HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME TROISIÈME

 

CHAPITRE XLIV. — La Rétrocession de Gibraltar (Février-mars 1720).

 

 

L'Angleterre disposée à la cession de Gibraltar revient sur sa décision. — Humeur du Régent. — Sa lettre au roi Georges Ier. — Attitude de l’Angleterre. — Réponse au Régent. — Ordres donnés à Schaub. — Émotion à Londres. — Mission de Stanhope à Paris. Accord provisoire.

 

L'Angleterre disposée à la cession de Gibraltar

A l’heure où les ambitions d’Alberoni menaçaient la France d’une guerre avec l’Espagne, le duc d’Orléans avait espéré détourner Philippe V de cette extrémité en lui offrant une conquête pacifique : la restitution de Gibraltar par l’Angleterre. A cette époque, Gibraltar n’était pas encore l’inestimable joyau qu’il est devenu dans l’écrin de l’Angleterre. Acquis de la veille (1704), mal organisé, c’était une source de dépenses excessives et désordonnées. Au contraire, les Anglais avaient à Minorque un établissement complet, port et forteresse, d’où ils commandaient la Méditerranée occidentale. Stanhope qui l’avait conquise en 1708 à cause de l’immense avantage de la position, n’avait-il pas des raisons de faire moins de cas de Gibraltar[1]. » A son voyage à Paris et en Espagne au mois de juillet 1718, l’offre faite par le premier ministre n’était pas, comme on l’a pensé[2] un vain appât. Une lettre de Craggs à Stanhope ne permet aucun doute. « Depuis que j’ai commencé la présente lettre, dit-il, la malle est arrivée de France apportant une lettre de Votre Excellence à lord Sunderland. J’en ai pris connaissance et lord Sunderland l’ayant mise sous les yeux du Roi, j’ai ordre de S. M. de vous faire savoir qu’elle approuve votre proposition relative à Gibraltar ; et en cas que Votre Excellence trouve que ce soit le moyen de tout conclure et de tout terminer, vous êtes autorisé par la présente à faire cette offre quand vous le trouverez convenable[3]. »

 

Et revient sur sa décision

Philippe V parut faire à peine attention à cette offre séduisante, voulut la guerre et, quand il se trouva vaincu, se rappela la proposition et en réclama l’exécution, comme si Gibraltar n’avait appartenu à l’Angleterre par le traité d’Utrecht auquel il prétendait faire adhésion sans réserve en entrant dans la Quadruple-Alliance ; il est vrai qu’il n’y entrait qu’avec l’intention de la discuter et peut-être de la dissoudre. Un mémoire rédigé par le secrétaire d’État Grimaldo énonçait les revendications suivantes : Restitutions des places prises par les Français ; rétrocession de Gibraltar ; occupation par les troupes espagnoles des duchés de Parme et de Toscane rendus indépendants de l’Empereur. L’Angleterre admit la restitution des conquêtes françaises, l’occupation des duchés italiens sous la suzeraineté impériale, elle refusa toute discussion relative à Gibraltar. Avant de rendre une réponse catégorique, elle laissa à Pendtenriedter le soin d’en faire connaître le sens.

 

Humeur du Régent

Le Régent ni Dubois ne s’attendaient à un refus, ils pensaient reprendre la proposition au point où elle se trouvait dix-huit mois auparavant et mener l’affaire rondement. « S. A. R., écrivait Dubois, ne craint pas de trouver aucune difficulté[4]. » Lors de son voyage à Paris au mois de janvier 1720, Stanhope n’avait rien dit qui put faire pressentir un revirement d’idées, et le duc d’Orléans ne pouvait concevoir que les dispositions favorables du roi et du premier ministre pussent être mises en échec par le véritable souverain britannique : le Parlement. Ce fut ce que lui apprit une dépêche de Destouches, datée du 12 février, dépêche qui le bouleversa et le mit au désespoir. Il se croyait engagé à l’égard du roi d’Espagne et perdu d’honneur devant l’Europe témoin de son affront. Son humeur tomba sur Dubois à qui il reprocha d’avoir montré à Stair et à Pendtenriedter l’acceptation du roi d’Espagne dont se prévalait Georges Ier pour manquer à sa promesse. Comme rien n’était longtemps secret au Palais-Royal, l’entourage apprit sans tarder les reproches faits à Dubois et crut à sa disgrâce. Le parti de la vieille Cour donnait des conseils violents, Law demandait la guerre contre l’Angleterre, guerre qui serait, disait-il, la pierre de touche du Système, ou plutôt, répondait Dubois, la pierre d’achoppement[5]. Et sans s’attarder à des disputes oiseuses, il écrivait à lord Stanhope, lui décrivant la colère du Régent qui « ne peut mettre ensemble la fidélité et la délicatesse qu’il a eues dans tout le cours de l'alliance pour tout ce qui a pu convenir et plaire au roi, votre maître, et l’injure qu’on lui fait en retirant les paroles qu’on lui a permis de donner ». Dubois cherchait ensuite à apitoyer l’anglais en lui disant que, pour lui, il était perdu sans ressource et leur alliance mise en péril[6]. S’adressant à lord Stair, il lui confiait « qu’il prévoyait de très mauvaises suites, si l’on s’opiniâtrait en Angleterre de ne point rendre Gibraltar[7] ».

 

Sa lettre au roi Georges Ier

Le Régent ne s’en tenait pas à des reproches adressés à Dubois, il adressait ses récriminations à lord Stair qui se présenta chez lui et reçut l’avalanche sans broncher[8]. Le prince rappelait qu’il avait promis la rétrocession de Gibraltar dans son manifeste au commencement de la guerre contre l’Espagne. Stair répliqua que Philippe V avait opposé un refus à l’offre à lui faite, que la guerre avait suivi entraînant de lourdes dépenses qui modifiaient la situation. Le duc d’Orléans répondit qu’en dernier lieu, il avait eu des raisons de croire que le Roi n’avait pas changé de sentiment par rapport à Gibraltar, en conséquence il lui écrivait par la voie de notre ambassadeur[9]. Voici sa lettre :

« Monseigneur, j’envoie en diligence le comte de Senectère auprès de Votre Majesté pour lui représenter la situation dangereuse où m’a jeté la réponse qui a été faite au nom de V.M. sur la restitution de Gibraltar. Depuis que l’abbé Dubois m’eut écrit d’Angleterre que V.M. lui avait dit qu’elle me permettait d’offrir cette condition au roi d’Espagne, je l’ai fait renouveler à ce Prince jusqu’à ce jour dans toutes les occasions qui se sont présentées, et même dans les manifestes que j’ai fait publier et répandre dans toute l’Europe.

« Ainsi je consentirais aussi tant à ma perte qu’au déshonneur de manquer à un engagement si public, et je suis persuadé que, sans cette condition, l’Espagne essuierait encore des extrémités et qu’inutilement nous nous flatterions de consommer incessamment votre grand ouvrage de la paix.

« Votre Majesté sait mieux que personne le prix de la fidélité et de la bonne foi, puisqu’elle s’est toujours distinguée par ces grandes qualités. Mais elle juge bien que si on pouvait m’accuser en France d’y manquer dans cette occasion, je perdrais toute ma considération et tout mon crédit dont j’ai tâché toujours de faire usage autant pour l’intérêt de l’Angleterre que pour le mien.

« Déjà sur ce qu’on a su de la réponse de vos ministres par M. de Pendtenriedter et par la Hollande, j’essuie ici des discours fâcheux, et j’ai des motifs très puissants de supplier instamment V.M. de prendre les mesures que ses bontés pour moi et sa sagesse lui inspireront pour faire cesser cette importante difficulté et d’être persuadée que je suis...[10]

 

Attitude de l'Angleterre

Dubois, de son côté, écrivait à Destouches que « si le gouvernement d’Angleterre ne trouvait pas moyen de la satisfaire, S. A.R. pourrait se jeter dans les extrémités qu’on lui conseille. Suppliez milord Stanhope de mettre tout en usage pour la contenter sur cet article sur lequel elle est trop frappée pour en revenir[11] ». Ces deux lettres montraient suffisamment la naïveté du Régent et de son ministre qui s’étaient flattés que leurs bons procédés, leurs concessions, leurs faiblesses seraient payées de retour par l’Angleterre. Celle-ci n’abandonne jamais que ce qu’elle ne peut garder et la contrainte peut seule lui arracher ce que le Régent réclamait d’une loyauté imaginaire. Lord Stanhope protestait d’une bonne volonté purement verbale, déplorait le malentendu qui affligeait son ami Dubois, déplorait le mécontentement du duc d’Orléans qui, d’ailleurs, avait mal interprété l’offre faite pour prévenir la guerre et pour ce cas seulement[12]. Mais à son dernier voyage à Paris, un mois auparavant, Stanhope avait parlé à Dubois et au duc d’Orléans de manière qu’ils avaient cru que le Roi ne ferait pas difficulté de rendre Gibraltar[13]. Telle était l’affirmation de Dubois transmise par lord Stair. La déconcertante naïveté du diplomate qui, depuis quatre ans, traitait des affaires d’État avec les agents de l’Angleterre et croyait encore à leur loyauté est un sujet d’étonnement. Quoique Stanhope eut laissé entendre, ou dit, ou promis, on voyait à l’épreuve ce que valait un engagement non écrit. Pas plus en 1720 qu’en 1718 Je premier ministre n’avait donné une garantie et sans doute s’étonnait-il grandement qu’on eût la prétention d’exiger un sacrifice quand on n’avait aucun titre à présenter et que les moyens de contrainte étaient impossibles ou illusoires.

 

Réponse au Régent

Pas plus que son ministre favori, le roi Georges n’était disposé à ce qu’on attendait de lui sans pouvoir l'exiger. Le 29 février, il chargeait James Craggs de répondre à la lettre personnelle du Régent[14]. Craggs résumait à grands traits la situation : l’agression de l’Espagne contre l’Empereur sous des prétextes presque imaginaires ; les menées d’Alberoni en France pour procurer à Philippe V la régence ou même la couronne ; l’Autriche attaquée en Italie et contrainte à y envoyer ses armées ; les lignes du Nord destinées à jeter le trouble en Allemagne ; l’Angleterre menacée d’une invasion du Prétendant. Ce bouleversement général avait paru assez redoutable pour légitimer des concessions importantes en vue de détourner l’Espagne d’une guerre : investitures de la Toscane et de Parme et mieux encore : la rétrocession de Gibraltar. Craggs ajoute qu’en échange de cette restitution on aurait demandé des privilèges commerciaux et il poursuit : « Cette offre n'eut point d’effet[15]. Le roi d’Espagne persista à vouloir la guerre. Il nous en coûte ici quelque sang et beaucoup d’argent ; nous ne l’avons pas faite malheureusement ; nous n’avons aucun engagement humain à rendre Gibraltar ; nous ne demandons de l’Espagne aucune nouvelle acquisition, mais au contraire de remettre les choses in statu quo. Et cependant sans que, dans tout cet intervalle, on nous l’ait proposé, sans que nous l’ayons jamais promis, la paix même ayant été refusée à laquelle le Roi, de son pur mouvement, attachait la cession de Gibraltar, sans nous offrir le moindre équivalent, sans nous permettre de négocier avec l’Espagne pour une chose qui dépend absolument de la volonté du Roi, — la France, son alliée, son amie intime, le somme péremptoirement de rendre Gibraltar à leur ennemi commun !

 

Ordres données à Schaub

Après une allusion à l’utilité que le duc d’Orléans avait tirée de l’amitié du roi d’Angleterre, on le priait de réfléchir « à l’indisposition où sont les peuples du Roi contre une restitution après une guerre dont il ne leur doit revenir d’autre fruit que la paix ». Au milieu de tous ces faux-fuyants, le gouvernement anglais donnait lui-même la preuve qu’il avait fait considérer Gibraltar comme une monnaie d’échange. Le chevalier Schaub, parti pour Madrid après avoir escorté Stanhope à Paris, avait mission de parler de Gibraltar. Dubois recommandait à Scotti d’exploiter à fond ce personnage[16], assez disposé de lui-même à escompter un succès qui lui semblait facile et destiné à balancer le crédit de la France à Madrid[17]. Ce disant, il s’aventurait fort ; l’intention de Georges Ier avait rencontré en Angleterre une opposition déclarée. Au commencement du mois de février, le ministère proposa à la Chambre des Lords un bill tendant à autoriser le Roi à disposer de Gibraltar pour l’avantage de ses sujets. Cette proposition souleva une réprobation générale chez cette nation qui place les profits du commerce avant les intérêts de la gloire. Gibraltar devint une des garanties de la prospérité commerciale de l’Angleterre. Telle fut l’émotion du Parlement que les ministres durent prendre les membres des communes à part individuellement et leur affirmer qu’il n’était question de rien de pareil. Cette équivoque détourna la tempête, sans quoi, mandait Craggs à lord Stair, en moins d’une demi-heure, une adresse au Roi aurait été proposée pour la conservation de Gibraltar[18].

 

Émotion à Londres

Un mois après, Stanhope envoyait de Paris à Schaub, alors à Madrid, un bref récit de l’émotion soulevée par la perspective de perdre Gibraltar. « Vous ne vous faites pas d’idée du vacarme que la proposition a occasionné. Le public s’est indigné sur le simple soupçon qu’après une guerre heureuse et si injustement commencée par le cardinal Alberoni, nous irions céder cette forteresse. Une circonstance qui contribua beaucoup à exciter cette indignation générale, ce fut le bruit que l’opposition fit courir que le Roi était entré dans un engagement formel pour restituer Gibraltar. Il y avait de quoi, disait-on, mettre le ministère en accusation. Des pamphlets ont été publiés pour alarmer la nation et l’exciter à continuer la guerre plutôt que de céder une place de cette importance. Par conséquent nous avons été forcés de suivre le torrent et de prendre le sage parti de retirer la motion, parce que, si nous avions insisté, cela aurait produit un effet contraire à celui que nous avions en vue ; le résultat aurait été un bill qui eût lié les mains du Roi pour toujours. Tel étant au vrai l’état de cette affaire, vous tâcherez de faire comprendre à la Cour de Madrid que si le roi d’Espagne veut que nous traitions un jour de la cession de Gibraltar, le seul moyen de réussir serait de laisser tomber l’affaire pour le moment. Nous regrettons que la France se soit mêlée de cette négociation ; l’empressement qu’elle a montré nous a été bien nuisible ; c’est au point que quelques lettres et mémoires publiés à ce sujet nous ont fait craindre une rupture. L’alarme a été si forte que l’on commençait à penser que la France méditait un changement de système, et qu’elle prenait prétexte de Gibraltar pour cacher d’autres vues. Le peu d’empressement qu’elle montrait pour réaliser l’évacuation [de Fontarabie], son profond silence à l’égard de la négociation avec l’Espagne, ainsi que le langage extraordinaire tenu par certaines personnes de la plus haute catégorie semble confirmer ces opinions[19]. » Ces soupçons se retrouvent dans la correspondance officielle de Destouches : « On commence à être jaloux ici, dit-il, que S. A. R. s’empare de cette négociation, et on soupçonne que le mécontentement qu’elle témoigne n’est qu’un prétexte qu’on lui inspire pour l’autoriser à changer de système, à prendre les plus étroites liaisons avec le roi d'Espagne, et à rompre ensuite celles qu’il a contractées avec le roi d’Angleterre[20]. » Le ministère anglais, afin de faire complètement dévier la question, affectait maintenant d’être « persuadé que toute cette affaire n’avait été suscitée et portée à un point si extrême que par une cabale formée pour discréditer [Dubois] et lui faire ôter sa place[21] » et Stanhope se disait « en état et intention de convaincre S. A. R. que si elle prenait le parti d’ôter du ministère M. l’abbé Dubois, il ne fallait plus qu’elle comptât que l’union et la parfaite intelligence pussent subsister entre les princes, parce qu’on regarderait ici son éloignement comme une espèce de rupture[22] ».

 

Mission de Stanhope à Paris

Cependant la crise devenait tellement aiguë et le danger tellement prochain que Dubois avait prié Stanhope de venir à Paris où il vint accompagné de Schaub et précédé d’une note de J. Craggs, ainsi conçue : « Le Roi prie V. Exc. d’informer le Régent en termes polis qu’il ne peut pas s’empêcher de regarder comme très extraordinaire l’argument de S. A. R. que nous devons restituer Gibraltar parce qu’elle vient d’en renouveler l’offre 5 l’Espagne. S. M. ne peut pas comprendre sur quels fondements ou quelle autorité une telle promesse aurait été renouvelée, et il lui est complètement impossible de s’expliquer que de nouvelles démarches aient été faites dans cette affaire sans son consentement, aussi bien que sans sa participation. A ce sujet, V. Exc. voudra bien faire observer à S. A. R. combien cette manière de procéder diffère de la conduite de S. M. qui n’a jamais pris aucune mesure soit pour les occupations de la guerre, soit dans l’intérêt de la paix, sans en donner communication à la France et à ses autres alliés. Ce qui rend encore plus surprenante l’intervention si particulière du Régent dans une question qui ne regarde que S. M. seule, et contrairement à ses sentiments, c’est que S. A. R. ne paraisse pas admettre que S. M. ni d’autres puissances aient le droit de se mêler des difficultés qui s’élèvent à propos de la restitution des places conquises et qu’il veuille les régler lui-même avec le roi d’Espagne[23]. »

Stanhope arriva à Paris le 26 mars, où l’opinion commençait à s’intéresser à l’affaire de Gibraltar[24]. Il vit Dubois qui lui débita les mensonges obligés en niant tout concert secret avec la Cour d’Espagne, simple entrée en matière. La partie sérieuse se jouait chez le Régent. « Depuis quelques semaines, mandait le « premier » britannique à Saint-Saphorin, nous avons été à deux doigts de notre perte. Cette cour ici s’est crue assurée de pouvoir disposer de l’Espagne comme elle voudrait. Cela posé, une cabale qui était la plus forte il y a quinze jours, et qui pourra le redevenir dans quinze autres, n’a point balancé de proposer à Mgr le duc d’Orléans de nous faire la guerre à l’empereur et à nous. M. l’abbé Dubois s’est cru perdu, a crié au secours et m’a fait venir ici[25]. »

Stanhope eut audience du Régent le 27 mars. Il étala de son mieux, dit-il, les motifs de se plaindre de la vivacité intempestive marquée dans « une affaire qui, de soi-même, est de si peu d’importance ». Abordant les choses d’Espagne, Stanhope incrimina la Reine, excusant Philippe V, plus porté à vivre en repos. « Au contraire, dit le Régent, c’est lui qui me veut le plus de mal ; et je le sais par la découverte que je viens de faire d’une trahison que le roi d’Espagne me fait actuellement. » Stanhope en prit à l’instant avantage, s’étonna que le Régent se fut laissé proposer par Law et Le Blanc un changement de système, et même la guerre contre l’Angleterre. Là-dessus le prince entama l’éloge de Dubois, qui avait toute sa confiance, parla de lui avec plus de bonté qu’il n’en avait jamais marqué, bref, s’exprima d’un style bien différent de celui qu’il avait tenu quelques jours auparavant, et en écrivant au Roi, et en parlant à M. de Pendtenriedter. Il promet à présent tout ce que l’on peut exiger de lui. M. l’abbé Dubois a regagné, du moins en apparence, le dessus ; et ce nuage qui paraissait prêt à crever, a passé pour le présent[26].

 

Accord provisoire

Un accord intervint entre les deux parties, la discussion et la décision étaient renvoyées au Congrès, et si le Régent n’y pouvait faire prévaloir ses vues, il maintiendrait néanmoins dans tout le reste une parfaite union[27]. Stanhope était satisfait et ne tarissait pas d’éloges : « M. le duc d’Orléans, écrivait-il, m’a fait un accueil plus gracieux, si faire se peut qu’il n’avait jamais fait par le passé. Il a écouté avec patience et avec beaucoup de bonté plusieurs choses très fortes que je lui ai dites sur son propre état, sur celui de la France, sur quelques-uns de ses ministres, et sur la nécessité où je croyais qu’il était de cultiver l’amitié de ses alliés, à moins que de vouloir s’exposer à une perte certaine. Il est convenu avec moi sur la plupart des choses que je lui ay dites et m’a parlé surtout avec une grande ouverture et franchise, si bien que je crois qu’il a véritablement à présent les sentiments qu’il m’a exposés. »

L’affaire de Gibraltar ferait l’objet de discussions nouvelles quelques mois plus tard.

 

 

 



[1] L. Wiesener, Le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais, in-8°, Paris, 1899, t. II, p. 241. Gibraltar n’a acquis sa valeur qu’après le retour de Minorque à l’Espagne en 1783 ; P. Bliard, La question de Gibraltar au temps du Régent, d'après les correspondances officielles, 1720-1721, dans Revue des Questions historiques, t. LVII, p. 192-210.

[2] P.-E. Lémontey, Histoire de la Régence, in-8°, Paris. 1832, t. II, p. 394, suivantes.

[3] J. Craggs à L. Stanhope, 17 (=28) juillet 1718, dans Mahon, History of England, t. II, p. 361.

[4] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 45 : Mémoires et Documents, t. 45, fol. 9 ; Dubois à Destouches, 5 février 1720.

[5] Hardwicke Papers, t. II, p. 607, 608 : lord Stair à Craggs, Paris, 22 février 1720.

[6] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 330, fol. 98 : Dubois à Stanhope, 17 février 1720.

[7] Hardwicke Papers, t. II, p. 607, 608 : lord Stair à Craggs, Paris, 22 février 1720.

[8] Il eut son audience le 20 février.

[9] Public Record Office, France, vol 361 : lord Stair à J. Craggs, Paris, 22 février 1720 ; Hardwicke Papers, t. II, p. 607, 608.

[10] Public Record Office, France, vol. 357 : Le Régent à Georges Ier, 23 février 1720.

[11] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 330, fol. 116 : Dubois à Destouches, 24 février 1720.

[12] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 330, fol. 123, 129 : Destouches à Dubois, 26 février 1720.

[13] Public Record Office, France, vol. 361 : lord Stair à J. Craggs, 22 février 1720.

[14] Oxenfoord Castle, Stair Papers, vol. XXIV : J. Craggs à lord Stair, Londres 18 (=29) février 1720 ; Stair Annals, t. II, p. 413.

[15] Phrase soulignée dans le texte.

[16] Le chevalier Schaub, dans J. Pichon, Histoire du comte d’Hoym, in-8°, Paris, 1880, t. I, p. 230-238.

[17] Public Record Office, France, vol. 361 : Schaub à lord Stair, Madrid, 7-8 mars 1720 ; Schaub à lord Stanhope, 11 mars 1720.

[18] J. Craggs à Stair, Whitehall, 18 (=29) février 1720 ; Stair Annals, t. II, p. 145.

[19] Lord Stanhope à Schaub, Paris, 28 mars 1720, dans W. Coxe, Histoire des Bourbons en Espagne, t. II, p. 260 ; Mahon, op. cit., t. II, p. 135.

[20] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 330, fol. 129 : Destouches à Dubois, 29 février 1720.

[21] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 330, fol.200 : Destouches à Dubois, 19 mars 1720.

[22] Ibid.

[23] Oxenfoord Castle, Stair Papers, vol. XXIV : Craggs à lord Stair, Whitehall, 10 (=21) mars 1720.

[24] Buvat, Journal, t. I, p. 62, 70, 71 ; Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 263 ; 3 avril 1720.

[25] Public Record Office, Germany, vol. 211 : lord Stanhope à Saint-Saphorin, 1er avril 1720.

[26] Public Record Office, Germany, vol. 211.

[27] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t, 331, fol. 51 : Dubois à Senectère, 3 mai 1720.