Assemblée de Tours. —
Le pouvoir déféré au comte de Charolais. — Traités entre François II et
Charles de Bourgogne. — Charles de France en Bretagne. — Efforts de Louis XI
pour conjurer l'orage. — Ligue des princes dite du bien public. — Préparatifs
de défense. — Campagne du Bourbonnais. Défection du duc de Nemours et du
comte d'Armagnac. — Trêve d'Auvergne. —Les Bourguignons devant Paris. — Louis
XI à Cléry.
Le 18
décembre les notables arrivèrent à Tours de tous les points du royaume, comme
il avait été dit, et l'assemblée tint séance. Le duc de Bourgogne s'y était
fait représenter par l'évêque de Tournay et le sire de Créqui. 0 y vit
Charles de Berry, frère du roi ; le roi René, duc d'Anjou et comte de
Provence ; Charles, comte du Maine, son frère ; Charles, duc d'Orléans ; Jean
H, duc de Bourbon ; les comtes de Dunois, de Nevers, de Penthièvre, de
Boulogne, de Tancarville, d'Angoulême, de Foix, de Saint-Pol ; le duc de
Nemours, et quantité d'autres seigneurs et prélats. On n'y aperçut point Jean
de Calabre, qui bien à tort s'était cru, sans doute, abandonné du roi. Il
devait y être question surtout de la régale et des difficultés qu'elle avait
suscitées en Bretagne. Ce fut une raison pour qu'on remarquât davantage
l'absence complète du duc François II. Le
chancelier président expliqua d'abord l'objet de la réunion ; puis maitre
Jean Dauvet, premier président du parlement de Toulouse, qui déjà avait
assisté aux conférences de Chinon, exposa celte affaire de la régale, établit
très-solidement les droits du roi, et justifia d'une manière péremptoire,
irrécusable, la sentence prononcée par le comte du Maine. Sa démonstration
fut si précise et si forte, que nul n'eût pu y contredire. Aussi ceux qui
étaient venus en assez grand nombre avec la pensée que le duc fût dans son
droit se virent-ils forcés de reconnaître qu'ils s'étaient trompés. Dans
une autre séance, le 20 décembre, le chancelier aborda la politique actuelle
; il parla des ambassades clandestinement envoyées à Londres par le duc, des
traités qu'il avait ainsi négociés avec une puissance étrangère, au mépris
des droits de la couronne, des lettres écrites par lui aux seigneurs, des
propos tenus à Rome par ses deux envoyés, l'abbé de Bégar et maître Olivier
du Breuil, lesquels avaient affecté de dire que le duc, leur maître,
jouissait dans ses États d'une indépendance absolue.» Toutes ces choses
étaient contraires à la féaulté. Cet acte d'accusation, encore trop former,
ne pouvait obtenir tout le succès de la démonstration de la veille, plus
mesurée et plus habile. Le chancelier de Morvilliers ne connaissait pas les
ménagements exigés par les circonstances, et ne pouvait plier son caractère
rigide aux souplesses de la diplomatie. Même quand on a droit, « c'est avoir
déjà tort que d'avoir trop raison, » et il ignorait cette bonne maxime. Le roi,
qui était venu à cette séance, prend la parole après ses conseillers. « Il
insiste d'abord sur l'union qui doit régner entre les seigneurs du royaume et
lui. Les princes, les grands, les prélats sont à ses yeux les véritables
colonnes de la monarchie : par eux elle s'est tirée des plus grands périls,
par eux aussi elle doit être inébranlable et compter sur un long avenir. Ils
doivent sentir que pour le roi et les seigneurs il y a des obligations
réciproques. De son côté il a fait et il fera tout son possible pour remplir
ses devoirs envers tous, grands ou peuple. Il appelle l'attention sur sa vie.
En termes les plus respectueux pour la mémoire de son père, il retrace
brièvement sa jeunesse passée dans une sorte de pauvreté, la nécessité où il
s'est trouvé d'aller chercher un asile chez son oncle, le duc de Bourgogne,
de qui il a été gracieusement accueilli, et il ne laisse pas échapper
l'occasion de lui en témoigner sa gratitude. « A
son avènement il a trouvé le royaume fort appauvri. Comment en eût-il été
autrement, après tant de luttes, tant de sacrifices, et avec les habitudes
contractées par les gens de guerre ? Il rend grâce à Dieu de lui avoir donné
les moyens de le rétablir dans son état actuel ; et après la Providence il se
sent surtout redevable de ce bonheur à la coopération, au zèle et à l'amour
des princes du sang et des seigneurs. Ils devaient, en effet, l'aider à
porter le poids de la couronne. Que peut un prince sans le cœur de ses sujets
? Aussi répète-t-il qu'il connaît ses devoirs et se souvient de ce qu'il a
juré à son sacre. Il sera fidèle à son serment. Énumérant ce qu'il a déjà
fait, sa visite aux provinces, l'acquisition des comtés de Roussillon et de
Cerdagne, le rachat des villes de la Somme engagées depuis vingt-huit ans, il
ajoute que l'affection des seigneurs et de ses peuples a rendu tout cela
possible ; et comme ils lui sont bons et fidèles sujets, il veut leur être
bon parent et bon roi. A quoi attribuer les prétentions déraisonnables du duc
de Bretagne et particulièrement celle de posséder la régale en ses pays,
sinon à l'imprudence de ses conseillers ? Il aime à déclarer hautement en
cette occasion, avec le regret de ne le point voir représenté en cette
assemblée, qu'à l'égard du duc il n'a eu et n'a encore au fond du cœur nul
mauvais dessein. » Le roi
mit beaucoup de clarté dans son discours et traita avec une incontestable
supériorité les points qui touchaient à sa politique générale ; en sorte que
tous les assistants furent émus et charmés de son éloquence. « Sans flatter[1], le commun bruit est que
oncques on ne vit homme en français mieux et plus honnêtement parler. » On
applaudit ; on eut, dit-on, les larmes aux yeux ; « mais on a observé[2] que tous ces pleureurs avaient
en poche leur traité contre lui. » C'est
le roi de Sicile que les princes et seigneurs chargent de répondre, et son
discours est un acte de soumission complète de la part de tous. « Ils sont
reconnaissants de tant de bonnes assurances du roi ; pour conserver leurs
loyautés envers la couronne ils ont tous grandement souffert pertes et
dommages ; plusieurs même ont été longtemps prisonniers. Ils sont prêts à
s'employer encore pour la même cause, sans crainte de la prison ni d'aucun
péril. Ils sont vos sujets, dit-il ; ils vous serviront de corps et de biens
envers et contre tous, sans nul excepter, comme il vous plaira commander,
nonobstant les sacrifices par eux déjà faits dans leurs biens et dans leurs
personnes. Ils sont fort éloignés de croire le roi tel que les lettres du duc
de Bretagne le disent ; ils les tiennent pour de pures inventions ; et si sa
volonté était qu'ils allassent tous, ou quelques-uns pour tous, au-delà pour
cette cause, ils sont prêts à le faire. » Après
ces paroles, le roi de Sicile se tourna vers l'assistance et dit à
l'assemblée : « Ne m'avouez-vous pas de toutes choses que j'ai
dites ? » Alors tous d'une voix répondirent : Oui ; et s'adressant au roi ils
ajoutèrent : « Nous vous servirons ; nous vivrons « tous et mourrons avec
vous, envers et contre tous. » En considérant ces faits, on est conduit à
penser avec l'historien de Bretagne, dom Morice, « que la sincérité n'était
pas la vertu de ce siècle ; » car peu de mois après on se battait à Montlhéry
! Louis XI les remercia de cette bonne volonté, et manifesta seulement le
désir que quelques-uns d'entre eux voulussent bien faire connaître au duc de
Bretagne quel était réellement le sentiment, de l'assemblée. Par ses
alliances la maison, de Bretagne se trouvait unie aux familles d'Orléans, de
Foix, d'Armagnac, d'Alençon, et aux plus puissantes maisons de son voisinage,
ainsi que la maison de Bourbon l'était, par plusieurs mariages, avec celle de
Bourgogne depuis assez longtemps. François II de Bretagne, en effet, fils
aîné de Richard, comte d'Étampes, quatrième fils lui-même de Jean IV dit de
Montfort et de Jeanne de Navarre, avait eu pour mère Marguerite d'Orléans,
fille du prince de ce nom assassiné à Paris, et sœur ainsi de Charles
d'Orléans et de Jean d'Angoulême. On conçoit dès lors tout l'intérêt, que ces
princes portaient au duc breton. Après le discours du roi le duc Charles
d'Orléans se leva et prit la défense du duc absent. Peut-être le fit-il avec
trop de chaleur ou tardivement. L'inutilité de ses efforts auprès de François
en esprit de conciliation, devait lui donner peu de crédit dans cette
question, et ses paroles auraient été mieux placées après l'exposé de maître
Dauvet qu'après le discours du roi qui, au surplus, avait bien le droit de
vouloir parler le dernier. Louis XI, mécontent, lui reprocha, paraît-il,
assez vivement ses paroles. Le duc
Charles d'Orléans mourut le 4 janvier, quinze jours après cette séance. Il
avait épousé en premières noces Catherine de France, veuve de Richard II, et
ensuite Bonne, fille de Bernard VII, comte d'Armagnac. De Marie de Clèves, sa
troisième femme, il laissait Louis, enfant de trois ans, et deux filles, dont
l'une fut abbesse de Fontevrault et l'autre épousa Jean, vicomte de Narbonne,
dont naquit Gaston d'Orléans, le héros de Ravenne. Aussi bien que René
d'Anjou, il était moins homme politique que poète et ami des arts, à une
époque qui fut, l'aurore de la renaissance. Sa vie fit époque dans l'histoire
littéraire de notre pays. Quelques-uns ont attribué sa mort au chagrin qu'il
ressentit de l'admonestation du roi. Nous n'y voyons qu'une fâcheuse coïncidence,
et soixante-quatorze ans ne sont pas un terme prématuré de la vie humaine,
surtout quand on se rappelle les longues années de captivité qu'il subit en
Angleterre après la bataille d'Azinconrt. Si
jusque-là le duc Philippe fit la guerre à la France et s'unit à nos ennemis,
on y pouvait voir le désir de venger la mort de son père : mais quand les
lois féodales obligent les seigneurs à tenir, sous l'œil du roi, leurs
châteaux en état de défense, lorsqu'elles donnent même au souverain le droit
d'y mettre garnison et de s'en emparer, au besoin, pour la défense du pays,
où donc le duc et son fils trouvaient-ils, ainsi que les autres princes, le
droit de marcher enseignes déployées contre le roi ? N'était-ce pas le plus
étrange abus de la force et l'opposé de la loi ? Cependant tel est le but de
leurs efforts. Dans
l'espoir d'un arrangement pacifique on avait différé l'exécution de la
sentence prononcée par le comte du Maine à Chinon ; il fallut songer à lui
donner suite. Après l'assemblée de 'l'ours le roi s'étant retiré à Amboise,
nomma le 24 décembre deux conseillers du parlement, maitre Fournier et
Guillaume de Paris, pour aller à Nantes remplir cette mission. Ils y
arrivèrent le 30 ; mais il leur fallut s'arrêter dans un faubourg. Avant de
leur permettre d'entrer dans la ville on voulait savoir quel était l'objet de
leur voyage. Ayant l'ordre de ne s'expliquer que devant le duc lui-même, il
leur fut impossible d'obtenir une audience. Toujours on atermoya sous divers
prétextes. Ils durent, à la fin, par l'entremise de Jacques Cellier, conseiller
de François II, signifier au duc la sentence rendue à Chinon, et l'ajourner
devant le conseil du roi pour le 1er mars. Ils nommèrent donc deux chanoines
administrateurs temporaires de l'évêché et constatèrent par procès-verbal
qu'ils n'avaient pu entrer dans la ville. Le roi
cependant, de l'aveu même de ses ennemis, fit alors tous les efforts
possibles pour apaiser le duc de Bretagne. Il lui envoya comme ambassadeur le
sire de Pont-l'Abbé qui, « sans lui tenir aucun discours offensant »,
dut lui faire les plus instantes remontrances sur sa conduite envers le roi,
et s'employer à le calmer. « Le roi eût donné beaucoup[3] pour éviter l'orage qui se
formait. Rien ne fut omis de ce qui pouvait ramener le duc à la douceur. »
Les instructions transmises aux ambassadeurs du duc de Bretagne, pour y
répondre, nous ont conservé les paroles prononcées en cette circonstance par
maitre de Pont-l'Abbé : « Monseigneur,
le roi est très-mal content, et non sans cause. Vous avez écrit aux seigneurs
du sang[4], comme à Monsieur de Berry, au
roi de Sicile, à Monsieur de Bourgogne, à Messeigneurs de Bourbon, du Maine
et autres plusieurs, une bien détestable lettre contre la personne du roi et
contre vérité, disant qu'ils savaient assez la malveillance que le roi avait
à vous, et entre autres choses, qu'il voulait bailler aux Anglais la Guienne
ou la Normandie, pour vous détruire, vous et Monseigneur de Bourgogne et
autres des seigneurs ; ce qu'il ne pensa oncques ; mais toujours a montré le
contraire. » Vient
ensuite le reproche d'avoir envoyé le vice-chancelier en Angleterre avec les
offres les plus étranges ; et la mention de la criée du ban, de l'arrière-ban
et des revues générales, ce qui rend la rébellion manifeste. Comment le duc
a-t-il envoyé en Angleterre le bâtard Gilles pour servir peut-être contre le
roi ; « chose étrange, car jamais Breton ne servit Anglais contre la couronne
de France. » Puis
arrive le grief des vilains propos qui se tiennent à la cour de Nantes contre
le roi. Sa Majesté a dû faire remontrer toutes ces indignités aux seigneurs
de son sang qui ont vu là « quelque chose approchant du crime de
lèse-majesté. Or les seigneurs, au lieu d'entrer aussi en sédition, se sont
offerts unanimement à servir le roi. Sa Majesté attribue toutes ces choses à
de mauvais conseillers qu'avec plaisir il vous verrait éloigner de votre
personne, » « Le
résultat d'une telle politique serait d'attirer les Anglais qui ne
viendraient pas sans se rendre maîtres en Bretagne comme ailleurs, ou de
forcer le roi à employer tous les moyens de se faire rendre justice, effets
également désastreux. » Il
ajoute : « Je suis venu pour vous avertir de ces choses ; pour Dieu !
pensez-y. Prenez un autre train que vous n'avez fait par ci-devant. Querez (cherchez) les moyens de revenir en la
bonne grâce du roi. Je crois que vous la trouverez quand vous voudrez laisser
toutes ces choses. » Enfin ce qu'on lui demande se réduit à ceci : abandonner
les Anglais, éloigner de son service ceux qui lui ont conseillé une telle
direction, promesse de servir le roi à l'avenir avec sûretés réciproques. Or, sur
toutes ces questions, il y avait dans les instructions du duc une réponse
diplomatique plus ou moins développée, et selon l'usage, portant à côté de la
question. « Ses lettres avaient été écrites aux princes avec bonne intention
!... Jamais personne auprès de lui n'a mal parlé du roi... » Il on est de
même de tous les autres points. Mais le duc breton s'était promis de ne pas
céder. Se sentant de plus en plus soutenu, il ne reculait point devant la
perspective d'une lutte, et ne songeait qu'à gagner du temps. II envoie donc,
lui aussi, des ambassadeurs au roi, avec ordre de le justifier de tous points
et de tenir bon. Louis,
tout en se mettant sur ses gardes, croyait encore pouvoir compter et sur les
récentes protestations de l'assemblée de Tours et sur les dispositions
pacifiques qu'il connaissait à son oncle de Bourgogne. Malheureusement le
duc, qui était venu de Lille à Bruxelles, tombait alors dangereusement
malade. Il se remit un peu ; mais malgré les efforts des Croy et notamment du
sire de Quiévrain, le gouvernement des états de Bourgogne et la direction de
toutes les affaires restèrent entre les mains de son fils. Le manifeste de
celui-ci, du 12 mars I464, fut comme le signal de la guerre. D'un
autre côté le roi avait écrit au duc de Bourbon de venir le trouver avec les
forces dont il disposait dans ses seigneuries, ignorant, paraît-il, les
démarches déjà faites par ce prince. Ainsi, au lieu des cent lances qu'il
attendait de ce côté, il apprend que le duc Jean II a publié de Moulins, 1h
mars, un manifeste contre lui et qu'il a arrêté trois de ses envoyés ayant à
passer par le Bourbonnais : savoir, à Cosne, le sire de Crussol, écuyer du
roi ; à Moulins, Guillaume des Ursins et Pierre Doriole, général des
finances. Le duc de Bourbon, en effet, avait écrit à ses chers et bons amis
une circulaire très-virulente ; et le 14 il répondait au roi dans le même
sens. Après beaucoup de plaintes sur les violences commises par les hommes
qui approchent le roi, niais non parvenues à ses oreilles, il veut avec les
princes y donner provision, s'il plaît à Dieu ; et faire si bien, « que le
roi puisse dire que « ce qui se fait par les princes et seigneurs se fait
avec bonne et « juste cause, en quoi nul qui s'en mêle ne peut avoir blâme ni
reproche, soit envers la couronne, soit envers Dieu et justice.» Le
lendemain, 15 mars, parut le manifeste des princes et spécialement du duc de
Berry. Dans
l'improbation, infligée par le factum de Jean de Bourbon à tous les actes du
roi en général, sous prétexte qu'ils étaient l’œuvre de ses conseillers, et à
toute sa conduite politique depuis son avènement, on voit percer la pensée d'une
opposition tracassière, et aussi le dépit de n'avoir pas eu le premier rang
auprès du roi, c'est-à-dire la connétablie. Comment peut-il reprocher au roi de
s'être rendu constamment inaccessible aux observations et remontrances que
lui et les autres auraient eu à lui faire sur la mauvaise administration (les
hommes qui obtenaient sa confiance ? Sans compter les convocations (l'états
dans le midi, le roi n'avait-il pas mis trois fois déjà les notables, les
prélats et les villes, en demeure d'exprimer leur opinion : d'abord dans
toutes les provinces à l'occasion du rachat des villes de Picardie ; puis à
Rouen, après les refus du duc de Bourgogne, et encore tout récemment à Tours
? Les
coalisés s'étaient donné le mot ; ils devaient tous, même le duc d'Alençon,
tenir le même langage. L'ultimatum publié le 18 mars à Bourges, par les sires
de Beaujeu de Dammartin et autres qui s'y étaient renfermés — car le comte de
Chabannes venait d'échapper de la Bastille —, alléguait les mêmes prétextes
et était du même ton. Le comte de Charolais ne fait point tant de frais
d'éloquence diplomatique. Il se contente d'avoir lancé le mot d'ordre et de
réunir promptement sa noblesse de Flandre à Bruxelles. D'un autre côté il
n'omet rien pour s'assurer les sympathies d'Édouard. Ce prince, on le sait,
venait de se marier à la fille de Jacqueline de Luxembourg. Charles de
Bourgogne s'était fait représenter aux noces par trois cents des plus beaux
gentilshommes des États de son père. Louis XI n'avait point tant fait.
Édouard donc, sans rompre avec le roi, avait donné au comte bourguignon des
témoignages de sa bienveillance, et peut-être la promesse d'un appui secret. Il dut
être alors difficile à Louis de se faire plus longtemps illusion. Restant en
observation sur les marches du Poitou et de la Bretagne, pour se tenir prêt à
réprimer son vassal s'il y était réduit, il essaye tout néanmoins pour
diminuer le nombre de ses adversaires. Par lettres du 15 mars en faveur du
sire de Prégent, seigneur de Preuilly, il pourvoit au payement d'une somme de
six mille écus non encore soldée. « Notre amé cousin, dit-il, a élevé Jeanne
de France, notre sœur naturelle, qui a épousé notre cher et amé cousin le sire de Bueil, comte
de Sancerre », acquittant ainsi l'engagement contracté par Charles VII, son
père. Il fait proclamer le 16 mars une amnistie à tous ceux qui, le 22 avril,
auront quitté les rebelles ; et de Thouars, 22 mars, il expédie une abolition
nouvelle au duc d'Alençon, qu'il savait être à Nantes. Mais au moment même où
il signait ces rémissions, le duc de Bretagne envoyait son scellé au duc Jean
de Calabre, et signait avec le comte de Charolais une alliance offensive et
défensive qui rappelait leurs traités du 18 juillet et du 12 août précédents.
Cette dernière alliance est en effet datée du 22 mars, et en voici la teneur
succincte : « Quelques-uns
proches de la personne du roi, y est-il dit, mus de mauvais et damnables
propos, l'ont induit et l'induisent à prendre inimitié contre plusieurs des
seigneurs de son sang. Ils les mettent en division et dissension avec lui, au
détriment de tout le royaume, et le poussent à entreprendre sur eux, sur
leurs pays et seigneuries, et particulièrement sur le duc de Bourgogne, sur
le comte de Charolais, son fils, et sur nous, pour nous endommager et grever,
si faire se pouvait, ce à quoi nous désirons pourvoir par toutes voies
possibles et raisonnables. « Voulant
donc obvier aux soudaines et torsonnières entreprises que le roi pourrait
faire contre nous, par exhortation des susdits nos malveillants, nous faisons
alliance, confédération et paction avec notre très-amé cousin Charles de
Charolais, unique héritier de notre cher oncle de Bourgogne. Nous déclarons
que nous lui sommes vrai ami et allié, que nous le conseillerons et
secourrons de toute notre puissance, en vue de garder, sauver et défendre sa
personne, sa famille, ses terres et seigneuries ; et cela, envers et contre
tous ceux qui tenteraient de l'attaquer ou de lui porter préjudice, même
contre le roi, s'il le fallait. « Dans
cette alliance nous comprenons Monseigneur le duc de Berry, nos très-chers
cousins les ducs de Calabre et de Bourbon, ainsi que les amis et alliés de
notredit cousin comte de Charolais, présents et à venir. Nous nous engageons,
en outre, à ne faire aucune autre alliance préjudiciable à celle-ci. Nous
promettons et jurons par la foi, par notre corps en parole de prince, ces
présentes alliances tenir et garder fermement, sans jamais aller à
l'encontre, moyennant que notredit cousin de Charolais nous a fait et baillé
pareilles promesses et sûretés. » La pièce est contresignée Millet[5]. Ainsi, au mépris de tous les
serments de fidélité, on se ligue pour obvier aux entreprises que le roi
pourrait faire et on se met immédiatement en campagne. Cependant
le duc de Bretagne se sentait menacé, et n'étant pas prêt comme l'était le
roi, il négocie encore pour obtenir un sursis de trois mois. Il envoie à
Poitiers une ambassade à Louis ; il demande du temps, à cause des états de
son duché, et laisse entrevoir qu'il donnera satisfaction. Du reste, Romillé,
de retour d'Angleterre, avait montré aux états de son pays la trêve qu'il y
avait obtenue pour la Bretagne. Les députés bretons pouvaient avoir cette
raison à donner ; encore laissait elle à désirer. Se taisant sur tous les
autres griefs, ils récriminent doucement et mêlent à d'assez durs reproches
des protestations de dévouement. Certaines lettres que le roi avait écrites
aux grands du pays pouvaient, disaient-ils, soulever la Bretagne contre le
duc. Il avait exigé de plusieurs Bretons la promesse de servir le roi même
contre leur seigneur. On a vu des troupes royales prendre position sur les
marches de la Bretagne, et le roi appeler le concours des princes du sang. Il
n'est donc pas étonnant que le duc ait pris des précautions chez lui, et même
un peu au dehors. « Toutefois il ne désire rien tant que de se maintenir dans
les bonnes grâces du roi, et de le servir de corps et de biens, comme ont
fait ses prédécesseurs. » Cette
députation tardive n'était qu'une perfidie de plus. Odet d'Aidie, sire de
Lescun, qui en faisait partie, attira dès lors l'attention du roi. Il profita
des égards qu'on lui témoignait pour entretenir plus souvent et plus
librement le duc de Berry, dont le roi venait généreusement d'augmenter la
pension de 10.000 livres. Selon Olivier de la Marche et d'Argentré, de Lescun
acheva de déterminer ce prince à se mettre à la tête de la ligue, et à
s'esquiver d'abord de la cour, pour s'en retourner avec eux. Le coup fut
monté à l'insu du roi et sous ses yeux. Ainsi Louis, devant aller faire un
pèlerinage à Notre-Dame du Pont, à Saint-Junien en Limousin, Charles de
Berry, sous prétexte d'une chasse, obtint de ne pas l'accompagner ; le lundi
19 mars, au lieu de chasser, il s'en fut rejoindre les envoyés bretons qui,
partis de la veille, l'attendaient à quatre lieues de Poitiers ; et ensemble
ils s'enfuirent à Nantes. Tels
furent le rôle et la mission de ces députés. Tandis que Louis XI prenait soin
même de payer la pension de Mme de Villequier alors à la cour de Bretagne, et
qu'ils recevaient eux-mêmes les présents que le roi leur faisait, ils
séduisaient ce jeune prince, et tout en parlant de conciliation, ils le
décidaient à déserter le roi et la France, et à porter lui-même l'étendard de
la révolte. Malgré toutes ces perfidies officielles, l'historien de Bretagne,
dom Morice, n'en est pas moins disposé à plaindre le duc François II, que
Louis XI épouvante d'un grand appareil militaire, comme aussi l'historien des
ducs de Bourgogne inclinerait à donner raison à Charles contre le roi, si,
comme Walter Scott, il ne trouvait plus piquant de donner tort aux deux à la
fois. On avoue cependant[6] que le roi fut la dupe du duc
de Bretagne, et que le duc Philippe se laissa trop facilement persuader par
son fils. Philippe, en effet, malgré ses conseils au comte, « de ne rien
faire d'indigne de sa naissance », connaissait les desseins de Charles de Bourgogne,
alors qu'il lui confiait tout pouvoir, et il en demeure solidaire devant la
postérité. N'y a-t-il nulle indignité dans la félonie et la rébellion ? Une
lettre de Louis XI au roi René, son oncle, nous montre quel fut son
étonnement à la nouvelle de l'évasion de son frère. « Mon grand compère
le chancelier de Bretagne, dit-il, et Odet d'Aidie sont venus de la part du
duc de Bretagne pour traiter de son appointement, lequel je tenois pour fait.
Ils m'avoient dit que le duc viendroit à Tours, que je pouvois envoyer le
comte de Cominges et l'amiral pour l'accompagner, ce que j'avois fait.
Ceux-ci partirent donc d'ici lundi dernier. Je partis aussi ce jour-là pour
aller en mon pèlerinage à Notre-Dame du Pont. Les gens du duc étoient partis
le jour de devant. Ils avoient tellement suborné mon frère, que dès que je
fus parti il alla les rejoindre, où ledit Odet l'attendoit à quatre lieues
d'ici. Pour conclusion ils l'ont mené à Nantes dont je m'ébahis, vu les bons
termes que j'avois tenus auxdits gens du duc, lesquels s'en alloient comme me
sembloit, si contents, que plus ne pouvoient l'être. Mon oncle, je vous
avertis volontiers de la vérité, « afin que si autrement on vous informoit,
vous en sachiez le fait. « Je
vous envoie l'original d'une lettre que Jousselin a écrite ; vous y verrez
que Michel Parthenay a mandé en Bretagne que Monsieur de Charolais a désavoué
les gens que aviez envoyés vers moi. Parce qu'après Dieu je tiens la couronne
de vous, je vous prie, mon oncle, que vous ne souffriez point à beau-frère de
Charolais, ni à autres, faire aucunes choses contre moi, et que vous vous
montriez tel comme avez toujours été, et comme en ai la confiance de votre
part. Veuillez me mander par le sénéchal de Beaucaire, que j'envoie vers
vous, ce que vous savez touchant ces faits. » Charles
de Berry n'eut pas plutôt fait ce coup de tête, qu'il fut et ne cessa d'être
le docile instrument des desseins pervers des ligueurs. Ils lui firent
prendre l'initiative de toutes les démarches hasardeuses et compromettantes,
sous le prétexte du bien public. Ainsi tout d'abord, dès son arrivée à Nantes,
paraissant écrire au comte de Charolais, et faire appel à sa coopération, il
lance un violent manifeste contre le roi son frère, dont il n'avait jamais
reçu que des bienfaits ; et à peu de jours d'intervalle, il en fait un autre
à l'adresse de Jean de Calabre. Le
manifeste de Monsieur Charles, de Nantes, 25 mars, ressemble de tous points à
celui du duc de Bourbon. Ce sont les liernes reproches à l'adresse du roi et
de ses conseillers ; les mêmes doléances pour les prétendues souffrances du
peuple qu'ils allaient soulager de la façon qu'on verra. Il était irrité,
nous dit-on, du peu de cas qu'on faisait de sa personne : sa conduite, au
surplus, ne devait pas faire changer de sentiment ; et avec un apanage comme
le Berry, son ambition aurait dû être satisfaite. Ainsi ce jeune prince de
dix-huit ans, parlant du roi son frère qui a le double de son âge et de qui
il tient tout, le censure et blâme sa politique sans songer au respect et à
l'obéissance qu'il lui doit ! Telle est sa merveilleuse outrecuidance. Puis,
s'adressant au jeune téméraire qui pousse à cette lutte, il se plaint de la
justice du royaume, comme si en Bourgogne et en Bretagne elle eût été mieux
administrée. Il réclame aussi, sous la dictée de François II, en faveur des
libertés de l'Église, oubliant qu'en Bretagne, où le duc avait déjà eu à
lutter contre quatre évêques et actuellement encore dans l'évêché de Nantes,
l'autorité de l'Église était loin d'être scrupuleusement observée. Déjà,
le 31 décembre, le duc de Bourgogne avait échangé sa parole et son scellé
avec Jean, duc de Calabre. Ce guerrier illustre, mais malheureux, et fils du
roi René, sait que les princes ligués comptent sur l'appui d'Édouard qui
venait de détrôner sa sœur, et cependant il entre dans la coalition Il donne
pour motif « que chaque jour plusieurs constitués en dignité auprès du
roi l'induisent à maltraiter quelques seigneurs du sang, à s'emparer de leur
pays, et en veulent surtout à son très-aîné cousin, le duc de Bretagne, et à
lui ; il s'engage donc à défendre le duc et ses enfants, même contre le roi
son souverain. » Ainsi, faute de jugement, les plus grands cœurs sont souvent
jetés hors de leurs voies ; et le parti que prit alors Jean de Calabre ne
saurait se justifier. Dès lors, Louis XI n'avait d'autre ressource que de
frapper « cette aristocratie, qui avait couronné un prince anglais et poussé
la France vers l'abîme[7] ». Jean de Calabre savait
tout ce que Louis XI avait fait pour sa maison, mais après sa défaite, le roi
crut devoir renouer ses alliances avec François Sforza et Ferdinand de Naples
; et pour cela, il lui en voulut. Le
sentiment des villes était tout différent ; et quand elles avaient leur
liberté d'action, elles se prononçaient pour le roi. Louis ne manqua point de
leur en témoigner sa gratitude. Les archives de Poitiers conservent une
lettre du 22 mars 1464, où il remercie les officiers et habitants de cette
ville[8] de leur loyauté et obéissance. Ses
regards se portèrent dès lors sur Paris. Harcelé par le nord, l'est et
l'ouest à la fois, il dut songer à avoir pour résister un point où la
population et les remparts lui présentassent une vraie garantie. La capitale,
dont il avait armé les habitants, fut ce centre d'action. Déjà, sous Philippe
Auguste[9], Paris possédait une enceinte
fortifiée : ce prince l'agrandit. Sous le roi Jean on se pressa de faire la
quatrième enceinte ; et, malgré l'urgence, assure-t-on, les propriétaires des
terrains furent dédommagés. On ignore par qui la dépense fut faite sous Louis
fil. Toujours est-il que le travail était achevé, et qu'on se trouva en
mesure de résister aux Bourguignons. Ce ne
fut que le soir du 23 mars qu'on s'aperçut à Poitiers de l'absence du jeune
duc. En vain le chercha-t-on pendant la nuit ; le lendemain on dépêche des
courriers pour savoir ce qu'il était devenu. Bientôt on l'apprit. Alors le
roi écrivit dans toutes les directions aux gouverneurs des provinces pour les
informer de cette espèce d'enlèvement, les mettre sur leurs gardes et leur
rappeler la fidélité qu'ils lui doivent. Tout en réunissant ses forces il
espérait encore garder la paix. Pour ramener le duc de Bourbon, il comptait
sur sa sœur Jeanne, épouse de ce prince. Si Jean de Calabre venait de faire
un traité avec Charles de Bourgogne il avait aussi promis de suivre le parti
de son père René d'Anjou. Le roi conservait donc l'espoir de le gagner ; et
pour le presser de venir auprès de lui, il lui envoya l'évêque de Verdun. On le
voit en même temps déléguer sur tous les points plusieurs ambassadeurs, le
sénéchal de Beaucaire au duc de Bourgogne, Josselin Dubois au duc de Bourbon,
le sénéchal du Rouergue au comte d'Armagnac, le comte de Boulogne en
Auvergne, François de Tiersault à Lyon, et d'autres encore. La cour de
Bretagne étant le nœud de la ligue, le roi charge son oncle de cette délicate
mission. Le roi René se rend donc auprès des ducs François et Charles, à la
Roche-sur-Loire, et les y trouve en compagnie de Dunois et de plusieurs
autres seigneurs. Il ouvre avec eux des conférences, appuyant sur la
nécessité d'un accommodement et faisant ressortir les bonnes dispositions du
roi à la clémence. Alors
venait de paraitre l'amnistie que Louis XI fit publier sers la fin de mars : « Aucuns,
mus de mauvais esprit, y est-il dit, n'ayant égard ni à Dieu, ni à l'honneur,
ni à la conscience, ni à la loyauté qu'ils lui doivent, et qu'ils ont juré
par serment de lui garder, ainsi qu'à la France, se sont efforcés, par
séduction et autrement, de troubler le bon état du royaume, si paisible
auparavant, que chacun, noble, bourgeois, marchand, laboureur ou autre,
vivait tranquille chez lui ; que tous pouvaient sans aucun danger aller,
venir, entrer dans le royaume, en sortir avec leurs denrées et marchandises,
avec leur or et leur argent. Par leur damnée conspiration ils ont suborné son
frère jeune d'âge, et l'ont porté, par leurs trahisons mensongères et rébellions,
à se séparer de lui ; et sous couleur du bien public, ils ont entraîné dans
leur séditieux projet plusieurs princes, prélats, gens d'église, barons,
bourgeois, marchands et autres habitants des bonnes villes et des champs ;
lesquels, ignorant la mauvaise fin à quoi ceux-ci tendent, d'ouvrir aux
Anglais, anciens ennemis du pays, un libre accès en France, auraient pu
s'engager par promesse à tenir ce détestable parti. Pour donner à tous le
moyen de reconnaître leur erreur, il fait savoir qu'à l'exemple du Sauveur, à
qui il doit sa couronne, il accorde pleine et entière amnistie et abolition à
ceux qui reviendront à lui et à leur devoir dans un mois ou six semaines au
plus tard. » Afin
d'agir de son côté, Louis se rend immédiatement à Saumur ; de là, à la date
du Ter avril, il répond aux reproches de son frère par un message plein de
vigueur et de sens, où il se montre, comme ci-dessus, prêt à recevoir dans sa
clémence ceux qui voudront raisonnablement revenir à lui, et particulièrement
son frère et le duc de Bretagne. Cette pièce est contresignée par les comtes
du Maine et d'Angoulême, l'évêque de Poitiers, le comte de Tancarville, le
captal de Buch, le sire de Grave ; le comte de Cominges et le sire de
Boisménard, maréchaux de France ; les seigneurs de Bueil, de la Trémoille, de
Châtillon, de Torcy, de la Borde, du Lau, de Bazoges, de Montferrand, de
Montreuil ; par maîtres Jean Dauvet, premier président de Toulouse, Étienne
Chevalier et autres étant à Saumur. Ce document, qui jette tant de lumière
sur la situation, nous le reproduisons en ce qu'il a de positif et de plus
important. « Le
roi a fait tous ses efforts pour garder son royaume en paix, encourageant le
commerce, veillant à la sûreté de tous et visitant les provinces ; en sorte
que depuis Charlemagne on ne le vit si florissant. Depuis la fuite du duc et
lei mauvaises pratiques de ceux qui l'ont séduit, tout est changé. Déjà
Monsieur de Bourbon et ses adhérents se sont mis aux champs ; ils ont écrit aux
villes, aux prélats et aux seigneurs d'étranges lettres contre le roi et son
autorité. Ils ont pris ses serviteurs et conseillers qui allaient de ces
côtés pour terminer les différends existants entre les ducs de Bourbon et de
Savoie ; de plus Jean Dubreuil et sa compagnie sont venus courir jusqu'à
Blois, et ont pris le sénéchal de Beaucaire qui revenait d'Amboise et
d'auprès de Monsieur de Bourgogne. Ils ont blessé et mutilé plusieurs
serviteurs du roi et donné des sûretés comme ennemi pourrait faire. Au lieu
de mettre l'ordre ils ne causent que pertes et dommages. « On
ne sait pourquoi Monsieur de Berry et ses adhérents disent que tout le monde
se plaint du roi, puisqu'on en ouït jamais parler. Sur ce que le duc dit
qu'il désire que le royaume soit bien administré, et qu'il y a le principal
intérêt, le roi répond que s'il n'a pas de fils, la reine est encore en état
d'en avoir ; que, grâce à Dieu, elle est grosse. Ce qui surviendra, le roi le
met à la disposition de la providence, par l'intercession de Notre-Dame. « On
connaît l'âge de son frère et celui qu'il avait à la mort de feu leur père.
Il s'y prend d'une étrange façon pour faire de semblables remontrances au
roi, qui est son chef et son souverain seigneur, à qui il doit honneur,
obéissance, fidélité et service. Ce n'est pas à lui, quelques conseils qu'on
lui ait donnés, à réformer le roi et l'État, et ce n'était pas une raison de
partir ainsi de la présence du roi. « Si
lui, le duc de Bourbon et autres, avaient aucunes choses à lui remontrer
touchant ces matières, ils le devaient faire à l'assemblée de Tours. Alors,
en effet, le roi avec toute douceur possible les pria, s'il y avait encore
quelque chose à faire pour le bien du royaume, de l'en avertir. Ils
répondirent par le roi de Sicile qu'ils étaient tous les loyaux sujets et
serviteurs du roi ; qu'ils le serviraient envers et contre tous. « Son
frère voudrait que le roi de Sicile et plusieurs des membres des états de
Tours formassent une commission chargée d'examiner ce qu'il y aurait à
réformer dans le gouvernement ; niais cette demande s'accorde-t-elle avec les
lettres que son frère a écrites et fait publier dans le royaume ; lettres où
il est dit que la révolte est un parti pris et qu'à cet égard tous les
princes, même le roi de Sicile, sont d'accord ? Au regard des états du
royaume, certainement à cause des maux déjà survenus et qui peuvent beaucoup
s'aggraver, les membres des états ont grandement à se plaindre et à
s'affliger de ce qui se passe. « Son
frère parle d'une nouvelle convocation des états du royaume réunis en lieu
sûr et convenable, afin qu'il soit pourvu aux désordres qu'il dénonce, et il
dit n'avoir rien requis que pour le bien du roi et de la France. Le roi a
toujours désiré et désire le bien de son royaume ; il y a travaillé le mieux
qu'il a pu ; il est disposé à le faire encore mieux que jamais ; et quand les
seigneurs de son sang viendront à lui, comme il est convenable, pour
l'avertir et même lui faire des observations, il les écoutera avec intérêt,
et, s'il y a lieu, il mettra bonne provision à ce qu'ils auront demandé. On
ne peut penser à assembler les états, vu les voies de fait que les rebelles
se sont permises. « Le
roi ne désire le mal ni dommage d'aucun de ses sujets ; mais il est mécontent
et courroucé quand il voit qu'ils font contre lui ou autrement chose qui
n'est ni bonne ni raisonnable. Il aimerait mieux qu'il en fût autrement.
Toutefois, bien que, vu l'offense que plusieurs ont commise envers lui, il
ait lieu de procéder contre eux, ainsi que veut la justice et comme il est
naturel de faire en tel cas, néanmoins, quand il verra qu'on se voudra
amender à son égard, lui obéir comme on doit faire à son souverain seigneur,
et laisser là les détestables voies d'où tant de maux peuvent advenir à tous
et à tout le royaume, il a toujours été e est toujours enclin, comme pénétré
de miséricorde, à pardonner à ceux qui ont fait lesdites fautes et offenses,
à mettre en oubli tout ce qu'ils ont fait de répréhensible', et à les
reprendre en ses bonnes grâces. « Quand
ils voudront persister dans leur mauvais vouloir contre lui, si la chose
était soufferte, il s'ensuivrait des maux incalculables : le roi est donc
résolu à y donner toute provision, ainsi qu'il appartient à un souverain de
faire selon raison, quand tel cas advient. Son frère parle de pardonner aux
serviteurs du roi ce dont il croit avoir à se plaindre de leur part ; mais
c'est au roi à rendre la justice à l'égard des siens : il saura toujours,
sans l'intervention de personne, les punir et les récompenser selon qu'ils
l'auront mérité. C'est ainsi qu'un roi peut être loyalement servi. » Dans
une autre pièce du même temps, Louis XI remercie le roi de Sicile de la
relation de son ambassade ; et, faisant des réflexions sur tous les points
signalés par son oncle, reproduit de nouveau toutes les idées de son
manifeste. Son but était d'en appeler à l'opinion, de désabuser les peuples
séduits par le prétexte du bien public. Tel historien[10] demande s'il y avait alors un
peuple ; autant vaudrait dire s'il y avait un royaume et une opinion. On
raconte qu'en ce temps-là Louis de la Trémoille n'étant qu'un enfant[11], et ayant entendu dire que les
princes du sang tendaient à détrôner le roi : a Si j'estoye avec le roy,
dit-il, je me essayerois de le secourir. » L'auteur ajoute, à la louange de
son héros, qu'alors « ung de ses compaignons soutenant devant luy que
les princes faisoient bien, il luy bailla un soufflet. » Cela témoigne du
moins de ce qu'on pensait de cette prise d'armes des plus grands seigneurs. On se
disputait avec raison le duc de Bar, Jean de Calabre, le vainqueur de Sarno.
Il flottait indécis entre les deux partis. On a vu les efforts de Louis XI
pour le ramener à ses devoirs, ainsi que les sages avis de son père dans le
mème sens. Comment, en effet, est-il entré dans un complot formé par de
mesquines rancunes ? Ignorait-il ce que Louis XI avait fait pour sa sœur
Marguerite ? Par l'abolition de la pragmatique, le roi n'avait-il pas risqué
sa popularité pour détacher le pape du parti d'Aragon et pour l'aider ainsi
dans le royaume de Naples ? Pouvait-il en rien lui imputer son revers de
Troja ? Depuis que le sort des armes avait tout décidé il n'était pas
étonnant que le roi eût formé quelques relations avec le roi Ferrand. Comment
Jean de Calabre, qui parait s'attacher à de nouveaux souvenirs, a-t-il oublié
que, dans la compétition de la Lorraine, la maison de Bourgogne s'était
très-durement prononcée contre son père, et que la déroute de Bullegneville
avait eu des suites fatales en Italie ? Les
princes ligués savaient toutes ces choses et désiraient vivement son
adhésion. De Nantes, le 9.I avril II65, le duc de Berry lui adresse donc une
sorte de sommation commençant par ces mots : « Charles, fils et frère de
rois de France, à son amé cousin le duc de Calabre, salut. Il se plaint du
désordre qui a été et est en tous états dudit royaume, par le faux et déloyal
conseil d'aucuns officiers du roi qui approchent de sa personne, en sorte
qu'ils visent beaucoup plus à leurs singuliers profits, qu'au bonheur du
royaume et de la chose publique, et menacent ainsi la France d'une entière
destruction. Pour obvier à ce malheur, il lui propose de se joindre aux
seigneurs ligués et il l'en adjure. » Guillaume d'Harancourt, évêque de
Verdun, envoyé par le roi auprès Jean de Calabre, ne réussit donc pas dans sa
mission. Il existe aussi beaucoup de lettres des princes qui montrent tout ce
qu'ils firent pour attirer le comte du Maine dans leur parti. Louis
XI avait donc fait tous ses efforts pour le maintien de la paix ; et bien à
tort les historiens, à l'exemple de Chatelain, imputeraient au roi la cause
de cette guerre. Il est plus inexact encore de prétendre « que la bourgeoisie
des bonnes villes[12] n'était pas en meilleure
affection envers le roi que la noblesse ». Les seigneurs appuyés sur la
trahison se croyaient forts. Pour dissiper leur ligue, « c'est aux
villes surtout[13] que le roi parle. » Il suffit,
pour en juger, d'observer quelle a été l'attitude de Paris pendant le siège,
et ensuite celle de Rouen, d'Amiens, de Bordeaux, de Lyon, de Toulouse et de
plusieurs autres cités françaises souvent mises à l'épreuve pendant cette
triste guerre civile. Les
princes du sang et seigneurs avaient un désir commun de secouer tout frein,
de revenir à cette souveraineté seigneuriale dont ils faisaient un abus
scandaleux. Mais ils s'aperçurent que le roi visait à la stricte observation
des lois, à la précision des juridictions, à la suppression de toute
incertitude dans les attributions de l'autorité, à l'amélioration des classes
opprimées, au maintien des prérogatives royales, comme protectrice des plus
humbles et des plus grands ; qu'il ne se laisserait pas mener, comme son
père, par les intrigues de cour, ni dominer par ses plaisirs ; que ses goûts
étaient tout différents des leurs ; et que si un acte injuste ou tyrannique
voulait se produire, ce ne serait plus impunément. Voilà ce qu'ils appelaient
ses entreprises torsonnières : de là leur dépit. Au sud
l'Aragonais veut retirer les deux provinces qu'il a engagées, sans se libérer
de la dette ; au nord la Bourgogne a reçu le solde d'une belle province et
veut la reprendre, sans restituer le prix de la libération, sous le prétexte
du bien public ; princes étrangers ou du sang, voilà les hommes à qui Louis
XI avait affaire. En
résumé, les ducs de Bretagne et de Bourgogne veulent leur entière
indépendance de fait ; et le second rang ne leur suffit plus. A ces
susceptibilités et à ces rancunes se mêle beaucoup d'ambition ; chacun
apporte son contingent de convoitises et de prétentions. Le duc de Bretagne
veut traiter directement avec Rome et Londres, et disposer souverainement du
temporel des évêchés et des abbayes de son pays ; le Bourguignon ne veut pas
plus que lui se soumettre aux arrêts d'appel du parlement, il convoite de reprendre
par les armes les villes de Picardie récemment rachetées, et,' pour
s'arrondir encore, achever de dépouiller, s'il le peut, le comte de Nevers,
son proche parent. Pour
imputer au roi l'initiative de la guerre, on dit[14] que le comte de Charolais
n'aurait publié son amendement pour prise d'armes à la noblesse de Bourgogne
qu'après celui du comte de Nevers, lieutenant du roi en Picardie ; cela ne
serait qu'un pur détail, car le comte ne pouvait pas publier de mandement avant
d'être investi du pouvoir : d'ailleurs il est à remarquer qu'il fut le plus
tôt prêt, et que si quelqu'un se trouva surpris ce fut Je roi. Cependant nous
croyons que l'historien se trompe encore ici. Il est certain que c'est le
comte de Charolais qui a commencé les préparatifs de guerre. Voici ce que le
comte de Nevers écrit au roi, de Mazières, 19 mars 1464, l'avertissant,
non-seulement des choses étranges que fait chaque jour Monsieur Charles de
Bourgogne, mais particulièrement des levées de gens d'armes qu'il opère et
fait opérer journellement par le comte de Saint-Pol ; « qu'ils font
tenir et tirer vers Bruxelles et en Hainaut : j'ai à toute diligence,
ajoute-t-il, envoyé en Nivernais, et mandé faire ce que m'avez écript, et
aussi en Picardie : et y est très- bien pourvu, s'il plaist à Dieu. Là sont
les seigneurs de Crèvecœur et de Miraumont, mes serviteurs, qui y besoignent
en toute diligence Je sais de plusieurs côtés à la fois que le comte de
Charolais a dit qu'il me tenoit pour son ennemi mortel, m'étant allié avec le
seigneur de Croy Je me fortifie de mes amis et d'autres étrangers et de leurs
places pour vous servir au besoin... J'ai en ce pays de Rethélois de bien
bonnes et fortes places que je mettrai, s'il plaist à Dieu, en très-bon état.
Vous me direz si votre désir est que je aille vers vous, ou que je persévère
à rester ici. Je crois faire bonne œuvre, d'y être ; car nous sommes sur les
marches du Hainaut ; et j'y ai chaque jour d'étranges nouvelles de ce que
font là le maréchal de Bourgogne et l'évêque de Tournay. Je saurai, j'espère,
me garder d'eux et de leurs entreprises ; et j'ai espoir, avec l'aide de
Dieu, que vous vous pourrez encore aider et servir de moi. En ce cas vous êtes bien sûr de me trouver
toujours féal serviteur et prêt, toute ma vie, à vous obéir et servir en
tout. Dès que vous me manderez votre bon plaisir, je l'accomplirai en toute
diligence, comme raison est, et comme suis tenu de le faire. Signé Jean,
comte de Nevers et d'Étampes. » Les
princes entreprirent la guerre sous le prétexte du bien public ; mais la
cause effective ce fut leur intérêt particulier. Le dénouement surtout mit à
jour leur ambition aveugle et sans scrupule. Le roi, comme on sait, avait
déclaré, par une ordonnance du 20 juillet 1463, que les gens d'Église eussent
à lui donner, sous un an, chacun en ce qui le concernait, un cadastre aussi
exact que possible des biens ecclésiastiques : ordre fut donné aussi, par
arrêt de la chambre des comptes, aux vicomtes et receveurs de percevoir les
fruits des fiefs et seigneuries qui seraient mis dans les mains du roi faute
d'hommage ou pour cause de droits non payés, enfin le roi avait envoyé dans
les provinces des commissaires pour recherche des titres de noblesse et pour
information des acquêts nouveaux. Or, toutes ces mesures étaient redoutées et
ne pouvaient que jeter l'inquiétude dans les deux ordres privilégiés. Sous
Charles VII, de pareilles ordonnances avaient bien été édictées ; mais on
savait que Louis XI tenait à l'exécution de ses édits. Ainsi,
malgré les appels réitérés du toi à la concorde et à la paix, l'orage
s'amoncelle sur tous les points de l'horizon. La ligue, secondée de
l'héritier du trône, soutenue du duc de Bretagne et des princes apanagistes,
se montre formidable. Au premier moment le roi entrevit ce qui le menaçait à
l'ouest, mais il ne se doutait pas encore de ce qu'il devait craindre des
seigneurs du midi qu'il avait réhabilités : et d'un autre côté les ducs de
Bourbon, de Bourgogne et de Lorraine l'étreignaient sur les marches de l'est
et du nord. A cette foule de vassaux rebelles se joignaient des hommes
illustres, tels que les comtes de Dunois, de Dammartin et le maréchal de
Lohéac. Des compagnies entières vinrent se ranger sous ce drapeau, attirées
par la réputation militaire de ces hommes ; celles, par exemple, des sires de
Montauban et de Bassompierre. Dammartin
venait alors (12 mars 1464)
d'être délivré de la Bastille par son neveu Gilbert de Curton qui, s'étant
approché, dit-on, avec 1.200 chevaux, l'emmena loin de la porte
Saint-Antoine. Jacques de Chabannes avait eu deux fils, Geoffroy, seigneur de
la Palisse, et Gilbert de Curton. « Celui-ci[15], sans s'éloigner en un seul
point des vertus de ses aïeux, fut honoré, pour ses rares mérites, de la
charge de grand sénéchal de Guienne, et du gouvernement du Limousin. Louis XI
le fit chevalier de son ordre, ainsi qu'Antoine de Dammartin, dès la première
promotion. » En 1465 ils étaient hostiles au roi, mais plus tard ils le
connurent mieux. Antoine s'en alla d'abord dans le Berry. Avec
Louis demeurent le roi René et Charles, comte du Maine, ses oncles, les
comtes d'Eu, de Vendôme et de Nevers ; le sénéchal Pierre de Brezé et
Jacques, son fils, comte de Maulevrier ; le maréchal de Gamache ou de
Boisménard, Joachim de Rouhaut ; Guillaume Cousinot et les serviteurs qu'il
avait ramenés de l'exil avec lui, tels que Aymar de Poisieu, les sires de
Montauban et de Cominges, et René d'Alençon, comte de Belesme. Quelque
incertitude et aussi un peu d'espoir restaient à l'égard des ducs de Calabre
et de Nemours, du comte d'Armagnac et du sire d'Albret ; mais ce ne fut pas
pour longtemps. Il
convient de connaître les serviteurs du roi et de la France. Parmi les gens
de robe il en est un surtout qui doit être remarqué. Guillaume Cousinot,
aussi bien homme de guerre qu'habile jurisconsulte, brillait peu par la
naissance, mais beaucoup par l'éclat de son mérite. Il avait longtemps servi
sous Charles VII. Il combattit à Sandwich sous le sénéchal Pierre de Brézé ;
à lui revient l'honneur d'avoir provoqué et hâté dès cette époque la
rédaction des coutumes des divers lieux. En 1461 il était bailli de Rouen.
Louis crut, d'abord, avoir à se méfier de lui ; mais, mieux informé et
l'ayant jugé par lui-même, il sut vite l'apprécier, comme il fit des
serviteurs de son père qui en étaient dignes. Ainsi non-seulement il lui
donna bientôt toute sa confiance, il l'employa dans ses plus délicates
négociations et le combla de faveurs, mais encore, reconnaissant en lui les
lumières unies au dévouement, il le consulta dans ses plus graves affaires,
il suivit presque toujours ses conseils et le retint auprès de lui jusqu'à sa
mort. Charles,
comte d'Eu, véritable Nestor de cette époque, ne fut pas moins courageux que
ses ancêtres. C'est lui qui, en 1414, fit marcher la garnison de Paris contre
les boucliers ; lui encore qui, sous les ordres du connétable d'Albret et
comme lieutenant général de Normandie, commandait notre avant-garde à
Azincourt. Après sa captivité il parut aux états d'Orléans de 1439 ; puis
dans la Praguerie à laquelle il ne prit nulle part, il s'offre pour médiateur
; et en Auvergne il introduit le dauphin auprès de son père : en 1450 il est
au siège de Caen avec Dunois et le comte de Nevers ; et pour le récompenser,
en août 1458, le roi érige le comté d'Eu en pairie. Il assista au sacre de
Louis XI, qui dès lors lui porta une affection toute particulière. En juillet
1461, il accompagna le roi à Heslin et il fit partie, comme on l’a vu, de
l'ambassade de Lille qui aurait dû tout pacifier. Entre deux partis, les
sympathies d'un tel homme suffiraient pour indiquer de quel côté sont le
devoir et le bon droit. Jean
VII de Bourbon, comte de Vendôme, ne trouvait pas en sa maison, dans le passé
ni dans le présent, tant d'exemples de fidélité. Son père Louis de Bourbon,
obligé de se racheter de sa captivité d'Azincourt et fort remarquable par
l'exact accomplissement de ses vœux religieux, avait pris part en 1429 à la
délivrance d'Orléans et à la gloire de la Pucelle ; mais dix ans après il
entra dans la Praguerie et même en 1442 dans un nouveau complot des princes,
sous le prétexte du bien public. En 1412, il devint comte de Vendôme, du chef
de sa mère. Jean VII avait fait sous Dunois son apprentissage de la guerre ;
il coopéra à la conquête de la Normandie et de la Gascogne et aux deux sièges
de Rouen et de Bordeaux. Sous Louis XI il comprit son devoir mieux que les
autres princes. Rien ne put le décider à entrer dans la ligue, ni alors ni
plus tard quand Louis d'Orléans s'éleva contre Anne de France. Il fut le
trisaïeul de Henri 1V ; Louis, puîné de ses enfants, devint le chef de la
branche de Montpensier. Disons aussi que cette branche de Vendôme ne s'est
jamais séparée de la maison de France. Ainsi
Louis XI n'avait pas seulement pour lui la bourgeoisie, les légistes et les
populations ; il comptait encore parmi les grands de fidèles et loyaux
serviteurs. Ajoutons à ces derniers Jean de Brosse II, comte de Penthièvre.
Ce brave chevalier s'était déjà fort distingué[16] dans les expéditions
précédentes contre les Anglais, notamment à Formigny et à Bergerac. Il resta
fidèle à Louis XI dans la guerre du bien public, « ce qui fut cause que
le duc de Bretagne se saisit du comté de Penthièvre et de ses autres terres
de Bretagne ; il ne put y rentrer de sa vie, quelques poursuites qu'il ait pu
faire. » Tant il est vrai que le roi, malgré toute son énergie, ne pouvait
pas toujours faire rendre justice à ses serviteurs ! Jean de Brosse, ne
pouvant avoir raison de cette violence, vendit à Louis en 1479 tous les
droits qu'il avait sur la Bretagne du chef de Nicolle, sa femme, comtesse de
Penthièvre. N'oublions pas de citer parmi les fidèles le comte de Boulogne
qui, si à propos, amena au roi la noblesse du Gévaudan et du Vivarais. Mais
combien la liste des coalisés est nombreuse et triste à considérer ! Jean II,
duc d'Alençon, élevé, il est vrai, sous la tutelle de Marie de Bretagne, sa
mère, pouvait incliner vers le parti breton, mais il était le fils de Jean,
dit le Sage, qui avait péri à Azincourt ; Louis XI, après l'avoir relevé de
sa condamnation da lit de justice de Vendôme et l'avoir rétabli dans ses
biens, venait encore de lui accorder spontanément une nouvelle abolition. Il
avait tout oublié. Comment voit-on là le comte d'Armagnac, à qui Louis,
encore dauphin et au moment même de ses disgrâces en 1456, céda si
généreusement les trois châtellenies dont son père Charles VII l'avait
dépouillé ? Le roi fit encore pour lui bien davantage en le relevant des
condamnations dont il avait été si justement frappé par arrêt du parlement.
Il voulut louvoyer. Aux lettres que le sénéchal de Rouergue lui remit de la
part du roi, il répondit qu'il témoignerait, comme ses prédécesseurs, et
mieux s'il pouvait, de son zèle pour la couronne ; mais il lui fallait du
temps pour assembler ses états, et en attendant il envoyait au roi son écuyer
Bertrand de l'Espèche. Louis, cependant, apprenant que les princes se
vantaient d'avoir pour eux le comte d'Armagnac, écrivit à Esternay, qui
depuis le trahit aussi : «Vous « verrez les lettres du comte, mon cousin, par
lesquelles il est « évident qu'il n'est point de leur bande. » Néanmoins, peu
rassuré, il envoya au comte son maître d'hôtel de Bicarville et il en obtint
l'assurance qu'il lui restait bon et fidèle sujet. Nouvelle preuve de la trop
grande confiance du roi. Jacques
d'Armagnac, duc de Nemours, fils du comte de Pardiac et devenu son cousin en
épousant la fille du comte du Maine, poussa la perfidie encore plus loin.
Louis XI lui envoya son secrétaire Jean de Reilhac, et en reçut des réponses
qu'il devait croire sincères, tant la confiance avait paru grande de part et
d'autre ! Quel
pouvait être aussi le grief de Dunois ? Par son mérite et son origine il
était l'homme le plus capable de relever en Italie le prestige de notre
drapeau, et, après Jean de Calabre, de maintenir Gènes et Savone dans la
dépendance de la France. Aussi Louis XI lui avait-il donné le gouvernement de
ces places, et s'il n'y réussit pas mieux que les meilleurs officiers
français, Boucicaut et le fils du roi René, il devait s'en prendre à la
mobilité des Italiens et non au roi. L'examen des autres ligués ne leur
serait pas plus favorable, et ce qui surprend, c'est que dans ses manifestes
le roi ne leur reproche pas plus amèrement toutes leurs ingratitudes. Les
princes dans leurs libelles ne manquaient pas de promettre l'abolition de
toutes sortes d'impôts. Les populations pouvaient se laisser prendre à cette
amorce, surtout en Auvergne. Le roi envoya donc de ce côté le comte de
Boulogne, avec ordre de remontrer, partout où il passerait, que de tout temps
les factieux avaient tenu le même langage et fait les mêmes promesses ; qu'au
lieu d'apporter aux contrées le soulagement promis, ils les ruinaient par la
dévastation des campagnes, par les impôts arbitraires en argent et en nature,
par l'interruption de tout commerce et par toutes sortes de misères trop
connues du pauvre peuple. Il devait surtout faire comprendre que les
séditieux répandaient toujours dans un pays la détresse et la désolation ;
que porter le fer et le feu dans les héritages et dans les récoltes, tuer les
gens ou les emprisonner pour les mettre à rançon, était tout ce qu'ils
savaient faire, tout ce qu'on devait attendre de leurs hordes indisciplinées
et avides ; que « si le roi eût voulu grossir les pensions des princes, leur
permettre de fouler et tyranniser leurs vassaux comme auparavant, ils
n'auraient jamais réclamé si haut, ni songé au bien public ; qu'au lieu de
vouloir mettre l'ordre partout, ils ne le pouvaient souffrir nulle part, et qu'ils
n'aspiraient qu'à opprimer les peuples. » Enfin il devait de tout point
justifier la conduite du roi, et du bon emploi qui était fait des deniers
publics, lesquels avaient servi à d'utiles acquisitions et à mettre les
frontières en sûreté. Cette
réponse ayant été faite par le roi en plein conseil, devant une nombreuse
assemblée, il voulut qu'elle fût écrite et les copies en durent être envoyées
aux principales villes et aux gouverneurs des provinces, montrant ainsi tout
le cas qu'on faisait de l'opinion. S'il faut en croire Pierre Maudonier,
receveur de la haute et basse Auvergne, les peuples furent fort impressionnés
par ce mémoire, et aisément disposés à rester fidèles à l'obéissance du roi. Généralement
toutes les provinces qui n'étaient pas directement sous la dépendance des
princes ligués, telles que le Dauphiné, le Languedoc, le Lyonnais, la
Normandie et l'Ile-de-France, donnèrent au roi de grandes preuves de
fidélité. Bordeaux (28 mars), parmi les villes de Picardie Tournay (8 mai),
Amiens (15
juin), et beaucoup
d'autres ci tés s'empressèrent d'offrir leur coopération. Dans l'adresse du
parlement de Toulouse (26 avril) en réponse à la lettre du roi sur ce sujet, après
leurs remercîments de cette communication on lit ces mots : « Nous vous
notifions, notre souverain seigneur, que, à l'égard de la matière dessus
dite, nous sommes et ne cesserons d'être, en votre pays du Languedoc, vos
très-humbles et très-obéissants sujets et serviteurs, toujours prêts à vous
obéir, et serons heureux d'employer nos personnes et nos biens à vos bons
plaisirs et commandements. » Il savait aussi pouvoir compter sur l'appui de
la Savoie, du Piémont et du Milanais. Infatigable
dans ses tentatives de conciliation, Louis XI envoya encore au duc de
Bourgogne et au comte de Charolais l'évêque du Mans, Théobald, frère de
Saint-Pol, et Cardin des Essarts : cette dernière tentative fut aussi
infructueuse que les précédentes. En cette circonstance la cour de Bonie ne
lui vint pas plus en aide que par le passé. Le roi, voyant que les princes se
plaignaient de l'abolition de la pragmatique, chercha à négocier avec le
saint-père qui devait leur être peu favorable. Il chargea de cette mission
Pierre Gruel, premier président du parlement de Grenoble. Il eût bien désiré
que le pape renouvelât d'anciennes bulles qui excommuniaient toute personne
prenant les armes contre le roi ; mais Pierre Gruel ne réussit point et dut
être rappelé. Une nouvelle députation fut préparée où figuraient, croyait-on,
des hommes plus sympathiques à Paul II ; mais les récentes ordonnances du
roi, restrictives des prétentions de la cour de Rome, ne pouvaient manquer
d'empêcher tout accord. Louis eût surtout désiré que le légat d'Avignon,
Alain d'Albret, frère du sire d'Albret, l'un des principaux membres de la
ligue, fût remplacé par un autre. Mais on ne sait le résultat de cette
ambassade, ni même si elle sortit de France. Alors aussi le roi s'assura de
la neutralité de l'Angleterre, d'autant mieux que par traité de novembre
1464, la Bretagne et la Bourgogne faisaient trêve avec cette puissance, et
que, par suite de ses prétentions à la couronne de France, Edouard se
croyait, aussi bien que Louis XI, suzerain de la Bretagne et de la Bourgogne. Le 12
avril 1465 le comte de Lannoy, par l'entremise de Jean Venlock, grand
pannetier, et du comte de Warwick, consent un traité de trêve par mer avec
l'Angleterre faisant suite à celle d'Hesdin. D'ailleurs, à l'exemple de Louis
XI, Edouard négociait alors des traités de commerce et autres avec la Suède,
la Pologne, la Hanse Germanique et l'ordre Teutonique. D'un
autre côté, les circonstances semblaient favorables pour resserrer les
alliances avec les Liégeois. Pour lors le roi leur envoie Louis de Laval,
seigneur de Châtillon, Aymar de Poisieu dit Capdoral et Jean Duverger,
président du parlement de Toulouse. D'après leurs instructions ces députés
conclurent un traité le 17 juin 1465 par lequel le roi s'engage à entretenir
à Liège deux cents lances fournies commandées par tel capitaine de leur choix
; à entrer avec une armée dans le Hainaut tandis qu'ils envahiront le Brabant
; à maintenir de tout son pouvoir les franchises (le la ville ; étant convenu
qu'ils ne feront ni paix ni trêve séparément. Ce pouvait être un bon appui,
mais l'exécution de ces conventions fut fort incomplète. Le roi
fut aussi bientôt informé de ce qui s'était passé vers la mi-avril 1465 aux
états de Brabant, de Flandre et autres pays réunis à Bruxelles ; il sut que
là le duc avait fait reconnaître son fils pour son héritier et, dès à
présent, comme dépositaire de ses pouvoirs ; puis, après y avoir expliqué le
manifeste du duc de Berry et déclaré « qu'il était résolu d'assister ce
prince de toutes ses forces », il y avait ajouté une exhortation à toutes ses
provinces de s'assembler et de contribuer efficacement à cette guerre. Le duc
évidemment n'était plus que l'interprète de son fils. Le roi apprend peu
après que le comte de Saint-Pol a ensuite parlé dans l'hôtel de ville de
Bruxelles au nom du comte de Charolais, comme si le duc eût abdiqué ; que
même pour ramener à la Bourgogne les villes rachetées, Saint-Pol avait envoyé
de Flandre à Mortagne la Houardière et Valeran Dumez ; mais que le procureur
du bailliage de Tournay, s'étant trouvé là, avait signifié aux émissaires les
droits du roi. D'autres tentatives du même genre lui sont encore dénoncées. Louis
XI prit donc ses mesures. Dès le mercredi, 15 mars 1464[17], il avait envoyé en députation
à Paris Charles de Melun, maître Jean Balue, évêque élu d'Évreux, et Jean le
Prévost, notaire, son secrétaire, porteurs d'un message aux Parisiens en vue
de soutenir leur courage et de leur donner bon espoir. « Par suite furent
faites en l'hôtel de ville plusieurs utiles ordonnances pour protection,
garde et sûreté de la ville, comme de faire guet, de garder les portes
d'icelle, et de les faire, selon le besoin, fermer et murer, de mettre les
chaînes des rues en état, pour servir quand besoin en serait, et furent
prises autres précautions. » Voulant encourager les magistrats à le seconder
de toutes façons, il dispensa (5 mai) les conseillers du parlement, même ceux ayant des
fiefs, d'envoyer à leurs dépens des gens d'armes en son armée. Pour veiller
aux frontières, l'amiral de Montauban était dans le pays de Caux. Les marches
de l'Artois et de la Picardie furent gardées et mises en bon état de défense,
à l'ouest par le comte d'Eu, et à l'est par le comte de Nevers, qui s'étaient
fixés à Mézières et à Rethel. Le comte de Torcy porta son attention et ses
soins sur la frontière de Champagne. Le chancelier de Morvilliers alla en
Normandie et s'établit à Rouen ou à Abbeville, afin d'être dans le nord le
centre où les nouvelles et rapports des différents chefs viendraient aboutir,
et aussi pour assurer toute harmonie dans leurs moyens d'action. Dès la
nouvelle de la fuite de son frère, le roi avait surtout porté ses regards sur
ses frontières du nord et de l'est. Dans une lettre de Thouars, le 20 mars,
au comte d'Eu, lui faisant part de cet événement, il lui enjoignait de se
trouver le plus tôt possible à Abbeville avec le comte de Nevers et le
chancelier, afin d'aviser ensemble selon la gravité des circonstances.
Lui-même se rapproche de Saumur le 8 avril ; il écrit au chancelier, « Je
presse de s'entendre avec les comtes d'Eu et de Nevers pour mettre les villes
de Picardie en sûreté ; ils rappelleront à la province que le roi lui a remis
les 20.000 écus qu'elle devait pour le rachat. Le sénéchal de Beaucaire ayant
été pris, le roi ne sait pas ce qu'il a fait avec le duc de Bourgogne. Le
comte de Foix viendra le rejoindre dans trois ou quatre jours. Plusieurs
barons le viennent trouver. Il a mille lances avec lui, et espère dans huit
jours en avoir seize cents. Le sire de la Borde et le bailli de Rouen vont en
Berry avec deux cents lances des compagnies de Salazart et de Crussol. Le roi
les suivra bientôt, et laissera une partie de ses lances sur les marches de
Bretagne. Les pays de Savoie, de Dauphiné et de Lyonnais se sont déclarés
pour lui et peuvent fournir mille lances. Il lui envoie une copie des
conférences de la Roche... » Encore
le 11 avril à un de ses plus intimes officiers, le roi écrit ainsi de Saumur
: « Cher et amé cousin, depuis votre départ, bel oncle le roi de Sicile est
venu vers nous, délibéré de nous servir envers et contre tous. Sitôt
qu'aurons appointé du fait de par deçà pour mettre nos pays en sûreté, afin
d'obvier à l'entreprise de ceux qui sont en Bretagne, nous sommes disposés à
tirer incontinent de notre propre personne ès pays de Berry et de
Bourbonnais, où avons déjà envoyé deux cents lances, et à pourvoir si bien au
surplus à l'encontre de ceux qui ont rompu la paix et tranquillité de ce
royaume, qui se sont efforcés de susciter la guerre et de remettre la
pillerie sus, qu'au plaisir de Dieu, nos bons et loyaux sujets en seront
joyeux. Ainsi veuillez en avertir partout où il appartiendra et nous écrire
souvent ce qui surviendra par deçà. » En
réponse au procédé du duc de Bourbon, qui avait fait jeter en prison ses
ambassadeurs, le seigneur de Traînel Guillaume des Ursins, et Pierre Doriole,
général des finances, le roi écrit à ses officiers d'arrêter les gens du duc
de Bourbon s'ils en trouvent sous leurs mains. Il ne cesse d'encourager les
villes et ses serviteurs à lui être fidèles : ainsi le voit-on de Saumur, le
8 avril, remercier les habitants d'Amiens de leurs bonnes dispositions et les
inviter à y persévérer. Il se rapproche des points menacés et revient vers
Tours. De là, le 20 avril, il écrit collectivement aux comtes d'Eu, de Nevers
et au chancelier de Morvilliers : « Il a été informé par eux, dit-il, de
leurs provisions (précautions armées) pour la conservation de la Picardie, et il les en remercie. Il a
pourvu aux deux cents lances et mille archers qu'ils demandent. Il envoie le
maréchal Joachim dans le pays de Caux avec cent lances, pour les aider si
besoin est. Quant à ce qui est des plaintes des nobles et des gens d'Église
du pays de Picardie, il les a exceptés comme ils l'étaient auparavant. Il les
remercie de ce qu'ils ont fait pour les places de Caux et autres ; les prie
d'y avoir l'œil et de l'avertir de ce qui adviendra. Il a confiance en eux.
En la personne du sire de Crèvecœur, il a pourvu au bailliage d'Amiens. » Les
destinataires se devaient transmettre les lettres du roi, s'éclairant
mutuellement, et prenant pour base, autant que faire se pouvait, les
intentions manifestées par lui. Pendant
ces préparatifs Jean de Calabre avait adhéré à cette ligue du bien public, et
le 6 mai, du Plessis-du-Parc (lès Tours), une lettre de Louis XI commençant par ces mots :
« Monsieur mon père, » adressée sans doute au roi René son oncle, continue
ainsi : « On a vu la déclaration que monsieur de Calabre a faite ; il me
semble que vous pouvez déclarer ce que vous avez intention de faire en cette
matière, et qu'il est temps à cette heure. Ainsi qu'il fait ce qu'il peut
pour nuire de son côté, ainsi ferai-je de ma part pour m'en garder. » En même
temps le roi dit à monsieur de Nogent qu'il est temps qu'il se déclare sur ce
qu'il voudra faire, monsieur de Calabre s'étant prononcé. « J'aime
mieux, ajoute-t-il, qu'ils m'aient fait cela que si je le leur eusse fait. »
Ce sont là certainement de bien remarquables paroles. Sur le
point de partir pour le Berry, Louis XI continue ses soins aux affaires de la
défense du royaume. Une lettre de Tours (18 avril), de Guillaume Cousinot,
secrétaire des commandements du roi, adressée au chancelier, explique
clairement les faits : « Monseigneur le roi, dit-il, vous écrit par le
Basque. Il a ordonné, pour la provision de par-delà, que monsieur le maréchal
de Gamaches (Joachim Rouhaut) y voie. Il vous certifie qu'il ira très-brief et bien accompagné
avec bon pouvoir. Faites que vous vous puissiez défendre deux mois seulement.
Soyez sûr que nos adversaires ne vous sauront faire dommage que vous n'ayez
bientôt belle compagnie. Le roi de Sicile s'en est retourné à Angers, qui est
bien et sûrement appointé ; la frontière de Bretagne est garnie de mille
lances : le roi en a huit cents avec lui. Il s'en va à Bourges et en
Bourbonnais. Au plaisir de Dieu, aurez bientôt bonnes nouvelles du quartier
de par-delà. Ceux de Savoie et de Dauphiné sont environ mille à douze cents
lances, et se viennent joindre au roi en Forez et en Bourbonnais, sans nos
archers et nobles de tous pays qui se mettent sus. Monsieur de Foix est ici ;
et y viennent monsieur de Nemours et monsieur d'Armagnac ; et ne faites doute
du contraire. Écrivez souvent au roi, car il y prendra bien plaisir, et me
pardonnez si je ne puis plus largement écrire, car le Basque vous dira mon
excusation. » On voit qu'il ignore encore la défection du duc de Nemours et
du-comte d'Armagnac. Une
lettre de Balue au chancelier (Paris, 1er mai) l'invite à se rapprocher de
Paris afin d'être mieux informé de tout ; et en effet il ne tarda pas à y
venir. Elle lui apprend quelques nouvelles : « La veille, monsieur de
Châtillon a eu deux messagers du roi dépêchés le dimanche à Saint-Aignan en
Berry. Le roi lui fait savoir de prendre garde, et de passer bien accompagné,
parce que Odet d'Aydie s'est vanté de le saisir au passage. Son départ est donc
différé de quelques jours. » Le 2
mai le roi est averti par le chancelier de la résolution d'une prise d'armes
de la part du comte de Charolais. « Il a pris des mesures pour la sûreté des
places, et compte toujours que les seigneurs du midi augmenteront les forces
du roi. Il affirme que le duc de Bourgogne a remis ses pouvoirs entre les
mains de son fils, qu'il veut employer chevances et gens pour soutenir la
querelle de celui-ci, et que c'est par l'entremise d'un nommé Jean de
Ladriesche ou Vanderiesche de Terremonde, pour lors en grande faveur, qu'il a
transmis ses volontés aux états en flamand et en français. « Commandez vos
plaisirs, dit-il en finissant, pour que je les accomplisse de tout mon
pouvoir. » Par les
lettres du maréchal Joachim Rouhaut nous suivons la marche des événements
dans le nord. Aussitôt son arrivée au pont de Menin, le mercredi 1er mai, il
informe le chancelier de son arrivée. « Il est parti de Tours le
dimanche 28 avril après diner : il attend ses gens qui viennent en toute
diligence. Le roi est allé, samedi 27 avril, coucher à Saint-Aignan, et de là
s'en tire en Berry vers Bourges. Il se rendra sur le chemin des sires
d'Armagnac et de Nemours ; monseigneur de Berry est encore en Bretagne. On ne
dit pas quand ils en partent. Le duc François II et lui ont fait savoir au
roi que, si c'était son bon plaisir, ils se réuniraient à Saint-Florent-le-Vieux.
Le roi de Sicile, « monseigneur du Maine, monseigneur l'évêque de Poitiers,
monsieur de Maulevrier et d'autres s'y rendront. Monseigneur de Dunois,
monsieur de Lohéac et d'autres y seront aussi. Le roi, pour éviter la guerre,
est content d'entendre à tout ce qui sera de raison. Il laisse sur les
marches d'Anjou, du Maine et de Normandie neuf cents hommes d'armes, et en
emmène le roi avec lui pour aller en Bourbonnais douze cents, sans
monseigneur d'Armagnac qui en a bien trois cents et monseigneur de Nemours
deux cents. J'ai trouvé aujourd'hui maître Raoul de Flavy : il va aussi vite
qu'il peut vers le roi, lui apprendre que le bâtard de Bourgogne et le comte
de Saint-Pol ont fait leurs montres (revues). J'envoie devers vous pour que vous m'écriviez ce
que vous en savez. » Il est probable que ce projet de conférence à
Saint-Florent aura pour quelques jours fait revenir le roi de Saint-Aignan. Blangy,
3 mai, le comte d'Eu, écrivant au comte de Nevers, son neveu, conseille de
faire passer la Somme aux cent lances envoyées par le maréchal Rouhaut et de
les loger à Dourlens. Il lui envoie une lettre du roi qui veut qu'on fasse
crier le ban et l'arrière-ban au pays de Caux et notamment à Senlis. Les
situations se dessinent et les messages si nombreux des divers officiers de
Louis nous les indiquent clairement. Ainsi, dans la lettre du maréchal
adressée au chancelier et datée de Péronne, 4 mai, on lit : « Nous sommes
arrivés hier soir ici. Alors monsieur de Saint-Pol, dès qu'il nous vit
arriver, délogea. Il était temps que nous vinssions, car ce matin les
Bourguignons fussent entrés. J'apprends que le roi dit dans une lettre qu'il
va assiéger Montluçon, qu'il a pris Châteauroux, que monsieur d'Armagnac est
encore à Lectoure et n'ose bouger avec ses trois cents lances, de peur que
les gens des sénéchaussées de Toulouse, Quercy et autres n'entrent chez lui ;
que pour la même raison monsieur de Nemours ne donne nul secours à monsieur
de Bourbon ; que madame de Savoie envoie au roi trois cents hommes d'armes,
et ceux du Dauphiné autant, qui joindront le roi en Bourbonnais. Je crois que
les Liégeois, cette semaine même, sortiront avec leurs bannières. Ainsi, au
plaisir de Dieu ! Le roi demeurera en son entier, il n'en faut faire nul
doute. Je vous prie de ne point vous en aller d'Amiens que je ne vous aie
parlé pour vous communiquer ce que le roi m'a chargé de vous dire. » En
effet, dès que le comte de Saint-Pol, qui s'était approché de Péronne pour
appuyer sa lettre aux gens de la ville, apprit que le comte de Nevers, le
sire de Croy et le maréchal y étaient arrivés, il se retira vers Ham, et tout
en menaçant Nesle, il désolait le pays d'alentour. Ainsi
le comte de Charolais, et le comte de Saint-Pol en son nom, ne se font nul
scrupule de sommer plusieurs villes, notamment celles de la Picardie, de se
soumettre à l'obéissance du duc. Après les démarches et les actes hostiles,
viennent les surprises et les voies de fait. Le comte de Saint-Pol
non-seulement permet à ses gens plusieurs courses sur les frontières, mais
encore s'empare assez violemment d'Athis. Promptement averti, le maréchal
Joachim écrit de Péronne, 18 mai, au comte de Saint-Pol « qu'il est surpris
de cette violence : il se plaint d'un tel procédé ; il lui demande pour
quelle cause et par quelle ordonnance il fait ces entreprises, et aussi à
quelle intention. Il ne croit point que le roi doive en être content. Il
conviendra, s'il en est ainsi, que lui lieutenant du roi y mette les
provisions à lui possibles. Il requiert recevoir une réponse par le roi
d'armes de Corbie, porteur d'icelle. » Le
comte de Saint-Pol répond sans retard au maréchal. Il prétend que la ville
d'Athis dépend de Péronne, et que les habitants ont de leur plein gré mis ses
gens dedans, sans qu'il ait employé aucune violence. Quant au dommage produit
par les troupes, il allègue la difficulté de contenir les gens d'armes sans
qu'ils fassent quelque mal au pays ; que s'il vient à sa connaissance que des
bêtes de fermes ou des chevaux aient été enlevés, il les fera restituer : à
ces raisons il ajoute : « Au regard que vous y mettien les provisions à vous
possibles, je n'ai pas l'intention de m'éloigner si loin, que quand vous y
voudrez mettre la provision, je ne voie quelle elle sera. Au surplus, vous
paraissez désirer que je vous fasse savoir par le roi d'armes de Corbie pour quelle
cause et par quelle ordonnance je fais ou fais faire lesdites entreprises. Je
crois ce point assez éclairci par les réponses que je vous ai faites et par
nies lettres à ceux de Péronne. » On peut trouver assurément dans ce ton
aigre-doux une sorte de déclaration d'hostilités très-prochaines ; mais on
voit néanmoins que la guerre n'est point encore sérieusement déclarée. Dès le
lendemain, 19 mai, le maréchal met le chancelier au courant de ce qui se
passe. Il lui mande aussi les nouvelles qu'il apprend du roi : « Il sait
qu'en Bourbonnais les chevaliers et écuyers s'en vont chez eux et ne veulent
point armer contre le roi ; que les gens d'armes du Dauphiné et de Savoie, au
nombre de sept cents lances, sont déjà en Forez ; qu'ils prennent places et
forteresses et font tous les maux du monde. Il fait mention de sa lettre au
comte de Saint-Pol et de la réponse, puis demande que le chancelier publie à
Amiens et à Abbeville le pouvoir que le roi lui a donné. Il regrette de ne
point aller à Paris conférer avec le chancelier ; mais si celui-ci veut
venir, il ira à sa rencontre jusqu'à Corbie. » Après
sa réponse au maréchal, le comte de Saint-Pol n'en continua pas moins de
faire ses sommations aux villes voisines. Aucune de celles qui pensaient
pouvoir se défendre ne voulut se livrer à lui ; quelques-unes des plus
faibles se rendirent par crainte, tant il inspirait de terreur au pays. Il
n'était pas même bien avec tous ceux du parti bourguignon, et on le savait
brouillé avec Adolphe, duc de Clèves, et avec Antoine, bâtard de Bourgogne.
Dans le même temps on sut que le vice-chancelier de Bretagne Jean de Romillé
avait débarqué à Boulogne avec une quinzaine de gentilshommes bretons, et
qu'aussitôt il était allé trouver le comte de Charolais ; qu'enfin celui-ci,
soit, pour se munir d'argent, soit pour prendre congé d'Isabelle, sa mère,
était parti pour la Hollande, mais avec promesse d'un prompt retour. Ainsi la
guerre n'offrait pas l'ombre d'un doute, et le 14 avril, jour de Pâques, le
duc Philippe met son fils à la tête de ses troupes. Pour
ses débuts comme commandant en chef, le comte de Charolais se voyait à la
tête d'une belle armée d'environ quatorze cents hommes d'armes et de huit
mille archers. Saint-Pol dirigeait en réalité les opérations ; le bâtard de
Bourgogne et le sire de Ravestein avaient aussi sous leurs ordres des forces
importantes. Ceux de qui le comte Charles suivait encore les conseils, quand
il écoutait quelque chose, étaient le sire de Contay, le chevalier de Lallain
et le sire de Hautbourdin, bâtard de Saint-Pol[18]. Toutefois il manquait à cette
armée la chose essentielle, la discipline. Ils marchent donc en avant, sous
prétexte de n'être pas envahis, ils envahissent, et leur rendez-vous est tout
simplement sous les murs de Paris. On
entrevoit déjà ce qui se passe dans la campagne du roi : il marche vers le
Berry et le Bourbonnais ; non que le duc de Bourbon se fût plus déclaré que
les autres princes, comme l'a cru Philippe de Comines, mais parce qu'il
conserve quelque espoir en l'intervention de sa sœur Jeanne de France, espoir
qui ne fut pas trompé ; le but de Louis XI était aussi de s'assurer de ces
pays du centre, dont il conne les sympathies envers sa cause, et de tendre la
main aux forces qui lui arrivent du sud-est et même d'Italie. Il s'y était
fait précéder, comme on sait, de deux cents lances et des compagnies de
Salazart et de Crussol sous les ordres des sires de la Borde et de
Montespédon. Ainsi
de Tours, les premiers jours de mai, le roi se porte vers Saint-Aignan, où il
reste quelques jours. Les princes qui craignent que les bourgeois de Bourges
ne lui en ouvrent les portes, y ont jeté cent lances sous les ordres du
bâtard de Bourbon, et s'y sont fortifiés. Louis laisse la ville sans s'y
arrêter ; il se contente de la faire observer à distance et il s'avance vers
le Bourbonnais. Saint-Amand veut résister ; il l'emporte d'assaut. Les
équipages de son frère Charles y sont pris, assure-t—on. Montrond, fort
petite ville, mais que les princes avaient si bien fortifiée qu'elle passait
pour la plus forte du pays, ne tint que vingt-quatre heures devant le roi. La
comtesse de Nevers, qui s'y trouvait, reçut de Louis le meilleur accueil.
Ayant laissé dans ces petites places ce qu'il fallait de forces pour tenir en
respect la garnison de Bourges, il marcha sur Montluçon, qui ne résista aussi
qu'un jour. La ville fut prise d'assaut. Louis XI, qui aurait eu le droit d'être
rigoureux envers les gens de la garnison, les laissa aller vies et bagues
sauves, et traita les habitants avec bonté. De là il écrivit à Pierre de
Médicis une lettre pleine d'éloges et de remercîments pour les services par
lui rendus à la France, et plus tard, en mai 1466, il l'autorisa à réunir les
fleurs de lis à son écusson. De
l'aveu même de ses adversaires il n'exerçait « nulle rigueur ni vengeance[19] et il maintenait une exacte
discipline dans ses troupes. » Aussi recueillit-il promptement le prix de son
humanité. Tout le pays d'alentour et une grande partie des villes du
Bourbonnais et de l'Auvergne qui appartenaient au duc de Bourbon rentrèrent
sous l'obéissance du roi. Sancerre, aussi place de défense, ne tint pas mieux
que les autres. Les princes ne laissaient pas que d'être assez déconcertés de
ces échecs, et surtout de la désaffection des populations. Une
lettre de la Loère, conseiller du roi, écrivant du Berry, le 11 mai 1465,
peint assez bien la situation. Répondant à deux lettres du chancelier, il lui
donne des nouvelles du roi : « Son affaire va bien ; il compte que monsieur
de Nemours sera devers lui dans quatre jours. Vient aussi monsieur
d'Armagnac. Ceux de Bourges n'ont voulu entendre à aucune sommation. Pour ne
pas trop demeurer là, le roi a délibéré de faire une pointe en Bourbonnais
pour mettre le pays en sa main, aussi pour joindre son armée de Dauphiné et
de Savoie, et les gentilshommes de Gévaudan, Velay et Vivarais qui forment
une forte bande. Il espère bien que, cela fait, ceux de Bourges parleront
plus doucement. D'abord a été pris d'assaut Saint-Amand. Le roi va à Château-Meillan,
qui a promis ouverture. De là il ira à Montluçon. « Dieu le conduise l...
C'est moult grand'pitié du pauvre peuple qui ne pouvoit mais du débat ! Que
maudit soit celui qui en est cause !,.. » Après l'énumération des places
que le roi tient, la Loère ajoute : « Montrond, la plus forte place qui
soit d'ici à Paris, s'est rendu par composition. Jacquelin Trousseau, tient
Dun-le-Roi et Saincoins. Au regard de ce que écrivez que Crèvecœur et autres
s'en sont allés et qu'on craint de soi mettre sous monsieur de Nevers,
toujours a-t-on bien douté qu'ainsi seroit. Monsieur le maréchal est à cette
heure par-delà, qui viendra bien à point, et aussi l'on aidera fort monsieur
de Torcy. Madame de Nevers, fille de monsieur d'Albret, est ici. Elle étoit
dans Montrond ; le roi lui a fait grand'chère. Montrond est un grand
abaissement pour les ennemis du roi. » Louis
s'arrêta quelques jours à Montluçon ; il y apprit plusieurs mauvaises
nouvelles, car les choses ne marchaient point aussi bien dans le nord et au
midi. Là, il fut informé en effet des ravages des Bourguignons, du comte de
Charolais et de son lieutenant, le comte de Saint-Pol, sur les frontières de
Picardie, ainsi que la reprise par le bâtard Antoine de Bourgogne de
plusieurs petites places, telles que Crèvecœur et Arleux, que le roi avait
fait saisir sur celui-ci. Alors (18 niai) il écrit au comte d'Eu, l'engageant à faire
mettre sur pied « le plus grand nombre de gens de guerre qu'il pourra,
et d'en faire passer les revues par le maréchal de Gamache. Il écrit aussi,
lui dit-il, et dans le même sens, au beau cousin le comte de Nevers. » De
plus, le roi apprit avec grand déplaisir que les seigneurs gascons, si
impatiemment attendus, se prononçaient contre lui. Ce lui fut une réelle
déception et il dut aviser en conséquence. Le duc
de Nemours arriva le premier. S'étant arrêté à Montaigu-lès-Combrailles, au
lieu de venir directement trouver le roi, il entama par ambassades d'assez
longues négociations, où il faisait des propositions inacceptables. Le sire
de Langeac pour le duc, le sire du Lau et Louis d'Harcourt, évêque de Bayeux,
pour le roi, furent les principaux interprètes des parties en ces
pourparlers. S'il faut en croire certaines chroniques, le duc de Nemours et
du Lau pourraient être soupçonnés d'avoir eu quelque sinistre dessein de
surprendre le roi. Les soupçons allèrent même jusqu'à atteindre le prélat.
Nous n'avons rien vu qui les puisse confirmer. Quoi qu'il en soit, il se
passa plus de vingt jours en allées et venues. Cousinot, ce fidèle conseiller
du roi, cet homme judicieux et pénétrant, dit avec raison, dans une lettre
qu'il écrivit au chancelier, que les seigneurs gascons n'avaient d'autre but
que d'entraver la marche du roi et de favoriser la jonction des princes
devant Paris. Que serait-il advenu, en effet, si le comte du Maine ne faisant
rien pour arrêter ou retarder les Bretons, ni le trop faible Jean de Nevers,
sur les contins de la Picardie, pour contenir les attaques du nord,
Bourguignons et Bretons s'étaient réunis devant la capitale avant l'arrivée
de Louis XI ? D'Issoire
(mai
1465) le roi écrit
aux sénéchaux et justiciers du midi « que le comte d'Armagnac arme sous
le prétexte de le servir, mais en réalité pour le combattre. Il se plaint de
son ingratitude et rappelle le bien qu'il lui a fait. Il veut que nul ne lui
obéisse et qu'on lui envoie à lui-même ceux qui voudront le servir pendant
cette guerre. Défense de suivre le duc de Bourbon ni le sire d'Albret, mais
que tous hommes de bonne volonté qui auraient été surpris abandonnent leur
drapeau ; ils seront bien reçus du roi[20]. » Dès le
commencement de la campagne Louis avait été informé à Issoudun par Richard
Newill de la mission de Warwick pour la conclusion de la trêve ; le 46 mai,
apprenant à Montluçon l'arrivée du député anglais, il donna d'abord un
pouvoir à cet effet à Georges Havard, seigneur de la Rosière, déjà chargé de
cette négociation. Il rappelle alors « que depuis son avènement on était
convenu, par le moyen de son très-cher et très-amé oncle, de certaines
abstinences de guerre, lesquelles avaient été prolongées en vue d'une paix
définitive, que le temps n'a pas permis de conclure. De là vient la nécessité
d'examiner encore cette matière ; il donne donc pour cette fin tout pouvoir
au sire de la Rosière, maitre de son hôtel. n Quinze jours après, de
Saint-Pourçain, il confère au même seigneur, et pour le même objet, un
pouvoir plus étendu et plus précis, celui de faire avec l'Angleterre une
trêve d'un an, à partir du moment où la trêve actuelle expirera, et de
s'adjoindre pour discuter ce point un évêque, un clerc, et autres personnages
qu'il avisera. « Tant plus il y aura de gens de bien, y est-il dit, et mieux
la chose sera. Ainsi avisez quels gens vous pourrez mettre. Nos besognes de
par de çà vont bien, grâce à Dieu. Nous avons espérance d'y avoir tout fait.
» Puis, faisant allusion à ce qui se passe à Saint-Pourçain et à
l'arrangement qu'il médite, « il espère ne pas partir, ajoute-t-il, sans
avoir pacifié ce côté. Après cela nous marcherons de par-delà pour résister
aux entreprises de ceux qui, contre leur honneur et le service de féauté
qu'ils nous doivent, nous veulent courir sus. » Le roi,
si occupé de tous les côtés à la fois, n'eut garde cependant d'oublier sa
bonne ville de Paris, alors si exposée. Il écrit donc aux Parisiens de
nouveau vers la fin de mai, pour les engager à bien garder leur ville jusqu'à
son retour. Ceux qu'il chargea de ce message, le chancelier de Traînel,
maître Étienne Chevalier, Nicolas de Louviers et Jean de Moulins, arrivèrent
à Paris[21] la veille de l'Ascension. Dans
ce message aux habitants de Paris « le roi les remerciait de leurs brins
vouloirs et loyautés, les priant et exhortant de bien en mieux continuer. Il
leur mandait aussi qu'il leur enverrait la reine pour accoucher à Paris,
comme dans la ville du monde que le plus il aimait. » Louis pressentait que
les coalisés pourraient être devant la capitale avant peu, et ses
encouragements ne furent pas stériles. Lorsqu'on apprit que les Bourguignons,
conduits par le comte de Charolais et le comte de Saint-Pol, son lieutenant,
approchaient du Pont-Sainte-Maxence, on redoubla de précautions. Le maréchal
de Rouhaut, quoique obligé de reculer, sut fort bien les inquiéter et les
contenir, et il finit par ramener ses cent dix lances à Paris, où cette force
fut un fort bon appui pour la défense. Alors aussi le roi (2 juin) nomma à la Conciergerie du
palais, office vacant par la défection du sire de Hautbourdin, Guillaume
Cousinot, son serviteur fidèle et dévoué. Louis
était enfin parvenu à obtenir un traité de la part du duc Jean II. Mais au
moment où l'on croyait ainsi tout fini, le duc de Bourbon partit brusquement
de Varenne, laissant à Saint-Pourçain la duchesse Jeanne de France, son
épouse ; car elle y était venue trouver le roi son frère, et elle avait si
bien conduit sa pacifique négociation, que l'accommodement paraissait conclu.
Sur ces entrefaites le duc de Bourbon, apprenant que le sire Jean de
Neufchâtel, seigneur de Montaigu, était arrivé de Bourgogne à Moulins, suivi,
disait-on, du maréchal de Bourgogne Philippe de Neufchâtel, seigneur de
Rothelin, sa première pensée fut de rompre les conférences pour obtenir
davantage. Alors le roi ordonna à Salazart de se porter avec huit cents
archers à cheval entre Moulins et la Loire, afin d'arrêter les Bourguignons
au passage de la rivière. De
Saint-Pourçain Louis se rendit à Varenne. Là les princes ligués lui firent
offrir un nouveau traité. « Le roi écoutait ces propositions et
travaillait par la bonne discipline de ses troupes, autant que par tous
autres moyens de persuasion, à ramener les populations encore égarées. » Si
quelque chose étonne, c'est que tant de fois joué et trompé il les écoute
encore. Bientôt approche à son tour le comte d'Armagnac avec environ six
mille hommes. Suivant une lettre du 24 juin de Guillaume Cousinot, adressée
au chancelier, le duc de Bourbon, le sire de Beaujeu, son frère, et Chabannes
partent de Moulins, mettant l'Allier entre eux et le roi ; ils vont à
Montaigu et à Herment. A cette nouvelle, Louis s'en fut assiéger, prendre et
raser Verneuil, à six lieues de Moulins. Cependant,
quelle direction allait prendre le comte d'Armagnac ? Ira-t-il à Bourges,
comme on le disait, ou à Riom ? Le roi, sans hésiter, fait partir le comte de
Cominges avec quatre cents lances pour lui couper le passage s'il voulait
pénétrer dans le Berry. Mais bientôt, sur la nouvelle que les ducs de Bourbon
et de Nemours étaient entrés à Riom, il envoya dire au maréchal de se porter
sur Gannat ; et tandis qu'il faisait renforcer la garnison de Montpensier, il
s'avance lui-même jusqu'à Echerolles, où il passa la nuit. Le lendemain
Salazart, Cousinot et d'autres chefs investirent Gannat et sommèrent Ribes,
capitaine de la place, de se rendre. Ribes osa dire qu'il ne connaissait
point le roi, mais seulement le duc de Bourbon, son maître. En quatre heures
la place fut emportée d'assaut. Peu après, le château, où la garnison s'était
retirée avec peine, cédait à une nouvelle attaque, et le capitaine avec les
siens furent réduits à se rendre à discrétion. Il n'est rien dit de leur
sort, mais on connaît l'humanité du roi dans cette campagne. Louis
prit à peine quelque nourriture et s'en alla coucher le jour même à
Aigneperse ; de là, le lendemain, il s'avança jusqu'à une lieue de Riom,
résolu de livrer bataille aux seigneurs ligués ou de les assiéger dans la
ville. Les princes furent frappés de tant de promptitude et d'énergie. Le duc
Jean de Bourbon se retira à Moulins ; et le duc de Nemours, alors que le toi
occupait de petits villages, tels que Marsac et Mosac, l'y vint trouver et
lui proposa des conditions peut-être un peu moins déraisonnables qu'auparavant.
On fit une trêve ; on y convint qu'on se réunirait à Paris à la Notre-Dame
d'août ; qu'alors le roi écouterait les princes dans leurs griefs et
admonitions sur le bien du royaume ; que Bourges serait comprise dans la
trêve ; la garnison devait s'abstenir de toute hostilité contre le pays
d'alentour ; le duc de Bourbon en retirerait ses gens, et sitôt après la
signature du traité les sénéchaux de Poitou et de Beaucaire, ainsi que tous
autres personnages enfermés pour motif politique, seraient mis en liberté
sans rançon. Il fut dit que, de son côté, le roi délivrerait les vassaux et
serviteurs des quatre seigneurs avec lesquels il traitait, et retirerait ses
troupes des pays du duc de Bourbon ; qu'il s'abstiendrait d'entrer avant le
15 août ès pays du duc de Bourgogne enclavés dans le Bourbonnais, comme
Château-Chinon et autres seigneuries, si de ces pays nulle guerre ne lui
était faite. Il fut ajouté que « si à la Notre-Dame d'août, les princes et
seigneurs de l'alliance refusaient de rendre obéissance au roi, les quatre
seigneurs susdits serviraient le roi contre tous ceux qui l'attaqueraient en
son royaume. » Tout
fut promis et juré par les quatre seigneurs de Bourbon, d'Armagnac, de
Nemours et d'Albret : ceci ne les empêcha pas de se réunir aux princes ligués
et de se trouver avec eux devant Paris. L'armée du roi n'était guère que de
quatorze mille hommes ; mais, suivant le témoignage de Cousinot, « elle était
magnifique, surtout très-bien disciplinée. On n'y voyait point les vices qui
règnent ordinairement parmi les gens de guerre. Le marchand ni le laboureur
ne fuyaient point devant le soldat, et ces troupes n'étaient redoutables
qu'aux ennemis. » Ce traité assura au roi, du moins pour le moment, la
tranquillité des provinces du centre. Avant de marcher vers le nord, si le
roi essuya un grand mécompte de la part des seigneurs du sud-ouest, il vit
avec une vive satisfaction ses forces sensiblement augmentées. Non-seulement
il apprit l'arrivée des troupes que le duc de Milan lui envoyait, niais il
reçut, sous la conduite de Jacques baron de Sassenage, l'arrière-ban du
Dauphiné. « Les plus braves de la noblesse du pays, dit Chorier, l'avaient
suivi autant par devoir que pour acquérir de l'honneur dans une lutte où il
s'agissait de sauver le roi et l'État. » Nous voyons encore là une preuve
évidente du bon souvenir que Louis avait laissé dans cette belle province.
Comme si encore la déloyauté n'était pas venue des seigneurs, on a dit[22] « que le roi perdit ainsi plus
de vingt jours à traiter avec le duc de Nemours et avec sa sœur, Madame
Jeanne de France. » Qu'aurait-on dit de lui s'il ne l'eût pas fait ? On
convient pourtant, et l'aveu est précieux, que les compagnies du roi étaient
excellentes, très-courageuses fort bien exercées ; que le pays était le moins
grevé que possible de leur présence, et que nulle part elles ne prenaient
rien sans le payer. On ajoute « que les habitants étaient partout plus
favorables au roi qu'aux princes, dont les troupes étaient sans solde ni
discipline : car chacun savait qu'ils ne demandaient que de l'argent et des
domaines. Il ne fallait pas grande sagesse pour voir qu'ils avaient peu de
souci du bien public dont ils parlaient tant. » Dans cette lutte le roi avait
donc pour lui le droit et la raison. Assuré
enfin d'avoir paix de ce côté, Louis, dès le 4 juillet, écrivit à son
lieutenant Charles de Melun et au maréchal Joachim Rouhaut la teneur de son
traité d'Auvergne avec le duc de Bourbon et les seigneurs du midi, et sa
prochaine arrivée à Paris. Les instants pressaient, car dès le dimanche 7
juillet les Bourguignons vinrent se montrer devant les murs de Paris, sans en
être d'ailleurs plus avancés. Deux jours après on les vit quitter
Saint-Denis, songeant dès lors à aller vers le sud de la ville, à la
rencontre du duc de Bretagne ; mais les événements devaient déjouer leurs
prévisions. Informé
des hostilités des Bourguignons sur ses frontières du nord et de tous les
mouvements de ses ennemis, dont les uns remontaient la Loire et les autres
passaient la Somme, on conçoit l'impatience du roi de revenir. Cependant il
ne se trouble point, et dans ces graves conjonctures, il montre toute sa
présence d'esprit. On le voit réunir les états d'Auvergne à Aigueperse,
pourvoir à la sûreté de la province, confirmant tout ce qu'il avait promis à
Marsac pour le bien du pays ; accueillir les trois cents lances que le comte
de Boulogne lui amenait du Velay, du Gévaudan et du Vivarais, contremander
celles qui viennent des autres parties du Languedoc, pour tenir en respect
les seigneurs du midi auxquels il ne pouvait se fier : rien n'est oublié. Il
garde dans le Dauphiné et dans le Lyonnais le jeune fils du duc de Milan,
François Galéas, avec ses mille lances et ses deux mille archers, afin qu'il
soit prêt à entrer dans le Bourbonnais ou dans la Bourgogne au moindre
mouvement qui s'y produirait ; c'est après toutes ces dispositions prises
qu'il se dirige en toute hâte vers Paris. Sur la
frontière, les hommes chargés par le roi de disputer le terrain, les comtes
d'Eu et de Nevers, et le chancelier Morvilliers, faisaient de leur mieux et
se défendaient pied à pied. La noblesse s'était armée à ses frais : les
villes de Picardie en firent autant. D'un autre côté, l'ennemi employait tous
moyens pour intimider les cités. Envoyé à Corbie par le comte de Charolais, Hugonet
demanda à s'approvisionner dans la ville de vin et de blé, moyennant finance.
Les habitants en réfèrent au chancelier, et en attendant déclarent qu'ils ne
feront rien contre leur honneur ni surtout contre la fidélité qu'ils doivent
au roi. Le chancelier bourguignon fit alors demander par un héraut à
Morvilliers s'il voudrait lui accorder sûreté pour venir à Amiens avec le
comte et sa compagnie. Le chancelier de France ne voulut pas voir le héraut ;
il lui fit dire que son maître pouvait venir, pourvu qu'il fût seul ; que de
sûreté il n'en donnait point, et qu'il fallait pour cela s'adresser au
maréchal Rouhaut à Noyon. Viennent alors des lettres de reproches de Hugonet,
comme, si réellement Morvilliers eût molesté l'armée de Charles. On voit là
un adversaire en quête de griefs. Pendant
le courant de mai rien n'alla vite, à cause de l'absence du chef : c'est le
15 juin que le comte prit congé de son père et reçut officiellement le
commandement de Farinée. « Si vous êtes en danger, lui dit le duc Philippe,
j'irai à vous avec cent mille hommes. » Cependant on ne porte guère l'armée
bourguignonne au-delà de vingt-six mille combattants. De Bruxelles il se
rendit au Quesnoy ; là il trouva et entendit Rouville qui arrivait de la part
du duc de Bretagne, et Théobald de Luxembourg, frère de Saint-Pol, comme on
sait, envoyé de Louis XI. C'étaient deux missions bien différentes. Assez
longtemps le comte resta aux environs de Péronne ; cette ville le tentait
bien, mais le maréchal de Rouhaut y était avec quatre mille hommes. Charles
alla passer la Somme à Bray, qui lui ouvrit ses portes. Roye et Montdidier le
reçurent aussi. Beaulieu résista ; le sire de Nesle, qui en était seigneur,
s'y défendit quatre jours, « et ne se rendit qu'à certaines conditions ». Le
comte de Charolais viola la capitulation ; il retint ce seigneur prisonnier,
sous prétexte qu'il était son sujet : fait que la chronique passe sous
silence. En vain le maréchal de Rouhaut se plaignit-il de ce manque de foi :
le comte ne se croyait pas tenu à rien respecter. II crut même l'occasion
favorable d'envoyer le 24 juin aux habitants d'Amiens une lettre pleine de
reproches contre le chancelier de France. Trois sergents du bailliage la
portèrent immédiatement au roi. Le comte ne manqua pas d'écrire aussi ses
prouesses aux gens de Malines et des autres bonnes villes et d'en faire des
récits exagérés[23]. « Au reste il avançait, ne
prenant rien sans payer. Il abolissait tailles et gabelles, faisant crier
bien haut qu'il venait pour le bien public comme lieutenant du duc de Berry[24]. De son
côté le sire de Hautbourdin ayant surpris, le 30 juin, ou obtenu par trahison
le Pont-Sainte-Maxence, les Bourguignons se répandirent dans l’Ile-de-France.
Ils entrèrent le dimanche même dans Lagny-sur-Marne : là, comme ils l'avaient
fait dans les petites places de Dammartin, Nantouillet et autres, en les vit brûler
les rôles des tailles, ouvrir les greniers à sel, vendre cette denrée au prix
du marché, tout cela en vue de capter un instant la faveur des populations,
selon la coutume des faiseurs de révoltes. Cependant
le maréchal, non autorisé à engager une action et trop faible peut-être pour
la tenter, incommodait, dans leurs courses et ravages, les Bourguignons dont
il était débordé ; et les voyant approcher de Paris il y entra lui-même, le
30 juin, avec ses troupes. Ainsi cette ville devint le centre de la
résistance. Le 5 juillet le comte de Charolais arriva à Saint-Denis, lieu du
rendez-vous. Son étonnement fut grand, dit-on, de n'y point trouver les
Bretons. Peut-être avait-on compté sur la défection du comte du Maine. Heureusement,
les Parisiens et gens du roi n'étaient point au dépourvu. Ordre avait été
publié dès le 2 :>+ juin à chacun des habitants de s'armer selon son état
pour former une garde urbaine et de veiller à la sûreté de la ville. Dès
l'approche des ennemis les précautions redoublèrent, et le maréchal ne cessa
d'inquiéter les Bourguignons par des sorties. La chronique[25] nous montre, le 2 juillet,
l'évêque d'Évreux, Jean Balue, conduisant le guet à cheval, avec clairons et
trompettes, ce qui n'était pas ordinaire. On allait même jusqu'à penser qu'à
eux seuls, les bourgeois « auraient bien suffi, » sans le renfort du maréchal
de Rouhaut, à &fendre la ville. Le 8 juillet on fut édifié sur ce point. Le
secours du ciel n'avait pas été oublié. Dits le mois de mars, à Thouars, le
roi avait fondé une grand'messe à la chapelle de Notre-Daine de Recouvrance
dans l'église des carmes de Poitiers. Le dimanche 10 juin il y eut à Paris
une grande procession générale. Le sermon fut prêché par maitre de Lolive,
docteur en théologie ; on y déclara qu'on priait pour la santé et bonne
prospérité du roi, de la reine et de l'enfant qu'elle attendait, et pour que
paix et bonne union fussent mises entre le roi et les princes. De leur
côté les ducs de Bretagne et de Berry avaient traversé l'Anjou et la Touraine
en remontant la Loire. Les troupes laissées là par le roi, sous les ordres du
comte du Maine, ne semblent point avoir arrêté ni ralenti la marche des
Bretons ; et malgré ces forces respectables on ne voit nulle trace de combat.
Peut-être le comte voulut-il éviter le ravage de l'Anjou. Toutefois les ducs
n'avancèrent pas sans obstacle. Le 4 juillet le duc de Berry pria par écrit
le comte de Vendôme de ne pas recevoir en sa ville les troupes royales que le
comte du Maine et le sénéchal de Normandie devaient y envoyer. C'était une
invitation à la trahison. Le comte de Vendôme expédia cette lettre à Tours au
comte du Maine ; et le 6 juillet, de Lavardin, il répondit en ces termes au
duc de Berry : « A cause de l'exécution de vos projets de vous réunir en
Beauce à monseigneur de Charolais, et parce que vous aimez mon bien, vous
m'écrivez de me joindre avec vous et autres messieurs du sang, et notamment
de ne pas bouter à Vendôme des gens de guerre qui puissent porter nuisance à
vos gens. Je vous remercie très-humblement du bien et honneur que vous me
voulez ; et au surplus, pour répondre à vos lettres, le vrai est que le roi
m'a mandé plusieurs fois d'aller devers lui ; que je le suis allé trouver à
Saumur, puis à Tours à son partement (départ) ; qu'en autres choses il m'a fait promettre de lui
garder mes places. Depuis mon retour ici il m'a donné de nouveaux avis
semblables. Au regard de ne mettre gens de guerre à Vendôme, avant que j'aye
reçu vos lettres, monsieur du Maine a envoyé ès environs de Vendôme la
plupart des siens ; c'est pourquoi je vous-supplie, mon très-redouté
seigneur, qu'il vous plaise moi tenir pour excusé, n'ayant point été averti
par vos lettres. Veuillez, s'il arrive que vous passiez par cette comté,
faire donner tel ordre que le pauvre peuple ne soit détruit ni foulé. Soyez
certain, mon très-redouté seigneur, que je vou-drois servir et obéir (sic) le
roi et vous, toute autre chose laissée. Je désire que sur tous ces différends
soit prise une bonne cc conclusion : à quoi Dieu veuille pourvoir par sa
grâce. » C'était un refus déguisé. Alors
le comte de Vendôme envoie le bâtard son frère à Château-Regnault, où
devaient être le comte du Maine et le sénéchal de Brezé : le bâtard les amena
le soir même à Vendôme, où ils restèrent jusqu'au 10 juillet. Ce qui se passa
sur ce point est fort digne d'attention. Suivant
une chronique de ce temps, tout près de là, à Château-du-Loir, le sire de
Lohéac manifeste son étonnement de ce que le comte de Vendôme ne livre pas
ses places aux ducs. Celui-ci, au contraire, envoie le 7 juillet le seigneur
de Préaux auprès du comte du Maine pour obtenir les moyens de défendre
Lavardin et Montoire. Mais le comte et le sénéchal lui répondirent qu'ils
n'avaient point d'artillerie ni de gens d'armes à envoyer : ajoutant qu'on
pouvait laisser entrer les Bretons à Montoire. En attendant cette réponse de
Vendôme, le comte s'était tenu nuit et jour en armes sur la muraille, bien
décidé à remplir son devoir. Quand il sut les Bretons arrivés à Montoire,
n'ayant aucunes forces pour défendre Lavardin, étant, réduit lui-même à ceux
de sa maison, a il fit rompre le pont du Loir audit lieu de Lavardin, « par
quoi les Bretons qui y venaient loger en grand nombre ne purent passer et
durent retourner à Montoire, » où toute leur armée logea le mardi. Ce
jour-là, Messieurs de Lohéac, du Lude, de la Roche, vinrent parler à Monsieur
de Vendôme à travers une barrière. Leurs paroles et leurs offres furent
vaines : il déclara « qu'il garderait loyauté au roi », et il n'alla
point vers le duc de Berry. La nuit, entre le mardi et le mercredi, le comte
du Maine et toute sa compagnie partirent laissant Vendôme entièrement
dépourvu. Les Bretons y arrivèrent donc. Les bourgeois eussent voulu
atermoyer ; ce ne fut pas possible, et l'armée bretonne entra le jour même,
10 juillet, sans nulle permission du comte. Ce même
jour le comte du Maine et le sénéchal étaient en route pour aller rejoindre
le roi qui approchait d'Orléans à marches forcées. Ils purent du moins s'unir
à lui avec leurs forces. Dans toute cette relation la conduite du comte de
Vendôme semble digne de tout éloge, et si plus tard, comme on le dit, il dut
se pourvoir de lettres d'abolition, cela ne peut être que pour quelques
détails inaperçus. Si, dans ces circonstances, un chef pouvait être critiqué,
ce serait peut-être le comte du Maine. Le jour
même de l'entrée des ducs à Vendôme Charles de Berry écrivit encore au comte
pour tenter sa fidélité : mais le comte de Vendôme répondit que sa foi envers
son souverain était inviolable, « en quoi, dit-il, commune savez, est raison
que je m'acquitte envers lui, comme voudrois faire pour vous, s'il plaisoit à
Dieu vous donner la grâce de recevoir la couronne ». Les ducs mirent quatre
cents archers et vingt-cinq lances à Vendôme, et ayant laissé aussi
quelques-uns des leurs à Beaugency, ils continuèrent leur marche. Toutefois
elle ne dut pas être sans encombre, puisque le 17 ils ne se trouvaient encore
qu'à Châteaudun. Grande était l'impatience du comte de Charolais de ne les
point voir arriver. De Romillé, le vice-chancelier de Bretagne, alors auprès
de lui, ne pouvait non plus expliquer la cause de ce retard. Elle était
évidente cependant : c'est que, malgré tant de félonies, les populations
n'avaient nulle sympathie pour les princes révoltés, et goûtaient si peu
leurs amorces que François II, pour s'assurer une retraite, se sentait obligé
de laisser des siens en chaque ville un peu importante. Le
comte de Charolais ne trouva point non plus devant Paris la réception qu'il
avait espérée. Voici en quels termes, le 15 juillet, Guillaume de la Roche
écrit à Guillaume de Montbleau, maître d'hôtel et écuyer du prince : «
Vendredi dernier monseigneur passa et vint loger au village de Saint-Cloud.
Monseigneur part incontinent et va à Montlhéry, et de lit à Étampes, où il
doit attendre monseigneur de Berry et autres princes, lesquels sont à
Châteaudun. On dit que le roi approche très-fort. Monseigneur fut, le 8 de ce
mois, devant Paris avec toute sa compagnie. Il s'y est livré un combat fort
vif, et a, mondit seigneur, trouvé ceux de Paris tout autres que l'on ne
cuidoit ; dont il n'est pas bien content sur eux, car il n'a pu avoir d'eux
pour un denier de vivres, et si ce ne fussent été ceux de Saint-Denis on eût
eu faute de pain. » Il se
passait peu de jours, en effet, que le comte Charles ne vînt défier les gens
de Paris aux portes mêmes de la ville. Le 7 juillet il donna deux assauts :
l'un le matin au point du jour, et l'autre vers cinq heures du soir. Il y
avait bien dans Paris trente-deux mille hommes portant les armes, sans
compter les troupes que le maréchal y avait amenées. Le 8, le comte de
Charolais faillit entrer. Ses gens d'armes arrivèrent par la porte
Saint-Denis gardée par Pierre l'Orfèvre et Jean de Popincourt. Ils parlementèrent
pour obtenir le passage et des vivres. Pendant les pourparlers ils
s'emparèrent du faubourg Saint-Lazare, et vinrent jusqu'aux barrières. Les
bourgeois se montrèrent courageusement et en grand nombre sur les murs ; et
le maréchal étant sorti fort à propos avec soixante lances et quatre-vingts
archers, chargea si rudement les assaillants, qu'ils laissèrent quatre cents
hommes sur la place et se retirèrent à Saint-Denis. La milice citoyenne
montra en cette journée combien elle est un précieux appui, surtout soutenue
et excitée à la lutte par un certain nombre de gens de guerre. Le
comte de Charolais avait compté sur l'effet qu'il produirait en proclamant
l'abolition des impôts : « il s'était trompé[26] ; les seigneurs haïssaient le
roi, le peuple l'aimait ». Aussi, depuis le 8 juillet, le comte
n'entreprit-il plus rien contre Paris. Le 10, décidé à aller à la rencontre
des princes de Bretagne, il décampe de Saint-Denis et va s'établir au village
de Boulogne. Le 11 il attaque le pont de Saint-Cloud ; Jacques Lemaire, qui
le défendait, se rendit après une vive résistance. Le comte demande à ouvrir
des conférences : on en délibère à l'hôtel de ville et on lui répond que «
s'il veut venir en très-petite compagnie, ou donner sûreté à ceux qui iraient
le trouver, on ouïrait ce qu'il veut proposer pour en rendre compte au roi,
qui devait être alors vers Orléans ». Cependant,
malgré toute la diligence possible, le roi ne put être à Cléry que le 11
juillet. Impatient, il se fit devancer à Paris par maître Cousinot et le sire
de la Borde. Ils annoncèrent, le samedi 14 juillet, que le roi espérait y
être arrivé le mardi suivant, 17 ; « qu'il remercioit la ville de sa
fidélité aussi bien que des bons services qu'elle lui avoit rendus et
continuoit à lui rendre ». Ce jour-là même le comte de Charolais mandait à
son père qu'il s'était emparé du pont de Saint-Cloud ; qu'il le passait pour
aller rejoindre l'armée de Bretagne, et le gardait soigneusement. Il ajoute
qu'il sait la venue prochaine du roi, et, priant instamment le duc de lui
envoyer deux cent mille écus dont il a un besoin pressant, il prend des
mesures pour que cet argent lui arrive sans délai. Les prodigalités du jeune
comte étaient en effet excessives. En même temps il recevait par une lettre
de la duchesse d'Orléans l'avis que le roi avait entendu la messe à
Notre-Dame de Cléry. On sait tout le mauvais vouloir de cette famille et
surtout de Marie de Clèves envers Louis XI. Le comte partit donc à la hâte, et voulant se joindre au duc de Bretagne qui était sur la route de Vendôme à Châteaudun, il marcha par Issy et Antony. L'avant-garde alla loger sous Montlhéry, l'arrière-garde restant à Longjumeau. Alors, paraît-il, il saisit une lettre par laquelle le roi informait de nouveau les Parisiens de son arrivée prochaine. Son parti fut pris, et il s'apprêta dès ce moulent à combattre sans les Bretons. |
[1]
Lobineau, t. II, p. 1271.
[2]
Michelet, t. VI, p. 93.
[3]
Barante, t. VIII, p. 153.
[4]
Pièces de Legrand,
[5]
Pièces de Legrand,
[6]
Dom Morice, liv. XIII.
[7]
M. de Cherrier, Histoire de Charles VIII.
[8]
Thibaudeau père.
[9]
Sauval, Antiquités de Paris, t. Ier, p. 87, édit. de 1724.
[10]
Michelet, t. VI, p. 89.
[11]
Bouchet, Éloge de Louis de la Trémoille.
[12]
Barante, t. VIII, p. 446.
[13]
Michelet, t. VI.
[14]
Barante, t. VIII, p. 467.
[15]
Savaron.
[16]
Père Anselme.
[17]
Jean de Troyes.
[18]
Comines. — Barante.
[19]
Barante, t. VIII, p. 474.
[20]
Archives de Blindez.
[21]
Jean de Troyes.
[22]
Barante, t. VIII, p. 476 et 481.
[23]
Gachard, Documents inédits.
[24]
Michelet.
[25]
Jean de Troyes.
[26]
Legrand,