LES grandes Annales ont existé sans doute, mais elles ne s'étaient pas conservées, du moins pour les quatre premiers siècles de Rome : telle est l'objection que présente avec beaucoup d'esprit et d'art un de nos prédécesseurs, M. de Pouilly, dans sa célèbre dissertation sur l'Incertitude des quatre premiers siècles de l'histoire romaine[1]. Quoique l'abbé Sellier[2] lui eût répondu dès lors par des preuves qu'un grand critique, Fréret, a déclarées invincibles[3], Beaufort, Lévesque, et d'autres après eux, ont renouvelé la controverse. Ont-ils donc trouvé des arguments nouveaux ? Je ne le crois pas ; car, dans les textes et les monuments omis par l'ancienne discussion, ou découverts depuis, je rencontre plutôt de nouvelles preuves pour l'antiquité et la durée des Annales. M. de Pouilly rapproche habilement trois passages qu'il
emprunte, je pense, comme tant d'autres l'ont fait après lui, de Jacques
Perizonius[4],
et qui lui semblent prouver que les Annales avaient péri. Le premier est de
Tite-Live, qui regrette en ces termes les documents historiques dont la prise
de Rome par les Gaulois priva la postérité : Jusqu'ici,
dit-il en commençant son sixième livre, notre
histoire est obscure. D'abord, on écrivait peu ; ensuite les souvenirs
qu'avaient pu conserver les mémoires des pontifes, et les autres monuments
publics ou particuliers, ont presque tous péri dans l'incendie de Rome[5]. Les deux autres
textes sont de Plutarque, l'un dans sa Vie de Numa[6] : On est loin
de s'accorder sur le temps où a vécu Numa, quoique les généalogies paraissent
remonter régulièrement jusqu'à lui ; mais un certain Clodius, dans son Examen des temps, affirme
que ces anciennes tables ont disparu quand les Gaulois détruisirent Rome, et
que celles qu'on possède aujourd'hui ont été supposées par des flatteurs qui
voulaient plaire à quelques familles. L'autre phrase est à la fin de
la déclamation sur la Fortune des Romains : Mais pourquoi s'arrêter à des faits qui n'ont rien de
clair ni d'assuré, les affaires des Romains ayant été alors ruinées, et leurs
mémoires historiques confondus, comme l'a écrit Tite-Live ?[7] Le premier passage de Plutarque ne se rapporte qu'aux tables généalogiques, στέμματα, c'est le mot qu'il emploie ; et quel que soit ce Clodius, soit Claudius Quadrigarius, dont les Annales en effet ne dataient que de la prise de Rome ; soit Clodius Licinus, indiqué une fois par Tite-Live[8] ; soit Sextus Clodius, dont Arnobe[9] et Lactance[10] citent un ouvrage grec sur les dieux ; soit le Clodius qui traduisit en grec les Annales d'Acilius Glabrion ; soit un Claudius Paulus nommé par Appien[11] ; soit enfin un Clodius, scriba commentariorum, que Servius a cité plusieurs fois[12], ce que Plutarque dit ici s'accorde avec d'autres témoignages des Romains eux-mêmes[13] sur ces fausses généalogies conservées dans les familles, et qui souvent dénaturèrent les récits de l'histoire. La pensée de Plutarque ne va pas plus loin, et il ne pouvait sans doute, en commençant à écrire la vie de cet ancien roi, regarder comme anéantis ou comme faux tous les antres monuments des premiers âges de Rome ; car on lui aurait demandé alors de quel droit, sans aucun mémoire, sans aucune trace du passé, il se faisait l'historien de Romulus et de Numa. Clodius assure, dit M. de Pouilly[14], qu'on n'avait point d'Annales faites avant l'irruption des Gaulois, et que celles qui portaient le nom des prêtres ou des magistrats de l'ancienne Rome étaient des ouvrages supposés. Il n'y a pas un mot de cela dans le texte où Plutarque allègue Clodius ; Clodius et Plutarque ne parlent que des tables généalogiques. En examinant avec attention les deux mémoires de M. de Pouilly, on trouverait peut-être que cet ingénieux défenseur d'un scepticisme facile a écrit sur ces matières avec plus de légèreté encore que d'esprit. A. quelque choix que l'on s'arrête entre les divers Clodius, tous les historiens de ce nom qui peuvent avoir été consultés par Plutarque sont probablement antérieurs à Tite-Live ; car on n'eût pas dit de l'empereur Claude, Κλώδιός τις. Le second passage de Plutarque lui-même, ou de celui qui a pris son nom, n'est qu'une traduction de la phrase de Tite-Live, et il en avertit, ώς Λίβιος ίστόρηκε. Si donc par hasard Tite-Live, qui a composé loin de Rome, d'après les livres seulement, là première décade de son ouvrage, n'a fait ici, comme le pense l'abbé Sallier, que transcrire ce Clodius lès trois témoignages dont M. de Pouilly appuyait son opinion, Clodius, Tite-Live et Plutarque ; ces trois témoignages qu'il croyait pouvoir opposer à ceux de Cicéron, Denys d'Halicarnasse et Diodore (il n'en connaissait ou n'en citait point d'autres), se réduisent à un seul, Clodius ; ou plutôt il n'y a plus un seul témoignage ancien de la perte des Annales, puisque ce vieil historien ne parlait que des généalogies alors détruites par l'incendie de Rome, et remplacées depuis par la vanité des familles. Le sens du texte grec n'est point douteux ; Liebmann[15] ne s'y est pas trompé. Cette observation, indiquée déjà par Sellier, et répétée par Hooke et par Christophe Sax- dans leur réfutation de Beaufort, est de quelque importance ; car c'est en continuant d'alléguer ce texte mal compris, que plusieurs critiques de notre temps ont persisté à prétendre que des écrivains qui voulaient flatter les grandes familles, des Grecs surtout, avaient été les inventeurs de l'histoire romaine. Mais je ne veux point croire que Tite-Live, sur un point si intéressant pour son grand ouvrage, ne se soit exprimé que d'après un autre, encore avec si peu de fidélité ; et j'accepte ce témoignage comme le sien. Or, quoiqu'il ne suppose pas que tous les monuments historiques eussent été alois anéantis, et qu'il dise seulement pleraque, je crains qu'il n'ait trop dit, et que ce ne soit là qu'un prétexte, non pas imaginé, mais trop facilement saisi par l'élégant écrivain, pour négliger l'étude sèche et pénible des Annales des pontifes, comme il a négligé tant d'autres documents de tout genre qui avaient été certainement conservés jusqu'à lui. Voici plusieurs de ces documents, qui ne paraitraient pas indignes aujourd'hui de l'attention d'un historien,. Je laisse quelques traditions populaires et puériles sans doute, mais, longtemps respectées : si Tite-Live a rappelé le figuier ruminal[16] que l'on montrait encore dans le comitium, et qui reprit, un demi-siècle après[17], une jeunesse nouvelle ; s'il a rappelé le poteau de la sœur, que l'on continuait de renouveler sous ses yeux[18], en mémoire de la sœur d'Horace, et que Festus désigne par le même mot que lui, sororium tigillum, il a dédaigné d'autres reliques non moins singulières de l'histoire ou de la crédulité nationale, telles que la cabane de Romulus, qu'il pouvait voir en allant au grand Cirque, non loin du Tibre, au détour du mont Palatin[19] ; telles que la quenouille et le fuseau de Tanaquil, que Varron vit encore dans le temple de Sancus[20] ; telles que ces deux robes prétextes dont Servius Tullius avait revêtu la statue de la Fortune, et qui durèrent, selon. Pline[21], jusqu'à la mort de Séjan. Je laisse quelques grands ouvrages de la puissance et de l'art : si Tite-Live a rappelé le rempart d'Ancus[22], la cloaca maxima[23] qui n'a point changé de nom, l'édifice sacré du Capitole[24], il a dédaigné plusieurs statues et peintures anciennes, qu'il avait pu voir encore, telles que les statues que Pline[25] attribue à l'époque des rois, et les peintures sur mur à Ardée, à Lanuvium, à Céré, que le même auteur, en les admirant, croyait antérieures à la fondation de Rome[26]. Je laisse toutes ces antiquités que l'on regarde aujourd'hui comme autant d'instruments de l'histoire des peuples : il suffira d'indiquer les monuments écrits. Entre les monuments écrits qui survécurent à la catastrophe de l'an 363, je trouve, dans l'ordre des temps, le chant des fratres Arvales, que l'on peut faire remonter à Numa, peut-être plus haut[27], et dont une copie, reproduite sur le marbre au temps d'Héliogabale d'après d'autres copies transmises d'âge en âge, retrouvée en 1778 dans les fouilles pour la construction de la sacristie de Saint-Pierre, a été interprétée par Laozi, et plus récemment par MM. Hermann et Grotefend ; — l'hymne des Saliens, qui avait dû se conserver de même ; où Varron, avant d'en citer quelque chose[28], reconnaît les premiers accents de la poésie romaine[29] ; qu'il semble regarder aussi comme plus ancien que Numa[30], et qui, pour les Saliens eux-mêmes, si l'on en croit Horace et Quintilien[31], aurait eu besoin d'être expliqué ; — d'autres chants nationaux[32], tels que ceux qui, au temps de Denys d'Halicarnasse, ou du moins de Fabius Pictor, célébraient encore la belliqueuse adolescence des fondateurs de Rome[33] ; — surtout des chants militaires, tels que ceux dont l'usage n'a pas toujours été négligé par Tite-Live même[34] ; chants héroïques des festins, des combats, des triomphes, des funérailles, qui tous, après avoir passé de bouche en bouche[35], avaient pu être fixés et perpétués par l'écriture. — Les lois royales, inscrites aussi sur le bois, la pierre ou le bronze, et que l'on recueillit après l'incendie[36], comme celles de Numa, dont Cicéron atteste encore l'existence dans les archives publiques[37] ; celles de Tullus, qu'il semble comprendre dans les commentaires des rois[38], et dont l'empereur Claude invoquait encore l'autorité[39] ; comme le tableau des centuries de Servius, que Verrius Flaccus avait consulté[40], et d'autres dispositions de ce roi législateur ; plusieurs des lois qui suivirent, les lois sacrées de l'an 260[41], celle que les consuls de l'an 281 avaient fait graver sur une colonne de bronze, et qui avait offert à Varron le plus ancien exemple de l'usage d'intercaler[42] ; surtout celles des douze Tables, que Tite-Live connaissait, mais dont il ne s'est point servi pour l'histoire. — Des plébiscites, des sénatus-consultes, comme ceux que les édiles furent chargés, l'an 304, de garder dans le temple de Cérès, quand on se fut aperçu que les consuls n'en étaient point de fidèles dépositaires[43], et qui, confiés à des tables de bronze, pouvaient échapper à la destruction. — Des traités, comme celui que Romulus, du moins si l'on en croit Denys, fit pour cent ans avec les Véïens, et qu'il grava sur des colonnes[44] ; celui de Servius avec les. Latins, que le même Denys lut, en caractères grecs anciens, probablement en étrusque, sur une colonne de bronze dans le temple de Diane au mont Aventin[45] ; celui de Tarquin le Superbe avec le même peuple, inscrit aussi sur des colonnes[46], et un autre avec Gabies, que l'historien vit, en lettres d'ancienne forme[47], sur un bouclier de bois couvert de cuir, dans le temple de Jupiter Fidius, et dont Verrius Flaccus avait fait mention[48] ; un autre du même prince avec les Sabins, cité par Denys[49] ; et qui, en effet, comme le précédent, excitait encore, par la vétusté du langage, l'enthousiasme des grammairiens contemporains d'Horace[50] ; les traités de Rome, dès l'origine du gouvernement consulaire, avec Carthage, traduits en entier par Polybe[51], qui les avait lus sur le bronze, dans les archives des édiles, au temple de Jupiter Capitolin, et qui nous apprend que les Romains les plus habiles, même en les étudiant, n'en comprenaient plus toutes les expressions[52] ; traités qu'Aristote désigne peut-être en les rapportant aux Tyrrhéniens[53], dont la date a été vainement contestée par Hooke[54] et par d'autres, et sur le sens desquels M. de Sainte-Croix[55], réfuté dernièrement par Lachmann, a élevé des doutes, parce qu'on y trouve ce que Tite-Live, malgré son patriotisme, ne laisse pas même entrevoir, que Rome, avant cette révolution qui l'affaiblit, était maîtresse d'Ardée, d'Antium, de Circéi, de Terracine, dont les peuples, dans le texte, sont appelés ses sujets[56] : comme si l'on devait s'en tenir à l'autorité de cet historien et de ses copistes pour juger des documents qu'il n'a point connus, persuadé qu'il n'avait à consulter Polybe que pour les guerres puniques. C'est ainsi qu'il passe entièrement sous silence le traité honteux avec le roi tyrrhénien ou étrusque Porséna, et cette abdication du nom romain avouée pour la première fois par Pline[57] et par Tacite[58]. Il indique à peine le célèbre traité de l'an 260 avec les Latins, analysé par Denys[59], qui avait pu le lire, derrière les Rostres, sur la colonne de bronze où il fut recopié au temps de Cicéron[60]. Celui de l'an 309 avec les Ardéates est un peu moins négligé par Tite-Live[61] ; mais cet historien, qui a omis tant d'autres actes reconnus ailleurs comme authentiques, ne cite probablement celui-ci que d'après Licinius Muer. — Joignez à ces monuments les tables triomphales, mentionnées trois fois seulement par Tite-Live[62], mais dont l'usage, perpétué jusque dans les derniers temps de la république[63], remontait assez haut, et que l'on conservait avec un soin religieux, puisque Cincius parait avoir vu celle du dictateur T. Quintius[64], et que le grammairien Attilius Fortunatianus[65] put lire encore au Capitole celles de L. Æmilius Régillus et d'Acilius Glabrion[66] ; Les plus anciennes monnaies celles de bronze marquées depuis Servius[67] ; Les épitaphes, comme celles du caveau funèbre des Scipions[68], dont Tite-Live n'a pas non plus tiré parti, ou avec lesquelles du moins ses récits ne s'accordent pas ; Les autres inscriptions historiques, celles des tableaux votifs, des autels, des temples, des statues. Tite-Live rappelle, il est vrai, les statues élevées sur les Rostres aux ambassadeurs romains tués à Fidènes en 316, et qui, bien que renouvelées peut-être, avaient conservé leurs noms[69] ; et il lui arrive une fois de citer une inscription votive, celle de la cuirasse déposée par Cossus, en 317, dans le temple de Jupiter Férétrius, avec les secondes dépouilles opimes[70] : encore cette observation, ajoutée sans doute après coup, lui fut-elle suggérée par Auguste, et il ne paraît pas qu'il eût songé à la vérifier lui-même. C'est la seule inscription qu'il ait discutée : il néglige d'ailleurs toutes celles qui pouvaient accompagner les statues antiques de Servius Tullius, d'Horatius Coclès, de Lucrèce, de Porséna, d'Hermodore[71] ; l'inscription en lettres étrusques de bronze, sur ce chêne plus ancien que Rome qu'on voyait encore au Vatican[72] ; ces boucliers ou écussons que Pline vit aussi, placés en l'honneur de la famille Claudia dans le temple de Bellone, et chargés d'inscriptions mémoratives par Appius Claudius, consul en 258[73] ; les vers en vieilles lettres latines, joints aux peintures du temple d'Ardée[74] ; les vers grecs qui accompagnaient les ouvrages de plastique et de peinture de Damophile et de Gorgasus, dans le temple de Cérès dédié part le consul Sp. Cassius en 260[75], etc. Il était difficile que Tite-Live attachât beaucoup d'importance à ces textes qui intéressaient quelques savants ou quelques familles, lui qui avait dédaigné tant de souvenirs publics gravés sur la pierre ou le bronze, les formules religieuses, les lois, les traités. Cette énumération, qui ne saurait être complète, suffit pour prouver qu'il était resté, dans Rome après l'incendie, quoi qu'on ait pu dire[76] ; quelque chose de plus que la statue de bois de la Fortune et la houlette de Romulus. L'insouciance de Tite-Live, trop favorablement jugé par Ernesti comme antiquaire[77], pour tous ces trésors que d'autres nous révèlent, et qui s'offrirent vainement à l'historien des premiers âges de Rome, a fait douter qu'il eût étudié l'ancien langage. On ne se borne pas à dire que l'osque et l'étrusque lui étaient inconnus, quoique nécessaires à celui qui travaillait sur les origines italiques ; on est allé jusqu'à prétendre qu'il savait mal le vieux latin, et que, pour n'avoir pas compris dans les Annales l'ancien mot classis, qui se disait alors des armées de terre, surtout de la cavalerie[78], il change un combat de cavalerie près de Fidènes en combat naval[79] ; erreur tout à fait propre, s'il était permis de l'en croire capable, à justifier Caligula, qui, répétant sans doute ce qu'il avait entendu dire, l'appelait un historien négligent[80]. Mais son ignorance des vieilles langues de l'Italie n'est pas absolument prouvée par son dédain pour les monuments : il semble plutôt qu'il se soit fait un système de n'écrire que d'après les livres ; car il néglige, pour des temps moins anciens, des monuments dont la langue était plus claire et plus facile, comme le sénatus-consulte contre les bacchanales, qu'il est loin d'analyser complètement[81], ou des textes déjà traduits, comme la célèbre table Lacinienne, qui renfermait les détails de l'invasion d'Annibal, que lui-même avait fait placer au promontoire appelé encore aujourd'hui cap des Colonnes, dont Polybe s'est servi[82], et que Tite-Live n'allègue pas pour le dénombrement de l'armée carthaginoise[83], quoiqu'il parle de ce précieux document[84] lorsqu'il n'est plus temps d'en profiter pour son récit. Les tables de marbre ou de bronze, qui attiraient peu son attention, mais qu'il ne pouvait ignorer, n'étaient pas les seuls-témoignages historiques qui eussent survécu à l'incendie de Rome. Des livres même (il est obligé d'en faire l'aveu), des livres, tracés sur des matières bien plus périssables, furent conservés. A peine a-t-il décrit cette catastrophe que l'on s'obstine, d'après lui, à regarder pour Rome comme la destruction de tout le passé, qu'il dit que, sur la proposition de Camille, un sénatus-consulte ordonna que tous les lieux saints occupés tin instant par l'ennemi fussent purifiés, et que, pour cet acte expiatoire, les livres fussent consultés par les duumvirs[85]. M. Larcher, lorsqu'il répondit aux paradoxes de Lévesque dont je parlerai tout à l'heure, pensa qu'il était ici question des livres des pontifes[86] : il est plus vraisemblable, comme l'ont cru les interprètes de l'historien, que ces expressions qu'il emploie souvent, libri per duumviros aditi[87], se rapportent aux libri sibyllini, ou fatales, livres mystérieux que, par l'ordre du sénat, tes duumvirs des sacrifices allaient interroger, et qui furent confiés ensuite aux décemvirs, puis aux quindécemvirs des sacrifices, chargés des jeux séculaires, et d'après les commentaires desquels Censorin[88] remonte jusqu'aux jeux de l'an 298. Il est à croire, d'ailleurs, que les livres ou rituels des pontifes, libri pontificii, ne périrent pas non plus ; car Cicéron[89] les prend à témoin pour constater l'usage de l'appel au peuple sous les rois ; et de là sont venues jusqu'à nous les anciennes formules de consécration, de serment, de répétition ou de déclaration de guerre, d'évocation, de dévouement. Les livres qu'on appelait lintei, ces livres fragiles, que protégeait aussi un respect religieux furent également sauvés, puisque Licinius Macer et Tubéron les consultèrent dans le temple de Monéta, pour des faits qui avaient précédé la prise de Rome[90]. Les livres des magistrats, libri magistratuum, y différents des livres lintéens que l'on confond souvent avec eux, n'étaient pas regardés non plus comme anéantis dans ce désastre, puisque Tite-Live, ou du moins le même Licinius, s'est appuyé de leur autorité pour l'an de Rome 309[91]. Les mémoires des censeurs, censorum tabulæ ou commentarii, qui furent utiles à Polybe[92], et dans lesquels Varron[93] cherche des témoignages de l'ancienne langue latine, étaient lus encore par Denys d'Halicarnasse, qui les cite en parlant d'un recensement fait sous le roi Servius Tullius[94], non qu'il y eût déjà des censeurs, mais parce que les anciens registres avaient pu être déposés dans les archives de cette magistrature ; il les cite aussi pour un dénombrement fait deux ans avant la prise de Rome[95], et il nous apprend que ces commentaires se transmettaient de père en fils dans les familles comme un héritage sacré[96]. Nous voyons ainsi les familles conserver de génération en génération, dans le tablinum[97], leurs propres mémoires, commentarii, tels que ceux de la famille Sergia[98], ceux de la famille Porcia[99] ; les éloges funèbres, mortuorum laudationes[100], et les autres discours publics, orationes, souvenirs de leurs aïeux. On ne comprendra même au nombre des livres, ni les prières, les lois, les traités, et les autres monuments cités plus haut ; ni les oracles attribués à Marcius et à Publicius, dont l'âge est douteux ; ni, après tant d'autres chants, les chants injurieux, les vers satiriques, déjà :réprimés par les douze Tables, quoiqu'il soit naturel de croire que plusieurs de ces essais du génie romain furent rassemblés et recueillis ; mais la conjecture est inutile, lorsqu'il se présente un si grand nombre d'écrits incontestables en tout genre, un si grand nombre de véritables livres, qui remontaient jusqu'à ces premiers temps. Tous ces livres, tous ces écrits, et la tradition même sur les prétendus livres de Numa[101], que les magistrats de l'an 572 brûlèrent comme dangereux, mais ne nièrent point comme impossibles, prouvent assez que ce fameux clou annal, enfoncé dans le mur du temple de Minerve, et que l'on a voulu regarder comme la seule numération à la portée d'un peuple qui ne, savait pas écrire, n'était réellement qu'une institution superstitieuse, une cérémonie expiatoire, empruntée des Étrusques, et non pas une image ignorante et grossière de la durée. Si c'eût été le seul moyen de marquer la révolution de l'année de Numa, le seul calendrier de Rome, cet usage n'eût pas été interrompu si souvent, et l'on n'eût pas attendu les calamités publiques pour compter ainsi les années. J'arrive aux Annales, et je commence par dire que, supposé même que les Gaulois eussent détruit celles des grands pontifes, il y en avait hors de Rome qu'ils n'eurent ni le temps ni le pouvoir de détruire. Ces Annales des villes italiques ont été trop oubliées par ceux qui s'en sont tenus au fatal arrêt de Tite-Live, pleraque interiere, facile excuse d'un rhéteur ingénieux qui voulait se soustraire au long travail de l'historien. Elles auraient exigé de lui l'intelligence complète dies anciens idiomes, l'étrusque, l'ombrien, l'osque, le sabin ; et, pour se livrer à de telles études, il partageait trop peut-être les préjugés et l'orgueil de Rome, qui, ne pardonnant pas aux peuples voisins leur opiniâtre résistance, croyait avoir enseveli sous les ruines de la guerre Sociale leur histoire avec leur liberté. Mais s'il les dédaigna dans leur vieux langage, elles avaient été 90nstdtees par d'autres, par Cincius Alimentus, par Caton, par Varron ; et c'était, en effet, un devoir de les étudier pour tout Romain qui prétendait connaître et faire connaître à d'autres l'antique Italie. Antemna, disait Caton[102], est plus ancienne que Rome ; et il avait, par ses recherches, acquis le droit de le dire. Tibur, ville qui se vantait aussi d'être plus ancienne que le Capitole[103], avait ses archives, dont il reste, entre autres inscriptions, un sénatus-consulte romain[104], que le P. Kircher attribuait, contre la vraisemblance, à l'an 368, qu'on avait reporté même jusqu'à l'an 292, et qui, bien que reconnu d'une date plus récente[105], donne toujours l'idée de ces dépôts historiques des villes municipales. Aricie, Laurente, Lanuvium, avaient leurs fastes[106]. Les livres sacrés de Tusculum fournirent des exemples à Varron[107]. La pieuse cité des Herniques, Anagni, montrait encore les siens, libri lintei, au temps des Antonins ; et Marc-Aurèle, qui en parle dans une lettre à Fronton[108], aurait pu se les faire expliquer, comme cette inscription d'une porte de la ville, Flamen, sume samentum. Préneste, qui avait ses pontifes, ses dieux indigètes, avait aussi ses Annales[109] ; Servius en a conservé quelques traces[110]. Les fastes prénestins, dont une partie a été retrouvée, admettent les traditions du Latium sur Mézence, sur Acca Larentia[111]. Une histoire de Lavinium (historia Lavinia) serait alléguée par le faux Aurélius Victor[112] à s'en tenir an témoignage de M. Auguste Krause[113] ; mais c'est une erreur évidente : il faut lire histotoria Liviana. Et quand même on croirait découvrir d'autres Annales indiquées dans cette compilation souvent digne d'Annius de Viterbe, il serait prudent d'examiner de près une telle autorité. Si Tarente est accusée par Tite-Live[114] de célébrer dans ses Annales les noms de ses bouffons, et d'y laisser ignorer ceux de ses principaux citoyens, Cumes avait un historien, probablement grec, qui s'était fait un système singulier sur les commencements de Rome, et que Festus désigne sans le nommer[115]. Denys d'Halicarnasse, malgré son penchant pour les fables historiques de ces Grecs italiotes, avait recherché les histoires locales des Sabins[116] ; et il avait eu le bonheur d'y trouver encore des fables grecques. Tite-Live lui-même se souvient une fois que les Samnites eurent aussi des livres que la religion avait consacrés, des livres qu'on disait vieux de plusieurs siècles, et que sur un de ces livres vénérables ils jurèrent une haine éternelle aux Romains[117]. Il lui était facile encore, au temps où il vivait, de mettre à profit les mémoires particuliers des peuplades et des villes, comme il est probable qu'il a tiré, sans le dire expressément, des Annales euganéennes, l'analyse qu'on ne trouve que chez lui, des migrations armées des gaulois dans l'Italie transpadane[118], et le récit de quelques faits qui regardent Padoue, sa patrie[119]. Enfin les historiens romains, s'ils avaient voulu remuer plus profondément le sol italique, auraient rencontré sous leurs pas toute une littérature aujourd'hui perdue, celle des Étrusques : les Gaulois n'avaient pas brûlé Cortone, Arrétium, Fésules, Clusium. Caton étudia les livres de l'Étrurie, lorsqu'il écrivit ses Origines ; il y avait calculé, d'après leur témoignage, que la ville ombrienne d'Amérie avait été fondée 964 ans avant la guerre contre Persée, près de quatre siècles avant Rome[120]. Varron s'en servit pour ses travaux chronologiques, où il comparait les supputations des divers peuples[121]. Denys d'Halicarnasse ne les négligea pas Don plus, et il en tira les détails qu'il donne sur la famille des Tarquins[122]. Cécina de Volterra, l'ami de Cicéron, et Verrius Flaccus, pour écrire sur l'Étrurie, en avaient certainement recueilli les anciens ouvrages[123]. L'empereur Claude, à en juger par les tables de bronze qui nous ont transmis un de ses discours au sénat, lut soigneusement les livres étrusques, lorsque, sur le conseil de Tite-Live, il se mit à écrire l'histoire, sans doute avec plus d'érudition que de jugement, et composa en grec les vingt livres de son histoire tyrrhénienne[124]. Dion Cassius l'avait lue, ou quelque autre sur le même sujet[125]. Tous ils purent consulter les écrivains d'Étrurie dans leur texte original ; car la langue étrusque se parlait encore au siècle des Antonins[126]. Les monuments enlevés par le vainqueur à cette puissante nation, et ceux qui reparaissent de jour en jour, nous font du moins entrevoir combien de restes du passé durent périt avec elle : Volsinies, d'où les Romains emportèrent deux mille statues[127], ne pouvait être dépourvue de souvenirs précieux pour un historien. Ce n'est peut-être pas une illusion de penser que chez tous ces peuples de l'Italie primitive Rome put trouver encore, dans le butin de la victoire, les documents de leur histoire nationale ; car un de ses plus anciens historiens, l'homme qui avait profité lé mieux de ces fruits de la conquête, le vieux Caton, au second livre de ses Origines[128], reprochant aux Liguriens de ne plus savoir d'où ils étaient venus, d'être sans tradition, sans lettres, leur faisait honte de cette exception[129]. Ainsi donc, si cette induction est permise, tous les autres peuples italiques lui avaient transmis leurs Annales ! Dans Rome même, les Annales pontificales, monument de la religion comme de l'histoire, quelle qu'en fût alors la forme, durent être conservées. Si elles ne furent pas transportées à Géré avec les autres objets religieux[130], on peut croire qu'elles trouvèrent un asile au Capitole avec les tables des lois et des traités ; car nous savons que là furent retirées aussi plusieurs des choses saintes, comme le dit Plutarque dans la Vie de Camille[131]. Or le Capitole resta inaccessible ; et une partie même du mont Palatin, selon Diodore[132], fut préservée de l'incendie. Aussitôt après le départ des Gaulois, on s'empressa de recueillir tout ce qu'on put retrouver de ces traités, de ces lois, même des lois royales, dit Tite-Live[133], et l'on en fit publier des copies nouvelles, Il me semble que c'est ici le moment, et comme un devoir de mon sujet, de faire ressortir ce zèle des Romains pour la recherche et la conservation de leurs anciens monuments, zèle presque immémorial chez eux, que nous voyons reparaître à de courts intervalles, et auquel on n'a peut-être pas fait assez d'attention dans les différents systèmes sur leur histoire. Sans cloute ils portaient trop loin ce respect pour leurs antiquités, même fabuleuses, lorsqu'ils montraient aux étrangers le vaisseau sur lequel Énée était venu, disaient-ils, débarquer en Italie, relique sainte que Procope, dans son séjour à Rome, put voir encore tout entière[134] ; la truie blanche que rencontrèrent les Troyens sur le rivage de Laurente, que l'on avait salée à Lavinium pour la conserver aux curieux[135], et dont les images en marbre ou en bronze, d'un très-ancien style, comme la louve étrusque du Capitole, se voyaient sur les places publiques de plusieurs villes[136]. Mais cette passion d'antiquaire, qui peut sembler puérile lorsqu'elle s'applique à des fables, a dû faire vivre aussi les souvenirs des temps historiques. Ainsi la tradition racontait que le roi Ancus Marcius avait jadis fait transcrire sur des tables de chêne et exposer dans le forum les lois de Numa, et que ces tables avaient été, longtemps après, renouvelées parle grand pontife Papirius[137]. Dès l'an 304, les édiles sont chargés de garder la collection des sénatus-consultes et des plébiscites, parce que les consuls le faisaient avec peu de soin[138]. Ce furent ces archives des édiles, probablement transportées depuis au temple de Jupiter Capitolin, qui furent ouvertes à Polybe, et où il lut sur le bronze le premier traité fait avec Carthage en 244[139] ; précieux monument, ou original, ou renouvelé peut-être à plusieurs reprises, et qui nous serait inconnu sans lui. Les statues érigées sur les Rostres en 317 selon Tite-Live[140], en 335 selon Diodore[141], pour honorer la mémoire des quatre ambassadeurs romains tués à Fidènes, disparurent ensuite ; car il semble qu'elles n'existaient-plus quand fut prononcée la neuvième Philippique de Cicéron[142] ; mais comme Pline fait entendre qu'il les a vues[143], il faut qu'on les eût remplacées par d'autres, qui portèrent les mêmes inscriptions. C'est ainsi que l'inscription Duilienne a été refaite, peut-être plusieurs fois : cette base de la petite colonne moderne, placée à gauche en entrant sous le portique du palais des Conservateurs, ou du moins ce fragment de la base qui porte les restes de l'inscription, et qui s'est presque arrondi à force d'avoir été roulé dans le Tibre, est antique sans doute ; et cependant, si l'on en juge par la forme des lettres, par l'orthographe de quelques mots, ce n'est encore qu'une restitution. Il n'est pas étonnant que Rome ait tenté par tous les moyens possibles de transmettre à une longue postérité les glorieux trophées des guerres puniques. Entre la seconde de ces guerres et la troisième, Caton, dans un discours sur les Augures, que Festus seul a cité[144], parlait d'une loi brûlée avec beaucoup d'autres dans l'atrium du temple de la Liberté, et qui toutefois, comme on peut l'inférer de ce passage marne, n'était pas regardée pour cela comme entièrement effacée du code des lois romaines. Un peuple soigneux de l'avenir ne devait pas confier ses actes à un seul dépôt[145]. La guerre sociale ou marsique étendit ses ravages dans presque toute l'Italie centrale : dès que cette tempête fut calmée on vit, comme après l'invasion gauloise, un décret du sénat faire rechercher de toutes parts les textes sacrés ou profanes qui pouvaient servir à réparer la perte des monuments détruits[146]. Il a été déjà rappelé que, vers le consulat de Cicéron, une copie du traité de l'an 260 avec les Latins fut reproduite sur le bronze derrière les Rostres[147]. Sous l'Empire, la même pensée de conservation se maintint dans les esprits à travers tant de vicissitudes. Auguste donna l'exemple : c'est peut-être lui qui fit rétablir les quatre statues des Romains tués à Fidènes, la colonne Duilienne et son inscription, la statue de Clélie qu'un incendie avait détruite[148], et que Plutarque devait retrouver à la même place, dans la voie Sacrée[149]. Suétone[150] et Dion Cassius[151] nous apprennent avec quel soin persévérant les anciens titres publics furent rassemblés et, au besoin, restitués par les ordres de Tibère et par ceux de Vespasien. Au temps d'Héliogabale, comme nous l'avons vu, et sans doute longtemps après, on recopie sur le marbre les antiques prières des prêtres romains, transmises ainsi d'âge en âge tant qu'il y eut des pontifes, des augures, des vestales. L'empereur Tacite, par un rescrit qui honore sa mémoire, essaie vainement de faire servir sa puissance passagère à immortaliser tous les ouvrages du grand historien dont il se prétend descendu[152]. Enfin, lorsque Rome ne règne plus par les armes, nous trouvons encore au Capitole, vers le sixième siècle de notre ère, un grammairien, Fortunatianus, qui cherche des textes à citer dans de vieilles tables triomphales[153], et au quatorzième siècle, un moderne tribun du peuple, Rienzi, qui travaille à déchiffrer, en faveur de ses idées de liberté, le grand sénatus-consulte impérial déposé depuis au musée capitolin[154]. C'est là sans doute une assez longue chaîne de témoignages, brisée quelquefois par cette force même qui porta si loin la domination de Rome, par la guerre et ses désastres, mais toujours renouée par un patriotisme ardent et infatigable, habile à s'emparer des seuls moyens alors connus pour couvrir du nom et de la gloire de la patrie les murs de toutes les cités. Jamais peuple ne fit plus d'efforts pour assurer, si l'on peut dire ainsi, la perpétuité de l'histoire. En revenant aux Annales des pontifes, je ne m'occuperai
pas encore des diverses formes qu'elles ont pu prendre ; mais je dirai, dès à
pré. sent, que quand même elles seraient restées sur le mur du vestibule de
la maison pontificale, in albo et que la transcription n'en eût long temps
été faite que de cette façon, te ne serait pas un motif pour croire qu'elles
aient dû être facilement détruites. Les règlements attribués à Numa sur la
religion et affichés, selon Tite-Live, par le grand pontife, dès le règne
d'Ancus Marcius[155] ; les fastes de
Flavius, exposés dans le forum en 448, ne furent pas d'abord publiés
autrement[156]
; et ils se transmirent de siècle en siècle. L'album
où se promulguaient les actes de l'autorité publique est défini par Servius, tabula dealbata[157] ; ce qui fait
entendre que ces inscriptions étaient tracées sur du bols peint en blanc.
Souvent aussi, principalement dans l'antiquité grecque, elles l'étaient sur
la muraille même, à en juger par plusieurs expressions de Platon[158], de Démosthène[159], et par la
longue façade destinée à cet usage qu'on voit encore à Pompéi, que Mazois a dessinée,
et que M. Letronne compare à ces pilastres mentionnés dans quelques
inscriptions grecques, παραστάδες[160]. Tel est
l'usage que Suidas explique au mot Λεύκωμα,
muraille enduite de chaux, propre à la transcription
des actes publics. A Rome, c'était une tablette de bois, simplement
blanchie, πίναξ
λελευκωμένος,
comme disaient, en parlant des proscriptions, les historiens grecs Dion
Cassius et Jean d'Antioche[161], ou recouverte
de stuc, si l'on adopte l'interprétation que, d'après Winckelmann[162], M. Fea donne
du mot dealbare, qu'il traduit par intonacare di marmo[163]. Ainsi se publiaient
l'édit annuel et les autres actes du préteur[164]. On connaît
aussi l'album des juges, des décurions, des sénateurs, des citharèdes[165], etc. A supposer même que les Annales n'eussent été longtemps écrites, comme dit Servius, que sur des tablettes de bois, et qu'on ne leur eût point donné, ainsi qu'aux traités et aux lois, la garantie plus forte du marbre et du bronze, faudrait-il s'étonner de voir ces pages périssables, mais respectées, mais défendues par un sentiment pieux, et sans doute, 'comme les actes du préteur, par une législation sévère[166], transmettre pendant plusieurs siècles, chez un peuple religieux et ami de la gloire, les faits historiques consacrés par ses grands pontifes ? Il n'y a rien là de plus merveilleux que de pouvoir lire encore, dans le caveau funèbre de la famille Cornélia, les épitaphes peintes au minium sur ces antiques tombeaux, et, dans Pompéi, les inscriptions rouges ou noires qui peuplent de toutes parts ses hues désertes ; que de voir les anciens livres de toile cités par Macer, par Tubéron[167], par Marc-Aurèle[168], et d'autres registres du même genre, par Vopiscus[169] ; que de voir se conserver jusqu'à nous, sur une matière aussi fragile que le papyrus, des manuscrits volumineux comme celui de l'ancienne traduction latine de Josèphe à la bibliothèque ambrosienne de Milan, ou bien, sur des tablettes enduites de cire, les comptes des intendants de Philippe le Hardi et de Philippe le Bel, comptes non moins détaillés et assurément moins respectables que les Annales des pontifes, que l'on peut toutefois consulter encore à Paris, à Genève, à Florence[170], et qui ont déjà traversé, parmi tant de révolutions, plus de siècles que les plus anciennes tablettes pontificales lues par Fabius Pictor et par Caton. A ces conjectures sur la conservation des Annales, joignons enfin des textes certains. En admettant même que les passages déjà cités de Sempronius Asellio, de Caton, de Varron, ne désignent que les Annales pontificales rédigées de leur temps ou peu de temps avant eux, et non celles des siècles antérieurs, il resterait encore assez de textes pour prouver que celles-ci n'étaient point perdues. Les plus anciennes Annales des pontifes sont alléguées comme existantes par les divers interlocuteurs des Dialogues de Cicéron, par l'orateur Antoine[171] ; par Atticus, qui les trouve fort agréables pour mieux s'en moquer[172] ; par Quintus Cicéron, sur Attius Navius et Tarquin[173], sur l'écoulement donné au lac d'Albe pendant la guerre de Véies[174] ; par l'auteur lui-même, sur l'éloquence de Coruncanius[175], sur Lucrèce, Brutus, Virginie[176]. C'était assez pour réfuter ceux qui disaient, comme Beaufort, que Cicéron ne cite pour aucun fait les grandes Annales, et qui, facilement convaincus d'erreur, ajoutaient : Il ne les cite du moins pour aucun fait antérieur à la prise de Rome. Mais aujourd'hui le témoignage de Cicéron est encore moins douteux. Dans les nouveaux fragments de la République, Scipion Émilien cite les grandes Annales pour un fait qui a certainement précédé l'incendie de Rome, pour l'éclipse de soleil du 5 juin de l'an 350, jour mémorable, dit-il, que nous voyons consigné dans Ennius et dans les grandes Annales, et d'après lequel on a calculé les précédentes éclipses de soleil[177]. Ce texte, vraiment décisif dans la question, n'a pas échappé à M. Niebuhr[178] ; mais il se borne à en conclure que les Annales des pontifes n'ont commencé que l'an 350 de Rome. Alors on n'en aurait pas beaucoup perdu ; car l'événement qui en détruisit une partie est de l'an 363 : c'était là de quoi diminuer les regrets de Tite-Live. Mais il n'est pas absolument nécessaire que les tables chronologiques des pontifes eussent débuté par cette éclipse, quoique ce fût la première qu'on y trouvât, dans ce qui en restait au temps de Cicéron ; et d'autres passages nous ont attesté qu'il y avait lu l'histoire de plus de treize ans avant la prise de Rome. Pourquoi ne pas voir autre chose ici ? qu'elles subsistaient, par exemple, pour des faits antérieurs à cette époque fatale ; qu'on s'en servait avec assurance pour retrouver par le calcul la date des anciens phénomènes célestes, et qu'elles n'avaient entièrement péri que pour ceux qui ne les consultaient pas ? Ces nouvelles pages de la République, si l'on n'y remarque pas les investigations rigoureuses de la critique moderne, prouvent du moins que le grand orateur, qui se préparait à écrire l'histoire de sa patrie, en avait soigneusement interrogé les archives. Le système qui veut détruire presque tout le passé de Rome, ne doit pas être moins embarrassé de ces deux autres endroits où l'ancien consul romain renvoie sans nulle défiance au dépôt des plus vieilles lois romaines, et, dans ce dépôt, aux lois de Numa[179]. Le respect religieux qui avait sauvé de la destruction les tables législatives attribuées à ce personnage des temps demi-fabuleux, ne pouvait-il donc pas avoir conservé aussi les tables historiques des pontifes ? Si l'on prétend que d'anciennes Annales des pontifes aient été fabriquées par les Romains depuis la retraite des Gaulois, et surtout sous le pontificat de César, selon la conjecturé de Lévesque dont je parlerai bientôt, il faudra croire que Cicéron, lui qui regarde comme souvent mensongers les éloges funèbres et les mémoires des familles[180], était dupe, aussi bien que le docte Varron son ami, de ces Annales falsifiées ou interpolées, lorsqu'il en alléguait tant de fois le témoignage ; lorsqu'il disait dans un célèbre fragment de son Hortensius : Peut-on mieux connaître l'art de la guerre, ou la constitution même de l'État, que par l'autorité des Annales ? où trouverait-on, soit pour la conduite, soit pour la parole, un plus grand nombre de beaux exemples, incorruptibles témoins du passé ?[181] Avant Lévesque, Beaufort avait cru à la supposition des livres historiques des pontifes ; mais quel motif raisonnable avait-il de les croire plutôt supposés que leurs livres de rites et de prières, libri pontifici, continuellement cités par d'habiles grammairiens comme authentiques, et auxquels Cicéron renvoie, pour l'ancien droit politique de Rome, avec la même confiance qu'aux douze Tables[182] ? Dans cette contestation, rapportée plus haut, du flamine Valérius Flaccus, l'an 544, le préteur lui reproche de s'appuyer sur des titres surannés, sur des exemples tirés des Annales[183]. Elles passaient donc déjà pour très-antiques ; on ne les croyait pas rédigées seulement depuis la prise de Rome ; l'idée ne vint pas non plus de prétendre qu'elles eussent été refaites, renouvelées ; on se contente de dire qu'elles sont trop vieilles, exoletis vetustate. Tite-Live, qui m'a fourni cette indication et quelques autres, ne dit nulle part qu'il transcrive les Annales des pontifes. Mais, j'en ai déjà fait l'observation, je ne puis croire que lui qui cite, quoique rarement, des inscriptions historiques recueillies sur des colonnes, sur des tables de bronze[184], n'ait point songé une seule fois aux grandes Annales, ni que son insouciance pour la vérité des faits, qui ne l'empêchait pas de chercher pour ses récits la vraisemblance des détails, soit allée jusqu'à laisser absolument à l'écart, dans les études nécessaires à sou grand ouvrage, un corps de documents originaux qui, si l'on en juge par les reproches d'Horace[185] avait alors de nombreux admirateurs ; que Cicéron lui-même n'avait pas dédaigné de lire ; que, jusqu'à Tite-Live, les historiens avaient étudié, et que l'on citait avec vénération longtemps encore après lui. Certainement il les connut, sinon immédiatement, du moins par les extraits des anciens annalistes, qui d'abord se contentaient de les transcrire. Dans un passage sur l'an 258 de Rome, examiné autrefois par M. de la Curne[186], Tite-Live se plaint de ne pouvoir déterminer avec certitude ni les événements de chaque année, ni même les consulats, lorsque tant de siècles le séparent non-seulement des faits, mais de ceux qui les racontent[187]. Il croyait donc avoir sous les yeux des témoignages assez voisins de ces temps reculés. Un autre texte, qui me semble important dans ces recherches, prouve surtout qu'il tenait quelque compte (le l'autorité des grandes Annales. A l'an 309, où des tribuns militaires furent pour la première fois revêtus de la puissance du consulat, mais où l'on finit cependant par leur substituer deux consuls, il dit que les noms de ces deux consuls substitués, L. Papirius Mugillanus, L. Sempronius Atratinus, trouvés par l'historien Licinius Macer dans le traité avec les Ardéates et dans les livres lintéens du temple de Monéta, ne se lisent ni dans les anciennes Annales, ni dans les livres des magistrats[188]. Ces anciennes Annales ne peuvent être que les Annales officielles, puisqu'on les place à côté de ces registres tenus par les dépositaires du pouvoir public, et qu'on appelait libri magistratuum. Il faut, s'il n'avait point consulté lui-même cette partie des Annales, qu'il fût bien sûr que son guide, Licinius, les avait consultées. Tout en supposant, on ne sait sur quelle tradition, l'existence de l'album du grand pontife dès le règne d'Ancus Marcius[189], il ne cite point d'Annales comme document historique, même d'une manière vague, avant le chapitre 54 de son second livre, pour les consuls de l'an 280 de Rome quoiqu'il ait déjà nommé Fabius Pictor, Pison, d'autres annalistes. A l'an 291, il allègue tout aussi vaguement des Annales[190] pour le nombre des morts, des prisonniers, des enseignes conquises. Puis, à l'an 309, viennent les expressions citées plus haut, neque in Annalibus priscis[191]. A l'an 316, dans la discussion sur le titre que portait Cossus lorsqu'il suspendit dans le temple de Jupiter Férétrius les secondes dépouilles opimes, il rapproche encore les vieilles Annales[192] des livres de toile cités par Macer. Pour l'an 329, il a eu sous les yeux des Annales qu'il mentionne avec la même indifférence[193], et qu'on l'accuse même de n'avoir pas comprises, à cause du mot classis, qui lui faisait, dit-on, imaginer une flotte, sons les murs de Fidènes. Arrivé aux temps qui suivirent la prise de Rome, il consulte assez souvent des Annales, mais il ne dit jamais lesquelles[194]. Nulle part il ne désigne expressément celles des pontifes. Tite-Live, qui se contredit souvent, a voulu en ceci du moins, être d'accord avec lui-même : comme il a dit que les Annales des pontifes furent presque entièrement détruites, il ne les cite pas une seule fois. Malgré son silence, je crois souvent reconnaître l'attention religieuse qu'il ne peut, s'empêcher d'accorder à ces antiques débris de l'histoire romaine. Outre sa fidélité' à transcrire les pieux récits des pontifes, sans les nommer, il témoigne encore à leurs Annales une autre sorte de respect : il ne fait point comme Denys d'Halicarnasse ; il ne cherche pas à remplir, d'après des historiens assez modernes, le vide de quelques années pour lesquelles les documents certains lui manquent. Lorsqu'il se borne, après avoir nommé tels consulats, à remarquer qu'il ne s'y est rien fait qui ait paru digne de mémoire[195], c'est que les Annales offraient la même stérilité. Il le dit, en propres termes, des années 327 à 329, années de peste et de famine[196]. Alors on peut se figurer, en le lisant, qu'on lit les Annales mêmes, et on ne s'étonne pas qu'il lui soit arrivé de désigner son ouvrage par ce titre, meos Annales[197]. Singulière puissance du génie ! ce grand écrivain, avec ses descriptions poétiques, ses morceaux oratoires, mais avec son expression toute romaine des sentiments patriotiques et religieux, est encore celui qui semble quelquefois nous rendre la plus fidèle image de l'histoire telle que l'écrivaient les Émile et les Papirius. Si nous avions en entier les historiens ses contemporains Trogue-Pompée, Salluste, Claude lui-même, nous saurions mieux jusqu'où remontaient les Annales, et quelles en pouvaient être les lacunes. Trogue-Pompée, cet ardent investigateur des origines des peuples, n'avait point dû négliger ces chroniques sacrées de l'Italie, ni Claude non plus, lorsqu'il écrivit sur les Étrusques. Salluste, qui avait beaucoup étudié les anciens annalistes, nous dit seulement aujourd'hui, en faisant de Rome une ville troyenne, Sicuti ego accepi[198] ; mais il ne dit pas, en répétant cette tradition des poètes, si c'est des pontifes qu'il la tient. Quant aux écrivains grecs de l'histoire romaine, on ne peut douter qu'ils ne soient allés puisés à cette source, toutes les fois qu'elle a été accessible pour eux. Polybe qui dut aux Scipions de pouvoir interroger tant de documents inconnus à d'autres, les premiers traités avec Carthage[199], les registres du cens[200], l'inscription en punique et en grec laissée par Annibal au promontoire Lacinium[201], Polybe avait consulté les Annales des pontifes, et il les citait pour la date de la fondation de Rome. Nous le savons par Denys d'Halicarnasse, dont le texte, ici comme dans beaucoup d'autres passages de ses Antiquités, aurait besoin d'une sévère révision. Cet historien, dans sa jalousie pédantesque contre Polybe, qu'il ne nomme que pour le blâmer, s'exprime ainsi : Je n'ai point voulu, comme Polybe de Mégalopolis, me contenter de dire que je suis persuadé que Rome a été fondée la seconde année de la septième olympiade, ni m'en rapporter uniquement et sans discussion à la table exposée chez les Anchisiens, έπί τοΰ παρά τοίς Άγχισεΰσι κειμένου πίνακος[202]. Voilà ce qu'on lit dans les éditions de Sylburg, de Reiske lui-même, quoiqu'il faille avouer qu'il n'a commencé son travail d'éditeur qu'au delà de cette page. Auraient n'a pas été corrigé non plus par Schweighæuser dans la note de son Polybe[203] où il cite cette phrase de Denys, et la réflexion fort insuffisante de Casaubon[204], qui aurait mieux traduit πίναξ par tabula que par lapis. Cependant les deux derniers critiques n'ignoraient pas qu'un manuscrit du Vatican porte άγχιστεΰσι : M. Mai nous apprend que deux autres encore ont la même faute[205] ; les deux seuls manuscrits de la bibliothèque royale de Paris[206] où se lise le passage cité ont aussi ce mot qui ne signifie rien, mais qui est une preuve d'hésitation dans les copistes et d'incertitude dans la leçon. Il ne me semble point douteux qu'il ne faille lire άγχιστεΰσι, et qu'il ne s'agisse d'une des tables chronologiques des grands pontifes[207]. Polybe, les deux seules fois qu'il ait à nommer le summus pontifex des Latins[208], l'appelle άγχιερεύς. C'est aussi l'usage de Plutarque et de Dion[209]. Peut-être n'en faudrait-il pas davantage pour exclure d'ici cette prétendue ville d'Anchise, dont personne, pas même Étienne de Byzance[210] qui l'a nommée d'après Denys[211], n'indique la position ; mais plusieurs raisons portent à croire que Polybe avait eu recours aux livres historiques des pontifes : sa curiosité à rechercher tous les vestiges authentiques des anciens temps ; le respect même qu'il témoigne pour quelques traditions incertaines, telles que la mort de Pallas, la fondation d'Ostie par Ancus Marcius[212] ; son attention à ce : culer les années du règne de Numa[213] ; la confiance qu'il donne à ce premier traité avec Carthage dès l'an 244 de Rome, traité qui rend vraisemblables les grandes conquêtes du dernier Tarquin, admises par Cicéron et par Denys d'après les traditions pontificales ; enfin, l'accord assez ordinaire de son système chronologique, tant vanté par Cicéron[214], avec celui de Tite-Live ou des fastes capitolins, c'est-à-dire avec l'ère romaine de Caton, qui, rectifiée et rendue pins précise d'une année par Verrius Flaccus, ou quelque autre, coïncidait parfaitement avec la date que les pontifes, nous le savons maintenant, attribuaient à la fondation de Botté. Denys ne s'écarte de cette autorité trop dédaignée par lui, que d'après des combinaisons gui paraissent l'avoir trompé. Les nouvelles tables des fastes, découvertes à Rome en 1817, confirment cet accord, et achèvent de prouver que l'ère de Caton ou, si l'on veut, de Verrius, qui est celle que Polybe et Cornélius Nepos[215] avaient également adoptée, appartient à la chronologie des Annales. Polybe lui-même n'allègue nulle part les Annales dans ce qui reste de son grand ouvrage historique ; mais je croirais volontiers que, témoin de l'usage de ces tables annuelles, qui ne cessa en effet que vers l'an 623 de Rome, il y fait allusion lorsque, dans une des digressions qu'il prodigue un peu trop contre les historiens ses prédécesseurs, il accuse plusieurs d'entre eux d'avoir, sous prétexte d'écrire des histoires universelles, raconté la seconde guerre punique avec moins de détails qu'il ne s'en trouve même dans ces Annales publiques tracées sur les murailles, ὅσον οἱ τὰ κατὰ καιροὺς ἐν ταῖς χρονογραφίαις ὑπομνηματιζόμενοι πολιτικῶς εἰς τοὺς τοίχους[216]. Le traducteur français, dom Thuillier, se figure ici des peintres qui, dans quelques républiques, tracent les faits sur les murailles à mesure qu'ils arrivent. M. Schweighæuser, qui ne dit rien de cette singulière version, n'a peut-être pas lui-même saisi le vrai sens. Πολιτικώς, dit-il, simplici, vulgari, populari ratione, nulla arte ; et il s'appuie de l'opinion de Reiske. Je traduirais plutôt ce mot par publice, δημοσία, au nom de l'État, du gouvernement ; et je verrais dans ces tables chronologiques, non, comme l'illustre interprète, des Annales particulières inscrites par des chefs de famille sur les murs de leur maison, quas vulgo patresfamilias domi in pariete descriptas habebant, mais les Annales publiques, publici, c'était leur titre ; les Annales reconnues et consacrées par l'autorité de l'État. Ainsi le même Polybe[217] a dit ή πολιτική χώρα pour δημοσία, les terres publiques, ager publicus, et Denys[218], στέφανοι πολιτικοί, les couronnes publiques ou civiques. Ainsi nous avons vu Suidas expliquer Λεύκωμα par un mur blanchi, πρός γραφήν πολιτικών πραγμάτων έπιτήδειος, propre à la transcription des actes publics. Cent cinquante ans après Polybe, un autre Grec, Diodore de Sicile, dès le début de sa Bibliothèque historique, nous annonce que, familiarisé avec la langue latine, il écrira soigneusement l'histoire des Romains, sur les mémoires depuis longtemps conservés chez eux[219], indication vague, peu confirmée par ses récits. Il est permis de dire que, s'il a consulté d'anciens mémoires sur Rome, il en a du moins assez mal profité ; car un sévère critique, Henri Dodwell, affirme sans hésiter que nul ne s'est montré plus étranger à cette partie de l'histoire[220] ; et sa chronologie romaine ne s'accorde, en effet, ni avec les âmes rédigés d'après les Annales des pontifes, ni avec d'autres monuments dignes de foi. Mais sa déclaration n'en atteste pas moins que d'anciens mémoires existaient encore de son temps. Denys d'Halicarnasse, son contemporain, dont les onze premiers livres sur l'histoire ancienne de Rome, les seuls complets qui restent de son ouvrage, s'arrêtent à l'an 312 après la fondation ; parait surtout avoir fourni des arguments à ceux qui disent : Les Annales des pontifes avaient péri. Comme il ne les a point comprises dans la longue liste des documents qu'il a eus à sa disposition pour écrire ses Antiquités, on en conclut que, si cet auteur, toujours soigneux de recourir aux témoins les plus anciens et les plus sûrs, n'a point consulté les tables pontificales, c'est que de son temps elles n'existaient plus. Mais ne pouvaient-elles pas exister, sans qu'il fût parvenu à voir ce qui en restait encore ? Un certain nombre de passages me semble prouver qu'il y songea plus d'une fois. Les Romains, dit-il, en parlant de la naissance de Romulus, n'ont point d'historien ni d'écrivain fort ancien ; toutefois c'est d'après d'anciens récits conservés sur des tables sacrées que chacun d'eux a écrit[221]. Il ne dit pas qu'il ait consulté lui-même ces tables ; mais s'il ne put s'en servir, les auteurs qu'il cite s'en étaient servis. C'est au chapitre suivant qu'il dit que Polybe avait adopté là Chronologie inscrite, chez les pontifes, sur une table de bois[222]. Au troisième livre, il rappelle l'usagé où l'on était encore sous Ancus Marcius, de tracer Seulement sur des tables de chêne[223] les lois et tout ce qui regardait le culte public. Ces tables pouvaient s'effacer avec le temps ; mais, comme l'indique ce passage même, elles étaient renouvelées. On lisait dans les tables annuelles[224], dit-il plus loin, que l'un des deux petits-fils du premier Tarquin, Aruns, mourut la quarantième année de Servius Tullius. Ailleurs, il lei désigne plus clairement encore, lorsqu'il raconte, d'après les écrits des grands prêtres[225], le prodige de la statue consacrée à la Fortune des femmes, qui prit deux fois la parole pour dire aux matrones : Femmes, vous m'avez religieusement consacrée. Ce prodige, omis par Tite-Live[226], mais qu'on retrouve dans Valère-Maxime[227] et dans Plutarque[228], est de l'an 266 de Rome. Les mêmes Annales avaient aussi fourni sans doute aux historiens que Denys prenait pour guides, comme on le voit par les nouveaux fragments de son ouvrage[229], cet autre conte de l'an 358 sur une autre statue, la Junon de Véies, qui, interrogée si elle voulait aller à Rome, répondit par deux fois : Je le veux bien. Après avoir transcrit le miracle de la statue de la Fortune, Denys s'excuse de reproduire ces anciennes légendes : Il était juste, dit-il[230], de ne point passer sous silence cette tradition du pays. On voit, par les mots cités plus haut, que celle-ci venait certainement des pontifes. Pourquoi donc alors, lui qui reconnaît le droit d'un peuple à raconter sa propre histoire, n'a-t-il lias cité plus souvent ces Annales du pays, ces récits indigènes ? Ils valaient bien ceux que Denys préfère, ceux qu'il va chercher dans Hiéronyme de Cardie, Antigone de Caryste, Céphalon de Gergithe, dont les fictions grecques ne méritaient guère plus de confiance que celles de Dioclès de Péparèthe, trop estimé de Plutarque[231] ; fictions doublement fausses, car ce sont des fables, et des fables étrangères. Les pontifes auraient pu lui en transmettre encore quelques autres de vraiment romaines, comme celle que les auteurs latins, qu'il suit quelquefois, avaient trouvée dans leurs propres Annales[232], sur la naissance merveilleuse de Servius Tullius ; mais jamais ils ne lui auraient appris à porter le babil d'un Grec et la vanité d'un déclamateur jusqu'à prêter à Romulus un énorme discours dans le genre délibératif sur le gouvernement qu'il venait de fonder, et à tant d'autres Romains tant d'autres discours d'une incroyable puérilité. Un dernier exemple prouvera que les auteurs consultés par Denys avaient eu quelquefois sous les yeux des Annales contemporaines pour des faits antérieurs à la prise de Rome. Parvenu à l'an 311, selon le comput qu'il a préféré, il dit qu'il y eut cette année-là, d'abord des tribuns militaires avec le pouvoir consulaire, puis des consuls : les Annales varient, ajoute-t-il ; quelques-unes seulement admettent ces deux sortes de Magistrats, et nous les suivons non sans raison, nous fiant au témoignage des livres religieux et secrets[233]. Or, on voit par Tite-Live[234] que l'historien grec avait, comme lui, copié ici l'ancien historien romain Licinius Macer, et que c'est Licinius qui avait consulté pour cette année, outre l'original du traité avec les Ardéates, les livres de toile du temple de Monéta, livres que Denys appelle mystérieux et sacrés. C'est un nouveau motif de penser qu'il n'a pareillement
cité que d'après d'autres ce qu'il semble emprunter des Annales des pontifes
: je crois même en trouver l'aveu dans le début de son septième livre, où il
reproche aux historiens latins Licinius Macer et Gellius d'avoir fait régner
en Sicile Denys au lieu de Gélon, l'an de Rome 261, dix-sept ans après
l'expulsion des rois, et de s'être ainsi trompés de quatre-vingt-cinq ans. L'erreur de Macer et de Gellius vient probablement,
continue-t-il, de ce que le premier qui enregistra
ce fait dans l'histoire et que tops les autres suivirent, ayant lu seulement
dans les anciennes tables[235] que les envoyés de Rome rapportèrent alors le blé que leur
donna le tyran, et s'inquiétant peu encore d'aller interroger les historiens
grecs sur le nom du tyran de Sicile, se hâta presque au hasard, et avant tout
examen, de l'appeler Denys. Ce passage, fort peu favorable d'ailleurs
à ceux qui font honneur aux Grecs de l'invention de l'histoire romaine,
atteste que l'écrivain s qui n'eût pas pris ce ton conjectural s'il avait vu
lui-même ces anciennes tables, était du moins persuadé que d'autres les
avaient vues, et pour des événements d'une haute antiquité. D'où vient donc que cet historien grec, avec son affectation d'exactitude, n'a point fait ce qu'avait fait Polybe ? C'est que l'amitié et la protection des Scipions ouvrirent à celui-ci les plus secrètes archives, où, il trouva des pièces authentiques inconnues aux nombreux auteurs grecs d'histoires italiques ; où il trouva cette chronologie des pontifes qui lui servit de règle pour l'ère de la fondation. Sans doute, malgré vingt-deux ans de séjour en Italie, Denys fut moins heureux ; les Grecs, dont la foule inondait alors les rues de Rome, y étaient moins estimés : si l'on excepte quelques monuments conservés et recommandés par la vanité des familles, comme les registres des censeurs qu'il cite deux fois[236], et la première fois pour un recensement qui eut lieu deux ans avant l'invasion gauloise, il ne lui fut permis de puiser qu'aux sources publiques, ouvertes à tous, et même aux étrangers ; les seules inscriptions qu'il put lire furent celles qu'on avait exposées à tous les regards sur le fronton et les murs des temples, sur les écussons, sur les colonnes, sur les tombeaux. Je ne crois point que dans ce temps-là tous les citoyens romains indistinctement pussent eux-mêmes pénétrer jusqu'aux archives pontificales. Depuis l'an 623, la table historique du grand pontife n'était plus consultée publiquement dans son atrium. Si Varron lut les Annales[237] ; si l'auteur du traité de la République fait parler Scipion de tel fait consigné dans ce recueil des pontifes[238] et du dépôt où se trouvent les lois de Numa[239], c'est que tous deux ils étaient sénateurs, augures, et que les archives de leur patrie ne leur-étaient pas fermées. Un étranger, surtout alors, n'y avait point accès. On peut du moins faire un mérite à Denys d'avoir souvent tourné sa pensée vers cette source antique et vénérable de l'histoire romaine. Il en parle d'abord avec peu d'estime, et il reproche à Polybe sa confiance dans les Annales, comme pour lui faire expier le privilège d'être le seul Grec qui les ait vues ; mais bientôt il se hâte de glaner çà et là ce qu'il en peut recueillir, pour les faits antérieurs à l'invasion, dans Caton, Macer, Gellius, Pison, et les autres annalistes romains qui les avaient consultées. Voilà tout ce qu'un étranger pouvait faire ; peut-être même n'était-il point facile à un Romain de faire alors davantage. Quoi que l'on ait dit de l'indulgence d'Auguste pour les jugements de l'histoire, indulgence assez douteuse, puisqu'il fit le premier brûler les ouvrages d'un historien[240], on s'écarta peu, sous son principat, des habitudes de l'ancien gouvernement, qui avait pour la publicité des actes politiques la répugnance ordinaire de l'oligarchie ; il n'est point sûr que les dépôts de l'État aient été ouverts à Tite-Live. Il faudrait reconnaître toutefois que déjà sous Auguste et sous Tibère le pouvoir commençait à se départir de cette défiance jalouse, et à se souvenir qu'en lui le parti populaire avait triomphé, si l'affranchi Verrius Flaccus, grammairien célèbre sous ces deux règnes, était, comme on peut le supposer d'après Aulu-Gelle, un de ceux qui mirent en ordre les Annales pontificales[241] aussi bien que les fastes, du moins ceux de Préneste ; mais l'insuffisance d'un seul texte assez équivoque rend cette question fort indécise. On voit seulement que dans les écrivains contemporains des premiers Césars, dans Valère-Maxime, dans Velléius même, la critique de l'ancienne histoire romaine avait encore fait peu de progrès. J'oserais presque fixer l'époque où les monuments originaux de cette histoire devinrent enfin plus accessibles à une curiosité savante. Vespasien, renonçant le premier aux traditions patriciennes de la famille des Césars qui venait de finir dans Néron, lorsqu'il reconstruisit le Capitole incendié par les soldats de Vitellius ou par les siens, ne craignit point d'en faire comme un musée historique où se dévoileraient, aux yeux de tous, les mystères de l'antiquité romaine. A sa voix, on rassemble dans le tabularium les titres, non point perdus, mais dispersés, des premiers siècles ; des copies recueillies dans tout l'empire reproduisent les trois mille tables de bronze où se lisaient les traités d'alliance, les sénatus-consultes, les plébiscites, et les autres documents authentiques qui remontaient presque jusqu'au berceau de Rome ; car Suétone dit, pœne ab exordio Urbis[242], comme Cicéron avait dit des Annales, ab initio rerum romanarum[243], et des lois religieuses et civiles, a primo Urbis ortu[244]. Alors sans doute, d'après l'usage dès longtemps suivi, furent renouvelés plusieurs monuments anciens, comme l'ont été l'hymne des fratres Arvales, l'inscription de la colonne Duilienne, d'autres inscriptions historiques ; comme l'ont été souvent d'anciennes médailles. Alors il se fait, ce me semble, dans la manière d'envisager les événements des premiers temps de Rome, un changement que des critiques qui ont voulu être novateurs n'ont pas assez remarqué. Dès que ces belles et vénérables archives de l'empire[245] s'ouvrent sans obstacle aux études des historiens, tombent plusieurs des voiles qui avaient jusque-là caché le passé. Jusque-là régnait l'histoire telle qu'elle avait été convenue entre les grandes familles, qui n'en laissaient voir que ce qui ne blessait point leur orgueil ; telle qu'on la trouve dans les fragments de la plupart des annalistes dans ceux de Varron, dans Cicéron même, qui en cela resta fidèle à son parti politique ; telle que le pompéien Tite-Live l'embellit de sa narration pure et de sa riche éloquence. Depuis Vespasien et son nouveau Capitole, on connait mieux la vérité, et le patriciat déchu ne défend plus de la dire. On revient dès lors plus rarement sur les merveilles surannées des premiers temps, sur les anciennes apparitions célestes, sur les rapports des nobles familles avec les dieux ; on est bien près de proclamer que l'origine troyenne des Jules n'est qu'une fable[246] ; on ose douter un peu plus qu'autrefois de l'héroïsme et des tourments de Regulus ; Suétone, qui put mieux que tout autre, comme secrétaire d'Adrien ; consulter les anciens titres historiques, reconnaît que l'or, prix de la rançon de Rome, ne fut point reconquis par Camille, ni même par les habitants de Céré, comme le dit Strabon[247], mais emporte par les vainqueurs[248] ; deux Romains pour la première fois, Tacite et Pline, avouent que Rome se rendit à Porséna[249], et que, dans le traité, il fut stipulé qu'à l'avenir elle ne se servirait du fer que pour l'agriculture[250]. Nous voilà déjà bien loin de Tite-Live ! On ne peut savoir aujourd'hui si la série des Annales pontificales fut comprise dans les recherches faites par l'ordre de Vespasien : il est permis de le croire ; car elles devaient servir de lien entre tous les autres monuments, et la candeur de leurs anciens récits, avant les luttes passionnées du sénat et du peuple, était propre à éclairer la critique historique. Nous ne voyons pas il est vrai, que l'on ait alors suffisamment profité de leur étude et de tant d'autres secours, pour dégager l'histoire des prestiges dont une politique adroite avait essayé de l'orner, pour en corriger les mensonges et les réticences ; mais il faut reconnaître du moins que si de nos jours, sans avoir les mêmes moyens d'innover avec certitude, on a poussé jusqu'à ses derniers termes, et au delà peut-être de la vraisemblance, l'examen critique de l'histoire de Rome, les Romains eux-mêmes l'avaient commencé. Quintilien, précepteur des petits-neveux de Domitien, parle des antiquaires qui allaient exhumer de ces archives les formes du vieux langage[251], et une phrase de lui, déjà citée, m'engage à croire que la lecture des Annales pontificales eut beaucoup de part à cette rénovation des travaux historiques depuis la dynastie flavienne : Sans l'émulation il ne nous resterait rien, dans la poésie, au-dessus de Livius Andronicus ; rien, dans l'histoire, au-dessus des Annales des pontifes[252]. Il fallait qu'elles fussent bien connues de son temps ; car il les choisit, comme le plus ancien ouvrage d'histoire en latin, pour les mettre en parallèle avec les plus anciennes poésies latines. Si, lorsqu'il écrivait ces mots, il n'était rien resté des Annales, il se serait mal exprimé, et les deux points de la comparaison ne se répondraient pas ; car il y avait encore alors des ouvrages de Livius Andronicus. Plutarque, qui écrivit vers ce temps-là, profita-t-il des Annales des pontifes pour composer la Vie de Romulus, celles de Numa, de Valerius Publicola, de Coriolan, de Camille, de Fabius Maximus, de Marcellus ? Non ; il ne consulta guère que cette multitude d'auteurs grecs qui avaient exercé leur imagination sur les origines italiques, ou mis leurs éloges et leurs fables au service de quelques familles puissantes, mythographes ou courtisans plutôt qu'historiens[253]. Ce n'étaient point là les véritables sources de l'histoire romaine, mais elles étaient à sa portée. Denys d'Halicarnasse n'avait pu étudier les Annales ; Plutarque ne le voulut pas. Lui qui, de son aveu, savait à peine le latin, et qui ne lisait Tite-Live ou César que parce que les choses lui faisaient comprendre les mots[254], se serait-il mis à déchiffrer, dans son passage à Rome, d'anciens monuments qui devaient avoir bien plus de difficultés pour lui ? Chez les Romains eux-mêmes qui, en général, montrèrent peu de goût pour le travail pénible et aride de l'interprétation, ces vieilles tables, écrites dans un langage devenu presque inintelligible, furent peu consultées, et n'intéressèrent qu'un petit nombre de savants grammairiens ; mais, dans le naufrage de tant d'écrits qui nous en apprendraient plus, nous ne manquons cependant pu de raisons de croire que les Annales pontificales survécurent encore assez longtemps en siècle de Vespasien. Aulu-Gelle, nous l'avons vu, en cite le onzième livre[255]. Censorin qui, peu de temps après, sous l'empereur Philippe, lisait encore les Rituels étrusques, et les Commentaires des Quindécemvirs, qu'il allègue plusieurs fois[256] indique vaguement les anciennes Annales[257]. Vopiscus qui, sous Dioclétien, transcrivit beaucoup de pièces officielles dans les archives impériales, y consulta encore, pour les premiers temps de Rome, les tables chronologiques de ces prêtres qui avaient eu, dit-il, le privilège d'écrire l'histoire[258]. Enfin, sous les fils de Théodose, le grammairien Servius, dans un passage que j'ai rapporté[259], atteste les Annales du grand pontife divisées en quatre-vingts livres. Le onzième livre cité par Aulu-Gelle, les quatre-vingts dont parle Servius, voilà des indices nouveaux qui nous montrent tout à coup, dans ces tables blanchies, exposées sous le vestibule du grand pontife, des chroniques régulières, partagées en livres pour la facilité de l'usagé, comme les récits historiques de Tite-Live ou de Tacite. Ainsi donc ces antiques monuments de l'histoire romaine ont plusieurs fois peut-être changé de forme, ou selon la volonté des pontifes mêmes, ou au gré de leurs éditeurs : vicissitudes naturelles, inévitables, d'où sont nées toutefois dans l'esprit des critiques d'autres objections qu'il faudra maintenant discuter. Ces vicissitudes des temps et des révolutions politiques ou littéraires, qui ont changé nécessairement, soit les rapports que les pontifes historiens avaient avec le peuple, soit les formes que prit successivement leur annuaire, même après qu'ils l'eurent interrompu, ont suggéré surtout des doutes spécieux à M. Lévesque, qui s'est plusieurs fois appliqué à ébranler ce fondement de l'histoire romaine. Dans le mémoire où il essaie d'ajouter aux arguments de Pouilly et de Beaufort[260], il attaque comme, invraisemblables et fausses ces paroles d'un de nos plus importants témoignages : Le grand pontife... exposait dans sa maison cette table historique, afin que le peuple eût le pouvoir de la consulter[261]. Et il est vrai qu'il peut y opposer en apparence l'invective de Canuléius, le tribun du peuple, dans Tite-Live : Si nous ne sommes admis à consulter ni les fastes, ni les Annales des pontifes[262]... Tel est ici le sens de commentarii pontificum, puisqu'il ne s'agit que d'ouvrages historiques, tels que les fastes qui commençaient à Publicola et à Brutus[263], et que tous les faits que le tribun rappelle ensuite, pour reprocher aux patriciens de vouloir les cacher au peuple, sont des faits de l'histoire de Rome. On trouve encore ailleurs, et dans Tite-Live même[264], commentarii pontificum employé pour Annales. Mais, en admettant qu'il ne se soit pas ici trompé, comme il l'a fait souvent dans ses morceaux oratoires, il Saut distinguer les temps. Les Annales, qu'il suppose en ce moment inaccessibles au peuple, l'ont-elles donc toujours été ? L'idée de publicité était tellement inséparable, à certaines époques, des actes des pontifes, que le même Tite-Live, racontant, d'après une tradition vraie ou fausse, que le roi Ancus Marcius fit promulguer par le grand pontife les ordonnances religieuses de Numa, s'exprime ainsi : Pontificem in album relata proponere in publico jubet[265]. Ce qui s'accorde merveilleusement avec ces mots : Potestas ut esset populo cognoscendi. Sans doute cette oligarchie qu'on nomme république romaine mit souvent des limites à ce droit. Le discours du tribun est de l'an de Rome 310 : nouvelle preuve, pour le dire en passant, que les Annales avaient commencé avant 350. Or ; tous les grands pontifes, jusqu'alors, avaient été patriciens[266] ; et de tels annalistes pouvaient fort bien prétendre qu'ils n'écrivaient pas l'histoire pour le peuple. Mais lorsqu'enfin, l'an 448, le scribe Flavius, ou quelque autre ambitieux, si l'on partage les doutes d'Atticus[267], eut publié les fastes, plutôt judiciaires qu'historiques, et qui n'étaient cependant aussi que le privilège d'un petit nombre ; lorsque, l'an Sot, au temps de la première guerre punique, par un effet tardif de la loi Ogulnia, portée dès 453, les familles plébéiennes, dans la personne de Tib. Coruncanius, ce jurisconsulte qui donna l'exemple de répondre publiquement à tous sur des questions de droit, obtinrent pour la première fois le souverain pontificat, il est probable que les anciennes exclusions cessèrent, si elles n'avaient déjà cessé, et que l'histoire devint aussi publique que la jurisprudence. Nous voyons ce Coruncanius au nombre des orateurs, et il paraît qu'il avait consigné quelques preuves de son éloquence dans les Annales[268] : il devait donc aimer la publicité. Le fait que l'on veut infirmer par les plaintes du tribun de Tite-Live, se rapporte au dernier pontife qui dressa les Annales, Q. Mucius ; les tables historiques ne devaient plus être inaccessibles au peuple sous un pontife contemporain des Gracques. Lorsqu'elles l'étaient, il restait toujours au peuple l'espérance de voir se renouveler l'indiscrétion du scribe Flavius t selon le grammairien Diomède, qui suit certainement ici un auteur beaucoup plus ancien, des secrétaires, des scribes, travaillaient, sous les ordres des grands pontifes, à la confection ou du moins à la transcription des Annales[269]. L'usage du mot conficiunt décèle l'origine ancienne de cette phrase, qui ne peut se rapporter au temps de Diomède. Les secrétaires du grand pontife étaient des hommes de quelque autorité, puisqu'ils eurent plus tard le titre de pontifices minores[270] ; et ceux qui n'avaient pu empêcher la publication des fastes, leur auraient sans doute interdit vainement celle des Annales. Il est difficile de croire que, même avant les Gracques, on ait pu longtemps les tenir secrètes ; car la maison même du grand pontife, dans la rue Sacrée, était publique. Cette maison, appelée regia parce que là demeurait aussi le roi des sacrifices, était réellement un palais public, soit comme donné par le peuple, soit lorsque les Scipion Nasica, les Mucius Scévola, en même temps jurisconsultes et grands pontifes, y recevaient tous ceux qui venaient les consulter, et qui, en passant dans l'atrium, pouvaient interroger librement les fastes glorieux de la pairie[271]. Cette liberté, du moins au siècle des Gracques, n'est point douteuse. Peut-être même l'antique institution des Annales cessa-t-elle, moins, comme Ernesti l'a cru[272], à cause des troubles et des dangers des guerres civiles, que parce que cette publicité passée en loi déplut aux pontifes qui suivirent. Il faut dire aussi que Rome, qui dès lors voyait de toutes parts naître les annalistes, même les historiens, et qui avait déjà trouvé sans doute, comme j'essaierai de l'indiquer ailleurs, pour les actes journaliers de la vie publique, une forme de récit moins lente et moins discrète que celle des pontifes, n'avait plus besoin de cette invention naïve des premiers âges. Si, pour n'avoir pas distingué les siècles, on a cru voir une contradiction suspecte entre deux autorités graves, Cicéron et Tite-Live, d'autres doutes non moins spécieux contre la durée des Annales sont venus de la confusion introduite dans l'examen qu'on en a fait, soit par les divers titres qu'on a prétendu leur donner, soit par les diverses formes littéraires qu'elles ont pu revêtir avec le temps. M. Lévesque, tout en profitant habilement de cette confusion, s'y est laissé tromper lui-même, et il a pris son erreur pour une importante découverte. Après avoir reconnu que le onzième livre des Annales
pontificales est cité par Aulu-Gelle ; que Vopiscus les fait remonter jusqu'à
la mort de Romulus ; que l'auteur, qu'il admet comme ancien, du traité sur
l'Origine de la nation romaine allègue le quatrième et le sixième livre des
mêmes Annales pour des faits qui regardent la ville d'Albe avant la fondation
de Rome, pour Évandre, Hercule et Cacus, il se hâte de rétracter ainsi ces
apparentes concessions : Mais sont-ce bien les
anciennes Annales que cite l'auteur ? Je commence à m'apercevoir que non ;
car, en parlant de la mort et des funérailles de Misénus, pilote et trompette
d'Énée, il ajoute : Ut etiam scribit Cæsar
pontificalium libro primo[273]. On croyait donc, de son temps, que les grandes Annales
avaient été refaites par César ou par son ordre, en sa qualité de grand
pontife ; et l'on a lieu de présumer que c'étaient ces Annales renouvelées
que citaient Aulu-Gelle et Vopiscus. C'étaient elles aussi qui formaient
quatre-vingts livres, suivant Servius
[274]. Je répondrai d'abord que l'auteur de cet extrait sur l'Origine de Rome distingue lui-même lés Annales de César de celles des pontifes[275]. Je demanderai ensuite si par hasard ce compilateur inconnu, dont personne n'oserait deviner le siècle, même ceux qui osent parler des opinions de son temps, n'aurait point donné le titre de pontificales libri, ou, comme il dit d'un style assez barbares libri pontificalium[276], aux livres des Auspices ou aux livres Auguraux de César, dont les uns sont cités par Macrobe[277], les autres par Priscien[278], sans que les uns ni les autres soient peut-être de César le dictateur. Aucun témoignage authentique ne lui attribue d'Annales pontificales. C'est ici le lieu d'essayer de débrouiller la confusion que la critique moderne, comme on vient de le voir, a quelquefois laissée encore dans cette partie du vocabulaire des antiquités. Il nie semble donc que l'on ne doit admettre comme Annales des pontifes que les ouvrages cités sous les titres : Annales pontificum ou pontificis, Annales publici, Annales maximi ; et je n'ai pas cru devoir discuter l'opinion- bigarre du Hollandais Siccama[279], qu'après maximi il faut toujours sous-entendre pontificis, opinion assez réfutée par les auteurs qui disent maximis Annalibus[280] et Annales maximos[281]. On pourrait hésiter davantage à traduire toujours par Annales le mot commentarii, dont le sens paraît douteux dans un passage où Quintilien cite les commentaires des pontifes comme exemple de l'obscurité du vieux langage[282]. Pline[283] et d'autres encore appliquent certainement ce mot aux livres de discipline religieuse ; d'où Christophe Sax a cru pouvoir leur donner le titre exclusif de commentarii[284]. Sax a eu tort sans doute ; car ce mot, qui signifie mémoires, άπομνημονεύματα, et qui désigna en effet les mémoires particuliers de Scaurus, de Catulus, de Sylla, de César, se rapporte ordinairement avec plus de vraisemblance aux livres historiques des pontifes qu'à leurs autres livres sacrés. Cicéron, qui appelle les livres Auguraux nostri commentarii[285], renvoie les pontifes à leurs commentaires pour une question de droit pontifical liée à un fait historique[286]. Ailleurs, par la même expression il semble indiquer aussi les Annales[287]. Lorsque Tite-Live l'emploie en parlant de ceux des écrits des pontifes qui périrent dans le désastre de Rome[288], on ne peut douter qu'il ne regrette un recueil de faits et de dates. Il les désigne de même dans cette célèbre phrase du discours de Canuléius[289] ; qui avait fourni à Lévesque une objection que je crois avoir réfutée. Mais je ne comprends point parmi les Annales, et j'ose penser qu'il ne faut point faire entrer dans la discussion des textes qui s'y rapportent, les livres appelés libri pontificum, mot vague, sous lequel Horace a pu réunir tous les livres des pontifes, ou rituels, ou historiques[290] : il y a doute, et ce doute n'est point levé par les scholiastes ; car si l'un, Acron, semble expliquer pontificum libros par libros Annales, l'autre, Porphyrion, dit avec incertitude, Utrum Annales an jus pontificium significat ? Ils croyaient du moins tous deux que le poète avait pu désigner ici les Annales, et qu'ainsi elles subsistaient encore du temps d'Horace. Toutefois pontificum libri signifie communément, dans les anciens, les livres du culte, les rituels ; et les derniers éditeurs du Lexique de Forcellini auraient dû corriger l'endroit[291] où il confond cette expression avec celle de commentarii, qui se dit mieux des livres historiques. Cicéron, par les livres des pontifes, semble entendre plus particulièrement les livres de droit pontifical ; car il les place entre le droit civil et les douze Tables[292]. Libri a le même sens dans Tite-Live[293] ; et M. Larcher ne devait pas y voir les Annales[294]. Dans Festus, ce sont les rituels[295]. Aussi, malgré l'utilité du témoignage d'Horace pour la cause que je défends, je la crois assez bonne pour n'avoir pas besoin qu'il m'aide à démontrer que les Annales des pontifes étaient regardées de son temps comme non moins authentiques que les douze Tables, les traités avec Gabies, avec les Sabins, et que les partisans de l'antiquité leur avaient voué la même étude et le même respect. J'exclurai donc également les livres pontificaux cités dans Pline[296], Macrobe[297], Servius[298], et dans le nouveau mythographe du Vatican[299]. Festus[300] allègue le septième livre pontifical d'Atéius Capiton. Un autre grammairien, Fulgentius Planciadès cite les livres pontificaux de Varron[301], de Rutilius Géminus[302], et même de Numa[303], dont il parait que Fulvius Nobilior alléguait l'autorité en divination[304], et sous le nom duquel il est possible qu'on eût osé refaire aussi les livres philosophiques[305] qui passaient pour avoir été jadis brûlés par ordre du sénat[306]. Les exemplaires de ces rituels, portant les noms divers de Varron, de Géminus de Capiton, dé Numa, de César, devaient être innombrables ; car il en fallait pour les innombrables prêtres du polythéisme romain. Ils paraissent n'avoir pas été inconnus à Tertullien[307]. Une foule de copistes étaient occupés à les transcrire, et on lit sur des inscriptions trouvées à Rome : Scriba a libris pontificalibus, a libris sacerdotalibus, a commentariis quindecimvirorum S. F.[308]. Un texte de Diomède[309] nous a prouvé que ces scribes copiaient aussi les Annales. Cet autre mot, libri pontificii, n'exprime pas non plus des livres historiques. Cicéron désigne ainsi les livres de rites et de prières[310]. Le même auteur y avait trouvé l'origine de l'appel au peuple, même sous les rois[311]. Quoique van Bolhuis[312] affirme qu'il s'agit ici des Annales, et qu'il y eût quelque avantage pour ma cause à s'appuyer sur un texte de plus, le rapprochement que fait Cicéron entre ces livres des pontifes et ceux de son collège des augures me porte à croire qu'ici comme ailleurs[313] il indique par ce mot les rituels. Sénèque, en faisant allusion à ce passage même, nous apprend que Fénestella voyait aussi dans les livres des pontifes, in pontificalibus libris[314], des traces de l'appel au peuple avant les consuls. Libri pontificii, pontificales libri, étaient donc synonymes : ni l'une ni l'autre dénomination, non plus que pontificalia dans Fulgentius[315], n'appartiennent nécessairement aux Annales. A plus forte raison ne faut-il y comprendre ni libri sacerdotum[316], autres livres de prières ; ni rituales libri, haruspicini, fulgurales[317] ; ni libri cœrimoniarum[318] ; ni sacrorum libri ou commentarii[319], ouvrages qui tous pouvaient servir à l'histoire de Rome, mais qui n'étaient pas proprement historiques. Henri Dodwell[320] et, d'après lui, Bouchaud[321], Lévesque[322], ont aussi confondu les livres lintéens avec les Annales : erreur manifeste ; car Tite-Live[323] oppose l'un de ces recueils à l'autre. Il serait plus naturel d'assimiler aux tables chronologiques des pontifes romains les fastes, espèce de calendrier que rédigeait annuellement le grand pontife, comme le fit César à son tour ; où de temps en temps, parmi les détails des jours fastes ou néfastes, des jours intercalés ou supprimés, des jours de marchés ou de fêtes, on inscrivait les grands événements, les noms des hommes illustres[324], mais qui n'étaient point les Annales, que Cicéron en distingue[325], et dont l'usage, plus facile et plus vulgaire, fut conservé et perpétué par les premiers chrétiens. Les actes diurnaux, ces journaux profanes qui succédèrent aux Annales consacrées n'en ont pas été non plus assez distingués par Juste Lipse, Welser, et Is. Vossius[326] : mes recherches sur les actes ou journaux romains établiront amplement cette distinction. On doit s'étonner surtout que la docte madame Dacier, dans une de ses premières notes sur le faux Aurélius Victor[327], ait confondu avec les Annales des pontifes non-seulement les pontificales libri, mais les Indigitamenta. Ce mot, que l'abréviateur de Festus traduit par incantamenta, mauvaise glose omise par un manuscrit[328] qui ne conserve que l'autre, indicia, est bien mieux interprété à l'article Indigitanto, rendu par imprecanto. Saumaise[329] dit qu'il a vu un bon manuscrit qui portait indiganto, variante qui a échappé à Lindemann, mais qui est fausse, et qui a trompé Saumaise ; car, après avoir dit avec raison qu'indigitare est pour indicitare, quod est invocare et imprecari, il arrive à des mots d'une racine toute différente, indicere, indictivus dies. Sa première pensée était la seule vraie ; il en eût trouvé la preuve dans Macrobe[330] et dans Servius[331]. Les Indigitamenta, que l'on rapportait à Numa[332], et que Varron définissait, des livres pontificaux qui contiennent les noms des dieux et la raison de ces noms[333] étaient donc aussi des rituels, ίερατικά βιβλία, dit un glossaire ancien, des livres d'invocations et de prières. Granius Flaccus avait adressé à César, grand pontife, un commentaire sur ces livres[334]. Dacier, qui, dans ses notes sur Festus, transcrit toute la discussion de Saumaise, sans dire où il la prend, ne se prononce pas sur les erreurs qui s'y mêlent, sur l'étymologie un peu forcée du mot indigetes (dicati, consecrati), qu'il serait peut-être plus simple d'expliquer par endo geniti, comme en grec θεοί έγγενεϊς[335]. Il fallait avertir aussi que le vrai mot devait être indicitamenta, endo, indi ou indu, par e ou par i, à la première syllabe ; car les voyelles se confondent sans cesse dans les textes primitifs de la langue latine, comme dans les divers dialectes de l'italien. Citamenta et gitamenta sont aussi le même mot ; car on lit sur la base de la colonne Duilienne leciones, macestratos, fartaciniensis. Le verbe est donc indocio, incio ; le substantif, indocitamentum, incitamentum, et on l'explique bien par indicia, blâmé à tort dans l'abréviateur de Festus. De là aussi peut-être induciæ (invocationes), à cause des prières qui accompagnaient la trêve, étymologie nouvelle que je propose d'ajouter à cinq ou six autres[336], qui ne sont aussi que des conjectures. Quelque route que l'on veuille suivre à travers ce labyrinthe, où Saumaise nous aurait beaucoup mieux guidés s'il n'avait pas laissé échapper le fil qu'il avait d'abord rencontré, il est certain que le recueil des Indigitamenta serait fort précieux pour nous, puisque là devaient se trouver les grandes prières romaines ou étrusques, comme les chants des Saliens, des Arvales ; comme la prière des Suovetaurilia, conservée par Caton[337] ; comme les dernières paroles des guerriers qui se dévouaient[338] ; comme les formules d'évocation et d'imprécation citées par Macrobe, d'après Sammonicus Serénus[339]. Mais on voit assez qu'il ne peut y avoir de rapport entre ce rituel des pontifes et leurs Annales. Elles paraîtraient en avoir un peu plus, au premier coup, avec les Axamenta, nommés ainsi, selon Jos. Scaliger et Vossius, qui développent le témoignage de Festus plutôt qu'ils ne le contredisent, parce qu'on les inscrivait sur des tables de bois, axibus ou assibus ; car les pontifes traçaient aussi leurs Annales sur le bois. Mais on peut croire du moins Festus, quelle que soit son étymologie d'axare, lorsqu'il nous enseigne que ce nom d'axamenta se donnait particulièrement aux chants des Saliens : l'analogie serait donc trompeuse, comme peut l'être celle que Lindemann[340] croit reconnaître entre ce mot et quelques mots sanscrits. Restent donc, pour exprimer les tables historiques des pontifes, le mot Annales, et quelquefois celui de commentarii. Admettre comme synonymes de ces mots tous ceux que je viens de dire, ce serait vouloir embarrasser la question. Il faudrait sans doute, pour la résoudre entièrement, pouvoir répondre ensuite aux difficultés que présentent et cette mention que fait Aulu-Gelle d'un onzième livre des Annales des pontifes, et cette division en quatre-vingts livres attestée par Servius. L'état d'imperfection où nous sont parvenus les documents sur l'antiquité latine, ne nous permet ici que des probabilités. Avec le temps, lorsque l'histoire eût cessé d'être écrite sur les murs de la maison du grand pontife, surtout lorsque les dépôts où se gardaient les Annales, qui de leurs tables de bois avaient dû être transportées sur des tables de marbre comme ce qui reste des fastes capitolins, furent plus accessibles à la curiosité publique, on peut supposer avec vraisemblance que l'idée vint de les recueillir en corps d'ouvrage. Le célèbre Fulvius Nobilior qui, vers 565, exposa ses fastes historiques dans le temple d'Hercule et des Muses[341] ; le chronologiste Clodius, cité par Plutarque[342], et qui pourrait être le même que Servius appelle scriba commentariorum[343] ; Cornélius Nepos[344], Lutatius[345], Atticus[346], furent peut-être au nombre de ceux qui l'essayèrent. Verrius Flaccus put contribuer aussi à faire connaître les Annales, si l'on en jugé par s'es fastes Prénestins, et par son recueil de choses mémorables cité dans Aulu-Gelle avec les Annales mêmes, libro primo Rerum memoria dignarum[347], extraits qui rappellent ceux dont parlait Varron[348]. Un puissant motif pour attribuer, sinon à Verrius Flaccus, du moins à l'époque d'Auguste, les fastes consulaires déterrés au forum vers le milieu du seizième siècle, accrus de notre temps et conservés au Capitole, c'est que, pour les années 705 et 715 de Rome le nom d'Antoine, maître de la cavalerie et triumvir, y a été trouvé presque effacé, conformément au sénatus-consulte de 723, qui ordonnait de renverser toutes les statues et de détruire tous les titres de cet ennemi d'Octave, et qui défendait aux membres de cette famille de prendre désormais le prénom de Marcus[349]. Tel fut l'empressement d'obéir à ce décret, dont la lâcheté s'est trop souvent renouvelée dans l'histoire, que les ouvriers ont mutilé même le nom de l'orateur Marc-Antoine, l'un des deux censeurs de l'an 656, que cette nouvelle proscription n'aurait pas dû atteindre. On a essayé plus tard de rétablir ces divers noms, probablement sous l'empereur Claude, qui s'honorait de descendre du triumvir par sa mère[350]. Voilà des faits qui fixent assez bien la date de ces tables de marbre ; où nous possédons encore une partie de la chronologie des Annales[351]. Quelque autre recueil, mais plus complet, de ce qui en était resté, peut-être celui qu'on publia en quatre-vingts livres, semble convenir assez au siècle où Vespasien, rassemblant les débris de l'incendie du Capitole et cherchant dans tout l'empire de quoi réparer ce désastre, fit mettre en ordre ce qu'on retrouva des anciennes tables fédérales, législatives, triomphales ; époque de discussions, d'études nouvelles, où marche d'un pas plus ferme la critique historique. Ce fut lorsque les Annales devinrent un corps régulier d'histoire sur lequel cette critique put librement s'exercer, qu'elles furent divisées en livres. Ainsi les chants d'Homère avaient eu leurs diascevastes ; ainsi le poème historique de Névius avait été partagé en sept livres par le grammairien Lampadio, et les Annales d'Ennius, en dix-huit livres par le grammairien Varguntéius[352]. Les Annales pontificales furent donc aussi divisées, non par années, comme il était naturel, mais par livres. Au temps de Servius, on en reconnaissait quatre-vingts. Parce qu'un faussaire est venu ensuite qui, prenant les livres pontificaux attribués à César pour des Annales, en a cité sous te nom le premier et le second livre, et parce qu'on a cru que c'étaient là les Annales des pontifes, est-ce une raison pour prétendre que celles dont Aulu-Gelle a cité le onzième livre ne peuvent être les vraies Annales ? La Chronique de Paros est-elle moins authentique parce qu'on la lit, non plus seulement sur le marbre, mais dans les pages d'un volume, et qu'elle y est arbitrairement partagée ? Admettons un instant comme vraies les citations de cet ouvrage si peu digne de foi sur l'Origine de Rome : faudra-t-il croire aussi que les Annales qu'on y trouve citées ne sauraient être réellement celles des pontifes, surtout parce qu'au livre quatrième il n'y est encore question que de la fondation d'Albe ; au sixième, de la mort d'Arémulus Silvius ? Non ; je trouverais plutôt dans cette prédilection pour les temps fabuleux une sorte de vraisemblance' en faveur de cet écrit suspect à tant de titres, et j'oserais dire que telles durent être en effet, dans ce qui avait survécu de leurs premiers récits, les véritables Annales des pontifes, dont le souvenir, à travers le moyen âge, s'était conservé peut-être par la tradition vague des peuples d'Italie. On s'étonne de voir, dans le partage des livres, les temps historiques venir si tard, et les fables d'Énée, d'Évandre, d'Ascagne, de tous les rois d'Albe, occuper tant de place. Mais il en est ainsi partout : il est rare que nos anciennes chroniques ne commencent pas au commencement du monde. Les premiers annalistes de Rome qui écrivirent après les pontifes se plurent à ces illusions d'une antiquité merveilleuse et poétique. Valérius Antias n'arrivait à Numa que dans son second livre. Cn. Gellius, au troisième livre de ses Annales, en était encore à Romulus ; il faisait attendre jusqu'au quinzième l'invasion des Gaulois, et ne songeait pas à raconter la seconde guerre punique avant le trente-troisième. Caton lui-même, qui était déjà un historien, dans le premier livre de ses Origines, avait rappelé en bon citoyen Latinus, Turnus, Amate, Ascagne, et toute cette mythologie nationale qui était comme la religion du patriotisme romain. L'ordre même de la discussion me conduit ainsi à la dernière partie de ce mémoire : j'ai considéré d'abord l'origine et la composition des Annales des pontifes ; ensuite, leur durée sous diverses formes ; il reste à voir, pour terminer, quelle en était la valeur historique. |
[1] Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, 1722, t. VI, p. 14.
[2] Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, 1722, t. VI, p. 30, 52 et 115.
[3] Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, 1722, t. VI, p. 170.
[4] Animadversiones historicæ, Amsterdam, 1685, p. 179.
[5] Tite-Live, VI, 1 : Etiam si quæ in commentariis pontificum, aliisque publicis privatisque erant monimentis, incensa urbe pleraque interiere.
[6] Numa, c. 1.
[7] De Fort. Rom., c. 13.
[8] XXIX, 22.
[9] V, 18.
[10] I, 22.
[11] Bell. Gall., fragm. 3.
[12] Ad Æn., I, 52, 176 ; II, 229, etc.
[13] Cicéron, Brutus, c. 16 ; Tite-Live, VIII, 40.
[14] Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. VI, p. 109 ; et après lui, Beaufort, Dissertation sur l'incertitude des cinq premiers siècles de l'histoire romaine, p. 20, éd. de 1750.
[15]
De Fontibus histor. Livii, part. I, p. 19.
[16] I, 4 ; X, 23.
[17] Tacite, Annales, XIII,
58.
[18] Tite-Live, I, 26 : Hodie quoque publice semper refectum manet.
[19] Denys d'Halicarnasse, I, 79 ;
Vitruve, II, 1 ; Sénèque, Consol. ad Helv., c. 9.
[20] Pline, VIII, 74.
[21] Pline, VIII, 74.
[22] Tite-Live, I, 33.
[23] I, 56.
[24] I, 55.
[25] Pline, XXXIV, 11.
[26] Pline, XXXV, 6.
[27] Servius, ad Æn., VIII, 285.
[28] De Ling. lat., VII, 26, Otfr. Müller.
[29] De Ling. lat., VII, 3.
[30] De Ling. lat., VII, 3.
[31] Horace, Epist., II, 1, 86 ; Quintilien,
I, 6, 40.
[32] Denys, II, 34.
[33] Denys, I, 79.
[34] Tite-Live, IV, 20, 53 ; V, 49 ;
VII, 10, 38 ; X, 30.
[35] Cicéron, Brutus, c. 19 ; Tusculanes, I, 2 ; IV, 2 ; de Leg., II, 24 ; Varron, ap. Nonium, II, 70 ; Val. Maxime, II, 1, 10 ; Quintilien, I, 10, 20.
[36] Tite-Live, VI, 1.
[37] Quas in monumentis habemus, de Rep., II, 24. Quas scitis exstare, ibid., V, 1.
[38] Ex regum commentariis, pro Rabir. perd., c. 5.
[39] Tacite, Annales, XII, 8.
[40] Festus, v. Pro censu et Procum.
[41] Cicéron, de Legib., II, 7, etc.
[42] Macrobe, Saturnales, I, 13 ; H. Dodwell, de Roman. cycl., p. 640.
[43] Tite-Live, III, 55 ; Pomponius, de Orig. jur., c. 21 ; Zonaras, Annal., VII, 16.
[44] Denys, II, 55.
[45] Denys, IV, 26.
[46] Denys, IV, 48.
[47] Γράμμασιν άρχαϊκοϊς, IV, 58.
[48] Paul Diacre, d'après Festus, au mot Clypeum.
[49] IV, 65.
[50] Epist., II, 1, 24 : Fœdera regum Vel Gabiis, vel cum rigidis œquata Sabinis.
[51] III, 22-24.
[52] Polybe, III, 22.
[53] Politique, III, 5, 11, éd. de Coray.
[54] Roman history, book III, ch. 7 ; Dissertation on the credibility of the
history of the first 500 years of Rome, p. 430, éd. de Londres.
[55] Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XLVI, p. 1.
[56] Ύπήκοοι, Polybe, l. c.
[57] XXXIV, 39.
[58] Histoires, III, 72.
[59] VI, 95.
[60] Pro Balbo, c. 23.
[61] IV, 7.
[62] VI, 29 ; XL, 52 ; XLI, 28.
[63] Pline, XXXVII, 6 : Pompeii triumphorum acta ; Diodore, nouveau fragment du liv. XL, éd. de Rome, 1827, p. 129.
[64] Festus, v. Trientem.
[65] Page 2680, Putsch.
[66] Voyez Tite-Live, XL, 52.
[67] Pline, XXXIII, 13 ; Cassiodore, Var., VII, 32.
[68] Voyez Visconti, Opere varie, t. I, p. 1, éd. de Milan.
[69] Tite-Live, IV, 17 ; Cicéron, Philippiques, IX, 2 ; Pline XXXIV, 11.
[70] Tite-Live, IV, 20.
[71] Valère Maxime, III, 4, 3 ; Pline, XXXIV, 11 ; Aulu-Gelle, IV, 5.
[72] Pline, XVI, 87.
[73] Pline, XXXV, 3.
[74] Pline, XXXV, 37.
[75] Pline, XXXV, 45.
[76] Niebuhr, Histoire romaine, t. IV, p. 364, tr. fr.
[77] Opuscula philologic., Leyde, 1762, p. 77. Kruse est plus impartial dans la seconde section de son mémoire de Fide Livii recte æstimanda, Leipzig, 1812, p. 43, 46, etc.
[78] Festus, aux mots Opima spolia, Procincta classis ; Aulu-Gelle, X, 15.
[79] Tite-Live, IV, 34.
[80] Verbosum in historia negligentemque. Suétone, Caligula, c. 34. Quelques modernes n'ont pas été moins sévères : Dodwell, de Vet. cyclis, p. 589 ; Borghesi, Nuovi frammenti dei Fasti consolari, p. 127, 157, etc.
[81] Tite-Lire, XXXIX, 18.
[82] Polybe, III, 33, 56.
[83] Tite-Live, XXI, 38.
[84] Tite-Live, XXVIII, 46.
[85] Expiatioque eorum in libris per duumviros quæreretur. Tite-Live, V, 50.
[86] Nouveaux Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. II, p. 461.
[87] Tite-Live, III, 10 ; IV, 25 ; X, 47 ; XXXI, 12, etc.
[88] De Die natali, c. 17.
[89] De Rep., II, 31.
[90] Tite-Live, IV, 7, 13, 10, 23.
[91] Tite-Live, IV, 7, 20. Beaufort, Dissertat., p. 97, distingue avec raison des livres des magistrats les livres lintéens, en proposant de lire dans Tite-Live, IV, 20, et quos linteos ; mais il s'en figure à tort différentes éditions d'après ces mots du même auteur, IV, 23, in tam discrepante editione, qu'il a mal compris. Beaufort, p. 101, veut distinguer aussi entre les mémoires et les tables des censeurs.
[92]
Polybe, II, 23, 24. Voyez sur les livres des censeurs, Mazocchi, In tabul. Heracl., p. 462.
[93] De Ling. lat., VI, 86, Otfr. Müller.
[94] IV, 21.
[95] I, 74.
[96] I, 74.
[97] Pline, XXXV, 2.
[98] Varron, de L. L., VI, 90.
[99] Aulu-Gelle, XIII, 19.
[100] Cicéron, Brutus, c. 16 ; Quintilien, III, 7, 2 ; Polybe, VI, 53 ; Denys, V, 27.
[101] Tite-Live, XL, 29 ; Pline, XIII, 27 ; Plutarque, Numa, c. 22 ; Lactance, I, 22 ; saint Augustin, de Civ. Dei, VIII, 5, etc.
[102] Antemna veterior est quam Roma. Caton, Origin., I, ap. Priscian., p. 716, Putsch.
[103] Pline, XVI, 87.
[104] Kircher, Latium vet. et nov., part. IV ; c. 6, p. 137 ; Volpi, Vet. Latium profanum, XVIII, 2, t. X, p. 61 ; Gruter, Inscript., p. 499, n. 12.
[105] De l'an 664, par Visconti, Iconogr. rom., t. I, p. 131, éd. de Milan ; de 431 ou de 439, par Niebuhr, Hist. rom., t. V, p. 366, tr. fr.
[106] Ovide, Fastes, VI, 59 ;
Macrobe, Saturnales, I, 12.
[107] De L. L., VI, 16 : In Tusculanis libris est scriptum.
[108] IV, 4, éd. de Rome, 1823, p. 100.
[109] Cicéron, de Divinat., II, 41 ; Solin, II, 9.
[110] Ad. Æn., VII, 678.
[111] Voyez les Inscriptions latines d'Orelli, t. II, p. 388, 404.
[112] De Origine gent. rom., c. 23.
[113] Vitæ et fragmenta veterum
historic. rom., Berlin, 1823, p. 66.
[114] XXI, 9.
[115] Historiæ Camanæ compositor. Festus, au mot Romam.
[116] Ίστορίαι έπιχώριοι, II, 49.
[117] Ex libro vetere lecto, X, 38. Voyez Lanzi, Saggio di ling. etrusca, t. II, p. 587.
[118] Tite-Live, V, 34.
[119] X, 2.
[120] Ap. Plin., III, 14.
[121] Diversarum civitatum conferens tempora, dit Censorin, de Die natali, c. 21.
[122] III, 46 : Ώς έν ταΐς έπιχωρίαις γραφαϊς εΰρον, ce qui ne veut pas dire ut in romanis commentariis reperi, comme on lisait autrefois dans la version latine, mais, comme on y lit aujourd'hui, ut in illius gentis Annalibus.
[123] Scholiast. Veron. ad Æneid., X, 183, 198.
[124] Suétone, Claude, c. 42.
[125] A. Maii Nova collectio Vaticana, Rome, 1827, t. II, p. 136.
[126] Aulu-Gelle, XI, 7.
[127] Pline, XXXIV, 16.
[128] Ap. Serv. ad Æn., XI, 715.
[129] Sed
ipsi unde oriundi sunt exacta memoria, illitterati, mendacesque sunt et vera
minus meminere. Caton, ap. Serv. ad Æn., XI,
715.
[130] Tite-Live, V, 40 ; et une inscription du Vatican expliquée par M. Borghesi, Giornale arcadico, 1819, t. I, p. 58.
[131] Chap. 20.
[132] XIV, 115.
[133]
VI, 1 : Et quœdam regiæ leges... Alia ex eis edita etiam
in vulgus.
[134] De bello Gotthic., IV, 22 : Αύτός θεασάμενος.
[135] Varron, de Re rustica, II, 4.
[136] Varron, de Re rustica, II, 4 ; V. Visconti, Museo Pio-Clementino, t. VII, pl. 32, n. 2, éd. de Milan.
[137] Denys, III, 36.
[138] Tite-Live, III, 55.
[139] Polybe, III, 22.
[140] IV, 17.
[141] XII, 80.
[142] Philippiques, IX, 2.
[143] XXXIV, II.
[144] Aux mots Probrum virginis Vestalis.
[145] Alb. Barisoni, de Archivis, ap. Supplem. Poleni, t. I, p. 1087, prétend qu'il n'y eut jamais d'archives dans l'atrium de la Liberté. Fixam, dit-il en citant le fragment de Caton dans Festus, et non conditam, repositam. Barisoni se trompe. Voyez Tite-Live, XLIII, 16.
[146] Denys, IV, 62 ; Tacite, Annales, VI, 12.
[147] Cicéron, pro Balb., c. 23.
[148] Denys, V, 35.
[149] Plutarque, Publicola, c. 39.
[150] Vespasien, c. 8.
[151] LVII, 16.
[152] Vopiscus, Tacite, c. 10.
[153] Attilius Fortunatianus, ap. Gramm. lat. Putsch., p. 2680.
[154] Voyez Gibbon, t. XIII, p. 238, tr. fr. ; Sismondi, Républiques italiennes, t. V, p. 401.
[155] In
album relata. Tite-Live, I, 32.
[156] Fastus
circa forum in albo proposuit. Tite-Live, IX, 46.
[157] Ad Æneid., I, 373.
[158] Lois, VI, 23 ; IX, 4.
[159] Contre Timocrate, p. 707, Reiske.
[160] Recherches sur l'Égypte, p. 427.
[161] Excerpt. Peiresc., p. 658, 798. Hésychius, Πινάκιον, τό λεύκωμα.
[162] Seconde lettre sur Herculanum.
[163] Dans le Prodrome de ses Frammenti di fassi consolari, Rome, 1820.
[164] Voyez Plaute, Persa, I, 2, 22, et la note latine de M. Naudet, t. II de son édition, p. 547.
[165] Voyez Mazzocchi, in Tabul. Heracl., p. 309.
[166] Is qui album raserit, corruperit, sustulerit, mutaverit, quidve aliud propositum edicendi causa turbaverit, extra ordinem punietur. Paul, Sentent. recept., I, 13, 3 ; 21, 8, etc. Ulpien, Digeste, II, I, 7, etc.
[167] Ap. Liv., IV, 7, 13, 20, 23.
[168] Epist., IV, 7.
[169] Aurelianus, c. 1, 8.
[170] Voyez l'abbé Lebeuf, Mém. de l'Acad. des Inscript., t. XX, p. 267 ; Senebier, Catalogue des manuscrits conservés dans la bibliothèque de Genève, Genève, 1779 ; Cocchi, Lettera critica supra un manuscritto in cera, etc. Florence, 1746.
[171] De Orat., II, 12 : Ab initio rerum romanarum... hique ETIAM NUNC Annales maximi nominantur.
[172] De Leg., I, 2 : Quibus nihil potest ESSE jucundius.
[173] De Divinat., I, 17.
[174] De Divinat., I, 44 : Quod in Annalibus habemus.
[175] Brutus, c. 14 : Ex pontificum commentariis.
[176] De Finib., II, 20 : Ex Annalium monumentis.
[177] De Rep., I, 16 : Atque hac in re tanta inest ratio atque solertia, ut ex hoc die, quem apud Ennium et in maximis Annalibus consignatum videmus, superiores solis defectiones reputatæ sint usque ad illam, quæ nonis quintilibus fuit regnante Romulo, etc. Si la table des Éclipses, dressée par Pingré (Hist. de l'Acad. des Inscript., t. XLII, p. 92), ne s'accorde pas avec ces dates, il faut l'attribuer aux intercalations et aux autres variations du calendrier romain.
[178] Histoire romaine, t. I, p. 352, tr. fr.
[179] De Rep., II, 14 : Idemque Pompilius... propositis legibus his, quas in monumentis habemus. Ibid., V, 2 : Illa autem diuturna pax Numæ... qui legum etiam scriptor fuisset, quas scitis exstare.
[180] Brutus, c. 16.
[181] Cicéron ap Nonium, IV, 109, 118.
[182] Cicéron, de Rep., II, 31.
[183] Exoletis vetustate Annalium exemplis. Tite-Live, XXVII, 8.
[184] II, 33 ; VIII, 11, etc.
[185] Epist., II, 1, 26.
[186] Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. VIII, p. 363.
[187] In tarda vetustate non rerum modo, sed etiam auctorum. Tite-Live, II, 21.
[188] Neque in Annalibus priscis, neque in libris magistratuum inveniuntur. Tite-Live, IV, 7. Cette année 309, selon les fastes capitolins, est marquée 310 par Tite-Live, qui s'en écarte quelquefois.
[189] Tite-Live, I, 32.
[190] In quibusdam Annalibus. Tite-Live, III, 8.
[191] Tite-Live, IV, 7.
[192] Tam veteres Annales. Tite-Live, IV, 20.
[193] Quidam Annales retulere. Tite-Live, IV, 34.
[194] Vetustioies Annales, alii Annales. Tite-Live, VII, 9, 18, etc.
[195] Tite-Live, II, 19.
[196] Adeo ut quidam Annales, velut funesti, nihil præter nomina consulum suggerant. Tite-Live, IV, 20.
[197] Tite-Live, XLIII, 13.
[198] Catilina, c. 6.
[199] Polybe, III, 22-24.
[200] Tabulæ censuales, qu'il désigne deux fois par le titre d'άπογραφαί, καταγραφαί, II, 23, 24. Voyez M. Dureau de la Malle, Nouveaux Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. X, p. 487.
[201] Polybe, III, 33, 56.
[202] Denys, I, 74.
[203] Tome VI, p. 308.
[204] Videtur
ergo Polybius nactus apud Anchisenses aliquod istiusmodi antiquitatis
monumentum, ubi notatum erat conditæ Romæ tempus : ei lapidi plus tribuisse
Polybium, quam oportuerit, queritur Dionysius.
[205] Ad Cicéron de Rep., II, 10.
[206] Ancien fonds, 1654 ; Coisl., 150.
[207]
Έπί τοΰ
παρά τοΐς
άρχιερεΰσι
κειμένου
πίνακος. Cette restitution est si
naturelle que je l'ai retrouvée dans plusieurs critiques récents, Niebuhr, Hist.
rom., t. I, p. 339, tr. fr. ; Lachmann, de Fontibus histor. Livii, part. I, p. 43 ; Laurent, ad Fast.
consular., Altona, 1833, p. 100.
[208] Polybe, XXIII, 1 ; XXXII, 22.
[209] Sylla, c. 6 ; Pompée, c. 67 ; César, c. 42, etc. Dion, XXXVII, 37 ; LIV, 15, 27, 28, etc. Voyez encore Lydus, de Magistratibus, I, 35, p. 61.
[210] Au mot Άγχίοη. Procope, Bell. Gotth., IV, 22, mentionne une ville d'Anchisus, Άγχίοη, près de Nicopolis, sur la côte d'Épire, où mourut, dit-on, le père d'Énée.
[211] I, 73.
[212] Polybe, VI, 2.
[213] Cicéron, de Rep., II, 14.
[214] Cicéron, de Rep., II,
14.
[215] Solin, I, 27.
[216] Polybe, V, 33.
[217] VI, 45.
[218] X, 37.
[219] Diodore, I, 4. C.-G. Heyne, de Fontib. historiar. Diodori, ap. Commentation. societatis Gœttingensis, t. VII, p. 105 : Acta publica vix bene intelligas ; si fastos et Annales pontificum, hos utique non inspexit ipse, sed auctores romanos, qui eos consuluerant.
[220] Diodorus.... rerum profecto romanarum imperitissimus. H. Dodwell, de Antiquis Romanorum cyclis, p. 612.
[221] Denys, I, 73. Texte qu'on regardait comme important, car il est transcrit dans la Chronique d'Eusèbe, p. 206, éd. de Milan, 1818.
[222] Denys, I, 74.
[223] Denys, III, 36.
[224] Denys, IV, 30.
[225] Denys, VIII, 56.
[226] X, 23.
[227] I, 8, 4.
[228] Coriolan, c. 37.
[229] Publiés par M. Mai, Rome, 1827, p. 478.
[230] Denys, VIII, 56.
[231] Romulus, c. 3.
[232] Denys, IV, 2. Voyez Ovide, Fastes, VI, 627 ; Pline, XXXVI, 70 ; Arnobe, V, 18, d'après Verrius Flaccus.
[233] Denys, XI, 62.
[234] Tite-Live, IV, 7.
[235] Denys, VII, 1.
[236] I, 74.
[237] De Ling. lat., V, 74, 101, etc.
[238] In maximit Annalibus consignatum videmus, I, 16.
[239] Quas in monumentis habemus, II, 14.
[240] Labienus. Voyez Sénèque le rhéteur, préface du liv. V des Controverses.
[241] Aulu-Gelle, IV, 5. Cf. Arnobe, V, 18.
[242] Vespasien, c. 8.
[243] De Orat., II, 12.
[244] Tusculanes, IV, 1.
[245] Instrumenturn imperii pulcherrimum aa vetustissimum. Suétone, Vespasien, c. 8.
[246] Tacite, Annales, XII, 58.
[247] Géographie, V, 1 ; trad. franç., t. II, p. 148.
[248] Suétone, Tibère, c. 3.
[249] Dedita urbe. Tacite, Histoires, III, 72.
[250] Pline, XXXIV, 39.
[251] Quintilien, VIII, 2, 12.
[252] Quintilien, X, 2, 7.
[253] Voyez M. Heeren, de Fontibus vitarum Plutarchi, p. 98 et suivantes.
[254] Plutarque, Démosthène, c. 2.
[255] Aulu-Gelle, IV, 5.
[256] De Die natali, c. 11 et 17.
[257] De Die natali, c. 17.
[258] Pontifices, penes quos scribendæ historiæ potestas fuit, Vopiscus, Tacite, c. 1.
[259] Servius, ad Æn., I, 373.
[260] Nouveaux Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. II, p. 330.
[261] Cicéron, de Orat., II, 12 : Pontifex maximus... proponebat tabulam domi, potestas ut esset populo cognoscendi.
[262] Tite-Live, IV, 3 : Si non ad fastos, non ad commentarios pontificum admittimur.
[263] Valère-Maxime, IV, 4, 1 ; VII, 3, 2.
[264] VI, 1.
[265] I, 32.
[266] Il y a une note intéressante à ce sujet, quoique souvent inexacte, dans le nouveau scholiaste ambrosien du plaidoyer pour Scaurus, c. 15, p. 307, éd. de Rome, 1828.
[267] Cicéron, Epist. ad Att., VI,
1.
[268] Cicéron, Brutus, c. 14.
[269] Annales publici, quos pontifices scribœque conficiunt, Diomède, p. 480, Putsch.
[270] Tite-Live, XXII, 57 ;
Capitolin, Macrin, c. 7.
[271] Voyez Jac. Gouthières, de Jure pontificio, I, 16 ; J.-A. Bosius, de Pontifice maximo, VI, 6.
[272] Ad Suet., Cæsar, c. 20.
[273] De Origine gentis romanæ, c. 9.
[274] Nouveaux Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. II, p. 329.
[275] De Orig. gent. rom., c. 17 : Ut scriptum est in Annali pontificum libro quarto, Cincii et Cæsaris secundo.
[276] De Orig. gent. rom., c. 7.
[277] Saturnales, I, 16.
[278] Grammat., VI, p. 719, Putsch.
[279] Ap. Grœvii Antiquit. rom., t. VIII, p. 37.
[280] Cicéron, de Rep., I, 16.
[281] Macrobe, Saturnales, III, 2.
[282] Quintilien, VIII, 2, 12.
[283] XVIII, 3.
[284] Miscellanea Lipsiens. nova, t. II, p. 655.
[285] De Divinat., II, 18.
[286] Pro Domo, c. 53 : Habetis in commentariis vestris.
[287] Brutus, c. 14 : Ex pontificum commentariis.
[288] Tite-Live, VI, 1 : Si quæ in commentariis pontificum.
[289] Tite-Live, IV, 3 : Si non ad fastos, non ad commentarios pontificum admittimur.
[290] Epist., II, 1, 26 :
Sic fautor veterum, ut tabulas peccare vetantes
Quas bis quinque viri sanxerunt, fœdera regum
Vel Gabiis, vel cum rigidis œquata Sabinis,
Pontificum libros, annosa volumina votum,
Dictitet Albano Musas in monte locutas.
[291] Au mot Pontifex.
[292] De Orat., I, 43.
[293] Tite-Live, V, 50.
[294] Nouveaux Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. II, p. 461.
[295] Libri pontificum, au mot Opima, et Pontificis libri, au mot Tesca.
[296] XIII, 27 : Duos pontificales latinos.
[297] Passim.
[298] Ad Eclog., V, 66 ; ad Georg., I, 344 ; ad Æn., VII, 190 ; XII,
603.
[299] I, 182, p. 62, éd. de Rome, 1831.
[300] Au mot Mundus.
[301] Expositio sermonum antiquorum, au mot Tutuli.
[302] Au mot Arvales fratres.
[303] De pontificalibus, au mot Tutuli.
[304] Lydus, de Ostentis, c. 16.
[305] Numa, in Dogmatum philosophiæ libro tertio, dit le grammairien Apulée, de Orthographia, p. 135, éd. de Rome ; 1823 ; fragm. 26, p. 9, éd. de Darmstadt, 1826.
[306] Tite-Live, XL, 29 ; Pline, XIII, 27, etc.
[307] De Prœscriptionibus, c. 40.
[308] Voyez Lindenbrog sur Ammien Marcellin, XVII, 7 ; Marini, Atti degli Arvali, préface, p. XXXV, et les Inscriptions lat. d'Orelli, t. I, p. 424.
[309] Page 480, Putsch.
[310] De Nat. deor., I, 30 ; comme Varron, de Ling. lat., V, 23, 98.
[311] Cicéron, de Rep., II, 31 : Provocationem autem etiam a regibus fuisse, declarant pontificii libri, significant nostri etiam augurales.
[312] Diatribe literar. in M. Porcii Catonis censorii scripta et fragmenta, Utrecht, 1826, p. 13.
[313] Cicéron, de Divinat., I, 33 ; II, 18.
[314] Sénèque, Epist., 108.
[315] Exposit. serm. ant., au mot Tutuli.
[316] Aulu-Gelle, X, 15 ; XIII, 12.
[317] Cicéron, de Divinat., I, 33 ; Festus, sub vocab. ; Ammien Marcellin, XVII, 7 ; XXIII, 5.
[318] Tacite, Annal., III, 58.
[319] Festus, v. Molucrum, Nectere
; Servius, ad Æn., IX, 408.
[320] Append. ad Prælect. Camden., p. 654, 656.
[321] Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XLI, p. 60.
[322] Nouveaux Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. II, p. 322.
[323] IV, 7.
[324] Cicéron, Philippic., II, 34
; Epist. ad Brutus, 15 : Decrevi, ut in
fastis ad eum diem Bruti nomen adscriberetur.
[325] Epist. fam., V, 12 : Ordo ipse Annalium
mediocriter nos retinet, quasi enurneratione fastorum.
[326] Lipse, ad Tac. Annal., X, 43
; Welser, Opp., p. 850, 851 ; Vossius, ad Catull., p. 333.
[327] De Origine gent. rom., p. 2, éd. d'Arntzenius, 1733.
[328] Le manuscrit L dans le Festus de Lindemann.
[329] Exercitationes Plinianæ in Solunum, p. 51, éd. de 1689.
[330] Saturnales, I, 17 : Vestales indigitant. C'est-à-dire endocitant ou invocant.
[331] Ad Æn., XII 794 : Indigito est precor et invoco.
[332] Pompiliana indigitamenta, dit Arnobe, Advenus gentes, II, 73.
[333] Ap. Servium, ad Georg., I, 21 : Nomina hœc nominum in Indigitamentis inveniuntur, id est in libris pontificalibus, qui et nomina deorum et rationes ipsorum nominum continent ; quæ etiam Varro dicit.
[334] Censorin, de Die natali, c. 3.
[335] Sophocle, Antigone, v. 199, etc.
[336] Voyez Aulu-Gelle, I, 25, et G.-J. Vossius, Etymologic. ling. lat.
[337] De Re rustic., c. 141.
[338] Tite-Live, VIII, 9 ; X, 28.
[339] Macrobe, Saturn., III, 9.
[340] Ad Fest., p. 302.
[341] Varron, de Ling. lat.,
VI, 33 ; Macrobe, Saturn., I, 12, 13 ; Censorin, de Die nat., c.
20, 22 ; Cœlius, ap. Caris., p. 112, Putsch.
[342] Numa, c. 1.
[343] Ad Æn., II, 229.
[344] Catulle, Carm., 1 ;
Aulu-Gelle, passim ; Solin, I, 27 ; XL, 4.
[345] Varron, de Ling. lat.,
V, 150 ; Solin, I, 27 ; Servius, Probus, Philargyrius, passim.
[346] Cicéron, ad Att., XII, 23 ; Brutus, c. 3 ; de Fin., II, 21 ; Corn. Nepos, Attic., c. 18.
[347] Aulu-Gelle, IV, 5.
[348] Eclogas ex Annali descriptas. Varron dans Carisius, p. 97. Arnobe paraît avoir lu (V, 18) ces extraits des Annales par Verrius Flaccus.
[349] Plutarque, Cicéron, c. 49 ; Dion, LI, 19.
[350] Suétone, Claude, c. 11.
[351] Voyez Nuovi frammenti dei Fasti consolari capitolini, par Borghesi, Milan, 1818 et 1820 ; par Fea, Rome, 1820.
[352] Suétone, de illustr. gramm., c. 2.