L’appel. — Refus du Bref. — Lettres violentes pour et contre la bulle. — Le cardinal de Noailles mollit. — Conférence au Palais Royal. — Engagement secret pris par les Appelants. — Inutilité des conférences. — Mort du chancelier Voysin. — Daguesseau reçoit les sceaux. — Satisfaction publique. — Fin des conférences. — Appel des évêques. — Adhésion de la faculté. — Le Régent averti. — Mesures de rigueur contre les appelants. — Adhésions nombreuses. — Opinions contradictoires. — L’exploit de l’huissier Le Grand. — Appel du cardinal de Noailles. — Nombreuses adhésions. — Allées et venues. — Réponse du cardinal au Pape. — Humeur du Pape. — Nouveaux projets et violences. — Déclaration de silence forcé. — Intrigues clandestines de Lafitau. —L’appel du cardinal de Noailles publié furtivement. — L’opinion publique. — Les libelles. — Les vues du duc de Saint-Simon. — L’affaire des bulles. — Disgrâce de Daguesseau. — Le décret du 19 février. — La lettre Pastoralis officii du 8 septembre 1718. — L’appel du Cardinal et l’adhésion du chapitre.L’appelLe 4 janvier 1717 trois plénipotentiaires signaient, à la Haye, la Triple-Alliance ; le même jour, quatre évêques signaient, à Paris, l’appel au futur concile. Ces deux événements allaient engager les destinées politiques et religieuses de la France pour une longue suite d’années. Refus du brefDès le 20 novembre 1716, les évêques négociateurs étaient rentrés à Paris afin de poursuivre les conférences d’accommodement. Beaucoup de prélats, il est vrai, faisaient défaut[1], mais si le cardinal de Rohan se montrait plein de confiance[2], le public demeurait sceptique[3]. Le nonce faisait de son mieux, à chaque courrier, pour alarmer et irriter le Saint-Père, réclamant des mesures rigoureuses contre Noailles. Il représentait les Parlements à la tête de l’opposition aux évêques qui ne comptaient plus que très peu de fidèles dans les villes de Toulon ; Marseille, Grasse, Nevers, Reims, Beauvais, Nantes et Rouen. A l’entendre, le parti de Noailles gagnait chaque semaine douze mille adhérents et la France s’acheminait rapidement vers le presbytérianisme[4]. Bientôt arriva un courrier de Rome porteur de la lettre attendue du Sacré-Collège au cardinal de Noailles[5], d’un bref au Régent, un autre aux évêques acceptants, et un troisième à la Sorbonne pour suspendre ses privilèges[6]. Ces pièces ne laissaient pas que d’embarrasser. Un jour ou deux après, le prince chargea les agents du clergé d’écrire à tous les évêques de ne pas recevoir le bref circulaire[7]. Cet avis fut le prélude de tous les arrêts rendus par les Parlements pour la suppression des Brefs[8]. Le cardinal Paulucci n’avait pas manqué d’adresser par la poste le bref circulaire à chaque évêque ; la plupart le renvoyèrent au Régent, comme il l’ordonnait. Dès que les Parlements eurent prononcé sur cette pièce, le prince, qui la tenait pour non-avenue, la remit entre les mains du cardinal de Noailles[9]. Lettres violentes pour et contre la BulleCependant les conférences allaient leur train parmi l’inattention générale ; chacun suivant son idée et travaillant à la faire triompher. Le 17 décembre, les curés du diocèse de Paris s’assemblèrent et écrivirent à leur archevêque qu’ils ne recevraient pas la bulle sans explications, « ni même avec des explications quand même le Pape en donnerait » et ne pourraient que lui désobéir si leur Ordinaire prescrivait autre chose[10]. Le lendemain, il n’était bruit que de l’admonestation du Régent au cardinal de Bissy qui, avec onze autres évêques, avait écrit au Pape de tenir ferme au sujet de la Bulle[11]. Le surlendemain c’était l’archevêque de Reims, Mailly, qui adressait une lettre publique à l’épiscopat assemblé à Paris, pour jeter la suspicion sur les évêques non-acceptants[12]. « On ne saurait s’empêcher de craindre, écrit Dangeau, que ces lettres n’aigrissent encore les esprits[13] ». Mais les deux camps renfermaient des combattants visiblement lassés. L’Hôtel de Soubise en face de l'Archevêché, Rohan en face de Noailles, les conversations commençaient à désagréger les partis et à ébranler les chefs[14]. Noailles surtout mollissait. Le cardinal de Noailles mollitLe 28 décembre les évêques de Mirepoix, la Broue, de Montpellier, Colbert, et de Senez, Soanen, dînaient à l’archevêché. Sur la fin du repas Daguesseau et le duc de Noailles survinrent et toute la compagnie se rangea auprès du feu. Le duc de Noailles, de ce ton d'un homme qui pense tout haut, dit : « Pendant que voilà messieurs les principaux chefs de la Constitution, il faut ici la brusquer. » — « On ne brusque pas ainsi ce qui regarde l’Église », riposta Colbert ; et comme il aimait à rendre les coups, il ajouta « ...comme on a ci-devant brusqué la campagne de Catalogne ». Daguesseau s’embarqua dans un long discours, la Broue prit ensuite la parole, puis Colbert, toujours agressif : « En vérité, dit-il, je ne reconnais plus monsieur Daguesseau de 1714 dans celui de 1716. » Et se tournant vers l’amphitryon : « Est-il possible que Votre Éminence veuille changer de sentiment et abandonner le parti de la vérité, vous que nous avons regardé jusqu’à présent comme notre chef, sur qui nous pouvions compter comme une colonne inébranlable ? — Que voulez-vous que je fasse, répliqua le cardinal ; M. le duc d’Orléans me presse de me déclarer et d’accommoder cette affaire qui l’inquiète ; plusieurs évêques me pressent, ma famille me presse : voilà ce qui m’embarrasse. » Il se fit un silence. Colbert, Soanen et la Broue saluèrent et disparurent[15]. Toute illusion s’évanouit et ils sentirent venue l’heure de la confession, peut-être du martyre. A deux jours de là, Colbert eut une longue audience du Régent, et lui dit : « Votre Altesse Royale peut compter en sûreté sur ma personne, sur tout ce que je possède au monde ; ma vie même vous est dévouée en cas de besoin ; mais, pour ma conscience, c’est à Dieu seul que je la réserve comme le maître de mon âme ; ainsi je ne puis changer de sentiment à l’égard de la Constitution[16]. » Conférence au Palais-RoyalN’ayant rien à attendre de ce côté, le Régent, aidé par le duc de Noailles, entreprit de venir à bout d’une affaire qu’il croyait gâtée par la seule obstination de quelques-uns. Il convoqua une conférence au Palais-Royal le dimanche 3 janvier. Le cardinal de Noailles, les évêques de Châlons-sur-Marne, d’Arras, de Bayonne, de Boulogne et de Mirepoix s’y rendirent et rencontrèrent le Régent, le maréchal d’Huxelles, le marquis d’Effiat, MM. Daguesseau et Amelot. On discuta un projet d’acceptation rédigé par Daguesseau et, après quatre heures de dispute, on se sépara sans qu’il « y eut rien de résolu », sinon de se réunir le jeudi suivant[17]. Engagement secret des AppelantsL’évêque de Mirepoix n’avait, sans doute, consenti à prendre part à cette conférence que pour instruire ses trois collègues de Senez, de Montpellier et de Boulogne du tour que prendrait l’affaire. Ces quatre évêques, réunis chez celui de Mirepoix, le lendemain 4 janvier, trouvèrent toutes les avances inacceptables, toutes les précautions insuffisantes et se lièrent ce jour-là par un engagement réciproque et secret en vue de prendre les seules mesures efficaces à leurs yeux. Les explications de Rome ne vaudraient pas mieux, pensaient-ils, que le reste de la bulle, et recevraient en France un accueil analogue à celui qui attendait à Rome les explications venues de France ; ils en conclurent que ni les explications ni la bulle elle-même n’étaient recevables[18]. Inutilité des conférencesMaintenant les conférences se succédaient, sans le moindre résultat acquis, ni prévu. « Il ne paraît pas que les affaires avancent beaucoup ; ...les esprits ne se rapprochent point[19]. » Loin de là. « Il paraît plusieurs écrits fort libres de différents ecclésiastiques qui sont tous contre la Cour romaine «, écrit Dangeau le 9 janvier[20] et, le 12, c'est Buvat qui mentionne la démarche de la Sorbonne allant en corps à l’archevêché, au nombre de cent trente-deux docteurs, où ils protestèrent que, nonobstant les bruits qui se répandaient alors d’un prochain accommodement de M. le cardinal, la Faculté était résolue de persister à soutenir le parti de la vérité[21]. » Cette démarche fit grand bruit[22] et tandis que se succèdent les entrevues et les conférences, que le duc d’Orléans « se donne tout entier à cette affaire », on commence à dire « qu’il sera malaisé de la finir que par un concile national[23]. » Chaque jour c’est une nouvelle assemblée[24] et le Régent qui ne s’y ménage pas est surpris de l’ardeur des adversaires, « Les saints se battront ici tantôt », dit-il à son aumônier en les attendant[25] et, après les avoir congédiés, il rit de tout cœur : « Je pourrai bien venir à bout de la mitraille, dit-il, mais la prêtraille m’embarrasse[26]. » Le malheureux n’avait rien vu encore ! Tandis qu’il essayait vainement de mettra les évêques d’accord, la Sorbonne s’était ébranlée. Maintenant les cinquante-deux curés de Paris répandaient à foison leur lettre imprimée, les trois cents curés du diocèse écrivaient trois lettres signées, d’eux tous, et voici que s’élançaient les moines et les mendiants : Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Denis-de-la-Chartre, de Saint-Martin-des-Champs, des Blancs Manteaux et de Saint-Denis en France ; Augustins, Prémontrés, Jacobins, Cordeliers, tous écrivaient à Noailles leur résolution de vivre et de mourir dans la défense de la vérité, quand même son Éminence voudrait changer de sentiment[27]. Enfin l’Oratoire se mit de la fête[28]. Mort du chancelier VoysinLes gens avertis se demandaient de bonne foi comment sortir Mort du de cette impasse, où « le plus grand obstacle était la résistance de tout le second ordre qui augmentait tous les jours en partisans », lorsque survint un événement considérable et fort inattendu : Le lundi 1erfévrier, le chancelier Voysin, régalant sa famille à souper, voulut au dessert prendre une poire en compote avec sa fourchette, manqua de forces de la main droite, ce qui l’obligea de prendre sa fourchette de la main gauche qui ne le servit pas mieux. Il dit là-dessus : « Je me trouve mal ». Et se laissant aller sur le dossier de son fauteuil, tomba en apoplexie. On courut chercher prêtre et médecin, mais le chancelier mourut vers deux heures du matin, sans avoir repris connaissance un seul instant. Il fut fort regretté de ses parents, de ses domestiques et des Jésuites. Vu l’heure avancée, la nouvelle s’ébruita peu. Le duc de Noailles averti le soir même, puis dans la nuit, ne songea guère au défunt, mais à son successeur. Avant le jour il fut au Palais-Royal, trouva le Régent sur sa chaise percée, sortant de son lit et dont la digestion n’était pas terminée. « Votre Altesse Royale, lui dit-il, peut brusquer cette affaire et se déterminer au plus tôt sur le sujet qu’elle juge digne de remplir la charge de chancelier de France, pour ne pas être accablée de sollicitations. » Le duc avait son candidat qu'il comptait bien gouverner en tout, c’était Daguesseau, à qui son beau-frère Saint-Contest était venu, à son réveil, annoncer cette subite et grande vacance. Sans s’émouvoir Daguesseau fit sa toilette et se rendit à sa paroisse entendre la messe. C’était le jour de la Chandeleur. Daguesseau reçoit les sceauxLe Régent n’avait pris le temps que d’envoyer réclamer les sceaux chez le défunt et d’expédier un gentilhomme chez le procureur-général qu’il trouverait à la messe de paroisse en l’église de Saint-André-des-Arts. Le magistrat dérangé par cet importun se contenta de répondre : « Vous voyez, monsieur, que j’entends la messe ; aussitôt qu’elle sera finie je ne manquerai pas d’obéir aux ordres de Son Altesse Royale. » Le gentilhomme ayant fait ce rapport, le duc d’Orléans le renvoya avec ordre d’amener Daguesseau en diligence, lequel ayant paru, le prince, à qui les proches parents de Voysin venaient d’apporter les sceaux, lui dit d’un air riant et engageant : « Tenez, monsieur Daguesseau, gardez les clefs de la chancellerie jusqu’à ce que je vous les redemande. » Le magistrat voulant s’étendre en compliments, le prince lui répliqua : « Tenez, encore une fois, prenez-les et ne faites pas le benêt. Il suffit que je connaisse ce que vous savez faire. » Peu après il remmena au Louvre le présenter au Roi et lui faire prêter serment. A M. Joly de Fleury, avocat-général, le prince dit en l'abordant : « Bonjour, Monsieur le procureur-général, je m’assure que vous remplirez parfaitement le poste de M. Daguesseau[29]. » Satisfaction publiqueLa nouvelle se répandit dans tout Paris et « ce choix, dit la Gazette, fut universellement approuvé, si l’on excepte la partie des molinistes dont le défunt était le chef... La Constitution et les Jésuites, qui ne font qu’un, perdent un appui considérable, tandis que l’autre parti gagne une personne ferme, habile et zélée pour l'Église gallicane... Les Jésuites sont dans la dernière consternation et depuis cet événement on n’en a point vu dans les rues. Les bons Pères se tiennent enfermés dans leurs couvents comme renards dans leurs trous. L’accommodement avec Rome paraît autant éloigné que jamais[30]. » On ne sait si le choix du nouveau chancelier inclina le cardinal de Rohan vers la paix ou si sa disposition nouvelle s’expliquait mieux par deux grâces obtenues en ces jours-là pour son neveu, mais il parut entrer dans les vues du cardinal de Noailles et on se tut, un instant, sur la voie de la conciliation[31]. Illusion bientôt dissipée. Fin des conférencesToute conciliation échoue avant même d’être ébauchée par l'effet des précautions prises pour la rendre irréprochable. Noailles tient toujours en réserve quelque mémoire tout bourré de principes intangibles et d’exemples décisifs[32]. Les pages succèdent aux pages et les cahiers aux cahiers ; le Régent, résigné, subit ce déluge non sans laisser échapper « quelques mouvements d'impatience » «sous cette profusion de « vérités si solidement détaillées ». Alors il se rejette vers l’espoir de diviser les évêques partisans de Noailles, ayant ouï qu’ils étaient divisés en trois classes dont une intraitable et composée naturellement des quatre prélats : Mirepoix, Montpellier, Senez et Boulogne. Mais les six autres n’étaient pour l’instant, guère plus faciles à entamer, on décida en conséquence de dresser une Déclaration imposant un silence absolu sur toute cette affaire[33]. Le Régent dégoûté de tout le reste, comptait que ce moyen rendrait, enfin, la paix. Noailles sentait son diocèse lui échapper. Le jour où se tenaient au Palais Royal des assemblées, les fidèles s’entassaient dans les églises pour demander à Dieu que le cardinal ne les trahit pas[34]. Le 26 février une assemblée plus nombreuse n’aboutit pas à de meilleurs résultats. « Voilà, disait-on à la Cour, toutes les conférences finies sans nul espoir d’accommodement[35] » et dans le public on assurait que M. le Régent voyant les prélats si peu d’accord entre eux sur ce point, leur avait dit de n’y plus penser et de s’en retourner chacun dans son diocèse[36]. » Appel des évêquesAprès l’assemblée de prima mensis on avait remarqué chez tous les docteurs une surexcitation extrême sur la manière dont ils étaient traités. Le jour même de rassemblée à sept heures du matin, le secrétaire d’État La Vrillière envoyait au syndic Ravechet, qui ne put se dispenser d’en donner lecture publiquement, une lettre de cachet ordonnant à la Faculté de Théologie de biffer la conclusion inscrite dans ses registres sous la délibération du 15 janvier précédent. Cette lettre avait été sollicitée par le cardinal de Rohan ; voyant l’émotion produite par cette mesure, les évêques de Mirepoix, de Montpellier, de Senez et de Boulogne, crurent la conjoncture favorable pour publier leur appel, qu’ils signèrent ce jour là, 1er mars, et y associer la Faculté. Ces quatre évêques passèrent donc un acte authentique devant deux notaires du Châtelet de Paris, par lequel ils appelaient comme d’abus au futur concile général prochain de la constitution Unigenitus et de tout ce qui s’en était suivi jusqu’alors, soit de la part du pape, soit de la part des évêques de France qui l’avaient acceptée. Ensuite ils résolurent de porter cet acte en Sorbonne, le vendredi suivant, à l’assemblée qu’on devait tenir. Leur dessein fut conduit avec un profond secret. A leur arrivée, la délibération venait de s’ouvrir sur les affaires courantes. Un docteur vint avertir Je doyen que quelques évêques demandaient l’entrée de la salle de l’assemblée et une députation de six docteurs les alla recevoir. Tous se levèrent pour leur faire honneur et on garda le silence jusqu’à ce qu’ils eussent pris place sur le banc du doyen. L’évêque de Mirepoix prit la parole, exposa la nature et les raisons de cet appel ; il les tira du fond de la Constitution, par laquelle, dit-il, les vérités étaient renversées, la morale et la discipline de l’Église mortellement blessées, l’autorité des souverains violée, et les droits de l’épiscopat attaqués. Il ajouta, que n’ayant pu trouver de remède à ces maux, ils avaient eu recours à celui qu’on avait employé dans tous les temps et qu’ils appelaient de la Constitution au futur concile général ; il pria la Faculté d’entendre lire leur appel, ce qui fut fait par l’évêque de Senez. L’évêque de Mirepoix prit ensuite la parole et dit qu’ils mettaient entre les mains de la Faculté une copie authentique de leur acte d’appel, par préférence à toute autre Compagnie. Adhésion de la FacultéLe syndic Ravechet complimenta les quatre, les remercia de l’honneur rendu et de la préférence accordée à la Faculté et conclut par ces paroles prononcées d’un ton plus ferme et plus grave que tout le reste : « à présent je déclare que j’adhère à l’appel interjeté par nos seigneurs les prélats, et que, Dieu aidant, j’y adhérerai toujours » ; et il prit la Faculté à témoin, lui demandant acte. Quelques docteurs voulurent adhérer par voie d’acclamation : mais la matière parut trop importante pour être ainsi décidée et la délibération s’engagea selon les formes ordinaires. L’évêque de-Senez, qui n’était pas de la Faculté voulut sortir, on l’obligea de rester, puis chacun opina paisiblement. Sur cent dix docteurs présents, quatre-vingt-dix-sept adhérèrent à l’appel, douze se partagèrent en divers avis, un seul fut opposant, mais sans demander acte de son opposition. Les deux notaires du Châtelet, qui avaient suivi leurs quatre clients, réclamèrent une copie de la délibération qui leur fut accordée[37] (5 mars). Le Régent avertiPendant que les quatre évêques s’attardaient en Sorbonne, le curé de Saint-Merry[38], seul docteur opposant, s’esquiva et courut avertir de ce qui se passait le cardinal de Rohan qui ne fit qu’un saut jusqu’au Palais-Royal où le Régent dit tout haut « qu’il n’avait jamais été si en colère[39] ». Quand le cardinal de Noailles arriva à onze heures à l’audience ordinaire, la première chose que lui dit le duc d’Orléans fut ce qui se passait en Sorbonne. Noailles joua le mécontentement et mit l’esclandre au compte de la lettre de cachet ; il s’abusait. Un des quatre, l’évêque Jean Soanen de Senez, a raconté depuis les motifs de la conduite tenue par ses collègues et par lui-même : « Après la mort de Louis XIV, nous retournâmes à Paris, pour l’affaire de la Constitution. On ne cessait, dit-il, de négocier, de tenir des conférences, de proposer divers projets qui tous, supposant pour condition essentielle que les évêques opposants accepteraient la Bulle, ne roulaient que sur la manière de l’accepter. Pour nous, nous ne prenions aucune part à ces mouvements, persuadés que la Bulle n’était pas une affaire à mettre en négociation, et qu’avec quelque correctif que la Constitution put être proposée, nous ne pourrions jamais l’accepter. Mais nous comprîmes bientôt que ce n’est point assez pour un évêque de ne prendre aucune part aux plaies qu’on fait à la vérité et qu’il doit employer les derniers remèdes que Jésus-Christ a laissés à son Église. Ces réflexions nous déterminèrent à former notre appel au futur concile[40]. » Mesures de rigueurs contre les appelantsA peine eut-il instruit le Régent de ce qui se passait, le cardinal de Rohan concerta avec le prince une conférence qui se tiendrait au Palais-Royal l’après-dînée ; il s’y trouva les cardinaux de Rohan et de Bissy, le chancelier Daguesseau, le duc de Noailles, le maréchal d’Huxelles, M. Amelot et le marquis d’Effiat, on envoya chercher MM. d'Armenonville et de la Vrillière pour libeller les lettres de cachet. Pendant la séance le Procureur général apporta l’acte d'appel que les quatre évêques, au sortir de la Sorbonne, étaient venus lui notifier et qu’il avait reçu sans leur en donner acte, quoiqu'ils l’en eussent requis. Quand ce magistrat se fut retiré, les deux cardinaux sollicitèrent des mesures de ligueur, auxquelles répugnait le Régent. Les quatre évêques eurent ordre de sortir de Paris dès le jour même ; le syndic Ravechet fut exilé à Lyon, le notaire Touvenot envoyé à la Bastille[41]. Ravechet fut introuvable. Au sortir de rassemblée il avait monté dans un carrosse qu’on lui tenait prêt, et emporté avec lui les registres dont le Régent voulait faire arracher quelques feuillets[42]. Les prélats reçurent respectueusement, mais en évêques, Tordre transmis par d’Armenonville. M. de Mirepoix en le reconduisant lui cita ce passage des Actes des Apôtres qui les montre joyeux d’avoir été trouvés dignes de souffrir pour Jésus-Christ[43]. Touvenot fut appréhendé dans les rues par une troupe d’archers à pied et à cheval qui le tirèrent du carrosse de l’évêque de Montpellier et le menèrent à la Bastille[44]. Adhésions nombreusesDès que M. d’Armenonville les eut quittés, les quatre évêques se rendirent à l’Officialité, l’audience tenante, et demandèrent les lettres Apostolos qui leur furent délivrées par l’official qui ne pouvait s’y refuser[45]. Cela fait, ils se retirèrent aux environs de Paris[46] et M. de Mirepoix y fut relancé avec ordre de gagner sur-le-champ son diocèse pour n’en pas sortir. A peine l'appel fut-il connu dans la foule qu’on vit les appelants se multiplier. Presque tous les curés de Paris et du diocèse, plusieurs communautés religieuses, la faculté de théologie de Reims, les chapitres de Chartres et d’Orléans, beaucoup de curés du diocèse de Rouen et une telle multitude d’autres qu’on n’y faisait plus attention. Le recteur de l’Université prenait ses mesures pour faire adhérer le corps entier des quatre Facultés de Paris, mais le Premier Président en informa le duc d’Orléans qui fit défense de rien statuer. Le maréchal d’Huxelles se mêlait de plus en plus à ces disputes et le Régent semblait heureux de l’y laisser agir, bien persuadé qu’il s’y userait vite. Opinions contradictoiresLe coup de surprise des quatre avait nui à Noailles, qui paissait au second plan, éclipsé par ces évêques de province. Rohan, n’agissait pas, mais parlait haut et s’imposait au nom d’une trentaine d’évêques qu’il tenait en main et traitait à sa table. Dans ce nombre on choisit huit prélats qui se tiendraient à la disposition du Régent pour répondre à ses interrogations[47], sorte de synode de cour, permanent et domestique, tel qu’on l’avait vu jadis à Byzance : Synodos endémousa[48]. Celui-ci compterait les inévitables cardinaux de Rohan et de Bissy, les archevêques de Bordeaux, de Bourges et d’Aix, les évêques de Bazas, d’Uzès et de Viviers. Cependant ; même dans l’entourage de Rohan, les quatre ne manquaient pas de défenseurs[49], aussi Noailles ne se décourageait pas, il écrivait[50], il parlait. A la tête de quatorze évêques, il alla demander au Régent le rappel des quatre[51]. Le prince admit que leur appel était canonique, mais leur reprocha de l’avoir émis sans lui en parler dans un temps où il travaillait à tout pacifier[52]. Noailles lui-même ne se cachait plus maintenant de dire « qu’il ne voyait plus rien de meilleur à faire qu’un appel au Concile œcuménique » ; il s’y résoudrait le plus tard possible, avertirait le prince au préalable et servirait tous les adversaires autant que l’intérêt de l’Église le demanderait[53]. Le Régent laissait tout dire en sa présence, cela comme le reste ; quand Noailles invoquait les droits de sa conscience il se taisait, quand Rohan ou Bissy disaient la même chose il souriait. Comme tout le monde, il riait de tout ce qu’un conflit si grave suscitait de petitesses et d’étrangetés. A Rome on avait brûlé par ordre du Pape les lettres des curés du diocèse de Paris à leur archevêque ; le bourreau, homme ingénieux, imagina d’enduire de graisse ces paperasses gallicanes qui dégagèrent une fumée aveuglante, ce que le peuple romain tint pour vrai miracle[54]. Mais il y eut mieux, tellement que, d’abord, les Parisiens n’y voulurent croire[55]. Cependant l'histoire était véritable et Jean Buvat ne manqua pas de la recueillir[56]. L’exploit de l’huissier Le Grand« Le 1er d’avril 1717, le sieur, huissier au Chatelet de Paris arriva du voyage qu’il avait fait à Rome par ordre des évêques de Mirepoix, de Montpellier, de Senez et de Boulogne. Pour dérober sa marche, il partit de Paris le 6 mars, sous prétexte d’aller, à son ordinaire, à la campagne faire quelques exploits d’assignation ou de saisie. Il prit la poste à douze lieues de Paris, et continua sa course en diligence jusqu’à vingt milles ou six ou sept lieues de Rome, où ayant quitté la poste, il acheva son voyage à pied jusqu’à Rome, comme un pèlerin. Le lendemain de son arrivée il fut au Palais du Vatican, après-dîner, il se glissa parmi ceux qui eurent audience du Pape, où après avoir à son tour baisé la pantoufle du Saint-Père, il lui présenta un papier que Sa Sainteté remit entre les mains du cardinal Paulucci, son premier ministre d’État, pour lui en rendre compte une autre fois et pour y faire réponse, croyant que c’était un placet ou mémorial ; puis l’huissier se retira, et la nuit suivante, à minuit, il afficha deux copies de l’acte d’appel des quatre évêques à côté de la principale porte de l’église de Saint-Pierre et une autre copie au Campo di fiore, au bas desquelles copies il se dit huissier au Châtelet de Paris et avoir signifié ledit acte d’appel de ces quatre évêques au prochain concile général œcuménique à notre Saint-Père le pape Clément XI, en parlant à la personne de Sa Sainteté ; la nuit même il sortit de Rome et reprit la poste. » Appel du cardinal de NoaillesPendant qu’on attendait en France de savoir l’accueil que le Pape ferait à l’appel le cardinal de Noailles jugea opportun de faire appel au futur concile avant que les censures n’eussent été prononcées. Le 3 avril il fit inscrire son appel sur les registres de son secrétariat, mais il ne le rendit public que dix-huit mois plus tard. Cependant il fit enregistrer l’original au greffe de l’Officialité. Le 6 avril devait se tenir un synode diocésain, Noailles y fit donner connaissance aux curés de son Corps de Doctrine[57]. Ce n’était pas seulement à Paris que l’appel mettait les esprits en mouvement ; les provinces participaient à ce beau zèle. Reims était particulièrement agitée, mais Bourges n’était pas plus tranquille, ni Grenoble, ni l’inflammable Provence. L’archevêque d’Arles, les évêques de Marseille et de Toulon écrivaient au Régent de « ne pas davantage se laisser flatter par les espérances frauduleuses de pouvoir surmonter les difficultés ; tandis que les non-acceptants apprivoisent le public au scandale de leur appel au concile général[58] ». L’archevêque de Lyon laissait entendre que les appelants pourraient bien faire le voyage de Pierre-en-Scize ; l'intendant, du Languedoc, Basville, se disait nanti de quatre ordres d’exil destinés aux quatre premiers appelants. Nonobstant ces procédés de persuasion, l’appel gagnait des partisans. Nombreuses adhésionsDeux universités, celle de Reims et celle de Nantes, se prononcèrent avec des circonstances qui retinrent l’attention. L’archevêque de Reims, Mailly, avait imposé à ses diocésains l’acceptation de la Bulle sous peine d’excommunication et prononcé la suspense contre les ecclésiastiques récalcitrants. Son ordonnance fut cassée„ par arrêt du Parlement de Paris (28 mai 1716) et la guerre durait depuis ce temps lorsqu’à la suite de l’appel des quatre, la Faculté de théologie de Reims y donna son adhésion, puis le chapitre, puis l’université de Reims en corps, plus de cent curés et différents monastères firent des actes du même genre[59]. A la même époque, la Faculté de théologie de Nantes fit appel et le notifia au parlement de Bretagne. A cette nouvelle on vit des curés, des religieux affluer au Parlement ou chez les notaires royaux pour v faire recevoir leur, adhésion. Un prêtre vénéré de toute la ville M. de la Noé-Ménard, se fit porter à l’audience de la Faculté pour y déposer son appel[60]. Le diocèse de Rouen fut un de ceux où l’appel se propagea le plus rapidement ; ceux de Troyes, de Metz, de Toulon, de Tours suivirent de près. Les évêques d’Agen et de Condom, de Châlons-sur-Marne et de Saint-Malo adhérèrent, le 23 avril, à l’appel du cardinal de Noailles. Afin que ces actes ne fussent vus de qui que ce fût, le cardinal garda le registre dans son cabinet ce qui fit que personne n’avant vu l’acte, chacun en parla différemment. Allées et venuesLa conscience en repos depuis qu’il avait fait appel, Noailles se prêtait complaisamment à toutes les propositions d’accommodement. Elles renaissaient l’une après l’outre. Le maréchal d’Huxelles, qui venait de faire sourire toute la Cour en demandant à se retirer[61], conçut un projet qui lui parut admirable. Les évêques et cardinaux acceptants écriraient au Pape d’accepter le Corps de Doctrine et les évêques et le cardinal non-acceptants recevraient sur-le-champ la Constitution. En réalité on ne se faisait guère d’illusions sur les chances de succès de cette combinaison. A Rome, on ne se montrait pas moins ingénieux, le P. Lafitau s’était fait une spécialité d’aller d’un camp a l’autre parler sur la Bulle et sept cardinaux s’engageaient à réduire le Pape à l’inaction et au silence. C’était, trop visiblement, un marché de dupes, et le clergé du second ordre ainsi que le Tiers-Etat éprouvaient une si grande défiance à l’égard de Rome qu’on n'eût pu faire accepter rien de semblable[62]. Clément XI ne doutait pas cependant du prestige attaché à sa personne et, pour mieux faire passer cette proposition, écrivit de sa main au cardinal de Noailles une lettre toute débordante de tendresse et d’exhortations, à la manière italienne[63]. Cette lettre, arrivée le 22, fut lue le 25 avril, au Conseil de régence[64], qui décida que le cardinal répondrait sans prendre aucun engagement[65]. Réponse du cardinal au PapeCette réponse ne s’écartait pas des plus excellents modèles de la correspondance officielle : assurances de soumission, protestations de respect, citations adroitement enfilées de manière à devenir embarrassantes, on entendait parler tour a tour les Molinistes et leurs contradicteurs, la Sorbonne et le clergé de Paris défilaient en bel ordre, on rappelait que l’appel est de droit, qu’il est suspensif et nullement schismatique. Tout cela était présenté avec beaucoup de dignité, de modération, de justesse, tellement que !e maréchal d’Huxelles disait de cette lettre qu’« elle était épiscopale en diable[66] » (1er juillet). Ainsi donc après les projets, les conférences, les entrevues, les correspondances, on se retrouvait dans le même inextricable conflit. Le 8 juillet, une assemblée de Sorbonne autorisée par le Régent, sans que les vingt-deux Docteurs exclus eussent permission d’y rentrer, s’attendrissait sur les derniers moments du syndic Ravechet dont l’administration était approuvée par lettres testimoniales équivalant à une confirmation de l’appel du 5 mars[67]. Bissy et Rohan, qui sentaient le coup, se hâtaient de demander dans une réunion tenue au Palais-Royal que dans les diocèses où les évêques avaient reçu la Bulle le cierge eut obligation de s’en arranger. Le Régent et d’Huxelles approuvaient, lorsque Daguesseau demanda si la foi différait du diocèse d’Orléans au diocèse de Paris ? (10 juillet). Les deux cardinaux se désistèrent. Le lendemain, changeant de batteries ils se bornèrent à réclamer seulement une lettre du Régent, et l’obtinrent, de guerre lasse, après quatre heures de discussion (11 juillet) Noailles survenait de Conflans et récriminait contre la lettre dans laquelle, tout de suite, le Régent proposait de « mettre une tempérament », qu’il imposa au grand déplaisir des deux cardinaux constitutionnaires (13 juillet)[68]. Humeur du papeLa lettre de Noailles au Pape n’obtenait pas meilleur accueil, le juillet, Clément XI se trouvait de méchante humeur lorsque le cardinal de la Trémouille lui présenta cette réponse attendue. Le Pape souffrait de son asthme, avait mal dormi et ne voulait ni causer avec l’ambassadeur de France ni lire la lettre que celui-ci présentait. La Trémouille insista, le Pape lui dit que le paquet était fort gros et qu’il ne fallait pas un si gros volume pour dire que l’on acceptait la Constitution. A ce coup, le cardinal perdit patience, dit au Pape que s’il n’était pas satisfait, il devait l’être, que sa bulle avait bouleversé le royaume entier, que Noailles vint-il à manquer l’opposition tiendrait ferme. Le feu Roi avait compromis son autorité pour cette bulle, qu’il était temps que le Pape mit du sien pour rendre la paix aux consciences[69]. Sorti de l’audience, la Trémouille se rendit chez le cardinal Paulucci qui reçut la bordée sans riposter un seul mot. Nouveaux projetsPour le sortir de l’embarras où la lettre de Noailles plaçait Clément XI, celui-ci recourut une fois encore à un personnage qui jouissait auprès de lui d’une haute faveur, le père Lafitau, un de ces courtiers qu’on emploie en les méprisant et qu’on désavoue tout en les récompensant. On ignore l’époque précise à laquelle cet agent cessa d'appartenir nominalement à la Compagnie de Jésus, mais, avec ou sans le lien des vœux, Lafitau mettait toute son activité au service des Jésuites. Ceux-ci le chargèrent de persuader le Saint-Père que sa dignité ne pouvait admettre l'explication d'une bulle pontificale dressée par les évoques de France. S'y résigner c'était recevoir une leçon alors qu'il avait, seul, droit de la faire. En même temps, Lafitau exposait à d'Huxelles un nouveau projet d'accommodement ; le Saint-Père répondrait à Noailles en termes généraux que les vérités contenues dans sa lettre n'avaient souffert aucune atteinte dans la Bulle et qu'il condamnait tous les abus qu'on en avait fait. La Trémouille, séduit par l'artificieux Lafitau, adopta et transmit celle proposition qui parut trop vainc pour être prise en considération. Après cet échec en vint un autre : la conférence assemblée chez le cardinal de la Trémouille (7 août)[70] ; et pendant ces vaines tentatives l'appel gagnait des adhérents. A l'Officialité de Paris, la journée entière se passait à enregistrer les actes d'appel tant du diocèse de Paris que de celui de Beauvais et d'ailleurs. Il en allait de même dans toutes les provinces[71]. Nouveaux projets et violencesLe chancelier Daguesseau poussait le Régent à agir d’autorité, en donnant une Déclaration royale imposant silence aux partis mais il voulait auparavant qu’on envoyât a Rome un projet fort vif, assurant le Pape qu’on le publierait s’il n’acceptait pas les explications. Afin d'éviter de nouveaux délais, il fut arrêté qu’on ferait une Déclaration qui ne durerait que pendant le temps de la négociation. Le chancelier la rédigea et elle obtint l’approbation de Noailles, d’Huxelles, du Premier Président et des Gens du Roi. Un conseiller fit observer que cette Déclaration ne pourrait empêcher les assemblées d’évêques dans le royaume, qu’on signalait à Gaillon, à Dijon, à Soissons. Ces conciliabules detrois, quatre ou cinq évêques rédigeaient et expédiaient des mandements auxquels on ne pouvait reprocher la dissimulation. Un de ces projets de mandement adressé aux évêques du Languedoc proclamait la bulle Unigenitus règle de foi obligeant en conscience, l’Appel frivole, illégitime et nul, les Appelants et leurs adhérents excommuniés devant Dieu, les ecclésiastiques appelants frappés d’irrégularité majeure, les sacrements administrés par eux illicites et sacrilèges, et sacrilèges ceux qui les reçoivent[72]. Déclaration de silence forcéCe n’était pas ainsi qu’on pouvait espérer l’apaisement des esprits, aussi le chancelier n’en était que plus persuadé de l'efficacité du silence, et, le 18 octobre, il écrivait à tous les Premiers Présidents et leur annonçait l’envoi dune « Déclaration pacifique par laquelle le Roi a jugé à propos de suspendre toutes les disputes, contestations et différends qui se sont élevés dans le royaume au sujet de la dernière Constitution du Pape, jusqu’à ce que Sa Sainteté ait trouvé les moyens de rétablir une paix solide et durable dans l’Église... Ce serait avoir peu fait d’imposer un silence général et absolu... si les premiers magistrats ne veillaient à faire observer religieusement et inviolablement un silence si nécessaire... Vous ne devez donc souffrir dans votre ressort nul acte, nulle déclaration, nuls procès, nuls différends et contestations sur le sujet de la Constitution... J’ajouterai seulement sur ce qui regarde les libelles toujours réprouvés par eux-mêmes selon les règles de la police, mais qui porteraient un nouveau caractère de malignité... que votre Compagnie n’en saurait faire une justice trop rigoureuse[73] ». Intrigue clandestine de LafitauPendant que Daguesseau exposait ces raisons, D’Huxelles envoyait, par ordre du Régent, deux courriers à Rome avec ordre au cardinal de la Trémouille de déclarer au Pape que si Sa Sainteté n’expédiait pas les bulles des évoques nommés, avant le 1er janvier 1718, on prendrait en France les "mesures convenables. Et comme on avait peu de confiance dans le résultat de ces démarches, on mettait en mouvement les ressorts les plus vils de la diplomatie secrète : le P. Lafitau, il va sans dire, et le traitant Pléneuf, fugitif et sous le coup d’un mandat de prise de corps. La fille de Pléneuf, alors la maîtresse du duc de Bourbon, aboucha le Régent avec ces aigrefins. Lafitau tenait les fils des deux négociations, l’officielle et la clandestine, jouait la confiance de la Trémouille, de qui la candeur retournait vers l’enfance, et troublait la sérénité de Clément XI en lui laissant entrevoir quelque chose de sa négociation secrète. Mot après mot. et comme goutte à goutte, il parlait d’une lettre de d’Huxelles remplie de menaces pour la Cour de Rome en cas qu’elle voulût recourir à des censures contres les Parlements. Mais, ajouta-t-il, la Déclaration de silence obligatoire offrait un préliminaire favorable vers un accommodement. Intrigué, le Pape réclama plus de clarté. Alors Lafitau insinua la possibilité d’une approbation donnée aux explications concertées en France ; approbation suivie d’une acceptation relative de Noailles. A ce mot de relative le Pape dressa l'oreille, mais Lafitau allait toujours : Relative, mais sans qu'on le dît et tenant pour suffisant qu'on s'en aperçût. En France, on attendait tout du Pape, mais on ne serait pas ingrat envers lui et le retour de la paix religieuse lui vaudrait une marque solide de reconnaissance et une somme qui ne serait pas indigne de considération. Le mot était lâché ! Curieux, peut-être un peu narquois, le Pape demanda « à combien pourrait monter la somme ». Lafitau se garda d'être précis et de rien spécifier. Alors le Pape dit que pareilles choses ne pouvaient se faire à découvert afin d’éviter les voies officielles. Lafitau assura que ni la Trémouille ni d'Huxelles ne savaient rien et n'en auraient aucun soupçon. Clément répliqua qu'il ne s'en fierait qu'au Régent en personne et le tentateur reprit que le Français avec qui il avait engagé l'affaire n'avait pu, de son chef, former une telle entreprise, en sorte qu'il y avait lieu de croire que le Régent était le mobile de tout. Ceci rassura le Pape et ne parut pas lui déplaire[74]. L’appel de Noailles publié furtivementPendant que se poursuivait cette obscure négociation un évènement fortuit jetait le cardinal de Noailles dans un grand embarras Un des évêques qui avaient adhéré à son appel et en av reçu copie, l’évêque de Lectoure venait de mourir ; la copie trouve dans ses papiers fut imprimée sur le champ. Averti, Noailles envoya chez le Lieutenant de Police réclamer des perquisitions immédiates (16 novembre) qui n’aboutirent pas. Trois jours plus tard l’appel fut répandu dans le public[75]. On apprit bientôt que des gens en carrosse et d’autres à pied l’avaient distribué dans tout Paris et avec tant de hardiesse que celui qui le porta a la princesse de Conti interrogé de quelle part, il apportât ce paquet, répondit : « De la part de Dieu[76]. » Il fallait maintenant supprimer l’écrit sans qu’on put induire que l’appel était supprimé, et les Gens du Roi rédigèrent l’arrêt[77] sans consulter le cardinal qui, de dépit s’alla cacher à Conflans[78], d’où il se mit à écrire au Régent, au chancelier, à l’avocat général et l’affaire se termina péniblement. Au reste, le chancelier n’était pas moins mortifié depuis qu’il avait pu lire la Déclaration royale du 7 octobre sur le silence imposé — son œuvre — publiée en parallèle avec une ancienne ordonnance de l’empereur Constance, le Type, où ce prince hérétique faisait défense aux catholiques d’écrire et de parler de la secte monothélite[79]. Et pour qu’aucune déconvenue ne manquât, le coche débarqua un matin d’octobre l’abbé Chevalier et le P. de la Borde qui, pendant dix mois de séjour à Rome, n’avaient pu obtenir d’approcher du Pape[80]. Ce fut l’évêque de Nîmes qui paya pour tout le monde. Le 22 novembre, d’Armenonville vint lui conseiller de regagner son diocèse, l’évêque résista, son visiteur tira une lettre de cachet et M. de la Parisière ramassa six cents francs d’argent et se mit en route[81]. Ce fut tout le fruit retiré de sa propagande à l’étranger en faveur de la Bulle. L’opinion publiqueLes évêques appelants ne formaient qu’une escouade en face du bataillon compact des constitutionnaires ; quinze, à peine, contre cent. Le bataillon était manœuvré par les Jésuites ; l’escouade entraînait après elle toute la nation. Tous s’en mêlaient ; non seulement docteurs en Sorbonne, curés ou vicaires, religieux, parlementaires, mais encore chanoines et abbés, moniales et « bonnes sœurs », et jusqu’au menu fretin des sacristies, suisses et huissiers, bedeaux et chaisières, toute la gent sordide et rapace qui vit des rognures du sanctuaire. Les laïques prenaient parti, s’affichaient, portaient à l’épée des nœuds de rubans — blanc, rouge et jaune, à la Régence —, noir et rouge à la Constitution ; ou bien dégainaient dans le lieu saint et défendaient la bulle l’épée à la main[82]. La conviction y était chez un grand nombre pour quelque chose, chez beaucoup d’autres, la mode, l’engouement suffisaient à tout et justifiaient tout ; ceux enfin qui voyaient de près tout ce qui s’agitait, tout ce qui grouillait derrière ces grands moisit ces phrases pompeuses qu’on se jetait à la tête d’un parti à l’autre parti pour s’étourdir plus que pour se convaincre, ceux-là étaient sceptiques sur les principes comme sur les individus. En opposant sa signature au bas d’une liste de bénéfices le Régent disait : « J’ai tout donné à la grâce et rien au mérite[83] ! » Et il ne manquait pas de gens pour penser et parler comme lui. Un esprit malicieux adressait au Conseil de conscience requête en forme tendant à la reconstruction du monastère de Port-Royal-des-Champs aux dépens des Jésuites[84]. Les libellesLe Régent se plaignait « de la licence des écrits sans nombre » répandus dans le royaume, rappelait les lois relatives à la librairie et l’obligation de soumettre tout écrit à la censure, de plus il enjoignait aux Parlements de poursuivre et punir tous auteurs de « livres, libelles ou mémoires » ayant trait aux controverses religieuses. Or sa lettre du 13 juillet aux évêques avait été publiée avec une « petite histoire au bas » qui en dénaturait la signification[85]. Deux jours plus tard paraissait un mémoire de 195 pages, sans nom d’imprimeur, réfutant le mémoire des quatre évêques appelants[86]. On y annonçait un Examen de l'appel, pendant que l’Université faisait imprimer un mémoire en réponse au mémoire de vingt-huit prélats ; « excellent ouvrage, nous dit Mathieu Marais, où on a recueilli tout ce qui est à la gloire de l’Université et ce qu’elle a fait pour l’épiscopat et contre les jésuites et les ordres religieux[87] ». A quelques jours de là paraît «un gros recueil in-4° de toutes les lettres écrites par les curés de la ville et du diocèse de Paris au sujet de la Constitution[88] ». C’était comme un feu croisé continuel et qui ne laissait pas que d’alarmer ceux qui se trouvaient visés et atteints. L’écrit qui mettait en parallèle la Déclaration du 7 octobre et le Type sur l’affaire du Monothélisme fut revendiqué par les deux partis, non pas réconciliés mais tombant d’accord pour nuire au gouvernement[89]. Brûlé par la main du bourreau, cet écrit n’inclina pas les auteurs vers la modération et les magistrats n’en eurent pas moins d’occasions de requérir[90]. Ils arguaient de la Déclaration du 7 octobre et nonobstant la Déclaration, on parlait, on écrivait, on protestait. L’évêque d’Apt lançait un Appel du Roi mineur au Roi majeur de la Déclaration du 7 octobre[91]. Les vues du duc de Saint-SimonC’était à ce résultat qu’on avait abouti. Dédaigneux de ces contestations, le Régent avait pensé d’abord les voir s’éteindre faute d’aliment ; son indulgence et son indifférence n’avaient pas produit ce résultat. La Sorbonne, les Appelants et Noailles avaient soufflé sur la braise, mais le prince ne s’était pas moins laissé convaincre « que le très grand nombre était pour la bulle et qu’il n’y avait qu’une poignée du parti opposé ». Décidé de tirer l’affaire au clair, il emmena un soir dans sa loge, à l’Opéra, le duc de Saint-Simon et le mit sur ce sujet. Saint-Simon vida son fiel sans ménagement pour personne, fit voir que « le gros de la Cour, du clergé, du monde, du public par tout le royaume » était appelant ; bien plus, ce parti avait pour lui, avec le nombre, l’illustration. Dans ce camp on rencontrait les évêques les plus savants et les plus pieux des abbés « de ce second ordre qui ne prétendait à rien et qui ne vendait point sa doctrine et sa foi », les magistrats, les docteurs, les maîtres de la jeunesse, en un mot tout ce qui comptait et tout ce avec quoi il fallait compter. Catholique pratiquant, Saint-Simon mit le prince en garde contre l’esprit de domination de la Cour romaine avec la même âpreté qu’il eut dénoncé l’esprit d’envahissement de la bourgeoisie française. D’abord cette Cour n’avait fait qu’insinuer la poursuite d’un livre dangereux, on l’avait laissée le condamner ; maintenant, le livre était oublié et il ne s’agissait de rien moins que de « faire recevoir, signer, croire et juger comme article de foi » tout ce que contenait la Bulle. Si on cédait une fois de plus, il en serait désormais de la France comme il en était du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, asservis au Saint-Siège. Si on résistait il fallait encourager les appels, intimider le nonce, avertir les Jésuites d’un mot sec, prélude de la menace qui les ferait rentrer sous terre[92]. L’affaire des bullesSaint-Simon avait eu son mot à dire dans une autre affaire qui occupa longtemps les esprits. Le second jansénisme, sorti de la condamnation du livre des Réflexions morales fut bien loin d’égaler celui auquel donna naissance la condamnation de l’Augustinus ; les lutteurs n’étaient plus des athlètes de la taille et de la vigueur d'Arnauld, les hommes avaient dégénéré, les idées étaient rapetissées, l’opiniâtreté sans talent tenait lieu de la conviction sans faiblesse. La Sorbonne et les jansénistes d’une part, Rome et les Jésuites, d’autre part ne ménageaient plus rien ni personne. Inspiré par le nonce à Paris, Bentivoglio, prélat licencieux marqué du doigt par les honnêtes gens, le pape Clément XI crut découvrir le moyen de triompher des adversaires de la Bulle ; en conséquence il ordonna de suspendre les expéditions de la Daterie. Au mois d’avril 1716, le nonce reçut plusieurs bulles pour les évêques et autres bénéficiaires nommés, avec ordre de ne les point délivrer qu’après avoir signé une espèce de formulaire ou d’engagement à recevoir la Constitution. Le Régent l’invita à persuader le Pape de prendre une voie plus pacifique[93]. Douze sièges se trouvaient vacants et seraient privés de pasteurs aussi longtemps que ceux-ci ne consentiraient à passer un examen doctrinal par devant Bentivoglio. Cette prétention surprit les uns, indigna les autres. Le procureur général et le Régent lui-même avertirent le nonce que si le Pape maintenait son exigence, le gouvernement prendrait ses mesures pour faire sacrer les évêques et les introniser[94]. Cette menace ne fut pas prise au sérieux, alors le Régent envoya un courrier à Rome, avec ordre au cardinal de La Trémouille de déclarer au Pape que si, par le retour du même courrier, on apprenait que Clément XI ne se relâchait pas de son refus d’accorder les bulles, on s’en passerait et le concile national y pourvoirait[95]. Les canonistes et les historiens se mirent en campagne ; ils rappelèrent la consultation adressée dans une circonstance analogue par le roi Jean IV aux universités du Portugal et à l’Assemblée du clergé de France qui opinèrent que les bulles refusées sans bon motif cessaient d'être nécessaires, ils citèrent le réquisitoire donné en 1688 par l’avocat-général Talon qui soutient que le métropolitain possède les pouvoirs suffisants pour l’institution de ses suffragants. Dans un assaut de citations, la Cour romaine avait peu de chose à redouter, elle soutint le parti qu’elle avait pris ; il y eut dès lors une « affaire des bulles » qui ajouta une difficulté à toutes celles que tirait avec elle l’affaire de la Bulle. Cela dura environ deux années jusqu’à ce que au mois de mai 1718 le Régent déclarât au Conseil « qu’il fallait pourvoir à la dureté de la Cour de Rome ; que, puisqu’elle s’opiniâtrait depuis si longtemps contre la loi réciproque du Concordat, il fallait chercher et trouver le moyen de se passer delle là-dessus ; qu’il était d’avis d’établir un bureau de personnes capables de faire les recherches nécessaires à cet effet, d’en rendre compte au Conseil de Régence le plus tôt qu’il serait possible, et aussitôt après st servir de la voie qui aurait été reconnue pour faire sacrer tous les évêques nommés[96]. » Le Conseil applaudit d’une voix, sauf l’ancien évêque de Troyes qui approuva d’un coup de tête. Tout de suite le Régent proposa les noms de cinq commissaires : le maréchal d’Huxelles, inspirateur de la démarche[97], le maréchal de Villeroy, le duc d’Antin, le marquis de Torcy et le duc de Saint-Simon, président et qui serait rapporteur au Conseil de Régence. Pour étoffer la compétence de ces personnages on leur donnait Ellies du Pin et Petitpied, théologiens de Sorbonne, l’abbé Pucelle et Mainguy conseillers de Grand’Chambre, Arrault et Nouet avocats au Parlement[98]. Saint-Simon, complètement dépaysé, pensa s’instruire à fond en consultant Petitpied et l’abbé Hennequin ; mais je n’eus pas le temps, dit-il, de me rendre bien habile ni de tenir un seul bureau. Rome en prit une telle frayeur que sans balancer, le Pape manda le cardinal de La Trémouille, à qui le Régent avait défendu de prendre les bulles de Cambrai, sans que les autres nommés eussent les leurs en même temps. Le Pape sans perdre de temps en plaintes superflues, déclara qu’il accordait toutes les bulles et de le faire savoir à Paris par un courrier spécial. Les bulles furent expédiées incontinent après et pendant quelques jours, on n’entendit parler à Paris que de sacres d’évêques. Il y avait trois archevêques, une douzaine d’évêchés à pourvoir et une coadjutorerie[99]. Cette capitulation réjouit et affermit tous ceux que les exigences ultramontaines rendaient partisans des libertés gallicanes. La commission avait été instituée le 5 mai et, le 28, les bulles étaient à Paris ; les appelants pensèrent découvrir dans l’inspiration de cet empressement quelque chose de cette condescendance italienne qu'on nomme, en France, la peur. Disgrâce de DaguesseauSaint-Simon ne doutait pas qu’à défaut d’une compétence universelle, à laquelle il ne prétendait pas, son dévouement, ses services, sa franchise et ses lumières ne donnassent grand poids à son opinion sur l’esprit du Régent. Le chancelier Daguesseau avait eu la même illusion dans ses rapports avec le prince qui ne tenait aucun compte de ce que les plus honnêtes gens lui pouvaient dire. Un an à peine après avoir reçu les sceaux, le 28 janvier 1718, Daguesseau était exilé à Fresne et remplacé par d’Argenson. Dans la matinée, le cardinal vint au Palais-Royal pour son audience du vendredi et s’entendit dire que, désormais, le prince lui-même serait son défenseur dans l’affaire de la Constitution. Saint-Simon crut devoir, lui aussi, rassurer le cardinal, mais le public n’ignorait pas ce que la disgrâce de Daguesseau signifiait ; s’il avait pu s’y méprendre, un tout petit fait l’eut instruit : à l’occasion de cet événement les Jésuites donnèrent à leurs écoliers un jour de congé[100]. Le décret du 19 févrierCe ne fut pas en France seulement que les Constitutionnaires mariés se réjouirent, à Rome ils pensèrent avoir gain de cause et ne gardèrent plus aucun ménagement. Rohan et Bissy représentaient la disgrâce de Daguesseau comme un sujet de triomphe pour eux. Le 8 mars sans que personne s’y attendît, on vit paraître un décret de l’Inquisition daté du 19 février, condamnant l’appel des quatre, évêques, celui de Noailles et tous les appels émis en France par les Facultés et par les individus. Quand ce décret arriva en France, le maréchal d’Huxelles comprit enfin que le cardinal de La Trémouille avait été dupé par le pape et lui, Huxelles, dupé par Lafitau. Il s’indigna, trouva un écho dans le Régent qui promit à Noailles de faire rendre un arrêt contre le décret dès le lundi suivant et ensuite par tous les Parlements du royaume. Noailles consentit à n’agir qu’après tous les Parlements. Le Conseil de ne fut pas moins irrité et, finalement, le Régent retourna le décret à la Cour romaine sans s’être donné la peine d’ouvrir le paquet[101]. Tous les Parlements, chacun dans son ressort, rendirent des arrêts qui supprimaient le décret[102]. La lettre du 8 septembreSix mois se passèrent en chicanes, si mesquines que l’histoire n’y rencontre rien qui vaille d’être retenu. Le 8 septembre, Clément XI publia une lettre adressée à tous les fidèles « de quelque état, degré, ordre ou condition qu’ils fussent », exigeant de chacun, sous peine d’excommunication, une obéissance entière et sans réserve à la Constitution Unigenitus ; cette nouvelle pièce fut désignée sous le nom de Pastoralis officii. Les Parlements la condamnèrent[103] l’accusant de tendre à introduire en France la doctrine de l’infaillibilité. L’appel du cardinalLe 16 septembre, le duc d’Orléans accorda dans la matinée au cardinal de Noailles son audience hebdomadaire. Déjà courait dans Paris la copie de la lettre Pastoralis officii qui « met, dit Dangeau, un grand mouvement dans les deux partis du clergé[104]. » Dans la conversation, le cardinal dit au Régent qu’il ne pouvait s’empêcher de rendre public son appel au pape mieux informé ou au futur concile général[105], ce que le Régent ne parut pas désapprouver ; il dit seulement qu’il ne croyait pas devoir entrer dans cet appel. Alors le cardinal tira sa commission de président du Conseil de Conscience et le pria de vouloir bien la reprendre, ce qu’il refusa gracieusement ; mais le cardinal insista, représentant que cela le détournerait des fonctions de son archevêché et que cela d’ailleurs lui paraissait fort inutile, et enfin le persuada de la reprendre, ce qui fut fait[106]. » Et l’adhésion du ChapitreLe 21, l’abbé de Gontaut, doyen de l’Église métropolitaine de Paris, proposa au sortir du chœur, aux chanoines présents la convocation d’un chapitre extraordinaire pour le vendredi 23, à dix heures du matin. Les invitations portaient qu’on délibérerait sur une affaire de la dernière importance. Le 23, le chapitre rassemblé comptait vingt-neuf chanoines. L’abbé de Montmort, chambrier, rendit compte du motif de la convocation, qui était l’appel du cardinal dont il donna lecture, à la suite de laquelle on ouvrit la délibération. L’abbé Dorsanne, chantre, auquel en cette qualité il appartenait d’opiner en premier lieu, fit un beau discours et adhéra à l’appel. Il fut suivi par vingt-sept capitulants, un seul, M. de Mondebise[107] se déroba derrière la Déclaration du 7 octobre. Le Chapitre opina sur son opposition — car il s’opposait à la délibération — et décida à la pluralité de n’y avoir aucun égard. Sur le champ, une députation de douze chanoines dont dix prêtres, trois diacres et trois sous-diacres fut envoyée rendre compte au Cardinal[108]. L'appel fut affiché le samedi 24 partout, publié le dimanche à tous les prônes dans toutes les paroisses exceptent celles de Saint-Sulpice, de Saint-Nicolas du Chardonneret, de Saint-Paul-Saint-Louis. Au sortir de la grand'messe, les nouvellistes faisaient les importants. Entre autres choses ils annonçaient « que tous les conseils étaient anéantis..., même celui de Conscience[109] ». |
[1] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 494 ; 20 novembre 1716.
[2] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 494 ; 21 novembre 1716.
[3] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 496 ; 24 novembre 1716.
[4] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 162.
[5] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 501, 502 ; 4 et 6 décembre 1716 ; Dorsanne, Journal, t. I, p. 304-305.
[6] Le 6 décembre ; Buvat, Journal, t. I, p. 235.
[7] Dorsanne, Journal, t. I, p. 306 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 165 ; Dangeau, t. XVI, p. 503 ; 9 décembre 1716.
[8] Dorsanne, Journal, t. I, p. 307-309 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 167-173.
[9] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 174.
[10] Buvat, Journal, t. I, p. 236, 241 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 510 ; 21 décembre 1716 ; Dorsanne, Journal, t. I, p. 310 ; Villefore, op. cit., t. II, p. 198.
[11] Buvat, Journal, t. I, p. 237.
[12] Dorsanne, Journal, t. I, p. 509 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 178.
[13] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 510 ; 21 décembre 1716.
[14] Buvat, Journal, t. I, p. 180, 239 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 511 ; 26 décembre ; Villefore, Anecdotes, t. I, p. 179.
[15] Buvat, Journal, t. I, p. 238-289 ; janvier 1717.
[16] Buvat, Journal, t. I, p. 240. Tout ceci a été ignoré par V. Durand. Le jansénisme au XVIIIe siècle et Joachim Colbert, évêque de Montpellier, in-8°, Toulouse, 1907 ; Gazette de la Régence, p. 140 ; 25 janvier 1717.
[17] Dorsanne, Journal, t. I, p. 311 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 180-181 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 2-3 ; 3 janvier 1717.
[18] Villefore, Anecdotes, t. I,
p. 181.
[19] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 6 ; 5 et 6 janvier 1717 ; Buvat, Journal, t. I, p. 240, 241.
[20] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 7 ; 9 janvier 1717.
[21] Buvat, Journal, t. I, p. 241 ; 12 janvier 1717 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 203, 206.
[22] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 9 ; 12 janvier 1717.
[23] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 8 ; 11 janvier 1717.
[24] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 9, 10, 11 ; 13, 15, 18, 20 janvier 1717.
[25] Gazette de la Régence, p. 136 ; 22 janvier 1717, rapporte ce qui s’est passé le 18.
[26] Buvat, Journal, t. I, p. 241 ; 18 janvier 1717.
[27] Buvat, Journal, t. I, p. 241-242 ; Picot, op. cit., 3e édit., t. II, p. 11, note 1.
[28] Gazette de la Régence, p. 138 ; 25 janvier 1717.
[29] Gazette, p. 144 : 5 février ; p. 147 : 8 février ; Buvat, Journal, t. I, p. 245 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 14, Additions de Saint-Simon, t. XVII, p. 15 ; le serment prêté seulement le lendemain, Dangeau, Journal, t. XVII, p. 17 ; Gazette, p. 146.
[30] Gazette, p. 146 ; 5 février 1717.
[31] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 184 ; 5 février ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 17 ; 5 février 1717.
[32] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 184-196.
[33] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 196 ; 20 février.
[34] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 197.
[35] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 32 ; 26 février 1717.
[36] Buvat, Journal, t. II, p. 253 ; 26 février 1717.
[37] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 208-210 ; Dorsanne, Journal, t. I, p. 323 ; Buvat, Journal, t. I, p. 256-257 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 37 ; 5 mars 1717.
[38] C. Baloche, Église Saint-Merry de Paris. Histoire de la paroisse et de la collégiale (700-1910), in-8°, Paris, s. d. [1911], t. I, p. 432-449, a ignoré cet incident.
[39] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 37 ; 5 mars.
[40] Instruction pastorale de l’évêque de Senez, dans laquelle il rend son clergé et son peuple dépositaires de ses derniers sentiments sur les contestations qui agitent l'Eglise, 1727.
[41] Dorsanne, Journal, t. I, p. 324 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 213 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 37 ; 5 mars.
[42] Dorsanne, Journal, t. I, p. 323 ; remplacé par l’abbé Quinaut, Dangeau, op. cit., t. XVII, p. 41, 11 mars 1717, l’abbé Ravechet mourut le 24 avril, à Rennes, chez les Bénédictins en allant à Saint-Brieuc qui lui était désigné pour lieu d’exil ; Buvat, Journal, t. I, p. 263 ; voir Dangeau, op. cit., t. XVII, p. 38, 39 ; Dorsanne, p. 331.
[43] Dorsanne, Journal, t. I, p. 324 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 214.
[44] Il y resta près d’un mois, Dorsanne, Journal, t. I, p. 324 : Gazette de la Régence, p. 160 ; 5 avril 1717.
[45] Dorsanne, Journal, t. I, p. 324.
[46] Dorsanne, Journal, t. I, p. 324 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 39 ; 7 mars ; Gazette de la Régence, p. 156 ; 26 mars.
[47] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 40 ; 8 mars 1717.
[48] J. Pargoire, L'Eglise byzantine de 527 à 847, in-12, Paris 1905, p. 55-56.
[49] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 40 ; 8 mars 1717.
[50] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 216.
[51] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 41 ; 10 mars 1717.
[52] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 221.
[53] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 221 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 42 ; 13 mars 1717.
[54] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 223 ; Gazette, p. 156 ; 16 mars 1717.
[55] Gazette, p. 160 ; 5 avril 1717.
[56] J. Buvat, Journal, t. I, p.
267.
[57] Dorsanne, Journal, t. I, p. 328 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 225 ; Buvat, Journal, t. I, p. 259.
[58] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 229.
[59] Relation des délibérations de la Faculté de théologie de Reims au sujet de l’acceptation de la bulle Unigenitus, in-12, 1715 ; Lettre d’un théologien catholique aux docteurs de Reims sur le mémoire que ces messieurs ont présenté à Mgr le duc Régent au sujet de la signature du Formulaire, in-12, [1716]. Actes principaux, faits dans l’archevêché de Reims au sujet de la Constitution Unigenitus. — Acte d’appel de la Faculté de théologie. — Lettre de ladite Faculté aux quatre évêques appelants. — Décret de l’Université. Ordonnance de... l’archevêque du 20 mars 1717. — Protestation de la Faculté de théologie contre ladite ordonnance, in-12, 1717 ; Buvat, Journal, t. I, p. 203.
[60] Vie de M. de la Noé-Ménard, prêtre du diocèse de Nantes, avec l’exposé de son culte et les relations des miracles opérée à son tombeau, Bruxelles 1734.
[61] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 44 ; 15 mars 1718 ; Gazette de la Régence, p. 158 ; 25 mars 1718.
[62] Gazette, p. 163 ; 12 avril 1718.
[63] Dorsanne, Journal, t. I, p. 336 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 243.
[64] Buvat, Journal, t. I, p. 264-265 ; Gazette, p. 169-170.
[65] Dorsanne, Journal, t. I, p. 337.
[66] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 261.
[67] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 289-270 ; Buvat, Journal.
[68] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 269-275 ; Buvat, Journal, t. I, p. 97 ; Journal, t. I, p. 217.
[69] Dorsanne, Journal, t. I, p. 347 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 276.
[70] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 283.
[71] Buvat, Journal, t. I, p.
295.
[72] Dorsanne, Journal, t. I, p. 356 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 290-293.
[73] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 304-306 ; Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, t. XXI, p. 150.
[74] Dorsanne, Journal, t. 1, p. 364-365 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 314-315.
[75] M. Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, 27 décembre 1717, dans Les Correspondants de la Marquise de Balleroy, t. I, p. 235. Acte d'appel de S. E. Mgr. le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, du 3 avril 1717, au Pape mieux conseillé et au futur Concile général de la Constitution de N. S. P.... du 8 septembre 1713, et de tout ce qui s’en est suivi et pourra s’en suivre.
[76] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 318-319.
[77] Buvat, Journal, t. I, p.
309.
[78] Buvat, Journal, t. I, p. 309
; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 319.
[79] Buvat, Journal, t. I, p. 309. Arrêt du Parlement de Paris, du 2 décembre 1717 condamnant au feu un imprimé à deux colonnes contenant, l’une : la Déclaration du 7 octobre 1717 ; l’autre une traduction en français du Type de l’empereur Constant.
[80] Buvat, Journal, t. I, p. 308 ; Dorsanne, Journal, t. I, p. 360.
[81] Buvat, Journal, t. I, p. 307 ; Villefore, Anecdotes, t. II, p. 299.
[82] Gazettes à la main, année 1717.
[83] Mouffle d’Angerville, Vie privée de Louis XV, in-12, Londres 1784, t. I, p. 21.
[84] Lenglet-Dufresnoy, Mémoires sur la Régence, 1737, t. I, p. 231.
[85] M. Marais, Journal et Mémoires, 1863, t. I, p. 217 ; Mémoires de la Régence, t. I, p. 390.
[86] Dissertation sur l’appel interjeté de la constitution Unigenitus au concile général, par l’abbé Leroy, in-12, Paris, 1717.
[87] M. Marais, Journal, t. I, p. 218.
[88] Le témoignage de MM. les Curés, etc., et membres du clergé séculier et régulier, in-4°, Paris, 1717.
[89] Villefore, Anecdotes, t. II, p. 335 ; Le nouveau Mercure, décembre 1717, p. 195-197.
[90] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 336.
[91] Arrêt du Parlement de Provence, du 20 décembre 1718 condamnant l'Acte d’appel interjeté du Roi mineur au Roi majeur de la Déclaration du 7 octobre 1717.
[92] Saint-Simon, Mémoires, édit Chéruel et Régnier, t. XIII, p. 346-350, Dangeau, Journal, t. XVII, p. 389-392, Additions de Saint-Simon.
[93] Buvat, Journal, t. I, p. 137.
[94] Gazette de la Régence, p. 79-80 ; 18 mai 1716 ; Buvat, Journal, t. I, p. 145.
[95] Buvat, Journal, t. I, p. 196 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 8 ; 11 janvier 1717.
[96] Saint-Simon, Mémoires, t. XV, p. 334 ; Dangeau, Journal, t. XVII, p. 302 : 5 mai 1717.
[97] Gazette de la Régence, p. 254.
[98] Buvat, Journal, t. I, p. 319 ; Gazette de la Régence, p. 255.
[99] Dangeau, Journal, t. XVII, p. 316 ; 28 mai 1718.
[100] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 362.
[101] Arrêt du Parlement de Paris, du 28 mars 1718 supprimant un décret de l’Inquisition de Rome du 15 février 1718 portant condamnation : 1° de l’écrit intitulé : Acte d'appel interjeté le 1ermars 1717 par les évêques de Mirepoix, de Senez, de Montpellier et de Boulogne au futur concile général... et 2° de l’écrit intitulé : Acte d'appel de S. E. le Cardinal de Noailles, archevêque de Paris, du 3 avril 1717 au pape mieux conseillé et au futur concile général...
[102] Villefore, Anecdotes, t. II,
p. 386.
[103] Arrêt du Parlement de Paris du 3 octobre 1718 appelant d’abus un décret (la lettre Pastoralis officii). Arrêts des Parlements de Rouen (13 octobre), d’Aix (21 octobre), de Metz (25 octobre), de Grenoble (26 octobre), de Rennes (4 novembre), de Bordeaux (15 novembre), de Toulouse (3 décembre).
[104] Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 384 ; 16 septembre 1718.
[105] Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 388 ; 23 septembre 1718.
[106] M. à Mme de Balleroy, 24septembre 1718, op. cit., t. I, p. 357.
[107] Ibid., p. 359 : « un seul moliniste s’y trouva qui s'appelle Judas de Mont-Bize. »
[108] Dangeau, Journal, t. XVIII, p. 388-389.
[109] M. à Mme de Balleroy, 25 septembre, op. cit., t. I, p. 359-360.