Fuite du dauphin à
Saint-Claude. — Son arrivée en Flandre. — Le roi s'empare du dauphiné. —
Confiscation de cet apanage. — Tentatives de réconciliation. — Conflits
ecclésiastiques. — Naissance de Marie de Bourgogne. — Discordes apaisées par
le dauphin. — Arrivée de la dauphine en Brabant. — Cour de Genappe. — Les Cent
nouvelles nouvelles. — Les Vaudois. — Naissance et mort de Joachim. —
Naissance d'Anne de France. — Mort de Charles VII.
Sur ces
entrefaites, le comte de Dammartin reçut du roi l'ordre d'entrer dans le
Dauphiné, et d'aviser à tous les moyens d'amener le dauphin à Lyon, où il
allait bientôt se rendre. Le comte marche donc avec une avant-garde, ne
voulant point effrayer par un trop grand déploiement de forces. Il semblait
encore accomplir une mission de conciliation. Louis n'y fut point trompé. Il
dissimula, et proposa au comte une partie de chasse pour le lendemain, dans
une forêt voisine. Dammartin accepta ; « le moyen lui parut excellent pour se
saisir du prince sans esclandre ni résistance. » Il pensait donc qu'on
n'était point aussi indifférent à l'enlèvement du dauphin qu'il l'avait fait
pressentir. « Telle était la situation qu'il lui semblait plus sûr de se fier
à ses ennemis qu'aux serviteurs de son père[1]. » Quand
Chabannes crut trouver Louis dans la forêt, le dauphin, avec six de ses amis,
galopait à toute bride pour lui échapper, et aller rejoindre la route de
Franche-Comté. Il donne le change au comte de Dammartin en suivant les
chemins de traverse avec le bâtard d'Armagnac, Jean de Daillon, seigneur du
Lude, Humbert de Bastarnay, François d'Urre et trois autres. Il se jette dans
la forêt de Claix, et passe près de Grenoble sans y entrer[2]. A la
Bussière, son cheval étant fatigué, il aboule un gentilhomme du lieu, nommé
Hugues Coct, qu'il rencontre. Il lui fait l'éloge de sa monture. Coct la lui
offre ; et sans le connaître l'invite à venir se rafraîchir quelques instants
chez lui. Le dauphin accepte, et prenant confiance ne tarde pas à se
découvrir à lui. Coct, touché, « le prie d'accepter aussi 1.000 florins qu'il
avait préparés pour la dot d'une de ses filles. » Louis se montra fort
reconnaissant de ce double service. Un de ses premiers actes lorsqu'il fut
roi cinq ans après[3], fut de rendre au gentilhomme
capital et intérêts : et comme celui-ci ne pouvait pas faire le voyage de
Paris, il lui donna la charge de trésorier général du Dauphiné, dont il jouit
longtemps. Il
était arrivé le lendemain à Saint-Claude, dans les États du duc de Bourgogne,
sans que les cavaliers que le comte avait lancés à sa poursuite eussent pu
l'atteindre. Là, le 31 août, il écrivit une lettre pleine de soumission à son
père. Comme gonfalonier de l'Église et requis par le Saint-Père, il aurait
l'intention, moyennant le bon plaisir du roi d'accompagner le duc de
Bourgogne, son oncle, dans l'expédition qu'il se propose d'entreprendre pour
la défense de la foi catholique. Il ajoute : « J'y vais aussi pour le prier
qu'il se veuille employer à trouver moyen de me remettre en votre bonne
grâce, qui est la chose que je désire le plus en ce monde. » Il
écrivit aussi aux évêques de France, leur demandant le secours de leurs
prières, « afin de Dieu veuille aider et conduire nos bonnes intentions[4] ». Pour ce qui le concernait,
il en rendait juges les princes du sang. On voit avec quel soin délicat il
fait a peine entendre ce qui, pour la dignité de son père et pour la sienne,
avait besoin d'être voilé. Deux
seigneurs se trouvaient là sur son chemin, avec lesquels il avait eu d'assez
graves démêlés quand ses troupes traversèrent ce pays pour aller en Suisse.
L'un était le prince d'Orange ; il va le trouver à son château de Vers, et il
en est cordialement reçu. L'autre, le maréchal de Bourgogne, sire de Blamont,
fut prié par le dauphin de le conduire en Flandre par la Lorraine et le
Luxembourg, sans passer par les pays de France. Sa confiance en ces hommes ne
fut point trompée et, ils secondèrent ses vues comme s'ils eussent été
d'anciens amis : grande preuve de l'estime qu'on avait pour ce prince. Cette
maison d'Orange a joué un grand rôle alors et depuis Louis, prince d'Orange,
était appelé le lion parce qu'après le traité de Troyes non-seulement il
avait refusé de prêter serment à Henri V, mais surtout il avait décidé le duc
Philippe à se détacher (les Anglais. Il s'était distingué par les armes ; et
quoiqu'il eût été battu à Anthon, en 1429, par le sire de Gaucourt, il
passait pour un homme de guerre remarquable. Le
dauphin avait eu soin d'entretenir de bonnes relations avec le duc de
Bourgogne. Peu de mois avant il lui avait envoyé[5] par Odet d'Aidie, son
serviteur, un cadeau de quelques armes. Philippe cultivait aussi, tant que
les intérêts de la politique le permettaient, l'amitié du roi. Quand Charles
VII l'avait informé de ses relations avec son fils, le duc le remercia de sa
confiance : de plus, il lui avait parlé d'un message qu'il venait de recevoir
du dauphin en lui exprimant son propre désir de voir cette affaire se calmer.
Ainsi de ce côté la porte était ouverte à une bienveillante intervention. Alors
le duc se trouvait en Hollande, et y était retenu par de graves affaires.
S'il n'avait qu'un fils, ses bâtards étaient nombreux et se faisaient honneur
de ce titre. Lui-même tenait à ce qu'ils fussent bien pourvus. Le splendide
évêché d'Utrecht étant devenu vacant il songea à son fils naturel David, déjà
évêque de Thérouenne. Malgré ses recommandations plus ou moins officielles,
les chanoines, usant de leurs droits et sans doute aussi par reconnaissance,
nommèrent leur prévôt Ghisbert de Bréderode, hollandais de très-bonne maison.
On aime à voir ce chapitre résister aux intrigues et consulter avant tout
l'intérêt de la religion et de leur Église, dont ils sont juges. Le duc ne se
tint pas pour battu. Il demande donc au pape des bulles pour son fils David.
Déjà il avait éprouvé, l'année précédente, la complaisance du Saint-Père,
alors qu'il avait fait casser, malgré l'arrêt du parlement, la nomination à
l'évêché d'Arras du doyen du chapitre, maître Louis de Montmorency, et avec
des gens d'armes y avait placé Jean Godefroy. En
sera-t-il de même à Utrecht ? Il s'agissait là d'une ancienne famille du pays
et d'un homme connu et respecté ; ces différends pouvaient réveiller les
démêlés des deux grandes factions de la contrée. Les chanoines tenaient à
leur élection : un long séjour du duc à la Haye n'y changea rien. Les gens
d'Utrecht ne faisaient que s'entêter davantage. Le duc assemble une armée et
s'avance avec 14.000 hommes. Alors l'évêque élu cède à la violence, et donne
sa démission. Ces faits suffiraient à établir que les Gantois avaient
réellement été exaspérés par le mépris de leurs privilèges. David établi par
les armes, il fallut encore la force pour soumettre à son obédience les
peuples, qui refusaient de le reconnaître. Le pays d'Over-Yssel ne fut soumis
qu'en septembre 1456. Le duc
était donc absent, lorsqu'après un long et pénible voyage, le dauphin arriva
par Louvain à Bruxelles, à huit heures du soir. La duchesse et la comtesse de
Charollais firent au prince l'accueil le plus gracieux et le plus cordial. A
la nouvelle de son arrivée elles descendirent avec toutes leurs dames,
jusqu'à la porte de la cour pour lui faire honneur. En prenant son bras la
duchesse serait restée à gauche, si le dauphin n'eût insisté pour qu'elle
prit la droite, tant la courtoisie fut portée loin de part et d'autre ! Cependant
certains politiques n'étaient guère rassurés. Il se pouvait, croyait-il, que
le dauphin et son père se fussent entendus, et que ce ne fût là qu'une
comédie, pour connaître les secrets de la cour de Bourgogne. Rien
n'autorisait à porter si loin les suspicions à l'égard de Louis. D'autres
considéraient le prince comme un otage précieux[6]. Écrire
au roi fut la première pensée du duc Philippe sitôt qu'il sut l'arrivée du
dauphin. « De cela, dit-il, dans sa lettre d'Utrecht, 25 septembre, je ne me
donnais aucune garde. J'en ai été fort surpris. Pour l'honneur de vous, et de
lui, et de votre noble maison, je dois lui faire tout honneur, révérence et
plaisir. Ce qu'il m'aura déclaré, je vous le signifierai ensuite. Dieu le
sait, je désirerais de tout mon cœur qu'il fût en votre bonne grâce. » Le 15
octobre, six semaines après l'arrivée du dauphin, le duc revint à Bruxelles.
On le voit mettre un genou en terre dès qu'il aperçoit Louis parmi les
personnes venues à sa rencontre jusque dans la cour. « Soyez le bienvenu »,
lui dit-il, et il se montra ainsi cordial et respectueux. Le
lendemain, le dauphin, dans un long entretien avec son oncle, lui expliqua
tout ce qui s'était passé ; la nécessité où il s'était vu de quitter la cour
de son père ; ses raisons de se marier et de s'unir avec h maison de Savoie ;
son attention à bien gouverner sa seigneurie ; toutes ses offres de service à
son père pour les guerres de Normandie et de Guienne ; offres toujours
déclinées, ses ambassades et ses lettres soumises, les réponses solennelles
et froides qu'on y fit ; enfin les dernières tentatives de voies de fait, où
le dessein de s'emparer violemment de sa personne était évident. Tentatives
qui lui faisaient voir une fois de plus que les ennemis qu'il avait à la cour
étaient prêts à tout oser contre lui. Le duc,
par ménagement pour la dignité du roi, ne donna tort à personne, et répliqua
brièvement au dauphin, « qu'il était le bienvenu ; qu'il l'aiderait. à
soutenir son état et à vivre selon son rang. Vous sentez aussi bien que moi,
ajouta-l-il, que tout en désirant vivement votre réconciliation mutuelle, je
ne peux rien faire à l'égard de Monseigneur votre père qui soit à son
déplaisir, ni m'ingérer en ses affaires au point de lui dire d'exdure
certaines personnes de son intimité ou de son conseil. u En attendant, il lui
donnera une résidence convenable et il pour-volera à l'entretien de sa
maison, d'ailleurs peu considérable. De plus, pour prévenir toute fâcheuse
interprétation, le duc Philippe prépare une ambassade au roi. Il essayera
ainsi les moyens de conciliation en son pouvoir. Dès
lors il désigne au dauphin le château de Genappe, à quelques lieues de
Bruxelles. Cette résidence agréable était alors sous l'administration du
châtelain Mathieu de Brimeu, pannetier et grand veneur du duc. Les bâtiments,
construits sur la Dyle, se joignaient au rivage par un pont de bois avec
pont-levis du côté du château. Celui-ci avait quatre tourelles et quatre
corps de logis inégalement distribués autour d'une grande cour. A gauche
s'avançait la chapelle ; et un bâtiment séparé, qui semblait défendu par une
tour carrée, faisait saillie. Ce manoir avait été, disait-on, la dot et le
séjour d'Ida, mère de Godefroy de Bouillon. Il a été depuis entièrement
détruit. Cependant
le roi ne négligeait rien pour se donner raison dans cette singulière
campagne. Par un manifeste daté de Châtelard, 11 septembre, il disait « que
le dauphin lui avait envoyé successivement trois ambassades, qu'à tous ces
messages il a répondu en exhortant son fils, le plus doucement qu'il lui
avait été possible, à revenir à lui. Que néanmoins il s'est éloigné du
Dauphiné, sans avoir assuré, par aucune mesure, la tranquillité de ce pays.
Qu'il laissait cette province à l'abandon après l'avoir ruinée. C'est donc
pour rétablir l'ordre, pour protéger les habitants et les gouverner mieux,
qu'il vient et qu'il a envoyé ses lieutenants, le maréchal de Lohéac,
l'amiral de Bueil et le comte de Dammartin. » Le 2 octobre il convoque les
états du Dauphiné pour le 15 suivant. Philippe
de Bourgogne, en recevant le dauphin, rendait à la maison de France l'honneur
qui lui était dû, et au roi un service signalé. Mais Charles VII ne
considérait point la chose ainsi. Sans réfléchir à ce qui serait advenu si
son fils n'eût été nulle part accueilli, ni à la honte qui pouvait en
rejaillir jusqu'à lui, il désirait bien témérairement qu'il ne trouvât aucun
refuge. Quand il apprit que le dauphin lui avait échappé il en eut le plus
violent dépit. Tout en parlant de sa douceur et de sa tendresse dans ses
messages il écrivit de tous côtés de ne pas le recevoir. Dans une lettre
qu'il adresse de Châtelard aux magistrats de Tournay il explique « qu'il a
fait très-douce et raisonnable réponse aux envoyés de son fils, désirant le
réduire et attraire par bénignité. Il lui a dit que s'il voulait venir vers
lui, comme bon fils doit envers son père, il était prêt à le recueillir en sa
bonne grâce et à lui par- donner toute déplaisante du temps passé... On a su
qu'au lieu de se réjouir des paroles que de Bernes lui a rapportées, il a
pris la résolution de s'en aller du Dauphiné ; chose étrange et dernière
preuve des exhortements et suggestions de ceux qui le conseillent. Pour qu'il
ne puisse pas persévérer dans cette conduite, il prie ses bons et fidèles
sujets de Tournay, dont il a connu le zèle pendant les épreuves passées et en
considération de l'obéissance qu'ils lui doivent, de ne donner, ni passage,
ni aide, ni asile, ni secours à son fils, s'il se présentait à eux ; et même,
s'il entreprenait quelque chose, d'employer toutes leurs forces pour y
obvier. » Voici
en quels ternies Charles VII convoque les états le 2 octobre : « Puisque
notre cher et très-aimé fils s'en est parti du Dauphiné en bien étrange
manière.... sommes délibérés de nous tirer en la ville de Vienne, et là faire
assembler les gens des trois états dudit pays au 13 du mois d'octobre. »
Quand les Dauphinois surent que le roi était à Lyon avec beaucoup de troupes
et un grand train d'artillerie, ils députèrent l'évêque de Valence pour lui
représenter[7] que tant de troupes
inquiéteraient les peuples et irriteraient peut-être les esprits ; qu'ils lui
sauraient gré de vouloir bien « se contenter d'amener avec lui sa garde ». Arrivé
à Vienne, le roi répéta qu'il venait prendre soin du pays. Il lui fut répondu
par les états[8] « que le dauphin y avait laissé
le gouverneur, le conseil, le parlement et généralement tous les officiers
ordinaires qui étaient bien capables d'administrer le pays et de le garder ;
que les changements qu'on pourrait faire aigriraient la province et causeraient
plus de dommage que de profit. » Le roi insista, motivant ses craintes sur
les levées d'hommes qui avaient été faites et pouvaient troubler l'ordre. Ou
lui répondit qu'il n'y avait rien à craindre ; que tout le monde était
soumis. « On le supplia de ne rien changer que le dauphin n'en eût été
averti. » Apprenant que Louis avait donné l'ordre de se défendre au besoin,
et que Bournazel, Capdorat et Tiersault arrivaient, il entra en colère. On
parvint cependant à le calmer ; et à ses gens d'armes, près d'entrer dans la
province, il donna l'ordre de se retirer. Dans
son exil le dauphin n'était point sans nouvelles de ce qui se passait en
Dauphiné. Le seigneur de Laval et l'évêque de Valence lui écrivaient le 28
septembre, et la lettre lui fut portée par Étienne Guillon, chargé de lui
tout expliquer. Ils se montraient prêt à faire ce qu'il plairait au prince de
leur commander pour son bien, son avantage et la conservation de sa
seigneurie. Le 22 octobre suivant Guillaume de Meulon envoie de nouveaux
détails. « Le roi ne veut nous contraindre, serviteurs ni autres, de faire
serment ni chose qui soit contraire à votre honneur. Il veut aviser et
traiter de votre appointement ; il dit qu'il fera plus pour vous et pour les
vôtres que pour gens du royaume... Nous entretenons et confortons les
gentilshommes de votre hôtel et du pays, et de point en point ferons ce que
vous avez écrit, jusqu'à la mort et à la vie. » Charles
VII commençait à s'apercevoir qu'il y avait beaucoup de noblesse attachée au
gouvernement du dauphin et que son administration était plus parfaite qu'il
ne l'avait cru. Cette bonne renommée ne pouvait qu'irriter encore les ennemis
du prince à la cour et leur faire redouter son retour. Malgré toutes ses
douces paroles, « le roi mit le Dauphiné en sa main[9], le dauphin cessa d'en toucher
les revenus : et Charles VII mit encore garnison dans le château de Pipet,
tout en déclarant qu'il ne prétendait à aucun droit sur Vienne. » Par lettres
de Saint-Priest, 8 avril 1456, il révoque les aliénations du domaine faites
en Dauphiné par le dauphin et donne l'ordre à ses officiers de s'emparer des
terres et revenus ainsi cédés. Le duc
de Bourgogne, très-empressé de réconcilier le père avec le fils, envoie au
roi en ambassade Jean de Croy, seigneur de Chimay, Simon de Lalain, maître
Jean de Clugny et le héraut Toison-d'Or. Ils étaient munis d'instructions
très-développées pour amener un rapprochement, et d'une lettre très-humble et
très-soumise du dauphin, où ce dernier s'étonne que le maréchal de Lohéac et
l'amiral de Bueil se soient vantés d'être venus de Lyon de la part du roi
pour avoir sûreté contre ses entreprises. « Mon redouté seigneur, dit-il, ai
été et suis bien émerveillé, comment on peut penser que d'icelui mon pays
vous vînt aucun ennui ou dommage, ni que je voulusse faire chose qui ne fût
bien faite, car je n'en eus oncques le vouloir ni la pensée. « Je vous
supplie, mon très-redouté seigneur, qu'il vous plaise d'ainsi le tenir et
croire. » A cette
lettre le dauphin en ajouta d'autres pour ceux de son conseil du dauphiné,
leur recommandant de joindre leurs sollicitations à celles des ambassadeurs,
et même de ne faire nulle résistance au roi. Toutes ces démarches
déplaisaient fort à Charles VII, « dont on ne cessait d'aigrir l'esprit ». Le
2 novembre le roi écrit de Vienne au comte de Daminartin ; il le charge de
prier le duc de Savoie de bien garder le pont de Seyssel, parce qu'on pensait
que le bâtard d'Armagnac et le sire de Garguesale devaient rentrer par là
dans la province. Il lui mande de nouveau le 3 que l'arrivée de Tiersault et
de Capdorat n'a point empêché la soumission des villes. Le sire de Malortie,
gouverneur de Quirieu, avait suivi le dauphin ; mais son neveu intimidé
n'avait fait aucune résistance. Louis de Laval donnait son serment au roi
pour rester gouverneur ; Gabriel de Bernes ne fut pas plus fidèle. Ces
défections apprirent à Louis à connaître les hommes. Elles lui enseignèrent
aussi le pardon des méfaits. Les
ambassadeurs de Philippe de Bourgogne trouvèrent le roi à Saint-Symphorien
d'Ozon. Le 27 novembre ils eurent enfin audience, et Jean de Clugny porta la
parole ; il expliqua tout ce qui pouvait être favorable au duc et au dauphin.
Il dit en terminant : « Ce que le prince désire le plus vivement c'est de
servir le roi et l'État comme il y est obligé par toutes sortes de devoirs.
Quels reproches n'eût pas mérités le duc de Bourgogne s'il n'eût accueilli le
dauphin ! Il s'est donc conformé à son devoir et aux convenances. » On
demanda une copie écrite du discours de Jean de Clugny. La réponse du roi est
en tout semblable à celles qu'il a faites aux envoyés précédents. Il n'osa
point montrer son mécontentement de la bonne réception que le duc faisait à
son fils, mais pendant qu'il faisait attendre les ambassadeurs, il dépêchait,
en toute hâte des hommes d'armes sur les frontières du nord. Quand
les envoyés de Bourgogne furent de retour à Bruxelles, le dauphin parut
satisfait de la réponse qui lui était faite : cependant il expédie de nouveau
auprès de son père le sire Jean de Croy et Simon de Lannoy, bailli de
Hollande, avec une lettre de sa main et des instructions pacifiques. La
mission était délicate : Louis, à qui on retient ses terres et pensions,
restera-t-il dépouillé de tout moyen de subsister ? En promettant de
pardonner, ainsi qu'il le mandait dans sa lettre, et même (le rendre de bons
offices à ceux qui l'avaient maltraité, il faisait entendre qu'il pensait
avoir à se plaindre des favoris et ministres du roi. Nul accord n'était
possible. « Ceux qui l'avaient fait sortir de la cour[10] se croyaient intéressés à l'en
tenir éloigné et à le perdre. » En
février 4456- le duc de Bourgogne envoie les mêmes ambassadeurs. Le roi leur
donne audience à Saint-Priest en Dauphiné. Il leur est répondu que Grenoble
ayant paru résister, Sa Majesté a été obligée de mettre la province en sa
main. Ainsi le dauphin fut réduit à vivre à Genappe d'expédients. Le duc lui
donnait 3.000 liv. pour lui et la dauphine qui devait venir le rejoindre, et
à peu près autant pour ceux de leur maison. Il n'en fut pas moins obligé
d'emprunter et même à de gros intérêts. Il fit venir ses livres du Dauphiné.
Le temps qu'il ne consacrait pas à l'étude de l'histoire et à la lecture des
ouvrages plus originaux de l'époque, il le donnait à la chasse. Dans ce pays,
si favorable à cet exercice, il lui fallait des lévriers ; il en demanda au roi
d'Aragon. « Quelque prévention que l'on puisse avoir contre le dauphin, dit
sa chronique[11], on ne peut s'empêcher de
croire que la persécution était grande. Il fallait que les craintes fussent
bien fortes, puisqu'il aimait mieux souffrir et être à charge au duc de
Bourgogne, que de demeurer dans son pays et à la cour du roi son père, où sa
qualité de fils aîné, héritier de la couronne, devait le faire honorer. » Elles
remontent jusqu'au très-injuste mécontentement des princes de la maison
d'Orléans-Valois. Mais les autres princes de ce temps ne partageaient point
cette opinion ; ils jugeaient le dauphin par ses actes. On ne saurait
méconnaître « qu'il avait un talent remarquable pour l'administration[12] ; il voulait tout voir et tout
diriger ; que sans beaucoup de ressources il arrêta près de quatre mois le
roi sur la frontière de sa province, qui lui dut plusieurs institutions
utiles et de sages règlements. e S'il emprunta, disons aussi qu'il paya ses
dettes autrement que Charles VII envers Jacques Cœur et que le roi René aux
habitants de Metz. Il
restait encore un pas à faire dans cette grave question, et après quelques
hésitations on le franchit. En effet, le 8 avril 145(4-, le roi, par lettres
patentes de Saint-Priest en Forez, déclare révoquer le don du Dauphiné fait à
son fils et charge Louis de Laval de gouverner en son nom, ce qu'il accepta.
Odet d'Aidie, bailli du Cotentin, est un des signataires de cette lettre. Or
depuis 1343 aucune pareille révocation n'avait été prononcée. Avant
l'invasion du roi le conseil delphinal s'était réuni en secret, et tous les
conseillers décidèrent que « Charles VII n'avait dans le Dauphiné ni droit ni
autorité soit comme roi, soit comme père. » On ne croyait point même alors
que les conditions de l'acte de cession donnassent aucun titre à cette
ingérence[13]. Cette opinion devint encore,
en 1469., un sujet d'altercation entre les membres des trois états réunis à
Grenoble. On y discuta sur la question de savoir si les nobles qui avaient
contrevenu à leur serment et empêché qu'il fût alloué aucune subvention au
dauphin Louis, a leur vrai et suprême seigneur », devaient être considérés
comme félons, et sur beaucoup d'autres points tout aussi graves et délicats. Cette
opinion fut contestée au dehors. Un certain nombre de gentilshommes
adhérèrent à l'invasion. Après avoir donné un prétexte à Charles VII, ils lui
prêtèrent main forte, ou l'aidèrent de leur coopération pour lever dans la
province les subsides ordinaires et extraordinaires. Le roi voulait un acte
de complète soumission de la part du Dauphiné ; de l'autre côté on
reconnaissait toujours le dauphin comme seigneur légitime du pays, et l'on
trouvait la formule du serment demandé beaucoup trop tranchée. Les derniers
députés de la cour de Bourgogne se virent refuser l'entrée de la province et
ils durent attendre à Lyon que les délégués du roi et des états vinssent
conférer avec eux dans la chapelle canoniale de Saint-Jean. Le gouverneur s'y
rendit comme les autres[14]. Il y
eut de longs pourparlers, et des deux côtés bien des relations écrites de ce
qui avait été dit et répondu. On finit par convenir d'une formule de serment
plus adoucie. Le samedi 10 avril 1456, François Portier, président du conseil
delphinal, déclare au roi, à Saint-Symphorien d'Ozon, en présence de tous les
grands du pays, « que tous sont prêts à lui faire serment, en le priant
très-humblement de daigner conserver des entrailles de père envers le dauphin
son fils aîné, et qu'il plût au roi de ne rien demander dans le serment qui fût
en contradiction avec la fidélité et l'hommage dont ils étaient tenus envers
le dauphin[15]. » Charles
VII accorda ce qui lui était aussi demandé. Tous les notables du pays
prêtèrent donc serment, comme garantie de la sécurité personnelle du roi et
de la sûreté de ses États. On leva la main en disant : « Je le jure ». Le
roi, de son côté, renouvela l'engagement de respecter leurs lois et coutumes.
Dans le procès-verbal du serment des états on rappelle l'ordre donné par le
dauphin « d'obéir à son père et de ne point lui faire résistance ». Voici
en quels termes les ambassadeurs du duc de Bourgogne lui rendent compte par
écrit, le 14 avril 1456, des conférences de Lyon : « Comme le roi a voulu, en
prenant le gouvernement d'icelui pays, que les forteresses soient ès mains de
M. le gouverneur, et ledit gouverneur étant venu nous dire qu'il ferait ce
que nous voudrions, nous pensons que le gouvernement du- dit pays est mieux
en ses mains qu'en toute autre : nous conseillons donc qu'il en soit ainsi :
et en ce faisant nous tenons que Monseigneur en sera bien content. » Par
lettres du 19 avril 1457 ils déclarent que les sûretés qu'ils ont données au
nom du dauphin ne s'adressent point à ceux prévenus du crime de lèse-majesté. Il
paraît que le dauphin ne ratifia pas tout ce que les députés avaient promis
pour lui. Dans une lettre fort vive du 9 juillet suivant il relève Louis de
Laval de son office de gouverneur, lui reprochant, ayant juré de vivre et de
mourir à son service, d'avoir manqué à ses promesses. Il ôte même, par
lesdites lettres, le titre de maréchal de Dauphiné « à quiconque en serait
pourvu ». Six mois après, de Bruges 24 janvier, il nomme à la place de
gouverneur son fidèle ami Jean, bâtard d'Armagnac, seigneur de Tournon. Il ne
laissait échapper aucune occasion de dire à ses anciens officiers qu'il était
toujours leur légitime seigneur. Il ne pouvait être insensible à la rigueur
extrême de son père, qui déclarait le 24 mars 1459- « que les nobles qui
suivraient le dauphin subiraient la confiscation de leurs biens et de leurs
personnes ». Plus tard il se réconcilia avec Louis de Laval comme il le fit
avec le comte de Dammartin et tant d'autres. Vers la fin de cette année,
notamment le 17 décembre 1457, il recevait encore du bâtard de Villars et de
plusieurs autres gentilshommes des témoignages de dévouement et d'amitié.
Alors aussi Louis de Laval, maintenu dans sa charge de gouverneur par le roi,
dispensait les gens des châtellenies d'aller au loin chercher des juges.
Ainsi, tout en méconnaissant la souveraineté du dauphin, on suivait ses lois. Charles
VII cependant, tout à sa rancune paternelle, ne manquait pas de difficultés
au sein même de son royaume. La guerre de Guienne à peine finie et la paix
conclue avec le roi d'Aragon, on le voit donner ordre au sénéchal de Toulouse
de pourchasser les bandolliers et autres aventuriers, qui désolaient tous ces
pays du midi. Par
lettres du 30 janvier 145.4, le roi avait mandé à toute la noblesse de se
tenir prête à marcher, celle du Languedoc au mois d'août et celle des autres
provinces à une époque également déterminée. Alors Charles eut à se plaindre
du comte Jean V d'Armagnac pour de graves motifs qui impliquaient un crime
d'État. Outre l'affaire de l'archevêché d'Auch, on lui reprochait sa vie de
famille et ses relations trop connues avec les Anglais. Le roi fit donc
envahir ses États par le comte de Clermont, lieutenant général en Guienne. Les
états s'étant assemblés à Toulouse en 1454, et à Montpellier en 9466, avaient
octroyé 116.000 livres et quelques gratifications pour leur ambassade chargée
de porter au roi leurs doléances. A cet égard ils se plaignirent des dommages
que le séjour de l'armée avait causés aux populations du Languedoc. Ils
insistèrent sur les vexations qu'on souffrait de la part des réformateurs,
c'est- à-dire des commissaires extraordinaires, des généraux des monnaies et
des visiteurs des gabelles ; enfin ils demandèrent l'adoucissement de
certaines impositions foraines et des entraves imposées au commerce. Sur tous
ces points la réponse du roi fut satisfaisante : on promit de sa part qu'il
ne serait plus envoyé de réformateurs dans le pays, si ce n'est pour la
justice. Par lettres patentes du 4 octobre suivant, Charles VII ordonne aux
gens d'église et aux communes qui auraient acquis des biens ruraux non nobles
d'en payer la taille suivant l'estimation locale, essayant ainsi de sui% re
dans le royaume la marche financière de son fils dans le Dauphiné. Les années
suivantes, les états de Pézenas et ceux de Carcassonne, présidés par Étienne
de Cambray, évêque d'Agde, continuèrent à voter les aides comme par le passé.
On constate à la suite de toutes ces convocations annuelles des états du
Languedoc, que, malgré les assertions de Daniel et d'autres, « ces
assemblées ne cessèrent de voter les aides ou dons gratuits ni sous ce règne
ni sous aucun autre[16], et que les subsides ne furent
point imposés de la pleine autorité du souverain, sans l'avis des états ou
des notables. » Les
affaires ecclésiastiques ne se réglaient point sans contestation dans le
royaume. Même avant la pragmatique les élections qui se faisaient encore
étaient souvent contestées ; ainsi, après la mort de Guillaume de Montford,
évêque de Saint-Malo, les chanoines de son église ayant élu à sa place
Guillaume Boutier, abbé de Beaulieu (1432), le pape déclara l'élection nulle. Ce fut après
comme avant. On voit en 1450, après la mort du chancelier de Bretagne, Jean
de l'Épervier, trois élus à la fois au siège de Saint-Brieuc, le protonotaire
Jean Prégent, Jacques de Pencoa et Jacques de Penhonedic. En 1450, il se
trouvait au Puy un évêque qui refusait de rendre hommage au roi. Fils naturel
de Jean Ier, duc de Bourbonnais et d'Auvergne, d'abbé d'Avignon qu'il était,
il fut élu au siège du Puy en 1413, et succéda à Guillaume de Chalençon,
fondateur du monastère de Sainte-Colète. Ce refus d'hommage fit du bruit, et
il fallut l'intervention des états et des commissaires du roi pour le calmer.
A Nîmes ce fut différent. L'évêque Léonard Delphini étant mort en 1438, le
chapitre élut Geoffroy Floreau ; mais le pape donna l'évêché en commende
d'abord à Guillaume de Champeaux, qui le garda jusqu'en 1441, puis au
cardinal d'Estouteville. Lorsqu'en 1450 ce prélat fut promu à l'évêché de
Lodève, Geoffroy Floreau obtint du pape sa confirmation, qu'il attendait
depuis douze ans. En 1453, l'évêque Geoffroy ayant été envoyé à Châlons-sur-Marne,
le chapitre élut au siège vacant de Nîmes, selon le droit que lui donnait la
pragmatique[17], Emmanuel Buade. Mais dans le
même instant l'évêché fut donné en commende à Alain Coëtivy. Chacun prenant
parti pour l'un ou pour l'autre, il en résulta dans le diocèse beaucoup
d'agitation. Le cardinal, appuyé par son oncle Tanneguy du Chatel, se
maintint par la force. L'élu, aidé du chapitre, voulut résister. On s'anima
des deux côtés. En septembre les chanoines s'étant emparés du clocher
sonnèrent le tocsin et appelèrent les citoyens aux armes. It y eut toutefois
un apaisement momentané par l'intervention de l'autorité armée. Le
parlement de Toulouse fut saisi de l'affaire ; son arrêt, rendu seulement le
3 mars 1445, renvoyait le différend à la décision du métropolitain,
l'archevêque de Narbonne. Celui-ci, trois ans plus tard, décidait que les
revenus de l'évêché de Nîmes, dont le cardinal voulait jouir, seraient
séquestrés. Après tant d'agitations et d'atermoiements, l'affaire ne se
termina que par l'élection canonique de Robert de Villequier, moine de Cluny,
en 1460. A
Viviers les choses se passèrent de même. A la mort de Guillaume de Poitiers,
le ler août 1454, la majorité des chanoines nomma Pierre Barilliers,
conseiller clerc au parlement de Toulouse et prévôt de cette église depuis
1447[18]. On avait surtout considéré le
mérite personnel. La minorité, qui avait porté ses voix sur Élie de
Pompadour, évêque d'Alais, insista. Le parlement, saisi de cette cause,
maintint la majorité dans son droit, issu de la pragmatique ; mais le pape
Calixte III se prononça en faveur de Mer Élie en 1455, et le confirma dans la
possession du temporel, dont il s'était emparé à force ouverte. Louis
d'Aubusson, successeur d'Élie de Pompadour, ayant passé à l'évêché de Tulle,
Charles VII écrivit au pape en vue de faire obtenir le siège d'Alais à
Antoine de Combort, frère du bailli de Touraine. Malgré une telle
recommandation, l'évêché fut donné à Antoine de Cambray. Ainsi les lettres du
roi aussi bien que les élections canoniques n'étaient guère aux yeux du
saint-père que l'indication d'une candidature. Ces exemples montrent une fois
de plus la confusion des droits spirituels et temporels, et aussi combien la
pragmatique rencontrait de difficulté à se faire accepter. De tous ces
tiraillements, qui inquiétaient les consciences, le bon ordre avait souvent à
souffrir. Cependant,
le dauphin semblait s'habituer dans le Brabant et s'y faisait personnellement
considérer. Pendant ces cinq ans de séjour en Bourgogne, une parfaite
harmonie régna entre le duc et Louis. Le prince « se conduisait, dit
Olivier de la Marche, sur les conseils de Philippe. Les principaux de ceux
qui étaient autour de lui furent le seigneur de Montauban, Jean, bâtard
d'Armagnac, le seigneur de Craon. Il avait encore de moult notables jeunes
gens, comme les seigneurs de Crussol, de Villiers, de l'Étang, du Lau, de la
Barde, Gaston du Lyon et moult nobles gens éleus (distingués) ; car il fut prince et aima
oiseaux et chiens ; et même où il savait nobles hommes et de renommée, il les
a hetait au poids de l'or... Légèrement attrayait gens et légèrement les
reboutait de son service ; mais il était large et abandonné (plein
d'abandon) ; et
entretenait par sa largesse ceux de ses serviteurs dont il se voulait servir.
» Telle était la suite du prince, et l'appréciation de ses ennemis. « Il
ne recherchait point les gens de bas lieu[19], » mais bien le mérite
personnel, car, dit Comines[20], « un saige homme ne se peut
trop acheter C'est grande richesse à un prince d'avoir un saige homme dans sa
compaignie. » La
présence du dauphin donnait de la solennité à toutes les circonstances. En ce
même temps Mine de Ravestein ayant accouché d'une fille, on désira qu'il tînt
l'enfant sur les fonts baptismaux, et il s'y prêta très-volontiers. Peu de
jours après, le 17 février, la comtesse de Charollais accoucha aussi d'une
fille. Le comte alla à Genappe prier le dauphin d'être son compère et de
tenir encore cette enfant, « ce qu'il accorda bénignement, dit Olivier, il
retourna à Bruxelles, et furent les choses préparées pour le baptisement de
Mademoiselle de Bourgeigne, lequel fut moult solennel de prélats, de noblesse
et de luminaire. » Le duc était absent. « On regardait comme un grand honneur
que le dauphin eût adextré l'enfant, porté par sa grand'mère[21]. » Ainsi Louis était à la
droite et soutenait la tête de l'enfant. Le fils du duc de Gueldres marchait
devant, portant[22] un bassin de vermeil ; Adolphe
de Clèves venait après, tenant une coupe d'or ; le comte d'Étampes, avec un
cierge bénit, précédait le dauphin et la duchesse. L'enfant s'appela Marie,
en considération de la reine Marie d'Anjou, mère du prince. C'était encore un
pieux souvenir. A peu
de jours de là, Louis eut une plus notable occasion de témoigner sa sympathie
et son zèle pour la maison de Bourgogne. Dans cette famille aussi existait
des germes de discorde. Le comte de Charollais voyait de mauvais œil la
confiance que son père témoignait aux Croy, ses parents et alliés. Alors,
selon Olivier de la Marche, il y eut entre ceux-ci et le comte « soupçon de
dissidence à cause de certains meubles de Mme de Béthune, tante de Mme de
Croy. Le seigneur de Croy les avait pris et le comte Charles affirmait que
son père lui avait donné l'héritage de ladite dame. » Ainsi, c'est une
querelle d'intérêt, qu'il eût été cependant fort aisé d'éclaircir. En pareil
cas la mésintelligence éclate à la moindre contradiction. On ajoute que « le
seigneur de Croy avait fait venir le maréchal de Bourgogne, homme actif et
vindicatif, et qu'il haïssait Raolin à l'occasion de la mort du seigneur de
Pesme, que le chancelier de Bourgogne avait fait mourir par justice. Ainsi,
aimés du duc, ceux de la maison de Croy faisaient leur faict à part, » tandis
que le chancelier se disait serviteur du comte. La cour était donc partagée
entre le parti du père et celui du fils. Les
deux premiers chambellans, a les sires d'Aussi et de Fora mettes », s'étant
absentés pour affaires, le duc voulut que Philippe de Croy, fils du sire Jean
de Croy, fût de service comme troisième chambellan ; le comte de Charollais
voulait que ce fût Antoine Raolin, seigneur d'Emeries, qui avait épousé la
sœur de Mme d'Étampes. Ainsi le jour de Saint-Georges, 23 avril, quand le
comte Charles apporta au duc dans son oratoire l'ordre de service à signer,
Philippe de Bourgogne, y voyant le sire d'Emeries, le jeta au feu, et dit
avec colère à son fils « d'aller chercher d'autres ordonnances. » Alors le
comte sortit et la duchesse le suivit. Isabelle craignait qu'il n'arrivât
quelque accident, tant les emportements de son époux étaient violents. Ce fut
donc la cause d'un très-vif débat. Le duc, se voyant seul de son parti, monta
à cheval, erra jusqu'au soir comme un homme troublé dans la campagne, et
passa la nuit a chez un sien veneur, » tandis que le comte s'en était allé
jusqu'à Termonde. Le
dauphin, témoin et affligé de cette scène, entreprit de réconcilier le père
avec le fils. Il fit entendre des deux côtés le langage de la raison et
conseilla la douceur. « Plusieurs fois, dit a le baron de Reiffenberg, il
envoya à Termonde le sire de Ravestein et le héraut dit Toison-d'Or, Jean
Lefèvre de Saint-Remy, dont on a des mémoires, pour engager Charles à un
rapprochement. Le fils revint donc à Bruxelles trouver son père. » Il se
montra prêt à être fils humble et obéissant ; le père exigea seulement qu'il
éloignât de sa maison Guillaume de Bitche et Guyot d'Usie, dont il croyait
avoir à se plaindre. Le comte leur fit beaucoup de bien dans leur exil. Le
premier, « homme a saige et subtil », s'en alla à Soissons ; il eut des
relations avec Paris, et parvint même à être si bien informé, qu'il ne se
passait et ne se décidait rien dans les secrets conseils du roi qu'il ne le
sût et n'en avertit promptement le comte et le dauphin. Le second se retira
chez lui en Bourgogne, et le roi le retint ensuite dans son hôtel. a Ainsi,
dit Olivier de la Marche[23], par le moyen de M. le a
dauphin furent les choses apaisées. » Si des
regards scrutateurs suivaient partout le roi, on sait[24] que, même parmi les secrétaires
du dauphin, Charles avait également des affidés lui rapportant fidèlement des
nouvelles de son fils et de ce qui, se passait dans son intimité. Le roi par
ce moyen fut assuré que le comte de Dammartin n'avait point écrit au dauphin,
comme il le soupçonnait. D'ailleurs, fort souvent il circulait de faux bruits
dont on était fort alarmé ; résultat inévitable de ces querelles de famille. Les
vivacités du duc, fréquentes il est vrai, témoignaient cependant d'un
caractère généreux. On sait que le dauphin aimait singulièrement à chasser,
et Genappe, à cinq lieues de Bruxelles, était un rendez-vous de chasse
délicieux. Il y faisait donc, avec le comte de Charollais, de fréquentes
parties. Il advint un jour que les chasseurs, emportés par l'ardeur de leur
poursuite, se perdirent de vue, et le comte revint à Bruxelles sans le
dauphin. Alors grande inquiétude à la cour. Le duc, très-ému, fit à son fils
une obligation de retourner à la recherche de son compagnon, quoique ce fût
la nuit noire ; lui enjoignant de le ramener avec lui. Le dauphin, qui
s'était égaré, revint le lendemain. Une assez grande cordialité continuait à
régner entre le comte et le dauphin. Cela n'empêchait pas d'ailleurs que
Louis ne laissât apercevoir son inclination personnelle pour les sires de
Croy, qui avaient contre eux la maison de Luxembourg et le comte Charles. Il
arrivait que le dauphin, dans ses excursions de chasse et dans ses
promenades, visitait volontiers les paysans du voisinage. Il causait avec
eux, ne fût-ce que de la pluie et du beau temps, mais le plus souvent de
leurs intérêts de famille. Il savait parfaitement juger son monde, et une
piquante repartie lui indiquait vite un homme d'esprit, même sous la bure. Il
vit donc plusieurs fois un cultivateur du pays nommé Conon ; il s'assit même
à sa table et y mangea de délicieux navets, dont il sut fort bien se souvenir
quand il fut roi. La chasse était d'ailleurs son passe-temps de prédilection,
et le sénéchal de Normandie nous a conservé dans son livre de chasse les noms
qu'il donnait à ses chiens. Cependant
la dauphine Charlotte approchait de ses dix-huit ans. On pensait avec raison
que s'il avait sa maison complète la considération du dauphin en serait
augmentée. Dès que la dauphine fut réclamée à son père elle partit aussitôt,
et elle arriva en Flandre le 10 juillet. La vie de famille devenait pour le
prince un adoucissement à son exil, volontaire il est vrai, mais
indispensable. De là résultaient des frais nouveaux et une certaine détresse.
Aussi, ayant essuyé un refus du duc de Bretagne, à qui il avait demandé 4.000
écus d'or à emprunter, il engagea pour 800 écus à Angelo Tagny une pièce de
drap d'or de 37 aunes ½ qu'il avait. Il pria même ensuite Arnolphin de Bruges
de la retirer, afin de pouvoir la vendre ce qu'elle valait et en payer les
Écossais, promettant de rembourser cette somme dans six mois. Plus tard il
emprunta encore trente écus à Jacques de Sassenage pour avoir un cheval
moreau à offrir à Henri Guérin, et pour cette dette il s'engagea par écrit le
3 septembre 1459. Le surcroît de dépense pour le jeune ménage étant évident,
le duc y pourvut en élevant la pension du dauphin de 3.000 florins à 4.500. Ce ne
fut pas la seule gracieuseté de Philippe de Bourgogne. Ayant à faire un
voyage dans l'intérieur de ses États de Flandre, il offrit au dauphin de
l'accompagner. Visiter alors les villes les plus manufacturières de l'Europe,
étudier les causes de leur richesse et de leur prospérité, c'était
l'excursion la plus utile que le futur roi de France pût faire et la plus
conforme à ses goûts ; aussi accepta-t-il l'offre et sut-il en profiter. Ils
partirent donc « tost après Pâques », dit la chronique. Ils passèrent
par Oudenarde et Courtray, allèrent à Bruges, et partout ils reçurent un
magnifique accueil. Le duc semblait heureux de faire ainsi les honneurs de
ses États à l'aîné de sa maison. Bruges était le principal entrepôt du
commerce de la Hanse germanique, elle était pour le nord ce que Venise avait
été pour le sud, et tendait même à la supplanter. Louis fut frappé des airs
de vie et de prospérité qu'il y observa. La joie de cette industrieuse
population l'intéressa au plus haut degré. Déjà en Languedoc et en Dauphiné
il avait protégé l'industrie : il se promit de faire plus tard bien
davantage. Peut-être le dauphin alla-t-il d'autres fois à Bruges, car ses
lettres du 24 janvier de cette même année, portant nomination du bâtard
d'Armagnac, sont datées de cette ville. De
retour de ce voyage il reçut à Namur son épouse, Charlotte de Savoie, qui y
arrivait sous l'escorte du sire de Montaigu. Après une cérémonie confirmative
du mariage, il la conduisit à Genappe. Peu après le duc fit don à la dauphine
de 1.000 écus d'or. Cette
petite cour de Genappe avait une physionomie toute particulière. « Là, dit
Brantôme, parmi les seigneurs ou domestiques que le duc mettait à la
disposition du dauphin pour le servir, rencontrait-il un homme de quelque
capacité, il s'empressait de le gagner par des promesses ou par de l'or. »
C'est ainsi que, selon Comines, il manquait souvent d'argent. On devisait
parfois de lévriers et de chasses dans la forêt voisine ; mais les lettres y
trouvaient leur place, et Louis la faisait aussi large que possible. On le
sait, il avait appris dans sa jeunesse au-delà même de ce qui s'enseignait
ordinairement aux princes ; depuis il s'était formé lui-même avec les
ressources qui se trouvaient à sa portée. Sans négliger le cheval ni le
maniement des armes, il avait toujours montré sa prédilection pour les
exercices de l'intelligence. Pendant que les autres princes songeaient
exclusivement à briller dans les tournois, lui, sans être au-dessous d'eux
sur ce point, s'appliquait par l'étude à fortifier son esprit de connaissances
nouvelles. Aussi le voyait-on rechercher les livres, et attirer auprès de lui
les savants et les hommes qui passaient pour instruits. Dans le
Dauphiné il était voisin de Genève et d'Orange, où l'empereur Charles IV et
le prince Raymond V avaient fondé des universités. Près d'Avignon, de la
Provence et du Languedoc, où florissaient alors les troubadours qui
professaient la science gaie, il était comme aux portes de l'Italie, remplie
de la gloire du. Dante, de Boccace et de Pétrarque ; du Dante surtout, qui,
par ses immortelles œuvres, avait dès le XIIP siècle formé sa langue
maternelle, alors que notre idiome, hésitant en sa marche, devait être encore
dans l'enfance deux cents ans plus tard. Dans
cette belle patrie, où il savait se ménager des alliances, florissaient
toutes ces écoles rendues célèbres par des hommes tels• que Boccace, Jean de
Ravenne, Emmanuel Chrysoloras d'Athènes, Gasparini de Bergame, le Pogge de
Florence, Guarino de Vérone, Laurent de Valla de Plaisance, et autres maîtres
d'une grande distinction. Le récent enseignement du grec répandu par les
érudits, obligés de fuir Constantinople et la barbarie musulmane, les
inventions de la lunette et de la boussole, et même la découverte des
caractères mobiles dont on parlait déjà, excitèrent sa curiosité. Jusqu'à
lui, arrivait la réputation des hommes qui confirmaient chaque jour, par le
progrès des sciences, le développement des connaissances humaines ; et afin
de mettre à sa portée ces lumières, qui lui semblaient divines, il n'était
point de sacrifice qu'il ne fit pour se procurer les précieux manuscrits où
elles se cachaient aux yeux du vulgaire. Ainsi,
à Genappe, les principales distractions du dauphin étaient d'un caractère à
la fois politique et littéraire. Il y avait à Louvain une université fondée
depuis une trentaine d'années ; il s'y fit inscrire comme membre associé.
C'est là, dit-on, qu'il connut un savant nommé Vasselus Gansfortius. Plus
tard il l'appela à Paris. Sur son conseil il introduisit plusieurs
améliorations dans l'université ; et il le consulta, pensa-t-on, pour la
rédaction de son édit contre les nominaux. En son palais il institua une
petite académie où, de temps à autre, ses amis et les hommes de lettres qu'il
pouvait voir se réunissaient et s'obligeaient de lire, chacun à leur tour,
des historiettes amusantes de leur façon. Ces contes étaient le plus souvent
burlesques, selon le goût du temps. Boccace jouissait d'une grande vogue ; on
s'étudiait à l'imiter. Ces compositions, où la morale ne gagnait guère,
étaient cependant fort utiles au progrès de la langue française, comme furent
ensuite les contes de la reine de Navarre. Ces
petites pièces nullement faites pour être publiées ne le furent en effet pour
la première fois qu'après la mort de Louis XI, en 1486. Par allusion au
Décaméron du poète italien, on les nomma les Cent nouvelles nouvelles.
Elles furent collationnées selon les uns par Antoine de Croy, selon d'autres,
et plus vraisemblablement, par Antoine de la Salle, auteur du petit Jehan de
Saintré et des Quinze joies du mariage. Celui-ci, secrétaire de Louis III,
comte d'Anjou, puis chargé de l'éducation du roi René, fut ensuite, dit-on,
présenté au duc Philippe le Bon par le comte de de Saint-Pol. Il est certain,
du moins, qu'entre les Quinze joies du mariage, la Dame des belles cousines
ou Jehan de Saintré et d'autre part les Cent nouvelles nouvelles, il y
a un air de parenté qui a déterminé l'opinion des critiques. On ne
peut s'empêcher de remarquer que dans ces histoires la plaisanterie est
souvent poussée beaucoup trop loin, que le récit en est trop libre, et
qu'elles sont même parfois échevelées. Cette licence de la forme étonnera
moins si l'on réfléchit qu'on raffolait alors de ces sortes de joyeusetés.
Même un demi-siècle plus tard, Marguerite de Valois, si connue par sa
politesse et son dévouement pour son frère François Ier, a écrit du même ton.
Elle a laissé « une réputation d'esprit[25] qui est un retentissement de
l'opinion de ses contemporains, plutôt que le résultat de la publication
infidèle de ses contes. Dès
quinze ans elle fut, dit-on, une personne accomplie. Elle brilla à la cour de
Charles-Quint par son savoir, son esprit et sa vertu. L'Arioste de Reggio
excita sa verve et lui servit de modèle. En réalité, le style de l'Heptaméron
ou des Contes de la reine de Navarre ne s'éloigne point de ce qu'il y avait
de plus poli à la cour de France. Cette princesse a aussi fait le Miroir de
l'allie pécheresse. C'est un curieux développement de cette pensée du psalmiste
: « Mon Dieu, créez en moi un cœur pur ! » Il est donc bien évident que le
mélange des idées satiriques et mondaines avec des pensées ascétiques était
alors une mode léguée par les écrivains du midi. Entre les Nouvelles
nouvelles et les Contes, il y a cette différence que celles-là
sont sans corrélation entre elles, et que ceux-ci au contraire se rattachent
les uns aux autres. Les Nouvelles
de Genappe ont diverses provenances : la plupart sont originales et
contemporaines, cachant par l'allégorie les noms propres que tout le monde
connaissait ; beaucoup dérivent des fabliaux de Boccace ; plusieurs sont dues
aux facéties du Pogge. Notre langue trouvait toujours profit à côtoyer
l'italien, formé sur le patron de Virgile, de Sénèque et de Lucain. Ce qui
domine dans ces amusements, qu'on voudrait un peu moins grivois, c'est la
bonne humeur et une verve satirique qui ne tarit pas. Les hardiesses dont
nous sommes étonnés ne choquaient personne. Les Nouvelles paraissent avoir eu
trente-cinq auteurs ; de leur nombre fut le duc Philippe le Bon pour trois
récits ; le dauphin pour sept, peut-être pour onze ; Philippe Pot, seigneur
de Nolay, pour douze. On remarque encore les sires de Saint-Pol, de
Conversan, de Créqui, de Fiennes, de Fouquerolles, du Lau, de Rothelin, Hervé
de Mériadec, de Lannoy, de Poncelet, de Saint-Yon : et autres. Faites sur le
type que nous avons défini, les Nouvelles devaient à leur tour servir de
modèle, et parmi ceux qui puisèrent à cette source pour inventer de plaisants
récits, nous citerons notre piquant Rabelais et notre inimitable fabuliste La
Fontaine. On a
remarqué que, par suite de ses exercices littéraires, Louis avait acquis une
élégance d'expression qu'on ne connaissait à aucun de ses contemporains.
Brantôme convient qu'il dictait lui-même toutes ses lettres, et que, habitué
à se servir du premier clerc de notaire qu'il rencontrait, il n'emmenait
point de secrétaire avec lui. C'est
vers ce temps que par l'entremise de Jean Briçonnet de Tours, la famille de
Jacques Cœur recueillit quelques épaves de la fortune de son chef. Alors
aussi deux des juges de ce malheureux procès, le chambellan Guillaume
Gouffier et Otton Castellani, furent à leur tour arrêtés, et sous la
prévention de magie et de fraude traînés en prison et condamnés. Otton, dès
1446, avait été trésorier du Languedoc ; successeur de Jacques Cœur, « il fut
« aussi coupable que Jacques avait été innocent[26] ». Cependant le roi lui fit
grâce. Dans le
mois d'août 1458, le sire de Brezé, sénéchal de Poitou, qui était parti de
Honfleur avec trois gros vaisseaux et quelques milliers d'hommes, accompagné
de Robert Floquet, bailli d'Évreux, de Thibault de Termes, bailli de
Chartres, du seigneur de Chevreuse, de Guillaume Cousinot et de plusieurs
autres, fit une descente en Angleterre. Il prit et pilla Sandwich, et en
revint, non sans peine, avec beaucoup de butin. C'était à la fois un secours
porté à Marguerite et une revanche de l'expédition de Gascogne. En
Bretagne, Pierre Il étant mort le 21 septembre, le comte de Richemont, son
oncle, qui lui succéda, fut à la fois connétable et duc. Le 14 octobre 1458
Artur III vint à Vendôme rendre hommage au roi, et en même temps intercéda en
faveur de son neveu, le duc d'Alençon, qu'on y jugeait. On raconte qu'il
faisait porter devant lui l'épée de Bretagne et celle de France ; c'est un
des beaux caractères de cette époque. L'Allemagne
payait son tribut à ces temps de cruelles rivalités. Le roi de Hongrie
Ladislas IV ayant péri à Varna en 1444 en combattant les infidèles, et son
fils Ladislas V étant un enfant de quatre ans, les Hongrois proclamèrent
régent Jean Huniade, voïvode de Transilvanie. Huniade força d'abord
l'empereur Frédéric III à rendre aux Hongrois la couronne de Saint-Étienne,
et il continua à faire la guerre aux Turcs. En 1453 Ladislas V, âgé de treize
ans, arrive à Bude accompagné d'Ulric, comte de Cilléi, son oncle ; le comte
s'empare des affaires et affaiblit autant qu'il peut le crédit du régent.
Cette disgrâce ne fit que rehausser le mérite de ce grand homme. En 1456 il
vole au secours de Belgrade, que Mahomet II assiégeait avec 150.000 hommes ;
il le force à lever le siège et meurt deux mois après, le 10 septembre,
laissant deux fils, Ladislas et Mathias Corvin. L'aîné, Ladislas, supposant
au comte Ulric de mauvais desseins contre lui, l'assassine à Albe-Royale, le
11 novembre suivant, tandis que le roi entendait la messe. Ladislas V
dissimule ; il comble de caresses les deux frères Corvin et jure qu'il ne
vengera point ce meurtre. Ils vont donc ensemble à Bude. A peine y sont-ils
arrivés que les deux frères sont arrêtés avec leurs amis ; et trois jours
après, le 10 mars, Ladislas est décapité sur la place publique. Pour
l'exécution il fallut, dit-on, s'y prendre à plusieurs fois. Toute la Hongrie
s'indigna de tant de barbarie, et Ladislas le posthume fut regardé comme un
tyran. Son ambassade à la cour de France, venant à Tours offrir le Luxembourg
à la princesse Madeleine de France, sa fiancée, était splendide et se composait,
dit-on, de six à sept cents chevaux. Il sortait lui-même de son royaume pour
venir l'épouser, quand il mourut subitement, à Prague, le 23 novembre 1457,
non sans soupçon de poison. Ce fut un grave mécompte pour la cour de France. Podiebrad
gouverna alors comme administrateur, et au mois de mai de l'année suivante il
se fit élire et couronner roi de Bohême. Mathias Corvin, second fils de
Huniade, auquel il rendit la liberté, alla régner en Hongrie en 1458 et
mourut en 1490. En de
telles circonstances, le roi s'était d'abord fait médiateur ou juge du
différend qui s'élevait, touchant l'héritage de l'ancienne maison de
Luxembourg, entre le roi de Bohême et le duc de Bourgogne ; nouveau sujet de
discussion entre ces deux princes. Le roi, sans approfondir la question, prit
sous sa protection Thionville, qui avait appartenu au roi de Bohême, ainsi
que tout le pays de Luxembourg ; et il fit signifier la chose au duc par sire
Renard, son écuyer. L'offre de ce pays à la France inquiétait naturellement
Philippe de Bourgogne, car en supposant une rupture, on pouvait, avec l'aide
des Liégeois, l'attaquer de ce côté tandis que de l'autre on reprendrait la
Picardie. Aussi, par le même écuyer, le duc répondit, le ter février, qu'il
s'étonnait de cette mesure ; que Sa Majesté ne devait pas ignorer ses droits
sur le duché de Luxembourg, et qu'il enverrait quelqu'un pour les soutenir.
En effet, le 5 du même mois, il fit partir Jean de Croy, seigneur de Chimay ;
Simon de Lalain, seigneur de Montigny, et Jean de Clugny, maître des requêtes
de son hôtel, avec des lettres pour le roi et les membres de son conseil. Le
dauphin ne laissa pas échapper l'occasion d'écrire aussi à son père et de lui
envoyer ses assurances de soumission. Ces
affaires d'Allemagne étaient, d'ailleurs, fort agitées et très-obscures.
Souvent le crime s'y mêlait à la superstition et à l'avidité. L'empereur
Frédéric III, Albert et Sigismond d'Autriche s'accordaient peu sur l'héritage
de Ladislas V ; et pendant leurs débats Mahomet II avançait ses conquêtes.
Les députés de Charles VII ne purent rien, si ce n'est de mettre d'accord
Albert et Sigismond au sujet du Brisgaw. Ils n'eurent point à se louer de
Frédéric III, qu'ils dépeignent comme un prince lâche, hypocrite et reconnu
indigne de son rang. En
France le procès du duc d'Alençon, officiellement annoncé, devait s'ouvrir le
15 juin à Montargis. La cour fut transférée à Vendôme comme point plus
central et plus rapproché d'Alençon. Les griefs étaient nombreux. On
l'accusait d'avoir noué une intrigue avec le roi d'Angleterre ; il s'en était
ouvert à son chapelain, que Fontanien nomme Gilet. Le chapelain ne consentit
point à se charger du message ; mais il indiqua pour cet office un pauvre
homme nommé Pierre Fortier ; celui-ci au lieu d'aller à Londres porta la
lettre à Charles VII, alors dans le Bourbonnais. Il s'y agissait d'un projet
d'invasion. On conçoit dès lors que le comte de Dunois et le sénéchal de
Brezé furent chargés d'aller arrêter le duc à Paris et un notable procès
s'ensuivit. Outre ce grief, on disait tout bas que Jean d'Alençon, qui avait
épousé une princesse d'Orléans, tenait une cour magnifique, à effacer même
celle du roi ; et que cette sorte de rivalité avait excité la jalousie de
Charles VII. Toujours est-il que ce prince était loin d'avoir la fixité et
l'élévation de caractère du comte d'Eu, qui fut un de ses juges avec le comte
de Foix, récemment promu à la pairie. Plus tard même il se montra peu
reconnaissant envers Louis XI, son filleul. Leduc
de Bourgogne s'excusa de venir en personne à Vendôme, et allégua des raisons
fondées sur le traité d'Arras. Toutefois à cette occasion, et même pour
d'autres affaires, il envoya le 2 juin une ambassade au roi composée des
sires Jean de Croy, Simon de Lalain, maitre Jean l'Orfèvre et Toison-d'Or. Au lit
de justice de Vendôme rien ne fut plus remarquable que le plaidoyer de Jean
l'Orfèvre, au nom du duc Philippe, en faveur du duc d'Alençon. Il cita les
exploits, les actes de dévouement de cette noble famille depuis un siècle.
L'accusé, en effet, n'avait-il pas eu son bisaïeul tué à Crécy, son aïeul
otage en Angleterre pour le roi Jean, son père tué à Azincourt ? Lui-même ne
fut-il pas trouvé parmi les morts à Verneuil ? n'a-t-il pas sacrifié son
héritage pour se racheter ? Quel service ne peut-on pas attendre de ses
enfants ! D'ailleurs l'accusation porte plus sur des projets non encore
suivis d'effets que sur des actes : la conclusion incline donc à la clémence.
Maitre Richard Olivier de Longueil soutint l'accusation. L'arrêt fut rendu le
20 octobre : le duc est condamné à mort, comme convaincu d'alliance avec les
Anglais. Il fut dit en même temps que l'exécution serait différée ; que le
roi prendrait conseil des seigneurs et des magistrats ; qu'il ferait en sorte
de contenter tout le monde, et que les biens du duc seraient laissés à ses
enfants. Comme
le dauphin avait été compromis dans l'acte d'accusation, on ajouta qu'il n'y
avait nullement lieu de l'inculper, non plus que Jean, bâtard d'Armagnac, les
lettres sur lesquelles on se fondait ayant été reconnues pour apocryphes.
Cependant, dès que Louis apprit qu'il était soupçonné, il écrivit au
chancelier, aux membres du conseil et aussi peu après au comte d'Eu. Il se
lit même recommander à son oncle, le comte du Maine, par Geoffroy Levrault,
avec prière de parler pour lui. Le roi, informé de ces démarches, fit
répondre par Cousinot « que si le dauphin avait besoin de quelque chose, il
pouvait s'adresser directement à lui. » Louis n'hésite pas ; il remercie
humblement son père de ce qu'il lui a fait dire par Geoffroy Levrault en
présence de son oncle le comte du Maine. Il lui envoie donc Houaste, son
homme de confiance, « le suppliant qu'il lui plaise l'ouïr et même ajouter
foi à ce qu'il lui dira de sa part, comme s'il lui parlait lui-même ». De
plus il fait part à son père de la grossesse de la dauphine et quelque temps
après confirme cette nouvelle par une seconde lettre. Il ne paraît pas avoir
été répondu à ces ouvertures (13 décembre 1458). Alors
montait sur le trône pontifical, sous le nom de Pie II, Æneas Silvius
Picolomini ; homme habile, profond politique et surtout grand ami du duc
Philippe. Mais, malgré la déférence qu'il avait témoignée pour la France
pendant le concile de Bâle, sa nouvelle position lui imposait d'autres
devoirs, ainsi qu'il l'indique dans sa bulle de 1463 à l'université de
Cologne. Il ne devait pas plus favoriser Charles VII dans l'interprétation du
traité d'Arras que seconder les vues de la maison d'Anjou contre la maison
d'Aragon pour la royauté de Naples. Dans le commun malheur de la chrétienté,
les ambassades de France et de Bourgogne portèrent à la chaire de saint
Pierre leurs félicitations et l'expression de leur dévouement ; mais
celle-ci, conduite par le duc de Clèves, parut penser surtout à mettre la
couronne royale sur la tête de Philippe ; et celle-là semblait un peu trop
préoccupée des prétentions de René d'Anjou en Italie. Le duc
de Bourgogne tâchait cependant de se concilier la bonne volonté du roi ; il
lui écrivit, le 29 décembre, de la Haye, lui mandant que puisque Sa Majesté
désirait que Jean de Bourbon, évêque du Puy, fût pourvu de l'abbaye de Cluny,
non-seulement il se désistait de la poursuite de ce bénéfice, mais qu'il
écrirait pour celui-ci au saint-père, comme il venait de le faire auprès du
prieur et des religieux de cette abbaye. Cette satisfaction ne pouvait
balancer les autres griefs. Les conflits pour cause d'appel devant le
parlement étaient fréquents. On cite pour exemple un nommé Guillaume
Dubuisson, vassal du sire de Thil[27], seigneur de la châtellenie de
Cassel, qui avait tué un homme et pour cela fut arrêté. Il y eut d'abord
conflit entre le bailli et le seigneur. Celui-ci, d'accord, dit-on, avec le
duc, favorisa l'évasion du coupable. Le parlement voulut se faire juge du
conflit entre les deux autorités ; il prononça contre eux jusqu'à quatre
défauts ; puis il envoie pour poursuivre en mai 1458 le conseiller Jean
Beson. Ayant cassé le bailli avec amende et ordre de sortir des terres du
roi, il expédie avec une lettre vers le duc le conseiller du Bouchet.
Celui-ci part le 3 février 1459 avec l'agrément du roi, accompagné du
maréchal de Lohéac et de quelques officiers. Arrivé le 9 à Bruxelles, il est
présenté le lendemain au duc par l'évêque de Toul, et il explique l'objet de
sa mission. Le duc en parlera à son conseil ; niais il fait d'abord entendre
au conseiller que le pays de Cassel appartenait à la duchesse et non à lui ;
puis on le remit de jour en jour jusqu'au 24. Comme il se montrait peu
satisfait, on lui insinua « que le duc lui-même n'était guère content de la
cour, qui attirait à elle toutes les affaires ; qu'on savait très-bien les
mauvais propos qui se tenaient auprès du roi de France sur la maison de
Bourgogne ; que si Sa Majesté se fâchoit pour cela ou parce qu'on donnait
asile au dauphin, on saurait trouver des troupes, des armes et de l'argent. »
A cela, du Bouchet repartit assez fièrement « que le parlement usait de ses
droits ; qu'au lieu de s'en plaindre on l'en devait remercier : qu'au fait il
n'y avait nulle justice en Flandre ; que les juges, à l'exemple de leur duc,
mariaient les filles par force et donnaient leur appui à des causes
insoutenables. » Ainsi pendant plusieurs jours le conseiller fut ballotté par
l'évêque de Tournay entre les sires de Crin, de Créqui et autres personnages.
On conclut que Jean Dubois ne serait plus bailli de Cassel, qu'il ne
demeurerait plus dans les terres du duc, qui relevaient de la France, et que
le roi mettrait en liberté les filles de Dubuisson, lequel était mort à Paris
pendant la grande mortalité de cette année. Tout en
ayant l'air de réserver l'autorité du parlement, le duc avait, depuis deux
ans, institué un conseil privé, auquel on pouvait interjeter appel. C'était
un moyen de se passer facilement du parlement. Cette race allemande, plus
amie de la coutume que du droit écrit, avait peu de goût pour ces lointains
appels au parlement de Paris. A leurs yeux, « les Welches ou gens du midi[28], étaient paperassiers,
chicaneurs, méfiants. » Sur ce point le duc Philippe pensait comme eux, ce
qui devait parfois mettre le dauphin dans une situation embarrassante. « Il
était justement l'homme qui pouvait le mieux voir ce qu'il y avait de faible[29] dans le brillant échafaudage de
la maison de Bourgogne. » II sut garder prudemment le silence, se rendant
utile à ses hôtes et adoucissant autant que possible ses relations avec son
père. Voyant
les insistances du roi à l'égard du Luxembourg et des appels au parlement,
les reproches plus ou moins directs touchant le traité d'Arras et des
préparatifs de guerre menaçants, le duc Philippe envoya au roi le seigneur de
Chimay, Jean de Croy, sire Jean de Hollande et Toison-d'Or, avec ordre de se
plaindre de plusieurs infractions à la paix d'Arras. Pendant ce temps, pressentant
ce qui lui serait répondu, il écrivait au chancelier de Bourgogne, Nicolas
Raolin, d'aller à Dijon, d'y prendre en la chambre des comptes le texte même
du traité et des modifications qui y furent faites lors du mariage de feu
madame Catherine de France ; d'y ajouter ses propres réflexions, les mémoires
qui s'y rapportent et enfin les réponses qui pouvaient être faites aux prétentions
du roi. Muni de cet arsenal diplomatique, il serait prêt au besoin, à
soumettre cette affaire, suivant les articles mêmes du traité, au concile de
Mantoue par la bouche de ses députés ; concile où le premier coup devait être
porté à la pragmatique sanction. Charles
VII ne laissa pas échapper l'occasion de traiter les ambassadeurs du duc,
comme il l'avait fait du conseiller du Bouchet en Flandre. On leur répondit
que le duc se prévalait beaucoup trop de cette paix d'Arras ; qu'il la
violait lui-même tous les jours ; que depuis 1435 il y avait été fait bien
des changements ; on rappela, entre autres choses, que les officiers du
parlement qui allaient dans les États du duc pour l'exécution des arrêts de
cette cour, n'avaient guère à s'applaudir de cette mission : enfin que le
duc, sans en faire part au roi, venait de conclure une trêve avec les
Anglais, nos anciens ennemis. Ainsi
les dissidences étaient graves : quelquefois même on en vint aux voies de
fait, comme il arriva[30] pour l'affaire du sire d'Ailli,
vidame d'Amiens. Un heureux événement calma tout. Le 27 juillet, la dauphine
accoucha d'un fils à Namur. Le dauphin en fit part immédiatement à son père
par une lettre très-respectueuse et pleine de convenance, datée de Notre-Dame
de Halle. H eut soin d'écrire aussi aux évêques, aux grands corps du royaume,
même aux magistrats de Paris et de plusieurs grandes villes. La réponse du
roi, datée de Compiègne, 7 août 1459, et contresignée Beilhac, est ainsi
conçue : « Très-cher et très-amé fils, nous avons reçu les lettres qu'écrites
vous avez, « faisant mention que le re jour de juillet dernièrement passé,
notre très-chère et très-amée fille la dauphine fut délivrée d'un beau fils,
de laquelle chose nous avons été et sommes bien joyeux. Et nous semble bien
que, d'autant que Dieu notre créateur vous donne plus de grâces, d'autant
vous le devez plus louer et mercier et garder de le courroucer, et en toutes
choses accomplir ses commandements. » Le roi
ordonna des prières publiques. Les corps de l'État qui attendaient quelque
communication officielle pour se guider dans la réponse qu'ils devaient
faire, n'en reçurent point. Le duc témoigna sa joie en cette circonstance,
fit chanter un Te Deum, et ordonna quelques fêtes. Il fut parrain et madame
de Ravestein marraine. Il rapporta lui-même des fonts l'enfant sur ses bras ;
et pour cadeau à la jeune mère, il lui donna une vaisselle d'or et d'argent
et quelques belles étoffes. « Devenu père et comblé de marques de bonté[31], le dauphin se laissa aller à
l'attendrissement : il témoigna si vivement au duc sa reconnaissance, que les
yeux des courtisans se trouvèrent humides. L'étiquette n'eut pas le pouvoir
d'empêcher les larmes de couler. » L'enfant s'appela Joachim ; sa nourrice
fut une dame Anne de Boille. Malheureusement, il mourut peu de mois après, le
jeudi 20 novembre, et le dauphin en ressentit un profond chagrin. En
cette occasion, le dauphin fit solennellement un vœu de continence absolue
hors mariage. Malgré les insinuations malveillantes des historiens du
dix-huitième siècle nous ne pouvons douter de la véracité des chroniqueurs
contemporains et surtout de Co- mines. Or il dit positivement[32] que le vœu fut fait en sa
présence, alors qu'il arrivait comme page à la cour de Bourgogne, et que le
vœu fut tenu. Les quatre filles bâtardes que l'on tonnait à Louis on sait
qu'il les eut dans l'intervalle qui sépare ses deux mariages. Si nous
jetons un coup d'œil sur les affaires de France, cette année, peu marquée par
de grands événements, n'en est pas moins digne d'attention. Un arrêté du roi,
de Chinon, 19 novembre, envoie à Grenoble un clerc de la chambre des comptes,
nommé Daunes, pour y recevoir des receveurs domaniaux les états et mémoires
de tout ce qui pouvait être échu et dû depuis le départ du dauphin, preuve du
désordre qui depuis lors avait pénétré dans les finances. Plusieurs pièces,
d'ailleurs, et surtout la correspondance directe que Louis entretenait alors[33] avec l'abbé de Saint-Antoine de
Viennois, au sujet d'une rente transférée à ce couvent, prouve que le dauphin
n'était pas étranger à ce qui se passait en sa seigneurie. Le 5
novembre, à sa première entrée dans la ville de Gand, Louis, usant du droit
que lui donnait son titre de fils aîné du roi de France, donna des lettres de
grâce en faveur du sire de Rubempré, alors prisonnier et accusé de la mort
d'un nommé Jean Bernaffre. Le parlement ayant néanmoins condamné le prévenu
au bannissement et à la confiscation de ses biens, le prince protesta le 25
juin de l'année suivante contre cet oubli de ses droits. Il eut soin de citer
des exemples ; on avait vu le roi de Sicile, entrant à Saint-Pierre le
Moustier, délivrer les deux frères Jacques et Jean de Mont aigu, prisonniers
pour crimes. Les
Génois s'étant donnés à la France, Jean de Calabre avait été envoyé par
Charles VII comme gouverneur. Par acte de la fin de cette année, le roi lui
donna plein pouvoir de faire et traiter tout ce qu'il verra être avantageux à
la France. Mais dans des relations diplomatiques avec les Vénitiens et le duc
de Modène, auxquelles le roi prit part, il avait été question des droits de
la maison d'Orléans sur le duché de Milan. Le duc de Bretagne François II,
qui venait de succéder au connétable de Richemont, avait même déjà parlé de
faire valoir par les armes les dispositions testamentaires favorables à la
duchesse Valentine. On conçoit pour cette raison que la présence des Français
en Italie était fort peu agréable à François Sforze. Jean quitta bientôt son
gouvernement pour soutenir les droits de la maison d'Anjou sur le royaume de
Naples, et pendant son absence Gênes nous échappa, grâce à cette mauvaise
politique. L'affaire
du Luxembourg restait pendante. Le duc Philippe ayant à ce sujet et pour sa
satisfaction personnelle sur plusieurs autres points, envoyé au roi son
héraut Toison-d'Or, Charles lui répond de Rasily, 27 mars, en ces termes : «
Le roi a reçu les lettres que lui avez apportées de par Monsieur de
Bourgogne, et ouï ce que avez voulu dire, et aussi ce que avez fait ouïr en
son conseil. En tant que touche la journée, que Monsieur de Bourgogne
requiert être tenue à Paris le 15 juin prochain pour le fait du duché de
Luxembourg, le roi en délibérera avec son conseil, et fera savoir à Monsieur
de Bourgogne son vouloir ; mais au regard « des matières qui touchent ses
droits et sa souveraine justice il « n'a pas l'intention d'en journoyer. » Les
droits du parlement n'étaient guère mieux reconnus en Bretagne qu'en Flandre.
Jean d'Albret, seigneur de Thou, avait obtenu du parlement plusieurs arrêts
dans une question d'intérêts assez graves contre Guillaume de Malestroit,
évêque de Nantes. Celui-ci, appuyé du duc de Bretagne et surtout de la cour
de Rome, n'avait tenu aucun compte de ces décisions. H avait même sollicité
contre son adversaire, sa femme et ses enfants, des bulles d'excommunication
avec confiscation des biens à son profit. La cérémonie de l'excommunication
fut publiquement faite et publiée, sans égard aux arrêts de surséance obtenus
à Paris par Jean d'Albret. Le procureur général intervint donc de nouveau ;
et le 4 mai 1459, déclarant les procédures de l'évêque de Nantes abusives, contraires
à la souveraineté du roi et à l'autorité de la cour, les annule et ajourne
l'évêque à comparaître, faute de quoi il sera banni. Ces conflits étaient
fréquents et formaient une grande partie des difficultés du royaume. Nous
voyons que dans une autre affaire litigieuse de ce mème prélat, vers 1450, il
déclare que son église dépend du Saint-Siège directement et sans nul
intermédiaire[34] ; que même il décline
très-nettement la compétence du parlement et du roi. Pour
apprécier les plus tristes procès de l'époque, il faut sortir de France, et
jeter un coup d'œil sur les affaires des vaudois. En Picardie surtout la
persécution fut terrible. A Arras demeurait un inquisiteur de la foi, jacobin
et maître en théologie ; à sa requête fut arrêtée à Douai une jeune
femme nommée Deniselle. On l'accusait d'être vaudoise ainsi que Jean Lavite,
dit abbé de peu de Sens[35]. L'accusation venait d'un
vaudois nommé Robinet de Vaulx, né en Artois, qui pendant le chapitre des
inquisiteurs tenu à Langres, avait été brûlé comme hérétique. Ainsi par des
déclarations arrachées au milieu des tortures, les inculpations vraies ou fausses
amenaient des arrestations nouvelles. Ces malheureux accusés de vauderie
étaient sollicités par beaucoup de promesses à faire des aveux, et quand ils
y cédaient, on s'empressait, sans égard à ce qu'on leur avait promis, de les
livrer au bras séculier ; ils étaient alors brûlés, malgré leurs
réclamations, leurs désaveux et leurs cris, comme coupables d'hérésie
vaudoise, c'est-à-dire d'un pacte secret avec le démon. Or, nulle condition,
aucune situation de fortune ne mettait à l'abri d'un tel supplice ; parmi les
victimes on compta même des échevins d'Arras. La terreur faisait fuir les
villes ; et pour n'être pas accusé on ne savait où se cacher. Les
réclamations faites au duc de Bourgogne furent inutiles, car il n'était pas
sans en tirer quelque profit, ainsi que les juges. Quand l'autorité civile
voulut s'en mêler, elle ne fit qu'agiter les esprits, augmenter la confusion
des juridictions, et prolonger les désordres. Dans
ces jours d'ignorance, causés surtout par tant de désastres politiques, la
crédulité était excessive ; et les jongleries qu'elle encourageait ne
tournaient pas toujours, heureusement, au tragique. Il se passait peu
d'années qu'on ne fût vivement ému de quelque phénomène céleste ou autre. On
voulait voir partout du merveilleux. Ainsi, vers 1447, parut un jeune
Espagnol de vingt ans qui savait tout ; vrai prodige à dérouter la science de
tous les clercs. A Gand comme à Paris, il étonna tout le monde[36]. Il passa en Allemagne et
disparut. Mathieu de Coucy affirme le fait sur le témoignage de Jean de
Lolive. Il est vrai qu'on eût pu demander des témoins plus compétents ;
cependant l'université crut voir en lui l'Antéchrist, précurseur de la fin du
monde. Pendant
qu'on agitait ces questions politiques et religieuses les ambassades auprès
du duc Philippe, celle surtout de maître Richard de Longueil, évêque de
Coutance, avaient presque toujours une mission à remplir auprès du dauphin.
Le roi ne désespérait pas de le décider à revenir. On a conservé les paroles
prononcées par le prélat en pareille occasion, le 22 décembre 1459 : « Vous
avez toujours dit et fait savoir au roi que vous lui deviez honneur et
obéissance pour faire ce que bon fils doit à son seigneur et père ; qu'on
vous avait fait des rapports à l'occasion desquels vous aviez eu des
appréhensions et bonne cause de douter. Vous avez donc fait demander au roi à
demeurer en votre franchise encore un peu de temps, jusqu'à ce que ces
craintes fussent dissipées. Le roi nous a chargés de savoir de vous si ce
temps n'est pas encore passé... Le roi désire et a toujours désiré que vous
vinssiez vers, lui, même accompagné des gens de votre hôtel. Il désire vous
voir pour son plaisir et délectation, puis pour votre grand honneur. » Jean
Geoffroy, évêque d'Arras, répondit immédiatement pour le dauphin à l'évêque
de Coutance : « Louis aime son père de tout « son cœur ; il voudrait pour
beaucoup pouvoir l'aller trouver ; mais il sait que les personnes qui
entourent le roi, et qui presque toujours dominent ses meilleures intentions,
sont pour lui des ennemis acharnés. Peut-il en douter, après avoir vu toutes
ses offres rejetées, après le retranchement de ses pensions, l'envahissement
de ses États, quand il voit encore la persécution de ceux qui lui sont restés
fidèles ? Peut-on le blâmer de pourvoir à sa sûreté contre les artifices de
ceux qui le haïssent sans motif, lorsqu'autour de lui tant de princes ont
péri victimes des intrigues et des cabales ? Il regrette donc de ne pouvoir
répondre, sur ce point, à l'appel du roi. Mais, cela réservé, il fera
toujours et en toutes choses ce qui sera agréable à Sa Majesté. Plaise au roi
non le presser plus avant, mais le laisser respirer en sûreté, et avoir pour
recommandée sa femme selon l'espoir qu'il a d'a« voir lignée au plaisir de
Dieu[37]. » L'évêque
de Coutance prit congé avec Esternay et ses compagnons d'ambassade. Le 29
janvier suivant, le duc Philippe ayant à écrire au roi n'oublia pas de lui
dire qu'il avait tâché de satisfaire l'évêque son ambassadeur ; que même il
avait préparé de son mieux les moyens pour le succès de sa mission. Le
dauphin[38] prit soin aussi de remercier
son père des lettres qu'il avait reçues par l'évêque. Mais le roi peu
convaincu de la bonne volonté du duc se dépitait toujours de ce qu'il n'était
point question de retour. Vers le
même temps, le roi René (20 avril 1459) abandonnait au duc Philippe, pour sa délivrance,
plusieurs villes et terres qu'il possédait en Flandre, payait une grosse
somme et signait un traité qui fut ensuite un peu modifié. Le 6 du même mois,
par lettres de l'Ile-Bouchard, Charles VII fait don à Dunois des terres de
Parthenay, où le connétable de Richement avait habité. De Rasily, en mai, il
décrète une abolition pour ceux qui se sont abstenus de révéler les biens de
Jacques Cœur. En juillet il montre par ses instructions aux députés envoyés à
Modène, à Ferrare et à Venise et aussi par son accord avec les ducs
d'Orléans, de Bretagne et le comte d'Angoulême contre Milan, qu'il n'était
pas éloigné de s'immiscer dans les affaires d'Italie, comme plus tard on le
lit trop. Vers octobre 1460, le dauphin profite d'une occasion pour
recommander par écrit ses affaires « à ses chers et bien amés les « gens du
grand conseil de Monseigneur ». Certains
seigneurs de ce temps se croyaient tout permis. Depuis le 26 juillet 1458 le
roi avait donné ordre au procureur général de poursuivre Jean V, comte
d'Armagnac. Outre son mariage avec ra propre sœur il avait trempé dans un
complot avec les Anglais. C'est le 30 mai 1460 que fut rendu par contumace,
de la bouche du président Ives de Scépeaux, l'arrêt qui le déclare « atteint
et convaincu des crimes à lui imputés ; pour ce, le bannit à toujours du
royaume ; et déclare tous ses biens confisgués envers le roi ». Le comte
erra, dit-on, en Allemagne. Il ne fut accueilli ni du duc Philippe ni du
dauphin. Cependant
Charles VII n'oubliait point ses démêlés bourguignons. Le bailli de Vitry,
Thierry de Lenoncourt, avait reçu de lui mission de rechercher dans les
maisons princières d'Allemagne des titres pour s'éclairer sur l'affaire du
Luxembourg. Il recueillit, entre autres pièces, du duc de Bavière,
l'assurance qu'il ne se dédisait point de la garantie donnée par lui dans le
contrat. Le duc de Bourgogne, qui eut vent de ces démarches, en fit aussi de
son côté. Ses députés en Allemagne se plaignirent du roi ; et dans le mémoire
qu'il envoya sur cette affaire, il fit quelque allusion aux services par lui
rendus à la France, et aux reproches qui lui avaient été indirectement faits
au lit de justice de Vendôme. Le roi fit répondre à ce mémoire avec quelque
vivacité. Il décida que ces différends seraient soumis à la fin de juillet à
une assemblée réunie à Villefranche en Berry, où se trouveraient les comtes
de la Marche, du Maine, de Dammartin et autres seigneurs. Là il
fut en effet déclaré que dans les pays du royaume de France, les arrêts du
parlement devaient être exécutés ; qu'au besoin, quand il serait bien établi
que toutes les réclamations faites au duc de Bourgogne, ou à tout autre,
n'aboutissent pas, le roi devait, contre tout refus d'obéissance, procéder
par voies de fait. On fit donc au duc une réponse un peu sèche qui s'ajoutait
à une réplique apposée à chacun des articles de son mémoire. Ces discussions
pouvaient aboutir à une rupture. On préférait atermoyer, ainsi que l'on
faisait pour toute difficulté sérieuse. On se sentait à l'étranger et autour
de soi peu ou point d'amis. Le pape était, on le savait, assez mal disposé,
et bientôt son protocole du 9 décembre, touchant le temporel de l'évêque de
Tournay, en sera une preuve nouvelle. N'eût-on pas encore à enregistrer les
plaintes du Dauphiné à l'adresse du roi et du parlement contre plusieurs
extorsions et vexations ? Charles vit, du moins de ce côté, qu'il n'était pas
facile de donner à tous satisfaction. Le roi
avait peu de contentement autour de lui pour l'avoir cherché à une mauvaise
source. II semblait ne se pouvoir résigner à l'absence de son fils, et ne
voulait en rien faire aucune réforme autour de lui. A chaque occasion ce
sentiment se manifestait par des plaintes non justifiées. Ainsi en février de
cette année, en présence de son conseil à Bourges, donnant congé à Houaste,
qui était venu de la part du duc de Bourgogne pour parler d'affaire, et lui
avait aussi apporté des paroles fort soumises de la part du dauphin, le roi
dit de son fils : e Il est en âge de voir ce qui est sage ; d'avoir
connaissance de ce qui sied ou ne sied pas. Il peut donc penser qu'à rester
ainsi éloigné des événements et de mes bons sujets et vassaux qui ont si bien
aidé à mettre cette seigneurie sur pied, et cela sans vouloir se trouver avec
moi ni avec eux, il risque de ne pas leur être agréable. Ne le voyant pas,
comment auraient-ils en lui amour et confiance ? » Le roi
exhale surtout ses plaintes dans les lettres qu'il écrit à la fin de cette
année au duc de Bourbon. Il lui fait part de ses relations avec son fils ;
ses lettres, dit-il, se résument ainsi : « continuation de non vouloir venir
devers moi, et de soi donner en ma présence. » Il lui rend compte de la
mission de l'évêque de Coutances. Il a vu le prélat en particulier, pour
savoir si son fils ne lui aurait pas dit de bouche quelques paroles qui lui
donnassent espoir de le voir venir et de l'employer aux affaires du royaume,
« ce qui seroit la chose du monde dont il seroit le plus joyeux ». Mais il
n'en est rien. Le duc de Bourbon peut se souvenir de ce que le roi lui a
confié quand il fut prié d'aller auprès du dauphin. « Cependant son fils
aurait auprès de lui le plus bel état du royaume. Je désirerois bien, dit-il,
qu'il se donnât à moi servir et aider pour y acquérir l'honneur qu'il doit
désirer... quelle louange ne mériteroit-il pas s'il se vouloit employer au
bien de la chose publique ! ... » Il ajoute : « Je me serois bien gardé
de consentir à son absence ; car c'eût été donner crédit à l'erreur si
répandue que je ne voulois pas qu'il y vint. Loin d'être content de son
absence, il m'en a toujours déplu. Je fais ce qu'il devroit faire ; car il me
devroit réquérir de venir devers moi, et je le admoneste qu'il y vienne. » On
sait que tout cela n'était pas l'exacte vérité. Malgré
ses noires humeurs le roi laissait parfois entrevoir ses sentiments
paternels. Ainsi la dauphine s'étant hasardée à lui écrire, et l'ayant prié
d'ordonner main levée en faveur de la temporalité de l'abbaye de
Saint-Antoine de Viennois à laquelle elle portait un vif intérêt, il lui
répondit très-gracieusement de Bourges, le 23 mars. » Sa lettre commence
ainsi : Très-chère et très-sainte fille. » A l'égard de sa demande, il aura
soin que dans son conseil tout soit décidé pour le mieux. Il ajoute : « La
chose sera réglée en faveur de vos bonnes raison et justice. » Dans
son existence modeste et retirée, quoique le dauphin fût étranger à la
politique française, il ne cessait cependant d'attirer les yeux des plus
clairvoyants. Ainsi les Catalans révoltés contre l'Aragon imaginèrent de
solliciter son appui. Il leur fit dire de ne pas compter sur lui. Don Carlos,
dépouillé de la Navarre et battu à Estella par son beau-frère, envoya un
message au dauphin où il demande conseil et secours. Le 20 août Louis renvoya
le messager avec des lettres de condoléances. Il eut soin de ne rien
promettre, le comte de Foix, alors ami de Jean II, était un prince puissant
et pouvait devenir son allié. Dans le même temps ayant reçu, de François Sforza,
duc de Milan, la proposition d'une alliance, il y prêta l'oreille. Le traité
fut signé le 6 octobre 1460 et on s'y donne réciproquement des assurances de
secours. Louis se créait pour l'avenir un puissant allié ; mais on conçoit
que ce traité fît ombrage à la maison d'Orléans. Là est la cause de leur
aversion pour Louis XI. Le
dauphin recherchait aussi des amis sages et prudents : tel était le comte
d'Eu. Il avait reçu les ambassadeurs du duc de Bourgogne venus auprès du roi.
Le dauphin, en écrivant à son père, avait aussi écrit au comte. La réponse de
celui-ci est du mois d'octobre. Après avoir fait mention de la lettre du
prince et des ouvertures qu'elle renferme, il ajoute, comme un avis que son
âge l'autorise à donner au dauphin : « Mon très-redouté seigneur, il me
semble que le meilleur conseil qu'il puisse y avoir, et le mieux que vous
puissiez faire, c'est de vous recommander toujours humblement à la bonne
grâce du roi votre père, et en icelle vous tenir ; car en ce faisant et vous
réglant selon son bon plaisir, il n'est chose plus agréable à Dieu, et dont
nous tous, parents et serviteurs de monseigneur le roi et de vous, puissions
être plus joyeux. » Ce
temps d'exil devait être de toute façon pour le dauphin des jours d'épreuve
et de détresse. Comme gendre il était intéressé à la politique de Savoie :
déjà il avait envoyé auprès du duc et de la duchesse son féal conseiller et
maître d'hôtel, Pot Foulquier ; et il prie sa belle-mère de vouloir bien le
seconder pour le recouvrement, en tout ou en partie, des fonds promis. Ces
difficultés, bien que passagères, donnèrent lieu à des relations
diplomatiques avec la république florentine. Le dauphin écrivit donc à la
seigneurie une lettre datée du 24 janvier 1460, qui renferme une confidence,
presque une plainte, à l'égard de la Savoie. Mais ce différend fut
promptement arrangé. Il s'adresse de nouveau aux Florentins pour venir en
aide à son cousin Jean de Calabre, qui allait guerroyer en Italie. Sa lettre
est de Genappe, 10 mai, et leur demande de ne donner aux ennemis du prince,
son parent, aucun secours d'hommes ni d'argent[39]. On
conçoit aisément combien les relations du dauphin avec son apanage étaient
restreintes ; et même, par suite des persécutions qu'on ne manquait pas
d'exercer, le peu d'amis qu'il y conservait étaient obligés de se cacher. Le
roi avait cru pouvoir faire cesser toute plainte en diminuant les impôts. Il
se trompait. L'impôt, même un peu lourd, surcharge moins un pays, mis par l'ordre,
le commerce et l'industrie, en mesure de le bien payer, que le subside, même
faible, qu'on demanderait à un peuple dépourvu de ces avantages, et
nécessairement pauvre. En 1457, la recette du Dauphiné fut de 60.970 livres
16 sous 11 deniers ; en 1458, elle descendit à 52.264 livres ; et les années
suivantes elle se tint au même chiffre. Ainsi la somme baisse d'un sixième
dès qu'on &éloigne de l'époque où Louis gouvernait. Mais les abus qui
tendaient à disparaitre ayant repris racine, l'impôt du roi, tout faible
qu'il était devenu, parut plus onéreux que jamais. Les plaintes adressées
d'abord au conseil delphinal, montèrent plus haut. On réclamait contre les
usures des juifs, les corvées exigées par les gens de Vienne, les trop
fréquentes évocations en matière criminelle, le cours des monnaies trop
faible, et enfin contre la défense d'exporter des céréales. La véritable
plaie c'était l'absence d'une bonne administration trop tôt perdue. Dans le
conseil du roi toutes les fois qu'il s'agissait des affaires de Bourgogne
l'agitation était telle, que, suivant Mathieu de Coucy, Charles VII, en
certains moments, prenait le parti du duc Philippe pour éviter une rupture.
Il s'élevait toutes sortes de rumeurs inquiétantes aussi vite acceptées. En
septembre, on fit un jour courir le bruit que le bâtard de Bourgogne devait
passer en France déguisé. Vite, on donna au-delà de la Seine des pouvoirs
extraordinaires au maréchal de Lohéac et ordre de l'arrêter. Il ne vint point
qu’il ne fut pas découvert. Si la
vie du dauphin était politiquement inoccupée en Brabant, du moins il y
passait ses jours en repos. L'époque des rouelles de la dauphine approchait.
En avril, il envoya Honaste en France chercher d'habiles femmes pour cette
circonstance. Le roi permit à celui-ci d'emmener celles qu'il trouverait à sa
convenance. Anne de France vit le jour peu de temps après. « Pour le duc
Philippe[40], la naissance de cet enfant fut
une occasion de demander aux états d'Artois, qui aimaient à chicaner sur les
budgets, une aide beaucoup plus considérable que de coutume. On ne lui
accorda guère que la moitié du surcroît qu'il eût voulu. » La
politique étrangère et celle de son voisinage vinrent s'ajouter aux
tracasseries profondes que le roi ressentait, poussé comme il était en sens
divers par ceux dont il suivait les conseils. L'hiver se passa en
négociations importantes entre le comte de Charollais et lui. C'est déjà un
effacement du duc Philippe. Le comte voulait surtout écarter des conseils de
son père les Croy qu'il détestait. On a même cru qu'il avait pensé à s'en
défaire, tant cette haine était violente. Il imagina d'envoyer le comte de
Saint-Pol à Bourges auprès du roi, pour s'assurer une retraite et signaler
ses ennemis comme dévoués au' dauphin. Saint-Pol expliqua au roi les sujets
de rancune du comte de Charollais : « Il s'ennuyoit de l'oisiveté, dit-il ;
son but seroit de prendre part à la guerre prête à éclater contre les
Anglais. » Le roi
tint conseil en présence de l'envoyé. On y décida que le comte de Charollais,
s'il venait, serait bien reçu ; que rien n'était résolu touchant les secours
à envoyer à la reine d'Angleterre : que si on se décidait à diriger une armée
au-delà du détroit, on lui en donnerait volontiers la conduite. Telle fut la
première pensée ; mais le roi était hésitant, et on ne donna point de
décision par écrit. Le
comte de Charollais ne trouva pas cette réponse assez claire et demanda
quelques explications. Pour cela on envoya le sire de Genlis, qui revint avec
des lettres du comte de Saint-Pol, et point du comte Charles. Le sire de
Genlis repartit encore, pour ne revenir qu'à la Saint-Jean. Le roi se défiait
d'un piège. Il pensait que tout ce mécontentement du comte de Charollais et
toutes ces ouvertures n'étaient « qu'une comédie concertée entre le père et «
le fils. » Il y
avait toujours entre le roi et le duc de Bourgogne quelques griefs plus ou
moins vifs. Les meilleurs conseillers du roi lui représentaient que « contre
tout droit et toute convenance, ni ses ordonnances ni ses arrêts n'avaient
aucun cours et n'étaient point admis dans les pays de la domination du duc. »
On ne manquait pas d'ajouter qu'il montrait plus de sympathie aux Anglais
qu'à la France. On avait su qu'au moment où le jeune Édouard, fils de
Marguerite, allait épouser sa petite nièce, fille du roi d'Écosse, le duc,
loin d'être favorable à ce mariage, avait envoyé une ambassade en Écosse pour
le rompre. Encore tout récemment, dans un chapitre de la Toison-d'Or tenu
solennellement, il serait fait proclamer par le docteur, chargé de porter la
parole, que le duc d'Alençon avait été condamné à Vendôme sans être coupable.
On concluait à une déclaration de guerre. D'un autre côté le duc Philippe
répondait poliment à la prière de diriger le dauphin vers la France ; mais il
n'admettait pas qu'on eût des reproches à lui faire pour cette réception. Le roi
était déjà malade. Il avait été question de voies de fait contre le sire de
Croy, comme d'une possibilité. Alors Charles voulut donner une réponse
catégorique ; il dit et fit écrire en propres termes par Jean Bureau « que
pour deux royaumes comme le sien, il ne consentirait pas à un vilain fait ». On voit
au milieu de quelles méfiances, de quels soupçons et de quelles intrigues
vivait Charles VII. Sa prudence eut toujours à lutter, sur la fin de sa vie,
contre ses mauvais conseillers, tant il est vrai que Louis avait raison de ne
pas s'y fier. « Le sire de Giac, le Camus de Beaulieu, la Trémoille et
le comte du Maine possédèrent entièrement Charles l'un après l'autre[41]. On sait quel fut le sort des
deux premiers. Les princes qui tirèrent la Trémoille d'auprès du roi
délibérèrent longtemps s'ils le feraient mourir. Il n'était pas si aisé de
détruire le comte du Maine ; outre sa qualité de prince du sang et de
beau-frère du roi, c'était un courtisan habile, toujours bien avec la belle
Agnès et la dame de Villequier ; et il semblait prendre moins de part aux
affaires qu'aux plaisirs du maître. » Le
dauphin désirait ardemment trouver un moyen de punir Mme de Villequier de ses
cabales et d'affaiblir l'influence qu'elle avait sur le roi. Pour cela il
imagina une ruse qui ne réussit qu'imparfaitement. Dans une lettre, datée de
Genappe, 10 août Iri9, et tracée de sa propre main, lettre qu'il parut
adresser à un des membres du conseil, mais destinée à être perdue par le
cordelier qui en était porteur, afin qu'elle fût mise ensuite mystérieusement
sous les yeux du roi, il écrit de manière à laisser entendre que la dame de
Villequier serait avec lui en relation de lettres. Il a même soin d'y
mentionner des choses que seule elle pouvait bien savoir. La faire supposer
coupable de perfidie était tout ce qu'il désirait ; car il savait comment il
était desservi par elle auprès de son père. Dammartin, lui-même, s'y trouvait
compromis[42]. Dans cette pièce, citée par
Pierre Mathieu, on lit : « J'ai eu des lettres du comte de Dammartin que je
feins de haïr. Je vous prie, qu'il me serve toujours bien en la forme et
manière qu'il m'a servi par devant. Je nenserai aux matières de quoi il m'a
écrit, et bientôt il saura de mes nouvelles. » On
signalait deux partis bien distincts dans le conseil du roi ; celui des
comtes du Maine et de Foix, et celui du comte de Dammartin. A tout moment il
courait de faux bruits qui répandaient l'alarme autour du roi et le
remplissaient de terreur. Tantôt c'était la présence à Paris pendant toute
une journée d'Antoine de Bourgogne, venu incognito. Le maréchal de Lohéac
envoyé dans la ville pour faire des recherches ne découvrit rien. Tantôt
c'était la trahison présumée de quelqu'un de ses serviteurs : ainsi on
soupçonna la fidélité du prévôt de la ville, sire Robert d'Estouteville. Le
maréchal s'empressa de le destituer et de le mettre à la Bastille. Un
conseiller du parlement, chargé de faire de minutieuses recherches dans ses
papiers, n'y trouva rien de suspect, et on ne lui fit pas son procès.
Toutefois le roi ordonna une enquête pour s'assurer si les Bourguignons
n'avaient pas dans Paris un parti puissant. Cependant• Charles VII ne songea
jamais sérieusement à substituer son second fils aux droits de l'aîné. On en
a pour preuve son refus, l'année précédente, d'appuyer le mariage projeté de
Charles de France avec Isabelle de Castille, parce qu'on exigeait qu'il eût
la Guienne en apanage. Du reste il ne se faisait pas illusion sur
l'incapacité de ce prince. Par
suite de cette agitation perpétuelle, le roi se sentait atteint d'une
vieillesse précoce. Sa maladie s'aggravait de jour en jour et était mêlée
d'une sombre mélancolie. On a considéré ses souffrances longues et
prématurées comme une expiation de ses frivolités. Il en vint même à prendre
l'existence en aversion. Ceux qui l'entouraient, frappés des progrès du mal
pensèrent aux conséquences imminentes qu'il pouvait avoir. Le danger de mort
était évident ; ses conseillers firent une déclaration collective de leurs
sentiments dévoués à l'égard du roi et du dauphin, manifestation qui devait,
dans leur pensée, prévaloir sur tous les bruits en circulation. Ils jurèrent
en même temps que « si le roi revenait à la santé, ils se réconcilieraient
avec le dauphin, qu'ils ne conserveraient ni rancune, ni même souvenir des
différends qui avaient souvent divisé le conseil », Ensuite,
mettant de côté tous leurs dissentiments, ils s'accordèrent, le 17 juillet, à
donner au dauphin des nouvelles du roi, à lui faire pressentir sa fin
prochaine, et aussi à lui donner un témoignage de leur fidélité. Ainsi, d'un
commun accord, ils rédigèrent une lettre informant Louis que « depuis
aucun temps en deçà, certaine maladie était survenue au roi ; qu'il avait
d'abord eu une dent malade ; qu'il s'en était écoulé beaucoup de matière ;
que la dent avait été arrachée ; qu'enfin comme le mal persistait, ils
croyaient devoir l'en prévenir. » Les signataires de cette pièce sont Charles
d'Anjou, Gaston, Guillaume Juvénal chancelier, Jean Coustain, de Laval,
Aménion de Lebret ou d'Albret, Antoine de Chabannes, Jehan d'Estouteville,
Machelin Brachet, Tanneguy du Châtel, Jean Bureau, Guillaume Cousinot, Pierre
Doriot et Chaligant. On y voit toutes les nuances des partis qui divisaient
la cour. Il n'y manque que la signature de la dame de Villequier ; car c'est
bien elle qui resta jusqu'à la fin, quoique dans une chronique on lise ce qui
suit à l'occasion de la mort d'Agnès : « Dieu la prit hors de la main du roi
perdu pour elle[43], mais il ne prit pas au roi le
courage de persévérer en cet abus. Elle morte en vint sus une autre, nommée
la demoiselle de Villequier, nièce de ladite Agnès ; et puis encore après
celle-là en vint une tierce qu'on appelait Madame la régente... puis, pour la
quatrième, une fille de pâtissier, laquelle fut appelée Madame des Chaperons,
parce que, entre toutes autres femmes du monde, c'était elle qui le mieux
s'habillait d'un chaperon. » Le
malicieux chroniqueur n'a pas voulu, sans doute, suivre l'ordre chronologique
; car il paraît certain que madame de Villequier a conservé la faveur du roi
jusqu'à la mort de celui-ci. Cette femme ne pouvait paraître sous le règne
qui allait commencer. Sa ressource fut de passer en Bretagne à la cour du duc
François II, de qui elle eut encore quatre enfants. Là elle continua à jouer
un certain rôle, et à susciter des vengeances contre la France. Sous Louis XI
la reine fut réellement reine, et ne connut jamais de rivale. Non-seulement
Gaston IV, comte de Foix, signa la lettre (les autres conseillers du roi,
mais comme il avait été tenu (les propos qui touchaient son honneur, il crut
devoir justifier sa conduite par un long mémoire. De Tours, le 6 août 1461,
il l'expédia à Genappe par un homme digne de sa confiance[44]. En répondant à des
observations qui lui ont été faites par Bardon et Janot du Lion, il prend
Dieu à témoin, et par tous serments imaginables, qu'il n'a ligue ni serment
avec seigneur ni personne qui vive de ce royaume, excepté avec le comte
d'Armagnac, qui était assuré des bonnes grâces du roi. Ils avaient juré, dans
le cas où le roi reviendrait en santé, de faire tout le possible pour le
rétablissement, de la concorde entre le père et le fils. De très-bonne grâce
le comte du Maine s'était prêté à cet engagement pris entre tous. Depuis lors
il n'a fait ligue avec personne ; et « si le roi trouve le contraire ; il se
résigne à toute punition ». Le
comte entre dans les plus minutieux détails pour expliquer au roi les allées
et venues en Angleterre et en Espagne qui ont pu être observées. Dans la
triste situation où était la reine Marguerite on prenait tous les moyens
possibles de communiquer avec elle. On voit que deux députés, de Jauly et
Carbonnel, envoyés par Charles VII dans le pays de Galles, pour répondre à la
reine, réduite aux plus dures extrémités, étaient revenus sans l'avoir vue,
qu'alors Sa Majesté en avait envoyé d'autres en Écosse pour disposer le roi
et le pays à donner aide et protection à la reine et à son fils. Gaston avoue
avoir parlé au roi Charles VII de la connétablie, alors vacante, « mais il ne
fut nullement question du duc « de Bourgogne, ni du dauphin, ni surtout de
courir sus à l'un « ou à l'autre. » Sur son âme il déclare que ce soupçon est
une calomnie. Dans ces tristes moments le comte du Maine se montra aussi
animé d'un sincère désir de réconciliation. Le roi,
entièrement dominé et découragé par le mal, refusait toute nourriture. Il
cessait d'écouter les conseils et ordonnances de maître Adam Fumée, son
médecin. Le bruit ayant couru dans le palais qu'on voulait l'empoisonner, il
le crut immédiatement et fut pendant quinze jours obsédé de cette crainte,
tant son esprit était affaibli ! On croit même qu'il donna l'ordre de
mettre son médecin en prison. Enfin, au milieu des serviteurs qui lui étaient
restés fidèles, ayant surtout à ses côtés Charles, comte du Maine, son
beau-frère, Tanneguy du Châtel et Antoine de Chabanne, il expira à
Meung-sur-Yèvre, un mercredi 22 juillet, âgé de cinquante-huit ans. Quand
un homme, et particulièrement un roi, n'a plus à compter qu'avec Dieu, les
jugements d'ici-bas doivent être remplis d'indulgence ; mais le louer ou le
justifier en vue de noircir son successeur serait une grande injustice.
Plusieurs historiens insistent sur les quinze années d'absence du dauphin,
sur la mortelle tristesse que le père en ressentit, et sur ce qu'ils
appellent la haine de son fils. Dans le cœur de Louis il y eut un regret
profond de la faiblesse du roi, une juste défiance de ceux qu'il savait être
ses ennemis, mais de haine pour son père il n'en montra jamais. On le voit au
ton toujours respectueux de ses lettres et de ses instructions diplomatiques. Si
Charles VII fut regretté, c'est qu'on voulut bien ne penser ni à la reine, si
digne d'une plus solide affection, ni aux légèretés de sa vie ; ni à son
ingratitude envers Jeanne d'Arc, qu'il laissa brûler sans rien tenter pour la
sauver, et envers Jacques Cœur qui l'avait secouru en sa plus grande détresse
; et même envers Agnès qu'il parut avoir si tôt oubliée. Il se
fit, il est vrai, de grandes choses pendant son règne et la gloire lui en
resta. Peu de souverains eurent jamais des sujets plus fidèles ; avec raison,
on l'a nommé le Bien servi. Il trouve comme sous sa main d'intrépides
guerriers pour chasser les Anglais ; d'habiles et laborieux hommes de loi
pour procéder à la rédaction des coutumes et à la réforme de la justice.
L'université, qui venait de perdre en 1429 le sage Gerson, s'unit au clergé
et au parlement pour limiter avec plus de précision les droits des deux
puissances, temporelle et spirituelle ; et grâce aux lumières et à l'activité
de tant de coopérateurs distingués dans toutes les branches de
l'administration, l'ordre se rétablit peu à peu ; les campagnes furent moins
dévastées par les gens de guerre ; l'autorité du roi se fit sentir partout,
même dans la réforme de l'abbaye de Cluny. Il fallait, cependant, que son
pouvoir eût encore bien peu de prestige pour qu'on pût dire a que comparée à
la maison de Thouars, la « royauté de France elle-même semblait bien pauvre[45] ». Son
plus beau triomphe fut de voir les Anglais réduits, après avoir occupé tant
de nos plus riches provinces, à ne plus posséder en France que Calais. Leur
guerre civile nous vengeait du sang français versé à Crécy, à Poitiers et à
Azincourt. Mais tandis que nos rivaux d'outre-mer s'affaiblissaient, il se
formait à nos côtés une nouvelle puissance qui pouvait devenir plus
redoutable, si elle avait eu le temps de se bien connaître. Louis XI y mit
ordre. On doit
au règne de Charles VII trois bonnes innovations : d'abord la réforme
financière, inaugurée par Jacques Cœur ; puis l'institution de la haute
justice prévôtale alors que Charles sentit que la police était un de ses
devoirs de roi ; enfin la loi sur l'institution militaire ; la discipline de
l'armée, l'investiture légale du commandement, la création des compagnies
d'ordonnance et des francs-archers ; loi due en partie au ministre Pierre de
Brezé et dont l'exécution, toute incomplète qu'elle fut, donna une nouvelle
force à l'armée, et montra la confiance du roi dans la nation. Malgré son peu d'inclination à la gratitude, Charles VIE récompensa la Rochelle, Issoudun et plusieurs autres villes de leur dévouement à sa cause. Obligé par la guerre à se procurer de l'argent par toutes sortes de moyens, il essaya ensuite d'atténuer par ses lettres les pertes que le changement des monnaies avait fait subir à bien des fortunes. Il ne put avoir de marine. Le commerce dans nos ports ne fut quelque peu alimenté que par les vaisseaux italiens ; mais il consacra le droit des neutres. Malheureusement il donna à tout son peuple les plus scandaleux exemples d'immoralité. « Depuis qu'il eut reconquis son royaume, il mua ses mœurs « et enlaidit sa vie[46]. » On a dit encore de lui que « nul frein ne retint son goût pour les lâches plaisirs[47]. » C'est une flétrissure sur cette vie pleine de gloire. |
[1]
P. Mathieu.
[2]
Chorier, p. 400.
[3]
Amboke, Octobre 1461.
[4]
Pièces de Legrand.
[5]
Legrand.
[6]
De Sainte Pélaye.
[7]
Legrand.
[8]
Legrand.
[9]
Chorier.
[10]
Legrand.
[11]
Édition de Denis Sauvage de 1528.
[12]
Petitot.
[13]
Legrand, t. IX, folio 188.
[14]
Pièces de Fontanieu, t. 123-124, année 1457.
[15]
Pièces de Fontanieu.
[16]
Dom Vaissette, t. V, c. XXXV, page 22.
[17]
Dom Vaissette.
[18]
Dom Vaissette.
[19]
Reiffenberg.
[20]
L. II, chap. Ier.
[21]
Reiffenberg.
[22]
Legrand.
[23]
P. 217.
[24]
Chronique martinienne, folio 289.
[25]
M. Genil.
[26]
Fontanieu.
[27]
Barante, t. VIII.
[28]
Michelet, t. V.
[29]
Michelet, t. V, p. 386.
[30]
Barante, t. VIII, p. 206.
[31]
Baron de Reiffenberg.
[32]
Comines, ch. VIII.
[33]
24 juin 1459.
[34]
Gallia Christiana.
[35]
Duclercq.
[36]
Fontanieu.
[37]
Fontanieu.
[38]
Bruxelles, 29 janvier 1459.
[39]
Archives d'État, reformagioni, classe X.
[40]
Reiffenberg.
[41]
Legrand.
[42]
Chroniques martiennes, folio 306, recto.
[43]
Châtelain.
[44]
Pièces de Legrand.
[45]
Pierre Mathieu, p. 145.
[46]
Monstrelet.
[47]
Laurentie.