HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME TROISIÈME

 

CHAPITRE XLVI. — La peste à Marseille (Juillet 1720-août 1721).

 

 

Introduction de la peste à Marseille. — Premières précautions. — Insinuation regrettable de M. de Belzunce. — L’administration municipale et ecclésiastique. — Aspect de la ville. — Ineptie des médecins. — Émotion en France. — Remèdes médicaux. — Secours spirituels. — Abandon de la ville. — M. de Belzunce. — M. Moustiès. — Le chevalier Roze. — Secours reçus. — Conflits de préséance. — Visionnaires et rimailleurs. — Consécration au Sacré-Cœur de Jésus. — Allauch, Aix, Toulon, Arles, Apt et autres lieux. — Calamités dans le reste de la France. — L’incendie de la ville de Rennes.

 

Introduction de la peste à Marseille

En l’année 1720, Marseille comptait 90.000 habitants et sa prospérité allait croissant[1]. La récolte de 1719 en Provence avait été normale et le prix de la vie eut été peu élevé sans la perturbation générale apportée par la rareté du numéraire. Rien ne laissait prévoir une calamité presque sans exemple si, par sa situation, Marseille n’avait semblé destinée à expier sa richesse par sa sécurité. Une vingtaine de fois, de mémoire d’historien[2], des maladies contagieuses y avaient éclaté et entraîné de terribles ravages. En 1720, ce fut un vaisseau qui apporta la peste.

Parti de Saïda, le 31 janvier, avec patente nette, le Grand-Saint-Antoine capitaine Chataud, arriva le 25 mai en vue du château d’If, après avoir touché à Tripoli, à Chypre et à Livourne. A Tripoli, le capitaine fut contraint d’embarquer quelques Turcs à destination de Chypre. A peine en pleine mer, un de ces nouveaux passagers mourut ; deux matelots qui avaient touché le cadavre expirèrent avant d’atteindre Chypre, puis deux de leurs camarades et le chirurgien du bord les suivirent. A Cagliari, le vice-roi de Sardaigne refusa l’entrée au bâtiment qui relâcha à Livourne pour y prendre un chirurgien. Trois matelots moururent encore dans le port de cette ville, mais le médecin et le chirurgien du lazaret prétendirent qu’ils avaient succombé à des fièvres malignes et à la mauvaise qualité des aliments. Le Grand-Saint-Antoine remit à la voile, mais, de Toulon, le capitaine Chataud écrivit à ses armateurs qu’il se défiait de la patente nette délivrée à Libourne ; on lui répondit de venir à Marseille « où tout s’arrangerait[3] ». Chataud fit sa déclaration[4], mais il omit de dire que « lorsqu’ils avaient un cadavre dans le bord, personne ne voulait le toucher, chacun s’en éloignait, et si on le jetait ensuite à la mer, on ne le faisait qu’avec des crocs, au bout d’un bâton[5] ». Malgré cette alarmante déclaration de neuf décès survenus à bord entre le 2 avril et le 19 mai, on autorisa le débarquement des marchandises aux Infirmeries, situées hors de la ville[6]. Le 27 mai, un matelot mourut encore ; les médecins ne découvrirent sur son cadavre aucun symptôme suspect. Le 12 juin, le garde de quarantaine placé sur le Grand-Saint- Antoine expira, et le chirurgien Guérard affirma que le corps ne portait aucun signe d’infection. Cependant, le 14, après dix-neuf jours seulement de quarantaine, les passagers du capitaine Chataud furent rendus à la liberté[7]. Enfin, le 23, un mousse et deux portefaix employés au débarquement des marchandises moururent encore ; le 21, deux autres portefaix expirèrent. Les intendants de la Santé donnèrent ordre de ne faire compter la quarantaine que du jour du débarquement de la dernière balle de soie et ordonnèrent l’envoi du vaisseau contaminé à l’île de Jaïre pour y recommencer une quarantaine. L’enclos où avaient été déposées les marchandises fut scellé, les portefaix séquestrés. Mesures tardives et illusoires puisque les passagers sortis du lazaret le 14 juin avaient eu le loisir de vendre leur petite pacotille[8], tandis que les contrebandiers trafiquaient les marchandises qu’ils avaient eu l’adresse de voler sur le navire ; enfin, au dire de l’oratorien Bougerel, « les femmes et les enfants des passagers allèrent aux pieds des murailles des Infirmeries et ceux- ci leur jetaient leurs pacotilles par dessus. Ce fut de cette sorte que la peste se répandit partout[9]. » Ce fut seulement le 7 juillet, que le chirurgien reconnut la peste dans les tumeurs qui s’é- laient développées à l’aîné de deux portefaix travaillant à bord du Grand-Saint-Antoine. Le 8, une consultation eut lieu pour un troisième portefaix, et trois chirurgiens reconnurent la peste[10]. Ces trois malheureux moururent ainsi que le prêtre qui les avaient administrés.

 

Premières précautions

Déjà on avait signalé des décès suspects dans la ville ; «le Premières 20 juin, rue de la Belle-Table ; le 28, place du Palais-de-Justice ; Précautions le 1er juillet, rue de l’Escale. Mais, le 8 juillet seulement, le médecin Peyssonnel dénonce un pestiféré place de Lenche ; alors on cerne la demeure du mourant et on transfère tous ses habitants au lazaret. Les échevins voyant les cas se multiplier dans ce quartier, s’adressent au Conseil de marine (9 juillet), au maréchal de Villars, gouverneur de Provence, au Régent (14 juillet) pour les informer du danger, enfin aux différents ports de l’Europe pour les mettre en garde contre les faux bruits (15 juillet)[11] : Entre le 11 et le 21 juillet le fléau put sembler écarté. Incomplètement instruite et adroitement entretenue dans l’erreur par des affiches sur lesquelles il n’était question que de fièvres malignes provoquées par des aliments insalubres, la population insultait les chirurgiens qui avaient donné l’alarme et les accusait de vouloir spéculer sur sa misère. Un officier municipal, irrité de ce qu’il nommait leur indiscrétion accusa les médecins de songer à exploiter « un nouveau Mississipi[12] ».

 

Insinuation regrettable de M. de Belzunce

Le 21 juillet éclata un orage ; « les coups de tonnerre furent insinuation si violents, dit un contemporain, que l’on crut qu’ils avaient été le signal de la peste, Dieu déclarant ainsi la guerre à son peuple[13]. » L’évêque de Marseille, entraîné par une passion proche du fanatisme dans les querelles religieuses, n'avait pas manqué, dès ces premiers symptômes, de surexciter l’émotion naissante au profit du parti ultramontain en recommandant aux fidèles « une entière et parfaite soumission d’esprit et de cœur aux sacrées décisions de l’Église, moyens sûrs et uniques d'arrêter le bras d’un Dieu irrité[14] ». Cette façon d’associer l’appel de la Bulle à la peste faisait plus d’honneur au polémiste qu’au pasteur et ne pouvait que contribuer à envenimer un conflit auquel le fléau le plus atroce aurait dû apporter une trêve. N'était-ce pas assez que l’épouvante qui, déjà, gagnait tout le monde[15].

 

L’administration municipale et ecclésiastique

La foire de Beaucaire se tenant le 22 juillet servit de prétexte à une multitude de Marseillais pour sortir de la ville, et, parmi eux, des hommes connus, par leurs lumières, leurs richesses, leurs professions et leurs emplois publics. Tout à coup, dit Lémontey[16], le lazaret se trouva sans intendants, les hospices sans économes, les tribunaux sans juges, l’impôt sans percepteurs. La cité n’eut ni pourvoyeurs, ni officiers de police, ni notaires, ni sages-femmes, ni ouvriers indispensables. L’émigration ne se ralentit que le 31 juillet, lorsque le Parlement d’Aix eut tracé la ligne qui enfermait Marseille et son territoire et prononcé la peine de mort contre ceux qui la franchiraient[17]. Comme le fléau sévissait le plus cruellement dans la rue de l’Escale et sur la place voisine, des barricades et des corps de garde y contenaient les habitants, mais la contagion franchissait ces barrières. Le viguier et les quatre échevins demeurèrent seuls parmi une foule démoralisée et confuse, avec onze cents livres dans la caisse municipale[18]. Les échevins Estelle et Moustiès présidaient à l’enlèvement des cadavres et s’y employaient eux-mêmes parfois. Leurs collègues Audimar et Dieudé se consacraient à l'approvisionnement. Le blé, la viande et le bois manquaient. Les consuls obtinrent une entrevue au milieu d’un champ avec les procureurs de la province, et l’on convint, à l’aide d’un porte-voix, de rétablissement de marchés entre les barrières, à deux lieues de la ville. Le marquis de Fortia de Pilles ne quittait plus l’hôtel-de-Ville où le retenait sa charge de gouverneur-viguier. L’évêque, M. de Belzunce sortait tous les jours pied et parcourait les rues où la contagion sévissait le plus[19], un jeune prêtre du diocèse de Grasse, M. Granelli vint s’enfermer volontairement au lazaret et y fit un long séjour sans que sa santé en ressentit aucune atteinte[20]. Un autre volontaire, non moins héroïque, fut le chevalier Roze, âme généreuse, digne de partager avec Estelle, Moustiès et Belzunce l’admiration émue de la postérité. Tandis qu’ils multipliaient les efforts, s’ingéniaient de toutes façons pour secourir les habitants ; l’arsenal et les galères ne prêtaient qu’à regret de légers secours, la garnison, retranchée dans les forts, refusait tout service et exigeait des vivres sous la menace du pillage, le Parlement d’Aix se transportait à Saint-Rémi, en bon air, plus soucieux de son existence que de sa réputation.

 

Aspect de la ville

Le nom de peste, expression vague et terrible qui épouvante les imaginations, n’était pas même prononcé, on ne parlait jamais dans les ordonnances des magistrats et dans les mandements de l’évêque que de la contagion[21], alors que cinq cents personnes succombaient par jour et même quand on en compta mille. « Quatorze tombereaux, chargés en pyramides, écrit une visitandine de Marseille, ne suffisaient pas à vider les rues des corps morts[22]. » L’aspect de Marseille, dit un témoin oculaire, Pichatty, « devient alors effrayant. De quelque part que l’on jette les yeux, on voit les rues jonchées, des deux côtés de cadavres qui s’entre-touchent et qui, étant presque pourris, sont hideux et effroyables à voir. Tout le Cours, alors la grande promenade de Marseille, toutes les places, tout le port sont remplis de ces corps morts et entassée les uns sur les autres. Sous chaque arbre du cours et des places publiques, sous l’auvent de chaque boutique, on voit entre tous ces cadavres, un nombre prodigieux de pauvres malades, et même des familles entières étendues misérablement sur un peu de paille ou sur de mauvais matelas. Les uns sont dans une langueur qui n’attend plus qu’une mort secourable ; les autres, l’esprit troublé par l’ardeur du venin qui les consume et les dévore, implorent les secours des passants, tantôt par des plaintes touchantes, tantôt par des gémissements ou des hurlements que la douleur ou la frénésie du mal leur fait pousser. Il s’exhale d’entre eux une puanteur insupportable, et la faim dévore ce que le fléau a épargné[23]. » La contagion atteignait de préférence les enfants, les femmes, les indigents, mais elle semblait dédaigner les vieillards, les fous, les incurables abrités depuis de longues années dans les hospices. La durée de ses atteintes n’avait point de règle constante et elle terrassait ceux-ci par une mort presque subite, épuisait ceux-là par une longue agonie de sept jours. Les symptômes variaient d’un malade u un autre malade et ne se ressemblaient pas deux heures de suite dans le même. On voyait des êtres livides et d’autres écarlates, des malades silencieux à côté d’irréprimables discoureurs, des victimes plongées dans le coma et d’autres secouées de convulsions. Si de l'ensemble des observations, dont plusieurs fuient très attentives et méthodiques, il est possible de dégager des caractères généraux, il semble que la maladie se présenta à peu près ainsi : Une apparition presque générale de tumeurs et de charbons, funestes ou salutaires suivant l’époque et la place où ils se déclarent ; une odeur douceâtre sans être fétide, qui s’exhale des malades et s’attache aux tissus voisins avec ténacité ; un trouble de l’âme et une peur si profonde que les secours spirituels manquent rarement de précipiter la mort[24] ; un désespoir accompagné de larmes et de regrets, qui s’élève brusquement dans les plus résignés, et précède leur dernier moment ; enfin, le trait le plus singulier de ce fléau, c’est son étrange partialité. Tandis qu’il foudroie les deux tiers des malades, l’autre tiers est à peine effleuré. Quinze à vingt mille pestiférés[25] voient éclore leurs bubons sans Être obligés de s’aliter, et sans qu’aucunes de leurs fonctions organiques soient dérangées. Ils promènent dans les rues des plaies aussi bénignes que le bouton d’Alep. Ces heureux privilégiés sont, pour la plupart, des mendiants et des vagabonds[26].

 

Ineptie des médecins

Les médecins rivalisaient d’ineptie et, il va sans dire, ne s’entendaient pas entre eux, les bizarreries du mal achevaient de les dérouter. Tel remède émétique et ensuite du thé à grande dose, sauvait les malades en traitement dans les forts et précipitait leur mort dans l'intérieur de la ville. L’archevêque d’Aix écrivait à l’abbé Dubois : « On devrait abolir les médecins, ou ordonner qu’ils soient plus habiles et moins poltrons. La crainte les a si fort saisis qu’ils voient tout peste, et c’est une grande misère[27]. » Fidèles, en effet, aux traditions du lazaret, les médecins marseillais prenaient de minutieuses précautions. « Quand je sors, écrivait l’un d’eux, je porte un sachet au creux de l’estomac où il y a toutes les racines et tous les électuaires en poudre : le camphre, le benjoin, la vipère, du sang humain en poudre, et par-dessus tout cela un crapaud desséché. Avec ces préservatifs, j’entre dans l'infirmerie, vêtu d’une robe de toile cirée, qui va jusqu’aux talons, un bonnet de même, et une éponge trempée dans le vinaigre attachée sous le nez, ayant soin de ne pas respirer de la bouche et de ne pas avaler de salive. J’ai, entre les dents, un morceau de racine d’angélique. Un infirmier qui me précède tient d’une main un réchaud avec du feu et de l’autre un pot plein de vinaigre. J’ai soin de mettre dans le réchaud des parfums que je porte à mon bras, dans un sachet. Avant de tâter le pouls aux malades ou les bubons, je trempe la main dans le vinaigre, et je la retrempe de nouveau quand je les ai touchés. Puis je me retire de l'infirmerie dans une maison voisine où je quitte tout cet équipage. Je me lave le visage avec du vinaigre, et je parfume mes habits et ma robe avec de da sauge[28]. » Cette mascarade n’était pas réservée aux seuls hôpitaux. « Aujourd’hui, écrit le P. Bougerel, j’ai rencontré sur le Cours le docteur Bertrand en chaise à porteurs, qui avait une robe de toile cirée. » Ses confrères s’affublaient d’une longue robe, d’un manteau, avec culottes et chapeau, le tout en maroquin rouge. Des gants de maroquin et le bâton de Saint Roch, longue canne de six à huit pieds destinée à tenir à distance les passants et les chiens. Sur le visage, un masque de maroquin avec des yeux de cristal, un faux nez énorme en forme de bec de perroquet, rempli d’aromates et tapissé de parfums[29].

L’un d’eux s’avisa qu’Hippocrate fit allumer de grands feux pendant la peste d’Athènes et aussitôt les échevins Audemar et Dieudé firent dresser, sous les ardeurs d’un soleil de juillet, des piles de sarments sur les places, dans les rues, dans les impasses. A neuf heures du soir tout s’embrasa et cette énorme conflagration, dans une saison torride, redoubla la rage de la maladie ; le médecin Sicard, auteur de cette trouvaille, prit la fuite avec son fils. Aux bûchers, on substitua le soufre, dont chaque habitant reçut une certaine quantité.

 

Émotion en France

Quoique Marseille fut cernée, la France entière suivait attentivement les péripéties de cette calamité sans exemple. Le parlement d’Aix, à coups d’arrêts, avait, tant bien que mal, isolé la ville. Les autres parlements pensèrent ne pouvoir montrer moins de zèle pour la préservation de leurs ressorts, ils interdirent les communications indispensables sous les peines les plus rigoureuses. Un souci les domine : éloigner les mendiants, tous ceux que chaque pays affuble d’un nom bizarre et gratifie d’une moralité détestable : camps-volants, chemineaux, bohémiens, zingari, bateleurs, etc. Les parlements d’Aix, de Toulouse, de Besançon, le Conseil souverain du Roussillon les bannissent à grand renfort de menaces qui répandent la terreur et préparent les voies à l’expansion du fléau[30]. L’administration municipale de Marseille multipliait les règlements, contenait à grand’peine des émeutes toujours menaçantes (3 août). Investis de tous les droits, ils rendaient la justice, fermaient les écoles, ouvraient les couvents et monastères. Les nonnes s’éloignèrent avec l’agrément de l’évêque, les religieux de Saint-Victor se barricadèrent dans leur abbaye, le chapitre de la cathédrale avec le bas-chœur s’en alla psalmodier dans une bourgade du Var[31]. En même temps, les échevins réglementèrent le prix de la journée d’un homme à quinze sols, d’une femme à six sols et des bêtes de somme, à sept livres, y compris le conducteur[32].

 

Remèdes médicaux

Quand on s’aperçut que beaucoup de médecins et de chirurgiens avaient pris la fuite, des appointements considérables — 10.000 livres par mois — furent offerts aux médecins étrangers qui viendraient exercer leur art dans Marseille. La Cour envoya les médecins Chycoineau, Verny et Deidier de l’Université de Montpellier, dont le premier soin fut de contredire Peyssonnel et Bertrand. A les entendre, il n’y avait pas de peste, pas de châtiment providentiel, mais des gens malpropres et mal soignés ; sans s’émouvoir ils s’asseyaient sur les lits des malades et touchaient leurs bubons. Des médecins commençaient à venir de Paris et se comportaient de la même manière, un jeune matelot de Toulon faisait des cures inespérées et la maîtresse d’un empirique allemand apparaissait comme un ange dans les hôpitaux et les taudis. Chirac, premier médecin du Régent, suggéra aux échevins l’installation aux différents carrefours de vastes marmites remplies de viande et de bonne coupe, avec des orchestres pour faire danser la jeunesse. Et, en effet, le 17 août, raconte le P. Bougerel, sous nos fenêtres, je vis des violons dans la rue qui faisaient danser la populace ; ils le faisaient avec d’autant plus de plaisir qu’ils comptaient d’être préservés du mal ; mais ceux que je vis danser le matin, je les vis, le soir, étendus morts dans la rue[33]. » Chacun vantait son remède et le vendait le plus cher possible : le fr. Victorin, quêteur des Augustins réformés, préconisait le mercure, le sieur Varin cédait son élixir au prix de 20 francs le flacon ; d’autres prônaient le vin, les « liqueurs des îles » dont Marseille était largement approvisionnée.

 

Secours spirituels

En réalité, ces palliatifs ne pouvaient rien. Marseille portait la peine de son abominable saleté. Depuis les jours de sa fondation l’ordure croupissait, s’encroûtait, s’engorgeait ; ces villes du littoral méditerranéen sont incurablement malpropres aussi longtemps qu’on en abandonne la police à des magistrats locaux étrangers à toute notion d’assainissement, d’irrigation, de salubrité publique. Ni l'affectation de dédain de la part des médecins de Montpellier, ni le calme héroïsme du chevalier Roze, de l’évêque Belzunce, des échevins Estelle et Moustiès ne pouvaient faire reculer le fléau ; ni les processions, ni les affiches non plus. Marseille était contaminée depuis des siècles et le courage porté jusqu’à la bravade ne pouvait quoi que ce fût contre la terrifiante démonstration des faits. L’évêque se montrait, parcourait la ville, mais son clergé n’était pas épargné. Dès le mois de septembre, il avait contribué, payé son tribut avec plus de cent cinquante prêtres, tant séculiers que réguliers. Plusieurs s’abandonnaient au danger avec une belle crânerie, rachetaient par le dévouement une carrière qui n’avait pas été exempte de faiblesse, préférant, selon le mot de l’un d’eux, « faire leur salut en gros qu’en détail[34] ». D’autres rivalisaient de précautions avec îles médecins, le jésuite Milley avait adopté la houppelande de toile cirée[35] ; le curé de Saint-Martin avait fait fabriquer une pincette de huit pieds de long pour communier les pestiférés, et une baguette de même longueur pour leur administrer l’Extrême-Onction.

On ne peut être surpris de voir qu’au milieu de cette catastrophe les rivalités religieuses, les plus impitoyables de toutes, continuaient et s’envenimaient. Le 20 août, M. de Belzunce, dont la charité à l’égard des pestiférés demeure le titre le plus glorieux d’une longue carrière, écrivait au Régent pour dénoncer les appelants de son diocèse auxquels il venait d’adresser une mise en demeure de renoncer à leurs opinions[36]. L’évêque profitait de l’absence de quelques curés fugitifs et qu’il savait hostiles à la Bulle pour les remplacer d’office dans leurs emplois et leur donner des successeurs[37] ; en sorte qu’on vit des prêtres appelants obligés de faire constater par exploit d’huissier leur présence parmi leurs paroissiens. Deux mois plus tard, l’évêque écrivait à propos des Oratoriens : « Pour la première fois, ils ont été dans cette occasion, prudents et circonspects[38] » ; et cette communauté avait déjà perdu deux de ses membres victimes de la peste. Son zèle agressif lui suggérait l’envoi d’un mandataire, chanoine de la cathédrale, à la supérieure d’une communauté de filles. « C’est à vous que M. l’évêque attribue les fléaux qui affligent son diocèse », disait le visiteur ; à quoi la supérieure répondait sans s’émouvoir : « Ainsi les païens autrefois accusaient les chrétiens de tous les maux qui arrivaient à l’empire, parce qu’ils n’adoraient pas leurs idoles[39]. »

 

Abandon de la ville

Par dessus ces chicanes un souci plus grave tenaillait les habitants. Parmi ceux qui avaient pu fuir, bien peu étaient demeurés dans la ville, en sorte que le viguier et les échevins restaient presque seuls chargés de l’administration d’une multitude exténuée par le besoin et déprimée par la terreur. Les magasins, les boutiques, les couvents sont fermés, à partir du 24 août plus une seule église ne resta ouverte, le dimanche on disait la messe en plein air ; les galères éloignées du quai, étaient réunies près de l’arsenal, derrière une estacade défendue par des barrières ; les bâtiments de commerce étaient hors d’atteinte. Dès le 25 août, on compta mille décès par jour et il devint impossible de trouver assez d’hommes pour l’enlèvement et l’inhumation des cadavres. La solde de quinze livres par jour ne suffisait plus à allécher des portefaix persuadés qu’ils ne survivraient que peu de jours à leur lugubre et répugnante besogne ; il fut nécessaire d’avoir recours aux forçats lorsque ceux qu’on nommait corbeaux, tirés de la lie du peuple, refusèrent leur service. Corbeaux et forçats pénétraient dans les maisons, pillaient, volaient, entraînaient les cadavres à l’aide d’un croc de fer ; s’ils rencontraient un mourant, ils l’achevaient et le dévalisaient. Ces misérables se livraient à des excès inouïs. « En entrant dans les maisons pour en retirer les morts, ils pillaient de tous côtés, et s’il s’y trouvait un moribond témoin de leurs larcins, ils avaient le secret de l’étouffer et de l’emporter dans leur chariot ; d’autres, ayant perdu tout sentiment d’humanité, avaient la cruauté de jeter dans leurs horribles tombereaux des pestiférés encore pleins de vie. » Parmi ces monstres il s’en trouva quatre plus particulièrement redoutables par leur audace et le mépris de la contagion. Arrêtés par l’ordre du commandant de la ville et condamnés à la potence, ils découvrirent, pour sauver leurs vies, le préservatif dont ils faisaient usage. C’était un vinaigre contenant une infusion de rue, menthe, absinthe et romarin, vinaigre qui demeura célèbre sous son patronage des quatre voleurs[40].

Les objurgations de l’évêque n’avaient pu ramener plusieurs prêtres fugitifs ; l’appel des magistrats resta on partie sans effet. On vit cependant quelques médecins surmonter la pour et reparaître ; il fallut ramoner de force les droguistes, les apothicaires, les sages-femmes, il fallut de même contraindre les notaires à remplir leur ministère auprès des mourants, voilier sur le bureau des grains et sur celui des boucheries, réprimer les vols et les crimes. Les vols se multipliaient sans mesure ; des infirmiers et infirmières bénévoles s’appropriaient une partie des denrées et des remèdes dont la distribution leur était confiée ; les pauvres cachaient les vivres, buvaient le vin qui leur était donné pour quelques jours. Parmi ceux qui étaient sortis de la ville, beaucoup avaient cherché un refuge à la campagne et leur condition ne fut pas moins misérable. Des troupes de mendiants feignant d’être pestiférés, menaçaient de leur approche ceux qui ne venaient pas déposer en un lieu marqué de l’argent ou des vivres. Les paysans furent impitoyables, ils chassaient à coups de fusil quiconque s’approchait de leur village ; les médecins eux-mêmes n'y pouvaient trouver un morceau de pain, il leur fallait l’emporter de la ville.

Les commandants des galères n’avaient consenti qu’avec peine à prêter des forçats, et sous la condition singulière qu’on les remplacerait en nombre égal. Le 20 août, les vingt-six forçats ainsi accordés étaient tous morts ; le 23, leurs remplaçants avaient péri ; le 27, les échevins en obtinrent quatre-vingts autres avec l’avis que ce seraient les derniers envoyés. Ainsi tout manquait en même temps. Point d’hôpitaux. On perça une brèche dans le mur d’enceinte de la ville et on installa des tentes sur l’Esplanade[41] pendant que s’élevait dans les allées du grand Jeu de Mail[42] un hôpital en bois et en toile ; mais un ouragan le renversa. Un ancien hôpital, de peu d’étendue contenait une foule de misérables livrés aux soins des infirmiers les plus scélérats. Les orphelins furent réunis dans le couvent des Pères de Lorette au nombre de trois mille, il en échappa moins d’une centaine : l’avarice les avait condamnés, plus sûrement que la peste, à une mort horrible.

 

M. de Belzunce

Les cadavres s’amoncelaient partout. « Toutes les portes et fenêtres, écrit le médecin Deidier, étaient généralement fermées. Personne n’y paraissait. Tout le pavé était couvert, d’un côté et d’autre, de malades ou de mourants, étendus sur des matelas, sans aucun secours. On ne voyait au milieu des rues et dans tout le vaste Cours que des cadavres à demi-pourris-et devenus la pâture des chiens ; de vieilles hardes trempées dans la boue et des chariots conduits par des forçats pour enlever les morts[43]. »

Et l’évêque écrit de même : « Les morts sont mis dans les rues et ils pourrissent à demi sans être enterrés. J’ai eu bien de la peine à en faire enlever plus de cent cinquante qui étaient autour de ma maison à demi-pourris et rongés par les chiens, qui mettaient déjà l’infection chez moi, de sorte que je me voyais forcé d’aller loger ailleurs. Le spectacle et l’odeur de ces cadavres dont les rues sont pleines m’ont empêché de sortir, ne pouvant soutenir ni l’un ni l’autre. J’ai même demandé un corps de garde pour empêcher que l’on ne mette encore des morts dans les rues qui m’environnent[44]. » Lorsque la peste eut, en sept jours, emporté six habitants de l’évêché, l’évêque quitta la place « parce que le mal, dit-il, ne sort guère d’une maison où il est entré sans enlever tous ceux qui l’habitent[45] ». Son intendant laisse entendre qu’il s’éloigna « à cause de la grande quantité de cadavres qui étaient autour de l’évêché, et des morts et des malades de sa maison[46] » ; le médecin Bertrand témoigne aussi que le palais épiscopal se trouvait environné de cadavres, à tel point que l’évêque y était comme assiégé. Retiré dans l’hôtel du président Le Bret, il continua à sortir dans la ville, entouré parfois d’une foule de deux mille indigents[47] auxquels sa générosité inépuisable sut prodiguer les aumônes et les consolations.

 

M. Moustiès

Les fosses ouvertes hors des murs ne suffisaient plus, il fallut ouvrir les caveaux des églises des Jacobins, des Observantins, des Grands-Carmes et de Lorette. Lechevin Moustiès fit ouvrir de force les églises des couvents qui refusaient de recevoir les morts. Rien ni personne ne l’arrêtait. Un jour qu’il descendait de la Tourette ; où il avait surveillé une inhumation, un officier le désigne en ricanant. Moustiès s’arrête, quitte son chaperon, dégaine, se bat avec son insulteur, le blesse, le désarme et regagne l’Hôtel-de-Ville[48]. Il lui fallait toujours avoir l’épée à la main pour contenir les corbeaux et les forçats, les empêcher de briser les tombereaux et de détruire les harnais. Un jour que les corps étaient enterrés en trop grand nombre dans une même fosse, la fermentation ayant accru le volume des restes humains, ceux-ci reparurent en partie dans un chaos de terre et de débris. Moustiès, une pioche à la main, s’avança sur le charnier et remit un peu de décence sur cette scène effroyable. Il y eut ainsi comme une rivalité d’héroïsme entre quelques grands citoyens. Le marquis de Fortia de Pilles, gouverneur-viguier, fut frappé le 27 août, mais Moustiès et Belzunce bravaient le mal. Comme on n’avait jamais pu arriver à faire rouler plus de vingt tombereaux par jour, il fallait stimuler les conducteurs épuisés ; un jour Belzunce monta sur un de ces chariots et le conduisit à destination[49].

Le bailli de Langeron, chef d’escadre, fut nommé le 12 septembre commandant de la ville et du territoire de Marseille, où il avait autrefois exercé les fonctions de commandant des galères[50]. Il commença par départager la besogne entre les échevins[51] : M. Estelle fut chargé de l’expédition des affaires courantes, des correspondances et de la police ; M. Audimar eut le soin des boucheries ; M. Moustiès ne pouvait être enlevé à la police des inhumations ; M. Dieudé fut chargé de tout ce qui regardait le blé, la farine, les boulangers et le bois, car toutes les fermes de la ville avaient cessé. Le nouveau commandant s’attacha surtout au rétablissement de l’ordre, à l’enlèvement des cadavres et du soin des malades.

 

Le chevalier Roze

Le chevalier Roze, nommé commissaire du quartier de Rive- Neuve y établit un hôpital pour 3.000 malades. Par son ordre, des prud’hommes pêcheurs, Jacques Fillet, Pierre Négrel, Jacques Gaudin et Joseph Hermitte, se dévouèrent à repêcher avec leurs filets des cadavres d’hommes et des carcasses de chiens et d’autres animaux qui flottaient dans les eaux du port, et ils les entraînèrent en haute mer. Le danger le plus imminent consistait en une sorte de volcan pestilentiel formé sur l’esplanade de la Tourette qui s’étend depuis le fort Saint-Jean jusqu’à la cathédrale. Près de deux mille corps s’y décomposaient depuis trois semaines sous un soleil de feu, masse horrible que sa fluidité ne permettait plus de transporter. « C’étaient, écrit Pichatty, dans le Journal de la Municipalité, des monstres qui n’avaient plus forme humaine et dont tous les membres remuaient par le mouvement qu’y donnaient des millions de vers, en travaillant à les détacher. » Le chevalier Roze s’aperçoit que deux anciens bastions sont voûtés. Il les fait déblayer, obtient du sieur de Rancé, commandant des galères, cent nouveaux forçats ; car les trois à quatre cents déjà employés, avaient péri la plupart ; il les range en face des cadavres, tous ayant un mouchoir, trempé de vinaigre et attaché sous le nez. Lui-même descend alors de cheval, fait distribuer du vin à tous, en boit lui aussi sur son chapeau galonné, puis, saisissant par le pied l’un de ces horribles cadavres, il trace la route qu’on doit suivre[52]. Dans une demi-heure, il déblaie l’esplanade et l’on recouvre ensuite les bastions de chaux et de terre[53]. A l’exception de deux ou trois, tous les soldats et galériens employés à cette monstrueuse corvée moururent en peu de jours, le chevalier n’éprouva qu’un léger malaise. Il forma une compagnie de trente hommes qui faisait la police de Rive-Neuve, construisit des barrières, dressa une potence pour tenir en respect les malfaiteurs. Sa surveillance s’étendait sur le port, la colline de Notre-Dame-de-la-Garde et tous les vallons qui aboutissent à la mer. Voyant l’Hôtel-Dieu encombré d’enfants en bas-âge dont les parents avaient succombé, il parcourut tous les environs, acheta les chèvres laitières et les ramena devant lui[54].

 

Secours reçus

La générosité de ces héros fut sans mesure, comme leur courage, Roze dépensa 22.000 livres de son bien, Belzunce distribua 50.000 livres en un mois ; de partout les dons en argent arrivaient : le Régent donna 600.000 livres ; le comte de Toulouse, 200.000 ; une société de philanthropes parmi lesquels on voyait Samuel Bernard et Pâris-Duverney fournit 300.000 livres par mois pendant la durée de la contagion. Law, Le Pelletier de la Houssaye, 100.000 chacun ; le pape Clément, XI envoya sa bénédiction apostolique, ajoutant « que Dieu a envoyé cette funeste contagion pour que les jansénistes sentant la peine du péché, soient forcés à baisser enfin leur tête orgueilleuse et à rendre au Saint-Siège l’obéissance qu’ils lui doivent[55]. » Avec ces paroles, dont l’opportunité ne parut pas évidente à tout le monde, le souverain pontife envoya trois bateaux de blé que l’évêque fit distribuer gratuitement par les soins du clergé ; un mandement annonça les indulgences accordées aux pestiférés et à leurs infirmiers[56].

 

Conflits de préséance

Au début du fléau, des prières publiques et un jeûne général avaient été prescrits par Belzunce. Depuis lors, les voyantes s’étaient ébranlées, toujours impatientes de faire part des communications célestes[57], et l’évêque, excédé, méfiant, laissait dire[58]. Une de ces visionnaires réclamait « deux processions où toutes les châsses de la Major et de Saint-Victor soient portées » avec promesse qu’aussitôt « la contagion cesserait et tous les malades seraient guéris dès le soir ». Ainsi qu’il arrive, ces prétendues révélations étaient colportées dans le peuple crédule afin de mieux forcer la prudence de l’autorité ecclésiastique. Déjà les échevins avaient pris l’engagement de servir à la vierge de Bon-Secours une rente perpétuelle de 2.000 livres, au nom de la ville et leur serment avait été reçu dans la chapelle de l’Hôtel-de-Ville. On n’en avait obtenu aucun soulagement sensible, ceci fit adopter l’idée d’une procession à laquelle on associerait toutes les reliques des saints de Marseille. Les bénédictins de Saint-Victor n’y consentirent en ce qui les concernait qu’à la condition qu’on élèverait deux autels, parfaitement égaux et semblables ou l’évêque Belzunce, et l’abbé Matignon célébreraient le sacrifice en même temps. L’échevin Estelle s’entremit, l’abbé n’accorda rien, l’évêque refusa tout, invoquant une transaction de 1693 qui enlevait aux moines le droit de convoquer a leurs processions les réguliers établis dans le district. Et puis, l’abbé de Saint-Victor « voudrait paraître dans les rues en mitre[59] ». Cette prétention était intolérable et Belzunce concluait que « des prières accompagnées de tant de vanité ne pourraient qu’être rejetées de Dieu. Je prie donc MM. les échevins de laisser ces messieurs (les moines de Saint-Victor) tranquilles dans la clôture qu’ils ne gardèrent jamais mieux que, présentement, et nous ferons, dès qu'on sera prêt, notre procession en particulier[60] ». L’épigramme était jolie, mais la veille il était mort un millier de personnes.

 

Visionnaires et rimailleurs

On croira sans peine qu’une catastrophe telle que la peste put devenir l’occasion d’un renchérissement non de la piété mais de ces dévotions qui n’en offrent que la contrefaçon. « Je reçois tous les jours, écrit l’évêque, des lettres d’avis pour la cessation du fléau... un anonyme ordonne de la part de Dieu d’avoir recours au bienheureux Jean-Baptiste Gault... On me demande d’avoir recours à saint Michel de Castres, en Languedoc ; on m’écrit qu’il faut que la ville promette d’édifier un tombeau au bienheureux François Régis... On nous a proposé une fondation de la Trappe... Le P. Combe propose l’établissement de la Retraite... Un autre, qui est inconnu, propose une chapelle dédiée à la sainte Vierge et à tous les saints[61]. » Toutes les puérilités, toutes les pauvretés dont s'édifient trop volontiers le mauvais goût littéraire et l’ignorance théologique d’une grande partie du clergé pullulent sur ce sujet nouveau et tous les rimailleurs s’escriment à produire qui une Prière à Saint Roch, qui la Tisane universelle contre la peste, qui une Ode sur la maladie contagieuse, et des Noëls, et des quatrains, etc.[62] Plusieurs de ces pièces, dans lesquelles l’indigence des idées n’a de comparable que l’incorrection du langage, ne laissent pas que de harceler les « appelants », afin de s’attirer la bienveillance de l’évêque dont l’âpreté de langage à leur égard aurait lieu de surprendre et d’attrister[63]. Tout son entourage ne rêvait que l'écrasement du jansénisme. Une visitandine apprenait — toujours sous forme de vision — que Jésus-Christ « voulait purger Marseille des erreurs dont elle était infectée, en lui ouvrant son Cœur[64] » ; il fallait donc introduire et propager la dévotion, alors nouvelle et très combattue, au Sacré-Cœur de Jésus pour faire reculer le fléau et pourfendre l’hérésie. Belzunce, qui avait fait pendant une dizaine d’années partie de la Compagnie de Jésus, propagatrice de cette dévotion, adopta cette suggestion et annonça une consécration solennelle de son diocèse (22 octobre)[65]. Elle s’accomplit avec d’imposantes manifestations le 1er novembre.

 

Consécration au Cœur de Jésus

Pendant le mois d’octobre, on avait signalé plusieurs cas de guérison, la maladie était en décroissance. La ville, nous dit Bertrand, grâce à l’intelligente organisation imposée par M. de Langeron reprenait une nouvelle face. Lorsque se fit la procession de pénitence on comptait encore plus d’une centaine de morts chaque jour ; néanmoins Belzunce sortit de sa maison pieds nus, la corde au cou, une croix entre les bras et se dirigea « fort lentement[66] » vers le Cours à l’extrémité duquel un autel était dressé, non loin de la porte d’Aix. « La nouveauté du spectacle, raconte-t-il, fit oublier la crainte de la communication. Le peuple accourut de toutes parts et environna l’autel comme s’il n’y avait pas eu de contagion[67]. » Cette cérémonie s’était accomplie contrairement au désir de M. de Langeron et des échevins qui appréhendaient de cette agglomération une recrudescence de la peste ; l’évêque avait même pris soin de ne pas leur en donner avis officiel[68] et disait bravement : « Je n’ai jamais demandé à M. de Langeron et à MM. les échevins leur consentement pour ma procession. Il ne m’est point nécessaire, et en pareille chose je ne dépends de personne[69]. » Dès le lendemain, l’évêque écrivait. « Il me paraît que le mal diminue » et six jours après : « Dieu merci, la communication de ma procession n’a pas fait le mal que l’on craignait[70]. » Le 15 novembre, une deuxième cérémonie s’accomplit à l’église des Accoules. On a parlé de la cessation du fléau après ces supplications[71], on a écrit : « aussitôt la peste cessa[72] ». Les documents ne disent rien de pareil, ils témoignent même du contraire. Pendant la première quinzaine du mois de novembre le fléau- reprit une vigueur nouvelle et frappa un nombre croissant de victimes. Après la procession du 15, Belzunce ne hasarda plus de nouvelles manifestations. Il fallut attendre la fin du mois de décembre pour que le nombre des victimes quotidiennes ne s’élevât plus au- dessus de quatre. Lorsque, le 31 décembre, l’évêque organisa une nouvelle procession, les échevins lui imposèrent une escorte d’infanterie, baïonnette au canon du fusil. « Ainsi encadré avec les prêtres, il sortit par la porte de Rome, passa le long des Lisses, chanta le Miserere, rentra par la porte de la Joliette » ; mais il n’y eut plus de cohue et pas de contagion.

 

Allauch

La peste décima la population à Marseille et dans cinquante- neuf communes environnantes. — La petite ville d’Allauch s’empresse de se conformer aux mesures édictées par le Parlement d’Aix. Le chemin de Marseille est barré, libre aux habitants d’aller vendre les denrées qu’ils pourront transporter et de faire moudre leurs grains aux moulins d’Aubagne ; mais les Marseillais ne doivent pas approcher, les passants seront appréhendés et mis en quarantaine, les nécessiteux seront nourris et empêchés d’aller à Marseille, on achète des médicaments, on prépare un cimetière et de la chaux vive et ces préparatifs conduisent jusqu’au 19 août ; le 20, Allauch est consignée, « la santé des habitants ayant paru suspecte ». Bientôt la peste sévit cruellement sur cette petite ville de 5.000 habitants et elle emporte 1.023 victimes. La municipalité s’enquiert et découvre deux infirmiers, deux infirmières et un garçon qui vont chercher les malades à domicile et les portent aux infirmeries ; en outre, trois fossoyeurs payés quatre livres par sépulture. La petite ville est bloquée, s’approvisionne difficilement de viande, les infirmeries sont encombrées et bientôt après insuffisantes, on jette les cadavres pêle-mêle dans une tranchée voisine, les fossoyeurs sont surmenés, demandent six livres par sépulture, et enfin succombent ; on n’en trouve plus que par voie de réquisition. Intendants de bureau de santé, capitaines, officiers, soldats, gardes quittent le pays, et la contrebande avec Marseille redouble, de jour et de nuit, à travers champs, si bien que le vicaire-général et official Villeneuve menace d’excommunication « qui saura tant pour avoir vu que pour avoir ouï dire que certain quidam fait la contrebande » et ne l’aura pas dénoncé. L’apothicaire succombe, le chirurgien le suit, les autres se dérobent et le nombre des victimes redouble ; on improvise des infirmeries, on fait appel à deux médecins de Marseille qui coûtent mille livres par mois sans compter les remèdes, et la caisse de la ville s’épuise ; plus de rentrées, imposition, taille, fermages. L’argent manque, le pain manque aussi. Le consul Caire s’en va à la barrière de Roquevaire pour acheter du blé, il supplie qu’on lui donne à crédit, les marchands refusent et repartent. Il faut que l’Intendant envoie deux cents charges de blé, des moutons et une somme de 800 livres.

La peste sévissait depuis sept mois. Les habitants se décidèrent à prendre une mesure radicale sous forme de quarantaine générale aussi prolongée qu’on le jugerait nécessaire. En conséquence, les consuls Caire et Camoin firent entrer dans la ville deux cent cinquante charges de blé ; six porteurs d’eau ayant chacun un mulet et neuf portefaix transportaient les provisions dans chaque rue pour empêcher que personne ne sorte. Le rationnement des pauvres comporte une livre et demie de pain et un quart de pot de vin par jour et par tête, y compris les enfants ; une livre de haricots le jeudi et le dimanche, de quatre en quatre, avec l’huile et le sel nécessaires. Au point de vue de la police, la ville est divisée en quatre quartiers : vingt-quatre hommes sont chargés de garder jour et nuit les avenues pour que nul ne puisse entrer ni sortir sans l’autorisation des consuls. Un corps de garde sera chargé de faire la patrouille toutes les nuits pour empêcher les vols et brigandages. Trois officiers, ayant chacun quatre hommes en sous-ordre, seront répartis dans le terroir pour en garder les frontières, faire observer la quarantaine dans les campagnes, empêcher toute communication d’une bastide à l’autre. Et comme les habitants des lieux circonvoisins « qui sont tous empestés » passent dans le terroir du côté de la Bourdonnière où plusieurs habitants d’Allauch vont acheter des marchandises pour les revendre dans la ville, un corps de garde fut établi dans ce quartier, avec ordre de confisquer la contrebande et de punir sévèrement les contrebandiers. Pour ne pas laisser les terres en friche et s’exposer à manquer de récolte, il fut décidé qu’on laisserait venir des muletiers de Marseille, munis de billets de santé dans le terroir d’Allauch pour y faire les cultures de la saison, et- que les fourniers pourraient y venir s’approvisionner de bois en se faisant précéder d’un homme de confiance muni pareillement d’un billet de santé.

Cette organisation une fois établie et ces mesures prises, les consuls firent publier la quarantaine générale. Elle commença le 11 mars 1721 et se poursuivit sans incidents, grâce au dévouement des uns et à la parfaite docilité des autres. Après quarante- sept jours de ce régime, la quarantaine générale fut levée et « laissa le lieu et son terroir sans aucun malade ni vieux ni nouveau[73] ». Le fléau dura, avec des interruptions, du 20 août 1720 au 4 janvier 1722, frappa 1.331 individus, dont 1.023 succombèrent. Les secours reçus furent : 1° 350 charges de blé ; 2° 10 charges données par le chapitre de la Major ; 3° 475 moutons et 22 bœufs donnés par la ville d’Aix ; 4° 3.800 livres avancées par le trésorier de la Province ; 5° 1.000 livres de l’archevêque d’Aix ; 6° 200 livres de l’évêque de Marseille. Les dépenses pour pain, vin, légumes, médicaments, linges, vinaigre, eaux-de-vie, parfums, honoraires et salaires, etc. s’élevèrent à 59.993 liv. 6 sols[74].

 

Aix

Aix fut attaquée au mois d’août 1720. On y appliqua la mesure qu’on vient de décrire, d’une quarantaine générale. La peste devenue silencieuse ne fut pas moins meurtrière. L’expérience se prononça contre les infirmeries communes, puisque de huit mille malades qui y entrèrent, il n’en sortit que quatre cent soixante-six un peu vivants. Ceux qui, par crédit ou par ruse, éludèrent l’arrêt de mort qui les y envoyait gardèrent seuls chance de guérison[75].

 

Toulon

Ce fut à Toulon que fut tentée la plus complète expérience de l’isolement par une quarantaine générale qui dura soixante jours. Le premier consul de la ville, M. d’Antrechaus s’illustra par son dévouement et son énergie[76]. Le 31 juillet 1720, on dut reconnaître la réalité de la contagion à Marseille et la nécessité de prendre des mesures pour s’en préserver. Les fugitifs de Marseille avaient obtenu de s’entasser au lazaret de Toulon, A ce même lazaret s’opérait le déchargement de tous les grains qui arrivaient de l’étranger et bientôt des cas de peste suivis de mort se montrèrent. La maladie se développa rapidement, on édifia un hôpital sur les terrains de Saint-Roch et les individus suspects furent logés dans des chambrettes séparées. Au mois de, septembre le mal semblait vaincu et on procéda à un recensement de la population qui donna 26.276 habitants.

Quatre habitants de Bandol se rendirent la nuit à l’île de Jaïre, volèrent une des balles de soie retirées du « Grand-Saint Antoine » et l’apportèrent chez eux. Le lendemain la peste se déclare à Bandol et vingt-six personnes en moururent dans le courant du mois d’octobre75. Quand on apprit à Toulon que la peste ravageait ce hameau, on en bloqua toutes les issues. Cependant le jour du partage du butin, un patron de barque de Toulon laissa sa barque dans le port et rentra chez lui à la tombée de la nuit par la grand’route. Le lendemain, 7 octobre, cet homme tomba malade et mourut le 11 ; le 17, sa fille succomba. Le soupçon naquit et on posa une sentinelle devant la maison, rue des Minimes, internant ainsi trente-cinq parentes ou voisines que le décès de cette jeune fille avait rassemblées. Bientôt deux fils de patron de barque moururent, puis des parentes ou amies internées tout un jour. Cette fois la peste était certaine, mais elle ne fit pas d’autres victimes. Au mois de décembre nouvelle attaque de la maladie, encore limitée à quelques cas, mais la terreur gagnait les imaginations et la misère devenait grande. Deux cas suivis de mort au début du mois de janvier, mais déjà il devenait difficile de les compter tellement ils se multipliaient, et, successivement, on supprima les offices, les processions, l'accompagnement du saint viatique, les funérailles en cérémonie, on dispersa les boucheries, on réglementa les boulangeries, on multiplia les marchés de façon à éviter les rassemblements de population, enfin on ferma les églises. Ce fut le 28 janvier qu’on mit en circulation l’idée d’une quarantaine générale que les imaginations malades adoptèrent avec enthousiasme et mitent une sorte de frénésie à imposer aux Consuls. M. d’Antrechaus estimait qu’« une quarantaine générale est un arrêt de mort que l’on prononce », mais il ne put se soustraire aux exigences de ses deux adjoints, des conseillers de la commune et de la population tout entière.

Le 10 mars la quarantaine commença ; jusqu’au 20, la distribution du pain se fit avec assez d’ordre, mais en moins d’un mois cent treize boulangers sur cent trente-cinq moururent ; en avril, ou fut obligé de suppléer parfois au pain qu’on n’était plus en nombre pour pétrir, par une distribution de riz. Avant rétablissement de la quarantaine un seul tombereau avait suffi pour l’enlèvement des cadavres ; en mars, il en fallut deux ; en avril, quatre ne furent plus suffisants, la moyenne des morts dépassait deux cents par jour, et le 20 avril jour où devait expirer la quarantaine, il mourut deux cent quarante-neuf personnes. Quelques quartiers étaient si dépeuplés, qu’on ne trouvait aucun homme capable d’en être le pourvoyeur, il fallut charger des femmes de ce soin. Malgré cette expérience trop évidente, la quarantaine fut prolongée de trente jours. Le 30 avril, on compta deux cent soixante-dix morts, on manqua dès lors de tombereaux et de fosses. Un cinquième hôpital de douze cents lits ne désemplissait pas. Du 1er au 15 mai, on compte plus de trois cents morts chaque jour, empilés à la nuit tombante, dans huit tombereaux et il ne restait plus de valides en nombre suffisant pour enlever tant de morts. Un jour, M. d’Antrechaus vit entrer dans le port une tartane portant cent forçats qu’un ordre de la Cour envoyait de Marseille à Toulon, ces misérables s’introduisaient dans les maisons, volaient des vêtements, des bijoux ou bien se faisaient remettre de l’argent par ceux qui allaient mourir. Du 5 au 10 mai, la misère, le désespoir, l’épouvante furent à leur comble, la quarantaine fut levée dix jours avant que le terme ne fut expiré. On vit descendre dans les rues ce qui restait de la population, des êtres décharnés, chancelants, hébétés. A partir du 5 août, on n’observa plus de cas de peste ; alors, parmi tant d’autres soins on compta le nombre des morts. Un registre des archives de Toulon porta le nombre des pestiférés du 17 octobre 1720 au 18 août 1721 à 18.745 dont 13.283 succombèrent[77].

 

Arles

Arles se croyait à l’abri derrière le Rhône, la Crau et un cordon de sentinelles. Son archevêque, Forbin-Janson, prêchait, représentait la peste comme un fléau divin châtiant le peuple des vices de la Cour et des erreurs du jansénisme ; sa famille dût demander grâce pour lui et on se contenta de condamner le mandement séditieux sorti de son cerveau ébranlé[78]. La populace, poussée par la famine, rompit la clôture du pont, et se répandit dans la Camargue sans y porter la peste[79].

 

Apt et autres lieux

Apt ne fut pas épargné[80], la Ciotat échappa au fléau par la sévérité des femmes qui se chargèrent d’en garder les avenues. Avignon vit tardivement le fléau qui y fit peu de ravages[81]. Après s’être présentée devant Orange et Tarascon, la peste franchit le Rhône et gagna le Gévaudan où elle fit cinq mille quatre cent trente-huit victimes[82], environ le trentième de la population totale. Alais fut peu éprouvé, Montpellier vit quelques cas isolés et le maréchal de Berwick brûla plusieurs villages où elle paraissait plus rebelle, cruauté gratuite qu’un Français ne se fut pas senti le cœur d’ordonner. Un ambassadeur turc s’avisa de débarquer à Toulon le 22 novembre 1720, sur la plage de Missiessy, il ne repartit que le 11 décembre. Lui et sa suite ruinaient la ville, « ces sortes de gens mangeant la nuit comme le jour, et sans ménagement lorsqu’il ne leur en coûte rien[83] » ; on l’embarqua enfin pour Maguelonne d’où il continua sa route vers Paris ; pendant la traversée du Languedoc, il désigna la ligne où le fléau s’arrêterait ; le hasard justifia sa prédiction[84]. Pendant les années 1720, 1721 et 1722 les pays du Midi vécurent sous la menace d’une nouvelle catastrophe. Les médecins raisonnaient à l’envi sur les symptômes[85] pendant que les magistrats combinaient des règlements et des blocus qui ne laisseraient rien filtrer du fléau[86]. Entre temps on lava les parquets, on gratta les boiseries, on blanchit les murailles, on mit un peu de propreté et d’hygiène, on refoula l’ordure et on la canalisa, cela parut à tout le monde une nouveauté.

Elle ne fut pas la seule. Des observations furent faites, des comparaisons institués qui, partant de données empiriques acheminèrent vers des conclusions scientifiques. On remarqua que la maladie ne prit un caractère épidémique qu’au lendemain de l’orage qui épouvanta les plus fermes pendant la nuit du 21 juillet. Le 2 septembre une tempête soufflant du nord aggrava la catastrophe et multiplia les victimes. La vendange amena une accalmie dans la contagion, elle fut attribuée à la fermentation vineuse opérée dans d’innombrables cuves. Les médecins envoyés de Paris et de Montpellier firent d’utiles remarques et témoignèrent d’un dévouement sans réserves ; l’émulation fut telle dans ce corps qu’il fallut refuser un grand nombre de ceux qui, par toute la France, se disposaient à se rendre à Marseille. Parmi les habitants, ceux qui avaient été guéris, se croyant à l’abri des rechutes, consentirent à donner leurs soins à un prix élevé, car la grandeur d’une calamité presque sans exemple ne suggéra pas plus aux survivants qu’aux victimes la pensée du désintéressement.

Dans ce bouleversement auquel personne n’échappa, car ceux dont la santé fut épargnée furent tous plus ou moins éprouvés dans leurs proches ou dans leurs biens, on vit des héros chez qui la fermeté n’excluait pas la compassion tels le chevalier Roze et M. de Langeron, on en vit à qui une impitoyable rudesse inspira des mesures d’une rigueur atroce, tel le commandant Dupont. Il fallut réprimer l’assassinat et le vol par la pendaison publique et l’ordre ne triompha à Marseille que grâce à la vue des fourches patibulaires toujours chargées de quelques criminels. A ces violences commises dans le secret des maisons, s’ajoutèrent les désordres d’une débauche étalée en public. La prostitution ne connut ni frein, ni pudeur, elle souilla le nom de mariage d’unions équivoques presque aussi vite rompues que formées. Tandis qu’à Toulon, les élèves en chirurgie se livraient à des actes d’impudicité monstrueuse, à Aix les courtisanes repentantes se dévouaient à une mort certaine en soignant les malades. La fureur du plaisir alternait avec la fureur de la pénitence, il semblait que toutes les notions de la loi morale fussent confondues, brouillées, méconnues. A Marseille, dans tout le cours de l’épidémie on remarqua que l'accouchement fut constamment suivi de mort. Sur la certitude de ce fait, il s’établit une association de jeunes gens, qui, animés d’un zèle apostolique, pénétraient au péril de leurs jours dans les maternités, épiaient le moment de la délivrance et par une ablution furtive donnaient à l’enfant le saint baptême, en l’abandonnant ainsi que la mère à une mort inévitable.

Le rétablissement complet de la sécurité dans Marseille y développa de nouveaux traits de caractère. Une joie folle enivra cette foule d’héritiers. L’éclat et la multiplicité des fêtes remplirent les gazettes et contribuèrent à rouvrir les communications avec l’étranger. Cette soif de plaisirs qui succède aux grandes calamités est peut-être un instinct de la nature impatiente de réparer ses catastrophes[87]. Mais la nature ne peut réparer avec la même rapidité le dommage matériel. Le pavillon français se vit fermer tous les ports et cette circonstance ne laissa pas que d’être fatale à la Compagnie des Indes. Par un effet de réaction trop digne de la nature humaine, Roze et Belzunce, Fortia et Moustiès, d’Antrechaus et Langeron loin d’être récompensés et honorés virent leur conduite discutée, leur gestion soupçonnée, leur dévouement oublié, il fallut de longues années pour que la reconnaissance et l’admiration publiques leur rendissent l’hommage auquel ils avaient tous les droits. On ne doit pas omettre parmi tant de conséquences singulières l’admirable dévouement des galériens. Une partie de ces malheureux sortit de l’épreuve réhabilitée ; il y eut huit cents lettres de grâce expédiées pour des forçats qui avaient servi durant la peste, on assura leur subsistance soit dans le royaume soit dans les colonies[88].

 

Calamités dans le reste de la France

La peste de Marseille fit oublier d’autres calamités et fléaux d’une extrême violence ; elle effaça tout. L’année 1719 avait déjà eu sa large part de catastrophes. Dans la nuit du 16 au 17 février 1719, le vent emporte les toitures, arrache les châssis et gouttières, découvre une partie du château des Tuileries, arrache la croix du clocher de Saint-Germain l’Auxerrois[89] ; le 30 mars, une sorte de bolide visible en Champagne et à Paris, tombe en Picardie sur l’abbaye de Saint-Riquier et consume tous les bâtiments[90] ; le 30 mai, un ouragan sillonne la Normandie et brûle tous les fruits des arbres comme si le feu les avait atteints[91] ; le 29 juin, la foudre entre dans l’église Saint-Sulpice à Paris pendant qu’on y chantait les vêpres, traverse le chœur et la nef, sort enfin par une fenêtre laissant clergé et fidèles étendus sur le pavement, plus morts que vifs[92] ; le 23 juillet, la foudre entre dans l’église Sainte-Geneviève pendant la célébration de la messe[93] ; le 7 août, elle embrase la petite ville de la Charité-sur-Loire qui est détruite[94] pendant que, le même jour, un orage éclate sur la ville de Sainte-Menehould en Champagne qui est entièrement, anéantie sans qu’il fût possible de maîtriser le feu, en sorte que les habitants sont réduits à camper en plein champ[95].

L’année suivante, la petite ville de Rozoy, près de Sézanne-en-Brie est consumée par un incendie (29 juin)[96] ; la ville de Châlons est éprouvée par un orage accompagné de grêlons pesant une livre et plus, tonnerre, tempête, trombe d’eau, les toits des maisons s’enfoncent dans la ville et le désastre s’étend à quarante villages alentour. Tout est brisé, coupé, ravagé, non seulement les individus en grand nombre et une multitude de bestiaux ont péri, mais on trouve des cadavres de loups tués par les grêlons en rase campagne[97]. Enfin pour couronner cette longue énumération de misères, un sinistre d’une ampleur inconnue éclate à Rennes.

 

L’incendie de la ville de Rennes

Dans les derniers jours du mois de décembre la peste était vaincue ; à ce moment se répandit la rumeur d’une autre catastrophe. Pendant la nuit du 22 au 23 décembre, un menuisier ivre, Henri Bouttronel, dit la Cavée[98], mit le feu à son échoppe située dans la rue Tristin[99], au centre de la ville de Rennes. Les flammes, activées par un vent impétueux, atteignirent les maisons voisines, puis des rues et des quartiers devinrent la proie de l’incendie. Bâtie, comme les villes de ce temps, avec beaucoup de bois, Rennes s’embrasa en quelques heures et brûla pendant sept jours. « La ville, écrit un témoin du désastre, fut embrasée comme une mer de feu ; à un quart de lieue les charbons allumés tombaient gros comme le poing. » Les habitants affolés jetaient leurs meubles dans la rue, dressant ainsi des barricades qui interdisaient l’emploi des secours. Du centre de la ville, la flamme gagnait « en forme de croix » dans quatre directions différentes. Tous ceux dont la demeure était détruite ou menacée s’efforçaient de sauver quelques meubles et, voyant l'incendie se propager, cherchaient sans cesse un abri nouveau jusqu’au moment où leur bien devenait la proie des flammes ou des voleurs. « On ne voyait partout que charrettes, chariots et même chaises à porteurs, dont on se servait pour le transport des effets et avec tant de confusion qu’il était impossible de traverser les rues, chacun emportait comme il pouvait ce qui lui appartenait ; le désordre, la confusion, l’épouvante s’étaient tellement emparés de l’esprit du peuple que l’on se sauvait avec des bagatelles pendant qu’on faisait brûler l'essentiel. Le quatrième jour tous les couvents d’hommes et de filles furent ouverts. Les habitants s’y réfugièrent avec le peu de meubles et effets qu’ils avaient sauvés. Hommes, femmes, enfants, tous couchaient pêle-mêle dans les cloîtres, dans les dortoirs ; là ils étaient à l’abri des voleurs et des soldats. » Ces derniers aggravaient le désordre. C’était le régiment d’Auvergne, en quartier d’hiver à Rennes. Ils avaient reçu de l’intendant Feydeau de Brou l’ordre de porter secours aux habitants, au lieu de cela, « ces militaires bourraient de leurs fusils les ouvriers et les habitants qui désiraient porter secours aux incendiés, les traitant de voleurs, pendant qu’ils volaient et pillaient eux-mêmes toutes les maisons, qu’ils allumaient le feu dans les caves afin de tout embraser[100]. »

Comme dans toutes les calamités publiques on parla de malveillance et de prodiges ; le feu avait éclaté sur dix points en même temps, une pluie de feu s’était abattue sur la ville : sornettes[101]. La cause du sinistre était beaucoup plus simple, il suffisait de lire la description faite par Dabuisson-Aubenay ; « Les rues sont étroites, les maisons s’élargissent par le haut, en sorte qu’en beaucoup de lieux, elles se touchent presque l’une l’autre, et à peine le jour entre-t-il dans les rues ; car les seconds étages s'avancent en dehors sur les premiers et les troisièmes sur les deuxièmes, et ainsi toujours se vont estrécissant[102]. » Ogée ajoute que les rues « étaient toujours fort humides et très sales[103] ». De plus l’eau manquait presque totalement, car les conduites, bien que réparées fréquemment et à grands frais, fonctionnaient très imparfaitement. Le matériel était sommaire : la communauté de Ville possédait deux pompes d’une faible puissance, cinq sacs de cuir et quatre haches[104]. L’incapacité des magistrats était à la hauteur de ces moyens. On vit l’intendant Feydeau, l’évêque Turpin de Crissé, le premier président de Brilhac « tous en veste et habits de toile et cuir, avec des sabots, car on ne pouvait marcher autrement, tout n’étant que feu, porter des seaux remplis d’eau, afin d’encourager les ouvriers et leur faire donner du vin et de la boisson ». Quant à faire preuve d’initiative et de décision, ils n’y songèrent pas. « Si, dès le lundi matin, écrit un contemporain-, voyant qu’on n’avait aucune des choses nécessaires pour éteindre le feu ni aucune espérance de sauver la ville qu’en sacrifiant quelques maisons, M. l’Intendant eût ordonné aux officiers de mener eux-mêmes leurs soldats et aux entrepreneurs de conduire les ouvriers pour abattre, tout autour du lieu où le feu était le plus épris, une douzaine de maisons, il est sûr qu’il se fût arrêté là... mais tout était dans une si grande confusion qu’on laissait brûler la ville[105]. » L’incendie durait depuis six jours et eut dévoré ce qui restait de Rennes « si des particuliers plus attentifs à leurs intérêts et à la crainte de perdre leurs maisons que ne le furent les principaux magistrats au bien public n’étaient sortis de cet assoupissement. » On coupa, on abattit de larges pans de construction et on sauva le reste.

Les pertes pécuniaires furent considérables, le feu avait détruit trente-deux rues, et 850 maisons sur une superficie de huit hectares[106]. « Le malheur fut complet pour la vie et pour les biens », dit Saint-Simon[107] et le désastre eut dans toute la France un énorme retentissement.

 

 

 



[1] Quoi qu’en dise un anonyme dans les Lettres d’un négociant de Marseille sur la peste (13 mars et 13 juin 1720), p. 2, 3.

[2] [J. Bertrand], Relation sur ce qui s'est passé à Marseille pendant la dernière peste, in-12, Cologne, 1721, ch. 1. p. 8-17 ; d’après Lémontey, op. cit., t. I, p. 303, la dernière peste remontait à soixante-dix ans, voir cependant : E. Bonnet, Documents inédits sur la peste de Marseille et de Provence, 1713-1714, dans Association française pour l’avancement des sciences, 1891, t. XX, p. 1006.

[3] Journal inédit sur la peste de Marseille, par le P. Paul Giraud, visiteur provincial des Trinitaires.

[4] Extrait du livre des Dépositions, 25 mai 1720 ; Cabinet de M. Crozet, collection de pièces manuscrites sur Marseille.

[5] Récit abrégé de la peste de 1720. Cabinet de M. Louis Régis.

[6] Ms. sur la peste, faisant partie du Cabinet du marquis de Clapiers.

[7] Mémorial de l’Hôtel de Ville de Marseille.

[8] Journal inédit sur la peste de Marseille, par le P. Giraud.

[9] Relation manuscrite de la Peste, par le P. Bougerel.

[10] J. B. Bertrand, Relation historique, p. 36-37 ; S. Piot, Les premiers mois de la peste de Marseille, dans Revue des Etudes historiques, 1902, t. LXXIII, p. 583-601 ; Martin, Histoire de la dernière peste de Marseille, Aix, Arles et Toulon, in-12, Paris, 1732 ; Précis historique de la peste de Marseille avec lettres inédites écrites en 1721 et 1722 par un habitant de cette ville, par le docteur Lemazurier, in 12, Versailles.

[11] Arch. municip. de Marseille, Registre des copies de lettres, 1719-1723.

[12] P. Lémontey, Histoire de la Régence et de la minorité de Louis XV jusqu’au ministère du cardinal de Fleury, in-8°, Paris, 1832, t. I, p. 363 ; son chap. IX a été publié séparément sous le titre : Histoire de la peste de Provence, broché in-8°.

[13] Journal inédit sur la peste de Marseille, par le P. Paul Giraud.

[14] Bibl. municip. de Marseille. Ordonnance de réciter l’oraison de saint Roch, 16 juillet 1720, par M. de Belzunce ; M. Marais, Journal, t. I, p. 369, août 1720.

[15] M. de Belzunce à M. Lebret, intendant de Provence, Marseille, 21 juillet 1720, dans L’Autographe, 1854, p. 334 ; voir J. Laurentie, Belzunce et le Jansénisme, d’après une correspondance inédite de l’évêque de Marseille avec le Premier Président Le Bret, dans L’Université catholique, juin 1898.

[16] Lémontey, op. cit., t. I, p. 365.

[17] Arch. des Bouches-du-Rhône, cart. 904 : Arrêt de la Cour du Parlement tenant la Chambre des vacations concernant règlement sur le fait de la peste, du 17 juillet 1629, Aix, impr. du Roi, 1720.

[18] Arch. municip. de Marseille, Registre des copies de lettres. Les échevins au Régent, 2 août 1720.

[19] Arch. départem. des Bouches-du-Rhône, fonds Évêché, n° XVI : Journal de [Goujon] l’Intendant de Mgr de Belzunce durant la peste, août 1720 ; Th. Bérengier, Journal du maître d’hôtel de Mgr de Belzunce durant la peste de Marseille, 1720-1722, dans Revue des questions historiques, 1878, t. XXIV, p. 566-586 : Le même, Mgr de Belzunce s'est-il enfermé dans son palais épiscopal au plus fort de la peste de 1720, dans même revue, 1889, t. XLV, p. 588-595.

[20] Eloge historique de Mgr de Belzunce, par l’abbé de Pontchevron, in-8°, Versailles, 1854, p. 326.

[21] Th. Bérengier, Vie de Mgr Henry de Belzunce, évêque de Marseille, in-8°, Paris, 1887, t. I, p. 227, note 2.

[22] Ibid., t. I, p. 228, note 2.

[23] Journal abrégé de ce qui s’est passé dans la ville de Marseille depuis qu’elle est affligée de la contagion, tiré du Mémorial de la chambre du conseil de l’Hôtel de Ville, tenu par le sieur Pichatty de Croissainte, conseil et orateur de la communauté et procureur du roi de la police, qui a résidé à l'Hôtel de Ville pendant toute la peste, in-12, Paris, 1721, p. 28-29.

[24] Je laisse la responsabilité de cette insinuation à Lémontey qui était incrédule ; je ne l’ai rencontrée nulle part.

[25] P.-E. Lémontey, op. cit., t. I, p. 373, adopte le chiffre des médecins de Montpellier.

[26] P.-E. Lémontey, op. cit., t. I, p. 373.

[27] Ibid., t. I, p. 374.

[28] A. Laforêt, Souvenirs marseillais. La peste de 1720, in-8°, Marseille, 1863.

[29] C’étaient les méthodes en usage au Lazaret ; voir en outre ; Deligny, Des épidémies et en particulier de la grande peste du XVIIe siècle en Lorraine, dans Mémoires de l’Académie Stanislas, 1889, t. LVIII, p. 441 ; X. Arnozan, Comment on se défendait contre la peste Bordeaux aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, dans Revue philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1900, t. III, p. 19. Manière de donner des parfums, dans Annal de la Soc. des Basses-Alpes, 1907-1908, t. XIII, p. 262.

[30] Arrêts des 3, 7, 13, 26 août et du 4 septembre 1720. L’opinion publique met quelque temps à s’alarmer, voir Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 336 ; 14 août (son Journal finit le surlendemain) ; Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, 18 août, dans Les Correspondants, t. II, p. 187. D’ailleurs tout ce qui se dit ou s’écrit sur le fléau à Paris apprend peu de chose, ibid., t. II, p. 188, 189, 191, 192, 195, 196, 198, 199, 204 : « M. Law a conseillé au Régent de brûler la ville, les bastides et tous ceux qui sont dedans », p. 207-208 ; Buvat, Journal, t. II, p. 122 ; 8 août ; p. 155, 158, 165, 167-169, 170,172, 181, 183 ; Barbier, Journal, t. I, p. 95-96, se contente d’une brève mention à la fin de l’année 1720, tandis que M. Marais, Journal et Mémoires, t. I, p. 3-68, annonce le 9 août qu’« elle n’aura point de suite » ; p. 387, 391, 394, 405, 413-414, 454, 458 ; t. II, p. 15.

[31] P. Giraud, Journal, p. 72 ; Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 228.

[32] Arrêt du 8 août 1720.

[33] P. Bougerel, Relation manuscrite de ce qui est arrivé durant la peste, 17 août, Cabinet de M. Crozet.

[34] Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 226, note 1.

[35] Journal inédit de la peste de Marseille, par le P. Giraud ; Le Conservateur marseillais, t. II, p. 86.

[36] Lettre pastorale contre les appelants de la bulle Unigenitus, 10 août ; M. de Belzunce au Régent, 20 août, dans Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 239-240.

[37] Mandement ordonnant aux prêtres fugitifs de rentrer à Marseille, pour secourir les pestiférés, 2 septembre, in-12, Marseille 1720, 23 pages.

[38] Pièces historiques sur la peste, dans Mercure historique et politique, décembre 1720. Voir aussi sa lettre à l’archevêque d’Arles, M. de Forbin-Janson, 4 septembre, Arch. départem. des Bouches-du-Rhône, fonds Nicolay, carton 80, c’est la même acrimonie contre les appelants, Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 246-247.

[39] M. Marais, op. cit., t. I, p. 369.

[40] Voir Le Temps, 29 juillet 1921 (version différente).

[41] Entre la porte des Fainéants et le monastère des Capucins.

[42] Il était situé dans l’espace occupé par le boulevard de la Magdeleine le cours du Chapitre.

[43] M. Deidier à M. Fives, cabinet de M. de Crozet, voir Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 245.

[44] Arch. départem. des Bouches-du-Rhône, fonds Nicolay, carton 80 : M. de Belzunce à M. de Forbin-Janson, 4 septembre 1720.

[45] Arch. nat., fonds Clairembault, Saint-Esprit, 109, fol. 105 ; lettre du 27 septembre 1720.

[46] Arch. départem. des Bouches-du-Rhône, fonds Évêché, n° XVI, Journal de l’intendant [Goujon], 14 septembre.

[47] M. de Belzunce à M. de Saint-Amans, 19 décembre 1720, voir Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 252. On peut consulter utilement G. Julliot, Lettres inédites de Mgr de Belzunce et autres documente concernant la peste de Marseille, 1720-1721, dans Bulletin de la Société archéologique de Sens, 1867. t. IX, p. 1 ; Louis-Antoine (de Porrentruy), Correspondance de Mgr. de Belzunce évêque de Marseille, composée de lettres et documents en partie inédits, in-8°, Marseille, 1911.

[48] A. Laforêt, Souvenirs marseillais. La peste de 1720, in-8°, Marseille, 1863, p. 94.

[49] P.-E. Lémontey, op. cit., t. I, p. 382.

[50] Eloge historique de M. de Belzunce par l’abbé de Pontchevron, in-8°, Versailles, 1854, p. 71.

[51] J.-B. Bertrand, Relation, p. 268.

[52] Pichatty de Croissainte, Journal abrégé de ce qui s’est passé en la ville de Marseille, p. 45-46.

[53] A. Fabre, Histoire de la Provence, in-8°, Marseille 1835, t. IV, p. 229 suiv. ; Louis XV et Louis XVI, in-8°, Paris, an VI, t. I, p. 90 suiv. ; Pièces historiques sur la peste de 1720, 21, 22, trouvées dans les Archives de l’Hôtel de Ville, dans celles de la Préfecture, au bureau de l’administration sanitaire et dans le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque de Marseille, in-8°, Marseille, 1820 (à l’occasion de l’année séculaire de la peste).

[54] Eloges historique du chevalier Roze, par Paul Autran, in-12, Marseille, 1821 ; Lettre à M. le marquis de * * * au sujet du chevalier Roze, in-18, Marseille 1722.

[55] Bref, daté du 14 septembre 1720, dans Pontchevron, Eloge historique, p. 72-79 ; et dans Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 269.

[56] Circulaire publiant les indulgences accordées par Clément XI aux pestiférés et à ceux qui les soignent, 9 octobre 1720.

[57] Vie de la Vénérée Sœur Anne-Magdeleine Remuzat, in-8°, Lyon, 1868, ch. IX ; elle annonçait, dès 1718, des calamités quelconques ; quatorze ans plus tard, en 1732, Belzunce les précisait un peu semble-t-il. Lettre du 10 mai 1732, in-4, Marseille (Brébion), 18 pages.

[58] Bibl. des Jésuites de Marseille, fonds Segond-Cresp, M. de Belzunce à l’archivaire Capus, voir Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 271-272.

[59] Bibl. des Jésuites de Marseille, fonds Segond-Cresp, M. de Belzunce à l’archivaire Capus, 13 octobre 1720.

[60] Bibl. des Jésuites de Marseille, fonds Segond-Cresp, M. de Belzunce à l'archivaire Capus, 16 octobre 1720.

[61] Bibl. des Jésuites de Marseille, fonds Segond-Cresp, M. de Belzunce à l’archivaire Capus, 13 octobre.

[62] Journal inédit sur la peste de Marseille, par le P. Giraud, mai 1720 ; Le Conservateur marseillais, t. II, p. 199-300 : Th. Bérengier, op. cit., t. I, p. 281-285, cite quelques-unes de ces rapsodies. Un prêtre nommé B. eut même assez de loisir pour rimer une épître à Damon sur la peste de Marseille. Voir L.-G. Pélissier, Une relation rimée de la peste d’Aix, en 1720, dans La Correspondante historique et archéologique, 1899, t. VI, p. 161-166.

[63] M. de Belzunce à M. de la Tour-du-Pin-Montauban, évêque de Toulon, 22 octobre, Cabinet de M. de Malijay.

[64] Vie de la Sœur Remuzat, 1868, p. 130-131.

[65] Mandement sur la désolation causée par la perte et sur rétablissement de la fête du Sacré-Cœur, 22 octobre, in-8°, 10 pages : P. Soullier, Les jésuites à Marseille aux XVIIe et XVIIIe siècles, in-8°, Avignon 1899 ; E. Letierce, Etude sur le Sacré-Cœur, in-8°, Paris 1890.

[66] Bibl. de Sens, M. de Belzunce à M. Linguet de Gergy, évêque de Soissons, 18 décembre.

[67] Arch. de Notre-Dame de la Charité, à Caen, lettre à Mme de Camilly, supérieure des religieuses des Cœurs de Jésus et de Marie, à Caen.

[68] L'Autographe, 1862, p. 333.

[69] M. de Belzunce à M. Capus archivaire, 2 novembre, dans Revue des documents historiques, 1875, p. 157. On lit même ce trait : « Dieu a paru désirer ce que j’ai fait, ayant fait cesser le vent seulement pour le temps qui a été nécessaire pour la cérémonie ». Et dans la lettre citée à Mme de Camilly il développe l’argument, c’était le mistral qui soufflait et les cierges ne furent pas éteints (sic).

[70] Bibl. des Jésuites de Marseille, fonds Segond-Cresp, M. de Belzunce à l'archivaire Capus, 6 novembre.

[71] Bérengier, op. cit., t. I, p. 304 : « Cet acte de piété plut au ciel, car le fléau perdit alors beaucoup de sa malignité. »

[72] Bainvel, Dévotion au Sacré-Cœur, dans Dictionnaire de théologie catholique, de Mangenot, t. III, fol. 337.

[73] Arch. municip. d'Allauch, Registre des délibérations, 28 avril 1721.

[74] J. Maurel, La peste à Allauch en 1720, dans Congrès des Sociétés savantes de Provence, 1906, p. 561-582.

[75] M. Martin, Relation de la peste d'Aix, in-8°, Paris, 1732.

[76] Relation de la peste de Toulon, en 1721, par M. d’Antrechaus, premier consul de Toulon pendant cette année, in-12, Paris 1756 ; G. Lambert, Histoire de la peste de Toulon en 1721, dans Bulletin de la Société des sciences, belles-lettres et arts du département du Var, 1860-1861, p. I-XXVII, 157-260 et tirage à part.

[77] Registre GG, 4 ; Revue des questions historiques, t. XXV, p. 155.

[78] Arrêts du Conseil d'Etat de Roy qui ordonne la suppression d’un mandement donné par le sieur archevêque d’Arles, in-4°, 1720. La peste de 1721. Une lettre de Mgr. de Forbin-Janson, arch. d'Arles dans Bull. de la Soc. des amis du vieil Arles, 1904-1905, t. II, p. 49-51.

[79] Relation de la peste d'Arles en 1720-1721, extraite des registres de la mairie de cette ville.

[80] Boze, Histoire de la ville d'Apt, in-8°, Apt, 1813, p. 351 ; F. Sauve, Les épidémies de peste à Apt, notamment en 1588 et 1720-1721, dans Annales de la Société d'études provençales, 1905, t. II, p. 39-50 ; 87-101.

[81] Lémontey, op. cit., t. I, p. 390.

[82] Mémoires (mss.) de M. de la Devèze, commandant en Gévaudan lors de la contagion de 1723 ; — Bibl. de l'Arsenal, n° 290, p. 63 : Lettre de MM. Lemoine et Bailly, docteurs de la faculté de médecine de Paris, députés de la Cour pour la peste du Gévaudan ; Baldit, Sur la peste de 1722, dans Bull. de la Société d'agriculture, industrie, sc. et arts de la Lozère, 1857, t. VIII, p. 59 ; F. André, Documents historiques et inédits sur la peste de 1720-1722 en Gévaudan, dans même revue, 1900, t. LI, p. 1 suivantes ; A. Philippe, Les étoffes du Gévaudan en Lorraine pendant la peste de 1721, dans Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du département de la Lozère. Chronique et mélanges. Monde, 1908, t. I, p. 184 ; L. Mazeret, La peste en Gascogne dans Bulletin de la Société archéologique du Gers, Audi, 1908, t. IX, p. 276-292 ; J. Maurel, La peste de 1720 dans les Basses-Alpes ; dans Annuaire des Basses-Alpes, Bulletin trimestriel de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, Digne, 1907-1908, t. XIII, p. 105, 180, 237, 277.

[83] Arch. de la Préfecture maritime de Marseille, lettre de M. Hocquart : voir G. Lambert, La peste de Toulon, p. 39.

[84] Lémontey, Histoire de la Régence, t. I, p. 891.

[85] Voir les écrits de Chicoyneau, de Papon, Soullier, etc.

[86] D. Alezaïs, Le blocus de Marseille pendant la peste de 1722, dans Congrès des Sociétés savantes de Provence, 1906, p. 527-546.

[87] Il a été vérifié par les registres des paroisses que, cinq années après la peste, la population de Marseille était précisément la même qu’en 1719.

[88] Lémontey, op. cit., t. I, p. 413.

[89] J. Buvat, Journal, t. I, p. 352 ; Madame à la raugrave Louise, 16 février 1719, dans Correspondance, édit, G, Brunet, t. II, p. 65.

[90] Buvat, op. cit., t. I, p. 370-377.

[91] Ibid., t. I, p. 398.

[92] Ibid., t. I, p. 404.

[93] Ibid., t. I, p. 414.

[94] Ibid., t. I, p. 423.

[95] Ibid., t. I, p. 423, 425.

[96] M. de Balleroy à sa femme, 3 juillet, dans Correspondance, t. II, p. 177.

[97] J. Buvat, op. cit., t. II, p. 123 ; 6 août 1720.

[98] Arch. municip. de Rennes, 526 G : délibération de la Commune de Rennes du 30 janvier 1721.

[99] Rue Tristin, sur l’emplacement de la cour du n° 3 de la rue de l’Horloge actuelle, derrière l’Hôtel-de-Ville.

[100] Arch. nat., H1 519 et G7 205 : Relation inédite et contemporaine de l’incendie de Rennes en 1720, dans Mélanges d'histoires et d'archéologie bretonnes, t. I, p. 287.

[101] Ducrest de Villeneuve et Maillet, Histoire de Rennes, in-8°, Rennes, 1845, p. 343, 436 ; Marteville, Histoire de Rennes, in-12, Rennes, 1850, t. I, p. 267.

[102] Dubuisson-Aubenay, Itinéraire de Bretagne, dans Archives de Bretagne, t. IX, p. 20.

[103] Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, 1843, Audriot, Rennes, année 1720.

[104] Ducrest de Villeneuve, op. cit., p. 345, voir Banéat, L’incendie de Rennes en 1720, dans Bulletin historique et philologique du Comité, 1909, p. 258-266.

[105] Fr. R. de Jacquelot, Journal inédit d'un député de l’ordre de la noblesse aux Etats de Bretagne, publié par de Closmadeuc, in-8°, Rennes, 1905, p. 133.

[106] Ogée et Marteville, Rennes ancien, t. I, p. 219 ; B. Pocquet, Histoire de Bretagne, t. VI, (1914), p. 170-172.

[107] Saint-Simon, Mémoires, édit. Chéruel, t. XI, p. 379 : Barbier, Journal, t. I, p. 94-95 ; Anonyme à Mme de Balleroy, dons op. cit., t. II, p. 224 ; M. Marais, op. cit., t. II, p. 37 ; Le Mon, Lettre de M. du Ménez de Lezurec au marquis de Lesquiffiou, relative à l’incendie de Rennes en 1720, dans Bulletin et mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, 1897, t. XXVI, p. XXVI ; Lémontey, op. cit., p. 313, rapporte d’après Saint-Simon qu’on découvrit sous les décombres des scories brillantes et variées, sorties, comme l’airain de Corinthe, des combinaisons fortuites de la combustion. Le luxe façonna et la mode répandit ces lamentables débris. Saint-Simon, Mémoires, t. XVIII, p. 130.