Le comté de Cominges
et le Languedoc. — Étude du midi, guerre au nord. — Le dauphin à Dieppe. — Le
dauphin et Bernard Barrière. — Mariage de Henri VI avec Marguerite d'Anjou. —
Expéditions de Metz et de Zurich. Mauvaise foi de l'empereur Frédéric III. — Mort
de Marguerite d'Écosse. Ministère de Brezé. — La reine ouvertement dédaignée.
— Agnès Sorel. Naissance de Charles de France. — Une coutume de Toulouse. —
Évêchés en commende.
Le
dauphin retourna en Languedoc. Déjà, selon Legrand, quoiqu'il fût encore bien
jeune, il avait eu à remplir dans le Poitou une mission fort délicate contre
les tyrans subalternes qui opprimaient le pays par abus de leur titre
seigneurial, et il y avait fort bien réussi. Là il fut à même d'étudier à
fond les prétextes dont les seigneurs couvraient toujours leurs empiétements
sur l'autorité royale et sur la liberté des peuples ; là aussi il apprit à
détester toutes ces tyrannies. Il avait avec lui l'évêque de Laon, Guillaume
de Champeaux, général des finances, Guillaume Gouge, évêque de Poitiers et le
sire d'Estissac. A ceux-ci se joignirent l'archevêque de Toulouse, Pierre du
Moulin, l'évêque de Béziers, Guillaume de Montjoie et le vicomte de Carmain.
Il fit son entrée à Toulouse, non le 25 juin, comme l'a cru Lafaille, mais le
2Zi mai, lundi de la Pentecôte. Il reçut alors pour son usage des draps d'or
et de soie, qui lui étaient expédiés d'Avignon. Son gouverneur, le comte
Bernard de Pardiac, frère puîné de Jean IV d'Armagnac, était son principal
conseil. On
tonnait le comte de Pardiac, qui joue ici un rôle important. Le maréchal de
Sévérac le fit son héritier, et, pour lui, contracta mariage par procuration
en 1424 avec Éléonore, tille unique de Jacques de Bourbon, comte de la Marche
et roi de Hongrie. Les deux jeunes époux étaient mineurs. De son côté,
Jacques de Bourbon épousa en secondes noces Jeanne II, dite Jeannette, et
régna avec elle à Naples (1415). Il n'y put rester. On sait que l'inconstante
Jeanne II, après avoir épousé Jacques de Bourbon, appela en 1420 Alphonse V
contre Louis III, duc d'Anjou ; qu'ensuite elle se raccommoda avec Louis
contre Alphonse, puis avec Alphonse contre Louis ; et qu'en définitive elle
adopta par testament René d'Anjou en 1435, époque de sa mort. La maison
d'Anjou ne réussit pas mieux à succéder à Jeanne II qu'à Jeanne ! De
retour en 1419, et déchu de deux trônes, Jacques fonda deux places de moines
dans le monastère de Saint-Antoine de Viennois. Il voulut qu'une cloche du
poids de 8.000 livres, dont il fit cadeau à l'abbaye, sonnât chaque jour
autant de coups qu'il avait d'années. De plus, il s'obligea à porter, la
veille et le jour de Saint-Antoine, une petite potence avec une clochette
d'or du poids d'une once, et il voulut que ses successeurs en fissent autant.
Sa suprême volonté fut « d'être inhumé auprès de sa révérende et benoîte sœur
Colette, mère et réparatrice de l'ordre de Sainte-Claire ». Il mit les
couvents qu'il aimait sous la protection de ses héritiers, et il légua sa
fortune à sa fille Éléonore, comtesse de Pardiac. Il lui substitua, au
besoin, Jacques, fils aîné de celle-ci, à condition de porter son nom et ses
armes, comme comte de la Marche et de Castres. Il mourut sous l'habit de
Saint-François, le 24 septembre 1438. Bernard de Pardiac, gendre de Jacques,
lui succéda du chef d'Éléonore, son épouse. Quand
le dauphin fit son entrée à Toulouse, « les capitouls, dit Legrand, le
reçurent à Palficat et le complimentèrent à cheval. Ils ne mirent pied à
terre qu'à la porte de la ville, d'où on le conduisit sous un dais jusqu'à
l'église de Saint-Sernin. » Sur les 6.000 liv. qui lui avaient été octroyées
par les états, il en donna 300 au vicomte de Carmain pour quelque service
rendu, et 250 à l'archevêque de Toulouse. Pendant son séjour en cette ville,
ayant été informé qu'une lèpre dite capoterie, fort grave maladie, se
répandait, il prit des mesures pour empêcher autant que possible toute
communication de ceux qui en étaient atteints avec les autres habitants. Il
apprend à Lavaur, par des lettres de l'évêque de Laon, que les anciens
routiers Rodrigo et Gui, bâtard de Bourbon, qui avaient fort bien secondé
Pothon de Saintrailles contre les Anglais, s'étaient remis à désoler le pays
; il traite avec eux et les éloigne moyennant 3.000 écus d'or. En vue du même
but, il envoie des commissaires demander aux états du Gévaudan une taille qui
devra préserver ce pays des mêmes dévastations. Les routiers remirent même
les places du comté de Cominges qu'ils occupaient aux deux compétiteurs
Mathieu de Foix et Jean d'Armagnac, qui se le disputaient. « Ainsi, dit
Legrand[1], le dauphin était tantôt à
Alby, à Lavaur, à Toulouse, tantôt à Castres, à Béziers, tâchant de gagner
tout le monde, parce qu'il ne trouvait de ressource que dans la bonne volonté
des peuples. » Les troupes se transformaient en bandes d'aventuriers : malgré
l'ordonnance de guerre, elles parcouraient le pays, pillant partout et
massacrant ceux qu'elles auraient dû défendre. La peste et la famine étaient
générales. Le dauphin avait tous les fléaux à combattre, et il devait
résister à tous ennemis du dehors et de l'intérieur. A Condom et ailleurs il
faisait des concessions pour favoriser le commerce. Mandé
par son père, il partit de Toulouse à la fin de juillet, avant l'époque où il
avait ajourné Mathieu de Cominges. Mais il apprend, le 29, que les Anglais,
sous les ordres de Hudington, avaient débarqué à Bordeaux, et allaient faire
irruption dans le Languedoc ; il s'arrête donc. On voit qu'il reçoit là, le 4
août, deux faucons du vicomte de Roquebert. Ayant fait part des circonstances
présentes, à son père qui était en Brie, il reçoit du roi l'ordre « de
pourvoir d'abord à la défense du pays et de partir ensuite pour venir le
rejoindre ». On le voit dans l'Albigeois le ter septembre. D'après le conseil
du sire d'Albret et des autres capitaines, il ne se contente pas de pourvoir
à la sûreté des frontières de Guienne ; il mande le 5 septembre au sénéchal
de Toulouse d'assembler les milices du pays et de se trouver à Albi quinze
jours après. Il parait même, d'après les registres de la sénéchaussée de
Nîmes[2], que le dauphin renouvela à
Toulouse, le 20 septembre, l'ordre donné à « la noblesse et aux communes de
s'assembler « pour marcher contre les Anglais, et de se trouver à
Toulouse huit jours après ». On voit le dauphin à Lautrec le 29
septembre ; le 9 octobre à Castres, il réunit les états et en obtient pour la
guerre 46.000 livres tournois.Il envoie Raymond de Villars, sénéchal de
Beaucaire, avertir le comte de Foix de se tenir prêt à marcher. A Albi, le 13
octobre, il établit le comte de Foix, le vicomte de Lomagne, fils aîné du
comte d'Armagnac et le sire d'Albret, capitaines contre les Anglais. Le 16
octobre, par lettres authentiques d'Albi, il ordonne à tous les sénéchaux et
capitaines des villes et châteaux des pays de Guienne, Quercy, Agenois et autres,
de fournir « à son cher et amé cousin le sire d'Albret, tout ce qui lui
sera nécessaire pour résister aux ennemis. » Cependant
les négociations ouvertes à Saint-Omer avec les Anglais traînaient en
longueur. Nos adversaires exigeaient de grands sacrifices. Afin de savoir ce
qu'on en pense, le roi convoque les états généraux à Orléans[3] pour le 15 octobre. Cette
assemblée est remarquable ; le roi, le dauphin aussi sans doute, la reine de
Sicile Yolande, sa belle-mère, le duc de Bourbon, le connétable, les comtes
d'Eu, de Dunois, de la Marche, de Vendôme, et Pierre de Bretagne y assistèrent,
et en outre les délégués de Paris et des bonnes villes[4]. Le chancelier Raynaud de
Chartres, au nom du roi, déplora les maux de la guerre, et exposa l'état où
en étaient les négociations de Saint-Omer. On y entendit[5] Jacques Juvénal des Ursins
déclarer que « le roi n'étant qu'usufruitier ne pouvait rien aliéner du
domaine royal ». On conclut, malgré une forte opposition, à la continuation
des négociations et aux moyens de délivrer le duc Charles d'Orléans. Il y
eut, dit-on, quelques plaintes sur l'impôt levé d'office ; auxquelles, selon
Monstrelet, il fut répondu que « pour le roy ne estoit jà nul besoin
d'assembler les trois estats pour mettre les susdites tailles », de crainte
d'imposer une charge de plus au peuple. Les sessions devaient se continuer à
Bourges au mois de février suivant, mais le roi n'y vint pas : plusieurs des
députés, qui s'y étaient rendus à leurs risques et périls, en murmurèrent
avec raison. Vers le
même temps, on eut en Bretagne un sinistre spectacle. Un des grands barons du
pays, le maréchal de Retz, Gilles, seigneur de Laval, fut brûlé vif en
présence d'une foule innombrable. Cet homme de guerre avait eu une belle
carrière militaire : il avait emporté l'épée à la main les châteaux du Lude,
de Mali-corne et autres places ; il avait marché à côté de la Pucelle à
Orléans et à Jargeau ; il avait conduit l'armée du roi à Reims ; on l'avait
vu à la tête de nos troupes à Sillé-le-Guillaume : mais, rentré dans la vie
privée, il paraît qu'il eut la plus étrange conduite, dépensant tout ce qu'il
avait par un luxe incroyable, réunissant la débauche aux plus cruelles
superstitions, et même, s'il en faut croire ses aveux, dus à la torture,
mêlant certaines pratiques de dévotion à un pacte odieux avec l'enfer. Il fut
condamné à mort pour nombreux homicides, en 1440, par un tribunal que présida
Pierre de L'Hospital, sénéchal de Bretagne. Peut-être fut-il victime de
quelque sourde vengeance. C'est un des événements qui font connaître le XVe
siècle. Toutes
les mesures du dauphin dans le midi sont sages et efficaces. Après son départ
et après la campagne de Guienne contre Hudington, les routiers rentrent dans
la sénéchaussée de Toulouse, et la ravagent. Le roi, par lettres de Nîmes, 5
janvier, « ordonne aux sénéchaux de Rouergue, de Toulouse, de
Carcassonne et de Beaucaire de les engager à sortir de la province, sinon de
les forcer par les armes ». C'est toujours le même style officiel. On voit
fort bien aussi que l'ordonnance sur les gens d'armes n'était nullement
observée. Selon
M. de la Guérinière[6], c'est le 12 décembre 1439 que,
par lettres patentes du roi, le dauphin est envoyé à Niort pour mettre fin
aux exactions des gens du fisc et des seigneurs voisins, dont cette bonne
ville se plaignait. On le sait, le dauphin remplit fort bien cette mission,
qui d'ailleurs ne paraît pas avoir été sans connexité avec les intrigues qui
se disputaient le pouvoir à la cour. Le 16
mars, les états de Narbonne, après plusieurs convocations, se tiennent enfin.
Ils votent 16.000 livres, afin de pourvoir aux sommes qu'on devait aux
capitaines des routiers, aux seigneurs d'Uzès, de Florenzac et autres qui
avaient pris les armes contre eux, et au comte de Lomagne, comme capitaine
général en ce pays. C'est de Saint-Maixent, en Poitou, 10 mars, que le roi
écrit aux chefs routiers du Languedoc, pour les engager à le servir dans la
ligue des seigneurs dite de la Praguerie, et ainsi appelée par dérision et
par allusion à la guerre des hussites en Bohême. La
Trémoille était relégué. D'autres gouvernaient et avaient les faveurs du roi,
particulièrement le sire de Brezé, sénéchal d'Anjou, Charles du Maine, frère
de la reine, et le connétable. Outre le motif de jalousie, il y avait des
griefs, causes de mécontentement. On disait que le roi laissait tout aller au
gré d'une femme, qu'ayant convoqué les états à Bourges, il ne s'y était ni
rendu ni fait représenter ; que ceux qui avaient cru devoir y aller avaient
été en route pillés, et fort maltraités par les gens de guerre. On trouvait
excessive la sévérité de l'ordonnance des gens d'armes, et on la déclarait
impraticable ; on concluait qu'il fallait écarter quelques personnages,
princes ou autres, du conseil ; mais on jugeait qu'avant tout il fallait
gagner le dauphin, qui devait avoir les plus graves sujets de mécontentement,
à cause de l'outrage fait à sa mère par la présence de celle dite la belle
Agnès, et qui était en âge de les sentir. Ce furent là les idées du conseil
tenu à Blois par les ducs de Bourbon et d'Alençon, les comtes de Vendôme, de
Dunois et plusieurs autres. Ils appelèrent d'urgence à leur aide des chefs de
compagnies des frontières du sud, particulièrement le bâtard de Bourbon et
Jacques de Chabannes. Ainsi des deux côtés on a recours aux routiers. Ces
aventuriers, toujours prêts à servir qui les payait le mieux, faisaient trop
souvent la guerre pour leur propre compte, uniquement en vue des rançons
qu'ils extorquaient et du pillage. Ils étaient presque toujours un fléau pour
les villes et pour les campagnes. Il faut avouer cependant qu'ils ont alors
beaucoup contribué au salut de la France. Las de les combattre, le roi finit
par prendre à son service les plus habiles et les plus renommés de ces chefs,
les Sallazart, les Villandrada, les Floquet et autres. Un certain nombre de
seigneurs français marchèrent aussi à la tête des compagnies qu'ils avaient
formées. Ils ne furent pas les derniers à reconnaître l'autorité du roi et à
combattre sous la bannière des lys. C'était surtout une carrière facilement
ouverte aux jeunes seigneurs, pressés de compléter à la pointe de l'épée
leurs titres d'origine moins directe. Dunois,
bâtard d'Orléans, avait eu pour mère Mariette d'Enghien, femme d'Aubert de
Flarnenc, sire de Cany. Valentine de Milan l'avait élevé avec ses propres
fils, et elle mit beaucoup de soin à son éducation, non sans espoir de
trouver en lui un vengeur de l'époux qu'elle pleurait. Jean de Dunois
combattit en effet avec courage Anglais et Bourguignons pendant toute sa vie,
et fut un des plus braves lieutenants de Charles VII. Le roi lui avait donc
témoigné beaucoup de confiance ; pour qu'on le vît en cette coalition, il
fallait que les motifs fussent bien pressants. Les
conjurés n'eurent pas beaucoup de peine à attirer à eux l'héritier présomptif
du trône. « Charles VII, dit Pierre Mathieu, était venu à bout de ses
affaires. Il voulut[7] compenser les jours de
mélancolie et d'ennui qu'il avait passés et les inquiétudes qui lui avaient
desséché les os Tant de labeurs méritaient bien du bon temps ; mais il le
chercha ailleurs qu'en sa famille et avec ses enfants... Agnès, ajoute-t-il,
était la reine des belles... mais en elle la beauté était une mauvaise
hôtesse dans un beau logis. » Cette allusion était évidemment destinée à
flatter Gabrielle d'Estrées. Le dauphin, marié alors depuis trois ans,
n'avait pas été des derniers à s'apercevoir de ce qui se passait. La chose,
quoique fort discrètement tenue sous silence par Chartier, l'historiographe
du roi, n'en était pas moins sue de tout le monde. Le dauphin ne pouvait donc
voir de bon œil une pareille situation, et son rappel un peu brusque du midi
ne dut pas lui être agréable. Le duc
de Bourbon, les sires de Chaumont et de Boucicaut vont de la part des
conjurés trouver le dauphin à Loches, où il était depuis son retour. Ils le
savent mécontent. Il n'a pu voir qu'avec peine une nouvelle favorite succéder
à Jeanne Louvette. Il a honte du dédain où est tombée Marie d'Anjou, sa mère.
Quoiqu'il fût loin d'approuver tous les motifs des princes, il est ainsi
entraîné dans leur parti, dont il n'est évidemment ni l'instigateur ni le
chef réel. Seulement les chefs réussissent à s'abriter de son nom. Monstrelet
et Amelgard ont ici débité des fables pour augmenter sa responsabilité. Les
historiens bourguignons ont même voulu donner à Philippe le Bon le mérite
d'avoir calmé cette sédition ; mais le duc, à qui il ne convenait pas d'en
faire partie, n'y fit rien autre chose que d'interdire aux conjurés l'entrée
de ses Étais. Le roi,
informé de ce qui s'est passé à Blois, envoie d'abord auprès des princes
ligués le sire de Gaucourt, gouverneur du Dauphiné, et le connétable. Les
pourparlers furent sans résultat. On réclamait des réformes dans le
gouvernement : les princes persistaient dans cette demande. Leur premier acte
d'hostilité fut le départ du dauphin pour aller de Loches à Niort, se
rapprochant ainsi des confédérés. Parmi
les fables qui ont été débitées à ce sujet, on a prétendu[8] que la commission donnée à
Louis, par lettres du roi datées du 12 décembre 1439, et la révolte de la
praguerie sont le même fait ; ainsi le dauphin, au lieu de réprimer les
seigneurs rebelles, aurait pactisé avec eux et se serait mis à leur tête ;
ceci est encore une erreur. Ce sont deux faits différents, et rien ne
justifie l'assertion de l'écrivain niortais. Le dauphin s'est fort bien
acquitté de sa mission contre les pilleries de Poitou, avec ses trois
conseillers du parlement, Jean Montmorin. Pierre de Tuillières et Jean Colas,
qui l'accompagnaient. Cet acte de justice se joint à l'administration du
Languedoc et à d'autres services que Louis rendit quoique fort jeune. La
praguerie est indépendante de ce fait et postérieure. Ce coin
de terre de l'ouest où, grâce à saint Hilaire et à saint Martin, le
christianisme jeta tant d'éclat, est remarquable même au point de vue
littéraire. « C'est au château d'Argenton, non loin de Bressuire, que
Philippe de Comines a écrit ses mémoires ; c'est à Fontenay que Rabelais
s'est fait moine ; c'est à Maillé près Maillezais qu'Agrippa d'Aubigné a
édité son Histoire universelle[9]. » Michelet dit : «
Poitiers a été avec Arles et Lyon la première école chrétienne des Gaules ;
le premier monastère est celui de Ligugé, fondé par saint Martin. » Là
saint Hilaire est toujours très-honoré. Le
Poitou, comme on sait, était une des grandes divisions ou généralités de
France ; militairement, il se distinguait en haut et bas Poitou ; civilement,
il se partageait en vingt-trois subdélégations et en autant d'élections. On
verra ailleurs quels étaient les élus. Dans chaque sénéchaussée les
subdélégués ou administrateurs de second ordre veillaient sur tout ce qui ne
touchait ni l'armée, ni le clergé, ni la finance. Toutes les provinces, les
bailliages ou sénéchaussées se gouvernaient de même, sauf certaines enclaves,
les droits seigneuriaux et aussi des variations dans le nombre des élections
: nous citerons parmi les enclaves Loudun et Richelieu, qui appartenaient à
la généralité de Tours. On sait qu'à la demande de Charles VII, Eugène IV, le
17 mars 1431, établit une université à Poitiers, ayant, comme celles de
Toulouse, d'Orléans et d'Angers, les quatre facultés : celles de théologie,
de droit, de médecine et des arts. Depuis un temps immémorial, à
Saint-Hilaire comme à Saint-Martin, des écoles avaient été ouvertes pour les
éléments des sciences. Quant à la praguerie, cette partie du Poitou, quoique
soumise au duc d'Alençon, convenait peu à une révolte. La ville de Niort[10] se vit un instant privée de ses
franchises : deux ans après Charles VII les lui rendit. Informé
de la sédition, le roi part pour Poitiers. Là, apprenant que l'abbé de
Saint-Maixent et ses moines résistent aux réformistes, il s'y rend en toute
hâte. A son approche, le duc d'Alençon, Jean de la Roche et plusieurs autres,
fuient vers Niort. Le roi récompensa l'abbaye en lui accordant, surtout à son
abbé Pierre de Clairvaux, plusieurs privilèges. Les partisans de Jean de la
Roche furent noyés ou bien eurent la tête tranchée. On s'apprêtait à traiter
de même ceux de Jean d'Alençon ; mais le connétable obtint leur grâce.
Jacquet, serviteur de Mme de la Roche, qui, dit-on, avait introduit les
réformistes dans le château, fut pris et écartelé. A Niort, on était au
moment d'être forcé ; heureusement le sire de Chabannes arriva avec 120
lances. Grâce à cette escorte, les princes et le dauphin se sauvèrent dans le
Bourbonnais. Le roi punit la ville de Niort ; mais Louis XI, par lettres
d'Amboise, 1461, lui rendit ses privilèges et récompensa les magistrats.
Dunois ne tarda pas à se soumettre. Le roi retourne vers l'est ; il laisse
quelques troupes à Beaulieu pour observer la garnison de Loches, qui tenait
toujours. Ainsi la Touraine était ravagée comme les autres provinces. Le roi,
naturellement, se dirige aussi vers le Bourbonnais. Le 2 mai il s'arrête à
Guéret. De là il adresse aux gens du conseil du Dauphiné et au lieutenant du
gouverneur un manifeste où il a soin de se donner raison de tous points. « Les
princes, dit-il, sous ombre de notre fils, lequel est encore en jeune âge,
ont formé une très-condamnable entreprise ; par séductions diverses, ils
l'ont entraîné avec eux, le voulant élever au gouvernement par-dessus nous et
contre l'autorité royale ; puis ils ont fait la guerre à nos sujets comme ils
l'eussent faite à nos ennemis. Ils se sont emparés de notre gouverneur du
Dauphiné, sire de Gaucourt, et par ces entreprises ils nous empêchent de
marcher contre les Anglais et de délivrer le duc d'Orléans. » Il défendait
donc qu'on obéît à son fils ou à tous ses adhérents et qu'on leur donnât ni
artillerie, ni secours, ni vivres. Le roi
s'avance vers l'est, accompagné des comtes d'Eu et de la Marche, du sire de
Brezé et de Robert Hoquet. Il fit attaquer et prendre d'assaut Chambon et
Crevant pour intimider les autres villes. Cusset, Aigueperse et d'autres
petites villes ouvrirent leurs portes. Il logea ses troupes dans de petites
forteresses autour de Saint-Pourçain. Là étaient réunis les princes et le
dauphin. La Bourgogne leur était fermée ; ils décident d'aller à Moulins, de
là à Décile. Le roi, maitre de la Limagne, excepté Riom, convoque à Clermont
les états de la province l'évêque Martin Gouge les préside. Les subsides sont
votés pour terminer l'une et l'autre guerre. Pendant ce temps, Chabannes,
sénéchal de Bourbonnais, surprit un convoi d'artillerie commandé par Queruel,
et qui allait de Bréville à Aigueperse joindre le roi. Ce fut le seul succès
notable des coalisés. Puisque
l'archevêque de Reims était également conseiller du roi et du dauphin, on
s'étonne que de sa part il ne soit fait aucune démarche pour apaiser le
différend. L'intervention du comte d'Eu fut des plus utiles. Il décida les
ducs de Bourbon et d'Alençon à venir conférer de la paix avec lui à Clermont.
En trois jours on fut d'accord. Les ducs promirent[11] d'amener le dauphin le mardi
suivant. Mais ils ne vinrent pas. Le roi fit donc passer l'Allier à ses
troupes, et soumit successivement Vichy, Varennes, Charlieu, et Roanne. Là il
apprit du comte d'Eu que le dauphin et le duc de Bourbon viendraient à Cusset
le trouver et demander merci. Le duc d'Alençon avait déjà fait sa paix. Le
roi apprenait que les Anglais assiégeaient d'un côté Honfleur et de l'autre
Tartas ; il lui tardait d'en finir. Aussi, quand les deux princes vinrent en
effet à une entrevue secrète, Charles VII pardonna à son fils, et donna des
lettres de rémission au duc de Bourbon et aux autres, n'exceptant, selon M.
Petitot et Pierre Mathieu, que trois personnes, les sires de la Trémoille, de
Coucy et de Prye. Le 24 juillet la soumission fut publiée à son de trompe. En
définitive, il n'y eut guère de sang versé que celui de quelques
conspirateurs subalternes. Toutefois, le roi ne fit sortir ses troupes de
l'Auvergne[12] et du Bourbonnais que quand le
duc de Bourbon eut très-authentiquement promis de rendre les châteaux de
Corbeil, Vincennes, Sancerre et Loches. Les
femmes s'illustrèrent en ce siècle-là par leur courage, comme on le voit par
Jeanne d'Arc, et par Jeanne Hachette ; par Marie de Croï, comtesse de
Vernembourg, par Marguerite d'Anjou et par la dame de la Roche-Guyon. La dame
de Rieux, épouse de Louis de Thouars, aidée des sires de Beaumanoir et de
Rostrenen, défendit ses seigneuries pendant la captivité de son mari. Elles
furent aussi employées avec succès dans les ambassades. « Ainsi en 1441[13], au mois d'avril, vint à Laon,
auprès du roi Isabelle de Portugal, jeune duchesse de Bourgogne, pour traiter
de la paix générale avec la France. » On voit le connétable, qui avait épousé
une sœur de Philippe, venir une lieue à sa rencontre. Vint aussi trouver le
roi audit lieu pour règlement de ses affaires[14], Jeanne de Béthune, comtesse de
Ligny, laquelle, instamment priée d'épouser le comte d'Eu, s'en excusa. On
pourrait encore citer des dames qui s'entremirent alors dans les plus graves
affaires, telles que Anne de Chypre, épouse du duc Louis de Savoie, Yolande
d'Aragon, Madeleine de France, Jeanne Henrique, Marguerite d'York et beaucoup
d'autres. On les
voit plus d'une fois sacrifiées, surtout dans la personne de Jeanne de France
; et cependant c'était le siècle de la chevalerie, et le respect aux dames
était le mot d'ordre des chevaliers : « le maréchal de Boucicaut[15] venait même pour cela de fonder
un ordre de XIII chevaliers portant en leur devise l'escu verd à la dame
blanche. » On sait que plusieurs ordres avaient été antérieurement
fondés. On citait l'ordre de la Bande, institué à Burgos par Alphonse de
Castille, en 1368, celui de l'Étoile par le roi Jean, celui de la Jarretière,
et d'autres encore. En
1438' le dauphin avait dépassé la majorité marquée par Charles V, époque où
les rois précédents avaient donné à leur fils la jouissance du Dauphiné. « Louis
n'y avait point encore commandé avec indépendance[16] ». Charles, tout en continuant
Gaucourt dans son gouvernement, donnait cependant à Louis quelque autorité. « Le
roi exerçait souvent en Dauphiné une autorité absolue, et le dauphin n'avait
garde de s'y opposer[17]. » Depuis vingt ans il y avait
eu là, par des libéralités forcées, beaucoup d'aliénations du domaine ; elles
furent révoquées. « Les églises mêmes ne furent pas exemptes de cette
recherche sévère. » C'était rigoureux d'inaugurer le pouvoir du dauphin par
une telle enquête. En 1439 le roi étant venu avec son fils dans le Dauphiné
témoigna sa satisfaction à Jean Bayle, avocat et procureur fiscal et le fit
président du grand conseil. Le conseil delphinal dont il faisait partie était
composé des plus savants hommes. On cite alors parmi les conseillers Gui Pape
et Robert Béatrix. Enfin, le 28 juillet 1440, l'abandon que Charles avait
fait à son fils du Dauphiné, il le lui confirma par lettres très-authentiques
de Charlieu. Il y est très-positivement dit : « Avons baillé, cédé,
transporté et délaissé nos pays, terres et seigneuries de Dauphiné, de
Viennois, avec les villes et châteaux, cens et rentes quelconques, pour en
jouir et user. » Ainsi le dauphin, qui ne recevait encore en 1438 pour
toute sa maison que 20 écus d'or par mois, eut des revenus plus convenables. Après
cette triste illusion de la praguerie, Louis tourna sa pensée vers son
apanage. Quand les lettres de cession furent enregistrées, les états lui
firent don de 8.000 florins d'or. Le 13 août des commissaires du dauphin
prirent pour lui possession du pays. Il était dit, comme réserve, qu'à moins
de forfaiture, le dauphin ne destituerait pas les officiers que le roi y
avait établis. Il y envoya comme intendant de justice et de police Olivier de
Frétard, maître de son hôtel, et comme trésorier Cassin de Chassé, l'un et
l'autre avec des pouvoirs assez étendus. Adam de Chambray, homme d'un grand
mérite, que le roi avait fait président du parlement de Paris, avait eu pour
successeur comme président du conseil delphinal Étienne Guillon. On
l'accusait d'avarice. Ses ennemis étaient nombreux. Le procureur fiscal Bayle
était intervenu dans les poursuites dirigées contre lui. Sa place fut donnée
à Guillaume Cousinot ; mais il fut peu après rétabli. M. de Barante fait
observer « que pendant plusieurs années Louis témoigna un respectueux
attachement à son père, qu'il s'occupa sérieusement de la prospérité de sa
province ». On voit en effet qu'ayant pris toutes sortes de
renseignements auprès de la chambre des comptes, et s'étant mis au courant
des lois et des coutumes, il examina d'abord les monnaies qui avaient cours
et qu'il fit sur ce point plusieurs bons règlements. A cet égard toute
facilité lui fut donnée ; c'était l'intérêt du royaume autant que de la
province ; d'ailleurs, quoique le droit de battre monnaie existât déjà pour
le Dauphiné, le roi, par lettres du 12 août 1445, lui renouvela encore cette
autorisation. On voit
encore que le 27 novembre il fit avec la Savoie un traité pour la liberté du
commerce et pour l'extradition des criminels ; que le 30 décembre suivant il
renouvela une loi de sûreté suivant laquelle le sceau du Dauphiné devait être
mis dans un coffre à deux clefs, de manière que le président[18] du conseil en eût une, et l'un
des conseillers, au choix de ses collègues, l'autre. On remarque enfin qu'il
termina un procès assez compliqué en décidant que l'archevêque de Vienne
rendrait hommage pour la moitié de sa juridiction sur la ville de Romans. A
Saint-Omer on ne put aboutir à rien. Mais, grâce à l'intervention
très-pacifique du cardinal évêque de Wincester et malgré la protestation du
duc de Glocester, la délivrance du duc d'Orléans fut traitée à part avec
Dunois, moyennant 120.000 écus d'or. Il fallut en payer le tiers
immédiatement. A l'égard du reste, le dauphin s'engagea pour 30.000 écus. Les
ducs de Bourbon et de Bourgogne et les autres princes se rendirent aussi
caution. Le duc d'Orléans épousa alors Marie de Clèves, nièce du duc Philippe,
petite-fille du feu duc Jean sans Peur par Marie sa mère. En retour de la
Toison d'Or, le duc d'Orléans conféra au duc de Bourgogne son ordre du
Porc-épic. Le but du duc Philippe était d'augmenter par ce moyen son
influence sur la direction des affaires de France. Après les fêtes de Bruges,
on lui fit en janvier bon accueil à Paris. a Le peuple, dit M. de Barante,
était si malheureux, qu'il cherchait en qui mettre l'espérance de la fin de
ses maux. » Charles d'Orléans[19] avait envoyé un cartel au duc
de Bourgogne afin que la querelle entre les deux maisons fût terminée avec
moins d'effusion de sang. Il y eut ici pleine réconciliation. On croyait voir
en lui un messager de paix. Dans le même temps (mars 1442), le roi, pour récompenser
Louviers et Lusignan de leurs sacrifices, leur accorda comme à Montargis une
noblesse municipale. Il fit encore d'autres concessions. Cependant
la guerre continuait. Si elle était moins vive de la part des Anglais, c'est
que chez eux-mêmes ils commençaient à être troublés ; surtout depuis que
Henri VI atteignait sa majorité. Mais l'anarchie de la part des seigneurs et
des chefs de compagnie couvrait toute la France de désolation et de pillage.
On n'entendait parler que d'actes de cruauté et de violences. Le supplice du
bâtard Alexandre de Bourbon, jeté dans la rivière à Bar-sur-Seine et tous les
efforts du roi pour rétablir la discipline au moins où il était, n'arrêtaient
point le désordre. On remarque qu'après la mort du comte de Ligny Louis de
Saint-Pol, son neveu et son héritier, enleva un convoi d'artillerie qui
cheminait de Tournay vers Laon, et que peu après il fit sa paix avec le roi
en rendant ce qu'il avait pris. C'est probablement alors qu'il connut plus
particulièrement à Laon le dauphin. Croira-t-on que des gens de guerre
transformés en routiers aient osé attaquer et piller la suite de la duchesse
Isabelle elle-même, qui était venue aussi trouver le roi à Laon au sujet du
traité d'Arras ? tant ces compagnies de pillards étaient vivaces et la
discipline affaiblie ! Le dauphin accompagna le roi à la prise de Creil
contre les Anglais, et aussi au long siège de Pontoise, où l'indiscipline de
la troupe se manifesta par les désertions sous les yeux mêmes du roi. Là
Charles VII avait autour de lui les plus braves chefs de son armée, le
connétable et tous les autres. Lord Clifford défendait vigoureusement la
place. Quoique Talbot et le duc d'York fussent venus pour la secourir, elle
fut emportée par un assaut, le 19 septembre. « Les malheureux
prisonniers[20], liés par les vainqueurs a
comme des animaux à la queue de leurs chevaux, à demi nus et mourant de faim,
furent conduits dans des forteresses, si on en espérait une rançon ; sinon,
jetés à la rivière. » On se demande si l'esclavage antique n'était pas plus
humain. Les prisonniers alors, il est vrai, étaient vendus comme esclaves ;
mais ils conservaient la vie. Main Chartier mentionne ici le courage du
dauphin, qui combattit à côté de Charles d'Anjou, du connétable et de
l'amiral ; mais il ne signale ni l'indiscipline des troupes, ni surtout cet
horrible traitement infligé aux prisonniers. « Sous Charles VII, l'histoire,
comme à Rome autrefois, était écrite par les prêtres[21]. » Malheureusement les moines
de Saint-Denis ne prenaient point immédiatement note des faits, et ne
pouvaient rien publier qu'avec autorisation du souverain. Le roi
ayant essayé de mettre en vigueur ses nouveaux règlements à l'égard des
notables qui possédaient forteresses et châteaux fortifiés, les plus
qualifiés d'entre eux furent mécontents. Les ducs de Bourbon, d'Alençon,
d'Orléans, même les comtes d'Angoulême, d'Étampes, de Vendôme et de Dunois
n'avaient point paru au dernier siège. Le duc de Bourgogne s'unit à eux. On
doit remarquer que le dauphin cette fois ne se mêla point à leurs intrigues.
Ils restèrent à l'écart, et se concertèrent à Nevers. Quoique le roi leur eût
envoyé le chancelier pour leur expliquer ses motifs, ils rédigèrent des
remontrances où ils plaignirent amèrement le sort du peuple. Ils critiquaient
l'énormité des impôts, et réclamaient le payement intégral de leurs pensions.
Quant au grief qui ruinait le trésor et affichait le scandale, comme chacun
d'eux avait sur ce point des torts plus ou moins manifestes, ils n'en
parlèrent pas. Marguerite de Bourgogne, dite madame de Guienne, l'épouse
actuelle du connétable, et qui avait plus d'une fois rétabli la concorde
entre les princes et la couronne, mourut alors à Paris, le jour de la
Purification. Le roi,
parti vers le midi, pour y combattre aussi les Anglais et pour pacifier les
provinces qui en approchaient, reçut leurs doléances à Limoges les premiers
jours de mai. Il chargea l'évêque de Clermont d'y répondre, et surtout d'en
relever les contradictions. Il indiqua pour le 25 octobre une réunion vers
Chartres, où il comptait se trouver. Il sait que quelques articles du traité
d'Ar ras sont encore en souffrance ; dès qu'il pourra il y pourvoira de son
mieux. Il a bien des charges, on doit le savoir. Tant que la guerre dure, il
faut un peu de patience. Là, entouré du dauphin et des seigneurs, le jour de
la Pentecôte, il reçut très-gracieusement le duc et la duchesse d'Orléans, et
il y eut de grandes fêtes. Le roi[22] donna au duc 28.000 livres pour
l'aider à payer sa rançon. Il y ajouta même une forte pension. Monstrelet
loue la sagesse de ses réponses. Lg 5
juillet 1440 le roi avait nominé le comte du Maine son lieutenant général
dans la Guienne et le Languedoc. Celui-ci, obligé de rester auprès du roi,
s'y était fait remplacer par son ami Tanneguy du Châtel. Soit à Montpellier
en septembre 1440, ou à Béziers au mois de février suivant, soit encore à
Montpellier en octobre 1441, d'où sortirent des plaintes contre la gestion
financière de Guillaume de Champeaux, puis sa disgrâce ; soit dans le
Gévaudan, au mois de janvier suivant, les états du midi continuèrent toujours
de voter des fonds considérables pour la continuation de la guerre. A la
place de l'évêque de Laon 'le roi avait nommé pour les finances Guillaume le
Tur, comte-évêque de Chalon. Le sire
d'Albret, assiégé dans Tartas par les Anglais, avait promis de rendre la
place le 24 juin 1442 s'il n'était secouru. Le roi prend ses mesures en
conséquence ; il donne rendez-vous aux seigneurs du pays qui le joindront
avec leurs forces à Toulouse : on le voit à Limoges le jour de la Pentecôte,
et partir de Toulouse le 8 juin à la tête de 140 barons bannerets : il est
avec le dauphin devant Tartas la veille de la Saint-Jean ; et la ville est
délivrée. Le roi prit encore Saint-Sever. Il alla assiéger Acqs. Il fallut
encore là un siège de plusieurs semaines. Avec 100 hommes d'armes et 2.000
arbalétriers[23], sire Thomas Rameston tenait
ferme. On allait donner l'assaut quand les gens de la ville demandèrent à
capituler. Théaude de Valpergue, bailly de Lyon, se signale parmi les
officiers du roi. Charles VII retourne à Toulouse et parait y rester une
bonne partie de cette année et de la suivante. La reine même, dont il est si
rarement question dans les voyages du roi, s'y montre au mois d'août : le 21
de ce mois elle fait son entrée à Carcassonne, et elle célèbre à Montauban la
fête de Noël avec son époux. Le 7 janvier, le roi lui donna pour l'entretien
de sa maison la Rève de Beaucaire que feu la reine de Sicile Yolande avait
possédée. On sait que c'était le fruit d'un impôt de quatre deniers par livre
levé sur toute marchandise aux ports et passages de cette sénéchaussée. Le 26
février suivant, la reine[24] entra solennellement à Toulouse
avec le dauphin son fils, qui la portait en croupe sur un cheval blanc.
Fontanieu[25] dit que « son chaperon de gaze
blanche avait la forme d'un croissant ; » mais il porte cette entrée à 1443,
sans doute à cause du nouveau style. Là, le
roi traita de plusieurs affaires ; il reçut de nombreux hommages. En cette
occasion, le 2 avril, il fit aux comtes de Foix et d'Armagnac défense de se
dire comtes par la grâce de Dieu, quoiqu'ils en eussent l'habitude. Au
douzième siècle cette formule était simplement un hommage à la Providence.
Les comtés de Foix, qui n'étaient qu'arrière-vassaux, puisqu'ils devaient
l'hommage au comte de Toulouse, l'inscrivaient sur leurs diplômes. Depuis on
y avait attaché un sens d'indépendance et de méconnaissance de fief : pour
cela il convenait de l'effacer. Des
lettres du roi, datées de Toulouse 26 juillet, constatent encore quelle était
l'indiscipline de l'armée. Il dit que « plusieurs gens d'armes de sa
compagnie, de celles de Charles d'Anjou, du connétable, des comtes de la
Marche et de Foix, qui l'avaient suivi jusqu'à Tartas, abandonnèrent ensuite
son ost et siège sans permission, se débandèrent puis se répandirent dans les
sénéchaussées, où ils commettaient une infinité de désordres ». Ainsi
cela se passait malgré l'ordonnance militaire et sous les yeux du roi. Il y
avait à enregistrer d'autres désobéissances bien plus graves. La guerre ayant
éclaté entre Jean d'Armagnac et Mathieu de Foix ; le roi leur avait en vain
envoyé par le bailly de Saint-Pierre l'ordre de mettre bas les armes. La
guerre avait continué. Marguerite de Cominges était toujours tenue par son
mari sous les verrous, et cette affaire restait à régler par le roi entre les
deux rivaux. A Toulouse, le 9 mars 1446, le roi ayant fait venir Mathieu et
Marguerite, qui était presque octogénaire, et ayant consulté les états de
Cominges convint avec Mathieu que Marguerite serait incessamment mise en
liberté ; qu'ils jouiraient par moitié du comté de Cominges ; que la
jouissance de ce comté resterait au survivant ; qu'après leur mort il serait
réuni à la couronne, ce qui arriva en 1453, Marguerite étant allée vivre à
Poitiers. Le roi procéda à quelques réformes fiscales, sollicitées aussi par
les états de Béziers, et rétablit le parlement à Toulouse par édit de Saumur
du 11 octobre 1443. Alors aussi il donna à Charles d'Anjou, comte du Maine,
les terres de Saint-Maixent. On voit dans le midi combien les rouages
administratifs et ju- LE ROI
DANS LE MIDI. 107 diciaires
étaient compliqués. Les trois anciennes sénéchaussées du Languedoc étaient
Toulouse, Carcassonne, Beaucaire ; chaque sénéchaussée était divisée en
vigueries, bailliages et autres justices royales ou jugeries. Dans les
ressorts étaient comprises les terres des seigneurs qui en dépendaient pour
les cas royaux. Ces ressorts étaient souvent d'une grande étendue : on leur
donnait même le nom de provinces, et ils étaient parfois divisés en
districts. Les impôts se levèrent d'abord dans le Languedoc par sénéchaussées
et par vigueries ou juridictions royales ; mais au quinzième siècle il se fit
une division par diocèses, parce que les aides étaient ainsi affermées ; et
cette répartition dura longtemps. En
octobre 1442, les états de Béziers, où était Jaques Cœur, votèrent un subside
de 100.000 livres, et n'oublièrent ni la reine ni le dauphin. Ils firent en
34 articles des représentations écrites, datées du 2 novembre 1442, contre
les abus. De son mieux le roi leur donna satisfaction sur les points
essentiels. L'aide votée[26] par les états de Montpellier,
d'octobre 1443, s'éleva à plus de 145.000 livres. Il y eut à la fois aide et
prêt. Le
dauphin à l'attaque de Tartas s'était montré fort brave à la tête de
l'avant-garde. Il inspirait une grande confiance à l'armée. La place d'Acqs
coûta plus d'hommes et plus de temps. Le dauphin, à la tête de la noblesse du
Dauphiné, « emporta le bouleyard qui couvroit la porte, et s'y logea. La
hardiesse du prince intimida tellement les assiégés, que le lendemain ils
demandèrent à capituler. Ils sortirent vies et bagues sauves. » Marmande et
les autres places se rendirent à la première sommation. Selon Alain Chartier,
le roi était encore à la prise de la ville, et ne paraît point avoir quitté
l'armée. La Réole se défendit trois jours, et fut emportée. Les gens du
château capitulèrent, et s'en allèrent un bâton à la main. Le comte d'Eu y
fut dangereusement blessé à la gorge paraît que les Anglais la• reprirent peu
après. Cette
campagne fit le plus grand honneur au dauphin. Quand l'armée fut éloignée, le
gouverneur anglais de Bayonne surprit Acqs, et le garda. Les routiers
tardèrent peu aussi, après l'éloignement du roi, à rançonner les provinces du
Languedoc. De Limoges, dès le 29 avril, Charles VII est obligé de donner aux
sénéchaux de la contrée des ordres trop souvent impuissants. A Montauban, il
perdit Étienne de Vignoles dit la Hire, que Chabannes disait être[27] « le plus grand en armes
qu'il eût oncques cogna ». Le roi
sentit que sa présence était nécessaire dans le midi. Il resta donc le plus
ordinairement cette année et la suivante dans la Guienne et dans le Languedoc[28]. Par lettres du 3 juin 1443[29] il règle les différends qui
s'étaient élevés entre ses officiers et les gens d'Avignon, et il reconnaît
le comtat comme terre de l'Église. On conçoit qu'il n'ait pas voulu s'attirer
de ce côté-là de nouveaux ennemis. Le 11 octobre il rétablit le parlement de
Toulouse. Enfin, en février 1441 et en juin,1445, il étend les droits des
foires de Lyon et de Troyes, et, ce qui importait bien davantage, il supprime
les péages mis pendant la guerre sur les rivières. Le midi
n'avait point alors le même langage et les mêmes coutumes que les autres pays
de France. L'idiome appelé roman par opposition avec le latin était à peu
près informe. Il se parlait dans la Catalogne et dans l'Aragon[30]. Le français était une langue
étrangère peu comprise là, au XVe siècle, même des gens du premier rang.
Cependant les deux universités de Toulouse et de Montpellier étaient
florissantes. Il y venait des étudiants d'Angleterre et d'autres pays, et
Charles VII, par lettres de Bray-sur-Seine, 14 septembre 1437, les avait pris
sous sa protection. Le droit civil y était enseigné aussi bien que le droit
canonique, et on citait d'illustres professeurs tels que Jean de Costa à
Toulouse, et Jacques de Rebuffe à Montpellier. L'université de médecine se
maintenait avec gloire. Un édit de Charles VI y avait favorisé les recherches
anatomiques, et c'est là que les rois prenaient leurs médecins. Ce corps y
eut toujours son recteur particulier, indépendant de celui des autres
sciences, selon la volonté de Martin V, en 1421. On
remarquait dans le midi quelques usages spéciaux et parfois singuliers. Ainsi
il y avait eu les fêtes des fous dans les cathédrales du Puy et de Viviers,
fêtes qui furent sagement abolies par le concile de Constance, mais qu'il
fallut un peu plus tard abolir encore en plusieurs églises du nord. Il y
avait un droit, et une cuisson spéciale pour le pain destiné aux hosties. Les
sénéchaux : devaient chacun dans leur résidence tenir cinq fois l'année des
assises de quinze jours. On appelait cela le conseil du roi. On y traitait de
toute chose importante. Ils devaient tenir dans leurs vigueries d'autres
assises de deux en deux mois. Outre cela, ils faisaient la tournée de leur
juridiction pour présider dans les villes l'élection des consuls. Chaque
district comprenait, là comme ailleurs, un certain nombre de villes, de
bourgs et de paroisses ou villages. On savait que successivement les ducs
d'Anjou et de Berry s'étaient fait accompagner d'un conseil, qui tranchait du
souverain, et que leur pouvoir avait été à peu près absolu. A partir de 1418
il y avait eu des états réguliers. Le
fouage était depuis Philippe IV un impôt réparti par feu, d'où naissait la
nécessité d'une statistique ; mais pour chaque localité l'impôt s'affermait.
Quand les états votaient une aide, ils élisaient trois députés par chaque
diocèse pour donner au plus offrant l'impôt à ferme. Les élus exerçaient en
outre une juridiction pour le règlement des différends que la perception de
l'impôt faisait naître à cause de la rapacité des collecteurs. Ainsi, chaque
province avait à supporter une part de charge proportionnée à son importance.
Cette part était ensuite distribuée entre les élections par l'intendant ou
chef de la province, quel que fût son nom : puis la répartition aux communes
était faite par les élus, dont les offices devinrent aussi héréditaires. Les
villes les plus commerçantes étaient Carcassonne et Nîmes. Par les privilèges
on avait attiré dans cette dernière ville beaucoup de marchands italiens dits
Lombards. Ainsi deux langues, deux quantièmes, deux autorités, deux sortes de
liberté, deux droits, deux justices et rien de bien limité ; tout annonce une
époque de transition. Tel était l'aspect du midi en général. Le nord
n'était point en paix. Il y avait eu avec les Anglais une rencontre entre
Évreux et Neufbourg. Jean de Brezé avait engagé l'action ; mais il y fut tué.
Le capitaine Floquet, bailly (l'Évreux, son compagnon d'armes, fut vainqueur.
Pendant que Talbot menaçait Conches, Dunois et le sire de Lohéac attaquèrent Gaillardon,
où commandait l'Aragonais François, de Surienne. Talbot traita avec ceux de
Couches[31], puis immédiatement fit lever
le siège de Gaillardon et se dirigea vers Dieppe. Alors sur les Anglais fut
prise Grandville par le sire d'Estouteville, capitaine de Saint-Michel. Alors
aussi mourait la reine de Sicile, Yolande mère du roi René et de la reine
Marie d'Anjou, qui fut « une moult saige et bonne dame[32] ». Cette année les
rivières de Gascogne gelèrent très-fort. D'un
autre côté on passait le temps en fêtes. Le duc Philippe avait fait une trêve
avec les Anglais de Normandie. Il était bien sollicité aussi de secourir Jean
Paléologue, pressé par Amurat II ; mais il lui envoya seulement un secours
d'argent avec certaines promesses. Il y avait bien eu sur l'héritage de
Jacqueline quelques réclamations de feu l'empereur Sigismond ; mais à la fin
il eut complète satisfaction. Relevant de l'Empire pour la Franche-Comté, il
avait très-gracieusement reçu à Besançon l'empereur Frédéric III,
nouvellement élu. A Dijon, le mariage de Jean de Chalons, fils du prince
d'Orange, avec Catherine de Bretagne, nièce du connétable, fut l'occasion de
fêtes nouvelles, et particulièrement d'un pas d'armes, le 12 juillet 1443. Le duc,
fit alors la conquête du Luxembourg. La douairière Élisabeth, veuve d'Antoine
de Brabant, son oncle, puis de Jean dit Sans Pitié, l'ancien évêque de Liège,
avait reçu, de ses deux oncles les empereurs Vinceslas et Sigismond, le
Luxembourg comme garantie d'une dot de 120.000 florins. Se considérant comme
propriétaire du duché sur lequel elle avait hypothèque, elle l'avait vendu à
Philippe pour la somme qui lui était due. Les habitants, qui n'admettaient
pas qu'on eût ainsi le droit de les vendre sans les consulter, reconnurent
pour souverains les petits-fils de Sigismond, obéirent au comte de Gleichen,
mandataire de ceux-ci, et chassèrent les officiers d'Élisabeth. Mais
Philippe, l'acquéreur, trouvait son droit fort bon. Le duc,
prenant fait et cause pour les droits d'Élisabeth, arma pour faire cette
conquête. A ce sujet, il écrivit à tous les vassaux d'alentour et aux deux
chefs de compagnies les plus redoutés de ce côté, aux sires de la Marck et de
la Tour. Le comte de Gleichen, soutenu par les habitants et par quelques
Allemands, se défendit fort bien. Mais que faire contre de pareilles forces`
? Il y eut pendant la nuit invasion de la ville et pillage. Puis ces forbans
se partagèrent le butin. Plus tard, en 1457, quand Ladislas le Posthume
voulut épouser Madeleine de France, cette conquête ne l'empêcha pas de
disposer du Luxembourg comme.de sa propriété et de le léguer à sa fiancée. Que les
ducs de Bourgogne aient stipulé pour leurs intérêts quand ils en ont trouvé
l'occasion, on le conçoit. Mais leur historien est peut-être trop modéré
quand il dit[33] « que le duc voulait
seulement maintenir ses droits et prérogatives ». Nous voyons assez
souvent qu'il est allé bien au-delà. On convient « qu'il lui déplaisait que
l'on appelât de ses tribunaux et officiers devant le parlement de Paris ».
Ainsi le droit commun ne lui suffisait pas. De ses prétentions venaient
toutes les difficultés sur l'application des articles du traité d'Arras : de
là, enfin, toutes les amertumes et toutes les hostilités du règne suivant,
quand Louis XI, avec raison, voulut, au profit du peuple, jouir de sa
souveraineté. Un
autre démêlé, plus pacifique, du même temps fut le procès d'Eugène IV contre
Amédée VIII de Savoie, que le concile de Bâle avait fait pape sous le nom de
Félix VI. Félix renonça à la tiare six ans plus tard (1449), et retourna dans sa retraite
de Ripailles près Thonon. La
France n'avait point de trêves avec les Anglais de Normandie. Talbot en vain
essayait d'entamer la Beauce, si bien défendue par Dunois ; il se retourna
contre Dieppe, et en fit le siège. Dunois arriva promptement pour ravitailler
la place. Talbot, pour assurer le succès, va chercher des secours en
Angleterre, revient et construit une bastille devant la ville. Ainsi une
ville forte était bloquée par une autre forteresse. Le roi, informé de ce qui
se passe, et voyant le danger de la situation, prend ses mesures. Dieppe
était pressée par terre, mais libre par mer. Il y fait d'abord passer de
Bretagne, par Guillaume de Coëtivy[34], frère de l'amiral, un fort
convoi de vivres et de munitions afin que les assiégés, qui avaient à
soutenir une lutte continuelle, ne manquassent de rien ; puis, nommant le
dauphin son lieutenant général entre Seine et Somme, il lui donne quelques
forces, ou du moins les moyens d'en réunir. Le
dauphin part donc après la Pentecôte. Dès qu'il fut à Paris, désirant être
agréable au comte du Maine, il insista auprès du parlement pour
l'enregistrement d'un don que le roi avait fait à son oncle, des seigneuries
de Gien et de Saint-Maixent. Même il fit faire des recommandations par
l'évêque d'Avignon. Il ne put cependant empêcher qu'on ne mit sur le registre
ces mots peu flatteurs : « par commandement du roi et par ordre du
dauphin ». La chambre des comptes ne fut pas moins sévère quand elle
enregistra la somme de 880 livres donnée au dauphin pour en faire ce qui lui
plairait[35]. D'après
le conseil des plus expérimentés, Louis débute par assurer les frontières de
la Picardie et de l'Ile-de-France. Il se rend à Amiens, et descend à
Abbeville le long de la Somme, ayant avec lui l'évêque d'Avignon Alain de Coëtivy,
les comtes de Dunois et de Saint-Pol, le damoiseau de Commercy, les sires de
Gaucourt et de Châtillon, Louis de Laval et d'autres seigneurs. Abbeville est
le rendez-vous de ses troupes. Au moyen d'un bourgeois du pays, que Legrand
nomme Theudval de Kermoysen, il apprend quelles étaient encore les ressources
des assiégés, avec quel courage le capitaine Charles de Marest s'y défendait,
bien secondé par le sire de Ricarville, et quelles pouvaient être les forces
des assiégeants. Avec
ces renseignements il fait avancer son armée, qui était d'environ treize
mille hommes. Il marche lui-même à pied à la tête des siens. Le chevalier
Pierre II, seigneur de Boufflers, fut un de ceux qui amenèrent un millier de
bons soldats, dont le prince se servit fort utilement. Ce chevalier se
distingua ensuite à Gerberoi et ailleurs. Jacques son fils servit Charles de
Bourgogne ; mais après la journée de Nancy il revint sous les drapeaux de
Louis XI. D'Abbeville,
le dauphin arrive donc à Dieppe, et détache trois cents hommes pour aller
d'abord en avant investir la bastille anglaise, où commandait Guillaume
Poitou. Il les fait soutenir par 600 hommes. Lui-même arrive le dimanche 4
août au soir. L'attaque fut immédiate. Cette bastille, élevée par l'ennemi et
capable de contenir au moins mille hommes de garnison, faisait beaucoup de
mal à la ville. Le lundi le dauphin vint camper à portée du trait ; il y
demeura tout le jour et le lendemain en observation. Le mercredi, vers huit
heures du matin, il fit jeter trois ponts sur le fossé et assaillit le fort
de toutes parts. Les Anglais se défendirent avec vigueur ; 400 Français
étaient hors de combat, : on hésitait ; alors Louis, donnant l'exemple, on
revint une quatrième fois à la charge ; la lutte fut sanglante. Les gens de
Dieppe survinrent avec leurs arbalètes à longue portée, et tirèrent si juste,
que les Anglais ne tinrent pas. Les Français entrèrent donc dans le fort de
tous côtés[36]. Les Anglais qui n'avaient pas
succombé, et parmi eux le bâtard de Talbot, furent pris. Mais les Français
qui s'y trouvèrent furent, comme traîtres, passés par les armes. La bastille
fut immédiatement démolie. Parmi
les gens de guerre, archers ou autres, qui avaient parcouru le pays en y
commettant pillages et cruautés, on en comptait quatorze qui étaient
Français. Le dauphin les acheta 18 livres et même jusqu'à 30 livres, et les
fit exécuter selon la rigueur de la justice. C'est ainsi que la discipline
pouvait s'établir. Avant de revenir, il réunit les hommes de finance, et avec
eux il avise aux moyens d'avoir l'argent nécessaire pour solder ses gens et
les tenir dans les places frontières, sans qu'ils courussent la campagne. Il
prend avec un chevalier un engagement de 6.000 livres, pour que de septembre
à mars il y ait 300 hommes de garnison à Dieppe. Il a soin de régler encore
d'autres intérêts du même genre. Ainsi,
au nord comme au midi, le dauphin réussit avec gloire dans les missions qui
lui sont confiées. Il félicite les gens de Dieppe de leur belle conduite. Il
récompense de son mieux ceux qui se sont distingués. Après avoir rendu grâce
à Dieu au pied des autels, il fait plusieurs chevaliers, le comte de
Saint-Pol, Hector d'Estouteville et quelques autres. Pour récompenser Dunois,
il voulut que la terre de Valbonnais qu'il possédait en Dauphiné fût à
l'avenir exempte d'impôts. Il ne fit rien à demi. Il pourvut à la sûreté des
villes, à la subsistance et à la solde des troupes. Il prit pour cela de
sérieux engagements avec les gens de finance, avec les receveurs généraux du
pays et surtout avec le trésorier des guerres Antoine Raguier. Il visita
toutes les frontières du nord. Il défendit sous des peines sévères tout
pillage et les courses dans la campagne. « On fut surpris d'un
changement si subit : on admira tant d'ordre et de discipline dans les
troupes, et même la tranquillité au sein des populations de l'Ile-de-France,
de Champagne et de Brie[37]. » A peine
était-il de retour de son expédition de Normandie qu'il fut chargé d'une
autre mission tout aussi importante dans le midi. Marguerite de Cominges
étant morte à Poitiers dès 1443, Jean IV d'Armagnac, qui se croyait bien
appuyé de l'Angleterre et des chefs de routiers Sallazart et Jean de Lescun,
bâtard d'Armagnac, disputa le comté de Cominges à Mathieu de Foix, et même
l'envahit malgré la décision du roi. La France était intéressée en cette
affaire, car il y avait cession à la couronne, et l'on ne voulait pas
l'agrandissement de la maison d'Armagnac. Le roi voulut faire respecter sa
sentence. Il fit d'abord parler à Jean IV par Valergues, alors sénéchal de
Toulouse, et par le sire de Trainel, bailli de Sens : n'obtenant rien, il
chargea le dauphin de l'expédition. Louis,
accompagné du maréchal de Culant et des sires de Châtillon et d'Estissac, fut
plus tôt aux portes de Rodez qu'on ne le sut parti de Picardie. On estimait
ses forces à 600 lances. Les forteresses du Rouergue ne tinrent pas.
Sallazart, renfermé dans celle de Rodez, dut se rendre. Jean IV se vit réduit
à se réfugier dans Ille Jourdain. Le dauphin, à qui il vint se, présenter
pour traiter, le fit prisonnier avec sa femme Isabelle de Navarre, son second
fils et ses deux filles. L'aîné, comte de Lomagne, s'était retiré en Navarre.
Tous ses biens furent alors mis dans les mains du roi. Louis fit passer ses
prisonniers par Toulouse, et les conduisit à Lavaur, d'où ils furent
transférés à Carcassonne. Il usait rigoureusement du droit de la guerre, mais
envers celui qui avait cru pouvoir abuser de la force et être en mesure de
désobéir. Le seul
sire de Lescun tint bon. Il garda les châteaux de Séverac et de Capdenac. Le
dauphin fit' le siège de l'un et de l'autre. On voit des lettres de Louis,
datées du siège de Séverac, le 11 mars 1441, résumant bien modestement[38] les conquêtes qu'il vient de
faire, et faisant don de la seigneurie de Combarieu, sauf l'approbation du
roi, à Jean Stuart, écuyer écossais, à cause des services par lui rendus au
roi. Le secrétaire du comte d'Armagnac, Bernard Barrière, avait ses propriétés
enclavées dans celles de son chef : elles furent comprises dans les terres
dont Louis avait disposé, selon l'usage, pour récompenser ses trompettes.
Barrière ayant réclamé, le dauphin, dès le 30 mars suivant, prie expressément
le roi de rendre audit secrétaire, qu'il n'a point voulu dépouiller, les
biens et héritages qui lui appartiennent ; et aussi de rétablir sa femme et
ses enfants en leur liberté et franchise comme ils étaient auparavant, en
cassant la donation par lui faite. Cela fut fait ; mais il fallut deux ans
pour la conclusion de cette affaire. Le pire
à constater, c'est que tandis qu'en France on se dispute, entre rois
catholiques, quelques villes et terres, 40.000 Turcs[39] envahissent la Hongrie et
passent le Danube. Il fallut qu'avec l'aide de Dieu le roi de Pologne ainsi
que son frère et les seigneurs de Hongrie, intervinssent de toutes leurs
forces. « Ils les déconfirent « et en tuèrent 4.000. » Le dauphin resta
quelque temps en Guienne et en Languedoc. Il cantonna ses troupes pour passer
l'hiver : puis, voulant retourner auprès de son père, il les laissa sous les
ordres du sire Théaude de Valpergue, bailly de Lyon. Alors, assure-t-on,
elles désertèrent en grand nombre, comme il arrivait trop souvent ; elles se
formèrent par bandes, et ravagèrent le pays jusque vers la Bourgogne. Un des
chefs de ces pillards était le comte de Dammartin. Ils ne touchèrent pas au
Dauphiné, à cause des sévères défenses du dauphin. Le sire de Blamont ou de
Beaumont, maréchal de Bourgogne, se mit à leurs trousses, quand ils furent
sur ses terres : il les attaqua près d'Espoises, et les dispersa après un
rude combat. Il fallut cependant les payer pour les éloigner. Le
dauphin avait distingué le sire de Lescun dans sa dernière expédition, et
songea dès lors à se l'attacher par des propositions avantageuses. On le
connaît comme bâtard tantôt de Lescun, tantôt d'Armagnac. Fils d'Arnauld de
Guillem de Lescun et d'Annette d'Armagnac dite Mademoiselle, il fut légitimé
en 1463, et depuis lors il fut plus connu comme comte de Cominges
qu'autrement. On sait qu'à la cour de Bretagne il suivait un parti contraire
au roi ; mais P. Mathieu, d'après Comines[40], le tient pour homme d'honneur,
parce qu'il ne voulut ni avoir intelligence avec l'Anglais[41], ni consentir à ce que les
places de Normandie leur fussent remises. Les hommes incapables, comme lui,
de pactiser avec l'ennemi étaient rares, et une sage politique devait les
rechercher. On sait aussi qu'il a été gouverneur de Dauphiné et de Guienne, et
qu'il reçut le bâton de maréchal de France. Par la
déroute de Jean IV d'Armagnac, les Anglais perdaient un point d'appui dans le
midi : ils étaient d'ailleurs fort divisés chez eux. Depuis la paix d'Arras (1435), que le duc Philippe avait
faite séparément avec nous, et la mort du duc de Bedford, survenue la même
année, deux partis en Angleterre divisaient la cour de Henri VI : celui de la
guerre, dont le chef était le duc de Glocester, et celui de la paix, représenté
par le cardinal de Winchester, oncle de ce duc. Entre ces deux opinions il y
eut de longs débats, et pour cette raison dès lors la guerre de France ne fut
point poussée avec vigueur. A cette époque les Anglais étaient encore maîtres
de la Normandie et de la Gascogne. Aux questions politiques se mêlaient des
prétentions dynastiques. Depuis
Edouard III la maison de Lancastre était en possession du trône d'Angleterre
et s'était même assise un rien sur celui de France. Il ne faut pas oublier
qu'elle avait pou ; elle un acte du parlement d'ancienne date et une
possession de plus de cinquante ans. Il y avait un prince, Richard due,
d'York, qui résumait en lui les droits de la maison de Clarerte. Si d'un côté
le cardinal prêtait beaucoup d'argent au gouvernement, dirigeait la marche
intérieure des affaires, et soutenait Henri de Beaufort, comte puis duc de
Somerset, de l'autre, Glocester en toute occasion se montrait favorable à
Richard. Il y
avait en Angleterre lassitude de la guerre, et cependant on tenait aux pays
qu'on possédait encore en France. Après bien des dissentiments le parti de la
paix finit par l'emporter à la cour et dans le parlement, mais avec
l'assurance de trouver à tous ses desseins une forte opposition. Quand il fut
question d'accorder au duc Charles d'Orléans la liberté sous caution,
Glocester s'y opposa. La majorité du conseil n'étant pas des deux tiers, ce
fut au roi à décider, et il prononça en faveur du cardinal qui avait déjà la
majorité. Le crédit de Glocester sembla presque perdu. Il oubliait
Jacqueline, assiégée dans Berghe. II avait épousé en réalité deux femmes, «
ce dont les dames de Londres[42] se plaignirent au parlement. »
La seconde, Léonora Cobham, était, dit-on, belle et méchante. On prétendait
qu'elle avait ensorcelé le duc. Comme ce prince se trouvait être le premier
héritier du roi, on accusa sa femme de sortilège et d'envoûtement contre
Henri VI, et elle fut condamnée à la prison de la façon la plus ignominieuse.
La dame Léonora perdit tout ce qu'elle avait. Suffolk et les parents de
celui-ci se partagèrent ses biens. On
était d'ailleurs sans inquiétude de la part de l'étranger. Il fut alors
question de marier le roi Henri VI. Il paraît qu'en 1442 on pensa à Londres,
comme moyen de conserver la Guienne, à une des filles du comte d'Armagnac, et
que cela fut une cause secrète des haines et des spoliations de Charles VII
contre Jean IV. On conçoit que le roi eut redouté cette alliance. D'autre
part, voici comment Rymer s'exprime : « Le comte ayant été dépouillé presque
entièrement, Henri VI ne pensa plus à sa fille. » On s'arrêta enfin à
Marguerite d'Anjou, que sans doute on croyait plus riche. Pour l'ouverture
des conférences quand il y en aurait, Charles VII s'était prononcé en faveur
d'une ville française. Elles s'ouvrirent donc à Tours, et la trêve y fut
bientôt décidée. Autant
Henri VI était faible et irrésolu, autant Marguerite avait d'intelligence et
de caractère. Pour conclure le traité et le mariage contre lesquels le duc de
Glocester s'était prononcé, sir William de Saint-Pol, comte de Suffolk, reçut
par acte du roi approuvé du parlement, mission et pouvoir de conduire cette
négociation. Une trêve provisoire fut d'abord conclue à Tours le 20 février
1441, puis décidée pour deux ans, le 20 mai 1444, jusqu'au 22 avril 1446 ; et
enfin prolongée jusqu'à 1447. C'est ainsi que dans l'expédition de Suisse et
à la victoire de Bottelen, 26 août 1444, gagnée par le dauphin, on vit des
compagnies anglaises combattre à côté des hommes d'armes de France. Le
mariage suivit la trêve. René, qui avait engagé son duché de Bar au duc de
Bourgogne pour sa rançon, n'avait point de dot à donner à sa fille ; d'un
autre côté Henri VI, en épousant Marguerite, ne pouvait pas garder ce qu'il
tenait encore dans le Main et dans l'Anjou. Le comte de Suffolk, avec une
nouvelle autorisation du roi et du parlement, fit l'abandon de ces deux
provinces et il épousa Marguerite pour Henri VI, dans la cathédrale de Nancy.
Ce mariage fut solennellement célébré à Titchfield, et le 30 mai 1445 elle
fut couronnée reine d'Angleterre à Westminster. La
reine Marguerite ne tarda pas à exercer un grand ascendant sur l'esprit du
roi. Suffolk était à peu près devenu le seul et principal ministre. Il
n'était plus guère question du cardinal que pour obtenir de lui des avances
d'argent. Le duc de Glocester faisait de l'opposition dans le conseil. « Il
est constant cependant « que quand le mariage fut fait il l'approuva. »
Lingard affirme même que le 4 juin quand Suffolk fit connaître le traité au
parlement, et que les communes prièrent Henri d'approuver la conduite de son
ministre, Glocester appuya leur requête. Forcé de résigner quelques terres de
Guienne qu'on donna immédiatement à Jean de Foix, neveu par alliance de
Suffolk, peut-être en conçut-il de l'irritation ; peut-être songea-t-il à se
venger du traitement infligé à sa femme pour maléfices contre le roi ;
peut-être aussi, aigri de se sentir toujours accusé, forma-t-il quelques
projet de se rendre maître de la personne de son souverain. Quoi qu'il en
soit, de graves soupçons pénétrèrent dans l'esprit de Henri VI sur la loyauté
de son oncle. Le roi
convoqua un parlement, non à Westminster, mais à Saint-Edmond. Il fut déployé
dans cette circonstance un appareil militaire tout à fait inusité. « Le
duc de Glocester quitta son château de Devises[43], et fut présent à l'ouverture
de la chambre, le 10 février 1447. Le lendemain il fut arrêté dans ses
appartements par lord Beaumont, connétable d'Angleterre, comme accusé de
haute trahison : et dix-sept jours après, c'est-à-dire le 28 février, on le
trouva mort dans son lit, sans aucune marque extérieure de violence. Cette
mort[44] n'était point tout à fait
inopinée ; depuis quelque temps il avait une maladie d'épuisement. Il n'y
avait nulle apparence que ce pût être un crime de la très-jeune reine.
Cependant on crut généralement à une mort violente. » On fit
courir le bruit qu'il était mort d'apoplexie ou de chagrin ; mais le soupçon
qu'il avait été secrètement assassiné prit une certaine consistance. Lingard
ajoute en note : « Je suis porté à croire qu'il mourut naturellement, d'après
l'autorité de Welhamstède, abbé de Saint-Alban, qui avait reçu nombre de
bienfaits du duc, était très-attaché à sa mémoire, et traitait très-rudement
ses ennemis. » Glocester n'est donc point mort le lendemain de son
emprisonnement, comme l'affirme l'historien des ducs de Bourgogne ; et il n'y
aurait point lieu d'en charger la mémoire de Marguerite, comme on l'a fait. Le
cardinal de Beaufort, âgé de quatre-vingts ans, oncle et compétiteur du duc,
mourut six semaines après, le I1 avril. Il résidait dans son diocèse,
exerçant ses fonctions épiscopales. Pendant une longue maladie de langueur il
se livra aux exercices de piété. Il n'expira point dans les angoisses du
désespoir, comme il a plu à Shakespeare de l'imaginer, mais fort
tranquillement, ayant voulu assister à la messe de requiem qui fut chantée
devant lui. Par la
mort du duc et du comte la maison de Lancastre perdait ses appuis. « Richard,
duc d'York, qui du côté de son père descendait d'Édouard Langley, le plus
jeune des fils d'Édouard III, et du côté de sa mère, de Lionel, troisième
fils du même Édouard, » fut pris d'un violent désir de monter sur le trône. Au
point 'de vue généalogique, les droits de Richard d'York étaient évidents. A
la mort du roi Richard II, fils du Prince Noir, la couronne revenait à Roger
de Mortimer, comte de la Marche, à cause de Philippe, fille de Lionel, duc de
Clarence, troisième fils d'Édouard. Henri, comte de Derby, qui se révolta
contre Richard II et le détrôna, n'était fils que du quatrième fils
d'Édouard, Jean de Lancastre. Pour qu'il prétendît il eût fallu que le duc de
Clarence n'eût point eu de descendants, ni garçons ni filles. Il fut roi
cependant ; il le fut par acte du parlement, et après lui Henri V et Henri VI
: de là cette guerre des deux roses. De tous
les enfants de Roger comte de la Marche il ne resta qu'une fille qui épousa
Richard, fils d'Edmond duc d'York, cinquième fils d'Édouard III. Elle lui
apporta les droits qu'elle avait à la couronne par filiation. Cette maison
d'York fut malheureuse. Ou a remarqué que de cette famille Édouard IV est le
seul qui soit mort dans son lit et que tous les rois ou princes du nom de
Richard sont morts tragiquement. Comines
dans une question si délicate s'abstient de se prononcer. a Alors usurpèrent
ceux d'York, dit-il[45]. S'ils eurent le « trône à bon
titre je ne sais. De telles choses le partage se a fait au ciel. » Richard
duc d'York songea donc à profiter de l'impopularité du règne de Henri VI. Il
semble dès lors épier l'occasion qu'il espère trouver dans l'incapacité du
roi et dans l'imprudence de son ministre. Il se charge à regret du
gouvernement de l'Irlande. Il observe le duc de Somerset, qui veut saisir
l'influence de ses deux parents, le duc de Glocester et le cardinal. Il
favorise, pour en profiter, les bruits fâcheux qui attaquent le gouvernement,
sur la cession du Maine et de l'Anjou, ces deux clefs de la Normandie. Bien
naturellement Charles VII exige l'exécution du traité, et se montre prêt à
conquérir ce qu'on lui refuserait. Le Maine fut donc livré, à l'exception de
Fresnoy, 11 mars 1448, et on obtint du roi de France une trêve de deux ans
avec assurance que les donataires des fiefs de la couronne d'Angleterre
recevraient pour leurs terres perdues une somme égale à dix années de leur
revenu. Nous ne
croyons pas qu'il y ait eu aucune faiblesse de la part du conseil de Henri
VI, dans le renouvellement des trêves avec la France en 1447, ni dans celle
accordée aussi, mais séparément, à la Bourgogne, à condition que l'on se
préviendrait mutuellement un an avant de la rompre. Cette manie de
souveraineté sur notre pays était une illusion fatale qui avait déjà coûté à
l'Angleterre beaucoup (le sang et d'incalculables trésors. Les esprits
aventureux tenaient à ce rêve, obstacle permanent à la réconciliation des
deux nations ; mais ils devenaient chaque jour moins nombreux. Les sages
étaient pour la paix, et finirent par être en majorité. Quand les opinions
sont ainsi partagées à peu près également il arrive que l'accession d'un
petit nombre d'adhérents fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre, et
cet effet est ordinairement produit par quelque incident inattendu. Cela
explique les vicissitudes qui se firent alors remarquer dans les partis, le
plus faible devenant tout à coup le plus fort. Marguerite
d'Anjou eut donc raison de s'attacher à cette politique. C'était elle qui
l'avait appelée en Angleterre. En se montrant favorable à la paix elle
rendait à deux grands pays, et particulièrement à l'Angleterre, elle le
croyait du moins, des jours de repos et de prospérité. On
s'étonne quelquefois de la voir blâmée de cette conduite ; comme si, par ce
désir très-naturel de pacification entre deux peuples faits pour s'estimer
mutuellement, elle eût réellement froissé le sentiment national de sa
nouvelle patrie. Cette querelle politique va se transformer en une lutte
dynastique. Un nouveau prétendant, ami de la maison de Bourgogne, va surgir.
Le drapeau de Lancastre continuera d'être le parti de la paix, le parti que
la France doit protéger : le drapeau d'York fera revivre toutes les
prétentions des partisans de la guerre, surtout après la perte de la
Normandie, que suivra bientôt celle, encore plus sensible, de la Gascogne. Le
pacifique Henri VI restait à peu près spectateur de tout ces démêlés. A ses
yeux, son droit s'appuie essentiellement sur la longue possession de sa
famille. Son esprit ne put résister à tant de secousses ; et sa raison
s'affaiblit, comme il advint à son grand-père Charles VI. Cependant
en France, quand on eut fait trêve avec l'Angleterre, il fallut, pour
préserver les campagnes, employer les troupes, régulières ou non, rendues
momentanément disponibles. On forma donc au dehors deux expéditions. La
commune de Metz se prétendait indépendante, et le roi René ne pouvait réussir
à la soumettre. Il paraîtrait que les aventuriers qu'elle soldait eussent
commis des actes d'hostilité contre la maison d'Anjou. D'un autre côté dans
ces querelles des ligues suisses entre elles, Zurich, trop faible contre ses
adversaires, avait eu recours aux princes d'Allemagne, et la maison
d'Autriche avait conçu quelque nouvelle espérance : d'ailleurs Sigismond,
l'archiduc, avait épousé Madame Radegonde de France, fille aînée[46] de Charles VII, et il était
intéressé en cette affaire. Le margrave de Bade, gouverneur de Souabe, s'en
était mêlé. Æneas Silvius Piccolomini, le plus éloquent des pères du concile
de Bâle, avait écrit à Charles VII des lettres fort pressantes. Par une
ambassade solennelle, l'empereur fit au roi de nouvelles instances ; il y
joignit un engagement très-formel pour la solde et pour la subsistance des
troupes qui seraient envoyées au secours de Zurich, pressée par les paysans
de la Suisse. Le duc Philippe connaissait Frédéric III ; il ne vit là rien à
gagner et ne prit donc nulle part à l'entreprise. Ce sera le dauphin qui
marchera au secours de l'aristocratie allemande. Les
Suisses avaient une façon à eux de combattre les grands. ‘Pillards, ils
étaient devenus l'effroi de leurs voisins[47]... Un de leurs moyens pour
dépouiller les seigneurs d'alentour, c'était a de protéger leurs vassaux,
c'est-à-dire d'en faire leurs sujets ; a ils appelaient cela affranchir. »
Les affranchis regrettaient souvent l'ancien maître ; sous les armes ils
obéissaient à leurs chefs, et donnaient un peu libéralement aux Armagnacs le
nom de brigands. L'armée
française, qu'on dit avoir été d'une quarantaine de mille hommes, fut
renforcée de huit mille Anglais sous les ordres de Mathieu God, gentilhomme
de Galles, surnommé Mathago. Le dauphin, qui la commande, part de Troyes[48], au mois de juillet. Il marche
accompagné des plus sages capitaines, tels que le maréchal de Culant, le
comte de la Marche, Antoine de Chabannes, Jean V sire de Bueil, Joachim
Rohaut, Blanchefort, Gilles de Saint-Simon, et l'Écossais de Montgommery. Langres
est le rendez-vous, et l'on évite autant que possible de passer sur les
terres de Bourgogne. Le roi,
qui les a accompagnés, se dirige vers Metz ; et le dauphin, avec la meilleure
moitié des forces, marche sur Montbéliard et de là vers Altkirck. Il reçoit
de nouvelles sollicitations de l'empereur de marcher en avant, et aussi de
nouvelles promesses. Il arrive bientôt à Bâle. Les Suisses étaient alors peu
connus des Français, et ne savaient pas eux-mêmes à qui ils avaient affaire.
Ils n'écoutent point ceux qui leur conseillent d'attirer l'ennemi dans leurs
montagnes. Ils voient venir à eux des Armagnacs, c'est-à-dire, croient-ils,
des bandes désordonnées, incapables de persévérance au combat. Ils ne
prennent donc aucune précaution, et ils se mesurent tout d'abord avec ceux
qui ont passé la Birse. Le 26
août 1444,1es sires de Bueil et de Chabannes marchent en avant avec quelques
milliers d'hommes. Ils sont repoussés malgré toutes leurs précautions. Les
Suisses se sentent appuyés du bourgmestre de Bâle et de ses gens. Ils courent
attaquer leurs adversaires, qu'une bonne artillerie protège. Le dauphin,
profitant de la rivière qu'ils avaient imprudemment passée, coupe leur corps
en deux parts : il investit l'une, et par une habile manœuvre il empêche
l'autre de se joindre aux bourgeois. De ce côté les Suisses, voyant bien
qu'ils avaient affaire à forte partie, se retranchent dans la maladrerie de
Saint-Jacques et dans le cimetière. Il s'y livra une lutte acharnée, où ils
périrent presque tous. Là surtout ils se firent connaître pour intrépides. Ce
lieu s'appelle la plaine de Bethlen. Il leur fallut lever à la hâte le siège
de Zurich, et battre en retraite dans leurs montagnes. Parmi
les plus braves combattants de l'armée de France on remarqua Pierre
d'Aubusson, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, cinquième fils de Reynauld
d'Aubusson, seigneur de la Borne et du Monteil, le plus jeune de quatre
frères, tous fort distingués dans l'Église, dans la robe et dans l'épée.
Pierre d'Aubusson fut un des plus grands hommes de son siècle. Après s'être
signalé contre les Turcs, il revint en France en 1438[49]. On le remarqua à la prise de
Montereau. Dans la Praguerie il prépara et il seconda les efforts conciliants
de Charles d'Artois comte d'Eu. Il suivit le dauphin dans l'expédition de
Bâle et concourut à la victoire ; puis il s'en alla à Rhodes défendre ce
dernier boulevard des chrétiens contre les infidèles. Il s'y conduisit en
héros. Il revint en France, et il remporta un secours considérable. C'est lui
qui en 1480 défendit glorieusement Rhodes et y soutint un siège de deux mois
contre cent mille Turcs commandés par Misach Paléologue, l'un des plus
habiles généraux de Mahomet Il ; grand fait d'arme où il reçut cinq
blessures, dont une fut d'abord jugée mortelle. Enfin, après avoir été grand
prieur d'Auvergne, il fut en 1476 élu grand-maître de l'ordre, à la mort de
Jean-Baptiste des Ursins. Il défendit avec honneur les chevaliers ses
confrères, jusqu'à la fin de ce siècle et au-delà. Louis
montra aussi alors ce que peut le courage aidé de la sagesse. Malgré son
jeune âge il n'avait mis nulle précipitation dans ses mouvements : il ne
s'était point laissé aller au mépris que les seigneurs voulaient lui donner
pour ses adversaires. Vainqueur, il ne se laissa point enivrer par le succès.
Bâle n'implora pas en vain sa clémence ; le clergé, les magistrats, les
femmes les plus notables l'invitèrent à venir dans la ville, mais avec prière
de n'y point faire entrer son armée : il y accéda, et, prenant en grande
considération la médiation du duc de Savoie, il signa une paix particulière
avec les cardinaux du concile. Il fit alors apercevoir qu'ayant fait lever le
siège de Zurich, il avait rempli sa mission, et qu'il ne pousserait pas plus
loin les hostilités. Au reste, ni l'empereur Frédéric III ni les princes
allemands n'eurent souci de tenir leurs promesses. Malgré leurs serments
réitérés dans plusieurs ambassades, l'armée ne reçut d'eux ni argent, ni
secours, ni vivres. On a dit[50] « que, ne trouvant rien
dans les montagnes, les troupes se mirent à piller l'Alsace et la Souabe ».
L'empereur manquant à tous ses engagements, les troupes furent bien obligées
de vivre comme elles purent. Pour le retour de l'armée comme pour son
arrivée, la mauvaise foi de Frédéric à remplir ses promesses causa le
désordre dont on a parlé. Charles marquis de Bade et d'autres princes
n'osèrent-ils pas attaquer l'artillerie française et les hommes de guerre qui
marchaient isolés ! Afin
que l'expédition ne fût pas stérile, Louis fit le 21 octobre et signa le 28 à
Einsisheim, en Alsace, un traité de paix avec les Suisses, ajoutant à leurs
neuf cantons leurs alliés, particulièrement le duc de Savoie, ainsi que les
comtes de Neufchâtel et de Valengin. Pour ce traité, il accepta[51] la médiation du concile de Bâle
et du duc de Savoie, et il donna ses pouvoirs à Gabriel de Bernes, maître de
son hôtel. Les Suisses promirent d'entretenir avec la France « une bonne
amitié et une étroite correspondance ». Le commerce dut être libre entre les
deux pays. Le dauphin promit de s'employer pour obtenir à cette paix
l'accession des seigneurs actuellement en guerre avec les communes suisses.
Il jura le traité et le fit jurer à ses lieutenants. Le maréchal de Culant
ramena l'armée en France par Montbéliard, et le dauphin alla rejoindre le roi
à Nancy après être resté environ trois mois en Alsace. On
était alors tranquille dans le nord. cc Le 10 novembre 1445, dit Olivier de
la Marche, fut tenue à Gand la fête de la Toison-d'Or. On ne parlait en
Flandre que du pouvoir de messieurs de Gand. Ils avaient plus de la moitié du
pays, et, avec ce, la grâce et l'amitié de leur prince. Mais — comme le
peuple ne se sait tenir en repos ni en aise —, les Gantois ne sçurent
longuement garder cette bienheureuse vie de paix et de repos. » De son
côté le roi avait soumis d'abord Épinal, Verdun et autres places. Il s'était
fait payer par toutes les villes de cette contrée ce qu'il appelait la
protection de la France. Jadis ville impériale, Metz tenait à ses anciennes
franchises. Elle s'était enrichie par le commerce. Quand le roi René dut
payer une si lourde rançon au duc de Bourgogne, il ne crut pouvoir mieux
faire que de s'adresser à elle : c'était mal au duc Philippe de rançonner
ainsi son parent ; mais c'était pire encore au roi René de songer à payer sa
dette aux bourgeois à coups de canon. Le roi fit sommer la ville de lui
rendre hommage, ne pouvant être tenue à féauté que sous la souveraineté de sa
couronne. Le motif était vague et surtout fort contestable. Les habitants
refusèrent donc. Alors
les sires de Brezé, de Saintrailles et autres portent dans le pays le feu et
la dévastation, et viennent les assiéger. En vain les bourgeois envoient des
députés, prouvent qu'ils n'appartiennent point au royaume de France,
démontrent que dans les derniers démêlés ils ont été du parti du roi, non
d'un autre ; en vain ils disent que, pour mériter une si terrible guerre, ils
n'ont jamais fait à la France aucun mal, toutes ces raisons sont traitées
d'arguties. Comment eut-on reconnu à une commune le droit de s'administrer
sans subjection féodale ! La ville subit sept mois de siège, dut payer au roi
80.000 florins, donner quittance au roi René des 100.000 écus qu'il devait,
et on ne parla plus d'hommage. Metz en fut pour son argent ; le traité est du
24 février 1447. Le dauphin le ratifia six jours après, Pour y avoir
efficacement travaillé, le sire de Brezé, sénéchal d'Anjou, reçut 500 écus de
gratification. Dans les lettres patentes du roi René qui constatent ce don il
est dit que le différend entre la couronne de France et l'évêque de Metz
provenait de l'exploitation des salines de la Lorraine. Il est certain que le
succès obtenu à Zurich hâta celui de Metz. A
Nancy, où allèrent le roi et le dauphin, les cours de France et d'Anjou se
trouvèrent réunies. Là étaient la reine Marie d'Anjou, la reine de Sicile
Isabelle de Lorraine, la dauphine Marguerite d'Écosse et Marguerite d'Anjou
que le comte de Suffolk venait demander et épouser pour Henri VI. Ces
princesses avaient avec elles leurs dames et demoiselles d'honneur. Agnès
Sorel y était-elle ? Les historiens le disent[52] ; alors elle approchait de trente-six
ans, et elle figurait en cette noble compagnie où étaient la reine Marie et
le dauphin avec son épouse. Selon Olivier de la Marche, la duchesse de
Bourgogne et la reine de France devisaient ensemble et se faisaient de
mutuelles confidences, « ayant une même douleur et maladie ; et il y
avait raison dans leurs soupçons, parce que le roi avait donné à Agnès un
train comparable à celui des grandes princesses, et que le duc était fort
dameret. » Il y eut alors huit jours de fête à effacer les splendeurs de la
cour de Bourgogne. On se
livrait donc à la joie et aux plus folles dépenses a lorsque « le pays,
les villes, tous les sujets du roi étaient ruinés[53] ou réduits à la misère ! » Le
roi conduisit la jeune reine d'Angleterre jusqu'à deux lieues de Nancy. « Il
recommanda à Dieu sa niepce, dit Alain Chartier, laquelle en prenant congier
de luy, ploura moult fort, au point qu'elle pouvait à peine parler. » On sentit
bientôt en France l'influence de ce mariage ; car dès le 14 décembre de la
même année on voit de Henri VI un acte portant les pouvoirs les plus étendus
et les plus propres à faciliter les échanges. Comment
concilier le luxe de ces fêtes avec les économies dont le trésor public
aurait eu si grand besoin ? Cette réforme des compagnies de gens d'armes,
cette taille votée d'avance, cette présentation des quinze capitaines, ces
injonctions royales sur la discipline de l'armée, ces défenses rigoureuses de
vol et de pillage, toutes les mesures de justice et de compétence prévues
avec soin pour punir toute infraction à l'ordre et au règlement ; tout cela
était inutile s'il n'y avait pas dans le trésor de quoi payer exactement les
gens de guerre, ou si l'argent ne pouvait arriver jusqu'à eux. Ainsi
l'amélioration, comme les faits le prouvent, n'existait qu'en théorie. Le
dauphin administrait de loin le Dauphiné. Quoique fort bien représenté par le
sire de Gaucourt, il cherchait à prendre lui-même des mesures utiles. Son
attention se porta d'abord sur les finances et sur le cours des monnaies.
Humbert II battait monnaie et avait obtenu que le cours n'en fût point
interrompu. Louis, informé que les rois de France, en cédant le Dauphiné à
leurs aînés, ne s'étaient rien réservé, obtint du roi, 12 août 1445, des
lettres patentes lui garantissant que ses monnaies auraient cours en France
avec réciprocité pour celles de France en Dauphiné. « C'était donc un devoir
du dauphin[54] de faire battre monnoie. » On voit
que le roi, par les lettres écrites vers le même temps aux villes de Toul et
de Verdun, eût voulu les rallier à la couronne. A cette même époque (janvier 1447) il établit le corps municipal
de Langres, ville frontière, et en mars il fonda la ville même de Granville,
qui, naguère pèlerinage à la sainte Vierge, était devenue une localité
importante. Alors aussi (mars 1447) il reçut l'hommage de François Ier, duc de
Bretagne, et il confirma les privilèges des Bretons, « au sujet des
ajournements et appels, autant qu'ils en « auraient duement joui ».
Quoique les droits royaux de ressort et de souveraineté fussent bien
positivement réservés, cette question devint plus tard un grave sujet de
contestation. En septembre 1445 la collégiale de Saint-Martin de Tours reçut
des lettres de non-préjudice. Déjà, on le sait, elle avait le privilége de ne
point dépendre de l'ordinaire, mais directement de Rome ; de n'avoir à
plaider que devant le parlement ; elle obtint de plus le droit de n'héberger
personne, sauf le roi, la reine et leur fils aîné. En décembre 1446 le roi
confirme au Languedoc ses privilèges et accorde les affranchissements qui
sont demandés, celui, par exemple, des gens de Boussac. L'université
de Paris[55] était plus difficile à
réglementer. « Depuis le 4 septembre 1444 jusqu'au dimanche de la
Passion il ne fut fait, par ordre émané de la Sorbonne, ni prédication, ni
leçons, ni fêtes, ni dimanches » ; sans qu'on en voie aucune raison, sinon
que le recteur ne pouvait souffrir qu'on voulût faire contribuer l'université[56] à certaines tailles exigées de
Paris, et que quand il s'en plaignit un des élus avait mis la main sur lui.
L'année suivante, au printemps, de nouveaux griefs s'étant reproduits,
Charles VII fit poursuivre messieurs de la Sorbonne par les gens de son
parlement. Sauval[57] cite même une grave émeute que
pendant la vacance du siège l'official aurait suscitée contre le prévôt de Paris,
sous le prétexte d'oubli des privilèges. De
Nancy la cour vint à Châlons-sur-Marne. On commençait à s'inquiéter du
refroidissement de la cour de Bourgogne. Le duc élevait des réclamations sur
l'exécution du traité d'Arras. La duchesse Isabelle de Bourgogne vint à
Châlons, y reçut un très-gracieux accueil, et des conférences politiques
s'ouvrirent avec elle. Joutes, danses et festins recommencèrent ; le mariage
de Jean de Calabre, neveu de la reine, avec Marie de Bourbon, nièce du duc de
Bourgogne, prolongea encore ces fêtes. Les historiens font observer que la
reine, peu flattée des infidélités de Charles VII, et la duchesse Isabelle de
Portugal, dont l'époux « faisait élever publiquement[58] dix ou douze enfants bâtards »,
prenaient peu de part à toute cette allégresse. Cependant
plusieurs sujets de contestation se présentaient à la conférence : malgré le
traité d'Arras, le bailli de Sens se disait encore bailli d'Auxerre, et le
bailli de Lyon prétendait l'être aussi de Mâcon ; les tailles royales
étaient, sans motif, imposées à certaines portions du duché ; les garnisons
françaises de Montbéliard et de quelques autres places faisaient des courses
qu'on ne pouvait supporter. D'autre part, les conditions de la liberté du roi
René demandaient à être adoucies, et il fallait que les villes données par
lui en gage lui fussent restituées. La rançon fut réduite, on lui rendit ses
villes de Neufchâteau en Lorraine, de Clermont en Argonne, de Gondrecourt et
autres petites places. Il céda au duc le Val de Cassel, et toutes les
difficultés s'aplanirent à la satisfaction générale. On
était en bonne voie de conciliation, quand arrivèrent les députés du comte
Jean IV d'Armagnac, toujours prisonnier. Les comtes de Foix, de Dunois et
plusieurs autres seigneurs se prononcèrent ouvertement en sa faveur ; ils
abritèrent de leur protection les excuses des envoyés. Tous sollicitèrent
pour lui plutôt grâce que justice. Il obtint donc miséricorde. Il sortit de
prison et rentra (mai 1446)
en ses domaines ; le roi n'en excepta que la succession d'Amauri de Séverac
et quatre châtellenies du Rouergue qu'il donna au dauphin. On en exigea des
sûretés assez onéreuses et on retint les droits royaux. La cour
et la France furent bientôt attristées. La mort vint rompre un ménage fort
uni. Marguerite d'Écosse, la jeune épouse du dauphin, s'était surtout fait
connaître par son goût pour la poésie et pour les œuvres de l'esprit. Son
chaste baiser à Alain Chartier est devenu célèbre. Si elle eut jamais quelque
peine, ce fut de savoir qu'il eût été tenu par Jarret du Tillay des propos
fort indiscrets et fort malveillants sans qu'elle y eût jamais donné lieu. Aimée
de tous, elle était particulièrement chérie de la reine. Elle mourut alors
presque inopinément. Un jour de grande chaleur, elle alla à pied faire sa
prière à la ville en l'église de Notre-Darne de l'Espine. Un refroidissement
amena une pleurésie qui l'emporta en peu de jours, le 16 août. Ce fut pour le
dauphin un grand sujet de peine ; car, selon Alain Chartier, elle était belle
et bonne dame ; et selon Monstrelet, elle était « une princesse parfaite aux
beautés de l'âme et du corps ». Les propos dont elle s'était si fort émue
augmentaient le chagrin de Louis. Il y eut une enquête à ce sujet ; la reine
même souffrit d'être interrogée[59], et n'excusa nullement du
Tillay. Celui-ci repoussa les mauvaises paroles qu'on lui attribuait, et on
se relâcha sur la poursuite. Marguerite fut laissée en dépôt dans la
cathédrale de Saint-Étienne, pour être transférée le 30 octobre, selon son
vœu, à Saint-Laon de Thouars. Ainsi Louis était veuf à vingt-trois ans. On
voit encore un récépissé daté du 26 juillet 1445, écrit de la main de la
dauphine avec sa signature, et un compte de ses dépenses ordinaires de
juillet et d'août. Elle y déclare « avoir reçu 2.000 livres tournois de
maitre Étienne Petit, secrétaire du roi par les mains de Jacques Cœur, son
argentier, pour avoir des draps de soie et martres, afin de faire robes pour
sa personne ». En janvier 1446 des prières furent fondées pour elle. Comines
dit : « Quand Louis fut homme, il fut marié à une fille « d'Écosse à son
déplaisir ; et tant qu'elle véquit il y eut regret. » Nous croyons cette
dernière assertion très-hasardée. Le Père Anselme dit positivement : « Louis
voulut épouser en secondes noces la sœur de Marguerite, mais le saint-père ne
lui en accorda pas la dispense » ; ces faits se passaient bien avant que
Comines connût le roi. André Duchesne déclare qu'il aima cette princesse. Personne
n'a eu le moindre soupçon à l'égard du dauphin pendant la durée de son union
maritale. Des quatre filles qu'il eut hors mariage, l'aînée, Guyette, qu'il
ne reconnut point, épousa Charles de Seillons, son secrétaire[60], et paraît être née en 1446 ;
Marie épousa à Chartres en 1467 Aimar de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier,
et mourut peu après en couches sans laisser de postérité. Elle naquit de 1449
à 1451 ; Jeanne fut reconnue le 25 février 1465 et mariée à Louis, bâtard de
Bourbon, qui en considération de ce mariage reçut la terre de Rossillon en
Dauphiné et fut amiral de France ; les lettres de légitimation disent qu'elle
était fille de Phélise Renard, alors veuve. L'âge de ces deux dernières place
leur naissance entre 1446 et 1456. On a dit[61] que le dauphin avait connu dans
le Dauphiné Marguerite de Sassenage, dame de Beaumont, veuve d'Amblard de
Beaumont ; que cette femme fort gracieuse fut mère de Marie et de Jeanne.
Isabeau, la quatrième, épousa Louis de Saint-Priest. Au fait, il est certain
qu'aucune de ses faiblesses ne coïncide avec ses vraies années de mariage, et
qu'il y fut fort discret, alors même que son père et le duc Philippe étaient
sans scrupule sur ce point. Ainsi on ne dira pas que ce qu'il ne tolérait
point dans Charles VII, à cause de sa mère, il se le soit permis. Peu de
princes ont eu plus de raison et de sage retenue. En
effet, sa seconde épouse Charlotte eut, aussi bien que la reine Marie
d'Anjou, des dames d'honneur. Il en a été question dans plusieurs tournois,
et particulièrement dans les fêtes que le duc Philippe donna à la reine et à
sa famille à Hesdin en 1464. Louis XI s'observa si bien, qu'il ne vint même
pas à la pensée de ses nombreux ennemis de dire de lui un seul mot capable de
ternir leur réputation. Elles firent de bons mariages. On sait, par exemple,
que l'une d'elles, Jeanne de Commières, épousa le baron Jacques de Sassenage,
dont Louis XI eut ensuite beaucoup à se louer ; que Louis, encore dauphin,
ajouta à sa dot 4.000 écus d'or, et que plus tard, en 1470, il lui donna les
terres de son frère Rodolphe de Commières, bailli de Grésivaudan, terres
acquises au roi par confiscation et dont il avait droit de disposer. Outre
les lettres de légitimation, nous remarquerons que le droit de bâtardise
n'existait pas en Dauphiné, que les bâtards y succédaient aux biens de leur
mère et en partie à ceux de leur père, pourvu qu'ils ne fussent pas nés d'un
père marié ou ayant des enfants légitimes ; et que réciproquement la mère
succédait à ses enfants naturels. « Les bâtards en Dauphiné étaient
aussi anciennement nobles[62] de même que les légitimes ; »
cette prérogative implique même l'exemption de leurs biens de toutes
contributions ; ainsi le voit-on dans la 580e question de Guy Pape. La
reine mère avait mandé les deux sœurs de Marguerite d'Écosse. Quand elles
eurent débarqué en France, elles apprirent en même temps la mort de leur sœur
et celle de leur mère. Le roi s'occupa de les marier : l'aînée épousa
l'archiduc Sigismond, et l'autre un seigneur écossais. On pensait à trouver
une épouse au dauphin. Le roi en parla. Louis dit alors, assure-t-on, que,
sauf son respect pour son père, il désirait se marier selon son goût, s'il
arrivait qu'il y pensât. Après
ces tristes jours, on revint à Tours. Les faveurs de la cour ont toujours
fait beaucoup d'envieux et de mécontents. La présence au pouvoir du sire
Pierre de Brezé, sénéchal d'Anjou, semblait inaugurer une politique de
défiance, et le connétable même s'en montrait piqué. On reprochait assez
ouvertement au ministre de prendre de toutes mains. Il avait trouvé son
compte, disait-on, dans l'arrangement accordé aux gens de Metz. Sa fortune
grandissait sensiblement. Pour arriver à pacifier certains différends au
sujet du Valentinois, le duc de Savoie lui avait donné le comté de Maulévrier
en Normandie, près Caudebec. Le crédit du sire de Brezé sur l'esprit du roi
et l'influence d'Agnès sur l'un et sur l'autre n'étaient un mystère pour
personne. Agnès
Sorel ou Surelle, fille de Jehan de Montsoreau, seigneur de Saint-Géran[63], et de Catherine de Maignelais,
dame de Verneuil, elle-même de bonne condition, naquit en 1409 dans le
village de Fromenteau, en Touraine. Orpheline encore fort jeune, sa tante
l'éleva avec une fille qu'elle avait, et les présenta toutes deux à la cour
de Charles VII, à Chinon, pour être au nombre des filles d'honneur de la
reine. Le roi allait voir Agnès tantôt à Loches ou dans cette délicieuse
retraite de Fromenteau, qu'elle aimait tant ; tantôt à Chinon, ou au château de
Bois-Trousseau, à quatre lieues de Bourges, On sentait si bien le vif et
continuel dégoût qu'une telle ignominie devait inspirer au dauphin, que le
bruit courut qu'il avait un jour donné un soufflet à Agnès Sorel, fait
d'ailleurs très-contestable. De là venait surtout l'esprit d'opposition,
l'aversion même du prince pour tout ce qui se faisait dans le gouvernement de
son père. On sait en effet que Charles VII était entièrement à la discrétion
de ceux qui le dominaient pour le moment. Qu'on
ne s'étonne donc plus de la disposition d'esprit et de la défiance où fut le
dauphin à son égard, tant qu'il sut que Mme Agnès était à la cour, et
qu'ensuite Mme de Villequier l'avait remplacée ; car il n'ignorait pas que
ces femmes lui rendaient avec usure la haine profonde qu'il leur portait : il
ne pouvait ni se fier à elles, ni déclarer à son père le vrai motif de son
éloignement. « Au
fait, dit P. Matthieu[64], qui ne voit que la flatterie
avait falsifié les fastes de ce temps-là ? Le roi dérobait de bonnes heures
aux affaires, pour les employer à ses plaisirs et à ses jardins. Il n'était
plus question de palmes et de lauriers. Les frondeurs ne manquaient pas. Ces
bourdons bruissaient incessamment autour des oreilles du dauphin. Ils
soulevaient son âme à des murmures illicites contre les amusements de son
père. Ils lui faisaient croire que Charles ne pouvait être ni à soi ni aux
siens tant qu'il serait à la belle Agnès. Il ne pouvait dissimuler son
mécontentement. Cette habile femme, pour la sûreté de sa fortune, se
saisissait le plus qu'elle pouvait de la bienveillance du roi. Elle
enflammait le courroux du père contre le fils, et cherchait toutes les
occasions de contenter son dépit. Le roi, jaloux de son fils, ne le voyait
plus que d'un œil troublé par le chagrin. » Toutefois, ajoutons que les
traditions de Touraine ne donnent pas à Agnès un si noir caractère. Peut-être
y a-t-il un peu de complaisance ou d'exagération de la part de nos
chroniqueurs. Plus tard ce fut Louis XI lui-même qui maria les trois filles
d'Agnès : Charlotte, l'aînée, à Jacques de Brezé, dont elle fut victime ;
Marguerite, la seconde, à Prégent de Coëtivy, l'amiral ; Jeanne, la
troisième, à Antoine de Bueil avec une dot de 40.000 écus. Les
choses étant ainsi, le dauphin, en causant avec ceux qu'il croyait ses amis,
surtout quand ils se plaignaient eux-mêmes de la mauvaise direction et des
fautes du gouvernement, qu'ils fussent khan de Daillon, Louis de Bueil ou
Antoine de Chabannes, a bien pu laisser échapper quelques paroles de
mécontentement, et on conçoit que ses plaintes indirectes aient facilement
été envenimées, comme cela arrive toujours, selon l'intérêt des délateurs.
Dans l'enquête à laquelle ces divers propos donnèrent lieu, le comte de
Dammartin allégua certaines expressions qu'il attribua au dauphin et que
celui-ci contesta très-vivement. Cette altercation eut de l'éclat, mais elle
n'eût point suffi a pour être l'unique cause de sa retraite n. Quant
au ministre dirigeant, le dauphin n'avait nulle aversion pour Pierre de
Brezé. Il l'avait au contraire en grande estime ; car il le savait brave. La
sévérité que cet homme d'État faisait paraître dans ses règlements militaires
était peut-être impraticable pour le présent ; elle ne pouvait toutefois que
lui être sympathique. Il est même certain que lorsque l'ordonnance des gens
d'armes fut rendue à Châlons (1445), le dauphin était appelé à tous les conseils. Ainsi il aurait
contribué à la rédaction de ce règlement. Ce
qu'il y eut de triste dans ces intrigues, c'est que, suivant Legrand[65], « elles coûtèrent la vie
à quelques archers écossais, et qu'il fallut que le jeune roi d'Écosse
intervînt en faveur de Conighan, chef de la garde écossaise ». L'enquête
qu'on ouvrit sur cette affaire ne donne guère que des conjectures, des
soupçons de sorcellerie et plus d'une calomnie intéressée. Le dauphin eût
voulu, non s'emparer du gouvernement, mais en écarter ce qui le rendait
détestable. Dire d'une part qu'il avait gagné quelques Écossais de la garde,
et de l'autre qu'il regardait les Écossais comme un obstacle au bonheur
public, c'est pure contradiction. D'ailleurs les méchants propos se
répétaient autour du dauphin, et l'excitaient à des murmures contre les
plaisirs du roi son père. Il ne pouvait dissimuler son indignation, ni cacher
complétement son dépit[66]. Ainsi
entre le père et le fils les relations s'aigrissaient de plus en plus. Après
l'accouchement de la reine, qui, le 28 décembre, donna le jour à Charles de
France, le dauphin demanda au roi à voyager quelques semaines en Dauphiné.
Cette permission donnée d'abord pour un mois, puis pour quatre, finit par
être définitive. En
cessant d'être directes et personnelles, les relations entre le roi et le
dauphin furent loin de s'améliorer. L'esprit d'opposition, grâce au mauvais
vouloir des courtisans, devint réciproque. Le témoignage n'en est pas douteux
: « Tous les desseins que formait le prince dans son apanage du Dauphiné, dit
M. de Barante[67], tout ce qu'il proposait était
sans cesse traversé et repoussé. » En effet, d'après les habitudes prises et
contraires au texte précis de la cession primitive, le dauphin dans beaucoup
de choses était obligé d'agir de concert avec le roi. Les
loisirs précaires dont on jouissait furent, dit-on, employés en joutes et en
fêtes chevaleresques tant à Tours qu'à Saumur. C'était le goût du temps. « Il
semblait, dit Matthieu de Coucy, qu'on dût réaliser tous les contes qu'on
aimait à lire dans les romans les plus fantastiques, tels que l'Amadis de
Gaule, les Chevaliers de la table ronde et autres. Cependant, après tant de
dévastations, de perturbations et de misères ; après une guerre dont on ne
voyait pas encore bien clairement le terme, et une si longue suspension de
l'industrie et de l'agriculture ; lorsque le trésor public était épuisé, il
semble que ces amusements, trop évident témoignage de la légèreté des
caractères, étaient hors de saison. L'ordonnance
militaire amena la création des francs-archers, fournis et équipés par
chacune des paroisses, un par cinquante feux. Ces corps furent exempts de
toute taille ou charge publique et prirent de là leur nom ; faute de
discipline, ils dégénérèrent promptement, car dès le règne suivant il fallut
les supprimer. Les seigneurs grands et petits ne furent point pour cela
dispensés de servir quand on les appelait. Le 2 novembre 1439, à l'assemblée
des états d'Orléans, par suite de l'ordonnance des gens de guerre, il fut
décidé que l'armée serait permanente, afin que le roi eût toujours sous la
main une force imposante. La conséquence de cette grave décision fut, comme
on sait, la perpétuité de la taille pour l'entretien des troupes. On jugea
dès lors que, la dépense étant devenue indispensable, il n'était pas aussi
nécessaire qu'elle fût annuellement votée par les états. Il n'y eut donc plus
d'aussi fréquentes convocations des états généraux. Ce changement politique
s'opéra de lui-même. Le vote préalable de l'impôt, coutume très-bonne en soi,
tomba peu à peu en désuétude, excepté dans quelques provinces de droit écrit,
qui tinrent à conserver cet ancien privilége, particulièrement en Dauphiné et
en Languedoc. L'armée,
avant de subir cette réforme, eut vers le même temps à pourvoir à l'exécution
du traité fait avec l'Angleterre. Les Anglais, qui devaient restituer le Mans
par suite du mariage de Henri VI avec Marguerite, ne le rendaient point. Il
fallut que Dunois allât en faire le siège, ce qui n'empêcha pas le
renouvellement de la trêve pour trois ans. Tout présente donc un aspect pacifique.
Henri VI écrit à son très-cher oncle de France ; et un peu plus tard[68] le duc de Bourgogne s'explique
sur sa formule par la grâce de Dieu, de manière à ne laisser nul ombrage ;
dès le 26 juin 1449 il y eut[69] un traité d'alliance et de
confédération entre le roi et le duc de Bretagne. Souvent
la volonté du roi venait se heurter contre des usages invétérés qui avaient
pénétré dans les mœurs. Ainsi, « lorsque Philippe le Bel, par un
mandement de 1311 adressé aux barons et nobles de France, défendit sous de
grandes peines[70] de porter les armes ou de faire
tournois, il ne put déraciner cet abus, dont on se plaignait encore au
quinzième siècle. Tout
était contradiction : on voulait faire cesser les guerres privées ; et on
faisait tout pour entretenir le goût des combats singuliers ; on voulait
détruire les compagnies de routiers de toutes sortes, et le zèle des
aventures était si bien encouragé, qu'on voit, aux grands applaudissements de
tous, des chevaliers former des entreprises d'armes, faire serment de courir
le monde, et de ne pas revenir avant d'avoir pu, au moyen de provocations
presque toujours injustifiées, combattre une vingtaine de fois en champ clos,
comme firent Galéotto Bonifazio et le chevalier Jacques de Lalaing.
L'approbation des dames favorisait cette ardeur belliqueuse. Il y eut
cependant quelques exceptions à cet engouement général. La duchesse de
Bourgogne, Isabelle, n'aimait pas ce genre d'exercice, où il y avait effusion
de sang comme aux anciens combats de gladiateurs ; et elle n'y assista jamais
sans y être forcée. Ces spectacles si recherchés se donnaient ordinairement
dans les lieux où résidait la cour. Des hommes d'armes, avec un bâton blanc à
la main, se tenaient dans la lice pour séparer au besoin les combattants ; et
d'une tribune le juge du combat donnait sa décision. La lutte, où le sire de
Ternant fut proclamé vainqueur, à Arras, fut une des plus solennelles du temps. Souvent
on provoquait, en vue de se faire une réputation de bravoure ou de soutenir
certaines prétentions. Ainsi Jean de Clèves, neveu du duc Philippe, défia
l'archevêque de Cologne, qui était en fort bons termes avec Guillaume de
Saxe, aussi prétendant du Luxembourg, Le prélat vit donc son pays ravagé, et
s'estima heureux d'échapper à t'avidité des gens de guerre. Pour attaquer, le
prétexte ne manquait jamais. Des vassaux même provoquaient leur seigneur,
comme cela est arrivé plus d'une fois. C'est
toujours le droit du plus fort qui prévaut. A peine si on prend souci de
discuter le reste. Des provocations au brigandage il n'y a qu'un pas. Les
scélérats étaient nombreux. Nulle route n'était sûre. Le roi (6 octobre 1447) donna au prévôt de Paris Robert
d'Estouteville[71] un nouvel ordre de poursuivre
partout les brigands et gens sans aveu. Quand
on dit[72] « que de 1440 à 1461, époque où
l'Angleterre « tombe malade, la France guérit », on abuse réellement de la
métaphore et de l'antithèse. En 1461 la France avait repoussé l'étranger ;
mais elle souffrait de bien des maux intérieurs qui s'étaient aggravés. La
fixité des charges était un progrès et un pas vers l'inamovibilité de la
magistrature. Il ne faut donc pas oublier les lettres de Rasily, 27 mai 1146,
portant que quiconque aura paisiblement conservé cinq ans l'office qu'il
administre, le gardera, ordonnance décidée dans le grand conseil et
contresignée du secrétaire De la Loère. Un mandement de la reine Marie
d'Anjou, pour achat de vins et pour les frais du voyage d'un médecin, prouve
qu'alors (1446) Marie s'occupait des détails de
sa maison. « Les vins qu'elle achetait en Poitou[73] elle les envoyait en Flandre,
pour tirer de là en retour les marchandises nécessaires à son hôtel. » Parmi
les édits de ce temps on doit citer les lettres (Chinon) des échevins
électifs pour Langres et les ordonnances du 25 janvier 1450 pour faire payer
par les notaires et tabellions le marc d'argent qu'ils devaient au roi à
cause du joyeux avènement, ce qui, la vingt-troisième année du règne, montre
le 'peu d'ordre des finances royales ; celles du 23 août 1448, qui intervient
pour le prévôt et les échevins de Lille contre les prétentions du gouverneur
de la ville, de Montils, 14 février 1451, qui déclare que la régale reste
ouverte jusqu'au serment de féauté du nouvel évêque en personne ; de
Mehun-sur-Yèvre, 18 août 1452, portant défense aux non-nobles de chasser ; de
Montferrand en Bordelais, 25 août 1453, portant ordre au parlement de Paris
d'enregistrer sans réserves son édit du 6 mai ; de Breuil, 15 septembre 1454,
qui donne une direction aux travaux du parlement pendant les vacances ; du 3
février 1455, portant décision provisoire sur l'affaire de Tournay ; de Salle
en Berry, du 21 septembre 1460, intimant à l'université l'ordre de faire
cesser les citations et excommunications contre les officiers des aides, et
une aussi contre les blasphémateurs ; enfin celle de novembre suivant,
nommant le président en la chambre des généraux des aides, conservateur des
privilèges de l'université. Tous ces édits ont de l'importance pour le règne
suivant. Les
questions dynastiques surgissaient de toutes parts. Le duc Philippe trancha
celles du nord. Celles de l'est tueront son fils ; il s'en élèvera sur tous
les points au sud et à l'ouest de la France, et on sera comme environné de
guerres civiles. La compétition au duché de Milan devait devenir une des plus
graves complications. Philippe-Marie Visconti mourut sans enfants légitimes
en 1447 ; son frère Jean-Marie étant mort sans lignée en 1412, la succession
semblait revenir aux fils de feu leur sœur Valentine, épouse du malheureux
duc d'Orléans assassiné. Charles d'Orléans, fils aîné de celle-ci, pour
prendre possession de cet héritage, réunit des troupes dans le duché de
Bourgogne, et Jean de Chalon, seigneur d'Arguel, les commanda. Ces troupes ne
pouvaient guère être que des compagnies de routiers et de pillards. Comment
Charles eût-il réussi, s'étant ruiné récemment et endetté pour payer sa
rançon ? D'ailleurs la place n'était pas vacante : François Sforza, fils de
ses œuvres, devenu par son courage connétable du royaume de Naples,
gonfalonier de Rome et gendre du duc Philippe-Marie, par son mariage en 1441
avec Blanche-Marie Visconti, fille naturelle de ce dernier, fut reconnu duc
par les Milanais : c'était un homme fort remarquable et très-populaire ;
aussi Charles d'Orléans ne réussit-il qu'à prendre possession de la
seigneurie d'Asti. Charles VII se mêla peu de cette entreprise. Quant à Louis
XI, il comptait François Sforza parmi ses amis. C'est sans doute ce qui lui
valut la constante désaffection des princes d'Orléans. Les
expéditions chevaleresques faites alors sur mer par la flotte du duc
Philippe, soit pour aller au secours des chevaliers de Rhodes, soit pour
harceler les troupes d'Amurat II sur plusieurs points de la mer Noire et de
la Méditerranée, avaient un but plus directement utile à la chrétienté.
C'était là le grand péril. Constantinople était menacé plus que jamais.
L'occident, loin de s'en préoccuper, passait son temps à applaudir dans les
tournois. Les
usages sont ce qui caractérise le mieux une époque. Nous citerons donc une
coutume de Toulouse tout à fait digne d'un peuple civilisé. L'esclavage ou
quelque chose qui en approchait beaucoup se maintenait au-delà des Pyrénées :
mais « d'après un antique usage les Toulousains prétendaient que tout cc
esclave qui entrait dans la ville, ou même dans la banlieue, « recouvrait
aussitôt la liberté[74] ». Un arrêt même du parlement
de Paris confirmait cette coutume. Les capitouls refusaient donc de rendre
les esclaves ou serfs échappés de Roussillon ou de Catalogne à ceux qui les
réclamaient. Il existait cependant entre les rois de France et d'Aragon, sur
les marques et représailles, un accord, espèce de traité d'extradition, daté
d'Agen, septembre 1442. Des députés du roi d'Aragon provoquèrent, pour
l'exécution du traité, une décision royale de la même année ; mais à
l'enregistrement de ces lettres, le 27 juin 1445, le parlement de Toulouse
fit une distinction : « La cour obéit en ce qui regarde les marques et
les représailles ; mais en ce qui concerne les esclaves, les captifs et le
privilége de la ville de Toulouse, la cour ayant vu les arrêts rendus sur
cette matière, ordonne que ces arrêts demeurent en toute leur force. Dans le
Languedoc, comme ailleurs, tout était sujet à conflit, même dans les affaires
ecclésiastiques. Quand un évêque venait à mourir, un chanoine prévôt ou doyen
de l'église était nominé à sa place par le chapitre. Mais l'évêché était
parfois donné en commende à un autre prélat par le pape : et mème si celui-ci
mourait avant de prendre possession ; l'administration du diocèse était
encore donnée par le saint-père à un autre. Naturellement le prélat élu
réclamait auprès du métropolitain, qui le renvoyait au pape. Si l'affaire
était portée au parlement, celui-ci, pour ne pas se trouver compromis,
atermoyait d'abord, puis décidait en faveur de l'élu, surtout s'il était
parvenu à obtenir des bulles. C'est, entre beaucoup d'exemples, ce qui arriva
pour la succession au siège d'Uzès : le parlement de Toulouse, par arrêt du
22 janvier 1445, prononça en faveur de Guillaume Solberty. Les prélats
administrateurs avaient été, de 1435 à 1442, l'évêque de Laon Guillaume de
Champeaux ; et de 1442 à 1445, le cardinal d'Avignon Alain de Coëtivy. A la
seconde moitié du XVe siècle, l'usage de donner en commende les abbayes et
les évêchés devint de plus en plus fréquent. Cet abus de bénéfices ainsi
donnés avait, on le conçoit, plusieurs inconvénients considérables, et il
nous faudra souvent nous y arrêter. Les évêchés et les abbayes étaient donc
la plupart du temps gouvernés en sous-ordre ; on y obéissait à un chef qu'on
ne connaissait pas ; c'est un accès ouvert aux compétitions étrangères et
surtout italiennes. La permission du cumul aggravait encore le mal, et la
faveur ne connaissait plus de bornes. C'était, aux yeux du plus grand nombre,
ce qui dormait une très-grande valeur à la pragmatique. Il faut
cependant reconnaître que dans ces temps de parti, d'arbitraire et de
schisme, l'esprit de l'Église fut généralement favorable au progrès
intellectuel. Les titulaires des bénéfices grands et petits furent toujours
des hommes gradués, licenciés ou docteurs ès droit civil ou canonique,
souvent dans les deux facultés à la fois. Il en résultait nécessairement une
émulation qui balançait l'avantage de la naissance, et fut toujours
profitable au progrès des idées. On voit d'ailleurs aussi les grands bénéficiers
se signaler pieusement soit par le legs de leur bibliothèque, soit par
quelque fondation de bourses ou de colléges, ou par d'autres dons importants
envers leur église de prédilection. Le mal n'était donc pas sans
compensation. Les élections elles-mêmes, consacrées par un long usage, subirent avec le temps de notables vicissitudes. Les rois anglais, quand ils trônent à Paris, déclarent qu'on ne doit pas procéder à une élection sans leur permission. Bientôt, lors même que les Anglais furent relégués chez eux, il fallut avant tout à chaque vacance d'un siège obtenir cette autorisation d'élire, et on ne l'accorda pas toujours. Ensuite quand les voix étaient partagées, il en résultait plusieurs prétendants et entre eux des conflits fort difficiles à apaiser. Le vote, d'ailleurs, ne fut pas toujours décisif. Dès la fin du XVe siècle la délibération, surtout pour les élections épiscopales, paraît devenir essentiellement consultative. On considéra le vote en faveur d'un candidat plutôt comme un vœu de l'obtenir, que comme un titre en règle : et plus d'une fois le saint-père ou le souverain ne se sont pas privés d'y contredire, quand il leur a plu de n'en pas tenir compte. Telle était cependant la raison d'être de la pragmatique. |
[1]
T. I, fol. 11.
[2]
Août, septembre et octobre.
[3]
1439.
[4]
M. Rathery.
[5]
Duclos.
[6]
Histoire du Poitou.
[7]
T. I, p. 33.
[8]
Voir M. Appollin Briquet, Histoire de Niort.
[9]
Thibaudeau père, Histoire du Poitou.
[10]
Briquet, Histoire de Niort.
[11]
Legrand.
[12]
Monstrelet.
[13]
Monstrelet, chap. CCLXI.
[14]
Monstrelet, chap. CCLXI.
[15]
M. Michelet, t. V.
[16]
Chorier.
[17]
Char., 484.
[18]
Chorier.
[19]
P. Mathieu.
[20]
Barante, t. VII, p. 102.
[21]
P. Mathieu.
[22]
Alain Chartier
[23]
Alain Chartier
[24]
Dom Vaissette, p. 499.
[25]
Portefeuilles n° 125-126.
[26]
Fontanieu, I25-126.
[27]
Dom Vaissette.
[28]
Legrand.
[29]
Datée cependant de Poitiers.
[30]
Dom Vaissette.
[31]
Alain Chartier.
[32]
Alain Chartier.
[33]
Barante, t. VII, p. 268.
[34]
Legrand.
[35]
Legrand.
[36]
Fontanieu met ce fait d'armes au 18 août, qui ne pouvait être un mercredi.
[37]
Legrand.
[38]
Dom Vaissette.
[39]
Alain Chartier.
[40]
L. Ier ch. II.
[41]
V. p. 604.
[42]
M. Michelet, t. V, p. 180.
[43]
Dr Lingard, t. V, p. 181.
[44]
Michelet, t. V, p. 262.
[45]
L. I, ch. 3.
[46]
Mathieu, t. I, p. 26.
[47]
Michelet, t. V, p. 246.
[48]
Alain Chartier.
[49]
P. Anselme.
[50]
Michelet, t. V.
[51]
Legrand.
[52]
Barante, t. VII, p. 217.
[53]
Barante, t. VII, p. 220.
[54]
Pastoret, t. XIII, p. 31.
[55]
Antiquités de Paris, par Sauval, t. II, p. 31.
[56]
Antiquités de Paris, par Sauval, t. II, p. 31.
[57]
Antiquités de Paris, par Sauval, t. II, p. 31.
[58]
Barante, t. VII, p. 227.
[59]
Legrand.
[60]
Legrand, folio 44.
[61]
Chorier.
[62]
Gariel, t. I, p. 126.
[63]
Dufour, Histoire de Loches.
[64]
Livre I, p. 35.
[65]
Livre I, p. 105.
[66]
Pierre Mathieu.
[67]
T. VIII, p. 76.
[68]
Lettres du 26 novembre 1456.
[69]
Archivés du château de Nantes.
[70]
Boutaric, la France sous Philippe le Bel.
[71]
Pastoret.
[72]
M. Michelet, t. V.
[73]
Fontanieu.
[74]
Dom Vaissette, t. V, p. B.