Le 20 octobre
on apprit à Barcelone l'acceptation du roi René, et il y eut grande joie à
cette nouvelle. Jean II
se trouvait dans un cruel embarras. Jean de Calabre n'était pas un rival
vulgaire. D'un autre côté Gaston de Foix, ennuyé de ne pas jouir de son
royaume de Navarre, y était entré et paraissait en prendre possession : Rome
et l'Italie, menacées par les Turcs, ne songeaient qu'à se défendre. Où en
serait-on si la France se mettait de la partie : Mais cette querelle
dynastique ne devait pas plus entraîner Louis XI en Aragon que d'autres ne
l'ont attiré à Naples ou en Angleterre. N'est-il pas assez préoccupé en
France ? Il n'a garde d'aller chercher des aventures à l'étranger. Il
préfère, dans l'intérêt de son autorité et de sa juridiction royales qui
profitent à tous, se faire un auxiliaire de ce conseil des trente-six qui
semblait établi pour le tenir en bride. Ainsi une bonne et sage politique se
fait de tout un moyen de succès. D'après
le texte du traité, cette assemblée fut obligée de mettre fin à sa session
avant que plusieurs affaires, notamment celle du capitaine de Nesle, Charles
de Sainte-Maure, fussent terminées. C'est au roi ensuite que le rapport en
dut être fait. La mission de Guillaume de Paris avait mis en lumière toutes
les violences et usurpations d'autorité que le comte de Charolais s'était
permises, en confondant toujours le domaine utile avec la souveraineté. Combien
de griefs s'élevaient à la fois, par suite de la même confusion ! Les
seigneurs de la Picardie et de Ponthieu qui n'avaient pas voulu rendre au duc
l'hommage, dû seulement au roi, étaient dépouillés de leurs biens : Le comte
de Charolais avait-il eu raison de forcer ces mêmes seigneurs à servir hors
du royaume sans le consentement du roi ? Pourquoi a-t-il empêché dans les prévôtés
de Fouloy, de Vimeu et de Beauvaisis qu'on ne levât les aides ordonnées pour
la guerre ? Pourquoi cette introduction dans le Mâconnais du sel de Salins,
d'où résultait une grande diminution des revenus du roi, et ces empêchements
mis aux appellations de la justice de Flandre ? Pourquoi, enfin, avoir
empêché les officiers de Tournay d'exploiter à Mortagne dans la Flandre
wallonne ? Le comte de Charolais n'a-t-il pas été jusqu'à « faire battre
les sergents qui voulaient exécuter les ordres royaux » ? Dans les
seigneuries mêmes que le comte de Nevers tenait en pairie de la couronne
n'a-t-il pas établi ses propres officiers ? Tout en convenant de ces griefs[13], on ne peut se résoudre à
donner raison à Louis XI. Le
comte Charles, de son côté, envoyait des ambassadeurs au roi sur l'affaire du
capitaine de Nesle, suivant la promesse qu'il en avait faite à Guillaume
Paris. Dans leurs réponses ils glissaient légèrement sur les points délicats
; il y en avait même qu'ils omettaient entièrement. Ce qu'ils pouvaient
pallier ils le justifiaient par de futiles distinctions. Ce sont toujours
d'ailleurs les arguties de Ferri de Clugny et de Jean Carondelet. Tout ayant
été bien examiné, Dunois, président de la haute commission, se rend, au nom
du roi l'interprète de la décision, le 21 février 1466. En voici le précis : « 1°
Pour la Picardie, il n'entra jamais dans l'intention de Charles VII de céder
l'hommage ; les terres mêmes ne furent données que comme effets mobiliers. La
souveraineté n'est point une condition qui se puisse déduire. Le sire de Croy
avait rendu hommage et prêté serment pour ses terres de Picardie ; « 2°
Le droit d'aide dans les prévôtés est royal, et ne peut être aliéné ;
d'ailleurs la cession des prévôtés a été postérieure au traité de Conflans,
et même cette concession du roi devait être restreinte ; « 3°
La seigneurie de Nesle a fait partie du Vermandois ; elle n'a jamais été
mouvante du comté de Flandre. Le droit du comte de Charolais ne pourrait
dériver que de sa dernière conquête ; or, d'après le traité de Conflans,
chacun doit rester dans ses biens. C'est donc contre toute justice qu'il
retient les terres de Nesle, de Beaulieu et autres. Eût-il quelque droit à
ces terres, il devait se pourvoir en justice et non procéder par voies de
fait. » Engagé
dans ces contestations tortueuses, le comte ne manqua pas de répliquer. Les
ambassadeurs qu'il envoya au duc de Bretagne lui donnèrent facilement raison,
parce qu'il y avait toujours là un intérêt de commune indépendance. Le roi,
de son côté, pour soutenir son bon droit, députa en Bretagne l'évêque
d'Évreux et Guillaume Paris. Ils devaient aussi s'informer si le duc n'avait
pas quelques relations inquiétantes en Angleterre. François II, pour
détourner de ce point l'attention du roi, se servit de la médiation de Dunois
; il écrit donc à celui-ci une lettre des plus rassurantes : a H ne se passe
rien en Bretagne contre le service du roi, il peut en donner l'assurance à Sa
Majesté. Il le prie de tout disposer à la douceur et à la paix, et dans le
but de tout pacifier il va engager le comte de Charolais, son frère, à donner
satisfaction au roi. » Ce
débat causait partout une vive agitation, à tel point qu'alors une ambassade
de Bretagne étant venue en effet trouver Louis XI et de là ayant passé en
Flandre auprès du duc de Bourgogne, des bruits contradictoires coururent sur
les bases d'un accommodement entre les deux frères. Pendant
qu'on recevait toutes ces belles assurances, « des envoyés du duc et de
la duchesse de Savoie étaient en Bretagne[14], et y traitaient d'une ligue
offensive et défensive contre le roi ». D'après leurs instructions ils
devaient même enlever le prince de Piémont, que Louis XI faisait élever
auprès de lui, afin de le confier au duc de Berry. Il se formait encore en
Bretagne et en Bourgogne d'autres traités où le duc de Normandie était compris.
Tout cela s'accordait peu avec les dispositions pacifiques garanties par
Dunois. Louis
XI, avec raison, entretenait de bonnes relations avec les puissances
étrangères, et se tenait au courant de ce qui se passait dans toutes les
cours. Il avait partout alors de bons négociateurs ; Milan
Guillaume Cousinot, à Venise l'évêque d'Angoulême, en Navarre l'évêque de
Langres, à Rome l'archevêque de Lyon, en Angleterre le sire de Concressaut,
que souvent l'argentier du roi allait soutenir. Alors Louis XI ayant accordé
la plupart de ses demandes au délégué de Bohème, l'abbé Goswin Span,
l'ambassadeur reçut l'ordre de revenir par Milan et de prémunir le nouveau
duc contre les desseins d'envahissement concertés entre l'empereur et les
Vénitiens. Du reste les affaires du roi ne lui permet Laient pas de porter
ses vues sur le Luxembourg. Le roi
ne négligeait aucune précaution et il préparait ses forces. Sur un compte de
maitre Raguier finissant en décembre 1466 on voit les mesures prises par le
roi et le lieu où il fait passer les revues. Là, le comte du Maine ainsi que
Tristan l'Hermite n'ont que dix lances ; Louis, bâtard de Bourbon, a les cent
lances de Poncet de la Rivière, et le comte de Dammartin les cent qu'avait eues
Charles de Melun. Surveillant avec soin les frontières de l'intérieur, il
établit le maréchal de Lohéac son lieutenant à Paris et dans l'Ile-de-France,
le sire de Châtillon en Champagne et le connétable de Saint-Pol en Normandie.
Il échelonnait donc ses troupes sur les marches de Bourgogne et de Bretagne,
les deux points les plus menacés. Surtout il leur faisait observer une exacte
discipline ; ordre à tous de tout payer et de ne rien prendre à crédit ; mais
aussi payement exact de la solde, promesse souvent décrétée sous les règnes
précédents, mais jamais tenue. Le peuple,
qui profitait de cet état de choses, ne se résignait pas aussi facilement à
payer les aides et impôts qui en résultaient. Aussi, quand il fallut les
exiger, y eut-il des troubles et par suite quelques répressions nécessaires,
par exemple à Saint-Amand en Bourbonnais. Le midi n'en fut pas exempt : ainsi
un conseiller du parlement de Toulouse étant allé à Montpellier pour
l'exécution de quelques lettres royales, Geoffroy de Chabannes, lieutenant de
la province, le fit arrêter. Dans le pays tout le monde se partagea entre le
roi et le parlement. Louis XI fit venir auprès de lui le premier président et
quelques conseillers, et le dissentiment s'arrangea. Le roi
surveillait attentivement les démarches et les préparatifs de ses deux
adversaires de Bourgogne et de Bretagne. Il était excepté, lui et l'empereur,
de l'assistance qu'ils se promettaient dans leurs alliances mutuelles, mais
l'on savait ce que valaient ces réserves, et combien il était facile de les
éluder. Louis XI ne se pouvait promettre aucune sûreté ni paix tant que son
frère serait en Bretagne le centre des mécontentements et des intrigues. Ce
jeune prince avait encore une fois refusé les offres du roi : le Roussillon
et le Dauphiné, disait-il, l'isolaient et l'éloignaient trop de ses amis.
Louis XI finit par écrire à François II[15] pour réclamer l'exécution da
traité de Caen et demander que son frère sorte de Bretagne. Le
comte de Charolais, de son côté, était inquiété dans ses biens usurpés. Le
roi, pour accentuer sa politique, releva Jean, comte de Nevers, de sa
renonciation, faite par contrainte, aux seigneuries de Péronne, Roye,
Montdidier, Anvers, aux duchés de Brabant et de Limbourg et au comté
d'Auxerre. C'était un acte de justice envers Jean de Nevers, fidèle serviteur
du roi, et envers la maison de Bourgogne, qui se croyait tout permis. Louis
n'avait point oublié son beau-frère Philippe de Bresse, retenu par ses ordres
en prison à Loches depuis 1463. Lors de la guerre du bien public, le duc de
Bourgogne essaya en vain de lui faire rendre la liberté. Le roi avec sagesse
écarta cette ingérence ; mais à la fin de 1465, peu avant Pâques, le comte
sortit de prison après avoir promis par écrit[16] qu'en haine de sa captivité il
n'entreprendrait rien contre le roi ni contre la maison de Savoie. Le duc
Louis, son père, étant mort, il donna à Orléans aux envoyés du nouveau duc
Amédée IX, son frère aîné, des sûretés particulières. D'un autre côté, le
roi, par lettres du 21 septembre 1466, lui conféra, comme témoignage de sa
confiance, le gouvernement de la Guienne, avec ordre au maréchal de Cominges
de lui livrer toutes les places fortes. Louis XI alla plus loin, il le
chargea de faire les premières ouvertures du mariage de Bonne de Savoie, sa
sœur, avec Galéas de Milan. Passant à Aoste, pour cette mission, le duc
Amédée lui accorda la mainlevée de ses terres qui avaient été saisies à la
suite de ses méfaits, si généreusement pardonnés ; et plus tard à Pignerol
lui confia la lieutenance générale du duché : alors il se montra fidèle à son
frère et le servit utilement contre le marquis de Montferrat. Mais il tint
longtemps rigueur au roi ; entrainé sans doute par le parti bourguignon de
Savoie, là, comme partout, hostile à la royauté française. Pour y
faire face Louis XI tenait surtout à être en paix avec l'Angleterre. Parti de
Tours pour la Normandie, en avril 1467, afin de convertir s'il était possible
la trêve en une alliance définitive, il fut quelque peu malade à Beaugency.
Il craignit qu'on ne le crût plus mal qu'il n'était, et continua sa route :
son parc d'artillerie voyageait sous les ordres d'Hector, bâtard de
Rochechouart ; et pour rassurer tout le monde il écrit à toutes les bonnes
villes du royaume. A son arrivée à Rouen, le 27 mai, il apprit avec joie que
le comte de Warwick était récemment débarqué à Calais pour traiter avec lui. Édouard
d'Yorck, on le sait, étant redevable de sa couronne à ce seigneur, lui avait
donné d'abord tout pouvoir sur mer et le titre de sénéchal d'Angleterre :
comme premier ministre et d'accord avec Georges, évêque d'Exester, il avait
tout dirigé dans le royaume. Mais pendant ses négociations en France Édouard
épousait Élisabeth, fille de Rivers ; or désormais les parents de la nouvelle
reine s'emparèrent de toute influence dans le gouvernement. Warwick fut
profondément blessé de cette disgrâce personnelle, mais il n'en fit rien
paraître, et résolut de s'en venger. Il obtint donc de passer la mer pour
traiter avec Louis XI au sujet du dommage que la flotte de Coulon causait à
l'Angleterre. Le roi envoya le sire de la Barde à sa rencontre jusqu'à
Caudebec, et lui fit à Rouen le plus gracieux accueil. Le corps de ville et
toutes les paroisses avec croix et bannières le reçurent solennellement, et
pour leur en témoigner sa reconnaissance Louis XI accorda aux Rouennais, par
lettres patentes du 13 juin, le droit d'acquérir et de posséder des fiefs
nobles. Après avoir conféré avec le roi huit jours entiers en parfaite
intimité, Warwick s'embarqua à Honfleur, le 22 juin 1467, accompagné des cinq
ambassadeurs, l'évêque de Laon, le président maître de Popincourt, Concressaut,
l'amiral et Olivier le Roux, que Louis envoyait au roi Édouard. Ces
députés furent reçus en Angleterre avec une froideur significative, dont
Warwick ne laissa pas que d'être encore irrité. Avant de partir pour Windsor,
Édouard leur donna audience à Westminster et s'y montra en grand appareil,
entouré de ses nouveaux alliés, les Rivers. Maître de Popincourt ayant
expliqué le but de l'ambassade, le roi, sans indiquer aucune solution, remit
l'affaire aux gens de son conseil ; puis il resta six semaines à Windsor,
paraissant éviter l'ambassade française. Cependant
le duc de Clarence se plaignait aussi de la mauvaise direction du
gouvernement. Ne pourrait-il pas lui-même user de son droit d'aînesse et
prétendre à la couronne d'Angleterre ? La haine est prompte à unir les partis
et les hommes : Warwick demanda donc au duc sa fille en mariage et l'obtint.
Tout faisait prévoir pour ce pays de nouveaux orages, et à leur retour les
députés purent les annoncer au roi. Tandis
que tant d'événements se préparaient, le duc Philippe, affaibli de corps et
d'esprit, expira à Bruges, le 15 juin 1467. S'il fut appelé le Bon, il ne
mérita ce surnom que par la grâce et l'affabilité de ses manières ; mais quel
Français oserait le lui donner ? C'est lui qui introduisit les Anglais en
France après avoir préparé l'odieux traité de Troyes ; lui qui, après avoir
battu et fait prisonnier à Bullegneville le roi René, le mit durement à
rançon sans nulle générosité. N'a-t-il pas, malgré toutes ses protestations
et ses serments envers Louis XI, et malgré les concessions qu'il fut possible
au roi de faire, poussé à cette guerre du bien public, dont on voit de là le
cruel dénouement et les suites funestes ? Enfin il léguait en son fils à la
royauté française son plus implacable ennemi, et comme dernière leçon il
ordonnait le sac de Dinant et l'affreuse exécution qui s'ensuivit. Son
historien ne peut s'empêcher de le dire : « Quelle ambition n'avait-il pas
montrée : Que de guerres pour s'accroître[17] : Sa famille entière avait été
dépouillée. Le Hainaut, la Hollande et la Zélande étaient, comme on sait,
l'héritage de Jacqueline : ses droits au Luxembourg venaient d'un testament
surpris à sa tante : il avait privé d'une partie du Brabant ses cousins et
pupilles, les comtes de Nevers et d'Étampes... » Ajoutons une excessive
susceptibilité sur le point d'honneur ; nul respect des privilèges des
peuples et des villes, enfin les bonnes cités de Flandre dépouillées de leurs
vieilles libertés : D'un autre côté, malgré son respect apparent pour la religion, il avait méprisé avec une singulière hardiesse les lois du mariage, et peuplé son pays de bâtards. L'historien, qui ne les cite pas tous, en nomme treize, sans compter plusieurs religieuses. Ses obsèques eurent lieu le 24 juin, et parmi ceux qui portèrent le cercueil figurent les sires de Comines, de Chalon, Baudouin, bâtard de Bourgogne, et autres. L'office des morts fut célébré par l'évêque de Tournay[18]. |
[1]
Olivier de la Marche.
[2]
Hennin.
[3]
Registres du parlement, 194e, n° 184.
[4]
Félibien.
[5]
Barante, t. VIII, p. 572.
[6]
Barante.
[7]
Pièces de Legrand.
[8]
Legrand.
[9]
Mémoires archéologiques de Tours, t. VIII.
[10]
Mémoire de M. Abel Desjardins.
[11]
Mémoire sur la politique extérieure.
[12]
Legrand.
[13]
Barante, t. VIII, p. 585.
[14]
Legrand.
[15]
Legrand, Mss., t. II, liv. X, p. 20.
[16]
Guichenon.
[17]
Barante, t. VIII, p. 597.
[18]
Chronique.