Law est nommé contrôleur général. — Rétablissement des pensions. — Law protège le commerce, entreprend des travaux publics. — Enthousiasme d’un contemporain. — Défiance du public. — Nouvelle émission. — Proscription du numéraire, qu’on attira dans les caisses de la Banque. — Confiscations. Assemblée générale du 22 février. — Arrêt du 5 mars. — Ses dispositions. — Arrêt du 11 mars. — Proscription de l’or. — Fermeture de la rue Quincampoix. — Nouvelles émissions de billets. — L’arrêt du 21 mai réduit la valeur des billots. — L’arrêt du 27 retire l’arrêt du 21 ; il n’en suspend pas les effets. — Sentiment public. — Retour de Law. — La foule assiège la Banque. — L’agiotage se transporte à la pince Vendôme et à l’hôtel de Soissons. — Remboursement des billets en juillet. — Sédition du 17 juillet.Law est nommé contrôleur généralAu début de l’assemblée générale des actionnaires, Law fut averti que les réaliseurs commençaient à vendre leur papier. Four réagir, il fit décider sur le champ que la Compagnie achèterait, à bureau ouvert, et au prix de 9.600 livres[1], les actions quelle venait d’émettre à 5.000 livres, et avant même qu’elles fussent libérées. Cette décision paraissait devoir fixer le cours, il n’en fut rien puisqu’il s’éleva à 18.000 livres le 5 janvier. Dans la soirée de ce jour, Law fut déclaré contrôleur général des finances. « Il ne lui manquait qu’un titre, toute l’administration étant depuis quatre mois entre ses mains, et il ne manquait a D’Argenson que de se démettre d’un titre qui n’avait presque plus de fonctions[2]. Il sut faire une profitable retraite, ayant « senti en homme de beaucoup d’esprit qu’il était temps de céder à un homme qu’il ne faisait plus sûr de contrarier[3] ». Le murmure fut grand, au dire de Saint-Simon, de voir un étranger contrôleur général et tout livré en France à un système dont on commençait à se défier ; mais les Français s’accoutument à tout. Rétablissements des pensionsIls s'accoutumaient plus qu’à tout le reste à une opulence qui semblait inépuisable. La nomination de Law aurait, disait-on, cet heureux résultat de « ranimer les actions languissantes[4] », elle ne produisait pas celui d’inspirer confiance au président de Novion. Celui-ci avait une terre à vendre et l’estimait 400.000 livres, Law se portait acquéreur et s’étonnait d’un prix si minime. « Cela est vrai, réplique Novion, mais autrefois elle n’aurait valu que cela, et d’ailleurs je ne veux pas profiter de tout ce remuement-ci ; mais j’y mets une clause : c’est que vous me payerez tout en or et point en billets ». Le marché fut fait et l’or donné ; mais deux ou trois jours après, M. de Novion le fils retira la terre et remboursa Law... en billets[5]. La plupart des courtisans ne montraient pas cette prévoyance. On lit dans le Journal de Dangeau : « M. le duc d’Orléans a donné pour cent mille écus d’actions à la maréchale de Rochefort, il a donné cent mille francs d’actions à Blanzac, gendre de la maréchale[6] ; cent mille écus d’actions au duc de Tresmes, cent mille écus à M. de Ha Châtre. Deux cent mille livres à Rouillé du Condray, cent cinquante mille livres au chevalier de Marcieu, cent mille à Mme de Tonnerre[7], deux cent mille à Courtenay le fils, cent dix mille au marquis de Varennes, cinquante mille à Marthonet « à beaucoup d’autres que je ne sais pas tous[8] ». Chaque jour, « entre onze heures et midi », Law passait quelques moments dans le cabinet de Saint-Simon, et revenait souvent sur le même sujet ; il le pressait de prendre des actions sans qu’il lui en coûtât rien et de leur faire produire, sans qu’il s’en mêlât plusieurs millions ; « mais je ne voulus jamais m’v prêter » dit Saint-Simon, dont la femme fut tout aussi inflexible. Enrichir pour enrichir, il eut mieux aimé m’enrichir que tant d’autres, et m’attacher nécessairement à lui par cet intérêt dans la situation où il me voyait auprès du Régent. Il lui en parla donc pour essayer de me vaincre par cette autorité. Le Régent m’en parla plus d’une fois, j’éludai toujours[9] ». Puis il se ravisa se fit rembourser des dépenses avancées par son père, réclama les intérêts depuis soixante ans, accepta la conservation des appointements de la duchesse comme dame d’honneur de Mme de Berry décédée, sollicita un relèvement de 1.000 écus du gouvernement de Senlis à la somme de douze mille livres. Beaucoup d’autres mettaient moins de façon, et embusqué derrière son écritoire le petit duc tenait registre de cette grande dilapidation. La noblesse de France soutenait magnifiquement son rôle le parasite social, loin de se sentir flattée par la suppression des pensions, elle se réjouissait sans vergogne de leur rétablissement par Law (20 août 1719) avec l’arriéré depuis 1715. Pendant le cours de l’année 1720, le contrôleur général prodigue les pensions nouvelles dont la monotone énumération est trop instructive pour être négligée : Mlle d’Espinoy, 6.000 livres ; Mlle de Melun, 6.000 ; M. de Meuse, 4.000 ; M. de Béthune, 4.000 ; le marquis de la Vère, 10.000 ; le duc de Tresmes, 20.000 ; M. de Méliant, 6.000 ; M. de Vertamont, 8.000 ; le vicomte de Beaune, 10.000 ; le grand-prieur, 70.000 ; le marquis de Prie, 12.000 ; M. de Marthon, 3.000 ; l’abbesse de Chelles, 12.000 ; M. de Bettenfao, 6.000 ; M. de Fonville, 4.000 ; M. de Ruffey, 6.000 ; M. de Savine, 6.000 ; M. de Béthune, 3.000 ; M. de la Billarderie, 6.000 ; la princesse de Conti, 20.000 ; M. de Charolais, 40.000 ; l'abbé Alari, 2.090 ; le comte de Cereste, 4.000 ; M. de Matignon, 6.000 ; le chevalier de Nangis, 4.000 ; M. de Saint-Abre, 5.000 ; M. de Nangis, 6.000 ; M. de Béthune, 6.000 ; le prince de Talmont, 20.000 ; M. de Châteauneuf, 9.000 ; Bontemps, 6.000 ; M. de Foucault, 3.000 ; la duchesse d’Albemarle, 9.000 ; Madame la Duchesse, 40.000 ; le marquis de Bellefonds, 6.000 ; le comte de la Marche, 60.000 ; la duchesse de Brissac, 6.000 ; Mme de Montauban, 20.000 ; M. de Montauban, 6.000 ; La Maréchale de Lorges, 8.000 ; la marquise de Chamilly, 6.000 ; M. de Saint-Geniès, 1.000 ; Mme de Coëtquen, 4.000 ; M. du Puy-Vauban, 4.000 ; M. de Polastron, 4.000 ; Mme de Blanchefort, 4.000 ; La Peyronnie, 8.000 ; le marquis de Châtillon, 6.000 ; la duchesse d’Albret, 10.000 ; M. Trudaine, 8.000. Des gratifications étaient accordées au marquis de Prie, 90.000 l. ; au duc de Bouillon, 30.000 ; à M. de Lautrec, 150.000 ; à M. de Lu Feuillade, 850.000 ; au marquis de Dangeau, 400.000 ; à M. de Meuse, 30.000 à M. de Châteauthiers, 800.000 ; au président de Mesmes, 400.000 ; à M. de la Châtre, 500.000 ; au duc de Tresmes, 500.000 ; à M. de Marcieu, 150.000 ; à M. de Castries, 100.000 ; au prince de Soubise, 200.000 ; au duc de Noailles, 200.000 ; à la maréchale de Rochefort, 400.000 ; à M. de Blansac, 100.000, à la comtesse de Tonnerre, 100.000 ; à M. Rouillé du Coudray, ancien directeur des finances, 200.000 ; à M. de la Fare, 600.000 ; au prince de Courtenay, 200.000. « Enfin, ajoute Saint-Simon, à tant d’autres que j’oublie ou que j’ignore que cela ne peut se nombrer, sans ce que les petits-maîtres et les roués (du Régent) lui en arrachaient, et, de plus, lui en prenaient tous les soirs dans ses poches, car tous ces présents étaient en billets qui valaient tout courant leur montant en or, mais qu’on leur préférait[10]. Law encourageait ce pillage, « il tenait par son papier un robinet de finances qu’il laissait couler à propos sur qui le pouvait soutenir. » M. le Duc, Mme la Duchesse, Lassay, Mme de Verüe (maîtresse de Victor-Amédée de Savoie), y avaient puisé force millions et en tiraient encore. L’abbé Dubois y en puisait à discrétion ; et il en serait ainsi pendant soixante-dix années encore : la noblesse se laissa domestiquer avec des pensions et des gratifications. Au catalogue du duc de Saint-Simon fera écho à la fin du siècle, la publication du Livre rouge. Law protège le commerceA l’égard du commerce, Law tenta au contraire d’émanciper les manufactures et d’augmenter la production. Après sa tentative dans le but d’abolir le monopole des tabacs, il essaya la même réforme sur le commerce des peaux de castor ; innovations dont il est juste de lui faire honneur. Une série d’ordonnances, publiées au cours des premiers mois de l’année 1720, porta abolition de plusieurs droits peu productifs et fort tracassiers dans l’application : droits sur les savons, sur les cartes à jouer, sur la marée vendue à Paris, sur le suif. Tous reparurent après la chute de Law. Les relations commerciales avec les nations étrangères fuient rendues plus faciles, la navigation et le roulage furent délivrés de quelques taxes, le charbon de houille entra en plus grandes quantité grâce à la diminution des droits, les grains, les céréales, les comestibles de toute espèce cessèrent d’être soumis aux douanes intérieures. En toute occasion, Law s’opposait au monopole et au privilège pour favoriser la liberté des échanges dans la plus large mesure. Il faisait de l’État un commerçant qui ne se mêlait des affaires que pour laisser la plus grande indépendance possible au particulier et sauvegarder les droits du consommateur. Deux faits le montrent. L’exportation du chanvre était alors interdite et l’importation soumise à de sévères restrictions. Law rendit libre le commerce du chanvre avec les étrangers et, pour défendre les producteurs français contre une concurrence ruineuse, il lit autoriser la Compagnie à créer dans les provinces des comptoirs où le chanvre français serait acheté en tout temps au prix de 30 à 35 livres le quintal[11]. — A Paris, les bouchers se syndiquèrent pour hausser le prix de la viande. Law leur conseilla de se contenter de bénéfices modérés et, sur leur refus, ajouta « qu’il saurait bien trouver le moyen de les obliger à donner la viande au public au prix qu’il fixait ou de la faire donner par d’autres[12]. » En effet, dès ile mois de mars 1720, les gens de la campagne eurent permission de venir le samedi apporter de la viande à la halle ; Law fit même acheter et débiter au détail deux bœufs, calcula lui-même les dépenses et profits et, en conséquence, taxa à 7 sols 6 deniers la livre de viande que les bouchers vendaient 10 et 12 sols. Entreprend des travaux publicsDes boutiques se rouvraient, des manufactures aussi auxquelles d’autres manufactures firent bientôt concurrence. Des travaux publics étaient entrepris, l’amélioration des routes et leur réfection complète s’imposaient, il y fut pourvu ; de même on construisit le pont de Blois, on creusa des canaux, celui du Loing notamment, qui amena les canaux de Briare et d’Orléans jusqu’à la Seine. Le canal latéral de l’Aisne fut projeté, de même que le canal Crozat, entre l’Oise et la Somme. A Paris, on élargit le quai le long du vieux Louvre, on reprit des travaux interrompus, on en commença de nouveaux. Les campagnes attiraient aussi l’attention de Law qui contraignait les gens de mainmorte à vendre les immeubles qu’ils avaient acquis depuis un siècle, projetait la création d’hôpitaux échelonnés de six en six lieues où les pauvres seraient reçus nourris et entretenus par les habitants de la localité obligés d’y contribuer chacun en proportion de ses facultés[13]. On a eu raison de dire que « le ministère de Law fut de si courte durée, et les jours de sa puissance si remplis d’événements de toute espèce que peu de ses réformes purent s’accomplir entièrement, et qu’aucune n’eut le temps de prendre racine sur le sol de France : pour les juger, il faut considérer moins les effets qu’elles ont produits que la pensée qui les a inspirées[14]. » Enthousiasme d’un contemporainIl faut se hâter d’énumérer les bienfaits du Système. Pendant ces premiers mois de l’année 1720, un contemporain écrit « qu’on s’arrête un instant sur le bord de ce précipice affreux où la patrie se trouvait conduite [en 1715] ; qu’on envisage toutes les horreurs, et qu’on les compare avec les heureux effets qu’a déjà produits le nouveau Système. Toutes les dettes du roi sont payées excepté ce qu’il doit à la Compagnie des Indes, qui lui a fourni le moyen d’en payer l’intérêt et le principal sans avoir recours à de nouveaux impôts. Ses troupes, ses pensionnaires, les officiers de la couronne, les revenus de toutes les charges de la magistrature, de la guerre et de la maison royale sont également payés. Une infinité d’emplois onéreux à l’État sont supprimés et remboursés. Les arrérages de tailles, dus par le peuple, sont remis, et les arrérages des charges dus par le roi sont payés. On a fait de beaux établissements pour la milice. La marine, presque ruinée, se rétablit. Enfin, les revenus du roi sont augmentés ; et, par la nouvelle administration des finances, il peut les accroître chaque année, non en surchargeant ses sujets, mais en leur fournissant les moyens de s’enrichir, en protégeant le commerce et en favorisant l’industrie. Un grand nombre de particuliers ont libéré leurs terres et ont payé leurs dettes, et dans peu de temps toutes celles du roi et de ses sujets seront acquittées. La nouvelle monnaie a augmenté le prix des terres, qui avait perdu leur vraie valeur faute d’espèces. La vente d’une partie de ces biens fonds à dégagé l’autre. Les laboureurs, les artisans et tous ceux qui vivent de leur travail sont employés ; ils ne languissent plus dans l’oisiveté et dans la misère ; assurés du fruit de leurs peines, ils s’animeront à cultiver leurs terres et à perfectionner leurs arts. L’abondance des espèces fera tout débiter et tout circuler, sans que les productions de la nature et de l’industrie s’avilissent. On a déjà envoyé plus de soixante-et-dix vaisseaux aux Indes. Le commerce de l’Orient est augmenté. De nouvelles colonies se forment dans l’Occident. Les manufactures domestiques qu’on élève et qu’on multiplie soutiendront partout ce double négoce. Voilà ce que le nouveau Système a déjà fait pour soulager la France après avoir rétabli les finances[15]. » Défiance du publicLes rentiers voyaient avec moins d’enthousiasme se dissiper leur fortune, s’évanouir la perspective d’une tranquille retraite, car de fâcheux symptômes se laissaient entrevoir. Le cours du 5 janvier, 18.000 livres — ne put se soutenir, les actions baissèrent, la Compagnie les acheta à 9.500 livres, payant en billets qu’on allait aussitôt convertir en numéraire à la banque, dont la réserve métallique, que les trois derniers mois de 1719 avaient accrue, s’épuisa : la banque parvint cependant à satisfaire aux remboursements, mais elle contesta, gagna du temps, retarda l'heure d’ouverture des guichets, hâta l’heure de leur fermeture, compta les espèces au lieu de les peser, lassant la patience du public. Law recourut encore à d’autres moyens. Le 9 janvier, il tenta d’attirer les acheteurs en leur offrant des marchés à prime, en s’engageant à fournir dans les six mois, des actions avec les dividendes de l’année à raison de 11.000 l. dont 1.000 l. payées comptant. Trois jours plus tard (12 janvier), un arrêt enjoignit à tous les rentiers de se faire rembourser avant le 1er avril ; a cette date la banque serait déchargée de toute responsabilité et verserait au trésor royal les fonds non réclamés, dont le Roi ferait l’usage qui lui plairait[16]. Cette menace ne fut pas prise ou sérieux ; alors le 6 février, un troisième arrêt du Conseil informa les susdits rentiers que faute de s’être fait rembourser, le 1er juillet au plus tard, leurs contrats seraient réduits à 2 pour cent[17]. A cette injonction, les malheureux rentiers, tremblants de se voir retrancher la moitié d’un revenu déjà insuffisant, accoururent. Law était arrivé à ses fins, la baisse fut enrayée pendant quelques jours entre 10 et 9.000 livres[18]. Alors il entreprit de monopoliser l’agiotage. Un arrêt du 11 février défendit aux particuliers la vente des actions autrement qu’au comptant. On n’en tint nul compte, les spéculateurs antidatèrent leurs promesses ; là-dessus un arrêt du 20 février ordonna que les porteurs d’engagements, sous le nom de primes seraient tenus de les rapporter à des commissaires désignés pour les viser, faute de quoi, ils étaient déclarés nuls à la fin du mois. Nouvelle émissionLaw se trouvait en présence de la difficulté de soutenir à la fois l’action et le billet : il ne recula pas, se fit journaliste et exposa ses projets et ses théories dans une lettre insérée au Mercure de France et qui se terminait par ces paroles : « Le système s’établira sans vous, parce qu’il est fondé sur des principes, et que les principes se rendent maîtres, tôt ou tard, des opinions les plus rebelles. Mais il dépend en quelque sorte du public de le faire aller plus vite et de recueillir incessamment les fruits immenses qu’il nous promet[19]. » En même temps qu’il gourmandait les rentiers à tête dure, Law annonçait au publie qu’un grand nombre de billets étant revenus des provinces à la banque, chargés d’endossements qui s’opposaient à leur mise en circulation, il devenait nécessaire de les remplacer ; par ce subterfuge il se flattait de dissimuler la nouvelle émission de papier. Celle-ci était inévitable grâce aux profusions de toute sorte qui avaient épuisé les 360 millions émis le 29 décembre. Sans doute, on avait pris alors l’engagement que sous aucun prétexte, il ne serait plus créé de nouveaux billets, l’engagement était violé. Ce sont là jeux de prince ! « Il semblait que la banque dut briser ses presses en même temps que la Compagnie fermait ses listes de souscription, puisque la première ne servait qu’à fournir les signes représentatifs des richesses de la seconde. C’était une erreur, et l’expérience allait le prouver. Les billets avaient été recherchés et s’étaient élevés à 10 pour cent au-dessus de la monnaie d’or, tant qu’on en avait eu besoin pour agioter sur les actions. Mais la baisse était inévitable ; elle avait même commencé, et, à mesure qu’elle allait amoindrir ces richesses chimériques de la Compagnie, un certain nombre de billets devaient se trouver sans emploi, refluer vers le commerce et s’avilir promptement, non seulement comme une marchandise surabondante, mais comme une marchandise suspecte. La banque était incapable de remédier directement au mal, car elle n’avait pas les fonds nécessaires pour les faire rentrer dans ses caisses, et, des lors, l’Etat, foi ce de fournil toujours à ses dépenses avec une monnaie discréditée, était nécessairement entraîné à faire de nouvelles émissions d'autant plus considérables que l'avilissement était plus grand, les remèdes augmentaient le mal dont la banqueroute devait être le terme fatal[20]. » Cette émission non attendue troubla, inquiéta le public qui suivait cette progression incroyable du papier. On répétait qu’au mois de mai la banque ne possédait que quatre « moulins », au mois d’octobre elle en avait douze et les imprimeurs travaillant jour et nuit ne pouvaient suffire[21]. Aussi, rapporte Buvat, « toutes les précautions des directeurs de la banque ne purent remédier au peu de confiance qu’on avait alors presque partout à ces sortes de billets, principalement à Bapaume, à Arras à Péronne, où très peu de gens voulaient les recevoir en paiement pour la somme qu’ils portaient : à Lille on ne les prenait qu’à raison de 18 pour cent de perte. En Champagne et en Bourgogne, ceux qui avaient du vin, du blé, de l’avoine et d'autres marchandises aimaient beaucoup mieux les garder dans leurs magasins, dans leurs caves et dans leurs greniers, que de recevoir du papier de cette espèce en paiement[22]. » Au mois de février, il y eût presque une émeute au marché de Poissy ; les éleveurs refusèrent de livrer leurs bestiaux en échange de cette monnaie qu’on leur offrait, et rapprovisionnement de Paris n’aurait pu se faire, si le garde des sceaux ne s’était empressé d’envoyer de l’argent aux bouchers[23]. Proscription du numéraireL’arrêt du 6 février autorisant une nouvelle émission de 200 millions, il fallut accroître les faveurs accordées précédemment aux billets, « afin, dit l’arrêt, de favoriser de plus en plus les billets et de soutenir la préférence qu’ils méritent dans le commerce. » Dans la pratique on fut amené, non seulement à favoriser les billets mais à proscrire le numéraire. Pendant l’année 1720, les variations monétaires sont plus que déconcertantes, elles sont incessantes. Le 15 janvier, on voit coexister en France deux valeurs pour la même monnaie selon qu’on se trouve dans la capitale ou dans les provinces. Le 22 janvier, les anciennes espèces réformées et démonétisées sont rétablies dans la circulation ; le 28, ces mêmes monnaies sont réduites et les billets auront cours dans tout le royaume ; le 29, ceux qui en font usage pour acquitter les droits d’aides et de gabelles jouiront d’une exemption de 4 sols par livre ; le 31, on autorise l’exportation du numéraire interdite le 22. Et cela se poursuit jusqu’à l’ahurissement. Le 3 décembre le louis vaut 32 livres, le 1er janvier 31, le 22 janvier 36, le 28 il retombe à 34, le 25 février il revient à 36, le 5 mars il monte à 48, le 11 mars il n’est plus qu’à 42 et le 1er avril à 36 ; il suffit d’ajouter qu’à ces variations de la monnaie d’or correspondent presque toujours des variations analogues sur la monnaie d’argent. qu'on attire dans les caisses de la banqueToutes ces mutations, confuses jusqu’à l’incohérence, n’avaient d’autre but que d’attirer l’or dans les caisses de la banque. L’arrêt du 22 janvier qui restituait aux louis leur valeur primitive et autorisait leur transport n’était qu’un piège. A peine les pièces enfouies furent-elles sorties des cachettes et rentrées dans la circulation, un arrêt du 28 janvier les frappait d’une réduction[24], avec un répit de trois jours cependant. Alors, un grand nombre de détenteurs profitèrent de l’occasion offerte par ce délai pour écouler leur numéraire qui afflua dans les caisses de la banque. Le 31 janvier, l’interdit fut de nouveau jeté sur les métaux. Le gouvernement alla plus loin. Beaucoup d’anciennes espèces restaient cachées attendant un avenir meilleur. Au mois de décembre 1719, la Compagnie se fit autoriser à entreprendre des perquisitions domiciliaires et à s’emparer de toutes les monnaies décriées qu’elle pourrait saisir[25] ; le 28 janvier, ce droit de recherches et de confiscation fut étendu jusque sur les communautés religieuses et les lieux privilégiés. Le 4 février, un arrêt considérant que certains avaient « employé une partie considérable de leur fortune dans l’achat de diamants, de perles, de pierres précieuses » leur interdit de s’en parer sous peine de 10.000 livres d’amende ; le 18 février, un arrêt détermine les ouvrages d’or et d’argent qui pourront être fabriqués et en règle le poids « pour arrêter la consommation excessive qui se fait de ces matières, et afin de les faire reporter à la banque » ; enfin, le 27 février, un arrêt défend « à toute personne quelque condition qu’elle pût être, et même à une communauté ecclésiastique de garder plus de 500 livres en espèces à peine de confiscation et de 10.000 livres d’amende... ; saisies et confiscations en entier au profit des dénonciateurs. » Dans cet arrêt l’impudence rivalisait avec l’iniquité. César, rappelle Montesquieu, défendit aux Romains de garder plus de soixante sesterces, mais « César fit sa loi pour que l’argent circulât parmi le peuple : le ministre de France fit la sienne pour que l’argent fût mis dans une seule main. Le premier donna pour de l’argent des fonds de terre ou des hypothèques sur des particuliers ; le second proposa pour de l’argent des effets qui n’avaient point de valeur, et qui n’en pouvaient avoir par leur nature, et par la raison que sa loi obligeait de les prendre[26]. » ConfiscationsLa police et les bandouliers du Mississipi au lieu d’enlever des jeunes gens, firent la chasse aux louis. Buvat les signale tantôt chez le notaire Dupuis, tantôt chez l’agioteur André, chez l’orfèvre Langlois ou chez le joailler Gavot. Aucune serrure, aucune porte ne leur résiste. « Plusieurs commissaires allèrent en visite chez les principaux curés de la ville et des faubourgs de Paris, et y confisquèrent des sommes considérables au-dessus de 500 livres, quoique ces curés eussent pu dire ou représenter que ces deniers provenaient des aumônes qu’on leur avait déposées pour être distribuées aux pauvres honteux de leurs paroisses : sur quoi on leur répliqua avec raison que s’ils les avaient répandues comme ils devaient et comme ils n’auraient pu le faire, les pauvres en auraient eu du soulagement et que cet argent ne se serait pas trouvé inutile entre leurs mains[27]. » Les frères Paris, « grands fripons, dit l’avocat Barbier, mais qui ont de l’esprit infiniment », envoyèrent secrètement en Lorraine 7 millions qui furent saisis et une visite domiciliaire fit trouver chez eux 7 autres millions qui enrichirent là Compagnie des Indes. La crainte des confiscations jeta dans les villes le même effroi que la crainte des enlèvements dans les campagnes, la dénonciation était trop largement rétribuée pour ne pas se sentir comme réhabilitée. « Les valets trahirent leurs maîtres, le citoyen devint l’espion du citoyen[28]. » On ne parlait plus que de saisies : chez Sohier, ancien commis papetier, 26.000 marcs d’or et d’argent ; chez Dupin, marchand, rue de la Verrerie, 50.000 marcs ; le chancelier de Pontchartrain livrait 50.000 louis et le président Lambert se dénonçait lui-même dans l’espoir de sauver une partie de ses 50.000 livres en or[29]. « Jamais, écrit Saint-Simon, souveraine puissance ne s’était si violemment essayée et n’avait attaqué rien de si sensible ni de si indispensablement nécessaire pour le temporel. Aussi fut-ce un prodige plutôt qu’un effort de gouvernement et de conduite que des ordonnances si terriblement nouvelles n’aient pas produit non seulement les révolutions les plus tristes et les plus entières, mais qu’il n’en ait pas seulement été question, et que de tant de millions de gens absolument ruines ou mourant de faim et des derniers besoins auprès de leurs biens, et sans moyens aucuns pour leur subsistance et leur vie journalière, il ne soit sorti que des plaintes et des gémissements[30]. » Dans une autre région de la France, à Orléans, le système produisait des effets non moins désastreux. Orléans ayant vu son hôtel des Monnaies rétabli par un édit du mois d’octobre 1716 ; il en résulta par voie de conséquence la création d’une succursale de la Banque Royale, en vertu de l’arrêt du 27 décembre 1718 qui créait des bureaux particuliers à Lyon, la Rochelle, Tours, Amiens et Orléans, qui possédaient toutes un hôtel des Monnaies. On ne possède pas de renseignements sur les opérations de cette banque locale, mais une lettre du maire et des échevins d’Orléans adressée à Law, le 21 février 1720, nous permet de voir la situation de la ville à cette date. « Monseigneur, lui écrivait-ils, les ordres du roi et les vôtres ont été exécutés par les habitants de notre ville avec toute l'obéissance et la soumission qu’ils vous doivent. Ils ont porté à la Banque et à la Monnaie, en exécution de l’arrêt du Conseil, toutes les espèces d’or et d’argent qu’ils avaient, en sorte qu’ils ne sont plus porteurs que [de] billets de banque et de récépissés. Ils se présentent tous les jours en foule à la banque, et tel qui est porteur de dix mille livres de ce papier, après avoir reste un jour entier pour approcher du bureau, a beaucoup de peine d’y recevoir cent livres en pièces de vingt sols. » Comme on n’en peut monnayer que sept ou huit mille livres par jour, cette fabrication trop lente gagnerait à être remplacée par des demi-écus, « cela procurerait un secours plus prompt. Notre ville sert d’entrepôt à toutes les marchandises qui viennent de la Méditerranée et à la plus grande partie de celles de l’Océan destinées pour la subsistance de Paris, et il serait dangereux d’en interrompre le transport par la cessation de la circulation des espèces. Il part ordinairement de notre ville pour Paris plus de cent charrettes par jour, chargées de vin et autres marchandises. Il est d’usage et indispensable de donner de l’argent d’avance aux voituriers pour leur nourriture, celle de leurs chevaux, le payement des droits et l’entretien de leurs harnais pendant leur route, et les marchands se trouvent dans l’impuissance, manquant d’espèces, d’y pouvoir satisfaire. Toutes les manufactures de notre ville, comme de raffineries, bonneteries et de serges, les faiseurs de futailles, les déchargeurs de marchandises sur les ports et les porte-sacs qui composent une multitude prodigieuse de personnes indigentes, souffrent considérablement du défaut de circulation. Ces mercenaires attendent à la fin de chaque jour le fruit de leur travail, et les marchands hors d’état de le pouvoir faire en souffrent encore davantage... L’Orléanais est pays de vignobles, les vignes composent la moitié et plus du bien des habitants de notre ville et de la campagne, en sorte que le vin fait la meilleure partie de leur revenu. Les marchands de cette espèce de marchandise se trouvent aussi dans un grand embarras. Ils doivent à tous les vignerons de la campagne qui obsèdent leurs maisons pour être payés du prix de leur vin, afin de pouvoir acheter les nécessités de leur maison, payer les arrérages des rentes qu’ils doivent, la taille et leurs domestiques. Les marchands dont le négoce se fait à Paris n’en peuvent tirer aucun argent, et ne sont payés qu’en billets de banque qu’ils apportent ici ; cc qui multiplie considérablement ceux qui y sont déjà... Les bourgeois même ne sauraient payer leurs vignerons à façon sans le secours des espèces[31]. Assemblée générale du 22 févrierAucune considération de droit ou de justice n’était capable désormais de retenir Law sur la pente où l’emportait son aveuglement. Rien ne lui coûtait, rien ne lui répugnait de ce qui devait, selon ses calculs, développer la circulation des billets et, par ce moyen, soutenir le cours des actions. Ainsi fut-il amené 5 convoquer, le 22 février, à l’Hôtel de la banque, une assemblée générale et dans ce bref intervalle la perspective de la banqueroute s’était tellement rapprochée qu’il paraissait déjà impossible de lui échapper. Une remarque semblait s’imposer. La banque royale était une institution de l’État, la Compagnie des Indes demeurait une société particulière de commerce et d’industrie. Peut-être la banque, seule partie sérieuse du Système, pouvait-elle encore être sauvée : « il fallait séparer sa destinée de celle de la Compagnie et au risque de précipiter la baisse de l’action, exiger des actionnaires le versement en billets des termes de leurs souscriptions venant à échéance, le remboursement en billets des nombreux prêts sur dépôt d’actions que la banque avait consentis pendant la grande vogue pour alimenter l’agiotage ; on pouvait par là diminuer la quantité des billets et leur ramener la confiance. Tout au contraire, Law unit étroitement la banque et la Compagnie par l’arrêt du 23 février 1720 qui confia à celle-ci la régie de celle-là. C’était le sûr moyen de les perdre l’une et l’autre[32]. Arrêt du 5 marsForbonnais nous apprend que « l’effet de la délibération du 22 ne fut favorable au Système que jusqu’a l’impression de la déclaration du 23 qui l’autorisait. Le discrédit des billets de banque continua et l’action continua aussi de baisser journellement. Plus la banque payait lentement, plus on s’efforçait de réaliser. L’augmentation des espèces, le 25, ne parut qu’un expédient dont on voulait couvrir la disette des caisses, et la défense de prendre 5 pour cent pour échanger les espèces en billets ne fit pas meilleur effet. Le 27, on fit monter la défiance au plus haut point par la défense de garder plus de 500 livres en espèces. La défense de fabriquer et de vendre de la vaisselle d’argent ne fut qu’une imprudence de plus et fit monter sa valeur à des sommes excessives, sans diminuer l’ardeur qu’on avait pour l’enlever. Le contrôleur-général, après avoir éprouvé si souvent que c’est, compromettre l’autorité que de l’opposer au torrent des passions, se trouva dans un étrange embarras. Il se décida à rendre le fameux arrêt du 5 mais, qui décida la chute du Système[33]. » Ses dispositionsL’arrêt commence à prescrire le remboursement à leur échéance de tous les prêts qui ont été faits, mais il ordonne la création d'un bureau pour convertir, au prix fixe de 9.000 livres, les actions en billets et les billets en actions, à la volonté des porteurs. Ce bureau, que l’assemblée générale du 22 février avait supprimé, se trouvait rétabli par ordre du roi et la rentrée des sommes prêtées sur titres devait faciliter la conversion des actions en billets. Les soumissions et primes délivrées par la Compagnie lui seront rapportées dans le délai d’un mois, pour être converties en actions à des conditions qui permettent de réduire le nombre des actions. Ceci tendait à rendre possible la distribution du dividende promis de 200 livres aux actions non supprimées. Law avait prévu qu’on viendrait à la Compagnie échanger des actions à 9.000 livres contre des billets et qu’on porterait les billets à via banque pour les échanger contre des espèces ; il espérait néanmoins suffire aux exigences des « réaliseurs » grâce au numéraire que l’arrêt du 27 février faisait affluer dans les caisses de la banque. Cependant tout ce numéraire n’eût pas suffi à soutenir les nouvelles émissions de billets ; d’ailleurs Law venait de voir avec consternation le prince de Conti et le duc de Bourbon son cousin retirer d’un seul coup des billets, le premier pour une somme de 14 millions, le second pour 25 millions, et c’est ainsi que malgré les assurances contraires si souvent données, le contrôleur-général se trouvait amené à élever le cours des espèces sans les refondre ou les réformer, portant les écus à 8 livres et les louis à 48. Arrêt du 11 marsL’arrêt du 5 mars causa la perte du Système et, quoi qu’en aient pu dire les amis et les admirateurs de Law, qui l’ont attribué à « un mystère d’intrigue et de politique », cet édit avait trop de rapport avec les théories générales du financier pour qu’il ne faille pas le lui attribuer. Dans un mémoire antérieur à rétablissement de la Banque et de la Compagnie, il présentait la conversion des billets en actions et réciproquement comme conforme à ses doctrines, et, dans un autre mémoire, postérieur à sa chute, il écrit : « Tout était monnaie, actions et billets ; il n’y avait qu’à fixer les proportions, et tout discrédit, toute demande sur la caisse cessait. » Il ne manquait plus pour couronner ces principes que d’opérer la substitution de la monnaie nouvelle aux anciennes espèces. Les articles 7 et 8 de l’arrêt du 5 mars le faisaient pressentir, l’arrêt du 11 mars en décida. Proscription de l’orLe roi « pour procurer à ses sujets la diminution du prix des denrées, soutenir le crédit public, faciliter la circulation, augmenter le commerce et favoriser les manufactures » jugeait convenable « de diminuer le prix des espèces et d’abolir l’usage de celles d’or ». Pendant le mois de mars les louis furent reçus pour 42 livres, pendant le mois d’avril pour 32 livres, dès le 1ermai ils étaient supprimés ; les écus obtenaient, à travers une série de diminutions, un répit jusqu'au 31 décembre. A partir du Ier août on ne devait plus faire usage que des sixièmes et des douzièmes d’écus, pour tout le reste on devait recourir nu papier. Un arrêt du mois de mars ordonna la fabrication de louis d'argent ayant cours pour 3 livres et qui, par diminutions successives, ne vaudraient plus que l’livre le 1er décembre. L’esprit du système, a-t-on pu dire, n’avait jamais produit de semblables aberrations. Ces prescriptions étaient sanctionnées par des peines rigoureuses, notamment par la confiscation dont les dénonciateurs retiraient une moitié. Il était enjoint à tous les officiers, levant des scellés, ou dressant des inventaires, de faire connaître aux procureurs généraux des cours des monnaies, les espèces et les matières qu’ils auront trouvées, sous peine de perdre leurs charges et d’être condamnés à payer eux-mêmes la valeur de ce qu’ils n’auront pas déclaré. De l’ensemble de ces dispositions, il résultait qu’au 1erjanvier 1721 le remboursement des billets en numéraire ne pourrait plus s’effectuer qu’en pièces de 10 sols et de 5 sols. « Ainsi, dit Saint-Simon, on vint à vouloir d’autorité coactive, supprimer tout usage d’or et d’argent..., à prétendre persuader que, depuis Abraham, qui paya comptant la sépulture de Sarah, jusqu’à notre temps, on avait été dans l’illusion et dans l’erreur la plus grossière, dans toutes les nations policées du monde, sur la monnaie et sur les métaux dont on la fait ; que le papier était le seul utile et nécessaire[34]. » On réussit si peu à persuader que « l’alarme fut générale, au témoignage de Forbonnais, non seulement parmi les réaliseurs, mais parmi les commerçants qui dépendaient de la probité de leurs courtiers et de leurs commis. Divers exemples redoublèrent la méfiance, et la consternation fut générale par la dénonciation d’un fils contre son père, malgré la punition que prononça le régent. Le nombre de ceux qui se soumirent à la loi fut cependant assez grand pour les circonstances, puisque la banque reçut dans le mois (du 7 au 30 mars) jusqu’à 45.696.190 livres en espèces[35]. Le crime commis parle comte de Horn et ses complices (22 mars) « ferma tristement cette bacchanale » de l’agiotage. Fermeture de la rue QuincampoixUn édit du 22 mars défendit de s’assembler rue Quincampoix sous prétexte, disait le préambule qu’un bureau étant ouvert à la banque pour les actions en billets et les billets en actions et leur prix ne devant plus varier, « l’assemblée de la rue Quincampoix devient absolument inutile ». Des négociants infidèles avaient souvent dans leurs marchés détourné ou enlevé les effets de ceux qui traitaient avec eux, à l’aide du tumulte et des embarras causés par l’affluence de gens inconnus, dont quelques-uns étaient sans doute sans domicile et sans aveu ; un grand nombre de domestiques et d’artisans ont abandonné leur maître et leur profession, soit pour négocier eux-mêmes, soit pour servir de courtiers à ceux qui n’eussent osé paraître, « le tout au grand préjudice des arts et du commerce ». La fermeture de la rue Quincampoix ne pouvait avoir raison de la fureur d’agiotage et détourner chacun de l’espoir de faire sa fortune, aussi « les spéculateurs se rencontraient dans le voisinage de la banque, notamment sur la place des Victoires, et s’accostaient pour parler d’affaires. Le groupe s’arrondissait en peu d’instants ; les nouvelles débitées, les demandes et offres de valeurs révélaient les cours. On achetait a prime, maigre la défense ; on calculait des reports, on escomptait, on remuait des millions jusqu’au moment où éclatait ce cri : « Le guet ! le guet ! » Aussitôt chacun prenait sa volée pour éviter les coups de plat de sabre que les archers à cheval aimaient à distribuer aux agioteurs nomades. Ainsi se fit pendant plus de deux mois le commerce du papier[36]. Le 28 mars, un deuxième arrêt réitéra la défense « de s’assembler en aucuns lieux ni quartiers que ce puisse être et de tenir bureau pour négociations de papiers » sous peine de prison et de 3.000 livres d’amende. On n’en tint compte. Nouvelles émissions de billetsDepuis le commencement de l’année, la situation de la banque et celle de la Compagnie des Indes n’avaient fait que s’aggraver. L’arrêt du 5 mars fit bientôt sentir ses effets. Le bureau de vente fut à peine fréquenté pendant huit jours et toute la foule se porta vers le bureau qui échangeait les actions contre des billets. Il fallut payer et, par conséquent, augmenter la quantité des billets de banque, ce qui se fit dans le plus profond mystère : on créa, le 26 mars, pour 300 millions ; le 5 avril, pour 869 millions ; le 19, pour 438 millions ; le 17 mai pour 362 millions ; en tout pour 1.496.400.000 livres[37]. Il y avait donc dans le commerce environ 3 milliards en monnaie de papier[38] dont rien ne répondait, dont personne ne voulait, qu’on était néanmoins forcé d’accepter et dont la quantité, croissant chaque jour, épouvantait les moins timides. Un édit du 24 mars fixa, par une nouvelle injustice, l’intérêt légal au denier cinquante. Le Parlement protesta[39], prépara des remontrances que le Régent consentit à recevoir (18 avril)[40]. « Les impositions les plus onéreuses, y était-il dit, n’ont jamais approché des maux qu’entraîne une pareille réduction. Ceux qui ont eu le malheur d’avoir tous leurs biens en contrats de constitution ont déjà éprouvé plus de dérangement dans leur fortune et ont essuyé plus de rigueur en l’espace de six mois de paix qu’ils n’en ont souffert pendant vingt années de guerre[41]. » Le régent se contenta d’envoyer au Parlement, le 22 avril, des lettres de jussion, réclamant l’enregistrement immédiat de l’édit[42]. Messieurs regimbèrent, demandèrent la permission de présenter de nouvelles remontrances, furent éconduits et décidèrent « qu’il serait fait au roi, à toutes occasions, de nouvelles instances, pour qu’il lui plût de recevoir les remontrances de la cour[43] ». L’arrêt du 21 mai réduit la valeur des billetsLes 2.696 millions de billets étaient discrédités mais non dépréciés ; la banque avait pu, tant bien que mal, satisfaire aux demandes de remboursement. Cependant le public ne se rendait pas compte de l’imminence d’une catastrophe inévitable, le 16 mai, on créa sur la Compagnie des Indes 4 millions de rentes viagères afin de retirer de retirer 100 millions de billets mais de pareilles mesures ne suffisaient plus désormais, il fallait aviser Le Conseil de régence[44], et le Parlement était en vacances[45], Saint-Simon[46], Villars[47], le duc de Bourbon dans leurs terres, Law avait le champ libre, car ce n’étaient pas Dubois ni d’Argenson qui l’eussent retenu, tous deux l’eussent pousse volontiers à rédiger cet édit dont le préambule semble avoir été conçu et écrit sous l’inspiration du financier[48], et qui consacrait la ruine de la Banque et de la Compagnie. Le Régent accepta tout et les porteurs d’actions et de billets, le 22 mai, à leur réveil lurent, avec consternation, affiché sur les murs, un arrêt date de la veille[49], annonçant que les actions étaient réduites a 8.000 livres immédiatement, et ensuite de 500 livres chaque mois à partir du 1erjuillet jusqu’au 1er décembre, où elles ne vaudraient plus que 5.500 livres[50] ; et que les billets de banque seraient réduits d’un cinquième immédiatement et d’un vingtième par mois, jusqu’au 1er décembre où ils atteindraient la moitié de leur valeur actuelle[51], avec faculté cependant d’être reçus jusqu’au 1er janvier 1721 pour leur valeur entière en paiement des impositions et en acquisition de rentes viagères que l’arrêt du 16 mai venait d’autoriser la Compagnie à créer[52]. Les lettres de change, tirées ou endossées à l’étranger pour être payées en France, y seraient acquittées en billets, suivant la valeur de ces billets comme dans le lieu et le jour où elles auraient été souscrites. Par dessus toutes les dispositions et toutes les explications une vérité éclatait brusquement : l’État, en réduisant par l’arrêt du 21 mai la valeur des billets de banque, se déclarait en faillite. L’arrêt du 27 retire celui du 21Mathieu Marais rapporte que Law dit à quelqu’un : « Vous n’entendez pas mon système. — Bon, dit l’autre, il n’est pas celui du 21 nouveau ; il y a plus de trente ans que je fais des billets sans les payer. » C’était ce qu’on pouvait dire de plus amer et de juste sur l’arrêt du 21 mai. Tous les contemporains attestent l'effet qu’il produisit. « Le vacarme fut général et épouvantable », dit Saint-Simon ; « les cris furent universels » ajoute Duclos ; ce fut, dit un autre, « une consternation générale », « un bouleversement affreux » écrit Forbonnais. Des pamphlets contre l’Écossais coururent de main en main[53], des billets anonymes circulèrent, ainsi conçus : « L’on vous donne avis que l’on doit faire une Saint-Barthélemy, samedi et dimanche, si les affaires ne changent pas de face ; ne sortez, ni vous ni vos domestiques : Dieu vous préserve du feu[54]. » Des groupes menaçants se formèrent aux alentours de la banque ; le 25, il y eut une assez vive émotion, on brisa à coups de pierres les vitres de l’hôtel Mazarin[55]. Revenus à leur poste, les membres du Conseil de régence se plaignaient au Régent, Saint-Simon avec aigreur, le duc de Bourbon avec fureur. Pour l’apaiser, il fallut lui abandonner 4 millions[56]. Le Parlement prenait ses vacances de Pentecôte, il reprit ses séances le 27 mai et aussitôt les chambres s’assemblèrent. L’avis de tous fut qu’il fallait avoir raison de cet arrêt. On députa les gens du roi au Louvre. Le Roi, instruit par le maréchal de Villeroy, répondit qu’il recevait toujours son Parlement avec plaisir. Ils allèrent ensuite au Palais-Royal, le Régent les reçut très bien, se déclara disposé à trouver un remède au mal présent », dit « qu’il y travaillait actuellement ; qu’il ne serait pas même fâché de profiter des lumières de la cour et qu’il entrerait avec plaisir en conférence avec quelques personnes de la cour[57]. » Law résistait encore, mais les bruits qui arrivaient et l’irritation populaire eurent raison de ses protestations ; le duc d’Antin montra au Régent qu’il fallait casser l’arrêt et plus tôt que plus tard[58]. Le peuple s’imaginait que les chambres ne s’étaient réunies que pour condamner les directeurs de la banque à être pendus comme banqueroutiers frauduleux[59] ; vers midi, le marquis de la Vrillière, secrétaire d’État vint annoncer au Parlement que l’arrêt venait d’être retiré. En effet, un arrêt du 27 mai ordonne que « les billets de banque continueront toujours d’avoir cours sur le même pied et pour la même valeur qu’avant l’arrêt du 21, que le Roi a révoqué ». Il n’en suspend pas les effets« L’arrêt du 27 mai était nécessaire, mais il ne pouvait pas rétablir la confiance, parce qu’il ne pouvait faire que celui du 21 n’eût pas été rendu et publié. La France avait su, et elle ne pouvait oublier que, dans la pensée du directeur de la Compagnie des Indes, les actions avaient une valeur moitié moindre que celle qui, depuis cinq mois leur était attribuée : quelle garantie avait-on que la nouvelle évaluation était plus sincère et plus vraie que la précédente et ne serait pas encore réduite ? La France avait su, et elle ne pouvait oublier, que le chef du gouvernement, le garde des sceaux et le contrôleur général s’étaient trouvés d’accord pour proclamer que l’État ne pouvait rembourser intégralement des billets dont le Roi s’était encore déclaré garant, le 23 février dernier, quand la banque avait été réunie à la Compagnie : on les avait réduits de moitié ; ne les réduirait-on pas bientôt des deux tiers, des trois quarts, des neuf dixièmes. Dès qu’on croyait avoir le droit de les réduire arbitrairement, ils n’étaient plus qu’un papier sans valeur. Les porteurs d’actions étaient nombreux et intéressants ; ils l’étaient moins que les porteurs de billets. Ceux-ci n’étaient plus qu’en petit nombre, les enrichis de la veille ayant vendu leurs actions ; car le sentiment qui les avait portés à réaliser leurs bénéfices, les avait également portés à ne pas conserver les billets qui leur avaient été donnés en payement et à se procurer, à tout prix, des immeubles, des pierreries, des diamants, de l’or et de l’argent. Les porteurs de billets, c’étaient les rentiers et les créanciers de l’État qui n’avaient pu trouver encore l’emploi des capitaux dont le remboursement leur avait été imposé ; c’étaient les propriétaires, les négociants qui avaient vendu aux réaliseurs des terres qui étaient leur patrimoine, des marchandises qui étaient le fait de leur travail ; c’était la masse du public. Par le mouvement journalier des affaires, de la vie commerciale, de la vie industrielle et même de la vie civile, les billets, qui, depuis longtemps déjà, ne pouvaient être refusés dans les payements, étaient peu à peu entrés dans toutes les bourses : ils étaient possédés par la foule, la grande foule, impressionnable et confiante à l’excès comme les enfants, mais plus défiante encore quand sa première confiance a été déçue. La Banque et la Compagnie des Indes n’avaient plus et ne pouvaient plus avoir de crédit[60]. Après l’arrêt du 27 mai, le Régent parut abandonner Law et se livrer aux conseils du garde des sceaux d’Argenson : Le 29, l'administration des finances fut divisée en cinq départements. Pendant que les deux intendants des finances, Fagon et La Houssaye, accompagnés du prévôt des marchands se rendaient à la Banque pour examiner les registres et vérifier la caisse. Il s’y trouvait 21 millions en espèces, 28 millions en lingots et 240 millions en lettres de change. Voilà qu’elle était la garantie de 3 milliards de papier. En même temps le secrétaire d’État Le Blanc vint annoncer à Law qu’il était déchargé de ses fonctions et un poste de seize gardes suisses, commandé par le major Bezenval, s’installa, à toutes fins, dans son hôtel. Sentiment publicLa disgrâce de Law ne remédiait à rien. « Il y a, disait plaisamment l’avocat Barbier, un décret qui permet d’avoir chez soi tant d’argent qu’on voudra. Cette permission vient quand personne n’en a plus. » En effet, tous les intérêts matériels avaient été atteints ; toutes les classes de la société avaient été frappées ; le trouble des esprits répondait au trouble des fortunes. De sourdes colères grondaient. L’avocat Barbier, qui possède des trésors d’indulgence pourra bien écrire que jamais le royaume « n’a été si riche ni si florissant ; qu’il n’y a jamais eu un plus grand prince[61] » que le Régent, le mécontentement public trouve d’autres accents pour s’exprimer par la plume de Duclos. « Jamais gouvernement plus capricieux, jamais despotisme plus frénétique ne se virent sous un Régent moins ferme. Le plus inconcevable des prodiges pour ceux qui ont été témoins de ce temps, et qui le regardent aujourd’hui comme un rêve, c est qu’il n’en soit pas résulte une révolution subite, que le «gent et Law n’aient pas péri tragiquement. Ils étaient en horreur ; mais on se bornait à de murmures : un désespoir sombre et timide, une consternation stupide avaient saisi tous les esprits ; les cœurs étaient trop avilis pour être capables de crimes courageux. Retour de LawDisgracié dans la matinée du 29 mai, Law se présenta dans la soirée au Palais-Royal. Le Régent refusa de le recevoir Le lendemain 30, Law eut sort audience, reçut en échange contrôleur-général celui de conseiller d’État d’épée, d’général du commerce, de directeur de la Banque. Le 31, la garde suisse quitta l’hôtel et, de ce jour le duc d'Orléans « continua de travailler avec lui sans s’en cacher, et de le traiter avec sa bonté ordinaire[62] ». On assistait, sans surprise, à une nouvelle journée des dupes. D’Argenson fut disgracié, Daguesseau rappelé, Law ayant la principale direction des affaires. Alors les arrêts se succèdent. Le 1er juin, autorisation pouf tous d’avoir plus de 500 livres en numéraire ; le 3, réduction à 200.000 du nombre des actions de la Compagnie qui est autorisée à demander à ses actionnaires un supplément de 3.000 livres par chacune des 200.000 actions conservées ; le 5, injonction à la Compagnie d’émettre pour 10 millions d’actions rentières et 4 millions de rentes viagères dont le Roi reste garant ; le 10, création de 20 millions de rentes nouvelles à deux et demi pour cent ; le 14 rétrocession par la Compagnie de 25 millions par an ; le 20 autre annuité de 18 millions. Le Parlement fit observer qu’il était injuste de payer aux rentiers deux et demi à la place de quatre pour cent qu’ils avaient droit de recevoir. Le Régent répondit, comme le fabuliste, qu’un bon tien vaut mieux que deux tu l’auras et deux et demi payés régulièrement sont plus précieux que cinq dont on ne voyait rien. Mais ce n’étaient là que des expédients impuissants à conjurer la crise. Les mesures violentes prises contre le numéraire en avaient fait porter à la banque mais elles en avaient fait exporter ou cacher davantage. Tout le monde avait des billets, et, au lieu de faire prime sur l’argent, ils commençaient à être dépréciées ; les marchands, depuis plusieurs semaines majoraient leurs marchandises quand elles étaient payées en billets. Pour les besoins quotidiens de l’existence les achats minimes, on manquait de petite monnaie et on avait si peu de confiance dans le gouvernement et dans la Compagnie qu’on n’osait même pas leur prêter ces billets qui s’avilissaient chaque jour. Quelques actionnaires crédules avaient consenti à verser le supplément demandé de 3.000 livres, la viande majorité avait fait la sourde oreille et les 600 millions de billets restaient dans la circulation.» L’une après l’autre, toutes les mesures échouaient ; la confiance était irrémédiablement détruite. La foule assiège la banqueAprès l’arrêt du 21 mai, la grande agitation qui régnait partout avait fait fermer les bureaux de la banque, ils ne se rouvrirent que le 1er juin[63], mais on ne remboursa d’abord que les billets de 100 livres et bientôt que ceux de 10 livres ; enfin on réduisit ce remboursement aux heures de la matinée sous prétexte que, dans la journée, des commissaires du Conseil vérifiaient les caisses. Les ouvriers, les petits marchands ne pouvaient supporter une perte de 30 on 35 pour cent, assiégeaient jour et nuit l’hôtel Mazarin et encombraient les rues voisines de leur foule compacte. « C’était une multitude aussi nombreuse, aussi pressée, aussi opiniâtre que celle qui, aux-beaux jours du Système, était accourue pour se disputer ses faveurs. Mais alors on venait, volontairement soutenu par l’espoir du gain et trompant l’impatience de l’attente par des rêves d’or. Maintenant, c'étaient la misère et la faim qui poussaient tant de malheureux ruinés par le Système ; ils venaient, tenant à la main le billet qu’on leur avait donné pour prix de leur travail, demander non la richesse mais du pain. Ils passaient des nuits entières à attendre que le bureau fût ouvert, et qu’ils pussent, en pénétrant les premiers, obtenir de quoi manger le lendemain[64]. » A deux heures après minuit, l’avocat Barbier passe rue Vivienne, « il y avait déjà dit-il, une douzaine de personnes assises par terre a la porté du jardin ». Dès le matin la foule s’entasse « C’est, écrit-il dans son Journal, le 2 juin, une tuerie affreuse[65]. » « Le 3 juin, nous apprend Buvat, il y eut deux hommes tués et deux femmes étouffées dans la foule, à la banque, tant il y avait de monde pour recevoir 100 et 110 l. au plus pour la valeur d’un billet de 100 livres avec un de 10 livres. Le 5, il y eut un tapage épouvantable, des épées tirées ; les soldats mirent deux fois la baïonnette au fusil, et il ne faudrait rien pour mettre le feu dans une sédition. » « Il n’y a pas de jours où il n’y ait quelqu’un d’étouffé affirme Barbier, et, dans cette ville de Paris qui est immense, à peine y a-t-il un sou pour fournir à la dépense de bouche. » Le 7, les guichets se refermèrent, toujours à cause de la visite des caisses, et on annonça qu’ils rouvriraient le 12. Ce jour-là, dit Barbier, il y avait une si grande foule de nue plusieurs en furent étouffés et foulés aux pieds. Peu s’en fallut que je ne fus de ce nombre. Malgré la promesse, les paiements en espèces ne furent pas repris le 12 : on afficha que les commissaires du Chatelet, dans chaque quartier, recevraient du numéraire pour changer les billets de 10 livres et qu’ils couperaient les billets de 100 livres en billets de 10 livres. Alors la foule se transporta chez les commissaires, surtout les jours de marché. Au milieu de juin « il y a un corps de garde dans chaque marche : on n’entre qu'avec peine chez les commissaires, ils ne payent à chaque personne que trois petits billets de 10 livres ; on ne coupe plus les billets de 100 livres qu’a la banque, où il y a une presse à s’étouffer. » Pour parvenir au bureau, il fallait passer « dans une enfilade longue d’environ sept ou huit toises entre le mur et une barricade de charpente... Il est bon de remarquer que plusieurs ouvrière et artisans, maîtres et compagnons des plus robustes, se portaient sur cette barricada, et pour gagner leur rang se jetaient comme à corps perdu du haut de la barricade dans la foule de ceux qui étaient dans l’enfilade, et en se jetant de la sorte augmentaient la presse et culbutaient quelquefois les moins robustes qui, pour pouvoir se relever, se trouvaient foulés aux pieds de ceux qui poussaient toujours successivement malgré les cris qu’on entendait sans cesse tant il y avait d’empressement pour aller de cette manière chercher le payement d’une misérable pistole au péril de sa vie... Il faut aussi remarquer que dès trois heures du matin la rue Vivienne se trouvait remplie de monde d’un bout à l’autre qui partaient de tous les quartiers de la ville et des faubourgs les plus éloignés, afin de pouvoir être des premiers à l’ouverture de la porte du jardin de l’hôtel Mazarin et à l’ouverture de la barricade quand il plaisait aux directeurs de la Compagnie des Indes et aux commis de se trouver dans les bureaux de la galerie pour faire le payement qui ne commençait qu’à huit ou neuf heures du matin jusqu’à midi ou une heure après midi ; au sortir de laquelle galerie tous ceux qui avaient reçu une pistole, se jetaient la plupart dans un cabaret pour y avaler quelques verres de vin pour se remettre les sens demi-perdus et pour s’essuyer la sueur qui pénétrait tous les habillements comme s’ils fussent sortis de la rivière. » L’agiotage à la place VendômeMathieu Marais observe le 14 juin que « la disette d’argent est affreuse dans les familles. Personne n’a une pistole chez soi... Jamais, de mémoire d’homme ni d’histoire, on ne s’est vu en cet état ». — « On ne paye pas à la banque et on ne payera pas. Vous pouvez juger du prix des denrées ! » écrit M. de Caumartin. Pour ajouter au désordre, les spéculateurs chassés de la rue Quincampoix, expulsés de la place des Victoires, étaient venus, à la fin du mois de mai, tenir leur bourse dans la cour de l’hôtel Mazarin. Leur affluence gênant le service, ils furent invités, le 1erjuin, à se transporter à la place Vendôme. La spéculation se ranima : la Compagnie ne rachetait plus ses actions, et leur réduction à 200.000 donnait à leur valeur nouvelle une incertitude favorable à l’agiotage. En quelques jours, la place Vendôme prit l’aspect d’une foire. « Il y a des tentes tout le long de la place » dit Buvat. Des traiteurs, des cabaretiers, des marchands de toute espèce dressèrent leurs tréteaux ou leurs échoppes. « Cela ressemble, disait-on, au campement d’une armée. » Et les curieux, les badauds, les plaisants nommaient cet établissement « le camp de Condé ». Des placards faisaient connaître que le duc de Bourbon était généralissime, la droite commandée par le maréchal d’Estrées, la gauche par le marquis de Mézières, la réserve par le duc d’Antin, Law était médecin, l’abbé de Tencin aumônier, mesdames de Prie, de Sabran et de Parabère figuraient comme vivandières. Vers le milieu du mois de juin, les actions se négociaient en baisse à 4.200 livres seulement. Comme les billets n’étaient pas remboursés à la banque, leur conversion en numéraire devint, place Vendôme, l’objet d’un trafic que la police voulut empêcher. A la fin de juin, plusieurs agioteurs furent emprisonnés pour avoir fait perdre 25 ou 30 livres aux billets de 100 livres. et à l’hôtel de SoissonsCet agiotage ne ressemblait plus à celui de la rue Quincampoix. On ne se réunissait plus maintenant, que pour parler de la baisse et pour céder ses actions à vil prix. Le chancelier Daguesseau se fatigua de la comédie qui se jouait devant ses fenêtres Law trouva qu’elle embarrassait la voie publique et gênait la circulation, aussi, le 31 juillet, les spéculateurs reçurent défense de se réunir place Vendôme. « Le prince de Carignan, plus avide d’argent que délicat sur sa source offrit son hôtel de Soissons » et « tout autour (du jardin) on fit des loges, toutes égales, propres et peintes, ayant une porte et une croisée avec le numéro au-dessus de la porte[66]. Il y en a cent trente-huit nous dit Barbier, avec deux entrées, l’une rue de Grenelle, et l’autre rue des Deux-Écus. Des suisses de la livrée du roi aux portes, et des corps de garde, avec une ordonnance du roi, pour ne laisser entrer ni artisans, ni laquais, ni ouvriers. » Les agioteurs y végétèrent jusqu’au 20 octobre, jour de leur dispersion définitive. Remboursement des billets en juilletCes derniers efforts de l’agiotage ne pouvaient rendre la vie et le mouvement à des valeurs discréditées. Au début du mois de juillet, les guichets de la banque restèrent fermés « et il y a toute apparence qu’on n’ouvrira pas encore de sitôt », écrivait, le 3, M. de Caumartin. Les mêmes inquiétudes, les mêmes colères que le mois précédent reparurent. De nouveau, les commissaires avaient été chargés de rembourser en numéraire les billets de 10 livres. « Ils ont tous les jours chez eux, nous dit Barbier, le 6, une garde de soldats avec des sergents ; et elle est triplée les jours des payements. Ils sont à présent comme de petits ministres, car les magistrats et les gens de la première qualité vont les prier en grâce de leur garder 100 livres sur leur payement, parce qu’on ne donne que 10 livres à la populace : et c’est une tuerie le mercredi et le samedi. Personne effectivement n’a d’argent et il semble qu’on aille demander l’aumône. » Même pour cela il fallait s’attendre au pis. «La porte des commissaires ne s’ouvrait qu’à moitié, afin que les solliciteurs n’entrassent que l’un après l’autre et il n’y pénétrait que les plus robustes. » Le 6 juillet, le Parlement envoya une députation au Régent pour se plaindre de la fermeture de la banque et du manque complet d’argent. Le prince la renvoya disant qu’il ne pouvait mieux faire. Elle revint l’après-dînée ; le Régent refusa de la recevoir, elle insista disant qu’elle ne s’en retournerait pas. Là-dessus on l’introduisit et s’entendit dire qu’on donnerait de l’argent. « Quand ? » demanda-t-elle. « Ah ! quand, quand, quand, je n’en sais rien ; c’est quand je pourrai[67]. » Sédition du 17 juilletPlace Vendôme, l’argent se vendait pour des billets, depuis trente jusqu’à quarante pour cent de perte, nonobstant un arrêt de la Cour des Monnaies défendant cette usure, à peine des galères. Chez les huit commissaires on distribuait chaque jour de marché entre vingt et vingt-cinq mille livres d’argent et on comptait les billets de cent livres en billets de dix livres. Un poste de soldats aux Gardes, commandé par un sergent, défendait leur maison, et ce poste était triplé les jours des payements. « Ils sont à présent comme de petits ministres, écrit l’avocat Barbier, car les magistrats et les gens de la première qualité vont les prier en grâce de leur garder sur leur payement cent livres, parce qu’on ne donne effectivement que dix livres à toute la populace ; et c’est une tuerie le mercredi et le samedi. Personne effectivement n’a d’argent, et il semble qu’on aille leur demander l’aumône. Il n’y a pas de circulation de l’argent et il ne reparaît plus ; chacun le garde et cherche à dépenser [en] billet. Ceux-mêmes qui ont gagné aux actions, et à qui le fond ne coûte rien, font acheter de l’argent dans les provinces, à vingt-cinq pour cent de perte ; la veille d’une diminution où le peuple cherche-à ne pas perdre, ils le gardent et, de cette manière tout l'argent se resserre et la Banque s’épuise sans qu’il y rentre un sol pour les droits du Roi, que l’on paye en billets[68]. » Dans cet embarras il fut décidé, le 8, de payer à la Banque un seul billet de dix livres à chaque porteur ; le 9, on ouvrit la porte de la rue Vi vienne dans les jardins du Palais Mazarin, donnant accès dans la galerie où étaient les bureaux[69]. Quand le jardin était rempli, on ne laissait plus entrer personne et on expédiait ceux qui étaient dedans ; cela faisait perdre toute la journée à de pauvres gens. Arrivé aux bureaux, tout porteur recevait dix francs pour un billet de dix francs et n’en pouvait faire paver plus d’un seul[70]. Ainsi, disait-on, non sans amertume, voilà la Banque royale ouverte, à une pistole par tête et à pique-nique[71]. » Le 10 la Banque avant été ouverte pour payer les billets de dix francs, on referma la porte dès que la cour fut remplie. Ceux qui n’avaient pu pénétrer voulurent forcer la porte et jetèrent quantité de pierres par dessus le mur à ceux du dedans, qui, de leur côté, rejetèrent les pierres au dehors, se blessant les uns les autres. Pour en finir, la foule tenta d’enfoncer la porte de la Banque percée d’un guichet à jours ; la garde établie dans la cour, voyant qu’elle avait tout à craindre, tira un coup de fusil par le guichet, une balle jeta à terre un cocher et une autre balle cassa l’épaule d’un manifestant. Le peuple crut mort ce cocher, souleva son corps en criant : « Au Palais-Royal », et se dirigea en cohue de quatre mille braillards escortant le cadavre. Mais celui-ci ressuscita et demanda un confesseur, la charme était rompu, on le posa à terre et tout se dissipa[72]. On ouvrit plusieurs fois la Banque dans les mêmes conditions et il y eut chaque fois plusieurs personnes étouffées. La bande qui s’était acheminée vers le Palais-Royal, après s’être dissipée, ne tarda pas à refluer dans la rue Vivienne où la porte enfoncée avait été promptement rétablie avec de grosses planches barrées. Alors les pierres recommencèrent à pleuvoir et une brigade d’invalides commandée par un sergent tenta une sortie à la baïonnette, puis rentra se mettre à l’abri. La rue fut toute dépavée, les pavés, dit un témoin, volaient comme la grêle, toutes les fenêtres étaient brisées[73]. Le 11, on ne fit que couper des billets de cent livres en billets de dix livres ; le 12 et le 13, on paya seulement à la Banque la valeur d’un billet de dix livres à chaque particulier, et il y avait une si grande foule que plusieurs furent étouffés et piétines ; pou s’en fallut, écrit Buvat, que je ne fusse du nombre[74] ; il paraît, en effet, s’y être rendu chaque jour ; les personnes de condition se contentaient d’y envoyer leurs gens[75]. Pendant ce temps le Chancelier réunissait un grand nombre de membres du Parlement et leur proposait l’enregistrement de tous les arrêts rendus sur le fait de la Banque et de la Compagnie des Indes. On refusa. Le chancelier dit que le Régent se plaignait de ce qu’ils s’opposaient à tout ce qu’ils voulaient faire ; on lui répliqua que l’État était accablé de dettes. Alors Daguesseau suggéra trois solutions : Recourir aux rentes de la ville ; Établir un compte ouvert en banque à Paris et dans toutes les villes où il y a monnaie ; Accepter un cautionnement volontaire des Mississipiens pour une somme de six cents millions. A cela on objecta que les rentes de la ville se remplissaient peu ; le compte ouvert était un expédient pour prendre l’argent après les billets et rien rendre ; le cautionnement n’est rien dans les personnes mais dans l'argent et Law, à lui seul, possédait des fonds en terres pour plus de six cent mille francs de rente. Il le fallait chasser avant toute autre chose. La conférence se termina sans aménité[76], et lorsque les magistrats mirent leurs collègues au courant de ces proposition, on les jugea périlleuses, inacceptables et on demanda d’un commun accord le renvoi de Law[77]. Le 14, on agiota « sans respect aucun pour la solennité » du dimanche[78], les actions étaient à 4.700 ; le 15, à 4.500 ; le 16, on afficha qu’on recevrait trois actions qu’on payerait pour la valeur de deux, à moins que les porteurs ne préférassent verser trois mille livres en billets de banque pour les convertir en actions nouvelles[79]. On paya dix livres deux sols six deniers par billet de dix livres ; les directeurs de la Banque ayant bien voulu sacrifier deux sols six deniers pour éviter l’embarras qui n’aurait pas manqué d’arriver si chaque particulier avait été obligé de rendre deux sols six deniers avec un billet de dix livres, la plupart n’ayant peut-être pas un sol dans leur poche[80]. Cette condescendance s’expliquait peut-être par l’attitude intransigeante du Parlement qui, à toutes les propositions répondait en demandant qu’on lui livrât Law[81]. Dans la nuit du 16 au 17 juillet, dès trois heures du matin, la rue Vivienne débordait d’une foule grouillante, venue de tous les quartiers et des faubourgs les plus éloignés afin d’être des premiers à l’ouverture de la barricade vers huit ou neuf heures du matin. Ce matin-là douze ou quinze personnes furent étouffées dans une enfilade longue de sept ou huit toises entre le mur et une barricade de charpente. Plusieurs ouvriers et artisans hardis et robustes, postés sur cette barricade se jetaient de là sans aucune pitié dans la foule, culbutant, écrasant des êtres plus faibles qui fléchissaient et ne se relevaient plus. Les autres devaient prendre patience jusque vers midi ou une heure, avec la perspective de recevoir une pistole et de se précipiter de là dans un cabaret parmi les vociférations, les bourrades, et tout le répugnant appareil d’une multitude luttant pour son existence. Ceux qui n’avaient pu gagner la barricade et piétinaient dans l’enfilade ne couraient pas un moindre danger. Beaucoup d’hommes s’étant avisés de grimper sur les ruines des maisons que Law avait fait abattre rue Vivienne se coulaient à califourchon le long du mur du jardin du palais Mazarin et par le moyen des branches de quelques marronniers sautaient dans l’enfilade, au risque de culbuter et d’étouffer ceux qui s’y trouvaient auparavant[82]. Cette nuit-là, quinze mille êtres humains s’entassaient rue Vivienne et avant cinq heures du matin, seize personnes avaient perdu la vie. La foule se désagrégea à la vue des cadavres ; on en porta cinq le long de la rue Vivienne ; à six heures, on en porta trois à la porte du Palais-Royal. Tout le peuple suivait en fureur ; ils voulurent entrer dans le Palais-Royal que l’on ferma de tous cotés. La multitude criait : « Le Régent ! Le Régent ! » on lui répondit qu’il était à Bagnolet ; le peuple n’en crut rien, cria : « Ce n’est pas vrai ! Il n’y a qu’à mettre le feu aux quatre coins, on le trouvera bientôt. » C’était un tapage affreux. Une bande se détacha et porta un cadavre devant le Louvre sous les fenêtres du Roi ; le maréchal de Villeroy lit donner cent livres aux émeutiers qui s’éloignèrent. Une autre bande donnait l’assaut à l’hôtel de Law, brisait les vitres et se dispersait à la vue des Suisses. Le Palais-Royal restait cerné par la foule hurlante. Le Régent venait de se lever, on l’habillait et, pendant ce temps, il était « blanc comme sa cravate et ne savait ce qu’il demandait. » On n’osait pas montrer les uniformes de peur d’irriter la foule, Rocheplatte, officier aux gardes, fit entrer cinquante soldats en habit bourgeois. Ensuite un officier pénétra avec vingt mousquetaires en uniforme. Quand on sut aux Tuileries ce qui se passait au Palais-Royal, on fit un détachement des compagnies en garde chez le Roi, elles demeurèrent quelque temps au Palais-Royal d’où le Régent les renvoya peu après[83]. Sur ces entrefaites, le duc de Tresmes, gouverneur de Paris, était arrivé, il entra et se mit à un balcon pour haranguer ; il ne put dire autre chose sinon : « Hé, messieurs, messieurs ! qu’est-ce que cela ? messieurs, messieurs ! » et s’en fut. Tout le peuple entoura son carrosse, il jeta de l’argent, même de l’or et eut ses manchettes déchirées. Le Blanc, secrétaire d’État de la guerre se glissa dans le palais grâce à une escorte de gens déguisés ; après s’être concerté avec La Vrillière, tous deux par l’entrebâillement d’une porte se jetèrent parmi la foule. Une femme, dont le mari venait d’être étouffé à la Banque saisit Le Blanc à la cravate disant qu’après avoir perdu son mari elle n’avait plus rien à perdre ; Le Blanc eut de la peine à se dégager et, avisant quelques hommes robustes, leur dit en montrant les cadavres : « Mes enfants, prenez ces corps, portez-les dans une église et revenez promptement me trouver pour être payés. » Il fut obéi sur le champ. Vers neuf heures, on ouvrit les portes des cours qui furent, à l’instant, remplies de quatre à cinq mille personnes, en larmes, l’une réclamant son mari, l’autre son père ou son frère, même celles qui ne cherchaient qu’à s’étourdir de leur affolement, car on ne savait plus ce qu’on désirait : point de billets qui ne valent rien ; point d’argent qui perd tous les jours. Law parut vers dix heures, Law « avec son impudence anglaise » comme dit Mathieu Marais. Les Anglais ne crient pas et mordent, avait-il coutume de dire ; mais les Français crient et ne mordent pas. En passant dans le petit marché des Quinze-Vingts, une femme se jeta à la portière, de son carrosse et se fit traîner, réclamant son mari qui venait d’être tué. Il lui offrit de l’argent. « Non, je veux mon mari ! » criait-elle. Le cocher enleva ses chevaux et l’aventurier arriva au Palais-Royal plus pâle que la mort. Il n’en sortit plus de dix jours, mais renvoya son carrosse qui fut reconnu et qu’on laissa sortir de la grande cour. Dès qu’il fut dans la rue on brisa les glaces, on enfonça le panneau du fond, le cocher grommela qu’il faudrait faire pendre quelqu’un de ces Parisiens. Une femme saisit la bride et cria : « B... ! s’il y avait quatre femmes comme moi tu serais déchiré dans le moment. » Il descendit de son siège et dit : « Vous êtes des canailles ! » On le bouscula, on le jeta à terre, il eut une jambe cassée et fut laissé mourant. Quant au carrosse il fut brisé, rompu et détruit. De la cour du Palais-Royal, le Premier Président avait vu cette exécution ; il en rendit compte au Parlement sous cette forme bouffonne, qu’il affectionnait et qui choquait si fort dans sa bouche : Messieurs, Messieurs grande
nouvelle Le carrosse de Law est réduit en cannelle. Vers midi le calme était revenu. Le Régent affectait la tranquillité et mettait cette échauffourée au compte de quelques ivrognes[84]. Pendant ce temps, les chambres du Parlement étaient assemblées pour recevoir un édit par lequel le Roi acceptait les offres de la Compagnie des Indes de payer pour six cents millions de billets de banque pendant six mois, à condition d’être reconnue perpétuelle avec quelques privilèges commerciaux. Cet édit fut rejeté par trois raisons. La première qu’on ignore la quantité des billets et le soulagement qui résultera. La deuxième, que la Compagnie s’oblige mais non pas les directeurs en leur personne et en leurs biens. La troisième que cette opération coûtera peut-être cent millions. En conséquence, le Roi était supplié de retirer son édit. Dans l’après-midi, le président Portail, les abbés Pucelle et Menguy se rendirent au Palais-Royal donner les raisons du refus de la Compagnie. Le Régent « parut fort piqué » et répondit « qu’ils eussent à prendre leur party promptement, sinon que le sien était tout pris » ; et « on craint, disait Dangeau que cela n’ait de fâcheuses suites[85] ». Dans l’après-dînée, on afficha à la Banque qu’attendu le tumulte arrivé, on ne payerait point et on ne couperait point de billets jusqu’à nouvel ordre. Le soir une ordonnance du Roi interdit les attroupements et rassemblements « à peine de désobéissance et d'être punis comme perturbateurs du repos public[86] ». Et dès le lendemain 18, « j’ai passé à deux heures après minuit dans la rue Vivienne, écrit Barbier, il y avait déjà une douzaine de personnes assises par terre à la porte du jardin[87] ». Ce jour-là le Régent réunit le Conseil, exposa « l’état des choses, la nécessité de prendre promptement un parti », et proposa l’exil du Parlement à Blois ; le chancelier Daguesseau suggéra Pontoise, considéré comme moins rigoureux. |
[1] A. Vuitry, Le désordre des finances et les excès de la spéculation, in-12, Paris 1885, p. 317.
[2] Comte d'Argenton à Mme de Balleroy, 3 janvier 1720, dans Les Correspondants, t. II, p. 99.
[3] Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XVIII, p. 200, 5 janvier 1720.
[4] M. de Faligny à Mme de Balleroy, 11 janvier 1720, dans Les Correspondants, t. II, p. 101.
[5] Chev. de Balleroy à Mme de Balleroy, 26 janvier 1720, dans op. cit., t. II, p. 107.
[6] Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 189 ; 23 décembre 1719.
[7] Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 191 ; 27 décembre 1719.
[8] Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 193 ; 31 décembre 1719.
[9] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. XI, p. 121.
[10] Saint-Simon, Mémoires, t. XXXIII, p. 166.
[11] Cochut, Law, son système et son époque, 1853, p. 110.
[12] Buvat, Journal, t. I, p. 417.
[13] Cochut, op. cit., p. 113.
[14] E. Levasseur, op. cit., p. 185.
[15] Bibl. nat., ms. franç., supplém., 4141, t. III, fol. 302-303 : Idée générale du nouveau système des finances ; Buvat l’attribue à l’abbé de Saint-Pierre.
[16] F. Véron du Verger de Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances en France depuis 1595 jusqu’en 1721, in-12, Paris, 1758, t. VI, p. 315.
[17] F. Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 319.
[18] F. Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 320.
[19] Law, Première lettre au Mercure de France (février 1720), dans Œuvres de Law, édit. Daire, de la Collection des économistes français, 1843, p. 640.
[20] E. Levasseur, op. cit., p. 199-200.
[21] Saint-Simon, Mémoires, t. XXXIV, p. 15.
[22] Buvat, Journal, cité par E. Levasseur, op. cit., p. 200-201.
[23] E. Levasseur, op. cit., p. 201.
[24] F. Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 317.
[25] F. Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 308.
[26] Montesquieu, Esprit des lois, t. XXIX, ch. XXVI.
[27] Buvat, Journal, cité par E. Levasseur, op. cit., p. 207.
[28] Duclos, Mémoires, 1808, t. II, p. 14.
[29] Cochut, Law, son système et son époque, 1853, p. 137 ; Vie de Philippe d’Orléans, par M. L. M. D. M., 1736, t. II, p. 45.
[30] Saint-Simon, Mémoires, (1842) t. XXXIV, p. 17 ; édit. Chéruel, t. XI, p. 256.
[31] Arch. municip. d'Orléans, BB. Copies des lettres anciennes 1715-1742, fol, 8 v° et 9, dans C. Bloch, Effets du système de Law à Orléans (1720) dans Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques. Section des sciences économiques et sociales, 1898, p. 162-168.
[32] M. Manon, Histoire financière de la France depuis 1715, Paris, in-8°, 1914, t. I, p. 97.
[33] F. Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI ; E. Levasseur, Law et son système, dans Compte-rendu de l’Acad. des sc. mor. et polit., 1909, t. CLXXI, p. 482-483.
[34] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. XI, p. 256.
[35] F. Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 347.
[36] Cochut, op. cit., p. 159.
[37] Du Tot, Réflexions politiques sur les Finances et le Commerce, 1738, p. 914.
[38] Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 335.
[39] Arch. du Parlement, Registre du Conseil secret, X, 8426, 24 mars 1720.
[40] Arch. du Parlement, Registres du Conseil secret X, 8426, 16 et 17 avril. J. Flammermont, Remontrances du Parlement de Paris, 1888, t. I, p. 126 suivantes.
[41] Arch. du Parlement, Registres du Conseil secret, X, 8426, 18 avril.
[42] Arch. du Parlement, Registre du Conseil secret, X, 8426, 22 avril.
[43] Arch. du Parlement, Registre du Conseil secret, X, 8426, 3 mai.
[44] Saint Simon, Mémoires, 1842, t. XXXIV, p. 101 ; édit. Chéruel, t. XI, p. 302-303.
[45] Arch. du Parlement, Registres du Conseil secret, X, 8427, fol. 14.
[46] Saint-Simon, Mémoires, t. XXXIV, p. 101, édit. Chéruel, t. XI, p. 302.
[47] Villars, Mémoires, coll. Petitot et Monmerqué, t. I, p. 142
[48] Duclos, op. cit., t. II, p. 35 ; Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 341 ; E. Levasses, op. cit., p. 228 : A. Vuitry, op. cit., p. 367.
[49] Vie de Philippe d’Orléans, par M. L. M. D. M., 1736. T. I, p. 84 ; E. Levasseur, op. cit., p. 229-231 ; A. Vuitry, op. cit., p. 356-361.
[50] Les actions vaudraient successivement 8.500, 8.000, 7.500, 7.000, 6.500, 6.000, 5.500.
[51] Le billet de 100 livres vaudrait le 33 mai, 80 l. ; le 1er juillet, 70 ; le 1er août, 70 ; le 1er septembre, 65 ; etc., jusqu’au 1er décembre, 50 livres.
[52] F. Véron du Verger de Forbonnais, op. cit., t. VI, p. 340.
[53] Saint-Simon, Mémoires, 1842, t. XXXIV, p. 102.
[54] Vie de Philippe d’Orléans, par M. L. M. D. M., 1730.
[55] J. Buvat, Journal, cité par E. Levasseur, op. cit., p. 244.
[56] M. Cochut, op. cit., p. 162.
[57] Arch. du Parlem., Registres du Conseil secret, X, 8427, 27 mai.
[58] Lémontey, op. cit., ch. IX.
[59] J. Buvat, dans E. Levasseur, op. cit., p. 245.
[60] A. Vuitry, op. cit., p.
364-367
[61] Barbier, Journal, 1867, t. I, p. 183.
[62] Saint-Simon, Mémoires, t. XXXIV, p. 103, édit. Chéruel, t. XI, p. 302-303.
[63] Buvat, Journal, 1er juin.
[64] E. Levasseur, op. cit., p. 254.
[65] Mêmes détails dans le récit de N. R. Pichon, donné par E. Levasseur, Law et son système dans Comptes rendus de l’Acad. des sc. mor. et polit., 1900, t. CLXXI, p. 485 : Le 3 juin, on emporta de la Banque un mort ; le 4, six ou sept morts étouffés, écrasés.
[66] N. Bonamy, Descriptions historiques et topographiques de l'hôtel de Soissons, dans Histoire de l’Acad. royale des Inscr. et Belles-Lettres, 1749-1751, t. XXIII, p. 262 ; Barbier, Journal, t. I, p.58.
[67] M. Marais, Journal et mémoires, in-8°, Paris, 1863, t. I, p. 317 ; 6 juillet 1720.
[68] Barbier, Journal, t. I, p. 46-47 ; juillet 1720.
[69] Galerie occupée de nos jours par le département des Estampes.
[70] Barbier, Journal, t. I, p. 49 ; Buvat, Journal, t. II, p. 111.
[71] M. Marais, Journal et mémoires, t, I, p. 20 ; 9 juillet : Buvat, Journal, t. II, p. 111.
[72] M. Marais, op. cit., t. I, p. 20 ; 10 juillet 1720.
[73] J. Buvat, Journal, t. II, p. 112 ; E. Levasseur, Law et son système jugés par un contemporain, dans Compte-rendu de l’Académie des sciences morales et politiques, 1909, t. CLXXI, p. 435-436.
[74] Buvat, Journal, t. II, p. 105-107 ; Barbier, Journal, t. I, p. 48-50.
[75] Buvat, Journal, t. II, p. 112-113 ; E. Levasseur, op. cit., p. 485-486.
[76] M. Marais, op. cit., t. II, p. 321-323 ; 13 juillet 1720.
[77] M. Marais, op. cit., t. I, p. 323-324 ; 14 juillet 1720.
[78] M. Marais, op. cit., t. I, p. 323 ; 14 juillet 1720.
[79] Buvat, Journal, t. II, p. 108 ; 16 juillet.
[80] Buvat, Journal, t. I, p. 105 ; 16 juillet 1720.
[81] M. Marais, op. cit., t. I, p. 327 ; 16 juillet 1720.
[82] Buvat, Journal, t. I, p. 106-107 : douze ou quinze étouffés ; Balleroy, op. cit., t. II, p. 183, quinze ; Marais et Barbier : seize.
[83] Barbier, op. cit., t. I, p. 49 ; Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 322 ; 17 juillet 1720.
[84] M. Marais, op. cit., t. I, p. 327-328 ; Buvat, op. cit., t. II, p. 105-107 ; Barbier, op. cit., t. I, p. 48-50 ; Dangeau, op. cit., t. XVIII, p. 322-323 ; M. de Balleroy à sa femme, 17 juillet, op. cit., t. II, p. 183-184 ; Madame à la raugrave Louise, 18 juillet, dans op. cit., édit. Brunet, t. II, p. 253-254.
[85] M. Marais, Journal et mémoires, t. I, p. 328-329 ; Barbier, Journal, t. I. p. 50 ; Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 323.
[86] M. Marais, op. cit., t. I, p. 330.
[87] Barbier, Journal, t. I, p. 50.