HISTOIRE DE LOUIS XI

SON SIÈCLE, SES EXPLOITS COMME DAUPHIN - SES DIX ANS D'ADMINISTRATION EN DAUPHINÉ - SES CINQ ANS DE RÉSIDENCE EN BRABANT ET SON RÈGNE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE DOUZIÈME.

 

 

Bataille de Montlhéry. — Les princes devant Paris. — Voyage du roi en Normandie. — Tumulte à Paris. — Retour du roi. — Trahison à Pontoise et à Rouen. — Négociations et exigences des princes. — Paix onéreuse de Conflans et de Saint-Maur. — Départ des princes. — Intrigues à la cour de Normandie. — Invasion de cette province par le roi. — Ambassades et réclamations. -- Louis XI reprend la Normandie.

 

Cependant le roi, arrivé de bonne heure à Étréchy, y fit halte ; il en partit le soir, et vint toute la nuit à Châtre ou Arpajon. Sans se reposer il alla droit à Montlhéry, où il savait la présence des ennemis. Ses troupes étaient moins nombreuses, mais fort belles toutefois ; leur valeur en compensait le nombre. N'avoir point, ou fort peu d'artillerie, était son grand désavantage ; puis arrivant, lui et les siens, d'un voyage long et fort pénible, ils étaient tous, hommes et chevaux, harassés de fatigue, malgré le soin qu'il en avait pris. II fallait combattre, et il n'hésita pas. D'ailleurs, il fut irrésistiblement poussé à la lutte par le sénéchal Pierre de Brézé qui, dans ce moment, n'écouta que le point d'honneur[1]. Suivant la chronique, le sénéchal, frappé de la fatigue de l'armée, aurait insinué au roi de donner aux troupes un peu de repos. Louis alors lui aurait franchement demandé s'il n'avait pas d'engagement pris avec les princes. « Sire, dit alors Pierre de Brézé, ils ont mon scel par-delà, mais vous avez mon cœur et ma personne, et vous me voyez prêt à vivre et à mourir pour vous. •

Le sénéchal se porta donc, le mardi 16 juillet, sur Montlhéry avec l'avant-garde qu'il conduisait, et engagea la lutte plus tôt même qu'on ne pensait. La même chronique nous montre le comte de Charolais, dès avant déjeuner, rangeant son armée sur la gauche du chemin qui va de Paris à Montlhéry, le visage tourné vers le château, dressant devant„ ses archers et hommes d'armes quelques serpentines, non toute son artillerie « qui était bonne et belle selon le temps[2] », et attendant ainsi les Français. Il ne tarda pas à les voir qui approchaient de divers côtés, suivis de tout le camp du roi en belle ordonnance. Louis XI se mit en ordre de bataille vers sept heures du matin, le long d'une grosse haie bien épaisse, sans que nulle partie eût envoyé personne pour savoir l'intention ou volonté de l'autre.

Plusieurs hommes de guerre nous donnent la relation de ce fait d'armes ; nous les suivrons, surtout sur les points où ils sont d'accord. Les chefs bourguignons avaient arrêté en conseil qu'ils combattraient à Longjumeau et que le comte de Saint-Pol, chef de leur avant-garde, se replierait sur ce point. Il en fut autrement ; car en fait de bataille « il arrive rarement que les choses tiennent aux champs comme elles sont décidées en chambre ».

Le roi se réserva le corps de bataille et donna l'arrière-garde ou réserve au comte du Maine. Charles de Bourgogne fit à peu près de même. Il commanda le principal corps, donnant l'avant-garde au comte de Saint-Pol et la réserve au bâtard Antoine de Bourgogne. Vers les dix heures quelques escarmouches commencèrent ; la plus importante eut alors lieu, au bout du village de Montlhéry, entre les archers, qui, de part et d'autre, mirent pied à terre[3]. Ceux du roi, tous archers d'ordonnance, étaient en bon ordre et conduits par Poncet de la Rivière. Parmi ceux de Bourgogne, plus nombreux, on remarquait Philippe de Lallain et Jacques du Mas, mais ils étaient sans ordre. A une heure après midi, l'action s'engagea sérieusement. Le roi, pour appuyer les siens, chargea brusquement le comte de Saint-Pol, mit l'avant-garde ennemie en désordre, et la poussa jusqu'au prieuré de Longpont. Le comte de Charolais vint au secours de Saint-Pol, et, à son tour, repoussa le roi jusqu'au château de Montlhéry.

Le comte croyait que tout était fini, lorsque Contay, son fidèle serviteur et un vieux gentilhomme du Luxembourg, appelé Antoine le Breton, lui firent difficilement comprendre que les Français se ralliaient à Montlhéry et que sa gauche, où étaient les sires de Ravestein et Jacques de Luxembourg, avait été mise en déroute par les nobles de Savoie et de Dauphiné, et en une telle déroute, qu'ils croyaient la bataille perdue et qu'un grand nombre fuyaient jusqu'à Sainte-Maxence, publiant partout que le comte était tué ou du moins battu.

Charles de Bourgogne, en effet, venait de courir un grand danger. Poursuivant les fuyards avec plus d'ardeur que de prudence, il avait été assailli dans sa poursuite, et même blessé à la gorge d'un coup d'épée dont la cicatrice lui resta. Sur le point d'être fait prisonnier par Geoffroy de Saint-Bélin, il ne fut tiré d'affaire que par la hardiesse d'un des siens, qu'Olivier de la Marche nomme Robert Coteret ou Cottereau, le fils de son médecin, auquel la chronique d'Hennin ajoute le Picard Colinet. Il alla donc, tout sanglant, rejoindre ses archers qui étaient à peine une quarantaine. Pendant une demi-heure les Bourguignons étaient si découragés que, s'ils avaient vu cent hommes venir à eux, ils n'auraient songé qu'à fuir.

Mais la fortune est changeante. On vit de loin sortir du bois le comte de Saint-Pol, avec une cinquantaine d'hommes d'armes, marchant à petits pas, et dont le nombre augmentait à mesure qu'ils avançaient ; au point qu'ils étaient bien huit cents quand ils joignirent le comte de Charolais. On le reconnut à son enseigne, mi-partie de soie grise et rouge, à sa licorne d'argent ayant la corne et le bout des pieds d'or, avec cette inscription : mon mieux.

A cette vue le roi, fatigué au-delà de toute expression, n'hésita pas à charger ; mais à la seconde attaque il fut repoussé par le Charolais. La fuite de la réserve, sur laquelle Louis XI devait compter, s'explique difficilement. Y eut-il connivence du comte du Maine avec Charles de Bourgogne ? on est porté à le craindre. Il y a aussi la possibilité d'une de ces paniques dont on a plusieurs exemples. Quand on vit le roi repoussé, on put le croire blessé à mort. L'épouvante fut telle, que huit cents hommes d'armes s'enfuirent, entraînant avec eux leurs chefs, même l'amiral de Montauban et Jean Salazart, deux braves capitaines. Il est certain que, lorsque Louis XI s'engagea avec le gros de l'armée ennemie[4], il avait relativement peu de monde, très-peu d'artillerie, et qu'au moment décisif son arrière-garde lui fit défaut. « La souveraine chose du inonde pour les batailles, ce sont les archers par milliers. En petit nombre ils ne valent rien[5]. » Ainsi les idées du moyen âge commençaient à se modifier.

D'un autre côté, sur la gauche, les guerriers accourus de Savoie et de Dauphiné firent preuve d'une grande bravoure et vainquirent réellement. Quant au roi, « il se distingua plus que nul autre » ; il rallia son monde jusqu'à trois fois ; et au fait, Pierre de Brezé, qui avait engagé l'action sans l'ordre du roi, ayant été tué dès le commencement de la bataille, Louis était le seul qui fût en état de commander. La lutte se ralentit sur le soir, par lassitude de combattre plutôt qu'autrement. Les Bourguignons, pour camper devant Montlhéry, où était le comte de Charolais, formèrent une enceinte avec leurs chariots de bagages. Du côté des Français, on vit bientôt les feux s'allumer. Alors ceux de Bourgogne « pensèrent que le roi allait aussi passer la nuit sur le champ bataille[6] » ; tant il s'en fallait qu'ils crussent avoir eu victoire complète ! D'ailleurs, si dans l'armée du roi un fugitif courut avec effroi jusqu'à Lusignan[7], du côté du comte un guerrier, dans sa fuite, ne s'arrêta et ne se crut en sûreté qu'au Quesnoy.

« La noblesse du Dauphiné servit si utilement le roi en ce combat, que le sang qu'elle y versa fut la plus noble partie du prix que lui coûta la victoire. Elle y fut conduite par Jacques, baron de Sassenage, qui avait assemblé l'arrière-ban. A l'avant-garde de l'armée il eut à soutenir la première impétuosité des Bourguignons. Excités par la présence de leur prince, ils fondirent comme la foudre sur ce corps ; mais il ne ploya point et tint bon. L'exemple des Dauphinois retint les autres, et on leur dut tout. ce qu'il y eut d'heureux dans ce combat. Cinquante-quatre gentilshommes de cette troupe y furent tués, le roi n'en ayant perdu que cent quatre de toutes les autres provinces. De retour, Jacques de Sassenage, pour honorer leur mémoire, les fit peindre avec les écussons de leurs familles dans la chapelle fondée en l'église des Frères prêcheurs par son aïeul, le baron François[8]. » Parmi ces nobles victimes étaient François de Sassenage et Pierre du Terrail. Ce dernier fut le grand-père de Bayard ; car Aimon, son fils, épousa Hélène, fille d'Henri Aleman, seigneur de Laval, et de cette union naquit, au château de Bayard, le chevalier sans reproche. La noblesse du Dauphiné témoigna ainsi de son estime et de sa fidélité pour le roi, et Louis retint auprès de lui son chef, Jacques de Sassenage.

Il resta, dit-on, 3.600 hommes sur le champ de bataille. Outre Pierre de Brezé, le roi perdit Geoffroy de Saint-Bélin, dit Lahire, bailli de Chaumont ; Jacques Hoquet, bailli d'Évreux, et Philippe de Louhans, bailli de Meaux.

De leur côté, les Bourguignons n'eurent point assez d'hommes d'armes à leur gauche pour soutenir l'attaque. Malgré leurs chefs, les seigneurs de Ravestein et Jacques de Saint-Pol, ils furent complétement rompus et chassés jusqu'aux charroys. Les principaux de cette poursuite étaient les nobles dauphinois et savoisiens. Alors se mirent à fuir, pour gagner le Pont-Sainte-Maxence, un grand nombre de cette partie de l'armée, et, selon Monstrelet, de grands personnages, tels que les seigneurs d'Happlaincourt, d'Aimeries, d'Inchy et de Rohodeughes. Quand Charles de Bourgogne allait et venait autour de son camp, Philippe d'Oignies portait auprès de lui son pennon à demi déployé. Cet étendard était de soie, mi-partie de noir et de violet ; l'uniforme des archers de sa garde était de ces mêmes couleurs ; ils portaient la croix de Saint-André et un fusil avec garniture d'orfèvrerie. On dit aussi que Charles de Bourgogne, ayant eu à changer de cheval pendant la bataille, prit celui d'un de ses pages, nommé Simon de Quingey. Le comte perdit dans cette journée plusieurs notables chevaliers, tels que Philippe de Lallain, le sire de Crèvecœur et Philippe d'Oignies, bailli de Courtray. Dubeeis, son porte-étendard, fut fait prisonnier. La bataille finit entre sept et huit heures du soir.

Alors, la garde écossaise conduisit le roi dans le château de Montlhéry. Quoiqu'il n'eût pas mangé de toute la journée, après s'être un peu reposé, il alla directement à Corbeil, et il y arriva à dix heures du soir. Il s'y reposa jusqu'au 18. C'est dans les épreuves que se montre l'homme supérieur. On ne ménageait pas les quolibets à ceux de l'arrière-garde. « Le comte du Maine et l'amiral de Montauban n'étaient pas épargnés dans les propos. Mais pour le roi, il ne montrait nulle colère. Il ne faisait de reproches à personne. Ceux qui avaient fui, comme les autres, il accueillait bien tout le monde. Il ne songeait qu'à se tirer au plus vite de ce mauvais pas[9]. »

Parmi les hommes les plus dévoués au service de Louis XI, en cette circonstance surtout, il faut compter Jean II, seigneur de Montmorency, d'Écouen, de Damville et de Confins, dit, même avant l'année 1425, premier baron et grand chambellan de France[10]. Ses deux fils aînés, Jean, seigneur de Nivelle, et Louis, seigneur de Fosseux, embrassèrent le parti bourguignon malgré toutes les exhortations et remontrances. Ils combattirent à Montlhéry pour le comte de Charolais contre Louis XI, et même à cette journée Louis de Fosseux commanda deux cents lances. Ils auraient donc pu rencontrer leur père dans la mêlée. Jean II fut si indigné de cette conduite et de cette double félonie contre le roi et contre lui-même, qu'il les priva de tous les droits qu'ils pouvaient avoir sur la baronnie de Montmorency et sur tous ses autres héritages situés dans la vicomté de Paris, et qu'il donna tous ses biens et tous ses titres à son troisième fils Guillaume, né de son second mariage avec Marguerite d'Orgemont. Par acte de 1472 il confirma ses dispositions. Guillaume servit Louis XI très-fidèlement ; ensuite Charles d'Anjou le retint dans ses conseils, le fit son chambellan et dans son testament de 1481 lui légua 6.000 écus d'or, en le nommant son généreux écuyer. Il servit avec honneur les trois successeurs de Louis XI, et c'est lui que choisit la reine-mère, Louise de Savoie, pour préparer son traité avec Henri VIII, en 1525.

Le comte de Charolais demeura sur le champ de bataille de Montlhéry, s'attendant à soutenir une nouvelle lutte le lendemain. Il passa donc la nuit dans une grande inquiétude. Le soir même du 17 juillet on tint conseil dans le camp. Le comte de Saint-Pol, qui opina le premier, dit « que l'on était en grand péril[11]. Il était d'avis que, dès l'aube du jour, on tirât vers le chemin de Bourgogne, qu'on brûlât une partie des charroys et qu'on sauvât seulement l'artillerie. Le sire de Hautbourdin conseilla d'attendre des renseignements. Le sire de Contay remontra le danger de fuir ; il pensa que, dès la pointe du jour, il fallait assaillir le roi, avec la résolution de vaincre ou de mourir. » C'est à ce dernier conseil que le comte s'arrêta.

L'armée bourguignonne avait aussi ses mécomptes ; le Charolais se trouvait en assez mauvaise position. « Une partie de ses gens s'étaient honteusement enfuis. Les sires d'Aimeries, d'Happlaincourt et beaucoup d'autres avaient à la hâte traversé le pont de Saint-Cloud, et, courant au Pont-Sainte-Maxence, ils étaient tombés entre les mains du seigneur de Mouy[12]. » Informés de la déroute de l'aile gauche des Bourguignons, les Parisiens, au nombre de 30.000, dit-on, sortirent de la ville, massacrèrent un grand nombre de fuyards ; prirent leurs bagages, et emmenèrent plus de 1.500 prisonniers et jusqu'à 2.000 chevaux. Sur un autre point, le maréchal Joachim, à la faveur de cette déroute partielle, alla s'emparer du pont de Saint-Cloud, qu'il trouva abandonné, tandis que d'un autre côté Mouy, capitaine de Compiègne, rassemblait les garnisons de Creil, de Senlis et de Crespy, et allait s'emparer du Pont-Sainte-Maxence.

Le courrier de Charles de Bourgogne qui fut envoyé aux ducs de Berry et de Bretagne pour les informer de ce qui s'était passé, les trouva, le 18 juillet, à Châteaudun. Ils partirent immédiatement pour venir joindre le comte. Ce dernier resta sous Montlhéry toute la journée du 18. Le château tint bon, et le 19 il décampa et alla à Étampes. Robinet du Ru, qui commandait, n'essaya pas de résister à de telles forces, et reçut le 14 juillet de l'année suivante une amnistie personnelle. Là, le jeudi 19, les Bretons vinrent rejoindre le Charolais, et avec eux Dunois, Chabannes, Lohéac, les sires de Bueil, de Chaumont et Charles d'Amboise, qui depuis fut un grand homme.

Quatre jours après ils renouvelèrent leur traité de Nantes du 22 mars. Ils dirent dans celui-ci, du 24 juillet, que « aucuns, étant en autorité auprès du roi, l'induisent à prendre inimitié contre les seigneurs de son sang, et lui conseillent d'invader leurs terres, comme il l'a montré par l'invasion ou l'attaque qu'il fit le 16 juillet à Montlhéry sur ledit duc de Bourgogne qui venait joindre monsieur de Berry et le duc de Bretagne. Pour cette raison, Charles de Bourgogne, comte de Charolais, « seigneur de Château-Belin et de Béthune, continue ses alliances avec le duc de Bretagne, s'obligeant d'être pour lui bon frère et parfait ami. »

Ainsi, quand le comte de Charolais porte la dévastation dans les provinces de France et livre des assauts même à la capitale, c'est Louis XI qui envahit les terres de Bourgogne ! Quand les princes coalisés viennent avec de grandes armées faire leur jonction au cœur du pays, c'est Louis XI qui prend l'initiative de la guerre et de l'invasion ! Messieurs de Charolais et de Bretagne, comme le témoignent les lettres envoyées aux habitants de Péronne, d'Amiens et autres villes, viennent sans doute avec un pareil cortége pour se donner mutuellement le pacifique salut ! Voilà ce qu'on ose dire par ce traité d'Étampes, fait ab irai° pendant que le Charolais pansait ses blessures. Par ce traité le comte donne au duc le comté de Guines, la seigneurie de Béthune et la terre de Goiland.

Les princes ligués s'établirent à Étampes. Ils firent camper leurs deux armées aux environs, et y restèrent un peu irrésolus et inquiets jusqu'à la fin de juillet, Le jeune Charles de France, paraissant ému à la vue de tant de Bourguignons blessés qu'il voyait errer dans la ville, et étant allé jusqu'à dire dans le conseil qui fut alors tenu « qu'il en était ébahi, et qu'il voudrait bien n'avoir jamais entrepris cette guerre. — L'avez-vous entendu ? dit le Charolais à ses amis ; il est ébahi pour sept ou huit cents blessés, gens inconnus de lui, qu'il voit dans la ville. Il serait homme, si le cas le touchait en quelque chose, à appointer bien légèrement, et à nous laisser dans la fange[13] ». Il concluait qu'ils devaient prendre leurs sûretés même au dehors. Le traité ne fait nulle mention du duc de Berry. Il parait que le comte commençait à s'intéresser un peu moins à lui.

Alors, selon Comines, Charles de Bourgogne envoya en Angleterre Guillaume de Clavy demander la sœur du roi en mariage. Mais Isabelle de Bourbon vivait encore et n'est morte que le 15 septembre suivant. Cette singulière méprise, relevée par l'abbé Legrand, montre combien il faut se méfier des récits contemporains.

Le roi arriva à Paris le 19 juillet au soir. Il y fut reçu avec de grandes acclamations. La journée de Montlhéry était restée douteuse ; mais il s'y était acquis beaucoup de gloire. On était d'accord à dire qu'il y avait à la fuis rempli tout devoir de capitaine et de soldat. Le soir il alla souper chez le grand maitre de France, Charles de Melun. Il y avait une nombreuse assistance de bourgeois et de dames de Paris. Il raconta très-vivement ce qui s'était passé à Montlhéry, le danger qu'il y avait couru ; et son récit fut tel, qu'il émut jusqu'aux larmes tous ceux qui l'entendirent. Il dit que « le lundi suivant 23, il se remettrait en campagne, et qu'il n'aurait point de repos qu'il n'eût chassé les ennemis hors du royaume ».

Pour prévenir au dehors tout découragement, il écrivit des lettres rassurantes aux principales de ses bonnes villes. On lit dans celle adressée le 2l juillet aux officiers municipaux de Poitiers : « Des Bourguignons, il est mort de quatorze à quinze cents sur-le-champ, et quatre ou cinq cents sont prisonniers, et en la chasse ont été perdus ou pris bien plus de 2.000..... De notre part il n'y a pas que mort, que pris, trois cents. Vrai est que le grand sénéchal de Normandie, duquel Dieu veuille avoir l'âme, y a tué, dont c'est granit dommage[14]. » Le roi donne immédiatement des ordres pour qu'on assemble la noblesse et les francs-archers dans les provinces voisines de Paris, et surtout en Normandie. Tout ce qui pouvait flatter la population parisienne, il s'empressa de le faire, car être sûr de cette ville, c'était déjà l'être de la France.

Le même jour, 21 juillet, Guillaume Chartier, évêque de Paris, vint le trouver et lui parla assez longuement des devoirs de la royauté, en insistant sur la nécessité de former un conseil. C'était un vertueux prélat ; et si ses idées politiques manquaient de profondeur, ses intentions étaient excellentes. Le roi l'écouta jusqu'au bout avec bonté, parut approuver sa pensée, et forma sur-le-champ un conseil où entrèrent six notables bourgeois, six membres du parlement et six de l'université. Peu de jours après, il rendit certains droits aux gens d'église, de robe ou d'épée ; puis, pour toute la ville de Paris, il ôta tout impôt sur les menues denrées, réduisit la contribution du quart au huitième, et des soixante-six fermes qu'il y avait à Paris, il n'en resta que six. Louis nomma gouverneur de la ville, le comte d'Eu, reconnu pour le plus sage des princes de son temps. Il arriva à Paris le 13 août[15]. Charles de Melun reçut du roi en dédommagement la capitainerie d'Évreux et de Honfleur. La pensée de faire prendre les armes aux étudiants était moins heureuse. Le recteur de l'université réclama l'observation des privilèges de son corps. Mais au-dessus des statuts de corporation, il y avait la loi suprême du salut public. Guillaume Fichet eut peut-être le tort de ne pas comprendre la gravité des circonstances.

Le 31 juillet les princes quittèrent Étampes, pour aller à Saint-Mathurin de l'Archant et à Moret en Gâtinais. Ils songeaient à passer la Seine au pont de Samois, et à donner la main au duc de Calabre qui venait de la Lorraine par la Champagne. Le pont était rompu. De Torcy, qui ne cessait d'inquiéter le Lorrain, avait retardé sa marche. Les princes ligués improvisèrent un pont avec des bateaux et des futailles. Tout fut prêt le 4 août ; et quoique le maréchal Rouhaut et Salazart fussent venus pour disputer le passage, le comte de Charolais, avec cinquante lances, passa ce jour-là, et toute l'armée le jour suivant. On s'attendait à les voir se porter immédiatement sur Paris ; ils s'étendirent au contraire dans la Brie, tirant vers Provins et Nogent.

Bientôt fut signalée l'approche du duc de Calabre. « Le bâtard de Vendôme côtoya si bien ce chef et le maréchal de Bourgogne, qu'il les empêcha d'entrer en Champagne, et les obligea d'aller passer près d'Auxerre[16]. » Le duc Jean amenait avec lui neuf cents hommes d'armes fort aguerris, sous les ordres de Jacques Galiot, de Campo-Basso et de Baudricourt. Il avait, dit-on, dans son armée cinq cents hommes des lignes suisses, les premiers qu'on ait vus dans le royaume[17]. On attendait aussi le maréchal et la noblesse de Bourgogne, le sire de Montaigu, frère du maréchal, et le marquis de Rothelin. Ils s'approchèrent donc de la capitale avec plus de cinquante mille hommes, selon les appréciations du prieur de Sainte-Marie, qui sont les moins exagérées, et ils y restèrent onze semaines[18].

Quand ils furent si près de Paris, Louis, qui peut-être ignorait encore leur jonction avec les forces de Bar et de Lorraine, fit un dernier effort pour détacher Jean de Calabre de la coalition. Le mercredi 8 août il envoya vers le duc de Calabre[19] le seigneur de Précigny, président de la chambre des comptes, conseiller du roi, et Christophe Paillard, et ils lui remirent dans l'Auxerrois les lettres de Louis XI. Ils rapportèrent promptement sa réponse peu favorable. Alors même le roi alla plus loin ; car comment pouvait-il avoir Jean de Calabre pour ennemi ! Il envoie donc en Anjou une lettre des premiers jours d'août, et prie avec instance le roi de Sicile d'écrire à Jean, son fils. Le roi René s'empressa de le faire. Sa lettre est touchante ; on y lit : « Vous vous rappelez ce que je vous ai fait savoir par l'évêque de Verdun de la volonté du roi et de la mienne. Toujours m'avez été obéissant jusqu'à présent. Encore, si vous êtes sage, vous ne commencerez pas à faire autrement, et je vous le conseille pour votre bien et honneur. » Il lui dit donc de faire ce que Gaspard Cossé, son envoyé, et ce que le député du roi lui auront mandé de la part de Louis et de la sienne. La lettre, datée de Launay, 10 août, et mise d'abord sous les yeux du roi, est signée : voire père. Malheureusement le duc était trop engagé alors avec les princes pour s'en séparer, et une sorte d'attraction militaire lui inspirait pour le Charolais plus de sympathie qu'il n'eût fallu. Ses rancunes à l'égard de Louis XI étaient d'ailleurs, on le sait, des plus injustes.

Le roi, pendant ce temps, avait pourvu de son mieux à la défense de la capitale. Comme il ne recevait rien de toutes les provinces occupées par les princes rebelles, il fut contraint de faire un emprunt sur plusieurs officiers et autres, de la ville de Paris Dans ce cas de nécessité on considéra le refus comme une offense au roi. On cite parmi ceux qui refusèrent : maître Jehan Cheneteau, greffier du parlement, et maître Martin Picard, conseiller des comptes ; ils furent privés de leurs offices. Il fallut même exercer quelques sévérités pour comprimer ceux du parti bourguignon qui, bien qu'en minorité, se montraient trop, et aussi contre les espions. Plusieurs donc, après jugement d'une espèce de conseil de guerre présidé par le prévôt des maréchaux, furent noyés, entre autres un nommé Odon de Bussy, avocat au Châtelet, pour avoir passé au service du duc de Bourgogne, perdit la vie, lui et sa femme. On enferma : quatre criminels d'État à la Bastille. Louis XI, d'ailleurs, prévoyant bien la direction que pouvaient prendre les coalisés, avait fait soigneusement garder Melun, Montereau, Sens et les autres villes des environs. Tous ces points étaient en sûreté et pouvaient au besoin former une armée de secours contre les assiégeants. Le 14 août arrivèrent[20] deux cents archers à cheval, dont plusieurs étaient armés de couleuvrines à main.

Après que Louis se fut assuré du bon esprit des Parisiens, qu'il eut excité à prendre les armes tous ceux capables de les porter utilement, réuni sur ce point les hommes d'armes dont il pouvait disposer, et remis le commandement de ces forces à des chefs éprouvés, tels que les maréchaux Joachim et de Cominges, Gilles de Saint-Simon, bailli de Senlis, et le sire de Labarde, il quitta Paris, le samedi 10 août, et courut en Normandie chercher des secours d'hommes et de munitions, laissant le comte d'Eu comme lieutenant.

On sut, le 12, que les princes ligués occupaient Bray-sur-Seine, Nogent et Provins ; le 15, ils étaient à Lagny ; le 17, ils arrivaient au pont de Charenton. Dès lors les escarmouches et combats furent plus fréquents ; dès lors aussi, l'esprit de parti et la frayeur s'éveillèrent plus vivement dans la ville. Le 18 août, après certaines tranchées faites pour se fortifier, les gens de Paris envoyèrent une députation au comte d'Eu, pour solliciter, s'il était possible, un accommodement avec les princes. Le comte répondit qu'il ferait ce qu'il pourrait pour hâter ce bon accord ; que même il irait en personne s'il le fallait.

Le parti de Bourgogne relevait la tête. Après Montlhéry, lorsque les Parisiens sortirent en armes à la poursuite des Bourguignons égarés, il y eut à Paris, assure-t-on, des exécutions contre plusieurs de ce parti. Ces violences, sans jugement préalable, sont toujours l'indice d'un désordre profond.

Une chronique de ce temps raconte que le mercredi 14 août[21] on fouetta dans les carrefours un certain Casin Chalet, parce qu'il avait crié que les Bourguignons étaient entrés, et qu'on eût à se renfermer chez soi. L'auteur ajoute que le roi, témoin de ce châtiment, disait : « Frappez, ne l'épargnez pas ! il a bien mérité d'être ainsi battu. » Or il dit lui-même, à la page précédente, que le roi était parti le 10 pour la Normandie ! Cette erreur, déjà relevée par l'abbé Legrand, ne pouvait être passée sous silence.

Après avoir emporté le pont sur la Marne, les princes campèrent autour de Paris : le comte de Charolais et le duc de Calabre, le long de la rivière, à Charenton et à Conflans ; les ducs de Berry et de Bretagne, à Saint-Maur et au château de Beauté ; le reste de l'armée à Saint-Denis. De part et d'autre les hostilités devinrent plus vives et plus fréquentes : les alertes ne manquèrent pas dans la ville, surtout dans le voisinage des portes ; mais la garnison et les citoyens firent bravement leur devoir. On se souvenait à Paris de la tyrannie des écorcheurs ; aussi se défendait-on de bon cœur contre les Bourguignons.

Le mercredi, 22 août, ils envoyèrent six hérauts à la porte Saint-Antoine, avec des lettres adressées à l'évêque, au clergé, au parlement, à l'université et au corps de ville. Elles justifiaient leur prise d'armes : le bien public les y avait poussés. Elles demandaient à ceux à qui elles étaient adressées d'envoyer trois membres de leur corps, pour ouïr les griefs des princes. On dit aux hérauts qu'on aviserait et qu'on répondrait le lendemain. Les députés du clergé furent l'évêque Guillaume Chartier, avec plusieurs chanoines, et Thomas de Courcelles, doyen de Paris. Le parlement envoya Jean le Boulanger, second président, et deux conseillers, l'un clerc et l'autre laïque, Jean le Sellier, archidiacre de Brie, et Jacques Fournier ; l'université, Jean l'Huillier, docteur en théologie, et trois autres docteurs, Jacques Ming, Jean de Montigny et Enguerrand de Parenti, représentant les lettres, le droit et la médecine ; le corps de ville délégua le lieutenant civil Jean Choard et deux bourgeois, l'avocat François Ballé, et le changeur Arnault l'Huillier.

Le 23, après la messe pontificalement chantée, les députés allèrent au château de Beauté, sous la présidence du prélat. Le duc de Berry était assis dans un fauteuil. Il avait à ses côtés les ducs de Calabre, de Bretagne et le comte de Charolais, tous trois debout. Le comte de Dunois expliqua les demandes des princes : ce fut encore un acte d'accusation contre le roi. A leurs yeux, les alliances de Louis XI avec le duc de Milan et d'autres étrangers avaient pour but la mine et la destruction des grandes familles de France. Depuis longtemps ils demandaient la convocation des états par le conseil desquels on devait désormais gouverner, et le roi ne leur avait rien répondu à ce sujet.

Pour garantie de ce qui leur serait accordé, il fallait leur livrer le roi et Paris. En cas de refus de la ville, toutes les pertes qui résulteraient de la guerre retomberaient sur elle. On voulait bien leur donner jusqu'au dimanche 26 août pour y réfléchir. Si la réponse était négative, ils pouvaient s'attendre à être, lundi, assaillis de tous côtés. C'était leur dernier mot ; nulle réclamation des députés ne put faire adoucir ces demandes.

On se réunit à l'hôtel de ville pour en délibérer. Les Bourguignons avaient un parti dans Paris : on accusa même le lieutenant civil, qui rendit compte de l'entrevue, d'avoir parlé comme en faveur des ennemis. Le maître des requêtes, prévôt des marchands, qui présidait l'assemblée, refusa le matin de mettre la question aux voix. Dans la séance de l'après-midi, le même prévôt parla en homme sage sur le parti à prendre. Il s'agissait d'ouvrir les portes aux princes sous certaines conditions ou restrictions. Quand on en vint aux voix, elles furent partagées. Il n'y eut point encore de résolutions prises. Le cas était épineux. Certains voulaient qu'on prît un milieu, qu'on permît l'entrée de la ville aux quatre princes, avec chacun quatre cents hommes seulement pour leur garde. Mais seize cents hommes eussent suffi pour s'assurer d'une ou deux portes : il en fût résulté l'introduction de l'armée entière et tout eût été perdu.

Cette opinion était celle de quelques peureux, comme il y en a toujours n pareille circonstance, qui redoutaient les menaces de Dunois. Le prévôt leur remontra que le comte d'Eu, Charles de Melun et le bâtard du Maine disposaient de forces assez considérables ; qu'on ne pouvait, sans un grand péril, s'exposer à voir la lutte s'engager dans la ville même ; que, par conséquent, on ne devait pas, sur une aussi grave affaire, prendre un parti sans leur en parler. Cependant le bruit se répandit dans la ville que les députés voulaient livrer la capitale. Il n'en fallut pas davantage pour soulever tout Paris. On courut aux armes ; on parlait déjà de massacrer les traîtres. Tous ceux qui étaient en âge de se battre étaient dans les rues ou sur les murs. On menaçait tout haut de tuer quiconque parlerait de faire entrer les princes. Les gens de guerre étaient prêts à marcher sur tout point menacé ; les vieillards et les femmes imploraient Dieu dans les églises. « Non, non ! disait-on, les députés ne retourneront pas faire réponse[22]. Le peuple ne voyait dans ce qu'on proposait rien autre chose que l'entrée des ennemis dans la ville ; et contre une telle résolution, il faisait cause commune avec les gens de guerre. » Le comte d'Eu fut d'avis que les députés retournassent au château de Beauté, mais pour dire que « Paris étant au roi, on ne ferait rien de ce que les princes demandaient, sans le consentement de Sa Majesté ». C'est l'évêque qui, à la tête des députés, fit cette réponse aux princes, d'une voix embarrassée. Dunois, les voyant tout tremblants et disposés à rejeter la faute sur les gens du roi, essaya de les intimider davantage, leur donnant jusqu'au lendemain pour réfléchir, et parlant même d'un assaut général.

Les Parisiens ne furent nullement effrayés de ces menaces. Chaque jour ils voyaient arriver de Normandie et de Touraine, et en grand nombre, des hommes d'armes et des archers. Tous les gens de guerre et les citoyens armés se préparèrent à marcher au premier signal. Le lendemain, ce jour même qui devait être si redoutable, rien ne parut. Environ cent lances des compagnies de Charles de Melun et du bâtard du Maine allèrent escarmoucher jusqu'aux tentes des princes, et en ramenèrent soixante chevaux.

Le 28 août, le roi et le comte du Maine arrivèrent de Normandie, après dix-sept jours d'absence, amenant douze mille hommes, de l'artillerie, soixante chariots de poudre et sept cents muids de farine. Louis fut promptement informé de la députation et de la délibération de l'hôtel de ville. Le peuple, charmé de le voir, cria Noël !... Reçu avec enthousiasme et satisfait de la fidélité des Parisiens, il ne poursuivit point avec rigueur ceux qui avaient oublié leurs devoirs. « Il ne dit rien à l'évêque. Il se contenta de faire sortir de Paris Jean Choard, l'avocat Hailé et les trois frères l'Huillier, qui allèrent habiter Orléans ; il destitua aussi, le 20 août, un conseiller à la cour des aides pour déloyauté, parce qu'il avait adhéré au parti des princes[23]. » Comines a certes bien raison de louer cette modération du roi. Il y avait alors à Paris deux mille cinq cents lances, c'est-à-dire douze mille hommes de cavalerie. On ne doit pas s'étonner que, dès ce moment, les Bourguignons, Bretons et Lorrains fussent réduits à se renfermer dans leur camp. Peut-être aussi cette frayeur était-elle simulée, à dessein d'attirer le roi à une bataille. Quoique Louis XI fût allé prendre très-dévotement, des mains du cardinal d'Albi, l'oriflamme de Sainte-Catherine-du-Val, comme l'affirme Claude de Maupoint, prieur de cette abbaye, il était trop avisé pour livrer tout son avenir et celui de la France au hasard d'une nouvelle lutte. Il devait songer, bien plutôt, à diviser ses ennemis et à se fortifier contre eux. Tous les jours sortaient de Paris force gens[24], et y étaient les escarmouches grosses. » Le guet des princes était de cinquante lances qui se tenaient vers la Grange-aux -Merciers, actuellement Bercy. Quand leurs gens s'approchaient, ils étaient souvent ramenés par les hommes d'armes de la ville, et parfois ceux-ci étaient repoussés jusque vers les portes. Les coalisés évacuèrent alors la Grange-aux-Merciers, « parce que l'artillerie du roi portait de Paris jusque-là ». Le samedi 30 août, Louis dirigea, le long de la rivière jusqu'auprès de Conflans, quatre mille archers, appuyés d'un certain nombre d'hommes d'armes, et fit construire là quelques-travaux en terre, pour atteindre de ce point le camp ennemi. Il s'engagea donc de ce côté une assez vive canonnade, si bien que plusieurs boulets arrivèrent jusque dans la chambre du comte de Charolais[25]. Malgré le zèle des Parisiens pour la défense de la ville, le roi voyait avec peine la guerre civile s'allumer dans le pays, et au dehors, c'était le moment où Edouard IV faisait prendre et enfermer son compétiteur Henri VI.

Voyant la résistance de Paris et le bon esprit qui animait toutes les populations urbaines et rurales de France, les coalisés demandèrent, le 4 septembre, une trêve de deux jours. Elle leur fut accordée, et prolongée d'abord jusqu'au 40, au coucher du soleil, ensuite au-delà de ce terme. Leurs négociateurs furent le duc Jean de Calabre, les comtes de Dunois et de Saint-Pol ; ceux de Louis XI étaient le comte du Maine, son oncle ; le seigneur de Précigny, président des comptes, et maître Jean Dauvet, président du parlement de Toulouse. Ce jour même, 4 septembre, le feu prit aux poudres de la porte du Temple, et huit pièces, qui étaient chargées, partirent à la fois.

Les coalisés employèrent ce temps à se fortifier et à se mettre à l'abri de toute surprise ; ils violèrent ouvertement la trêve par la construction d'un pont et d'un boulevard, en face du lieu appelé le Port à l'Anglais. Aucune réclamation ne les arrêta, et ils ne s'en tinrent pas là. Leurs troupes indisciplinées continuèrent à commettre toutes sortes de désordres aux environs, ne respectant ni les églises ni tout ce qui doit être sacré. Plusieurs villages furent alors à peu près anéantis. Les seigneurs du Midi avaient amené des pillards qu'ils ne soldaient point. « Nonobstant le traité signé en Auvergne, les ducs de Bourbon et de Nemours, le comte d'Armagnac et le sire d'Albret étaient venus avec leurs troupes se joindre à l'armée des princes[26]. » Leurs bandes s'étendaient dans la Brie et la Champagne jusqu'aux portes de Troyes, dévastant tout et maltraitant tout le monde.

D'un autre côté les Liégeois avaient attaqué le Brabant, et étaient allés jusqu'à mettre le siège devant une ville du Luxembourg, d'accord avec le marquis de Bade ; mais ils le levèrent bientôt et se firent battre à Montigny par le comte de Nassau : leur concours ne fut donc pas très-utile. Ceux de Tournay ne pouvaient rien par les armes, mais leur fidélité procura au roi quelques bons renseignements.

De part et d'autre le guet se faisait avec soin pendant la nuit auprès de Paris. La trêve conclue, Bourguignons et Parisiens se visitèrent, même au-delà de ce que le roi eût voulu. Le 8 septembre, Louis XI, en allant à Notre-Dame, se fit inscrire dans l'église de la Madeleine frère et compagnon de la grande confrérie des bourgeois de Paris. Le mardi suivant, 10 septembre, les Bourguignons vinrent devant la ville, le comte de Saint-Pol avec eux. Le roi sortit des murs, et fut, dit-on, causer avec lui pendant deux heures. On remarqua qu'au sortir de cet entretien, Louis parut avoir confiance en une pacification prochaine. Les princes, peu rassurés, se firent mutuellement, le 14 septembre, le serinent de ne pas traiter les uns sans les autres.

Ce jour-là même le roi, par lettres patentes, fit don à la Sainte-Chapelle des régales de toutes les églises de son royaume. C'était se montrer personnellement désintéressé dans la difficulté qui s'était élevée sur l'évêché de Nantes. Comme les négociations n'avançaient pas à son gré, il imagina (l'aller de sa personne trouver les princes : ce dut être le 17 septembre. Accompagné seulement de Charles de Melun, sire de Nantouillet, de l'amiral de Montauban, d'Antoine du Lau et de deux autres, il se mit dans un bateau, et alla vers eux. Il "s'était même fait annoncer, puisque les comtes de Charolais et de Saint-Pol vinrent à la rivière pour le recevoir. Quand il approcha, il cria à Monsieur de Charolais : « Mon frère, m'assurez-vous ? — Oui, Monseigneur, comme frère, » répondit le comte. Le roi mit donc pied à terre, et dit alors qu'il reconnaissait bien en lui un gentilhomme de la maison de France. « Pourquoi ? Monseigneur, reprit le comte. — Parce que, dit le roi d'un air riant, vous êtes homme de parole. » Alors il rappela au comte ce que celui-ci avait dit à l'oreille de l'archevêque de Narbonne, quand « ce fou de Morvilliers lui parla « si vertement, et lui dit ce qu'il n'était point chargé de lui dire », et il ajouta : « J'aime à besogner avec gens qui tiennent tout de suite ce qu'ils ont promis. » Alors donc il désavoua Morvilliers ; puis quand ils se furent ainsi promenés, ils vinrent à s'expliquer sur les conditions de la paix. Il ne fut question que légèrement du bien public, dont on avait tant parlé, 'mais beaucoup de la Normandie, de la rivière de Somme, de la connétablie et de plusieurs autres intérêts. Le 18 septembre[27], lorsqu'on avait bon espoir de paix des deux côtés, nonobstant les pourparlers tout fut rompu.

Dans la ville, cependant, on allumait des feux pour être à l'abri de toute surprise nocturne. N'avait-on pas remarqué que la porte de la Bastille, qui donnait du côté de la campagne, était restée ouverte toute une nuit ? Or, c'était le père du sire de Melun qui en était capitaine. Tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, il y avait de subites alertes et des moments de frayeur que le temps et la réflexion dissipaient. Le moindre météore, comme il arrive à l'approche de l'équinoxe, devenait un sujet d'appréhension, et la plus légère rumeur faisait courir aux armes. Une étoile filante, le lundi 24 septembre, fit penser qu'une comète était tombée dans les fossés de la Bastille. Un matin, qu'on ne précise pas, les Bourguignons crurent avoir vu une forêt de lances derrière quelques cavaliers français, et il y eut prise d'armes au camp ; or, dit Jean de Troyes, ce n'était qu'un champ de chardons, que le grand jour révéla bientôt à leurs yeux.

Le 23 septembre, maitre Balue, évêque d'Évreux, l'un des hommes que le roi estimait le mieux, fut attaqué nuitamment dans une rue de la capitale et même blessé à la tête et à la main. Il ne dut son salut qu'à la vitesse de sa mule. L'instruction sur ce fait ne fournit que de vagues soupçons ; mais le roi avait hâte de mettre un terme à tous ces actes de surprise et de violences, et ne songeait qu'à dissoudre à tout prix cette ligue fatale. Ses adversaires ne paraissaient pas si pressés. Il y eut des délais et des changements de commissaires.

Un arrangement devait être le principal résultat de la trêve. N'y avait-il enfin aucun moyen de s'entendre et de satisfaire monsieur Charles ? Les plénipotentiaires des deux parts avaient établi le centre de leurs conférences à la Grange-aux-Merciers. Quelquefois Charles de France présidait, « assis en chaire, et les autres seigneurs étant debout, savoir de l'un des côtés, les ducs de Bretagne et de Calabre, et de l'autre, le comte de Charolais armé de toutes pièces ». Le roi lui fit d'abord proposer de régler son apanage sur celui du duc d'Orléans, frère de Charles VI ; puis de s'en rapporter ensemble au roi de Sicile, au comte du Maine et au duc de Calabre, tous trois leurs proches parents ; puis enfin de s'en remettre à la décision de personnes notables, bien instruites des lois et coutumes du royaume. A toutes ces propositions équitables le duc de Berry répondit par un refus : on voulait être duc de Normandie ou de Guienne. Les princes eux-mêmes en vinrent à désapprouver le duc.

Comme la principale difficulté était toujours l'apanage de Monsieur, il y eut, le jeudi 19 septembre, en la chambre des comptes, un grand conseil des notables, où furent appelés les représentants des quarteniers et cinquanteniers de la ville. Là, le chancelier Morvilliers exposa nettement la situation et les demandes qui étaient faites. Il fut répondu par le conseil que le roi ne pouvait point démembrer ainsi sa couronne. La commission, toujours présidée par le comte du Maine, mais modifiée par le roi, se réunit à Saint-Antoine-des-Champs le jeudi 27 ; le lendemain ils s'assemblèrent encore à la Grange-aux-Merciers. Toujours le duc voulait la Normandie, toujours le roi la refusait. Il fut aussi parlé de la Champagne et de la Brie, que le roi refusait encore pour des motifs faciles à deviner. On ne convint donc de rien.

On n'était pas phis tranquille dans le Midi, et Louis XI ne pouvait point s'y lier, comme autrefois Charles VII. Pierre Gruel rend compte, dans une lettre au roi, de la mission qu'il a remplie à Rome. Dis Dauphiné, où il est président, il donne à Louis XI, le 14 septembre 1465, des nouvelles de ce qui se passe en Provence « Son envoyé porte au roi des lettres du pape et du cardinal, avec des agnus Dei pour le roi et pour la reine. » Outre cela voici ce qu'il sait : Le duc de Milan a passé le Rhône. Il a déjà pris deux places, celles de Virieu et de Chavenay. Il est arrivé de l'artillerie de Lyon. Ils iront bientôt besogner à Charlieu et aux environs. Pendant la trêve faite avec le bailli de Beaujeu, ils pourront courir jusqu'auprès du Puy, et reprendre plusieurs places du Velay qui se sont retournées bourbonnaises, par le moyen de l'évêque du Puy, du vicomte de Polignac et de plusieurs autres qu'on dit être de ce parti. » Ils voulaient même entrer dans le Languedoc. « Sire, ajoute-t-il, ce pays de Dauphiné est ému, pour le retournement qu'ont fait les seigneurs de Velay, et aussi parce que tout le pays de Provence est en armes ; et l'on sait qu'ils ont M. de Calabre comme leur Dieu. Nous avons cependant appris que l'armée du roi Ferrand a couru la côte de Provence. Les places de ce pays ne sont fournies ni d'artillerie ni de vivres. Il serait expédient de fournir Briançon, Serre et Exilles, pour tenir sûr le passage du Rhône. S'il est votre bon plaisir me bailler la garde de Serre, je le ferai fournir d'artillerie, vivres et gens. Je ne dis rien ici en vue du revenu ; car je ne voudrais rien avoir de qui que ce fût. Je veux faire du mieux pour tenir la place et le pays, et ai délibéré d'employer tout ce que j'ai en ce que je verrai être à faire. Je souhaite, Sire, qu'il plaise à votre bonne grâce vous servir de moi auprès de votre personne, car n'avez homme de mon état qui ait plus grand désir de vous loyalement servir ; et encore me sens de ma personne pour le pouvoir faire[28]. »

Au surplus, les Provençaux, menacés par les Génois et par les Napolitains de Ferdinand d'Aragon, portèrent leur attention sur eux-mêmes, et laissèrent le prince Galéas ravager le Velay et d'autres terres du duc de Bourbon. C'était néanmoins une situation pleine d'anxiété.

Cependant on apprit que le 21 septembre, Louis de Sorbière, gentilhomme de Berry, avait livré Pontoise aux Bretons, malgré ses serments, et qu'Odet d'Aidie était entré à Caen après trois jours de siège. Le mot de trahison n'était pas en effet prononcé sans sujet, ainsi que le témoigne le fait suivant. Le samedi 29 septembre, le roi reçut des lettres de madame la sénéchale, veuve de Pierre de Brézé, lui mandant « qu'elle avait fait prendre un seigneur qui lui paraissait suspect ; qu'il n'eût donc aucun doute sur Rouen ; que tous y seraient bons et loyaux envers lui ». Or le lendemain dimanche, après dîner, il apprend que par l'entremise de cette dame, à qui il avait fait beaucoup de bien[29], le duc de Bourbon était entré à Rouen le vendredi précédent.

Plusieurs serviteurs du roi avaient trempé dans cette trahison, particulièrement Louis d'Harcourt, évêque de Bayeux, patriarche de Jérusalem, et le receveur général, Jean Hébert. Ils eurent au mois de janvier suivant leurs lettres d'abolition. Mais on remarque aussi de nobles et fidèles officiers qui refusèrent de souscrire à cette félonie, tels que Jean de Montespédon, seigneur de Bazoche ; Beauvoir, chambellan du roi, bailli de Rouen ; maitre Guillaume Picard, seigneur d'Estellan, conseiller et chambellan du roi, et Jacques de Brézé, seigneur de Maulevrier, fils de feu le sénéchal Pierre et beau-frère du roi. Le duc de Bourbon s'était empressé d'écrire aux princes et de leur annoncer son exploit, tout en laissant entrevoir qu'on trouverait de grandes difficultés à soumettre celte province. Il explique comment ses troupes ont refusé de marcher faute de paye. Un emprunt de 10.000 livres, distribué aux gens des sires de Lescun, de Bertrand du Parc et aux siens, leur a permis de passer la Seine et aussi d'aller dans le pays de Caux ; mais obligés de laisser partout des garnisons, il leur faudrait encore des hommes et de l'argent, et ils ne peuvent sans cela se rendre maîtres du pays, tant les populations sont attachées à la France I

Cependant, après de telles capitulations, le roi réfléchit : il vit bien que de pareils marchés pourraient encore se faire en d'autres villes où les princes entretenaient des intelligences. A qui se lier quand on se voit ainsi trompé ! Les exigences des princes ne connaissaient plus de limites ; le roi avait cru s'apercevoir[30] que par l'offre de la connétablie au comte de Saint-Pol, le nœud étroit de cette ligue semblait se dénouer. L'embarras de Louis était extrême ; et Comines dit avec raison : « Entre tous les princes que « j'ai cognus, le plus saige pour se tirer d'un mauvais pas, c'étoit le roi Louis XI, notre maitre. » Il céda donc, sans trop se plaindre à la violence et à la déloyauté ; il ne fut influencé par aucune autre pression et « il aima mieux éteindre le feu de celte a division du bien publie par l'argent que dans le sang et dans les a larmes de ses sujets n.

Selon Comines, il y aurait eu alors sous les murs de Paris, entre le roi et le coude de Charolais, un rendez-vous où ils seraient venus avec quelques cavaliers seulement, et auraient convenu ensemble des conditions de la paix : même en devisant, ils seraient entrés sans que le comte s'en aperçut dans un des boulevards de la ville où on eût pu le prendre ; puis il serait retourné sain et sauf vers les siens. La chose n'est pas impossible, màis fort contestable, l'abbé Legrand n'en ayant vu la mention dans aucun journal.

Le 29 septembre le roi parut décidé à accorder la Normandie. Pendant que Charles de Bourgogne guerroyait ainsi, il avait perdu à Anvers sa seconde femme, Isabelle de Bourbon, morte le 15 septembre des suites de couches. Elle lui avait donné Marie, sa fille unique ; aussi ce prince et les autres en étaient-ils venus à désirer la paix autant que le roi lui-même. Les propositions en furent lues ce jour même au palais des Tournelles. Louis se contenta de changer plusieurs conditions du projet qui lui fut présenté. Ainsi le duc de Calabre n'eut point quinze cents lances payées pour six mois. Tanneguy du Châtel ne fut point grand écuyer, ni de Bueil grand amiral. Ces modifications ne paraissent d'ailleurs avoir souffert aucune difficulté. Le comte de Charolais n'était pas le moins satisfait d'en finir, « attendu que tout allait de plus en plus mal « dans son armée[31] ».

Dès que le bruit se répandit dans la ville que la paix était convenue, on ne tarda pas à fraterniser avec Bourguignons, Bretons, Lorrains et Armagnacs, même à leur porter de quoi vivre et se vêtir. Pour mettre un terme aux pilleries d'alentour on établit dans la rue Saint-Antoine un marché où tous les coalisés pouvaient venir acheter toutes sortes de provisions, et comme ils étaient en grand nombre on prit des mesures pour assurer la sécurité des habitants. Toutefois ce ne fut pas sans beaucoup d'excès commis. Louis chargea aussi le maréchal de Cominges, Charles de Melun, le bâtard du Maine et les quatre échevins de réunir dans l'hôtel de ville tous les quarteniers et cinquanteniers, et de leur faire prêter un nouveau serment ; ce qui fut fait de bonne grâce.

Ainsi les traités convenus dès le commencement d'octobre furent signés, celui de Conflans le 5, et celui de Saint-Maur quelques jours plus tard. Pour les enregistrer le parlement, qui avait vaqué plus tôt que de coutume, fut appelé, par édit du 11 octobre, à avancer sa rentrée. Voici le résumé des traités.

« Pour aviser aux réformes et améliorations qui pourraient être utiles, le roi nommera trente-six notables pris parmi les prélats, les chevaliers et dans le conseil. Assemblés le 15 décembre, leur mission durera trois mois dix jours au plus et deux mois au moins. Le roi promet de ratifier ce qu'ils auront décidé.

« Plus de divisions. Point de poursuites ni de reproches pour le passé : révocation des confiscations ; restitution de ce qui a été pris des deux parts. Nulle personne ni communauté ne sera inquiétée pour ses sympathies antérieures.

« Sauf la défense du royaume, le roi ne contraindra point les seigneurs à se rendre auprès de lui. Quand le roi voudra venir ès places ou maisons des seigneurs, il les préviendra trois jours à l'avance. Eux aussi le préviendront pour aller le trouver.

« Pour maléfices le roi ne procédera pas à l'égard des seigneurs par voies d'arrêt ou de détention, niais par délibération et en observant leurs droits : les seigneurs en feront de même envers les serviteurs du roi.

« Le roi donne au duc de Berry le duché de Normandie, avec réserve de la souveraineté ; et de plus l'hommage, comme autrefois, des ducs de Bretagne et d'Alençon et du comte d'Eu, sauf le comte actuel, qui rendra hommage au roi seulement : apanage d'ailleurs transmissible de mâle en mâle.

« Il donne au comte de Charolais Amiens et les autres villes de la Somme qu'il venait de racheter ; tout le pays de Ponthieu et de Vimeu pour lui et son héritier, sauf rachat à l'avenir, après la mort du présent duc, pour 200.000 écus d'or. On y ajoute en toute propriété Péronne, Roye, Boulogne, Montdidier.

« Au duc de Calabre on donne Monzon, Sainte-Menehould, Neufchâteau et autres terres, et de plus 100.000 écus comptant : pour lui, le roi renonce à l'alliance de Metz et de Ferdinand, roi de Naples.

« Le duc de Bretagne eut la vicomté d'Étampes, puis Montfort ; le roi abandonne la régale ; ajoutons pour Antoinette de Maignelais, qui avait été l'instigatrice de la guerre, Pile d'Oléron, la seigneurie de Montmorillon et la confirmation de sa pension de 6.000 livres.

« Au duc de Bourbon il fait les concessions suivantes : don de plusieurs seigneuries en Auvergne ; plus de commissaires dans ses francs fiefs ; appels directs au parlement de Paris, 100.000 écus comptant et la solde de trois cents lances.

« Au duc de Nemours il donne le gouvernement de Paris et de l'île-de-France ; une pension et la solde de deux cents lances ;

« Au comte d'Armagnac, les trois châtellenies du Rouergue qu'il avait reperdues sous Charles VII, une portion des aides de ses domaines, une pension et la solde de cent lances.

« Au comte de Dunois il concède la restitution de ses terres et de sa pension, une forte somme d'argent et une compagnie de gens d'armes ;

« Au comte du Maine, la seigneurie de Taillebourg pour compensation des terres de Parthenay ;

« Au comte d'Albret, les seigneuries attenant à ses terres, la petite ville de Fleurence et le comté de Gavre en Guienne ;

« Au sire de Lohéac, deux cents lances, avec restitution de son bâton de maréchal : ajoutons à cela cent lances aux sires de Tanneguy, de Bueil, de Dammartin, qui recouvrent leurs biens, « au regard des autres seigneurs[32] chacun en emporta une pièce ».

S'il n'est point fait mention expresse des Liégeois, c'est qu'ils étaient compris dans le traité comme les autres alliés de la France, ainsi que le roi l'explique dans une lettre postérieure.

On voit combien de sacrifices sont infligés à Louis XI, ou plutôt à la France, au nom du bien public. Chacun veut avoir son morceau : évidemment le roi n'est plus le maître dans le royaume. Parmi tant de pertes la plus remarquable est certes la remise d'Amiens et des autres villes qu'il avait tout récemment achevé de payer, et avec l'argent desquelles on lui faisait cette guerre inique.

« Le peuple, qui n'avait pas bien su[33] ce que les princes voulaient dire avec leur bien public, ne le comprit que trop quand il fallut payer les dons, pensions, indemnités et gratifications qu'ils avaient extorqués. » On convient qu'alors il n'y avait point d'autre alternative que de périr ou d'acheter l'alliance des maisons de Bourbon, d'Anjou, d'Orléans et de Saint-Pol, contre les prétentions d'Angleterre, de Bourgogne et de Bretagne.

Pour être enregistrés par les grands corps de l'État, tous ces actes divers de concession eurent à subir des protestations, des oppositions et l'intervention de l'autorité royale. Le 12 octobre, le parlement étant rentré, « la majorité déclara qu'elle ne consentait point à l'entérinement des lettres du roi. Vint incontinent l'évêque d'Évreux, maître Balue. Il dit que le roi voulait que ses lettres fussent publiées nonobstant toute opposition. Alors le chancelier demanda l'opinion de quelques prélats, évitant de s'adresser à ceux des assistants qui auraient pu le contredire ; ceci fait, il commanda que les lettres fussent publiées, et elles le furent. Après l'enregistrement, en l'absence des gens du roi, les quatre présidents allèrent à la table de marbre, où était le roi, qui voulait bailler l'épée de connétable au comte de Saint-Pol. De là ils allèrent en la grande chambre, où les conseillers attendoient à se rendre. Ceci fait, le comte de Saint-Pol vint ; furent alors les lettres lues et le serment reçu, et aussi la protestation des conseillers touchant le don fait au comte de Charolais[34]. Cette protestation étant reçue, il fut ordonné devant trois avocats du roi qu'il serait écrit sur les lettres royales qu'elles avaient été lues, publiées et enregistrées ». Le 17 octobre, le roi exigea qu'on ajoutât que le procureur du roi avait été entendu et ne s'y opposait pas.

Le 14 octobre ce fut le tour de la chambre des comptes. « Le procureur du roi, maitre Boursier, s'opposa devant Messieurs des comptes à ce que les lettres royales obtenues par Monsieur le Charolais, les unes du 5 de ce mois, par lesquelles le roi lui baille Amiens, Saint-Quentin, le comté de Ponthieu et autres terres, villes et places, naguère par le roi dégagées de Monseigneur de Bourgogne, avec les comtés de Boulonnais et de Guines, et les villes et châtellenies de Péronne, Montdidier et Roye ; les autres données aussi à Paris, le 13 octobre, par lesquelles le roi a aussi baillé à Monsieur le Charolais les prévôtés de Vimeu, de Beauvaisis et de Fouloy, ainsi qu'il est plus longuement expliqué dans lesdites lettres, ne fussent vérifiées, entérinées ni expédiées par Messieurs des comptes pour certaines causes qu'il expliquera en temps et lieux, et jusqu'à ce que sur ce il ait été préalablement ouï[35]. »

Toutes les concessions particulières furent l'objet de traités spéciaux ou de lettres patentes. Il est simplement dit à cet égard dans le traité de Conflans « que ce qui regarde l'apanage de Normandie et les concessions faites aux diverses personnes sera observé et respecté comme autant d'articles incorporés au présent traité ; que le roi et les seigneurs jureront de l'observer et de le faire observer, et aussi que lesdits serments et promesses n'obtiendront ni dispenses ni relèvement, sous quelque prétexte que ce sait ». Le samedi 5 octobre les lettres de connétablie sont expédiées au comte de Saint-Pol, et le 6 les officiers généraux de Var-niée des princes soupent avec le roi chez Jean Lhuillier, clerc de la ville. Le 8 octobre le roi prononça abolition de tout ce qui avait été entrepris contre sa juridiction ; et le 10 à Saint-Maur il déclara ne prétendre à rien de ce qui concernait en Bretagne les droits de régale et le serment des évêques. Il fut ajouté que le Montfort, qui lui appartenait, ressortirait directement au parlement duc François II pourrait battre monnaie d'or et que le comté de de Paris. Ce dernier traité ne fut enregistré que le 29 octobre seulement, avec cette clause, « sans préjudice des oppositions ».

Jean de Calabre, qui n'eût jamais dû entrer dans cette conspiration, s'aperçut bientôt des désastreuses conséquences de cette guerre. Il eut du moins le mérite d'avoir travaillé avec zèle à y mettre fin terme. Louis XI ajoute donc en sa faveur aux stipulations du traité la garde de la ville de Toul avec 500 florins d'or ; celle de Verdun avec 700 écus d'or ; enfin le gouvernement de Château-sur-Moselle et de la châtellenie de Vaucouleurs.

Le 15 octobre Louis XI confirme le duc de Nemours dans la jouissance de son duché et des aides sans aucune intervention des officiers royaux ; mais le duc, qui eût voulu la vice-royauté du Roussillon, où commandait le comte de Candale, ne fut point satisfait.

Le roi ayant donné au comte du Maine les terres de Parthenay et autres qui avaient été confisquées sur Dunois, et voulant les rendre à ce dernier, les reprit à son oncle par lettres des 14 et 19 octobre, moyennant compensation.

C'est le 27 octobre, à Paris, que le roi donne sa pleine approbation aux vingt-deux articles du traité. Il nomme dès lors, selon l'une des premières clauses, les trente-six notables qui doivent faire partie du grand conseil. Parmi les prélats et docteurs on remarque l'archevêque de Reims, les évêques du Mans, de Paris, de Lisieux, maîtres Jean de Courcelles et Jean Lolive ; parmi les chevaliers, Dunois, l'amiral, les sires de Précigny, de Traînel, de Torcy et de Chaumont ; parmi les gens du conseil, le premier président Dauvet, le président Boulanger, Pierre Doriole, Jacques Fournier, Guillaume Paris, et François Hailé.

La cession de la Normandie à cause de l'hommage des grands fiefs qui s'y trouvaient annexés n'était pas sans d'assez graves difficultés, car les duchés et comtés d'Alençon et d'Eu avaient été érigés en pairies, et prétendaient devoir l'hommage directement au roi, comme cela semblait naturel. Aussi, le 29 octobre, le roi décide-t-il en son conseil qu'il se retient les régales de Normandie, et fait beaucoup d'autres réserves touchant l'administration, la juridiction des cathédrales, le retour à la couronne et l'hommage personnel du comte d'Eu. Toutefois le roi cède à son frère les droits de régale sur toutes les églises cathédrales de ce duché, et il fut reconnu que Charles, comte d'Eu actuel, ne rendrait hommage qu'au roi, mais que ses successeurs le devraient aux dues, et que leurs vassaux ressortiraient par appel à l'échiquier de Normandie, nonobstant tout privilège de pairie. Le duché d'Alençon et sa succession future donna lieu à de plus grandes difficultés. Le roi ne put accorder l'annexion du duché d'Alençon à celui de Normandie faute d'héritiers ; mais il donna à son frère toutes les autres satisfactions. Le roi lui accorda encore la permission de lever en cette province aides et gabelles, moyen assuré de &populariser promptement ce gouvernement.

Ces sacrifices de la couronne révélaient à tous les yeux ce qu'il y avait d'exorbitant dans toutes ces conditions imposées au roi par ses vassaux. La France ne pouvait guère se voir morcelée sans être consultée ; du moins la réprobation universelle que souleva ce traité dès qu'il fut connu, put d'abord, aussi bien qu'un vote des états, tenir lieu d'une réclamation profonde et nationale ; mais enfin on se donnait ainsi le temps d'aviser, et peut-être le moyen de dissoudre la coalition.

Dès la conclusion de la paix, et même un peu avant, Louis ne cessa de témoigner aux princes toute cordialité. Le samedi 29 septembre, avec sa permission, le duc de Berry et le comte de Charolais étaient allés loger dans le château de Vincennes. Le mardi suivant, 2 octobre, on publia dans Paris une trêve perpétuelle ; toutefois pouvait-on se tenir en parfaite sécurité tant que l'armée des coalisés restait aux environs ?

Cependant le jeudi 3 octobre le comte de Charolais avait écrit à son père les conditions de la paix, et voici en quels termes dignes de remarque : « A la nouvelle de la prise de Rouen, le roi a été content de donner à Monsieur de Berry le duché de Normandie en apanage, sauf et réservés seulement l'hommage et souveraineté ; et au regard de moi il est content de me donner les terres qu'il a naguère rachptées de vous, pour en jouir par moi et mes hoirs, au rachapt possible de 200.000 écus, lequel rachapt ne se pourra faire ma vie durant. Il me transporte aussi la comté de Boulogne, pour en jouir après vous ; la comté de Gaines, avec les villes et châtellenies de Péronne, Montdidier et Roye. Quant aux autres princes, le roi fait besogner avec leurs gens touchant leur appointement, et c'est chose comme faite pour venir à paix. Cejourd'hui, nous nous sommes entrevus, Monsieur le roi et moy, sur le bord de la rivière, en deçà de la Seine ; il m'a dit, Monsieur le roy, beaucoup de belles paroles desquelles je vous avertirai, ainsi que du traité de paix. » Le comte demande encore pour soi les offices et capitaineries de Lille et de Quesnoy, qu'il tenait pour en pourvoir quelques-uns de ses serviteurs. Le duc de Bourgogne savait en même temps ce qui s'était passé à Rouen, le succès du duc de Bourbon, et il ne pouvait être que très-satisfait de toutes ces bonnes nouvelles. Il y trouvait en effet, lui et les siens, d'assez grands avantages, mais aux dépens de la France. Toutefois le duc apprenait par cette lettre de son fils la mort à Pontoise du sire Jean de Haubourdin, bâtard de Saint-Pol, et l'un de ses plus vaillants hommes de guerre. Légitimé depuis 1430 et chevalier de la Toison-d'Or, il était l'un des chefs de l'armée bourguignonne avec le comte de Saint-Pol, les sires Guillaume de Contay et Philippe de Lallain.

C'est ce jour-là même, 3 octobre, après le complet accord sur les conditions de la paix, qu'eut lieu l'entretien familier du roi avec le comte de Charolais, que Comines place avant la conclusion du traité ; entretien où Louis XI céda toujours, et plus qu'il ne devait.

Les bons procédés du roi à l'égard des princes n'étaient point payés de retour. On apprit le 8 octobre que les gens du comte Charles, ayant surpris Péronne, avaient emmené le comte de Nevers prisonnier à Béthune. Il était cependant évident que le traité qu'on faisait devait comprendre les alliés des deux partis. Puisqu'à Rouen le duc de Bourbon en profitait, pourquoi le comte de Nevers en serait-il exclu ? Est-ce que le comte de Nevers pouvait traiter avant la paix sans l'ordre du roi ? La cédule que le comte de Charolais lui avait signée le 23 septembre pour obtenir cession d'une grande partie de ses terres n'était-elle pas périmée par les concessions du roi ? Enfin les princes n'avaient-ils pas obtenu d'assez larges compensations ? Alors aussi arrivait au camp bourguignon, de la part du duc de Bourgogne, le sire Philippe de Saveuse avec quinze cents archers et cent vingt hommes d'armes, apportant 120.000 écus et amenant un matériel de campagne. Le comte eut-il regret alors de n'avoir pas demandé mieux ?

Il paraît certain, du reste, que le comte de Nevers ne sut point se tenir sur ses gardes ; qu'il s'endormit à Péronne dans une très-fausse sécurité, et qu'ayant pour résister des hommes d'armes et le bon vouloir des habitants, il se laissa surprendre dans son lit. On a été jusqu'à dire, tant l'escalade a été facile à quelques centaines d'hommes, qu'il avait été d'accord avec le chef des Bourguignons afin de traiter avec le comte de Charolais, sans trop mécontenter le roi s'il était possible : la chronique affirme même qu'il alla le 29 mars à Boulogne trouver le comte et qu'il sollicita ses bonnes grâces ! Rien ne le prouve, et s'il était un des faibles caractères de cette époque, du moins on le vit toujours plus disposé à délaisser ses droits qu'à les soutenir.

Non contents de la surprise de Péronne et nonobstant la paix faite, les gens du comte allèrent sommer Beauvais. L'évêque Jean de Bar et les bourgeois demandèrent qu'on leur donnât la sommation par écrit et l'envoyèrent aussitôt au roi. Louis XI s'empressa de la montrer au comte de Charolais : « Puisque la paix est faite, lui dit-il doucement, vous êtes sans doute d'avis qu'il faut l'observer. » Le comte fut, dit-on, tout honteux ; il désavoua ses gens et s'emporta contre eux. Ainsi l'insatiable avidité des princes se montrait partout.

Le roi cependant ne témoignait nulle méfiance ni soupçon. Bien qu'il eût reçu plusieurs fois l'avis qu'on en voulait à sa personne, néanmoins, apprenant que les coalisés allaient passer près de Charenton une grande revue de leurs troupes, il s'y rendit à peu près seul, n'ayant à ses côtés que le duc de Calabre, le comte de Charolais et le nouveau connétable, le comte de Saint-Pol. A la fin de la revue le comte de Charolais, mû par un de ses mouvements de sensibilité auxquels il n'était pas sujet, dit tout haut : « Messieurs, vous et moi sommes au roi, mon souverain seigneur ici présent, pour le servir toutes les fois que besoin en sera et qu'il voudra nous employer. » Tout le monde était touché de ces nobles paroles : la confiance revenait à tous et l'on espérait en des temps meilleurs.

Rien n'était négligé de la part du roi pour aplanir toute difficulté et pour gagner les bonnes grâces de tous ces princes et seigneurs. Le 24 octobre il y eut entrevue entre Louis et le duc de Bourbon au-delà de la grange de Reuilly. En cette circonstance le roi, au lieu de ces courts habits qu'il portait d'habitude, revêtit une robe de pourpre fourrée d'hermine, qui lui allait beaucoup mieux, disait le peuple, tout joyeux de cette nouveauté. Quant au comte de Charolais, son ambition satisfaite, il n'avait plus d'autre pensée que de marcher contre les Liégeois, qui, malgré le roi, eurent l'imprudence de trop tarder à accepter pour eux le traité.

Louis XI n'avait garde d'oublier ceux qui lui étaient venus en aide. Aussi écrit-il, le '21 octobre, à ses anciens et féaux amis les maîtres jurés et conseil (le la cité du pays de Liège, qu'il leur a envoyé deux de ses serviteurs pour les informer de l'appointement survenu entre lui et ses adversaires. Il sait combien ils se sont employés en sa faveur ; « de très bon cœur nous vous mercions, dit-il ; toutefois, vu que l'appointement est pris entre nous des deux parts, et en tout ce qui touche bel oncle de Bourgogne et beau-frère de Charolais, et que audit appointement êtes compris, vous, nos bons et féaux amis, comme avons fait à l'égard de nos autres alliés et adhérents, nous vous prions de vous désister, de la guerre que avez commencée. Si vous ne faisiez ainsi, vu que présentement la guerre cesse par deçà et qu'il a appointement entre nous et les dessus dits, il seroit à craindre qu'une grosse armée ne tombât sur votre pays. Il vous seroit difficile d'y résister et à nous de vous secourir. Veuillez donc sur ce bon avis, qui vous sera expliqué par nos envoyés, accepter de votre part ledit appointement[36]. » Les termes mêmes de la paix ne laissent aucun doute à cet égard. Le traité de Conflans porte au premier article[37] que « toutes voies de fait et hostilités cesseront entre lesdits seigneurs, leurs vassaux et leurs alliés et adhérents de quelque état qu'ils soient, au dedans du royaume et au dehors, miles à cause desdites divisions ». Il est encore dit au septième article que « les villes et communautés qui ont adhéré à l'un et à l'autre parti ne seront pour ce maltraitées ni troublées dans leurs droits et libertés ». Ils ne furent donc point oubliés, et s'ils avaient voulu croire les sages conseils du roi ils ne se seraient point attiré la vengeance aveugle de Charles le Téméraire ; mais le peuple laissé à lui-même sait-il entendre à quelque chose !

Pour satisfaire momentanément toutes ces convoitises chaque jour amenait de nouvelles faveurs. Dans ce pêle-mêle de concessions Louis XI rencontra sans doute plusieurs traîtres, mais il acquit aussi des serviteurs fidèles. Ainsi dans cette fatale guerre tout ne fut pas perte pour la royauté. Dunois, aussi judicieux qu'il était brave, fut un des premiers à revenir au roi, et à lui rendre mieux justice qu'il n'avait fait. C'est lui que Louis XI appela à la présidence du conseil des trente-six. Ainsi, il lui fut aisé de connaître quels griefs on avait à objecter au gouvernement du roi, et de les apprécier. Louis maria au fils de celui-ci une de ses parentes de Savoie. Une des sœurs de la reine fut également mariée au connétable de Saint-Pol ; et c'est un des moyens employés par le roi pour s'attacher, s'il est possible, cet homme de guerre d'une grande maison, jusqu'ici dévoué à Charles de Bourgogne.

Le comte du Maine avait laissé percer dans sa conduite une mollesse qui autorisait des soupçons. Louis XI voulut résolument s'expliquer. Il promet de pardonner s'il a donné son scellé au prince ; mais il l'adjure de ne pas le lui cacher. Le comte, en présence du connétable de Saint-Pol et de l'amiral, proteste que jamais il ne l'avait fait ; qu'il n'en demandait nul pardon, « et il en jura si fort que plus ne se pouvait faire ». Quant à Louis de Bourbon-Vendôme, dont on connaît la fidélité, il se trouvait à Montlhéry avec ses deux fils, dont l'un resta prisonnier du comte de Charolais. Louis XI disposa pour un autre de la grande maîtrise que son père avait eue. Toutefois cette charge est retournée à la maison de Montpensier, issue de cette famille de Vendôme.

Le 28 octobre Tanneguy du Châtel présente la note de ce qu'il a dû payer pour les obsèques de Charles VII ; les sommes diverses sont constatées, et cependant elles ne furent payées aux fournisseurs que six ans plus tard, ce qui diminue un peu le mérite communément attribué à Tanneguy[38].

Le roi fit appel à tous les hommes d'une capacité reconnue qui voulurent servir la France. Aussi ne tarda-t-on pas à voir le sire de Lohéac gouverneur de l'Ile-de-France, Jean de Daillon gouverneur du Dauphiné, et Charles de Chaumont d'Amboise, de Champagne ; Dammartin fut le meilleur auxiliaire de Louis XI dans la guerre ; et Blosset, capitaine de ces gardes après avoir rempli cette charge auprès du duc de Berry. Doriole devint chancelier de France ; Hébert, général de ses finances ; Gilbert de Chabannes, gouverneur du Limousin ; Robert de Balzac, sénéchal de Beaucaire et d'Agenois ; Dunois eut un commandement dans l'armée. Personne ne fut oublié.

Ces hommes allèrent au roi, non parce qu'il les payait mieux, comme disent Comines et d'autres, niais par un motif plus élevé. Avec le roi était la France, et le servir était défendre la patrie. Il est certain qu'à l'avantage du génie il réunissait sur ses contemporains celui de la justice et de la loyauté. Un chroniqueur donne en deux mots la raison de cette préférence. « J'aimerais mieux vivre, dit-il, sous les sages que sous les fous. Avec ceux qui ne savent rien, c'est toujours à leurs serviteurs qu'il faut avoir affaire. » Ce temps était celui d'ailleurs où, « à la faveur de la loi, un aîné de famille dépouillait ses frères[39] ».

En réfléchissant à toutes les ingratitudes que le roi a éprouvées de la part des ducs d'Alençon et de Nemours, des comtes d'Armagnac et plus tard de Saint-Pol et de tant d'autres, on s'étonne qu'il n'ait pas été plus méfiant, qu'il ne se soit pas découragé dans l'œuvre difficile, mais grande et généreuse, qu'il avait entreprise. S'il a trouvé tant d'hommes perfides sur son chemin, même parmi ses parents, il faut s'en prendre à cette triste époque, où il semble qu'en politique la religion du serment et la bonne foi aient été entièrement méconnues.

Toutes choses étant à peu près réglées, on parla enfin du départ des princes. A cette occasion, le mardi 29 octobre, le roi visita leurs compagnies, excepté celle du maréchal de Bourgogne, car, disait-on, il n'aimait pas le seigneur de Neufchâtel. Mais avait-il lieu d'aimer les autres bien davantage ? Le lendemain, comme le duc Charles avait la fièvre, le roi se rendit à Vincennes pour recevoir son hommage de la Normandie. La paix était faite, et cependant les gens de Paris furent effrayés de le voir aller seul au milieu des princes, surtout quand le bruit courut qu'il y voulait passer la nuit : confiance excessive en effet, que ses adversaires ne peuvent s'empêcher d'appeler « une noble témérité[40] ». A cette nouvelle le prévôt et les échevins le vinrent trouver, le suppliant de rentrer à Paris, « et de ne pas coucher à Vincennes pour moult de causes ». Les Parisiens allèrent donc en armes et en grand nombre camper autour du château de Vincennes, tandis que les cavaliers de la garde du roi s'étaient postés à Montreuil, à Charonne et à Nogent sur-Marne.

Ce jour-là, mercredi 30 octobre, la paix fut publiée à Paris par quatre hérauts, à dix heures du soir, en ces termes : « Entre le roi, Monsieur duc de Normandie et autres seigneurs du sang adhérant avec lui, tant pour leurs serviteurs que pour leurs alliés des deux parts la guerre cesse ; la paix est faite ; ainsi défense à tous de procéder à l'avenir par voies de fait ; de se reprocher ou de se retenir mutuellement quoi que ce soit. » Grand fut l'empressement des princes à prendre ce qui leur revenait, et leur départ immédiat fut décidé. Le jeudi 31 le roi conduisit son frère sur le chemin de Pontoise, puis il revint à Villiers-le-Bel passer deux jours avec le comte de Charolais et célébrer la Toussaint.

Le comte prit sa route par Compiègne et Noyon : d'ordre du roi il reçut partout un honorable accueil ; puis il s'empressa de prendre possession de ses villes de Picardie, fort affligées de se voir encore séparées de la France. Après son pèlerinage à Notre-Darne de Boulogne, il tarda peu à courir contre les Liégeois sans même aller voir son vieux père, et sa fille', dont la mère venait de mourir. Le duc Philippe s'affaiblissait de plus en plus, et le comte restait désormais chargé de tout. Aussi les relations diplomatiques devenaient-elles plus difficiles.

Cependant le roi dépêchait Guillaume Juvénal des Ursins, son nouveau chancelier, et Jean de Reilhac, son secrétaire, à Pontoise, vers les ducs de Normandie et de Bretagne, pour leur faire jurer qu'ils observeraient les traités, comme lui-même avait juré de s'y tenir. Le duc de Berry jura sans difficulté, en présence du comte de Dunois ; le duc de Bretagne promit son serment, à la réserve d'un article. Pour l'hommage de son duché de Bretagne on prétendait le soumettre à la décision des arbitres ; « il protesta qu'il n'en ferait rien ». Les envoyés rendirent compte au roi. Le procès-verbal rédigé à Villiers-le-Bel par Jean de Reilhac, et daté du 2 novembre, dit par forme de conclusion : « Ainsi que le duc de Bretagne proteste comme dessus, semblablement le roi proteste qu'il demeurera en son entier pour faire telles protestations que bon lui semblera. » On conçoit le parti que le roi pouvait tirer de ce refus. Dès le lendemain il envoie des députés au parlement pour y faire leur rapport, ce dont le greffier de la cour prit note.

Le lundi 4 novembre, le roi étant de retour à Paris, il y eut au Palais de grandes assemblées, où assistèrent les ducs de Bourbon, de Calabre et de Nemours, le comte d'Armagnac, le sire d'Albret et plusieurs autres du même parti, et aussi des députés de l'université, le prévôt des marchands, les quatre échevins, et plusieurs des principaux bourgeois et marchands de la ville. Selon la chronique[41], il y fut surtout question de ce qui pouvait être fait de plus utile au gouvernement. Les princes, y est-il dit, étaient charmés de l'ordre qu'ils voyaient régner dans Paris, de la sagesse des conseils publics, du bon esprit des habitants et de leur attachement au roi : admiration bien stérile ; car, en traversant la France pour s'en retourner dans le midi, ils n'en dévastèrent pas moins nos provinces.

Les Parisiens en effet, tous grands et petits, se sentaient délivrés par le départ de l'armée et des princes : à leurs yeux le roi était le symbole vivant de l'ordre. Il y eut à cette occasion un splendide festin à l'hôtel de ville, où Louis assista. Il y fit appeler un certain nombre des chefs de la garde civique qui lui avait témoigné beaucoup de dévouement. Dire que pendant cette guerre leur attitude fut douteuse[42], » nous paraît être une appréciation inexacte. Pour leur exprimer sa gratitude, le roi leur dit « qu'il les remerciait tous en général et en particulier[43] de la grande fidélité et loyauté qu'il avait trouvées en eux, et que pour eux il était disposé à faire tout ce que possible lui serait. Qu'on ne devait pas croire qu'il eût intention de révoquer après la paix les privilèges qu'il avait accordés au moment du péril ; qu'il les leur avait donnés et les leur laissait à toujours ; que même, si mieux ils désiraient avoir de lui, ils n'avaient qu'à le demander, et qu'il le leur octroyerait. Il ajouta qu'il leur laissait comme prévôt de Paris le seigneur de Beyne, qui avait bien servi à la bataille de Montlhéry, et qu'il voulait qu'ils lui obéissent comme à lui-même. Il les pria tous, le prévôt et les échevins comme les autres, d'être toujours bons et loyaux envers lui et envers la couronne de France, et de laisser de côté tout esprit de parti. » Alors, en effet, Robert d'Estouteville, seigneur de Beyne, ancien prévôt de Paris, et beaucoup d'autres furent rétablis dans leurs offices.

Ainsi Louis XI, qui croyait avoir à se louer de leur zèle et de leur dévouement, n'omit point de les récompenser. Outre l'abolition de l'impôt sur les denrées déjà octroyée en août, le roi les exempta de l'arrière-ban, du logement des gens de guerre, d'avoir à plaider hors de Paris, immunités alors précieuses. Donner aux Parisiens, comme il le tit aussi, le droit d'acquérir et de posséder noblement des fiefs nobles, c'était en quelque sorte les anoblir tous. Ce même mois « les sergents du parlouer aux bourgeois et de la marchandise à Paris » (tribunal du commerce d'alors) sont pour les privilèges assimilés aux archers et arbalétriers de la capitale. Enfin les Parisiens obtinrent une charte de privilèges.

Ensuite le roi procéda à plusieurs graves mutations. Le 9 novembre les sceaux furent rendus à l'ancien chancelier Guillaume Juvénal des Ursins, qui l'était à l'époque de la mort de Charles VII. Guillaume des Ursins, baron de Traînel, présida en cette année 1465 les états assemblés en Normandie[44], et il était le frère de l'archevêque de Reims, consécrateur de Louis XI. Celui-ci était lui-même le neuvième enfant de cette noble famille des Ursins, l'une des plus nombreuses du XVe siècle. On sait que le savant prélat Jean Juvénal a écrit la vie de Charles VI. Pierre de Morvilliers reçut un dédommagement pécuniaire, mais il se retira auprès de Monsieur, frère du roi.

Louis XI désappointa encore Pierre Puy de l'office de maitre des requêtes de son hôtel pour le donner à maître Regnault de Dormans, et nomme à l'office de trésorier de France Charles d'Orgemont, sieur de Méri. Enfin Jean Dauvet, qui était premier président du parlement de Toulouse, fut reçu le 18 novembre premier président du parlement de Paris, à la place du président de Nanterre, qui lui-même avait succédé à Hélie de Thourète. Il occupa cet office jusqu'au 23 novembre 1471, époque de sa mort. Alors aussi Louis XI, qui aimait à mettre l'ordre et l'élection à la place de l'arbitraire et de la faveur, déclara qu'à l'avenir, quand un office de président ou de conseiller viendrait à vaquer au parlement, on élirait en présence du chancelier trois candidats, et qu'entre eux il choisirait celui qui lui conviendrait. Peut-être quelques-unes de ces mutations étaient-elles l'effet de certaines conditions secrètes du traité qu'on subissait, comme il y en a toujours en pareil cas.

Le 5 novembre, le roi rétablit le comte d'Armagnac dans ses terres et seigneuries confisquées ; mais celui-ci dut jurer en même temps sur les reliques de la Sainte-Chapelle et les saints évangiles « de servir le roi envers et contre tous, sans nul excepté ». Le duc de Nemours et le sire d'Albret firent le même serment. Ce dernier, qui avait épousé Françoise, vicomtesse de Limoges, et fut le père de Jean d'Albret, roi de Navarre, s'empressa de quitter cette ligue ; enfin, le dimanche 10 novembre, une messe d'actions de grâces pour la paix dut être célébrée à Notre-Daine, et on y vit avec le roi les ducs de Bourbon et de Nemours, le comte d'Armagnac et plusieurs autres seigneurs.

Les princes, on le voyait clairement, avaient plus songé à leurs intérêts qu'au bien public. Afin de pouvoir solder tant d'indemnités et de grosses pensions, au lieu de soulager les peuples, il fallut les surcharger. Dans les comptes du trésorier Pierre Joubert on voit quelle fut la différence des dépenses entre les années 1465 et 1466. Avant la guerre, le quatrième compte porte les gratifications à 186.064 liv., et pour 1466 elles montent à 266.845 liv. Même plusieurs des anciennes pensions se trouvent rayées sur ce dernier compte, sans doute à cause des terres ou des aides qu'on avait aliénées. Combien d'autres charges pesèrent moins directement sur le trésor public ! Au duc de Bourbon, « outre sa pension de 14.400 liv., on donne comptant 30.000 liv., et une assignation de 21.208 liv. qu'il dut lever extraordinairement sur ses pays[45] » ; au duc de Bretagne on donne 22.739 liv. ; au duc de Calabre, 14.000 liv., sans compter les aliénations de revenus qui étaient faites.

Les charges furent distribuées le mieux qu'il fut possible. Le roi lui-même travailla à cette répartition pour le Languedoc et la Normandie et en fixa les bases. Son coup d'œil était juste ; et si dans ses estimations on a pu relever quelques erreurs de détail, il avait du moins une règle sûre, le désir que ses peuples fussent soulagés et surtout qu'on ne les mît pas inutilement en frais.

Les grandes affaires politiques ne détournaient pas le roi des soins de l'administration. Parmi les actes royaux de cette année, toujours en grand nombre, figurent des concessions individuelles telles qu'anoblissements et légitimations, surtout beaucoup d'abolitions, puisque sur un total de quatre-vingt-dix-sept lettres, on compte cinquante-quatre rémissions : quelques-unes même sont d'une trop grande indulgence ; le 26 octobre il écrit à Poncet de la Rivière qu'il sait que sa compagnie n'est pas complète, que s'il n'y donne ordre il le cassera, ainsi que ceux à qui il manquera seulement un homme. En novembre, conformément à la lettre du traité, il confirme au duc de Bourbon que les commissaires royaux ne lèveront plus les droits féodaux en ses baronnies, le duché étant du ressort du parlement.

Toutes ces concessions, et la facilité du roi à y accéder, avaient enhardi les convoitises étrangères. Aussi était-il venu une ambassade d'Écosse qui s'avisa d'élever des réclamations sur la Saintonge. Charles VII, en effet, avait parlé de cette cession s'il recevait d'Écosse un secours énergique ; mais Jacques II, successeur de Jacques Ier, s'étant mis peu en peine de remplir cette condition, la promesse était donc de fait annulée. Toutefois les députés s'étant permis la menace indirecte d'accorder désormais leur sympathie aux intérêts de la Bretagne, le roi se contenta de leur dire qu'il s'informerait si leurs instructions les autorisaient à aller jusque-là.

Par cette malheureuse paix, la France se trouvait affaiblie et ouverte ; la capitale presque sur la frontière n'était plus défendue. Ses adversaires, le pressant de tous côtés, obligeaient le roi d'avoir partout de fortes garnisons. La situation était grave et Louis XI sentait la nécessité d'y remédier. En signant la paix il avait sagement cédé à la nécessité. Cette dure épreuve lui permettait du moins de juger du patriotisme de la nation, de savoir sur qui désormais il pouvait s'appuyer, et de discerner ceux qu'il pourrait avoir pour fidèles serviteurs. De toutes ces choses personne mieux que lui n'en était capable.

Le lundi 11 novembre le roi célébra le mariage de Jeanne, sa fille légitimée, avec Louis bâtard, de Bourbon, dit le gentil et loyal chevalier, de qui la couronne devait attendre de bons et loyaux services. Il lui donna Usson en Auvergne, la terre de Rus-sillon, Crémieu, doras, Beaurepaire, Vizille et Cornillon en Dauphiné, seigneuries estimées 6.000 livres de rente ; l'année suivante, à la mort du sire de Montauban, il le fit amiral. Le mercredi 13 il partit de Paris, alla passer trois jours à Melun ; de là revint à Orléans, puis à Cléry, pour s'acquitter d'un vœu par lui fait à Montlhéry.

Accompagné de Arnould Lhuillier, changeur et bourgeois de Paris, qu'il voulut avoir auprès de sa personne avec le titre de trésorier de Carcassonne, et de Jean Longuejoie, nouvellement marié à la fille-de maître Jean Millet, le destinant à être de son grand conseil, Louis XI s'était rendu à Orléans, observant surtout ce qui allait se passer en Normandie entre les deux ducs, peu d'accord entre eux, et la population de ces contrées. Il y resta quelque temps. Là, tant en son armée qu'au civil, il fit plusieurs changements de ses officiers ; il en exclut quelques-uns, il en réintégra d'autres : ainsi le sire de Lohéac reçut de nouveau le bâton de maréchal de France. Puis, avec des troupes appuyées d'une artillerie grosse et petite, il se tint prêt à se rapprocher des événements.

Alors il recevait de son frère, par la voie d'un chevalier nommé Paviot, un message dont il fut peu surpris. Le jeune due se plaignait de sa situation en ce nouveau pays. Il le donna à lire au duc de Bourbon, désormais réconcilié, ajoutant qu'il voyait bien qu'il allait être obligé de porter secours à son frère, « peut-être même de reprendre ce duché de Normandie ». Que se passait-il donc en cette province ? Outre le mécontentement général d'être séparé de la France, les Bretons et Normands y étaient fort peu d'accord. L'ambition avait gagné tout le monde. Le sire d'Harcourt voulait être maréchal, le sire de Bueil capitaine de Rouen ; il y avait encore beaucoup d'autres compétitions. La douairière de Brezé et le patriarche évêque de Bayeux prirent les devants auprès du nouveau duc, à peine arrivé à Vernon, et lui demandèrent les plus hautes positions pour leurs amis. L'évêque de Lisieux, Thomas Bazin, avait été un des plus empressés à faire prêter serment au duc dans son diocèse et à venir auprès de lui. Cette lutte de compétitions fut si grande que « le duc de Bretagne, pour sûreté de sa personne[46], dut se retirer au Mont-Sainte- Catherine, près Rouen ; et que là, Normands et Bretons des divers partis faillirent en venir aux mains sous les yeux du duc. »

Imputer au roi des discordes et jalousies que l'ambition fait éclater entre les princes et seigneurs éloignés de lui, c'est pure injustice. Un tumulte vient-il à se produire à Rouen, on insinue, sans aucune preuve, que le roi voulait faire enlever son frère. Le joug de monsieur Charles était aussi odieux aux Normands que celui des Anglais et des Bretons ; et cela suffit pour expliquer leur émotion. On convient d'ailleurs[47] de l'horrible anarchie de cette petite cour de Normandie.

Voici ce qui se passe. La cour des deux ducs, l'un et l'autre incapables d'agir par eux-mêmes et de prendre une résolution raisonnable, était pleine de cabales. Deux partis, celui de Monsieur et celui de François II, s'y disputaient le pouvoir. Chabannes, qui n'avait pu réussir à dominer le jeune prince, s'était prononcé pour le Breton. Des explications entre les deux ducs n'avaient abouti qu'à les diviser davantage. Jean d'Harcourt s'en fut à Rouen publier « que Monsieur n'était pas en sûreté avec les Bretons ». On courut aux armes ; on alla en foule avec le sire Jean de Lorraine au Mont-Sainte-Catherine, et on l'amena précipitamment dans la ville. Malgré le comte de Dammartin et le duc de Bretagne, Jean de Lorraine fit monter à cheval le duc Charles, vêtu d'une robe de velours noir, et le fit assister « au Te Deum chanté à Notre-Dame[48] le lundi 23 novembre ». Le dimanche suivant, 1er décembre, il reçut au même lieu l'anneau ducal, cérémonie ancienne par laquelle on épousait le duc. Là monsieur Charles promit de garder ses sujets en leurs franchises et libertés, et pour gracieux avènement réduisit de moitié les aides qu'ils avaient à payer. Il suivait en ce moment des impulsions diverses, n'étant plus conseillé ni par le duc de Calabre ni par le duc de Bourbon. Ceux qui l'entouraient, divisés par leurs prétentions mêmes, ne pouvaient être d'accord sur rien : situation intolérable pour un prince faible et irrésolu.

Ces mécomptes et ces intrigues n'avaient pas échappé à Louis XI ; l'occasion était favorable, et en tirer parti le plus tôt possible fut sa première pensée. Après avoir aidé son cousin Jean d'Orléans, comte d'Angoulême, par des lettres d'amortissement de 60 livres tournois, à fonder une messe quotidienne et quatre anniversaires en la cathédrale de cette ville, il partit d'Orléans, les premiers jours de décembre, se dirigeant vers Chartres, afin de mieux observer la province qu'il regrette. Une entrevue à Louviers avait d'abord été projetée entre les deux frères. Monsieur Charles même y vint, accompagné de Thomas Bazin et de plusieurs de ses conseillers[49] ; mais il en repartit en apprenant que les troupes royales approchaient de Chartres et paraissaient s'y grouper. Peut-être sut-il aussi que le duc de Bourbon, au nom du roi, venait d'être parfaitement reçu à Évreux. Si Louis ne se rendit pas à Louviers, c'est que sans doute il voulait éviter de prendre librement un engagement qu'il pressentait ne pas devoir tenir. Toutefois il aurait bien dû le dire. Dans le même temps, Charles de Melun saisissait Gisors, Gournay et d'autres places, et le duc de Bourbon dirigeait ses troupes sur plusieurs points.

Dès le 14 décembre le roi part de Chartres ; passant par Séez, Argentan et Falaise, il arrive le 19 à Caen, et il y séjourne quelques jours. Là, le 22 décembre, il achève son traité particulier avec le duc de Bretagne, dans lequel le duc promet que jamais il ne recevra en son duché ni aidera de son appui quiconque sera malcontent du roi et du royaume[50] ; de plus, moyennant[51] 150.000 écus qu'il reçoit, il consent à ne pas bouger. « Tout ce que le roi aimera, dit le duc, nous l'aimerons ; tout ce qu'il aura en déplaisir, nous l'y aurons. Si aucuns de ses serviteurs étaient malcontents de lui, qu'il les eût en indignation, et qu'ils voulussent venir s'abriter auprès de nous, nous ne les recevrions point. » La signature de François II est appuyée des seigneurs de Lohéac, de la Roche, de Lescun, du vice-chancelier et autres. En retour de ces concessions le roi accorde au duc ce qu'on appelle sa charte pour la régale en ce qui touche les évêchés de Bretagne.

Louis XI, de son côté, promettait de tout oublier et même de défendre la personne et les États du duc envers et contre tous ; à recevoir en ses bonnes grâces et amitié les comtes de Dunois et de Dammartin, les sires de Lohéac et de Lescun, « et même le vice-chancelier Jean de Romillé ». Il n'est parlé ni des marches de la Bretagne, question réglée en octobre, ni des 120.000 écus d'or que le roi donna au duc en deux ans, ainsi que le témoignent le quatrième et le cinquième compte de Pierre Landais. Ce traité du 22 décembre fut signé par le roi le dimanche 23.

Ce n'était pas tout encore ; et pour gagner le bon vouloir de François II, il restait à satisfaire d'autres intérêts qui, pour n'être pas ostensibles, n'en étaient pas moins impérieux. Quelques termes un peu obscurs d'une concession du roi faite à l'abbaye de Redon menaçaient Mme de Villequier et ses enfants d'un procès et de la perte de leurs terres. Louis XI, pour leur ôter toute crainte, confirme par ces mots la concession de son père : « Charles VII a fait don, dit-il, à feu Audry, seigneur de Villequier, son conseiller et premier chambellan, et aux hoirs mâles et légitimes de celui-ci, des terres et seigneuries de Saint-Sauveur, sans rien retenir, comme montrent ses lettres vérifiées en parlement ; il y a joint la justice haute, moyenne et basse ; comme feu le roi son père a aussi voulu que lesdits biens pussent passer aux enfants du sieur de Villequier, héritiers issus de son mariage avec la demoiselle Antoinette de Maignelais ; comme aussi le feu roi laissa à ladite dame, pendant la minorité des enfants, les fruits de leurs héritages, jouissance qu'elle a conservée jusqu'à la mort du roi, Louis, apprenant que par suite de lettres qu'il a données en 1461, l'abbaye de Redon prétend avoir la propriété de ces terres, déclare qu'il n'a point voulu prendre saisine et possession desdites terres au préjudice de ladite demoiselle et de ses enfants. » Il ajoute : « Madame de Villequier nous ayant fait supplier de confirmer pour elle et ses enfants la cession faite par feu notre père, considérant les services rendus par ledit sieur de Villequier, le roi, de sa grâce spéciale et pleine puissance, confirme le don desdites terres à l'épouse de celui-ci et à ses héritiers. Caen, décembre 1465. »

Le duc de Bretagne exigea encore du roi la promesse de ne jamais pardonner à ceux qu'il considérait comme les fauteurs de la conspiration contre lui faite en novembre dernier au Mont-Sainte-Catherine, près Rouen ; nommément à Jean de Lorraine, aux sires de Chaumont et de Bueil, à Jean de Daillon et à Charles d'Amboise. Cependant, peu après, le duc se relâcha de sa rigueur, surtout à l'égard du sire de Bueil. Tandis que François II se préparait à retourner en Bretagne, le roi quitta Caen, et fut accompagné jusqu'à Saint- Sauveur-le-Vicomte par les gardes du duc.

Louis XI ne perdait pas un instant de vue son dessein : il appelait à lui ses capitaines avec leurs compagnies ; et pendant que le duc de Bourbon marche de son côté, Charles de Melun s'avance dans le pays de Caux. « Pour donner à ses troupes le temps de s'assembler autour de Rouen et de Pont-de-l'Arche, le roi alla à Neubourg et se présenta le 7 devant Louviers. » La place lui fut rendue à d'excellentes conditions ; et dès le 8 Louis y entra avec son armée, ayant à ses côtés le duc de Bourbon et les comtes de Dunois et de Dammartin. Toutefois la capitulation ne fut ratifiée que le 21 janvier.

L'occasion était favorable et il n'y avait point de temps à perdre. Le sire de Malicorne, qui commandait à Pont-de-l'Arche, fit mine de résister, mais fut bientôt obligé de se rendre. La ville capitula le 11 janvier et le château le 15. La garnison de Rouen semblait décidée à se défendre ; si bien que les deux officiers du roi, Salazart et de Malortie, s'étant imprudemment avancés avec peu de monde jusqu'à Saint-Ouen, ils furent assaillis et obligés de rétrograder, non sans pertes. D'autres engagements partiels indiquaient le dessein de résister, bien que Dieppe et la plupart des villes eussent ouvert leurs portes an roi.

Charles de France n'était pas sans avoir de fidèles partisans. On cite entre autres un capitaine, nommé Carbonnel, qui commandait pour le prince à Gersey. Comme le sénéchal de Normandie, sire de Maulévrier, le sollicitait de rendre au roi le pays et le château de Montorgueil, il répondit toujours qu'on devait s'adresser à Monsieur, de qui il tenait ses pouvoirs. Il écrivit même à son maître, le 2 mai suivant, que dans ce château il tiendrait avec les siens, pourvu qu'au besoin il fût reconnu.

Le roi désirant amener son frère par douceur et persuasion plutôt que par force, lui avait envoyé le chancelier Guillaume Juvénal, seigneur de Trainel, et le vice-chancelier de Bretagne, sire de Romillé, les hommes les plus capables de le décider à renoncer à la Normandie. Cette concession, d'ailleurs, ne serait point sans dédommagement ; on lui accorderait, lui disait-on, une trêve de dix jours, pendant laquelle les ducs de Bourbon et de Bretagne règleraient son apanage et tout autre intérêt. S'il accepte, le roi s'engage à donner toute abolition et amnistie à la ville de Rouen et à ceux qui s'y sont renfermés, sauf les exceptions stipulées par François II. Les envoyés et les arbitres désignés étant des amis du prince, ces propositions se pouvaient accepter.

Il était notoire que les Normands tenaient à rester français et ne voulaient point voir les Bretons maîtres chez eux. Louis XI n'avait cédé qu'a la force ; il avait aliéné cette province contre son droit et son serment du sacre, et il eût fallu pour cette cession consulter les états. Sachant son frère si attaché à ce titre de duc de Normandie, il ne pouvait, avant d'agir, le mettre dans la confidence de ses desseins, d'ailleurs faciles à deviner. Les envoyés expliqueront à Monsieur que le roi devait en agir ainsi pour accomplir son devoir de souverain. Il était difficile de convaincre Charles de France, que tous, d'une voix, s'accordent à dire un jeune homme léger, frivole, de mauvaise santé, absolument incapable de gouverner une grande province.

Aussi la première pensée de Monsieur fut-elle d'adresser ses doléances au comte de Charolais. Le 29 décembre il lui envoie d'abord Jean Grévil, pour l'informer de ce qui se passe ; puis peu après Cardin des Essarts, qui déjà avait reçu une pareille mission. Dans les lettres écrites alors à Charles de Bourgogne par le duc de Normandie, on voit qu'il sait très-bien dissimuler ; il y parle de ses assurances de reconnaissance et de dévouement ; mais des divisions et des tiraillements dont il est témoin, de l'abandon du duc de Bourbon, du départ du duc de Bretagne qui s'était retiré fort mécontent à Caen, il n'en est fait nulle mention.

Cependant, voyant quels progrès faisait le roi, il se hâta de renvoyer au comte Brunet de Longchamp, lieutenant de feu le grand sénéchal. Les instructions de ce dernier l'autorisaient à expliquer les brouilleries survenues entre les Bretons et Monsieur, jusqu'où étaient allées les prétentions des Bretons sur tous les gouvernements et sur toutes les charges. Ce délégué devait détruire les faux bruits qui se répandaient sur la mission que Charles de France avait donnée à Paviot. Le duc aurait seulement chargé ce gentilhomme d'aller dire au roi qu'il désirait lui être bon frère et lui obéir ; mais il ne l'aurait chargé de rien contre son apanage. Il désavoue donc tous les bruits qu'on a fait courir sur ce point. Paviot cependant a soutenu qu'il n'avait rien dit de trop.

Les instructions données à Brunet de Longchamp auprès du comte de Charolais rappellent les prévenances du roi en faveur des Bretons, les honneurs qu'il a fait rendre au duc de Bretagne, et cela sans paraître supposer le mécontentement de François, bien qu'il dût connaître le traité de Caen. Il ne dit point non plus comment le duc de Bourbon, après l'avoir si bien servi, l'avait récemment quitté et même était venu proposer au jeune prince, de la part de Louis XI, « de remettre la Normandie, faute de « quoi il lui déclarerait la guerre ». Par conclusion, Monsieur demande au comte de lui envoyer quatre cents lances fournies et de lui prêter 50.000 écus. Da plus le sire de Longchamp dut sonder le terrain pour savoir si, dans le cas où il ne pourrait se maintenir en Normandie, le duc de Bourgogne le recevrait en ses États.

En ce moment-là même le comte était gravement occupé contre les Liégeois. Depuis plusieurs mois, en effet, ils guerroyaient en Brabant et dans le pays de Namur. L'arrivée du comte, libre par la paix de Conflans, augmenta encore les dévastations de la contrée. Enfin les Liégeois firent la paix le 22 décembre. Ils eurent à payer une grosse somme de 580.000 florins pour les frais de la guerre ; ils reconnurent le duc pour leur « mainbourg et gouverneur perpétuel » ; ils renoncèrent à l'alliance de la France : Huy et Dinant furent exclus du traité. Enfin le 31 janvier au soir le comte arriva à Bruxelles auprès de son père et put lui raconter ses exploits : il avait séparé les gens de Dinant de ceux de Liège !

D'où venait cette haine sans cesse renaissante des grandes villes industrielles du nord contre les ducs de Bourgogne de la seconde race ? Elle naissait du contraste de l'arrogance et du faste de ces princes, peu soucieux des libertés et coutumes des villes et des populations, de leur avidité insatiable, avec la vie simple et austère de ces hommes accoutumés au travail. Maîtres de ces pays depuis peu de temps, et par des moyens que toute conscience honnête réprouve, ils s'occupaient peu de la sécurité des peuples et donnaient à tous le spectacle de leur vie licencieuse et de leurs divisions intestines.

De là cette répulsion générale, toutes ces révoltes qu'on essaye de réprimer par l'épouvante. Est-il étonnant qu'ils aient cherché à se procurer quelque appui au dehors ? Charles VII avait fait alliance avec eux : Louis XI la renouvela ; mais ce n'est point lui qui fit naître leur désir d'indépendance. Nul peuple ne veut être la proie d'un autre ; toutefois leur tort fut toujours d'agir sans mesure et de n'écouter aucune prudence.

Tous les princes savaient aussi combien Monsieur « était un prince de peu d'esprit et de volonté ; et sa conduite envers le duc de Bourgogne laissait le comte de Charolais assez incertain de ce qu'il devait faire[52] ». Disons aussi qu'ayant obtenu par le traité de Conflans au-delà de ce qu'il pouvait espérer, il portait bien moins d'intérêt au frère du roi qui lui avait servi de prétexte. Le comte ne pouvait donc, du moins alors, prendre en main les affaires de Monsieur Charles. Le roi, de son côté, qui savait tous les embarras de la cour de Bourgogne, n'en devint que plus actif à soutenir les droits de la couronne et à réprimer l'ambition ridicule de son frère.

Cependant Charles de France devait une réponse aux ouvertures du roi ; et dans son isolement il ne voyait nulle ressource que de s'adresser directement à lui. Il lui envoie donc le 7 janvier, au Pont-de-l'Arche, quatre députés, entre autres Jean Hébert et Guillaume Roussel ; ils se plaignent d'abord de cette invasion armée. Aux propositions faites par maître de Rouville, ils répondent « que le prince désire conserver son apanage solennellement réglé ; qu'il ne voit point de règlement de partage à faire ; qu'avant d'entrer en aucun traité il désire qu'on lui donne toute sécurité pour sa bonne ville de Rouen et pour tons les siens ; que dix jours paraissent insuffisants pour l'examen de si grands intérêts ; cependant, voulant se prêter à tout ce qui pourrait assurer solidement la paix, il consent à remettre la décision arbitrale de ce qui le concerne aux ducs de Calabre, de Bourbon, de Bretagne et au comte de Charolais ; ou à deux d'entre eux, pourvu que le duc de Bretagne en soit un ».

Monsieur ajoute qu'il ne peut accepter le Roussillon et demande la Champagne et le Vermandois, ou qu'on lui rende le Berry en y joignant le Poitou et la Saintonge. Il lui semble enfin que l'honneur du duc de Bourgogne est ici engagé, et qu'il doit avoir pour juges tous les pairs de France. Ainsi, sa demande n'est pas agréée ; il s'en réfère aux pairs du royaume ou à la décision des états.

A peu de jours de là le roi reçut une ambassade de la part de ceux qui avaient juré fidélité à son frère. Ils se montraient prêts à se soumettre, pourvu toutefois qu'une sûreté leur fût donnée. Le roi leur répondit « qu'il ne les avoit jamais considérés comme coupables ; qu'ils n'avoient nul besoin d'absolution », et il leur en donna une assurance formelle. Il veut même « qu'ils demeurent en leurs biens et héritages, nonobstant les dons qu'il auroit faits ». Charles se vit donc abandonné de tous ceux sur lesquels il croyait pouvoir compter. Déjà même les gens du roi allaient dans la ville sans sa permission et en revenaient. Monsieur, ne se croyant plus en sûreté à Rouen, quitta la ville et s'en fut à Honfleur trouver le duc de Bretagne.

Louis XI, toutefois, n'entra pas immédiatement à Rouen. Alors, n'oubliant point le comte d'Eu, toujours si fidèle, il fait du Pont-de-l'Arche (5 janvier) une déclaration qui lui conserve la jouissance des droits de sa pairie, et du ressort au parlement de Paris, malgré le traité de Saint-Maur et l'adjonction de son comté à la Normandie.

Dans cette campagne de Normandie la clémence du roi fut grande. Le 22 janvier il avait déjà signé un grand nombre de rémissions. Il recevait en ses bonnes grâces tous ceux qui rentraient en leur devoir, ne mettant nulle différence entre eux et ses plus fidèles sujets. Les habitants de Louviers, la veuve même de Pierre de Brezé, qui livra Rouen au duc de Bourbon, furent amnistiés ; mais envers ceux qui cherchèrent encore à le tromper il usa de sévérité. Ainsi le seigneur d'Esternay, général de Normandie, qui avait particulièrement soulevé les esprits contre le roi, ayant été pris déguisé en cordelier avec un religieux augustin, ils furent tous les deux conduits à Louviers et noyés dans l'Eure. On arrêta aussi Jean de Lorraine au moment où il fuyait en Flandre et on le retint sous bonne garde. Le mois suivant le prévôt des maréchaux Tristan condamna à perdre la tête Gauvin Mauviel, lieutenant du bailli de Rouen, et la sentence fut exécutée au Pont-de-l'Arche. Le château de Chaumont, appartenant à Pierre d'Amboise, qui était entré dans la ligue des princes, fut brûlé et rasé par ordre du roi ; mais Pierre étant rentré dans le devoir, Louis XI le lui fit rebâtir de ses propres deniers. Ce seigneur fut précisément père des hommes célèbres, Charles et Louis d'Amboise, qui ont contribué à la gloire du règne de Louis XI, et de Georges, qui devait illustrer les règnes suivants.

Ces sévérités, quoique peut-être méritées et conformes à l'esprit du temps, sont néanmoins regrettables comme ayant couleur de réaction politique, et aussi parce que la justice ne prenait pas le temps de faire d'exactes informations. Détournons nos regards de ces exécutions trop communes à une époque où l'inviolabilité de la vie humaine n'était point un principe assez respecté. Dans les résolutions du roi, la plus large part fut alors pour la clémence. Outre les abolitions prononcées en faveur de Dieppe et de Caudebec, Louis amnistia nommément Michel Bazin, qui avait excité cette dernière ville à la révolte ; il savait cependant qu'il était le frère de Thomas Bazin, évêque de Lisieux, le rebelle le plus emporté contre lui qui fut jamais. Louis ne cessait d'encourager ses anciens sujets de Normandie à revenir à lui : beaucoup vinrent de Rouen à Louviers pour s'excuser ; à tous il leur disait doucement : « Vous n'avez pas failli. »

Cette invasion de la Normandie sans déclaration préalable ne se justifie que par le vœu des populations et le droit primordial de la couronne. D'ailleurs est-ce que les princes ne l'avaient pas réduit par la force et par la trahison à céder cet apanage et les villes de la Somme ? Le comte, en marchant contre les Liégeois, no violait-il pas ouvertement le traité qui comprenait tous les alliés du roi ? Pourquoi Louis XI n'aurait-il pas pu agir de ruse contre ceux qui se croyaient toutes violences permises ? Charles de France étant incapable de gouverner lui-même, cette province se trouvait livrée par le fait au voisin le plus intrigant qui saurait le dominer. Pendant le peu de temps de son pouvoir ce jeune prince se livra à de folles dépenses, ainsi qu'on le voit par son ordre du 13 janvier à Robert Legay, receveur général de ses finances, de payer une somme de presque 10.000 livres. Il ordonne encore de Caen, 27 du même mois, de faire solder par Pierre Morin, trésorier des guerres[53], une somme encore plus forte pour le quartier échu le 31 décembre 1465. Le document financier va jusqu'en 1468, et nous montre des générosités excessives et ruineuses.

Louis XI reprend donc la Normandie par lettres datées du 21 janvier. Alors les ambassades, envoyées et reçues, se succédaient sans résultat puisque des deux parts on ne voulait céder. Charles de France, n'ayant rien pu faire lui-même pour sa défense, renouvelait plus vivement ses plaintes au comte de Charolais, et pour le presser de l'assister lui envoyait Thomas Bazin.

Le roi était déjà maître de Rouen, quand lui arrivèrent les premières remontrances du comte, apportées par Philippe de Crèvecœur, sieur de Querdes, son conseiller et chambellan, et par maître Hugonet, bailli de Beaujolais ; ils avaient simplement pour mission de chercher quelques voies d'accommodement. Charles de Bourgogne était toujours occupé de ses vengeances, et le 22 janvier, jour de sa paix avec Liège, le duc Philippe fit partir de Bruxelles son conseiller, maître d'Himbercourt, avec des lettres pour le roi.

Aux réclamations de son frère et du comte de Charolais, Louis opposa la volonté du pays. A cette fin il convoqua les états de Normandie à Rouen pour le 6 février. En attendant leur réunion il vint à Pont-Audemer, pour y conférer avec les ducs de Bourbon et de Bretagne sur la question d'apanage ; puis il revint à Pont-de-l'Arche, se tenant toujours à peu de distance de Rouen et de Honfleur où était son frère. Pour venir en aide à Monsieur de France, le sire Gui de Brimeu reçut mission de la cour de Bourgogne d'appeler l'intérêt des ducs de Bourbon et de Bretagne sur les affaires du jeune duc dépouillé, et d'aller rendre compte de ses démarches à Charles de France.

Le roi représenta encore aux envoyés de Bourgogne que ceux de Liège et de Dinant devaient profiter des traités faits devant Paris et comprenant les alliés des deux parts ; que les attaquer c'était violer la paix. En effet respectait-on les traités plus d'un côté que de l'autre ? Le roi avait du moins pour lui l'excuse de la nécessité et celle du droit. Voulant d'ailleurs témoigner de ses bonnes dispositions, Louis expédie le 1er février trois lettres patentes portant en faveur du comte, 1° confirmation de la possession des terres et seigneuries de la Somme ; 2° décharge des serments qu'avaient prêtés au roi les capitaines et gouverneur des villes cédées ; 3° cession au comte faite de nouveau, autant que besoin pourrait être, des lieux et villages de la Somme dépendant de la prévôté de Saint-Quentin, la souveraineté étant toujours réservée en toutes ces concessions.

 

 

 



[1] Chronique de Hennin. — Comines. — Jean de Troyes. — P. Anselme.

[2] Comines, I, 2.

[3] Comines.

[4] Jean de Troyes.

[5] Comines, l. I, ch. 4.

[6] Barante, t. VIII, p. 494i.

[7] Comines.

[8] Chorier.

[9] Barante, t. VIII, p. 410.

[10] Père Anselme, t. III.

[11] Comines, I, 4.

[12] Barante, t. VIII, p. 487.

[13] Comines, I, 6.

[14] Histoire du Poitou, éd. de Sainte-Hermine, t. II, p. 85.

[15] Jean de Troyes.

[16] Michelet, t. VI, p. 96.

[17] Barante, t. VIII, p. 707.

[18] [18] Comines, I, 5.

[19] Jean de Troyes.

[20] Jean de Troyes.

[21] Jean de Troyes.

[22] Barante, t. VIII, p. 513.

[23] L'abbé Legrand.

[24] Comines, I, 8.

[25] Comines, I, 9.

[26] Barante, t. VIII, p. 517. — Comines, I, 8.

[27] Jean de Troyes.

[28] Pièces de Legrand.

[29] Jean de Troyes.

[30] Pierre Mathieu.

[31] Barante, t. VIII, p. 531.

[32] Jean de Troyes.

[33] Michelet, t.VI, p. 163, et Duclercq.

[34] Pièces de Legrand.

[35] Pièces de Legrand.

[36] Pièces de Legrand.

[37] Pastoret, t. XVI, p. 380.

[38] Fontanieu.

[39] Gonod.

[40] Barante.

[41] Claude Maupoint.

[42] Michelet, t. VI, p. 204.

[43] Pièces de Legrand.

[44] Père Anselme.

[45] Legrand.

[46] Comines.

[47] Laurentie.

[48] Jean de Troyes.

[49] Pièces de Legrand.

[50] Pièces de Legrand.

[51] Michelet, t. VI, p. 158.

[52] Barante, t. VIII, p. 558.

[53] Pièces de Legrand.